ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
11 avril 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Transports aériens – Convention de Montréal – Article 19 – Réparation des dommages causés en raison du retard dans le transport des bagages – Cession à une société commerciale de la créance du passager à l’égard du transporteur aérien – Clause contractuelle interdisant une telle cession – Directive 93/13/CE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Article 6, paragraphe 1, et article 7, paragraphe 1 – Contrôle d’office du caractère abusif de la
clause interdisant la cession des droits des passagers – Modalités de ce contrôle dans le cadre d’un litige opposant la société cessionnaire au transporteur aérien – Principes d’équivalence et d’effectivité – Principe du contradictoire »
Dans l’affaire C‑173/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado de lo Mercantil n.o 1 de Palma de Mallorca (tribunal de commerce no 1 de Palma de Majorque, Espagne), par décision du 10 mars 2023, parvenue à la Cour le 20 mars 2023, dans la procédure
Eventmedia Soluciones SL
contre
Air Europa Líneas Aéreas SAU,
LA COUR (troisième chambre),
composée de Mme K. Jürimäe (rapporteure), présidente de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la troisième chambre, MM. N. Piçarra, N. Jääskinen et M. Gavalec, juges,
avocat général : M. M. Szpunar,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Eventmedia Soluciones SL, par Me A.-M. Martínez Cuadros, abogada,
– pour Air Europa Líneas Aéreas SAU, par M. N. de Dorremochea Guiot, procurador, et Me E. Olea Ballesteros, abogado,
– pour le gouvernement espagnol, par M. A. Ballesteros Panizo, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par MM. J. L. Buendía Sierra et N. Ruiz García, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Eventmedia Soluciones SL (ci-après « Eventmedia »), cessionnaire de la créance d’un passager aérien, à Air Europa Líneas Aéreas SAU (ci‑après « Air Europa ») au sujet de la réparation du dommage résultant d’un retard dans le transport des bagages de ce passager à l’occasion d’un vol effectué par Air Europa.
Le cadre juridique
Le droit international
3 Sous l’intitulé « Retard », l’article 19 de la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, conclue à Montréal le 28 mai 1999, signée par la Communauté européenne le 9 décembre 1999 et approuvée au nom de celle-ci par la décision 2001/539/CE du Conseil, du 5 avril 2001 (JO 2001, L 194, p. 38, ci-après la « convention de Montréal »), stipule :
« Le transporteur est responsable du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de passagers, de bagages ou de marchandises. Cependant, le transporteur n’est pas responsable du dommage causé par un retard s’il prouve que lui, ses préposés et mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage, ou qu’il leur était impossible de les prendre. »
Le droit de l’Union
4 Le vingt-quatrième considérant de la directive 93/13 énonce que « les autorités judiciaires et organes administratifs des États membres doivent disposer de moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’application de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ».
5 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive, cette dernière a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.
6 L’article 2, sous b), de ladite directive énonce la définition suivante :
« “consommateur” : toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ».
7 L’article 3, paragraphe 1, de la même directive prévoit :
« Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. »
8 L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
9 L’article 7, paragraphe 1, de cette directive se lit comme suit :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 Un passager aérien ayant subi un retard dans l’acheminement de ses bagages à l’occasion d’un vol au départ de Madrid (Espagne) et à destination de Cancún (Mexique) a cédé sa créance de dommages et intérêts à l’égard d’Air Europa, un transporteur aérien, à Eventmedia, une société commerciale.
11 Par la suite, Eventmedia a saisi le Juzgado de lo Mercantil n.o 1 de Palma de Mallorca (tribunal de commerce no 1 de Palma de Majorque, Espagne), qui est la juridiction de renvoi, d’un recours contre Air Europa afin d’obtenir un montant de 766 euros au titre de la réparation du dommage résultant de ce retard, sur le fondement de l’article 19 de la convention de Montréal.
12 Devant cette juridiction, Air Europa conteste la qualité pour agir d’Eventmedia. Selon elle, la cession de créance n’était pas juridiquement valable dès lors qu’elle violait l’interdiction de céder les droits du passager prévue à la clause 15.1 de ses conditions générales de transport (ci-après la « clause en cause »). Aux termes de cette clause, « [l]a responsabilité d’Air Europa et celle de tout transporteur, conformément à l’article 1er, est déterminée par les conditions de transport du
transporteur émetteur du billet, sauf stipulation contraire. Les droits appartenant au passager sont attachés à sa personne et leur cession n’est pas autorisée ».
13 La juridiction de renvoi précise que la responsabilité du transporteur aérien prévue à l’article 19 de la convention de Montréal, pour les cas de retard dans le transport de bagages, relève d’une action en dommages et intérêts de nature contractuelle. Par conséquent, la cession de la créance de dommages et intérêts afférents à un tel retard relèverait de l’interdiction de cession prévue par la clause en cause.
14 Rappelant la jurisprudence de la Cour, cette juridiction estime qu’elle dispose d’éléments factuels et juridiques suffisants pour contrôler le contenu de cette clause et pour la déclarer abusive, au sens de la directive 93/13, au terme d’un débat contradictoire. Elle se demande, toutefois, si elle peut examiner d’office le caractère abusif de ladite clause. D’une part, en effet, la procédure pendante devant elle a été engagée non pas par l’une des parties au contrat de transport sur la base
duquel l’action est fondée, mais par le cessionnaire de la créance indemnitaire du passager aérien, lequel cessionnaire n’a pas la qualité de consommateur. D’autre part, le consommateur n’étant pas partie à cette procédure, il ne pourrait pas être tenu compte de la volonté de ce dernier de se prévaloir, après avoir été avisé par ladite juridiction, du caractère abusif et non contraignant de la clause en cause.
15 C’est dans ces conditions que le Juzgado de lo Mercantil n.o 1 de Palma de Mallorca (tribunal de commerce no 1 de Palma de Majorque) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive [93/13] doivent-ils être interprétés en ce sens que le juge national saisi d’une action en réparation des dommages résultant d’un retard dans le transport de bagages au titre de l’article 19 de la convention de Montréal est tenu d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif d’une clause intégrée dans le contrat de transport, qui ne permet pas au passager de céder ses droits, lorsque l’action est exercée par le
cessionnaire qui, contrairement au cédant, n’a pas la qualité de consommateur et d’usager ?
2) Dans le cas où il y a lieu de procéder à l’examen d’office, l’obligation d’informer le consommateur et d’établir s’il fait valoir le caractère abusif de la clause ou bien consent à cette dernière peut-elle être omise, eu égard à l’intention qu’il a manifestée en transmettant sa créance, en violation de la clause éventuellement abusive qui ne permettait pas la cession de la créance ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
16 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif d’une clause qui, figurant dans le contrat de transport conclu entre un passager aérien et un transporteur aérien, prohibe la cession des droits dont jouit ce passager à l’égard de ce transporteur, lorsque ce juge est saisi
d’une action en réparation formée, contre ledit transporteur, par une société commerciale cessionnaire de la créance de dommages et intérêts dudit passager.
Observations liminaires relatives au champ d’application de la directive 93/13
17 S’agissant de l’hypothèse d’une cession de créances d’un passager aérien à une société de recouvrement, la Cour a déjà jugé que le fait que le litige au principal oppose uniquement des professionnels ne fait pas obstacle à l’application de la directive 93/13, dans la mesure où le champ d’application de cette directive dépend non pas de l’identité des parties à ce litige, mais de la qualité des parties au contrat (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2020, DelayFix, C‑519/19, EU:C:2020:933,
points 53 et 54).
18 En effet, selon l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, cette dernière s’applique aux clauses figurant dans des contrats conclus entre un professionnel et un consommateur qui n’ont pas fait l’objet d’une négociation individuelle (arrêt du 18 novembre 2020, DelayFix, C‑519/19, EU:C:2020:933, point 55 et jurisprudence citée).
19 En l’occurrence, le contrat de transport, sur lequel la créance dont se prévaut Eventmedia est fondée et qui contient la clause en cause, a été conclu entre un professionnel, à savoir Air Europa, et un passager aérien. En outre, rien n’indique que ce dernier ait acheté son billet d’avion dans le cadre de son activité professionnelle, de telle sorte que, sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, ce passager paraît avoir conclu ce contrat en qualité de consommateur, au sens de
l’article 2, sous b), de la directive 93/13.
20 À la lumière de la jurisprudence citée au point 17 du présent arrêt, le litige au principal entre donc dans le champ d’application de la directive 93/13.
21 Les motifs figurant au point 63 de l’arrêt du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary (C‑32/14, EU:C:2015:637), et au point 29 de l’arrêt du 11 mars 2020, Lintner (C‑511/17, EU:C:2020:188), évoqués, en substance, dans la demande de décision préjudicielle, ne sont pas de nature à remettre en cause une telle conclusion.
22 Certes, la Cour a jugé, à ces points, qu’il est nécessaire, pour que la protection du consommateur voulue par la directive 93/13 puisse être accordée, qu’une procédure juridictionnelle ait été engagée par l’une des parties au contrat. Toutefois, il convient de replacer cette affirmation dans le contexte des affaires ayant donné lieu à ces arrêts, qui opposaient effectivement le consommateur et le professionnel ayant conclu un contrat.
23 Plus spécifiquement, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary (C‑32/14, EU:C:2015:637), la Cour a été saisie de la question de savoir, en substance, si le système de protection mis en place par la directive 93/13 devait être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui permet à un notaire ayant établi, dans le respect des exigences formelles, un acte authentique concernant un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur
de procéder à l’apposition de la formule exécutoire sur cet acte ou de refuser de procéder à sa suppression sans pouvoir procéder à un contrôle du caractère éventuellement abusif des clauses dudit contrat. En examinant cette question, la Cour a, pour l’essentiel, opéré une distinction entre une telle procédure notariale et la procédure juridictionnelle, en soulignant que c’est à l’occasion de cette dernière procédure seulement que le système de protection voulue par la directive 93/13 requiert
que le juge national examine d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary, C‑32/14, EU:C:2015:637, points 33, 41 à 47 et 59). Encore faut-il, toutefois, que le juge national soit saisi. C’est à ce principe directeur du procès, selon lequel l’initiative d’un procès appartient aux seules parties, que se réfère le motif figurant au point 63 de cet arrêt.
24 Quant au point 29 de l’arrêt du 11 mars 2020, Lintner, (C‑511/17, EU:C:2020:188), il s’inscrit dans un raisonnement consacré aux limites de l’objet du litige et au principe dispositif. Ainsi, il ressort d’une lecture d’ensemble des points 26 à 34 de cet arrêt que la Cour a voulu non pas limiter le champ d’application de la directive 93/13 aux litiges opposant le consommateur au professionnel, mais plutôt insister sur le fait que la protection du consommateur voulue par la directive 93/13
présuppose qu’une procédure juridictionnelle ait été engagée et que l’intervention positive du juge national ne peut dépasser les limites du litige porté devant lui.
25 Il s’ensuit que la Cour n’a pas entendu limiter, par les deux arrêts visés aux points 23 et 24 du présent arrêt, le champ d’application de la directive 93/13 aux seuls litiges opposant le consommateur au professionnel ayant conclu un contrat.
26 Sous le bénéfice de ces observations liminaires, il convient de déterminer si, lorsque le litige oppose non pas ce consommateur et ce professionnel, mais ce dernier à un autre professionnel, à savoir à une société commerciale cessionnaire des droits du consommateur, le juge national doit examiner d’office le caractère éventuellement abusif des clauses de ce contrat.
Sur l’examen d’office du caractère éventuellement abusif d’une clause
27 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information (arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, C‑240/98 à C‑244/98, EU:C:2000:346, point 25, ainsi que du 17 mai 2022, SPV Project 1503 e.a., C‑693/19
et C‑831/19, EU:C:2022:395, point 51).
28 Eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de cette directive prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (arrêts du 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C‑168/05, EU:C:2006:675, point 36, ainsi que du 17 mai 2022, SPV Project
1503 e.a., C‑693/19 et C‑831/19, EU:C:2022:395, point 52).
29 À cet égard, il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive 93/13 et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel, dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (arrêt du 17 mai 2022, SPV Project 1503 e.a., C‑693/19 et C‑831/19, EU:C:2022:395, point 53 ainsi que
jurisprudence citée).
30 En outre, la directive 93/13 impose aux États membres, ainsi que cela ressort de son article 7, paragraphe 1, lu en combinaison avec son vingt-quatrième considérant, de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel (arrêts du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C‑618/10, EU:C:2012:349, point 68, ainsi que du 17 mai 2022, SPV Project 1503 e.a., C‑693/19 et C‑831/19,
EU:C:2022:395, point 54).
31 Si la Cour a ainsi déjà encadré, à plusieurs reprises et en tenant compte des exigences de l’article 6, paragraphe 1, ainsi que de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, la manière dont le juge national doit assurer la protection des droits que les consommateurs tirent de cette directive, il n’en reste pas moins que, en principe, le droit de l’Union n’harmonise pas les procédures applicables à l’examen du caractère prétendument abusif d’une clause contractuelle. Celles-ci relèvent, dès
lors, de l’ordre juridique interne des États membres, en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêts du 26 juin 2019, Addiko Bank, C‑407/18,
EU:C:2019:537, points 45 et 46, ainsi que du 17 mai 2022, SPV Project 1503 e.a., C‑693/19 et C‑831/19, EU:C:2022:395, point 55).
32 Dans ces conditions, il y a lieu de déterminer si ces dispositions, lues en combinaison avec les principes d’équivalence et d’effectivité, requièrent que le juge national, saisi par une société commerciale cessionnaire d’une créance de dommages et intérêts d’un consommateur à l’égard du professionnel cocontractant de ce dernier, contrôle le caractère éventuellement abusif d’une clause figurant dans le contrat conclu entre ce consommateur et ce professionnel.
33 Premièrement, en ce qui concerne le principe d’équivalence, il appartient au juge national de vérifier, au regard des modalités procédurales des recours applicables en droit interne, le respect de ce principe compte tenu de l’objet, de la cause et des éléments essentiels des recours concernés (arrêt du 17 mai 2022, Unicaja Banco, C‑869/19, EU:C:2022:397, point 23 et jurisprudence citée).
34 À cet égard, la Cour a jugé que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être considéré comme une norme équivalente aux règles nationales qui occupent, au sein de l’ordre juridique interne, le rang de règles d’ordre public (arrêts du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C‑40/08, EU:C:2009:615, point 52, et du 17 mai 2022, Unicaja Banco, C‑869/19, EU:C:2022:397, point 24).
35 Il s’ensuit que, conformément au principe d’équivalence, lorsque, en vertu du droit interne, le juge national dispose de la faculté ou a l’obligation d’apprécier d’office la contrariété d’une clause contractuelle aux règles nationales d’ordre public, il doit également disposer de la faculté ou de l’obligation d’apprécier d’office la contrariété d’une telle clause à l’article 6 de la directive 93/13, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (voir, en ce sens,
arrêt du 17 mai 2022, Unicaja Banco, C‑869/19, EU:C:2022:397, point 25 et jurisprudence citée).
36 En l’occurrence, la demande de décision préjudicielle ne contient aucune information quant au point de savoir si le juge saisi d’une action en réparation des dommages fondée sur l’article 19 de la convention de Montréal peut, voire doit, en vertu du droit espagnol, examiner d’office l’éventuelle contrariété d’une clause, telle que la clause en cause, aux règles nationales d’ordre public. Conformément à la jurisprudence rappelée au point 33 du présent arrêt, il revient à la juridiction de renvoi
de vérifier cet aspect afin de déterminer si elle peut, voire doit, en vertu du principe d’équivalence, examiner d’office le caractère éventuellement abusif de la clause en cause.
37 Deuxièmement, en ce qui concerne le principe d’effectivité, la Cour a jugé que chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, ainsi que, le cas échéant, des principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la
protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (arrêts du 14 décembre 1995, Peterbroeck, C‑312/93, EU:C:1995:437, point 14, ainsi que du 17 mai 2022, SPV Project 1503 e.a., C‑693/19 et C‑831/19, EU:C:2022:395, point 60).
38 Or, s’agissant d’une action en réparation introduite par une société commerciale cessionnaire de la créance d’un consommateur contre le cocontractant professionnel de ce dernier, il convient de constater qu’une action opposant deux professionnels n’est pas caractérisée par le déséquilibre qui existe dans le cadre d’un recours opposant le consommateur à son cocontractant professionnel (voir, par analogie, arrêt du 5 décembre 2013, Asociación de Consumidores Independientes de Castilla y León,
C‑413/12, EU:C:2013:800, point 50).
39 Il s’ensuit que, à la différence de l’hypothèse visée par la jurisprudence citée au point 29 du présent arrêt, il n’est pas nécessaire, afin d’assurer l’effectivité du système de protection du consommateur voulue par la directive 93/13, que le juge national, saisi d’un litige opposant deux professionnels, tels qu’une société cessionnaire des droits d’un consommateur et le professionnel cocontractant de ce dernier, examine d’office le caractère éventuellement abusif d’une clause figurant dans le
contrat conclu par le consommateur.
40 Le principe d’effectivité visé au point 31 du présent arrêt n’impose pas non plus au juge national de procéder d’office à un tel examen, pour autant que, conformément aux règles procédurales nationales, la société commerciale cessionnaire de la créance du consommateur dispose ou ait disposé d’une possibilité effective de se prévaloir, devant le juge national, du caractère éventuellement abusif d’une clause contenue dans le contrat signé par ce consommateur.
41 Compte tenu de l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que :
– l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, lus en combinaison avec le principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens que le juge national n’est pas tenu d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif d’une clause qui, figurant dans le contrat de transport conclu entre un passager aérien et un transporteur aérien, prohibe la cession des droits dont jouit ce passager à l’égard de ce transporteur, lorsque ce juge est saisi d’une action en
réparation formée, contre ledit transporteur, par une société commerciale cessionnaire de la créance de dommages et intérêts dudit passager, pour autant que cette société dispose ou ait disposé d’une possibilité effective de se prévaloir, devant ledit juge, du caractère éventuellement abusif de la clause en question ;
– le principe d’équivalence doit être interprété en ce sens que, si, en vertu des règles de droit national, le même juge dispose de la faculté ou a l’obligation d’apprécier d’office la contrariété d’une telle clause aux règles nationales d’ordre public, il doit également disposer de la faculté ou avoir l’obligation d’apprécier d’office la contrariété d’une telle clause à l’article 6 de la directive 93/13, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet.
Sur la seconde question
42 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe du contradictoire doit être interprété en ce sens que, lorsque le juge national constate d’office le caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat de transport conclu entre un passager aérien et un transporteur aérien à l’occasion d’une action en réparation formée, contre ce transporteur, par une société commerciale cessionnaire de la créance de dommages et intérêts de ce passager à l’égard dudit
transporteur, ce juge est tenu d’en informer ledit passager et de lui demander s’il entend se prévaloir du caractère abusif de cette clause ou s’il consent à l’application de cette dernière.
43 À titre liminaire, il convient de constater que la réponse à la présente question est pertinente dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi parviendrait, au terme de l’appréciation du principe d’équivalence à la lumière des points 33 à 36 du présent arrêt ou de celle du principe d’effectivité à la lumière des points 37 et 40 du même arrêt, à la conclusion qu’elle peut, voire doit, examiner d’office le caractère abusif de la clause en cause.
44 Dans ce contexte, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence de la Cour, en règle générale, le principe du contradictoire implique notamment le droit des parties de prendre connaissance des moyens de droit relevés d’office par le juge, sur lesquels celui-ci entend fonder sa décision, et de les discuter. La Cour a souligné que, pour satisfaire aux exigences liées au droit à un procès équitable, il importe en effet que les parties aient connaissance et puissent débattre
contradictoirement tant des éléments de fait que des éléments de droit qui sont décisifs pour l’issue de la procédure (voir, en ce sens, arrêts du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a., C‑89/08 P, EU:C:2009:742, points 55 et 56, ainsi que du 21 février 2013, Banif Plus Bank, C‑472/11, EU:C:2013:88, point 30).
45 Ainsi, dans l’hypothèse où le juge national, après avoir établi sur la base des éléments de fait et de droit dont il dispose, ou dont il a eu communication à la suite des mesures d’instruction qu’il a prises d’office à cet effet, qu’une clause relève du champ d’application de la directive 93/13, constate, au terme d’une appréciation à laquelle il a procédé d’office, que cette clause présente un caractère abusif, il est, en règle générale, tenu d’en informer les parties au litige et de les inviter
à en débattre contradictoirement selon les formes prévues à cet égard par les règles nationales de procédure (arrêt du 21 février 2013, Banif Plus Bank, C‑472/11, EU:C:2013:88, point 31).
46 Il découle de ce qui précède que, lorsqu’il constate d’office qu’une clause figurant dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est abusive, à l’occasion d’un litige opposant ce professionnel à la société commerciale cessionnaire des droits de ce consommateur, le juge national doit en informer les deux parties au litige dont il est saisi, à savoir la société commerciale cessionnaire et le professionnel cocontractant dudit consommateur. Il doit, en effet, donner à ceux-ci la
possibilité de faire valoir leurs arguments respectifs dans le cadre d’un débat contradictoire.
47 Cette possibilité donnée à la société commerciale cessionnaire des droits du consommateur de s’exprimer sur ce point répond également à l’obligation qui incombe au juge national de tenir compte, le cas échéant, de la volonté exprimée par cette dernière lorsque, consciente du caractère non contraignant d’une clause abusive, celle-ci indique néanmoins qu’elle s’oppose à ce qu’elle soit écartée, donnant ainsi un consentement libre et éclairé à la clause en question (voir, par analogie, arrêt du
21 février 2013, Banif Plus Bank, C‑472/11, EU:C:2013:88, point 35).
48 Lorsque, comme dans le litige au principal, la société commerciale cessionnaire des droits du consommateur saisit le juge national en dépit d’une clause figurant, à l’instar de la clause en cause, dans le contrat conclu entre ce consommateur et un professionnel et interdisant au premier de céder ses droits, il est raisonnable de présumer que cette société commerciale n’est pas opposée à ce que le juge écarte cette clause après avoir constaté son caractère abusif.
49 En revanche, étant donné que le consommateur, qui a cédé sa créance indemnitaire à l’égard du professionnel, n’est pas partie au litige entre ce dernier et le cessionnaire de cette créance, le juge national n’est pas tenu d’informer ce consommateur de cet examen d’office ni de recueillir les observations dudit consommateur à cet égard.
50 À la lumière de l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que le principe du contradictoire doit être interprété en ce sens que, lorsque le juge national constate d’office le caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat de transport conclu entre un passager aérien et un transporteur aérien à l’occasion d’une action en réparation formée, contre ce transporteur, par une société commerciale cessionnaire de la créance de dommages et intérêts de ce
passager à l’égard dudit transporteur, ce juge n’est pas tenu d’en informer ledit passager ni de lui demander s’il entend se prévaloir du caractère abusif de cette clause ou s’il consent à l’application de cette dernière. En revanche, ledit juge doit en informer les parties au litige pendant devant lui, afin de leur donner la possibilité de faire valoir leurs arguments respectifs dans le cadre d’un débat contradictoire, et s’assurer du fait que la société commerciale cessionnaire souhaite que
ladite clause soit déclarée inapplicable.
Sur les dépens
51 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :
1) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus en combinaison avec le principe d’effectivité,
doivent être interprétés en ce sens que :
le juge national n’est pas tenu d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif d’une clause qui, figurant dans le contrat de transport conclu entre un passager aérien et un transporteur aérien, prohibe la cession des droits dont jouit ce passager à l’égard de ce transporteur, lorsque ce juge est saisi d’une action en réparation formée, contre ledit transporteur, par une société commerciale cessionnaire de la créance de dommages et intérêts dudit passager, pour autant que cette société
dispose ou ait disposé d’une possibilité effective de se prévaloir, devant ledit juge, du caractère éventuellement abusif de la clause en question.
Le principe d’équivalence doit être interprété en ce sens que :
si, en vertu des règles de droit national, le même juge dispose de la faculté ou a l’obligation d’apprécier d’office la contrariété d’une telle clause aux règles nationales d’ordre public, il doit également disposer de la faculté ou avoir l’obligation d’apprécier d’office la contrariété d’une telle clause à l’article 6 de la directive 93/13, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet.
2) Le principe du contradictoire doit être interprété en ce sens que :
lorsque le juge national constate d’office le caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat de transport conclu entre un passager aérien et un transporteur aérien à l’occasion d’une action en réparation formée, contre ce transporteur, par une société commerciale cessionnaire de la créance de dommages et intérêts de ce passager à l’égard dudit transporteur, ce juge n’est pas tenu d’en informer ledit passager ni de lui demander s’il entend se prévaloir du caractère abusif de cette clause
ou s’il consent à l’application de cette dernière. En revanche, ledit juge doit en informer les parties au litige pendant devant lui, afin de leur donner la possibilité de faire valoir leurs arguments respectifs dans le cadre d’un débat contradictoire, et s’assurer du fait que la société commerciale cessionnaire souhaite que ladite clause soit déclarée inapplicable.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.