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16/05/2024 | CJUE | N°C-27/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, FV contre Caisse pour l'avenir des enfants., 16/05/2024, C-27/23


 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

16 mai 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 45 TFUE – Libre circulation des travailleurs – Égalité de traitement – Avantages sociaux – Règlement (UE) no 492/2011 – Article 7, paragraphe 2 – Allocation familiale –Travailleur assumant la garde d’un enfant placé auprès de lui par décision judiciaire – Travailleur résident et travailleur non-résident – Différence de traitement – Absence de justification »

Dans l’affaire C‑27/23 [Hocinx] ( i ),

ayant po

ur objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (Luxembourg), par dé...

 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

16 mai 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 45 TFUE – Libre circulation des travailleurs – Égalité de traitement – Avantages sociaux – Règlement (UE) no 492/2011 – Article 7, paragraphe 2 – Allocation familiale –Travailleur assumant la garde d’un enfant placé auprès de lui par décision judiciaire – Travailleur résident et travailleur non-résident – Différence de traitement – Absence de justification »

Dans l’affaire C‑27/23 [Hocinx] ( i ),

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (Luxembourg), par décision du 19 janvier 2023, parvenue à la Cour le 23 janvier 2023, dans la procédure

FV

contre

Caisse pour l’avenir des enfants,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, présidente de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la troisième chambre, MM. N. Piçarra, N. Jääskinen (rapporteur) et M. Gavalec, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour FV, par Me J.-M. Bauler, avocat,

– pour la Caisse pour l’avenir des enfants, par Mes A. Rodesch et B. Rodesch, avocats,

– pour la Commission européenne, par Mme F. Clotuche-Duvieusart et M. B.-R. Killmann, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 janvier 2024,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 45 TFUE, de l’article 7, paragraphe 2, du règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (JO 2011, L 141, p. 1), de l’article 67 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO
2004, L 200, p. 1), ainsi que de l’article 60 du règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2009, L 284, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant FV, un travailleur frontalier, à la Caisse pour l’avenir des enfants (Luxembourg) (ci-après la « CAE ») au sujet du refus de cette dernière d’octroyer une allocation familiale à un enfant placé par décision judicaire dans le foyer de FV.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement (UE) 2019/1111

3 Conformément à l’article 1er, paragraphe 2, sous d), du règlement du Conseil (UE) 2019/1111 du Conseil, du 25 juin 2019, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ainsi qu’à l’enlèvement international d’enfants (JO 2019, L 178, p. 1), ce règlement s’applique au « placement d’un enfant dans une famille d’accueil ou dans un établissement ».

4 Aux termes de l’article 30, paragraphe 1, du règlement 2019/1111 :

« Les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure spéciale. »

Le règlement no 492/2011

5 L’article 7 du règlement no 492/2011 prévoit :

« 1.   Le travailleur ressortissant d’un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement et de réintégration professionnelle ou de réemploi s’il est tombé au chômage.

2.   Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.

[...] »

Le règlement no 883/2004

6 Le considérant 8 du règlement no 883/2004 est ainsi libellé :

« Le principe général de l’égalité de traitement est d’une importance particulière pour les travailleurs qui ne résident pas dans l’État membre où ils travaillent, y compris les travailleurs frontaliers. »

7 L’article 1er de ce règlement dispose :

« Aux fins de présent règlement :

[...]

f) le terme “travailleur frontalier” désigne toute personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État membre et qui réside dans un autre État membre où elle retourne en principe chaque jour ou au moins une fois par semaine ;

[...]

z) le terme “prestations familiales” désigne toutes les prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille, à l’exclusion des avances sur pensions alimentaires et des allocations spéciales de naissance ou d’adoption visées à l’annexe I. »

8 L’article 2, paragraphe 1, dudit règlement énonce :

« Le présent règlement s’applique aux ressortissants de l’un des États membres, aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un État membre qui sont ou ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs États membres, ainsi qu’aux membres de leur famille et à leurs survivants. »

9 Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de ce même règlement :

« Le présent règlement s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent :

[...]

j) les prestations familiales. »

10 L’article 4 du règlement no 883/2004, intitulé « Égalité de traitement », prévoit :

« À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les personnes auxquelles le présent règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout État membre, que les ressortissants de celui-ci. »

La directive 2004/38/CE

11 L’article 2 de la directive 2004/38/CE du Parlement et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, ainsi que rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35, et JO 2005, L 197,
p. 34), est ainsi libellé :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1) “citoyen de l’Union” : toute personne ayant la nationalité d’un État membre ;

2) “membre de la famille” :

a) le conjoint ;

b) le partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a contracté un partenariat enregistré, sur la base de la législation d’un État membre, si, conformément à la législation de l’État membre d’accueil, les partenariats enregistrés sont équivalents au mariage, et dans le respect des conditions prévues par la législation pertinente de l’État membre d’accueil ;

c) les descendants directs qui sont âgés de moins de vingt et un ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b) ;

d) les ascendants directs à charge et ceux du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b) ;

[...] »

Le droit luxembourgeois

12 Les dispositions pertinentes du droit luxembourgeois sont les articles 269 et 270 du code de la sécurité sociale, dans leur version applicable à partir du 1er août 2016, date de l’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016, portant modification du code de la sécurité sociale, de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, et abrogeant la loi modifiée du 21 décembre 2007 concernant le boni pour enfant (Mémorial A 2016, p. 2348, ci-après le « code »).

13 L’article 269, paragraphe 1er, du code, intitulé « Conditions d’attribution », dispose :

« Il est introduit une allocation pour l’avenir des enfants, ci-après “allocation familiale”.

Ouvre droit à l’allocation familiale :

a) chaque enfant, qui réside effectivement et de manière continue au Luxembourg et y ayant son domicile légal ;

b) les membres de famille tels que définis à l’article 270 de toute personne soumise à la législation luxembourgeoise et relevant du champ d’application des règlements européens ou d’un autre instrument bi- ou multilatéral conclu par le Luxembourg en matière de sécurité sociale et prévoyant le paiement des allocations familiales suivant la législation du pays d’emploi. Les membres de la famille doivent résider dans un pays visé par les règlements ou instruments en question. »

14 L’article 270 de ce code énonce :

« Pour l’application de l’article 269, paragraphe 1er, point b), sont considérés comme membres de la famille d’une personne et donnent droit à l’allocation familiale, les enfants nés dans le mariage, les enfants nés hors mariage et les enfants adoptifs de cette personne. »

15 L’article 273, paragraphe 4, dudit code précise, en ce qui concerne des enfants résidents :

« En cas de placement d’un enfant par décision judiciaire, l’allocation familiale est versée à la personne physique ou morale investie de la garde de l’enfant et auprès de laquelle l’enfant à son domicile légal et sa résidence effective et continue. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

16 FV, qui travaille au Luxembourg et réside en Belgique, bénéficie du statut de travailleur frontalier et dépend ainsi du régime luxembourgeois pour les allocations familiales. Depuis le 26 décembre 2005, l’enfant FW est placé au sein du foyer de FV en vertu d’une décision rendue par une juridiction belge.

17 Par décision du 7 février 2017, le comité directeur de la CAE a retiré à FV, avec effet rétroactif au 1er août 2016, le bénéfice des allocations familiales perçues pour l’enfant FW au motif que cet enfant, ne présentant pas de lien de filiation avec FV, n’a pas la qualité de « membre de la famille », au sens de l’article 270 du code.

18 Le conseil arbitral de la sécurité sociale (Luxembourg) a réformé cette décision et renvoyé l’affaire devant la CAE.

19 Le 27 janvier 2022, le conseil supérieur de la sécurité sociale (Luxembourg) a cependant confirmé, par réformation, la décision de la CAE du 7 février 2017. FV s’est pourvu en cassation devant la Cour de cassation (Luxembourg), qui est la juridiction de renvoi.

20 Cette juridiction explique que, selon la législation nationale applicable, un enfant résident a un droit direct au paiement des prestations familiales. En revanche, dans le cas des enfants non-résidents, un tel droit n’est prévu qu’au titre du droit dérivé pour les « membres de la famille » du travailleur frontalier, définition qui n’inclut pas les enfants placés dans le foyer d’un tel travailleur par décision judiciaire.

21 En se référant à l’arrêt du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (Enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) (C‑802/18, EU:C:2020:269), ladite juridiction se demande si cette différence de traitement est conforme au droit de l’Union. Il ressortirait, en effet, de cet arrêt que, par « enfant d’un travailleur frontalier » pouvant bénéficier indirectement des avantages sociaux, il convient d’entendre également l’enfant ayant un lien de parenté avec le conjoint ou le partenaire
enregistré du travailleur concerné lorsque ce dernier pourvoit à l’entretien de cet enfant.

22 Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Est-ce que le principe d’égalité de traitement garanti [à l’article] 45 TFUE et [à l’article 7], paragraphe 2, du règlement [no 492/2011] ainsi que [l’article 67 du règlement no 883/2004] et [l’article 60 du règlement no 987/2009] s’opposent à des dispositions d’un État membre en vertu desquelles les travailleurs frontaliers ne peuvent percevoir une allocation familiale liée à l’exercice, par ceux-ci, d’une activité salariée dans cet État membre pour les enfants placés auprès d’eux par décision
judiciaire, alors que tous les enfants ayant fait l’objet d’un placement par décision judiciaire et résidant dans ledit État membre ont le droit de percevoir cette allocation qui est versée à la personne physique ou morale investie de la garde de l’enfant et auprès de laquelle l’enfant a son domicile légal et sa résidence effective et continue ? La réponse à la question posée est-elle susceptible d’être impactée par le fait que le travailleur frontalier pourvoit à l’entretien de cet enfant ? »

Sur la question préjudicielle

23 Par son unique question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 45 TFUE et l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la législation d’un État membre en vertu de laquelle un travailleur non-résident ne peut pas percevoir une allocation familiale liée à l’exercice, par celui-ci, d’une activité salariée dans cet État membre pour un enfant ayant été placé auprès de lui par décision judiciaire et dont il assume la
garde, alors qu’un enfant ayant fait l’objet d’un placement judiciaire et résidant dans ledit État membre a le droit de percevoir cette allocation, qui est versée à la personne physique ou morale investie de la garde de cet enfant, et si la circonstance que le travailleur non-résident pourvoit à l’entretien de l’enfant placé auprès de lui a une incidence sur la réponse à cette question.

24 À titre liminaire, il importe d’observer que la présente affaire porte uniquement sur la question de savoir si un État membre peut appliquer des conditions d’attribution différenciées au regard d’un travailleur résident et d’un travailleur non-résident en ce qui concerne l’octroi d’une allocation telle que l’allocation familiale en cause au principal.

25 Dans ces conditions, la question préjudicielle ne saurait être appréhendée à la lumière de l’article 67 du règlement no 883/2004 et de l’article 60 du règlement no 987/2009, ces dispositions visant non pas la situation du travailleur lui-même, mais celle des membres de la famille de ce dernier résidant dans un autre État membre.

26 Cela étant précisé, il convient de relever, tout d’abord, que, s’agissant de l’article 45, paragraphe 2, TFUE, cette disposition énonce que la libre circulation des travailleurs implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. L’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 constitue, quant à lui, l’expression particulière, dans le domaine
spécifique de l’octroi d’avantages sociaux, de la règle d’égalité de traitement ainsi consacrée, cette disposition précisant que le travailleur ressortissant d’un État membre bénéficie, sur le territoire des autres États membres dont il n’a pas la nationalité, des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux (voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 2020, Jobcenter Krefeld, C‑181/19, EU:C:2020:794, points 44 et 78, ainsi que du 21 décembre 2023, Chief Appeals Officer e.a.,
C‑488/21, EU:C:2023:1013, point 49).

27 Ensuite, la Cour a déjà eu l’occasion de juger, d’une part, que l’allocation familiale en cause au principal étant liée à l’exercice d’une activité salariale par un travailleur frontalier, elle constitue un avantage social, au sens de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011. D’autre part, cette allocation constitue également une prestation de sécurité sociale, relevant des prestations familiales visées à l’article 3, paragraphe 1, sous j), du règlement no 883/2004 [voir, en ce sens,
arrêt du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (Enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), C‑802/18, EU:C:2020:269, points 31 et 40].

28 Or, la Cour a itérativement jugé que le principe d’égalité de traitement inscrit à l’article 45, paragraphe 2, TFUE et à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 prohibe non seulement les discriminations directes, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes indirectes de discrimination qui, par l’application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat [arrêt du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (Enfant du conjoint d’un travailleur
frontalier), C‑802/18, EU:C:2020:269, point 54 et jurisprudence citée].

29 S’agissant de ce principe sur lequel repose la liberté de circulation des travailleurs, la Cour a déjà jugé que c’est notamment dans l’optique de garantir le mieux possible l’égalité de traitement de toutes les personnes occupées sur le territoire d’un État membre que, selon l’article 4 du règlement no 883/2004, lu à la lumière du considérant 8 de ce règlement, la personne qui exerce notamment une activité salariée dans un État membre est soumise, en règle générale, à la législation de cet État
membre et doit, conformément à cet article, y bénéficier des mêmes prestations que les ressortissants du même État membre [voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2022, Commission/Autriche (Indexation des prestations familiales), C‑328/20, EU:C:2022:468, point 108 et jurisprudence citée].

30 Or, ainsi que rappelé au point 26 du présent arrêt, l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 exprime ce même principe de l’égalité de traitement en prévoyant que le travailleur d’un autre État membre bénéficie des mêmes avantages sociaux que les travailleurs résidents.

31 Dès lors que les travailleurs frontaliers contribuent au financement des politiques sociales de l’État membre d’accueil eu égard aux contributions fiscales et sociales qu’ils paient dans cet État, en vertu de l’activité salariée qu’ils y exercent, ils doivent pouvoir bénéficier des prestations familiales ainsi que des avantages sociaux et fiscaux dans les mêmes conditions que les travailleurs nationaux [voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2012, Commission/Pays-Bas, C‑542/09, EU:C:2012:346,
point 66 ; du 16 juin 2022, Commission/Autriche (Indexation des prestations familiales), C‑328/20, EU:C:2022:468, point 109, ainsi que du 21 décembre 2023, Chief Appeals Officer e.a., C‑488/21, EU:C:2023:1013, point 71].

32 En l’occurrence, en vertu de la législation nationale applicable, les travailleurs non-résidents ne profitent pas dans les mêmes conditions que les travailleurs résidents de l’allocation familiale en cause au principal en ce qui concerne les enfants placés dans le foyer de tels travailleurs dans la mesure où, à la différence d’un travailleur résident, un travailleur frontalier ne perçoit pas cette allocation pour un enfant qui est placé dans son foyer et dont il assume la garde.

33 En effet, il ressort de la décision de renvoi que, selon l’article 269, paragraphe 1, sous a), du code, tous les enfants résidant effectivement et de manière continue au Luxembourg et qui y ont leur domicile légal ouvrent droit à l’allocation familiale. S’agissant des enfants placés par décision judiciaire, l’article 273, paragraphe 4, de ce code précise que cette allocation est versée, dans le cas d’un tel placement, à la personne physique ou morale investie de la garde de l’enfant et auprès de
laquelle cet enfant a son domicile légal et sa résidence effective et continue.

34 En revanche, conformément à l’article 269, paragraphe 1, sous b), et à l’article 270 du code, ouvrent uniquement droit à l’allocation familiale pour un travailleur frontalier les enfants considérés, en vertu de cette dernière disposition, comme étant des membres de la famille de ce travailleur, à savoir les enfants nés dans le mariage, les enfants nés hors mariage et les enfants adoptifs de cette personne.

35 Dans ces conditions, un enfant, qui est placé dans le foyer d’un travailleur ayant exercé son droit à la libre circulation et qui a son domicile légal ainsi que sa résidence effective et continue auprès de ce travailleur, ne peut se voir accorder une prestation familiale constitutive, pour le travailleur frontalier, d’un « avantage social », alors que les enfants placés qui ont leur domicile légal ainsi que leur résidence effective et continue auprès des travailleurs ressortissants de l’État
membre d’accueil peuvent, en revanche, y prétendre. Une telle différence de traitement, qui est susceptible de jouer davantage au détriment des ressortissants d’autres États membres dans la mesure où les non-résidents sont le plus souvent des non-nationaux, constitue une discrimination indirecte fondée sur la nationalité.

36 La circonstance que la décision de placement émane d’une juridiction d’un autre État membre que l’État membre d’accueil du travailleur concerné ne saurait avoir une incidence sur une telle conclusion.

37 En effet, les autorités compétentes luxembourgeoises sont tenues de reconnaître une décision de placement d’un autre État membre et de lui accorder la même valeur juridique qu’à une décision nationale équivalente. Cela ressort d’une lecture combinée de l’article 1er, paragraphe 2, sous d), et de l’article 30, paragraphe 1, du règlement 2019/1111. Ces dispositions correspondent aux dispositions en substance identiques contenues à l’article 1er, paragraphe 2, sous d), et à l’article 21,
paragraphe 1, du règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 (JO 2003, L 338, p. 1), qui était applicable à la date de l’entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2016 ayant modifié le code et qui a été abrogé par le règlement 2019/1111.

38 Pour être justifiée, la discrimination indirecte visée au point 35 du présent arrêt doit être propre à garantir la réalisation d’un objectif légitime et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif [voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2012, Commission/Pays-Bas, C‑542/09, EU:C:2012:346, points 55 et 73, ainsi que du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (Enfant du conjoint d’un travailleur frontalier), C‑802/18, EU:C:2020:269, points 56 et 58]. La juridiction
de renvoi n’a toutefois fait état d’aucun objectif légitime susceptible de justifier une telle discrimination indirecte.

39 Partant, il convient de considérer que l’article 45 TFUE et l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 s’opposent à des dispositions d’un État membre en vertu desquelles les travailleurs non-résidents ne peuvent, à la différence des travailleurs résidents, percevoir un avantage social, tel que l’allocation familiale en cause au principal, pour des enfants placés dans leur foyer, dont ils ont la garde et qui ont leur domicile légal ainsi que leur résidence effective et continue auprès de
ceux-ci.

40 Enfin, s’agissant du point de savoir si la circonstance que le travailleur non-résident pourvoit à l’entretien de l’enfant placé dans son foyer et dont il a la garde a une incidence sur la réponse à la question posée, il suffit d’observer que, sous peine de méconnaître l’égalité de traitement des travailleurs frontaliers, une telle circonstance ne saurait être prise en compte dans le cadre de l’octroi d’une allocation familiale à un tel travailleur que si la législation nationale applicable
prévoit une telle condition pour l’octroi de cette allocation à un travailleur résident investi de la garde d’un enfant placé auprès de lui.

41 Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 45 TFUE et l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la législation d’un État membre en vertu de laquelle un travailleur non-résident ne peut pas percevoir une allocation familiale liée à l’exercice, par celui-ci, d’une activité salariée dans cet État membre pour un enfant placé auprès de lui par décision judiciaire et dont il assume la
garde, alors qu’un enfant ayant fait l’objet d’un placement judiciaire et résidant dans ledit État membre a le droit de percevoir cette allocation, qui est versée à la personne physique ou morale investie de la garde de cet enfant. La circonstance que le travailleur non-résident pourvoit à l’entretien de l’enfant placé auprès de lui ne saurait être prise en compte dans le cadre de l’octroi d’une allocation familiale à un tel travailleur pour un enfant placé dans son foyer que si la législation
nationale applicable prévoit une telle condition pour l’octroi de cette allocation à un travailleur résident investi de la garde d’un enfant placé dans son foyer.

Sur les dépens

42 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

  L’article 45 TFUE et l’article 7, paragraphe 2, du règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union,

  doivent être interprétés en ce sens que :

  ils s’opposent à la législation d’un État membre en vertu de laquelle un travailleur non-résident ne peut pas percevoir une allocation familiale liée à l’exercice, par celui-ci, d’une activité salariée dans cet État membre pour un enfant placé auprès de lui par décision judiciaire et dont il assume la garde, alors qu’un enfant ayant fait l’objet d’un placement judiciaire et résidant dans ledit État membre a le droit de percevoir cette allocation, qui est versée à la personne physique ou morale
investie de la garde de cet enfant. La circonstance que le travailleur non-résident pourvoit à l’entretien de l’enfant placé auprès de lui ne saurait être prise en compte dans le cadre de l’octroi d’une allocation familiale à un tel travailleur pour un enfant placé dans son foyer que si la législation nationale applicable prévoit une telle condition pour l’octroi de cette allocation à un travailleur résident investi de la garde d’un enfant placé dans son foyer.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le français.

( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-27/23
Date de la décision : 16/05/2024
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par la Cour de cassation (Luxembourg).

Renvoi préjudiciel – Article 45 TFUE – Libre circulation des travailleurs – Égalité de traitement – Avantages sociaux – Règlement (UE) no 492/2011 – Article 7, paragraphe 2 – Allocation familiale – Travailleur assumant la garde d’un enfant placé auprès de lui par décision judiciaire – Travailleur résident et travailleur non-résident – Différence de traitement – Absence de justification.

Libre circulation des travailleurs

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : FV
Défendeurs : Caisse pour l'avenir des enfants.

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar
Rapporteur ?: Jääskinen

Origine de la décision
Date de l'import : 18/05/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:404

Source

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