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29/02/2024 | CJUE | N°C-466/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, V.B. Trade OOD contre Direktor na Direktsia „Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika“ Veliko Tarnovo pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite., 29/02/2024, C-466/22


 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

29 février 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Marché intérieur – Identification électronique et services de confiance pour les transactions électroniques – Règlement (UE) no 910/2014 – Article 25 – Signatures électroniques – Effet juridique et force probante dans le cadre d’une procédure juridictionnelle – Notion de “signature électronique qualifiée” »

Dans l’affaire C‑466/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFU

E, introduite par l’Administrativen sad Veliko Tarnovo (tribunal administratif de Veliko Tarnovo, Bulgarie), par décision du 22 jui...

 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

29 février 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Marché intérieur – Identification électronique et services de confiance pour les transactions électroniques – Règlement (UE) no 910/2014 – Article 25 – Signatures électroniques – Effet juridique et force probante dans le cadre d’une procédure juridictionnelle – Notion de “signature électronique qualifiée” »

Dans l’affaire C‑466/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administrativen sad Veliko Tarnovo (tribunal administratif de Veliko Tarnovo, Bulgarie), par décision du 22 juin 2022, parvenue à la Cour le 12 juillet 2022, dans la procédure

V.B. Trade OOD

contre

Direktor na Direktsia « Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika » – Veliko Tarnovo,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. Z. Csehi (rapporteur), président de chambre, MM. M. Ilešič et D. Gratsias, juges,

avocat général : Mme T. Ćapeta,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour le Direktor na Direktsia « Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika » – Veliko Tarnovo, par M. B. Nikolov,

– pour la Commission européenne, par M. G. Braun, Mme D. Drambozova et M. P.-J. Loewenthal, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 25, paragraphe 1, du règlement (UE) no 910/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 23 juillet 2014, sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93/CE (JO 2014, L 257, p. 73).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant V.B. Trade OOD, établie en Bulgarie, au Direktor na Direktsia « Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika » – Veliko Tarnovo (directeur de la direction « Recours et pratique en matière de fiscalité et de sécurité sociale » de Veliko Tarnovo, Bulgarie) (ci-après le « Directeur ») au sujet d’un avis de redressement fiscal au titre de l’impôt sur les sociétés.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 21, 22 et 49 du règlement no 910/2014 sont libellés comme suit :

« (21) [...] Le présent règlement ne devrait pas couvrir [...] les aspects relatifs à la conclusion et à la validité des contrats ou autres obligations juridiques lorsque des exigences d’ordre formel sont posées par le droit national ou de l’Union. En outre, il ne devrait pas porter atteinte à des exigences d’ordre formel imposées au niveau national aux registres publics, notamment les registres du commerce et les registres fonciers.

(22) Afin de contribuer à l’utilisation transfrontalière généralisée des services de confiance, il devrait être possible de les utiliser comme moyen de preuve en justice dans tous les États membres. Il appartient au droit national de préciser les effets juridiques des services de confiance, sauf disposition contraire dans le présent règlement.

[...]

(49) Le présent règlement devrait établir le principe selon lequel une signature électronique ne devrait pas se voir refuser un effet juridique au motif qu’elle se présente sous une forme électronique ou qu’elle ne satisfait pas à toutes les exigences de la signature électronique qualifiée. Toutefois, il appartient au droit national de définir l’effet juridique produit par les signatures électroniques, à l’exception de l’exigence prévue dans le présent règlement selon laquelle l’effet juridique
d’une signature électronique qualifiée devrait être équivalent à celui d’une signature manuscrite. »

4 L’article 2 de ce règlement, intitulé « Champ d’application », dispose, à son paragraphe 3 :

« Le présent règlement n’affecte pas le droit national ou de l’Union relatif à la conclusion et à la validité des contrats ou d’autres obligations juridiques ou procédurales d’ordre formel. »

5 Aux termes de l’article 3 dudit règlement, intitulé « Définitions » :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

10.   “signature électronique”, des données sous forme électronique, qui sont jointes ou associées logiquement à d’autres données sous forme électronique et que le signataire utilise pour signer ;

11.   “signature électronique avancée”, une signature électronique qui satisfait aux exigences énoncées à l’article 26 ;

12.   “signature électronique qualifiée”, une signature électronique avancée qui est créée à l’aide d’un dispositif de création de signature électronique qualifié, et qui repose sur un certificat qualifié de signature électronique ;

[...]

15.   “certificat qualifié de signature électronique”, un certificat de signature électronique, qui est délivré par un prestataire de services de confiance qualifié et qui satisfait aux exigences fixées à l’annexe I ;

[...]

23.   “dispositif de création de signature électronique qualifié”, un dispositif de création de signature électronique qui satisfait aux exigences énoncées à l’annexe II ;

[...] »

6 L’article 21 du même règlement, intitulé « Lancement d’un service de confiance qualifié », dispose, à son paragraphe 1 :

« Lorsque des prestataires de services de confiance, sans statut qualifié, ont l’intention de commencer à offrir des services de confiance qualifiés, ils soumettent à l’organe de contrôle une notification de leur intention accompagnée d’un rapport d’évaluation de la conformité délivré par un organisme d’évaluation de la conformité. »

7 L’article 25 du règlement no 910/2014, intitulé « Effets juridiques des signatures électroniques », est libellé comme suit :

« 1.   L’effet juridique et la recevabilité d’une signature électronique comme preuve en justice ne peuvent être refusés au seul motif que cette signature se présente sous une forme électronique ou qu’elle ne satisfait pas aux exigences de la signature électronique qualifiée.

2.   L’effet juridique d’une signature électronique qualifiée est équivalent à celui d’une signature manuscrite.

[...] »

8 L’article 26 de ce règlement, intitulé « Exigences relatives à une signature électronique avancée », énonce :

« Une signature électronique avancée satisfait aux exigences suivantes :

a) être liée au signataire de manière univoque ;

b) permettre d’identifier le signataire ;

c) avoir été créée à l’aide de données de création de signature électronique que le signataire peut, avec un niveau de confiance élevé, utiliser sous son contrôle exclusif ; et

d) être liée aux données associées à cette signature de telle sorte que toute modification ultérieure des données soit détectable. »

9 Sous le titre « Exigences applicables aux certificats qualifiés de signature électronique », l’annexe I dudit règlement énumère les différents renseignements que doivent contenir les certificats qualifiés de signature électronique. Ainsi, selon les points b) à d) de cette annexe, ces certificats doivent contenir un ensemble de données représentant sans ambiguïté le prestataire de services de confiance qualifié délivrant les certificats qualifiés, au moins le nom du signataire ou un pseudonyme,
l’utilisation d’un pseudonyme devant être clairement indiquée, et des données de validation de la signature électronique qui doivent correspondre aux données de création de la signature électronique.

10 L’annexe II du même règlement, intitulée « Exigences applicables aux dispositifs de création de signature électronique qualifiés », prévoit, à son point 1, que ces dispositifs doivent garantir au moins, par des moyens techniques et des procédures appropriés, notamment, que la confidentialité des données de création de signature électronique utilisées pour créer la signature électronique soit suffisamment assurée, que ces données ne puissent être pratiquement établies qu’une seule fois, que la
signature électronique soit protégée de manière fiable contre toute falsification et que lesdites données soient protégées de manière fiable par le signataire légitime contre leur utilisation par d’autres. En outre, le point 3 de cette annexe prévoit que la génération ou la gestion de données de création de signature électronique pour le compte du signataire peut être seulement confiée à un prestataire de services de confiance qualifié.

Le droit bulgare

11 Conformément à l’article 4 du zakon za elektronnia dokument i elektronnite udostoveritelni uslugi (loi relative au document électronique et aux services de confiance électroniques, DV no 34, du 6 avril 2001), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi relative au document électronique »), l’auteur de la déclaration électronique est la personne physique indiquée dans la déclaration comme l’ayant effectuée. Cette disposition prévoit également que le titulaire de la
déclaration électronique est la personne au nom de laquelle la déclaration électronique a été effectuée.

12 Selon l’article 13 de la loi relative au document électronique :

« (1)   Une signature électronique est une signature électronique au sens de l’article 3, point 10, du règlement [no 910/2014].

[...]

(3)   Une signature électronique qualifiée est une signature électronique au sens de l’article 3, point 12, du règlement [no 910/2014].

[...] »

13 L’article 184, paragraphe 2, du Grazhdanski protsesualen kodeks (code de procédure civile), applicable également à la procédure en matière de fiscalité et de sécurité sociale, prévoit la possibilité de s’inscrire en faux contre un document électronique.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14 La requérante au principal, V.B. Trade, a fait l’objet d’un avis de redressement fiscal, daté du 13 janvier 2021, au titre de l’impôt sur les sociétés, d’un montant de 682863,40 leva bulgares (BGN) (environ 349000 euros), ainsi que des intérêts y afférents, d’un montant de 192770,62 BGN (environ 98500 euros).

15 Cet avis de redressement fiscal a été adopté par l’administration fiscale compétente à l’issue d’une procédure de vérification fiscale ordonnée par cette administration en vertu d’une décision du 24 juin 2020, modifiée par des décisions du 30 septembre et du 29 octobre 2020, et qui a donné lieu à un rapport de contrôle en date du 15 décembre 2020.

16 L’ensemble des documents de l’administration fiscale émis dans le cadre de cette procédure de vérification fiscale se présente sous la forme de documents électroniques signés au moyen de signatures électroniques qualifiées.

17 Par décision du 17 mai 2021, le Directeur a confirmé l’avis de redressement fiscal du 13 janvier 2021.

18 La requérante au principal a saisi l’Administrativen sad Veliko Tarnovo (tribunal administratif de Veliko Tarnovo, Bulgarie), qui est la juridiction de renvoi, d’un recours dirigé contre cette décision.

19 Dans le cadre de ce recours, elle conteste la validité des documents électroniques émis en faisant valoir qu’ils n’auraient pas été dûment signés au moyen d’une signature électronique qualifiée. À l’appui de cet argument, elle a demandé à la juridiction de renvoi de désigner et d’entendre un expert judiciaire dans le domaine de l’informatique sur un certain nombre de questions relatives à la validité de ces signatures.

20 En effet, la requérante au principal considère que l’authenticité desdits documents dépend de différents aspects techniques qui déterminent la qualité d’une signature électronique en tant que « signature électronique qualifiée ». À cet égard, elle allègue notamment que l’article 25, paragraphes 1 et 2, du règlement no 910/2014 ne constitue pas un obstacle à l’application de la législation nationale qui permet que des éléments de preuve soient contestés en raison de leur absence de crédibilité ou
d’authenticité, ou pour tout autre motif.

21 Le Directeur s’est opposé à ladite contestation en faisant valoir qu’il ressort, au contraire, du règlement no 910/2014 que toute contestation des signatures électroniques qualifiées est irrecevable.

22 La juridiction de renvoi estime nécessaire que l’expression d’« effet juridique [...] d’une signature électronique comme preuve en justice », figurant à l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 910/2014, soit précisée. En particulier, il découlerait de cette expression une interdiction de contester cet effet juridique et la recevabilité de la signature électronique comme preuve. Cette juridiction se demande alors si cette interdiction prévaut sur le principe d’autonomie procédurale, qui permet
aux États membres de dénier la force probante d’une signature par l’intermédiaire d’une procédure spécifique régie par leur législation nationale.

23 À cet égard, la juridiction de renvoi relève, d’une part, qu’il ressort de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 910/2014, lu à la lumière du considérant 22 de celui-ci, qu’un document signé au moyen d’une signature électronique qualifiée ou non qualifiée constitue un acte recevable pour tous les types de procédure judiciaire que les juridictions des États membres doivent respecter, dans la mesure où l’article 25, paragraphe 1, de ce règlement prévaut sur le principe général de l’autonomie
procédurale et sur les règles de procédure établies par les États membres en matière de recevabilité des preuves.

24 D’autre part, selon la juridiction de renvoi, il ressort de la seconde phrase du considérant 49 du règlement no 910/2014 que l’expression d’« effet juridique [...] d’une signature électronique » figurant à l’article 25, paragraphe 1, de ce règlement peut être comprise comme se référant à la force probante de la signature telle qu’elle est reconnue par le système juridique national de chaque État membre. Cette juridiction relève, en outre, que l’article 25, paragraphe 2, dudit règlement assimile
l’effet juridique de la signature électronique à celle de la signature manuscrite uniquement lorsqu’il s’agit d’une signature électronique qualifiée.

25 Dans ces conditions, l’Administrativen sad Veliko Tarnovo (tribunal administratif de Veliko Tarnovo) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’expression “l’effet juridique d’une signature électronique comme preuve” figurant à l’article 25, paragraphe 1, du règlement [no 910/2014] doit-elle être interprétée en ce sens que cette disposition impose aux juridictions des États membres d’admettre que dès que les conditions de l’article 3, [points] 10, 11 et 12, du règlement [no 910/2014] sont réunies ou qu’elles ne sont pas contestées, l’existence et la qualité d’auteur invoquée de cette signature doivent être considérées d’emblée
comme indubitables et établies de manière incontestée et doit-elle être interprétée en ce sens que, dès que les conditions de ces dispositions sont réunies, les juridictions des États membres sont tenues de reconnaître l’existence d’une valeur/force probante de la signature électronique qualifiée qui n’équivaut à celle de la signature manuscrite que dans le cadre de ce que prévoit le régime juridique national pertinent pour cette signature manuscrite ?

2) L’expression “ne peut être refus[é] en justice [...]” figurant à l’article 25, paragraphe 1, du règlement [no 910/2014] doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle édicte une interdiction absolue aux juridictions nationales des États membres d’utiliser les possibilités procédurales prévues dans leurs systèmes juridiques pour contester la portée probatoire de l’effet juridique de la signature électronique prévu au règlement ou bien doit-elle être interprétée en ce sens que cette disposition
ne constitue pas un obstacle à une remise en cause des conditions figurant à l’article 3, [points] 10, 11 et 12, du même règlement, les juridictions nationales des États membres recourant aux instruments applicables selon leurs lois de procédure nationales, ce qui permet ainsi aux parties à un litige soumis à un tribunal de réfuter la force et la valeur probantes prévues de la signature électronique ? »

La procédure devant la Cour

26 Par décision du président de la Cour du 14 septembre 2022, la présente affaire a été suspendue jusqu’à la décision mettant fin à l’instance dans l’affaire C-362/21.

27 À la suite du prononcé de l’arrêt du 20 octobre 2022, Ekofrukt (C‑362/21, EU:C:2022:815), la juridiction de renvoi a informé la Cour, par courrier du 18 novembre 2022, qu’elle souhaitait retirer la seconde des questions préjudicielles, mais qu’elle maintenait la première d’entre elles.

Sur la question préjudicielle

Sur la recevabilité

28 Le Directeur estime, en substance, que la question préjudicielle est irrecevable dans la mesure où elle n’appelle pas une interprétation du droit de l’Union, puisque l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 910/2014 indique explicitement que ledit règlement n’affecte pas le droit national ou le droit de l’Union relatif à la conclusion et à la validité des contrats ou d’autres obligations juridiques ou procédurales d’ordre formel. En effet, ce serait sur la base du droit national qu’il y a lieu
de déterminer si, et à quelles conditions, il est possible de contester des documents porteurs d’une signature manuscrite et, partant, des documents porteurs d’une signature électronique qualifiée, y compris en ce qui concerne la qualité de leur auteur, et de déterminer quelles sont les conséquences procédurales de l’existence ou de l’absence d’une telle contestation par une partie au litige.

29 À cet égard, force est de constater que, ainsi qu’il ressort des points 22 à 24 du présent arrêt, dans le cadre de la présente affaire, la juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir si et dans quelle mesure l’article 25 du règlement no 910/2014 prévaut sur le principe d’autonomie procédurale des États membres en imposant aux juridictions nationales une interdiction absolue de recourir aux moyens procéduraux prévus dans leurs systèmes juridiques en vue de contester la force
probante de la signature électronique résultant dudit règlement. Or cette question relève de l’examen au fond de la question préjudicielle posée, et non de celui de sa recevabilité.

30 Au demeurant, il ressort de ladite question que, par celle-ci, la juridiction de renvoi sollicite l’interprétation du droit de l’Union, en particulier de l’article 25 du règlement no 910/2014, et non pas celle du droit bulgare.

31 Partant, la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur le fond

32 Par sa question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 25 du règlement no 910/2014 doit être interprété en ce sens qu’il impose aux juridictions des États membres d’admettre que l’existence et la qualité d’auteur invoquée d’une signature électronique qualifiée doivent être considérées comme établies de manière incontestable lorsque les conditions de l’article 3, point 12, de ce règlement sont réunies, ou si lesdites juridictions sont tenues de reconnaître
l’existence d’une force probante de cette signature uniquement dans le cadre de ce que prévoit le régime juridique national pertinent pour une signature manuscrite.

33 Il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que l’article 3, point 12, du règlement no 910/2014 prévoit trois exigences cumulatives pour qu’une signature électronique puisse être considérée comme une « signature électronique qualifiée ». Premièrement, la signature doit être une « signature électronique avancée », laquelle doit, conformément à l’article 3, point 11, de ce règlement, satisfaire aux exigences énoncées à l’article 26 de celui-ci. Deuxièmement, la signature doit être créée à l’aide d’un
« dispositif de création de signature électronique qualifié », lequel doit, conformément à l’article 3, point 23, dudit règlement, satisfaire aux exigences énoncées à l’annexe II du même règlement. Troisièmement, la signature doit reposer sur un « certificat qualifié de signature électronique », au sens de l’article 3, point 15, du règlement no 910/2014, à savoir un certificat délivré par un « prestataire de services de confiance qualifié » et qui satisfait aux exigences fixées à l’annexe I de ce
règlement (arrêt du 20 octobre 2022, Ekofrukt,C‑362/21, EU:C:2022:815, point 43).

34 Ensuite, ainsi que l’a jugé la Cour au point 35 de l’arrêt du 20 octobre 2022, Ekofrukt (C‑362/21, EU:C:2022:815), l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 910/2014 n’interdit pas aux juridictions nationales d’invalider les signatures électroniques, mais établit un principe général interdisant auxdites juridictions de refuser l’effet juridique et la force probante des signatures électroniques dans des procédures en justice au seul motif que ces signatures se présentent sous une forme
électronique.

35 Enfin, ainsi qu’il ressort des points 36 et 37 de l’arrêt du 20 octobre 2022, Ekofrukt (C‑362/21, EU:C:2022:815), l’interprétation mentionnée au point précédent du présent arrêt est corroborée par l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 910/2014, lu à la lumière des considérants 21 et 49 de celui-ci, dont il ressort qu’il appartient au droit national de définir l’effet juridique produit par les signatures électroniques. L’unique exception à cet égard réside dans l’exigence, prévue à
l’article 25, paragraphe 2, de ce règlement, selon laquelle l’effet juridique d’une signature électronique qualifiée doit être équivalent à celui d’une signature manuscrite, cette disposition créant ainsi au seul profit de la signature électronique qualifiée une présomption d’« assimilation » à la signature manuscrite.

36 Il résulte de la jurisprudence mentionnée aux points 32 à 35 du présent arrêt qu’il appartient au droit national de définir l’effet juridique produit par les signatures électroniques, y compris par les signatures électroniques qualifiées, à la condition que l’assimilation de la signature électronique qualifiée à la signature manuscrite, prévue à l’article 25, paragraphe 2, du règlement no 910/2014, soit respectée.

37 En effet, s’il découle de l’article 25 du règlement no 910/2014 que l’existence et la qualité d’auteur invoquée d’une signature électronique qualifiée sont établies lorsqu’il est prouvé que la signature en question remplit les conditions prévues à l’article 3, point 12, de ce règlement, il n’existe toutefois aucune raison d’accorder, au profit de la signature électronique qualifiée, un traitement plus favorable que celui réservé à la signature manuscrite en ce sens que l’article 25 dudit
règlement imposerait aux juridictions des États membres une interdiction absolue de recourir aux moyens procéduraux prévus dans leurs systèmes juridiques en vue de refuser la force probante à la signature électronique qualifiée, au sens dudit règlement.

38 Par conséquent, si et dans la mesure où le droit national prévoit la possibilité de remettre en cause la force probante d’une signature manuscrite, une telle possibilité doit également être ouverte pour ce qui est de la signature électronique qualifiée.

39 En particulier, ainsi que l’a exposé le Directeur dans ses observations écrites, la force probante de la signature électronique qualifiée peut être refusée dans le cadre de la procédure d’inscription en faux d’un document prévue par la législation nationale, à condition, toutefois, que cette législation prévoie une procédure identique pour contester la signature manuscrite et la signature électronique qualifiée.

40 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question préjudicielle que l’article 25 du règlement no 910/2014 doit être interprété en ce sens que les juridictions des États membres sont tenues, lorsque les conditions de l’article 3, point 12, de ce règlement sont réunies, de reconnaître à la signature électronique qualifiée une force probante équivalente à celle de la signature manuscrite dans le cadre de ce que prévoit le régime juridique national pertinent pour cette
signature manuscrite.

Sur les dépens

41 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

  L’article 25 du règlement (UE) no 910/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 23 juillet 2014, sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93/CE,

  doit être interprété en ce sens que :

  les juridictions des États membres sont tenues, lorsque les conditions de l’article 3, point 12, de ce règlement sont réunies, de reconnaître à la signature électronique qualifiée une force probante équivalente à celle de la signature manuscrite dans le cadre de ce que prévoit le régime juridique national pertinent pour cette signature manuscrite.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.


Synthèse
Formation : Dixième chambre
Numéro d'arrêt : C-466/22
Date de la décision : 29/02/2024
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par Administrativen sad Veliko Tarnovo.

Renvoi préjudiciel – Marché intérieur – Identification électronique et services de confiance pour les transactions électroniques – Règlement (UE) no 910/2014 – Article 25 – Signatures électroniques – Effet juridique et force probante dans le cadre d’une procédure juridictionnelle – Notion de “signature électronique qualifiée”.

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : V.B. Trade OOD
Défendeurs : Direktor na Direktsia „Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika“ Veliko Tarnovo pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite.

Composition du Tribunal
Avocat général : Ćapeta
Rapporteur ?: Csehi

Origine de la décision
Date de l'import : 02/03/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:185

Source

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