ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)
11 avril 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Taxes sur le chiffre d’affaires – Régime particulier des petites entreprises – Chiffre d’affaires annuel – Différence de traitement entre assujettis – Réglementation nationale assujettissant une personne à la TVA en cas de dépôt tardif d’une demande d’enregistrement – Caractère punitif »
Dans l’affaire C‑122/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie), par décision du 25 janvier 2023, parvenue à la Cour le 1er mars 2023, dans la procédure
Direktor na Direktsia « Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika » Sofia pri Tsentralno upravlenie na Natsionalna agentsia za prihodite
contre
« Legafact » EOOD,
LA COUR (septième chambre),
composée de M. F. Biltgen, président de chambre, M. J. Passer et Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), juges,
avocat général : M. A. M. Collins,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement bulgare, par Mme T. Mitova et M. R. Stoyanov, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes D. Drambozova et J. Jokubauskaitė, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2009/162/UE du Conseil, du 22 décembre 2009 (JO 2010, L 10, p. 14) (ci-après la « directive TVA »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Direktor na Direktsia « Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika » Sofia pri Tsentralno upravlenie na Natsionalna agentsia za prihodite (directeur de la direction « Recours et pratique en matière fiscale et de sécurité sociale » de Sofia auprès de l’Agence nationale des recettes publiques, Bulgarie) (ci-après le « Direktor ») à « Legafact » EOOD au sujet d’un avis de redressement fiscal constatant une dette de taxe sur la
valeur ajoutée (TVA) dans le chef de cette entreprise.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Le considérant 49 de la directive TVA énonce :
« En ce qui concerne les petites entreprises, il importe de permettre aux États membres de continuer à appliquer leurs régimes particuliers conformément à des dispositions communes et en vue d’une harmonisation plus poussée. »
4 L’article 2 de cette directive énumère les opérations qui sont soumises à la TVA.
5 Le titre XI de ladite directive, intitulé « Obligations des assujettis et de certaines personnes non assujetties » comprend un chapitre 2, intitulé « Identification », dans lequel figurent les articles 213 et 214 de la même directive. Le chapitre 7 de ce titre, intitulé « Dispositions diverses », comprend l’article 273 de la directive TVA.
6 Aux termes de l’article 213 de cette directive :
« 1. Tout assujetti déclare le commencement, le changement et la cessation de son activité en qualité d’assujetti.
Les États membres autorisent, et peuvent exiger, que la déclaration soit faite, dans les conditions qu’ils déterminent, par voie électronique.
2. Sans préjudice des dispositions du paragraphe 1, premier alinéa, tout assujetti, ou personne morale non assujettie, qui effectue des acquisitions intracommunautaires de biens non soumises à la TVA en vertu de l’article 3, paragraphe 1, doit déclarer qu’il effectue de telles acquisitions lorsque les conditions pour ne pas les soumettre à la taxe, prévues audit article, ne sont plus remplies. »
7 L’article 214 de ladite directive est libellé comme suit :
« 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que soient identifiées par un numéro individuel les personnes suivantes :
a) tout assujetti, à l’exception de ceux visés à l’article 9, paragraphe 2, qui effectue sur leur territoire respectif des livraisons de biens ou des prestations de services lui ouvrant droit à déduction, autres que des livraisons de biens ou des prestations de services pour lesquelles la TVA est due uniquement par le preneur ou le destinataire conformément aux articles 194 à 197 et à l’article 199 ;
b) tout assujetti, ou personne morale non assujettie, qui effectue des acquisitions intracommunautaires de biens soumises à la TVA conformément à l’article 2, paragraphe 1, point b), ou qui a exercé l’option prévue à l’article 3, paragraphe 3, de soumettre à la TVA ses acquisitions intracommunautaires ;
c) tout assujetti qui effectue sur leur territoire respectif des acquisitions intracommunautaires de biens pour les besoins de ses opérations qui relèvent des activités visées à l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, et qu’il effectue en dehors de ce territoire ;
d) tout assujetti qui reçoit, sur leur territoire respectif, des prestations de services pour lesquelles il est redevable de la TVA en vertu de l’article 196 ;
e) tout assujetti qui est établi sur leur territoire respectif et qui effectue, sur le territoire d’un autre État membre, des prestations de services pour lesquelles seul le preneur est redevable de la TVA en vertu de l’article 196.
2. Les États membres peuvent ne pas identifier certains assujettis qui effectuent des opérations à titre occasionnel telles que prévues à l’article 12. »
8 L’article 273 de la même directive prévoit :
« Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.
La faculté prévue au premier alinéa ne peut être utilisée pour imposer des obligations de facturation supplémentaires à celles fixées au chapitre 3. »
9 Le titre XII de la directive TVA, intitulé « Régimes particuliers », comprend un chapitre 1, intitulé « Régime particulier des petites entreprises », dans lequel figurent les articles 281 à 292 de cette directive.
10 L’article 287 de ladite directive dispose :
« Les États membres ayant adhéré après le 1er janvier 1978 peuvent octroyer une franchise de taxe aux assujettis dont le chiffre d’affaires annuel est au maximum égal à la contre-valeur en monnaie nationale des montants suivants au taux du jour de leur adhésion :
[...]
17) la Bulgarie : 25600 euros ;
[...] »
Le droit bulgare
11 Aux termes de l’article 96, paragraphe 1, du zakon za danak varhu dobavenata stoynost (loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée, DV no 63, du 4 août 2006), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « ZDDS ») :
« Tout assujetti établi sur le territoire bulgare qui a réalisé un chiffre d’affaires imposable égal ou supérieur à 50000 [leva bulgares (BGN)] sur une période qui ne dépasse pas les douze mois consécutifs précédant le mois en cours est tenu de déposer une déclaration d’immatriculation au titre de la présente loi dans un délai de sept jours à compter de l’expiration de la période fiscale pendant laquelle il a atteint ce chiffre d’affaires. Lorsque le chiffre d’affaires est atteint pendant une
période ne dépassant pas deux mois consécutifs, y compris le mois en cours, la personne est tenue de déposer la déclaration dans un délai de sept jours à compter de la date à laquelle le chiffre d’affaires a été atteint. »
12 L’article 102 du ZDDS dispose :
« 1. Lorsque le service des recettes constate qu’une personne n’a pas satisfait dans le délai prescrit à son obligation de déposer une demande d’immatriculation, il l’immatricule en émettant un avis d’immatriculation si les conditions d’immatriculation sont réunies.
2. L’avis visé au paragraphe 1 indique la base et la date à laquelle l’obligation d’immatriculation a pris naissance.
3. [...] Aux fins de la détermination des dettes fiscales de la personne qui n’a pas déposé de déclaration d’immatriculation dans le délai, alors qu’elle y était tenue, celle-ci est réputée redevable de la taxe sur les livraisons imposables et les acquisitions intracommunautaires qu’elle a effectuées, ainsi que sur les prestations de services imposables dont elle a bénéficié, pour lesquelles la taxe est due par le destinataire :
1) [...] pour la période à compter de l’expiration du délai dans lequel l’avis d’immatriculation aurait dû être adopté, si la personne avait déposé une déclaration d’immatriculation dans le délai jusqu’à la date à laquelle elle a été immatriculée par le service des recettes ;
2) [...] pour la période à compter de l’expiration du délai dans lequel l’avis d’immatriculation aurait dû être adopté, si la personne avait déposé la déclaration d’immatriculation dans le délai jusqu’à la date à laquelle il n’existe plus de motifs d’immatriculation.
4. [...] Dans les cas visés à l’article 96, paragraphe 1, deuxième phrase, aux fins de la détermination des dettes fiscales de la personne qui n’a pas déposé de déclaration d’immatriculation dans le délai, alors qu’elle y était tenue, celle-ci est réputée redevable d’une taxe sur les livraisons imposables induisant un dépassement du chiffre d’affaires imposable de 50000 BGN à compter de la date du dépassement du chiffre d’affaires jusqu’à la date à laquelle elle a été immatriculée par le
service des recettes ou jusqu’à la date à laquelle il n’existe plus de motifs d’immatriculation. Une taxe est due pour la livraison imposable induisant un dépassement du chiffre d’affaires. La personne est également redevable d’une taxe sur les prestations de services imposables dont elle a bénéficié pour lesquelles la taxe est due par le destinataire et sur les acquisitions intracommunataires imposables effectuées au cours de cette période.
[...] »
13 L’article 178 du ZDDS prévoit :
« L’assujetti au sens de la présente loi qui, alors qu’il y était tenu, n’a pas déposé de déclaration d’immatriculation ou de déclaration de cessation d’immatriculation dans les délais impartis par la présente loi est passible d’une amende, pour les personnes physiques non commerçantes, ou d’une sanction pécuniaire, pour les personnes morales et les commerçants exerçant à titre individuel, d’un montant allant de 500 à 5000 BGN. »
14 L’article 180 du ZDDS est libellé comme suit :
« 1. [...] La personne immatriculée qui, alors qu’elle y était tenue, n’a pas imputé de taxe dans les délais prévus par la présente loi, est passible d’une amende, pour les personnes physiques non commerçantes, ou d’une sanction pécuniaire, pour les personnes morales et les commerçants exerçant à titre individuel, d’un montant s’élevant à la taxe non imputée, sans pouvoir toutefois être inférieur à 500 BGN. En cas de répétition de l’infraction, le montant de l’amende ou de la sanction
pécuniaire s’élève au double de la taxe non imputée, sans pouvoir toutefois être inférieur à 1000 BGN.
2. Le paragraphe 1 est également applicable lorsque la personne n’a pas imputé de taxe, parce qu’elle n’avait pas déposé de déclaration d’immatriculation et qu’elle n’avait pas été immatriculée au sens de la présente loi dans le délai.
3. [...] En cas d’infraction visée au paragraphe 1, lorsque la personne immatriculée a imputé la taxe dans les six mois qui suivent la fin du mois pendant lequel la taxe aurait dû être imputée, l’amende ou, selon le cas, la sanction pécuniaire, s’élève à cinq pour cent de l’impôt sans pouvoir être inférieur à 200 BGN et à 400 BGN en cas de répétition de l’infraction.
4. [...] En cas d’infraction visée au paragraphe 1, lorsque la personne immatriculée a imputé la taxe après l’écoulement du délai visé au paragraphe 3, mais au plus tard dans les dix-huit mois qui suivent la fin du mois pendant lequel la taxe aurait dû être imputée, l’amende ou, selon le cas, la sanction pécuniaire s’élève à dix pour cent de la taxe sans pouvoir être inférieure à 400 BGN et à 800 BGN en cas de répétition de l’infraction. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
15 Legafact exerce une activité de conseil de gestion. Cette société n’était pas initialement immatriculée à la TVA.
16 Le 21 août 2018, elle a émis quatre factures ayant pour objet la « rémunération en vertu du contrat du 30 novembre 2012 » d’une valeur totale de 114708 BGN (environ 58600 euros), comptabilisées en tant que « recettes de ventes de services ».
17 Les 23 et 24 août 2018, Legafact a émis deux autres factures ayant le même objet, pour une valeur totale de 57004 BGN (environ 29100 euros), qui ont été comptabilisées de la même manière.
18 Le 3 septembre 2018, cette société a déposé une déclaration d’immatriculation obligatoire à la TVA. Le service des recettes lui a délivré, le 14 septembre 2018, un avis d’immatriculation obligatoire, aux termes duquel elle a été immatriculée à la TVA à compter du 19 septembre 2018.
19 Le service des recettes a considéré que l’émission de l’une des factures du 21 août 2018 portant sur un montant de 34202 BGN (environ 17500 euros) avait induit un dépassement du seuil de chiffre d’affaires imposable de 50000 BGN (environ 25600 euros) à partir duquel l’immatriculation à la TVA est obligatoire et que la livraison correspondant à cette facture était taxable en vertu de l’article 102, paragraphe 4, deuxième phrase, du ZDDS.
20 Ce service a estimé que, conformément à l’article 96, paragraphe 1, deuxième phrase, du ZDDS, Legafact aurait dû déposer une demande d’immatriculation à la TVA dans un délai de sept jours à compter de la date à laquelle son chiffre d’affaires imposable avait atteint ce seuil, soit au plus tard le 28 août 2018, ce qu’elle n’avait pas fait. Sur le fondement de l’article 102, paragraphe 4, du ZDDS, ledit service a considéré que cette entreprise était redevable de la TVA sur les livraisons imposables
qui avaient induit un dépassement du chiffre d’affaires imposable de 50000 BGN (environ 25600 euros) à compter de la date de ce dépassement et jusqu’à la date à laquelle elle avait été immatriculée à la TVA.
21 Par conséquent, le service des recettes a émis, le 27 décembre 2019, un avis de redressement fiscal par lequel elle a constaté une dette de Legafact au titre de la TVA d’un montant de 24701,66 BGN (environ 12600 euros) en droits et de 3218,33 BGN (environ 1650 euros) en intérêts, pour la période fiscale du mois d’août 2018, en raison des livraisons imposables effectuées par cette société à compter du 21 août 2018 jusqu’à la date de son immatriculation à la TVA (ci-après l’« avis de redressement
en cause »).
22 L’avis de redressement en cause ayant été confirmé par une décision du Direktor du 19 mars 2020, Legafact a introduit un recours contre cet avis de redressement devant l’Administrativen sad – Sofia grad (tribunal administratif de Sofia, Bulgarie).
23 Le 30 juin 2020, dans le cadre d’une autre affaire, le Konstitutsionen sad (Cour constitutionnelle, Bulgarie), saisi d’une demande du Visshia advokatski savet (Conseil supérieur de l’ordre des avocats, Bulgarie), a jugé que l’article 102, paragraphe 4, du ZDDS était conforme à la Constitution bulgare. Cette juridiction a considéré que cette disposition, en ce qu’elle prévoit que la TVA est due par des personnes qui ne sont pas immatriculées à cette taxe pour un motif dont elles sont responsables,
permet de garantir la perception, au profit du Trésor, d’une taxe qui, de manière illicite, n’a été ni imputée ni perçue. L’obligation d’acquitter la TVA dans un tel cas constituerait non pas une sanction ou une peine, mais une indemnisation des dommages causés au Trésor par le comportement illégal d’un assujetti.
24 Par un jugement du 23 septembre 2021, l’Administrativen sad – Sofia grad (tribunal administratif de Sofia) a annulé l’avis de redressement en cause dans l’affaire au principal, en considérant qu’il avait été émis en violation du droit matériel applicable et, plus spécifiquement, du droit de l’Union en matière de TVA, tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt du 9 juillet 2015, Salomie et Oltean (C‑183/14, EU:C:2015:454).
25 En dépit de l’arrêt du 30 juin 2020 du Konstitutsionen sad (Cour constitutionnelle), l’Administrativen sad – Sofia grad (tribunal administratif de Sofia) a estimé que l’article 102, paragraphe 4, du ZDDS avait une nature punitive dans les cas de dépôt tardif d’une déclaration d’immatriculation obligatoire à la TVA et que la sanction résultant de l’application de cette disposition ne pouvait, conformément à l’arrêt du 9 juillet 2015, Salomie et Oltean (C‑183/14, EU:C:2015:454), être infligée qu’à
condition de respecter le principe de proportionnalité. Cette dernière juridiction a considéré que, compte tenu du fait que, en l’occurrence, le retard pris par Legafact dans le dépôt de la déclaration d’immatriculation à la TVA était de trois jours seulement et que le dossier de l’affaire au principal ne contenait pas d’éléments témoignant du caractère frauduleux du comportement de cette société, la sanction qui lui avait été infligée était démesurée.
26 Le Direktor a formé un pourvoi en cassation contre le jugement de l’Administrativen sad – Sofia grad (tribunal administratif de Sofia) devant le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie), qui est la juridiction de renvoi.
27 Cette dernière précise que l’article 102 du ZDDS a été adopté par le législateur bulgare pour transposer les articles 213 et 214 de la directive TVA, qui obligent les États membres à prendre les mesures nécessaires pour que, en principe, tout assujetti qui effectue sur leur territoire respectif des livraisons de biens ou des prestations de services lui ouvrant droit à déduction soit identifié par un numéro individuel.
28 La juridiction de renvoi considère que l’article 102, paragraphe 4, du ZDDS, qui soumet à la TVA une livraison en principe exonérée lorsque le fournisseur a méconnu son obligation d’immatriculation à cette taxe dans les délais requis, ne revêt pas un caractère punitif mais doit être considéré comme étant une règle de droit matériel prévoyant, dans cette hypothèse, l’absence d’application de l’exonération pour les petites entreprises prévue par les dispositions du titre XII, chapitre 1, de la
directive TVA et la naissance d’une dette de TVA.
29 Dans ces conditions, le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les principes du système commun de la TVA dans l’Union européenne sont-ils violés par une réglementation nationale qui, s’agissant de l’exonération fiscale en vertu du titre XII, chapitre 1, de la [directive TVA], traite différemment des assujettis en fonction de la rapidité avec laquelle ils atteignent le seuil de chiffre d’affaires à partir duquel l’immatriculation à la TVA est obligatoire ?
2) La [directive TVA] s’oppose-t-elle à une réglementation nationale selon laquelle l’exonération fiscale d’une livraison en vertu du titre XII, chapitre 1, de [cette directive] dépend de l’exécution dans le délai de l’obligation du fournisseur de déposer une déclaration d’immatriculation obligatoire à la TVA ?
3) Selon quels critères déduits de l’interprétation de la [directive TVA] convient-il d’apprécier la question de la nature punitive de la réglementation nationale mentionnée, qui prévoit la naissance d’une dette fiscale en cas de dépôt tardif de la déclaration d’immatriculation obligatoire à la TVA ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur les première et deuxième questions
30 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive TVA doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, adoptée par un État membre en application de l’article 287 de cette directive, qui subordonne le bénéfice de la franchise de TVA prévue par ladite directive pour les petites entreprises à la condition que l’assujetti, dont le chiffre d’affaires annuel ou mesuré au cours
d’une période de deux mois consécutifs dépasse le montant indiqué pour cet État membre dans cette disposition, soumette dans un délai prescrit une demande d’immatriculation à la TVA.
31 À cet égard, il convient de rappeler que la directive TVA permet aux États membres d’appliquer leurs régimes particuliers à l’égard des petites entreprises, ainsi que l’énonce le considérant 49 de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2018, Vámos, C‑566/16, EU:C:2018:321, point 30).
32 En l’occurrence, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, la réglementation nationale en cause dans l’affaire au principal a été adoptée en application de l’article 287, point 17, de la directive TVA, autorisant la République de Bulgarie à octroyer une franchise de taxe aux assujettis dont le chiffre d’affaires annuel est au maximum égal à la contre-valeur en leva bulgares du montant de 25600 euros.
33 Conformément à cette réglementation, les assujettis ont l’obligation de déposer une déclaration d’immatriculation à la TVA dans un délai de sept jours qui commence à courir, pour le groupe des assujettis qui atteignent le seuil de 50000 BGN de chiffre d’affaires imposable sur une période de douze mois, à partir de la fin de la période d’imposition au cours de laquelle ce chiffre d’affaires a été atteint et, pour le groupe des assujettis qui atteignent ce seuil au cours d’une période de deux mois
consécutifs, à partir de la date à laquelle ledit chiffre d’affaires est atteint.
34 Le régime particulier des petites entreprises, au sens de la directive TVA, prévoit des simplifications administratives qui tendent à renforcer la création, l’activité et la compétitivité de ces entreprises ainsi qu’à maintenir un rapport raisonnable entre les charges administratives liées au contrôle fiscal et les faibles revenus fiscaux à escompter (arrêt du 9 juillet 2020, AJPF Caraş-Severin et DGRFP Timişoara, C‑716/18, EU:C:2020:540, point 40 ainsi que jurisprudence citée).
35 À cet égard, il convient de constater que la directive TVA confère aux États membres une marge d’appréciation quant à la manière d’appliquer ce régime particulier.
36 Or, une obligation, telle que celle prévue par la réglementation nationale en cause dans l’affaire au principal, selon laquelle les assujettis doivent déposer une déclaration d’immatriculation à la TVA lorsque leur chiffre d’affaires annuel dépasse le seuil prévu à l’article 287 de la directive TVA pour l’État membre concerné, s’insère, en principe, dans cette marge d’appréciation et permet de maintenir un rapport raisonnable entre les charges administratives liées au contrôle fiscal et les
faibles revenus fiscaux à escompter.
37 S’agissant du moment auquel naît l’obligation de déposer une déclaration d’immatriculation à la TVA, la réglementation nationale visée au point 33 du présent arrêt instaure une différence de traitement entre deux groupes d’assujettis, à savoir, d’une part, ceux qui atteignent le seuil en cause au cours d’une période de douze mois et, d’autre part, ceux qui l’atteignent au cours d’une période de deux mois consécutifs. En l’occurrence, il est constant que cette différence de traitement tient
compte, notamment, des caractéristiques des activités saisonnières, dans le cadre desquelles le seuil de chiffre d’affaires déclenchant l’obligation d’immatriculation est atteint plus rapidement au cours d’une courte période de temps.
38 Partant, ladite différence de traitement, instaurée par la réglementation nationale en cause au principal, entre ces deux groupes d’assujettis s’insère, elle aussi, en principe, dans la marge d’appréciation que la directive TVA confère aux États membres.
39 Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et deuxième questions que la directive TVA doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale, adoptée par un État membre en application de l’article 287 de cette directive, qui subordonne le bénéfice de la franchise de TVA, prévue par ladite directive pour les petites entreprises, à la condition que l’assujetti, dont le chiffre d’affaires annuel ou mesuré au cours d’une période
de deux mois consécutifs dépasse le montant indiqué pour cet État membre dans cette disposition, soumette dans un délai prescrit une demande d’immatriculation à la TVA.
Sur la troisième question
40 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive TVA doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit qu’une violation, par un assujetti, de l’obligation de soumettre dans les délais, dans les cas visés au point 39 du présent arrêt, une demande d’immatriculation à la TVA a pour conséquence la naissance d’une dette fiscale.
41 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, si, afin d’assurer l’exacte perception de la taxe et d’éviter la fraude, les États membres peuvent, notamment, légalement prévoir, dans leurs législations nationales respectives, des sanctions appropriées visant à sanctionner pénalement le non-respect de l’obligation d’inscription au registre des assujettis à la TVA, de telles sanctions ne doivent cependant pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour
atteindre ces objectifs. À cet égard, il appartient aux juridictions nationales de vérifier si le montant de la sanction ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs consistant à assurer l’exacte perception de la taxe et à éviter la fraude vu les circonstances de l’espèce et, notamment, la somme concrètement imposée et l’éventuelle existence d’une fraude ou d’un contournement de la législation applicable imputables à l’assujetti dont le défaut d’enregistrement est
sanctionné. Les mêmes principes valent pour des majorations qui, si elles ont le caractère de sanctions fiscales, ne doivent pas être excessives par rapport à la gravité du manquement, par l’assujetti, à ses obligations (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2015, Salomie et Oltean, C‑183/14, EU:C:2015:454, points 51 et 52 ainsi que jurisprudence citée).
42 Afin d’apprécier si une sanction est conforme au principe de proportionnalité, il convient de tenir compte, notamment, de la nature et de la gravité de l’infraction que cette sanction vise à réprimer, ainsi que des modalités de détermination du montant de celle-ci (arrêt du 8 mai 2019, EN.SA., C‑712/17, EU:C:2019:374, point 40 et jurisprudence citée).
43 Il convient également de rappeler que, lors du choix des sanctions, les États membres sont tenus de respecter le principe d’effectivité qui exige la mise en place de sanctions effectives et dissuasives pour lutter contre les violations des règles harmonisées en matière de TVA et protéger les intérêts financiers de l’Union (arrêt du 17 mai 2023, Cezam, C‑418/22, EU:C:2023:418, point 28 et jurisprudence citée).
44 En l’occurrence, d’une part, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi et du dossier dont dispose la Cour, en cas de dépôt tardif d’une demande d’immatriculation, les assujettis dont le chiffre d’affaires annuel dépasse le seuil à partir duquel le dépôt de cette demande est obligatoire sont redevables, conformément à la réglementation nationale en cause au principal, du paiement de la TVA sur les livraisons imposables effectuées à compter de l’expiration du délai de sept jours dans lequel
l’avis d’immatriculation aurait dû être émis jusqu’à la date de leur immatriculation par le service des recettes.
45 Ce délai commence à courir à partir de la fin de la période d’imposition au cours de laquelle ce chiffre d’affaires a été atteint.
46 À cet égard, ainsi que la Commission européenne l’a, à juste titre, relevé, la disposition nationale en cause au principal ne saurait être considérée comme constituant une sanction, au sens de la jurisprudence de la Cour visée aux points 41 à 43 du présent arrêt, dans la mesure où elle a uniquement pour objet de récupérer la TVA sur les opérations effectuées pendant la période au cours de laquelle cette taxe aurait été facturée si l’assujetti s’était acquitté, dans le délai prescrit, de son
obligation d’immatriculation à la TVA.
47 D’autre part, il ressort également de la décision de renvoi et du dossier dont dispose la Cour que, en ce qui concerne les assujettis dont le chiffre d’affaires mesuré au cours d’une période de deux mois consécutifs dépasse le seuil en cause, la réglementation nationale en cause au principal prévoit que, en cas de non-respect de l’obligation de dépôt, dans le délai de sept jours, d’une demande d’immatriculation à la TVA, ces assujettis sont réputés redevables de la TVA sur les livraisons
imposables effectuées à compter de la date du dépassement du chiffre d’affaires jusqu’à la date à laquelle ils ont été immatriculés par le service des recettes ou jusqu’à la date à laquelle il n’existe plus de motifs d’immatriculation.
48 Pour ces assujettis, ce délai commence à courir à partir de la date à laquelle ce chiffre d’affaires est atteint.
49 À cet égard, il appartient à la juridiction de renvoi, seule compétente pour interpréter et appliquer le droit national, de vérifier si, en ce qui concerne les assujettis visés au point 47 du présent arrêt, la réglementation nationale en cause au principal prévoit une sanction, au sens de la jurisprudence de la Cour.
50 À cette fin, la juridiction de renvoi doit vérifier si cette réglementation, d’une part, respecte le principe d’effectivité de la lutte contre les violations des règles harmonisées en matière de TVA et, d’autre part, répond aux exigences de proportionnalité, conformément à la jurisprudence de la Cour visée aux points 41 à 43 du présent arrêt.
51 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question que la directive TVA doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit qu’une violation, par un assujetti, de l’obligation de soumettre dans les délais, dans les cas visés au point 39 du présent arrêt, une demande d’immatriculation à la TVA a pour conséquence la naissance d’une dette fiscale, à condition que cette réglementation, si et dans
la mesure où elle ne se limite pas à récupérer la TVA sur les opérations effectuées pendant la période au cours de laquelle cette taxe aurait été facturée si l’assujetti s’était acquitté dans les délais de son obligation d’immatriculation à la TVA, d’une part, respecte le principe d’effectivité de la lutte contre les violations des règles harmonisées en matière de TVA et, d’autre part, réponde aux exigences de proportionnalité, conformément à la jurisprudence de la Cour.
Sur les dépens
52 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :
1) La directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2009/162/UE du Conseil, du 22 décembre 2009,
doit être interprétée en ce sens que :
elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale, adoptée par un État membre en application de l’article 287 de cette directive, telle que modifiée, qui subordonne le bénéfice de la franchise de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), prévue par ladite directive, telle que modifiée, pour les petites entreprises, à la condition que l’assujetti, dont le chiffre d’affaires annuel ou mesuré au cours d’une période de deux mois consécutifs dépasse le montant indiqué pour cet État membre dans cette
disposition, soumette dans un délai prescrit une demande d’immatriculation à la TVA.
2) La directive 2006/112, telle que modifiée par la directive 2009/162,
doit être interprétée en ce sens que :
elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit qu’une violation, par un assujetti, de l’obligation de soumettre dans les délais, dans les cas visés au point 1 du présent dispositif, une demande d’immatriculation à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) a pour conséquence la naissance d’une dette fiscale, à condition que cette réglementation, si et dans la mesure où elle ne se limite pas à récupérer la TVA sur les opérations effectuées pendant la période au cours de laquelle cette
taxe aurait été facturée si l’assujetti s’était acquitté dans les délais de son obligation d’immatriculation à la TVA, d’une part, respecte le principe d’effectivité de la lutte contre les violations des règles harmonisées en matière de TVA et, d’autre part, réponde aux exigences de proportionnalité, conformément à la jurisprudence de la Cour.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.