ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)
21 mars 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Transports – Transports par route – Directive 2006/126/CE – Permis de conduire – Conditions de délivrance ou de renouvellement – Normes minimales concernant l’aptitude physique et mentale – Vision – Annexe III, point 6.4 – Principe de proportionnalité – Personne ne satisfaisant pas à la norme relative au champ visuel – Avis favorable à l’aptitude à la conduite prononcé par des experts médicaux – Marge d’appréciation dans un cas individuel en l’absence d’exception expresse »
Dans l’affaire C‑703/22,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas), par décision du 16 novembre 2022, parvenue à la Cour le 16 novembre 2022, dans la procédure
WU
contre
Directie van het Centraal Bureau Rijvaardigheidsbewijzen (CBR),
LA COUR (huitième chambre),
composée de M. N. Piçarra, président de chambre, MM. N. Jääskinen (rapporteur) et M. Gavalec, juges,
avocat général : M. P. Pikamäe,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et M. H. S. Gijzen, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. A. Nijenhuis, P. Messina et G. Wilms, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du point 6.4 de l’annexe III de la directive 2006/126/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 2006, relative au permis de conduire (JO 2006, L 403, p. 18, et rectificatif JO 2009, L 19, p. 67), telle que modifiée par la directive 2009/113/CE de la Commission, du 25 août 2009 (JO 2009, L 223, p. 31) (ci-après la « directive 2006/126 »).
2 Cette demande de décision préjudicielle a été présentée dans le cadre d’un litige opposant WU à la directie van het Centraal Bureau Rijvaardigheidsbewijzen (CBR) (bureau central des permis de conduire, Pays‑Bas) au sujet de décisions de celui-ci rejetant une demande de déclaration d’aptitude physique et mentale de WU à la conduite d’un véhicule à moteur, notamment de véhicules des catégories C et CE, effectuée dans le cadre du renouvellement du permis de conduire de WU, et refusant la délivrance à
ce dernier d’un autre permis de conduire, géographiquement limité aux Pays-Bas.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 8 et 9 de la directive 2006/126 énoncent :
« (8) Pour répondre à des impératifs de sécurité routière, il convient de fixer les conditions minimales auxquelles le permis de conduire peut être délivré. Il faut procéder à une harmonisation des normes relatives aux examens à subir par les conducteurs et à l’octroi du permis. À cet effet, les connaissances, les aptitudes et les comportements liés à la conduite des automobiles devraient être redéfinis, l’examen de conduite devrait être basé sur ces concepts et les normes minimales concernant
l’aptitude physique et mentale à la conduite de ces véhicules devraient être redéfinies.
(9) Au moment de la délivrance du permis de conduire et périodiquement par la suite, il conviendrait que les conducteurs d’un véhicule destiné au transport de personnes ou de marchandises apportent la preuve du respect des normes minimales concernant l’aptitude physique et mentale à la conduite. Ces contrôles réguliers, effectués conformément aux dispositions nationales relatives au respect des normes minimales, contribueront à la libre circulation des personnes, permettront d’éviter les
distorsions de concurrence et prendront mieux en compte la responsabilité spécifique des conducteurs de ces véhicules. Les États membres devraient pouvoir imposer des examens médicaux afin de garantir le respect des normes minimales concernant l’aptitude physique et mentale à la conduite d’autres automobiles. Pour des raisons de transparence, ces examens doivent coïncider avec un renouvellement du permis de conduire et donc être déterminés par la durée de validité du permis. »
4 L’article 1er, paragraphe 1, de cette directive prévoit :
« Les États membres établissent le permis de conduire national d’après le modèle communautaire figurant à l’annexe I, conformément aux dispositions de la présente directive. Le signe distinctif de l’État membre délivrant le permis figure dans l’emblème dessiné à la page 1 du modèle communautaire de permis de conduire. »
5 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de ladite directive :
« Les permis de conduire délivrés par les États membres sont mutuellement reconnus. »
6 L’article 4 de la même directive est libellé comme suit :
« 1. Le permis de conduire prévu à l’article 1er autorise la conduite des véhicules à moteur des catégories définies ci-après. Il peut être délivré à partir de l’âge minimum indiqué pour chaque catégorie. [...]
[...]
4. Automobiles :
– le terme “automobile” désigne tout véhicule à moteur servant normalement au transport sur route de personnes ou de marchandises ou à la traction sur route des véhicules utilisés pour le transport des personnes ou de marchandises. Ce terme englobe les trolleybus, c’est-à-dire les véhicules reliés à une ligne électrique et ne circulant pas sur rails. Il n’englobe pas les tracteurs agricoles ou forestiers ;
[...]
f) catégorie C :
automobiles autres que celles des catégories D1 ou D, dont la masse maximale autorisée excède 3500 kg et qui sont conçues et construites pour le transport de huit passagers au maximum outre le conducteur ; aux automobiles de la présente catégorie peut être attelée une remorque dont la masse maximale autorisée n’excède pas 750 kg ;
g) catégorie CE :
– sans préjudice des dispositions relatives aux règles d’homologation des véhicules concernés, ensembles de véhicules couplés composés d’un véhicule tracteur rentrant dans la catégorie C et d’une remorque ou semi-remorque dont la masse maximale autorisée excède 750 kg ;
[...] »
7 L’article 7 de la directive 2006/126 dispose :
« 1. Le permis de conduire est uniquement délivré aux demandeurs qui :
a) ont réussi une épreuve de contrôle des aptitudes et des comportements et une épreuve de contrôle des connaissances et qui répondent à des normes médicales, conformément aux dispositions des annexes II et III ;
[...]
3. Le renouvellement du permis de conduire au moment où sa validité administrative vient à échéance est subordonné aux conditions suivantes :
a) la continuation du respect des normes minimales concernant l’aptitude physique et mentale à la conduite telles qu’exposées à l’annexe III pour les permis de conduire des catégories C, CE, C1, C1 E, D, DE, D1 et D1E ; et
[...] »
8 L’annexe III de cette directive, intitulée « Normes minimales concernant l’aptitude physique et mentale à la conduite d’un véhicule à moteur », prévoit :
« Définitions
1. Aux fins de la présente annexe, les conducteurs sont classés en deux groupes :
1.1. groupe 1 :
conducteurs de véhicules des catégories A, A1, A2 AM B, B 1 et BE.
1.2. groupe 2 :
conducteurs de véhicules des catégories C, CE, C1, C1E, D, DE, D1 et D1E.
[...]
Examens médicaux
[...]
4. Groupe 2 :
Les candidats doivent faire l’objet d’un examen médical avant la délivrance initiale d’un permis et, par la suite, les conducteurs sont contrôlés conformément au système national en vigueur dans l’État membre de résidence normale où a lieu le renouvellement de leur permis de conduire.
5. Les États membres pourront exiger, lors de la délivrance ou de tout renouvellement ultérieur d’un permis de conduire, des normes plus sévères que celles mentionnées dans la présente annexe.
Vision
6. Tout candidat à un permis de conduire devra subir les examens appropriés pour s’assurer qu’il a une acuité visuelle compatible avec la conduite des véhicules à moteur. S’il y a une raison de penser que le candidat n’a pas une vision adéquate, il devra être examiné par une autorité médicale compétente. Au cours de cet examen, l’attention devra porter plus particulièrement sur l’acuité visuelle, le champ visuel, la vision crépusculaire, la sensibilité à l’éblouissement et aux contrastes et la
diplopie, ainsi que sur d’autres fonctions visuelles qui peuvent compromettre la sécurité de la conduite.
Pour les conducteurs du groupe 1 qui ne satisfont pas aux normes relatives au champ visuel ou à l’acuité visuelle, la délivrance du permis de conduire peut être envisagée dans des « cas exceptionnels » ; le conducteur doit alors se soumettre à l’examen d’une autorité médicale compétente afin de prouver qu’il ne souffre d’aucun autre trouble de la vision affectant notamment sa sensibilité à l’éblouissement et aux contrastes et sa vision crépusculaire. Le conducteur ou candidat doit également se
soumettre à un test pratique positif supervisé par une autorité compétente.
[...]
Groupe 2 :
6.4. Tout candidat à la délivrance ou au renouvellement d’un permis de conduire doit avoir une acuité visuelle, avec correction optique s’il y a lieu, d’au moins 0,8 pour le meilleur des deux yeux et d’au moins 0,1 pour le moins bon. Lorsqu’une correction optique est utilisée pour atteindre les valeurs de 0,8 et 0,1, l’acuité minimale (0,8 et 0,1) doit être obtenue soit à l’aide de verres de lunettes d’une puissance n’excédant pas huit dioptries, soit à l’aide de lentilles de contact. La
correction doit être bien tolérée.
En outre, le champ visuel horizontal des deux yeux ne doit pas être inférieur à 160° et doit s’étendre d’au moins 70° vers la gauche et la droite et de 30° vers le haut et le bas. Aucun défaut ne doit être présent dans un rayon de 30° par rapport à l’axe central.
Le permis de conduire n’est ni délivré ni renouvelé si le candidat ou le conducteur souffre d’une altération de la sensibilité aux contrastes ou d’une diplopie.
Après une perte importante de la vision d’un œil, il convient de prévoir une période d’adaptation d’une durée appropriée (par exemple, six mois) au cours de laquelle la conduite est interdite. Au terme de cette période, la conduite n’est autorisée qu’après avis favorable de spécialistes de la vision et de la conduite.
[...] »
Le droit néerlandais
9 L’article 111, paragraphe 1, de la Wegenverkeerswet 1994 (loi de 1994 sur la circulation routière) dispose :
« Un permis de conduire ne peut être délivré, sur demande et moyennant le paiement du tarif fixé à cette fin, qu’à la personne :
a) qui a atteint l’âge minimum fixé par mesure générale d’administration pour conduire un véhicule à moteur de la catégorie concernée par la demande de délivrance d’un permis de conduire et
b) qui, selon un examen organisé par ou au nom des autorités conformément aux règles fixées par mesure générale d’administration ou selon un permis de conduire qui lui a été délivré antérieurement ou un permis de conduire qui lui a été délivré en dehors des Pays-Bas par l’autorité compétente à cette fin et qui satisfait aux conditions établies par mesure générale d’administration, dispose d’un niveau de capacité de conduite et d’aptitude à la conduite suffisant, ou bien, si la demande porte sur la
délivrance d’un permis valable pour conduire des cyclomoteurs, dispose d’un niveau de capacité de conduite suffisant. »
10 L’article 97, paragraphe 1, du Reglement rijbewijzen (arrêté royal relatif aux permis de conduire) prévoit que, sur demande et moyennant le paiement du tarif fixé à cette fin, les déclarations d’aptitude sont enregistrées par le CBR dans le registre des permis de conduire pour toute personne qui satisfait aux exigences établies par l’arrêté ministériel concernant l’aptitude physique et mentale pour conduire des véhicules à moteur. Le CBR notifie cet enregistrement au demandeur.
11 L’article 1er, paragraphe 1, du Regeling eisen geschiktheid 2000 (arrêté ministériel de 2000 relatif aux exigences en matière d’aptitude, ci-après l’« arrêté ministériel de 2000 ») est libellé comme suit :
« Aux fins de cet arrêté, on entend par :
a) groupe 1 : les permis de conduire des catégories A1, A2, A, B, B+E et T ;
b) groupe 2 : les permis de conduire des catégories C, C1, CE, C1E, D, D1, DE et D1E. »
12 L’article 2 de cet arrêté dispose :
« Les exigences relatives à l’aptitude physique et mentale à la conduite de véhicules à moteur sont déterminées conformément à l’annexe jointe au présent règlement. »
13 Aux termes de l’annexe jointe à l’arrêté ministériel de 2000 :
« [...]
Chapitre 3. Troubles de la vue
[...]
3.3. Champs visuels
a. Groupe 1 : le champ visuel horizontal ne peut pas être inférieur à 120° et doit s’étendre d’au moins 50° vers la gauche et la droite. Le champ visuel vertical doit être d’au moins 20° vers le haut et le bas. Aucun défaut du champ visuel ne doit être présent dans un rayon de 20° par rapport à l’axe central.
Dans des cas exceptionnels, les personnes ne satisfaisant pas aux normes en matière de champ de vision, comme en cas de scotomes, de quadranopsie ou d’hémianopsie homonyme, peuvent être déclarées aptes pour les permis de conduire du groupe 1. Les conditions à cette fin sont l’absence de tout autre trouble visuel, un avis favorable d’un ophtalmologue et la réussite d’une épreuve de conduite (voir point 3.5).
Cette exception n’est pas applicable aux personnes dont le champ visuel horizontal est inférieur à 90°.
b. Groupe 2 : le champ visuel horizontal binoculaire ne peut pas être inférieur à 160° et doit s’étendre d’au moins 70° vers la gauche et la droite. Le champ visuel vertical doit être d’au moins 30° vers le haut et le bas. Aucun défaut du champ visuel ne doit être présent dans un rayon de 30° par rapport à l’axe central.
3.4. Perte de la vision d’un œil
a. Groupe 1 : il y a inaptitude en cas de perte soudaine de la vision d’un œil, donc également en cas de diplopie gênante nécessitant la couverture d’un œil. Ces personnes peuvent à nouveau être déclarées aptes pour les permis de conduire du groupe 1 après une période d’adaptation d’au moins 3 mois et sur avis favorable d’un ophtalmologue.
b. Groupe 2 : dans des cas exceptionnels, après une période d’adaptation d’au moins 3 mois et sur avis favorable d’un ophtalmologue, un chauffeur professionnel déjà titulaire d’un ou de plusieurs permis de conduire du groupe 2 peut à nouveau être déclaré apte pour un permis de conduire des catégories C/CE ou D/DE qui est limité géographiquement et qui peut au maximum s’étendre au territoire des Pays-Bas.
Les conditions à réunir à cette fin sont un rapport favorable d’un ophtalmologue, une déclaration de l’employeur rédigée selon le modèle établi par le CBR et la réussite d’une épreuve de conduite (voir point 3.5). »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
14 WU, né en 1988, a eu un accident à l’âge d’un an, qui lui a causé une fracture de la base du crâne, ayant eu pour effet de limiter son champ visuel horizontal. Cette affection est appelée « hémianopsie ».
15 Il a obtenu, le 11 juillet 2007, le permis de conduire des véhicules automobiles relevant des catégories C et CE, visés à l’article 4, paragraphe 4, sous f) et g), de la directive 2006/126.
16 À la suite de l’adoption de la directive 2009/113, la norme minimale figurant au point 6.4 de l’annexe III de la directive 2006/126 est entrée en vigueur le 15 septembre 2009. Cette norme prévoit que, pour les conducteurs de véhicules des catégories C et CE, le champ visuel horizontal des deux yeux ne doit pas être inférieur à 160°.
17 Il ressort de la décision de renvoi que la juridiction de renvoi n’a pas pu déterminer, en raison de l’absence de pièces justificatives, si, à la date à laquelle WU a obtenu son permis de conduire, le CBR était déjà au courant de l’affection de la vue dont souffrait celui-ci, ni quelle était, alors, la position du CBR concernant une telle affection.
18 WU a ensuite travaillé pendant plus de dix ans en tant que chauffeur professionnel. Pendant cette période, il a conduit des camions sans problème et sans connaître de sinistre, aux Pays-Bas ainsi qu’à l’étranger, en effectuant au total plus d’un million de kilomètres.
19 Dans le cadre d’une demande de renouvellement de son permis de conduire introduite par WU en 2016, le CBR a rejeté, par une décision du 14 février 2017, une première demande de déclaration d’aptitude physique et mentale à la conduite d’un véhicule à moteur. Malgré un avis favorable d’un ophtalmologue émis le 11 janvier 2017 ainsi qu’un rapport médical établi par un autre médecin le 25 août 2016 qui avait également jugé WU apte à conduire, le CBR a estimé que celui-ci ne respectait pas la norme
minimale selon laquelle le champ visuel horizontal des deux yeux ne doit pas être inférieur à 160°, comme le prévoit le point 3.3, sous b), de l’annexe jointe à l’arrêté ministériel de 2000.
20 WU a introduit une réclamation contre cette décision. Par décision du 13 juillet 2017, le CBR a déclaré la réclamation non fondée.
21 WU a interjeté appel du jugement par lequel son recours juridictionnel a également été déclaré non fondé par la juridiction de première instance. Dans le cadre de son appel, il a soutenu que tant le point 6.4 de l’annexe III de la directive 2006/126 que le point 3.3, sous b), de l’annexe jointe à l’arrêté ministériel de 2000 ne constituaient pas une norme minimale stricte. Selon lui, il était donc possible de lui délivrer une déclaration d’aptitude physique et mentale à la conduite d’un véhicule
à moteur même s’il dispose d’un champ visuel plus limité que celui dont ces dispositions prescrivent le respect.
22 Par un arrêt du 27 février 2019, le Raad van State (Conseil d’État, Pays‑Bas) a déclaré cet appel non fondé et a confirmé le jugement de première instance. Il a estimé que le point 6.4 de l’annexe III de la directive 2006/126 est une norme minimale concernant le champ visuel requis à laquelle il ne peut être fait aucune exception. Le point 3.3, sous b), de l’annexe jointe à l’arrêté ministériel de 2000 constituerait une mise en œuvre correcte de ce point 6.4. Dès lors qu’il serait établi que le
champ visuel horizontal binoculaire de WU est inférieur à 160° et que, pour cette raison, il ne satisferait pas à la norme relative au champ visuel, le CBR aurait refusé à juste titre de délivrer la déclaration d’aptitude demandée, et ce malgré le fait que deux médecins avaient rendu un avis favorable à une telle demande. Il ne serait donc pas loisible au CBR de tenir compte des intérêts individuels de WU et de faire une exception en sa faveur.
23 WU a introduit une seconde demande de déclaration d’aptitude physique et mentale à la conduite d’un véhicule à moteur le 27 août 2018, en vue d’obtenir un permis de conduire les véhicules automobiles visés par les catégories C et CE à l’intérieur des Pays-Bas. Dans le cadre de cette seconde demande, le CBR a estimé nécessaire de soumettre à nouveau WU à un examen de son acuité visuelle, à réaliser toutefois par un autre ophtalmologue que celui s’étant prononcé dans le cadre de la première
demande. Dans son rapport du 11 octobre 2018, ce second ophtalmologue a constaté, premièrement, que le champ visuel horizontal de WU était inférieur à 160°, deuxièmement, que, depuis son accident en 1989, la perte du champ visuel de celui-ci était stable et, troisièmement, que, avec ce champ visuel, WU avait déjà par deux fois fait l’objet d’un avis favorable à la conduite de véhicules à moteur. Ledit ophtalmologue l’a dès lors considéré comme étant apte à conduire les véhicules automobiles des
catégories C et CE.
24 Par une décision du 13 mars 2019, le CBR a cependant à nouveau refusé de délivrer à WU la déclaration d’aptitude demandée, étant donné que celui-ci ne respectait pas la norme minimale du champ visuel horizontal pour les deux yeux, qui ne pouvait être inférieur à 160°.
25 WU a introduit une réclamation contre cette décision. Par décision du 16 juillet 2019, le CBR a déclaré la réclamation non fondée. Selon le CBR, le rapport du second ophtalmologue montre une perte à gauche du champ visuel pour les deux yeux. Le champ visuel horizontal serait inférieur à 160°. De ce fait, WU ne satisferait pas à l’exigence prévue au point 3.3, sous b), de l’annexe jointe à l’arrêté ministériel de 2000, ni aux exigences du point 3.4, sous b), de cette annexe, qui prévoirait la
possibilité de déclarer néanmoins apte à la conduite d’un véhicule à moteur un chauffeur professionnel qui est déjà titulaire d’un ou de plusieurs permis de conduire du groupe 2 et qui perd subitement la vue d’un œil, en vue de l’obtention d’un permis de conduire du groupe 2 limité géographiquement aux Pays-Bas, et ce après une période d’adaptation de trois mois minimum et sur la base d’un avis favorable d’un ophtalmologue. En effet, selon le CBR, WU n’est pas aveugle d’un œil, mais est atteint
d’une hémianopsie, ce qui signifierait qu’il est partiellement aveugle tant pour la moitié gauche que pour la moitié droite du champ visuel. L’hémianopsie en cause serait homonyme, c’est-à-dire que la perte du champ visuel se présenterait pour les deux yeux sur le même côté (gauche).
26 Par jugement du 21 mai 2021, la juridiction de première instance a déclaré le recours de WU contre cette dernière décision non fondé. Elle a considéré que le CBR avait déclaré à juste titre que le point 3.4, sous b), de l’annexe jointe à l’arrêté ministériel de 2000 n’était pas applicable au cas de WU, dès lors que celui-ci était non pas aveugle d’un œil, mais atteint d’une hémianopsie homonyme. Cette juridiction n’a distingué aucun motif pour considérer cette décision comme étant illégitime dans
les circonstances invoquées par WU, selon lesquelles il était limité visuellement depuis l’âge d’un an, il avait compensé l’absence d’un champ visuel complet et il était doué d’une vue perçante, et ce malgré le rapport favorable de l’ophtalmologue du 11 octobre 2018. Selon ladite juridiction, le caractère impératif du point 3.4, sous b), de l’annexe jointe à l’arrêté ministériel de 2000 ne permet pas de tenir compte des intérêts individuels de WU.
27 WU a interjeté appel de ce jugement devant le Raad van State (Conseil d’État), la juridiction de renvoi. Il fait notamment valoir que trois rapports, établis par des médecins différents, l’ont jugé apte à conduire un camion. Il aurait certes une limitation du champ de vision, mais cette limitation existerait depuis son plus jeune âge et il l’aurait pleinement compensée par la manière dont il observe la circulation et dont il bouge la tête. WU étaye ce point de vue en produisant une déclaration
d’un neuropsychologue, qui expose que la manière dont WU observe la circulation est si bien développée qu’il peut fonctionner visuellement de façon normale. Selon WU, la circonstance qu’une personne atteinte d’une déficience visuelle mais disposant d’une vue acceptable soit autorisée à conduire un véhicule automobile des catégories C et CE n’irait pas à l’encontre de l’objectif du régime de déclaration d’aptitude physique et mentale à la conduite de véhicules à moteur. La situation d’une telle
personne justifierait qu’il soit fait une exception à l’exigence figurant au point 3.3, sous b), de l’annexe jointe à l’arrêté ministériel de 2000, de la même façon qu’il en existe une pour la perte de la vision d’un œil, prévue au point 3.4, sous b), de cette annexe.
28 La juridiction de renvoi observe que, d’un point de vue médical, WU ne respecte certes pas la norme minimale selon laquelle il doit disposer d’un champ visuel horizontal binoculaire d’au moins 160°, prévue au point 6.4 de l’annexe III de la directive 2006/126. Elle considère toutefois qu’il n’est pas pour autant établi qu’il est inapte à la conduite des véhicules automobiles des catégories C et CE. La question se poserait de savoir s’il n’y a pas lieu de considérer WU comme étant apte à conduire
de tels véhicules, en interprétant le point 6.4 de l’annexe III de la directive 2006/126 en ce sens que la norme minimale qu’il fixe est respectée par une personne qui compense la limitation du champ visuel horizontal. La juridiction de renvoi se demande également s’il existe une possibilité d’appliquer le principe de proportionnalité, lors de l’adoption d’une décision sur le renouvellement d’un permis de conduire, même si l’exigence prévue au point 6.4 de l’annexe III de la directive 2006/126 ne
prévoit aucune exception. Cette juridiction indique que, outre les constatations des experts médicaux concernant l’aptitude physique et mentale d’un demandeur à la conduite de véhicules à moteur, une appréciation de la proportionnalité de la décision à adopter pourrait prendre en considération le fait qu’il est avéré que, antérieurement, ce demandeur était en mesure de conduire en toute sécurité et que le permis de conduire demandé est utilisé dans le cadre de l’exercice d’une profession. À cet
égard, il devrait être prêté attention à l’article 15 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») qui prévoit que toute personne a le droit de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée.
29 Dans ces conditions, le Raad van State (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Le point 6.4 de l’annexe III de la directive [2006/126], plus particulièrement la norme d’un champ visuel horizontal binoculaire d’au moins 160o, lu au regard du principe de proportionnalité, doit-il être interprété en ce sens que peut aussi satisfaire à cette norme une personne qui n’y répond pas d’un point de vue médical, mais qui est en fait, selon plusieurs experts médicaux, effectivement apte à conduire un camion ?
2) Si cette question appelle une réponse négative, existe-il alors dans le cadre de la directive [2006/126] une possibilité de procéder à une appréciation de la proportionnalité dans le cas d’espèce, même si la norme contenue au point 6.4 de l’annexe III de cette directive ne prévoit aucune exception pour de tels cas ?
3) Dans l’affirmative, quelles sont les circonstances susceptibles de jouer un rôle pour apprécier si, dans un cas concret, il peut être dérogé à la norme relative au champ visuel, prévue au point 6.4 de l’annexe III de la directive [2006/126] ? »
Sur les questions préjudicielles
30 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le point 6.4 de l’annexe III de la directive 2006/126, lu à la lumière du principe de proportionnalité et de l’article 15 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, dans un cas concret, une personne qui ne répond pas d’un point de vue médical à l’exigence qu’il prévoit, selon laquelle, pour les conducteurs du groupe 2, à savoir les conducteurs des véhicules des
catégories C, CE, C1, C1E, D, DE, D1 et D1E, le champ visuel horizontal des deux yeux ne doit pas être inférieur à 160°, puisse être considérée comme satisfaisant à cette exigence dans la mesure où, selon plusieurs experts médicaux, cette personne est effectivement apte à conduire un véhicule à moteur relevant d’une de ces catégories.
31 À cet égard, il convient de rappeler que la directive 2006/126 procède, ainsi qu’il ressort de son considérant 8, à une harmonisation minimale des conditions auxquelles le permis de conduire prévu à son article 1er est délivré. Ces conditions sont, notamment, définies aux articles 4 et 7 de cette directive et concernent, entre autres, l’âge minimum requis, l’aptitude à la conduite d’un véhicule à moteur, les épreuves à réussir par le candidat et la résidence de celui-ci sur le territoire de
l’État membre de délivrance. En outre, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, de ladite directive, les permis de conduire délivrés par les États membres sont mutuellement reconnus.
32 En vertu de l’article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/126, le permis de conduire est uniquement délivré aux demandeurs qui ont réussi une épreuve de contrôle des aptitudes et des comportements ainsi qu’une épreuve de contrôle des connaissances et qui répondent à des normes minimales concernant l’aptitude physique et mentale, conformément aux dispositions des annexes II et III de cette directive. En outre, l’article 7, paragraphe 3, sous a), de ladite directive exige que le
renouvellement du permis de conduire soit subordonné au respect de ces normes minimales concernant l’aptitude physique et mentale pour les titulaires de permis de conduire des véhicules des catégories C, CE, C1, C1E, D, DE, D1 et D1E. Ces dispositions sont ainsi formulées en des termes impératifs.
33 Il convient de constater que le point 6.4, deuxième alinéa, de l’annexe III de la directive 2006/126, qui prévoit, dans sa version en langue française, que le champ visuel horizontal des deux yeux ne doit pas être inférieur à 160°, est également rédigé en des termes impératifs. Si, ainsi que l’a relevé la Commission européenne, cette disposition contient, dans certaines versions linguistiques de cette directive, comme dans les versions allemande (sollte), anglaise (should) et finnoise (olisi
oltava), un verbe moins contraignant que dans la version française de celle-ci, d’autres versions linguistiques, telles que les versions espagnole (deberá), italienne (deve), néerlandaise (dient) et portugaise (deve), utilisent toutefois aussi un verbe contraignant.
34 Or, conformément à une jurisprudence constante, la formulation utilisée dans certaines versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer, à cet égard, un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques. En effet, la nécessité d’une application et, dès lors, d’une interprétation uniformes d’un acte de l’Union exclut que celui-ci soit considéré isolément dans une de ses
versions, mais exige que la disposition en cause soit interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément, à la lumière, notamment, des versions établies dans toutes les langues (voir, en ce sens, arrêts du 12 novembre 1969, Stauder, 29/69, EU:C:1969:57, points 2 et 3 ; du 30 juin 2022, Allianz Elementar Versicherung, C‑652/20, EU:C:2022:514, point 36, ainsi que du 18 janvier 2024, Regionalna direktsia Avtomobilna administratsia
Pleven, C‑227/22, EU:C:2024:57, point 43).
35 S’agissant de l’économie générale de la directive 2006/126, il y a lieu d’observer que le point 6.4 de l’annexe III de celle-ci ne mentionne aucune exception à l’exigence prévue pour les conducteurs du groupe 2, défini au point 1.2 de cette annexe, d’avoir un champ visuel horizontal des deux yeux qui ne soit pas inférieur à 160°, alors qu’une exception est prévue au point 6, second alinéa, de ladite annexe pour les conducteurs du groupe 1 qui ne satisfont pas aux normes relatives à l’acuité
visuelle et au champ visuel.
36 En l’absence d’une exception similaire pour les conducteurs du groupe 2, ceux-ci doivent toujours satisfaire aux exigences relatives à l’acuité visuelle et au champ visuel lorsqu’ils demandent un nouveau permis de conduire ou le renouvellement d’un permis de conduire existant.
37 La Cour a constaté, à cet égard, que le législateur de l’Union a pris soin de créer deux catégories de conducteurs en fonction du gabarit du véhicule, du nombre de passagers transportés et des responsabilités qui découlent, dès lors, de la conduite de ces véhicules. En effet, les caractéristiques des véhicules concernés, telles que leur taille, leur poids ou encore leur manœuvrabilité, justifient l’existence de conditions différentes pour la délivrance du permis de conduire en vue de leur
conduite (arrêt du 22 mai 2014, Glatzel, C‑356/12, EU:C:2014:350, point 83).
38 Par ailleurs, la situation visée au point 6.4, quatrième alinéa, de l’annexe III de la directive 2006/126, qui, en tant qu’exception, doit faire l’objet d’une interprétation stricte, est différente de celle d’une limitation du champ visuel horizontal des deux yeux. Selon cette disposition, après une perte importante de la vision d’un œil, il est possible, à l’issue d’une période d’adaptation et sur avis favorable de spécialistes de la vision et de la conduite, de considérer une personne comme
étant à nouveau apte à conduire. Une perte importante de la vision d’un œil n’implique cependant pas nécessairement une limitation du champ visuel horizontal des deux yeux, les situations des conducteurs concernés n’étant donc pas comparables.
39 S’agissant de la finalité de la directive 2006/126, celle-ci procède, ainsi qu’il ressort de son considérant 8, à une harmonisation minimale des conditions auxquelles le permis de conduire prévu à son article 1er est délivré, cette harmonisation visant notamment à établir des conditions préalables nécessaires à la reconnaissance mutuelle dudit permis et poursuivant également l’objectif de ladite directive de contribuer à améliorer la sécurité routière (voir, en ce sens, arrêt du 18 janvier 2024,
Regionalna direktsia Avtomobilna administratsia Pleven, C‑227/22, EU:C:2024:57, point 27 et jurisprudence citée). Ce considérant 8 indique à cet égard que, pour répondre à des impératifs de sécurité routière, il convient de fixer les conditions minimales auxquelles le permis de conduire peut être délivré et qu’il faut procéder à une harmonisation des normes relatives aux examens à subir par les conducteurs et à l’octroi du permis.
40 Les normes minimales concernant l’aptitude physique et mentale à la conduite d’un véhicule à moteur, édictées à l’annexe III de la directive 2006/126, ont ainsi été fixées pour répondre à ces impératifs de sécurité routière, conformément à l’article 91, paragraphe 1, sous c), TFUE (arrêt du 22 mai 2014, Glatzel, C‑356/12, EU:C:2014:350, point 58).
41 En définissant, dans son annexe III, pour les conducteurs du groupe 2, au sens de cette annexe, un seuil minimal de champ visuel horizontal des deux yeux, la directive 2006/126 vise à améliorer la sécurité routière et répond, ainsi, à un objectif d’intérêt général de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 22 mai 2014, Glatzel, C‑356/12, EU:C:2014:350, point 51).
42 Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’il est essentiel, afin de garantir la sécurité routière, que les personnes auxquelles un permis de conduire est délivré possèdent des capacités physiques adéquates, notamment en ce qui concerne leur vision, dans la mesure où les défaillances physiques sont susceptibles d’avoir des conséquences importantes. Il est effectivement notoire que la vision remplit une fonction essentielle pour la conduite de véhicules à moteur et, partant, plus cette fonction
est réduite, plus la prise en considération des exigences relatives à la sécurité routière apparaît nécessaire (arrêt du 22 mai 2014, Glatzel, C‑356/12, EU:C:2014:350, point 54).
43 Or, comme l’a souligné la Commission, reconnaître une certaine marge d’appréciation pour permettre, dans un cas concret, de considérer comme étant apte à conduire une personne qui ne répond pas, d’un point de vue médical, à l’exigence prévue au point 6.4 de l’annexe III de la directive 2006/126, mais qui est, selon plusieurs experts médicaux, effectivement apte à conduire un camion, pourrait donner lieu à des approches différentes d’un État membre à l’autre, ce qui pourrait porter atteinte aux
objectifs de cette directive.
44 Il importe d’ajouter que l’existence d’avis favorables concernant l’aptitude à la conduite, émis par des médecins ophtalmologues, ne saurait non plus justifier la non-application, dans un cas concret, de l’exigence prévue au point 6.4 de l’annexe III de la directive 2006/126, dans la mesure où il ressort sans équivoque du considérant 9 et de l’article 7, paragraphe 3, sous a), de cette directive que c’est la preuve du respect de la norme minimale figurant au deuxième alinéa de ce point 6.4, et
non pas celle de ladite aptitude, que l’intéressé est tenu d’apporter, et que les avis ou expertises ophtalmologiques ne sauraient pallier l’absence d’une telle preuve.
45 Ainsi, eu égard à l’économie générale et à la finalité de la directive 2006/126, le point 6.4, deuxième alinéa, de l’annexe III de celle-ci ne peut être interprété en ce sens que le bénéfice d’une exception peut être accordé aux conducteurs du groupe 2 qui ne répondent pas d’un point de vue médical à l’exigence fixée par cette disposition, mais qui sont, selon plusieurs experts médicaux, effectivement aptes à conduire un véhicule de l’une des catégories relevant de ce groupe.
46 S’agissant de l’appréciation de la proportionnalité de la décision à adopter sur le renouvellement d’un permis de conduire dans un cas concret, la juridiction de renvoi souligne que, outre les constatations des experts concernant l’aptitude à la conduite d’un demandeur, il serait possible de tenir compte du fait qu’il est avéré que, antérieurement, ce demandeur était en mesure de conduire en toute sécurité et que ce permis de conduire a été utilisé dans le cadre de l’exercice d’une profession, eu
égard à l’article 15 de la Charte, qui prévoit que toute personne a le droit de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée.
47 À cet égard, la mise en balance entre, d’une part, les impératifs de sécurité routière et, d’autre part, d’autres droits et intérêts, en ce compris la mobilité pour tous et l’accès à la profession de chauffeur professionnel, a déjà été effectuée par le législateur de l’Union, qui jouit d’un large pouvoir d’appréciation s’agissant d’appréciations complexes d’ordre médical telles que celles en cause au principal, en s’efforçant de limiter autant que possible toute atteinte aux droits des personnes
souffrant d’une déficience visuelle (voir, en ce sens, arrêt du 22 mai 2014, Glatzel, C‑356/12, EU:C:2014:350, points 52 et 62). Il a ainsi adopté les normes prévues par la directive 2006/126, eu égard notamment aux conclusions du rapport « New standards for the visual functions of drivers » cité par la juridiction de renvoi et publié au mois de mai 2005 par le groupe de travail « Vision », mis en place par le comité pour le permis de conduire établi au titre de l’article 9 de cette directive.
48 Or, il y a lieu de constater que le point 6.4, deuxième alinéa, de l’annexe III de la directive 2006/126 établit, ainsi qu’il ressort des points 33 à 45 du présent arrêt, une exigence non équivoque selon laquelle le champ visuel horizontal des deux yeux ne doit pas être inférieur à 160°.
49 Dans ces conditions, il n’apparaît pas possible de donner à cette disposition une interprétation qui permettrait, dans un cas concret, de s’écarter de la règle claire énonçant cette valeur minimale (voir, en ce sens, arrêt du 22 mai 2014, Glatzel, C‑356/12, EU:C:2014:350, point 71).
50 Eu égard à l’ensemble des motifs qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que le point 6.4 de l’annexe III de la directive 2006/126, lu à la lumière du principe de proportionnalité et de l’article 15 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, dans un cas concret, une personne qui ne répond pas d’un point de vue médical à l’exigence qu’il prévoit, selon laquelle, pour les conducteurs du groupe 2, à savoir les conducteurs des véhicules des catégories
C, CE, C1, C1E, D, DE, D1 et D1E, le champ visuel horizontal des deux yeux ne doit pas être inférieur à 160°, puisse être considérée comme satisfaisant à cette exigence dans la mesure où, selon plusieurs experts médicaux, cette personne est effectivement apte à conduire un véhicule à moteur relevant d’une de ces catégories.
Sur les dépens
51 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :
Le point 6.4 de l’annexe III de la directive 2006/126/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 2006, relative au permis de conduire, telle que modifiée par la directive 2009/113/CE de la Commission, du 25 août 2009, lu à la lumière du principe de proportionnalité et de l’article 15 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
doit être interprété en ce sens que :
il s’oppose à ce que, dans un cas concret, une personne qui ne répond pas d’un point de vue médical à l’exigence qu’il prévoit, selon laquelle, pour les conducteurs du groupe 2, à savoir les conducteurs des véhicules des catégories C, CE, C1, C1E, D, DE, D1 et D1E, le champ visuel horizontal des deux yeux ne doit pas être inférieur à 160°, puisse être considérée comme satisfaisant à cette exigence dans la mesure où, selon plusieurs experts médicaux, cette personne est effectivement apte à conduire
un véhicule à moteur relevant d’une de ces catégories.
Signatures
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.