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05/10/2023 | CJUE | N°C-25/23

CJUE | CJUE, Ordonnance de la Cour, AL contre Princess Holdings., 05/10/2023, C-25/23


 ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

5 octobre 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, article 94, sous b) et c), et article 99 du règlement de procédure de la Cour – Protection des consommateurs – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Lettres de change – Exigence de présentation du contexte réglementaire du litige au principal – Exigence d’indication des raisons justifiant la nécessité d’une réponse par la Cour – Irrecevabilité manifeste partielle – Absence de compéten

ce du juge de l’exécution saisi d’une
opposition pour apprécier, d’office ou à la demande du consommateur ...

 ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

5 octobre 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, article 94, sous b) et c), et article 99 du règlement de procédure de la Cour – Protection des consommateurs – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Lettres de change – Exigence de présentation du contexte réglementaire du litige au principal – Exigence d’indication des raisons justifiant la nécessité d’une réponse par la Cour – Irrecevabilité manifeste partielle – Absence de compétence du juge de l’exécution saisi d’une
opposition pour apprécier, d’office ou à la demande du consommateur concerné, le caractère abusif des clauses du contrat conclu par ce consommateur avec un professionnel et constituant le fondement de l’émission des lettres de change dont la valeur de titre exécutoire est contestée »

Dans l’affaire C‑25/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Qorti tal-Maġistrati (Malta) fil‑qasam ċivili (tribunal inférieur en matière civile, Malte), par décision du 14 décembre 2022, parvenue à la Cour le 16 janvier 2023, dans la procédure

AL

contre

Princess Holdings Ltd,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme L. S. Rossi, présidente de chambre, M. S. Rodin (rapporteur) et Mme O. Spineanu-Matei, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, et à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29), des articles 5 et 10 de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil (JO 2008,
L 133, p. 66), ainsi que des articles 6 à 8 de la directive (UE) 2019/771 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2019, relative à certains aspects concernant les contrats de vente de biens, modifiant le règlement (UE) 2017/2394 et la directive 2009/22/CE et abrogeant la directive 1999/44/CE (JO 2019, L 136, p. 28).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant AL à Princess Holdings Ltd au sujet d’un recours introduit par AL en vue d’éviter que des lettres de change arrivées à échéance ne deviennent exécutoires.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 93/13

3 L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

4 L’article 7, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

La directive 2008/48

5 L’article 5 de la directive 2008/48 a pour objet les « [i]nformations précontractuelles ».

6 L’article 10 de cette directive concerne l’« [i]nformation à mentionner dans les contrats de crédit ».

La directive 2019/771

7 L’article 6 de la directive 2019/771 a pour objet les « [c]ritères subjectifs de conformité » des biens faisant l’objet de contrats de vente.

8 L’article 7 de cette directive concerne les « [c]ritères objectifs de conformité » de ces biens.

9 L’article 8 de ladite directive a pour objet l’« [i]nstallation incorrecte des[dits] biens ».

10 L’article 24, paragraphe 2, de la même directive prévoit que les dispositions de cette dernière ne s’appliquent pas aux contrats conclus avant le 1er janvier 2022.

Le règlement de procédure de la Cour

11 L’article 94, sous b) et c), du règlement de procédure de la Cour dispose :

« Outre le texte des questions posées à la Cour à titre préjudiciel, la demande de décision préjudicielle contient :

[...]

b) la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente ;

c) l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal. »

Le droit maltais

Le code de l’organisation et de la procédure civile

12 L’article 253, sous e), du Kodiċi ta’ Organizzazzjoni u Proċedura Ċivili (code de l’organisation et de la procédure civile), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code de l’organisation et de la procédure civile »), dispose, en substance, qu’une lettre de change émise en vertu du Kodiċi tal-Kummerċ (code de commerce), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code de commerce »), qui est arrivé à échéance, devient un titre exécutoire lorsque le
créancier concerné présente une lettre judiciaire rendant cette lettre de change exécutable et que son débiteur ne forme pas opposition dans un délai de 20 jours à compter de la réception de cette lettre. Une telle opposition peut être fondée sur le fait que la signature figurant sur ladite lettre de change n’est pas celle de ce débiteur ou sur d’autres « raisons sérieuses et valables ». Lorsque la juridiction compétente fait droit à ladite opposition, le détenteur de cette lettre de change doit
introduire une demande distincte, conformément au code de commerce.

Le code de commerce

13 L’article 198 du code de commerce énonce, en substance, que les oppositions formées contre le titulaire d’une lettre de change ne peuvent retarder le paiement de ce dernier, à moins qu’elles puissent être « facilement et promptement » examinées. Lorsque ces oppositions exigent qu’une « enquête prolongée » soit diligentée, l’examen correspondant est effectué dans le cadre d’une procédure distincte et, dans l’attente du résultat de cette enquête, l’exécution de l’ordonnance de paiement, qui peut
être le cas échéant assortie de la constitution d’une garantie, ne saurait être suspendue.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14 Au mois d’octobre 2019, AL a conclu avec No Deposit Cars Malta Ltd un contrat de location-vente ayant pour objet une voiture d’occasion et stipulant un prix de 12000 euros, payable en 60 mensualités d’un montant de 200 euros pendant une période de cinq ans. À cet effet, AL a signé 60 lettres de change d’un montant de 200 euros chacune.

15 Le 1er juin 2021, Princess Holdings, société qui appartient également à l’actionnaire détenant la totalité des parts de No Deposit Cars Malta à laquelle ces lettres de change ont été transmises, a déposé une lettre judiciaire devant la Qorti tal-Maġistrati (Malta) fil-qasam ċivili (tribunal inférieur en matière civile, Malte), visant à l’exécution forcée de huit desdites lettres de change par la délivrance d’un mandat d’exécution.

16 Le 28 juin 2021, AL a introduit un recours en vue de s’opposer à ce que ces huit lettres de change soient rendues exécutoires en faisant notamment valoir que, alors qu’il avait restitué la voiture concernée à No Deposit Cars Malta, cette dernière aurait conservé les mêmes lettres de change.

17 Dans ces conditions, la Qorti tal-Maġistrati (Malta) fil-qasam ċivili (tribunal inférieur en matière civile) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Est-il contraire aux dispositions de la directive [93/13] – en particulier l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de cette directive – que, dans le cadre de la procédure visant à rendre une lettre de change exécutoire [...], la juridiction [nationale] ne puisse pas examiner le contrat qui a précédé l’émission de cette lettre de change ?

2) Est-il contraire aux dispositions de la directive [2008/48] – en particulier les articles 5 et 10 de cette directive – que, dans le cadre de la procédure visant à rendre une lettre de change exécutoire [...], la juridiction [nationale] ne puisse examiner le contrat qui a précédé l’émission de cette lettre de change ?

3) Est-il contraire aux dispositions de la directive [2019/771] – en particulier, le droit du consommateur de recevoir du vendeur un bien qui satisfait aux exigences énoncées aux articles 6 à 8 de cette directive et de disposer d’un recours si ces exigences ne sont pas satisfaites – que, dans le cadre de la procédure visant à rendre une lettre de change exécutoire [...], la juridiction [nationale] ne puisse analyser les obligations sous-jacentes qui ont précédé l’émission de cette lettre de
change ? »

Sur la recevabilité

18 En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsqu’une demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

19 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire, s’agissant des deuxième et troisième questions.

20 Par ses deuxième et troisième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 5 et 10 de la directive 2008/48 ainsi que les articles 6 à 8 de la directive 2019/771 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition du droit national, et à son interprétation par les juridictions nationales, prévoyant une procédure d’exécution d’une lettre de change dans le cadre de laquelle le juge national ne serait pas compétent pour examiner le caractère abusif de
clauses du contrat ayant conduit à l’émission de cette lettre de change, dont la valeur de titre exécutoire est contestée.

21 Selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

22 Dès lors que la décision de renvoi sert de fondement à cette procédure, la juridiction nationale est tenue d’expliciter, dans la décision de renvoi elle-même, le cadre factuel et réglementaire du litige au principal et de fournir les explications nécessaires sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis [voir en ce
sens, notamment, arrêt du 4 juin 2020, C.F. (Contrôle fiscal), C‑430/19, EU:C:2020:429, point 23 et jurisprudence citée].

23 À cet égard, il importe de souligner également que les informations figurant dans les décisions de renvoi doivent permettre, d’une part, à la Cour d’apporter des réponses utiles aux questions posées par la juridiction nationale et, d’autre part, aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés d’exercer le droit qui leur est conféré par l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne de présenter des observations. Il incombe à la Cour de veiller à ce que ce
droit soit sauvegardé, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Irish Ferries, C‑570/19, EU:C:2021:664, point 134 et jurisprudence citée).

24 Ces exigences cumulatives concernant le contenu d’une décision de renvoi figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement (ordonnance du 3 juillet 2014, Talasca, C‑19/14, EU:C:2014:2049, point 21, et arrêt du 9 septembre 2021, Toplofikatsia Sofia e.a., C‑208/20 et C‑256/20, EU:C:2021:719, point 20
ainsi que jurisprudence citée). Elles sont, en outre, rappelées aux points 13, 15 et 16 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1).

25 En l’occurrence, la décision de renvoi ne répond manifestement pas aux exigences posées à l’article 94, sous b) et c), du règlement de procédure, s’agissant des deuxième et troisième questions.

26 D’une part, la décision de renvoi ne comporte pas une description suffisamment précise du cadre juridique national dans lequel s’inscrit le litige dont la juridiction nationale est saisie. En effet, si les articles 166 A et 166 B du code de l’organisation et de la procédure civile paraissent être des éléments clés pour la compréhension du litige au principal, la juridiction de renvoi ne les expose pas dans la demande de décision préjudicielle et n’explique pas le lien qui existerait entre ces
articles et les directives 2008/48 et 2019/771. Par conséquent, elle ne permet pas à la Cour d’apporter une réponse utile à ces questions.

27 D’autre part, la décision de renvoi n’expose pas le lien qui existerait entre les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée dans le cadre desdites questions et la législation nationale applicable au litige au principal. En effet, il ne ressort nullement de la demande de décision préjudicielle en quoi l’interprétation des articles 5 et 10 de la directive 2008/48 ainsi que des articles 6 à 8 de la directive 2019/771 est nécessaire afin de trancher le litige au principal.
La juridiction de renvoi n’explique pas davantage le lien qu’elle prétend établir entre ces dispositions du droit de l’Union et les dispositions nationales en cause au principal. Par conséquent, la Cour ne peut pas apprécier la mesure dans laquelle une réponse aux mêmes questions est nécessaire pour permettre à cette juridiction de rendre sa décision.

28 Enfin, en ce qui concerne la troisième question, force est de constater qu’il ressort de l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2019/771 que cette directive ne s’applique qu’aux contrats conclus à partir du 1er janvier 2022. Étant donné que le contrat qui fait l’objet du litige au principal a été conclu avant cette date, ladite directive n’est donc pas applicable en l’occurrence.

29 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la demande de décision préjudicielle est, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, manifestement irrecevable en tant qu’elle concerne les deuxième et troisième questions.

Sur la première question

30 En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut, notamment lorsqu’une réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence, décider à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée.

31 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire, s’agissant de la première question.

32 Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 s’opposent à une disposition du droit national, telle qu’interprétée par les juridictions nationales, prévoyant que, dans une procédure d’exécution de lettres de change, le juge saisi d’une opposition n’est pas compétent pour apprécier, d’office ou à la demande du consommateur concerné, le caractère potentiellement abusif des clauses du contrat
conclu par ce consommateur avec un professionnel et constituant le fondement de l’émission des lettres de change dont la valeur de titre exécutoire est contestée, alors qu’un tel examen n’a pas été réalisé et que le juge de l’exécution ne peut suspendre celle-ci jusqu’au terme de la procédure sur le fond.

33 Si la Cour a ainsi encadré, à plusieurs reprises et en tenant compte des exigences de l’article 6, paragraphe 1, ainsi que de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, la manière dont le juge national doit assurer la protection des droits que les consommateurs tirent de cette directive, il n’en reste pas moins que, en principe, le droit de l’Union n’harmonise pas les procédures applicables à l’examen du caractère prétendument abusif d’une clause contractuelle, et que celles-ci relèvent,
dès lors, de l’ordre juridique interne des États membres, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêts du 4 mai 2023, BRD Groupe Societé Générale et Next Capital Solutions, C‑200/21, EU:C:2023:380,
point 28, ainsi que du 26 juin 2019, Addiko Bank, C‑407/18, EU:C:2019:537, points 45 et 46 ainsi que jurisprudence citée).

34 En outre, la Cour a précisé que l’obligation pour les États membres d’assurer l’effectivité des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union implique, notamment, s’agissant des droits découlant de la directive 93/13, une exigence de protection juridictionnelle effective, réaffirmée à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive et consacrée également à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui s’applique, notamment, à la définition des modalités
procédurales relatives aux actions en justice fondées sur de tels droits (voir, en ce sens, arrêts du 4 mai 2023, BRD Groupe Societé Générale et Next Capital Solutions, C‑200/21, EU:C:2023:380, point 29, ainsi que du 10 juin 2021, BNP Paribas Personal Finance, C‑776/19 à C‑782/19, EU:C:2021:470, point 29 et jurisprudence citée).

35 À cet égard, il convient de rappeler que la protection effective des droits découlant de la directive 93/13 ne saurait être garantie qu’à la condition que le système procédural national prévoie, dans le cadre de la procédure de délivrance d’une injonction de payer ou dans celui de la procédure d’exécution d’une telle injonction, un contrôle d’office, par un juge, du caractère potentiellement abusif des clauses figurant dans le contrat concerné (arrêt du 20 septembre 2018, EOS KSI Slovensko,
C‑448/17, EU:C:2018:745, point 45).

36 Ainsi, dans l’hypothèse où aucun contrôle d’office, par un juge, du caractère potentiellement abusif des clauses figurant dans le contrat concerné n’est prévu au stade de la procédure d’exécution de cette injonction, une législation nationale doit être considérée comme étant de nature à porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par la directive 93/13, si elle ne prévoit pas un tel contrôle au stade de la délivrance de ladite injonction ou, lorsqu’un tel contrôle est prévu uniquement
au stade de la procédure d’opposition contre l’injonction délivrée, s’il existe un risque non négligeable que le consommateur concerné ne forme pas l’opposition requise soit en raison du délai particulièrement court prévu à cette fin, soit eu égard à l’importance des frais qu’une action en justice entraînerait par rapport au montant de la dette contestée, soit parce que cette législation nationale ne prévoit pas l’obligation que soient communiquées à ce consommateur toutes les informations
nécessaires pour lui permettre de déterminer l’étendue de ses droits (arrêt du 20 septembre 2018, EOS KSI Slovensko, C‑448/17, EU:C:2018:745, point 46).

37 S’agissant de billets à ordre, la Cour a dit pour droit que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale permettant de délivrer une ordonnance d’injonction de payer, fondée sur un billet à ordre régulier, qui garantit une créance née d’un contrat de crédit à la consommation, lorsque le juge saisi d’une requête en injonction de payer ne dispose pas du pouvoir de procéder à un examen du caractère abusif des clauses de
ce contrat, dès lors que les modalités d’exercice du droit de former opposition à une telle ordonnance ne permettent pas d’assurer le respect des droits que le consommateur concerné tire de cette directive (arrêt du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska, C‑176/17, EU:C:2018:711, point 71).

38 Plus récemment, la Cour a jugé que la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une règle de droit national en vertu de laquelle un consommateur ayant souscrit un contrat de prêt auprès d’un établissement de crédit et contre lequel ce professionnel a engagé une procédure d’exécution forcée est forclos, au-delà d’un délai de quinze jours à compter de la notification des premiers actes de cette procédure, à invoquer l’existence de clauses abusives pour s’opposer à ladite
procédure, et cela même si ce consommateur dispose, en application du droit national, d’une action en justice aux fins de constatation de l’existence de clauses abusives, dont la mise en œuvre n’est soumise à aucun délai, mais dont la solution est sans effet sur celle qui résulte de la procédure d’exécution forcée, laquelle peut s’imposer au consommateur avant l’issue de l’action en constatation de l’existence de clauses abusives (arrêt du 4 mai 2023, BRD Groupe Societé Générale et Next Capital
Solutions, C‑200/21, EU:C:2023:380, point 31).

39 La Cour a également dit pour droit que cette directive doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui ne permet au juge de l’exécution, dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire, ni d’apprécier, que ce soit d’office ou à la demande du consommateur concerné, le caractère abusif d’une clause figurant dans le contrat duquel résulte la dette réclamée et qui fonde le titre exécutoire ni d’adopter des mesures provisoires, dont, notamment, la suspension
de l’exécution, lorsque l’octroi de ces mesures est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de la décision finale du juge saisi de la procédure au fond correspondante, compétent pour vérifier le caractère abusif de cette clause (arrêt du 17 mai 2022, Impuls Leasing România, C‑725/19, EU:C:2022:396, point 51 et jurisprudence citée).

40 En l’occurrence, il est vrai que le débiteur concerné a le droit de former des oppositions contre le bénéficiaire d’une lettre de change, mais, en vertu du code de l’organisation et de la procédure civile, il peut uniquement former ces oppositions en se fondant sur le fait que la signature figurant sur cette lettre de change n’est pas la sienne ou sur des « raisons sérieuses et valables », conformément à la réglementation nationale concernée. Dans les autres cas de figure, ce débiteur est tenu de
contester ladite lettre de change sur le fond, dans le cadre d’une procédure distincte, en vertu du code de commerce. Cependant, dans la mesure où une telle contestation ne peut aboutir à la suspension de l’exécution de la même lettre de change, ledit débiteur ne saurait, en principe, contester celle-ci avant qu’elle ait été rendue exécutoire par une juridiction nationale. Or, la législation nationale en cause au principal ne semble pas prévoir dans cette hypothèse spécifique la possibilité, pour
le juge de l’exécution, d’adopter une mesure provisoire telle que la suspension de la procédure d’exécution jusqu’au terme de la procédure sur le fond.

41 Il ressort de la demande de décision préjudicielle que le code de l’organisation et de la procédure civile ne permet pas au juge de l’exécution, saisi d’une opposition, de contrôler, que ce soit d’office ou à la demande du consommateur concerné, le caractère abusif des clauses du contrat constituant le fondement du titre exécutoire concerné, dès lors que ce contrôle peut être effectué par le juge du fond dans le cadre de l’examen d’un recours de droit commun, ce juge du fond ne disposant pas,
pour sa part, du pouvoir d’ordonner la suspension de la procédure d’exécution.

42 À cet égard, la Cour a jugé que le fait que, en vertu du droit national, le contrôle du caractère abusif des clauses figurant dans un contrat de crédit hypothécaire, conclu entre un professionnel et un consommateur, peut être effectué non pas par le juge saisi de la demande d’exécution forcée de ce contrat, mais uniquement, ultérieurement et le cas échéant, par le juge du fond saisi par ce consommateur d’une action en nullité de ces clauses, est manifestement insuffisant pour assurer la pleine
effectivité de la protection des consommateurs voulue par la directive 93/13 (arrêt du 26 juin 2019, Addiko Bank, C‑407/18, EU:C:2019:537, point 61).

43 En effet, la Cour a estimé que, dans l’hypothèse où la procédure d’exécution forcée aboutirait avant le prononcé de la décision du juge du fond déclarant le caractère abusif de la clause contractuelle à l’origine de cette exécution forcée et, par voie de conséquence, la nullité de cette procédure, cette décision ne permettrait d’assurer audit consommateur qu’une protection indemnitaire a posteriori, qui se révélerait incomplète et insuffisante et ne constituerait un moyen ni adéquat ni efficace
pour faire cesser l’utilisation de cette clause contractuelle, en méconnaissance de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 (ordonnance du 6 novembre 2019, BNP Paribas Personal Finance SA Paris Sucursala Bucureşti et Secapital, C‑75/19, EU:C:2019:950, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

44 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition du droit national, telle qu’interprétée par les juridictions nationales, prévoyant que, dans le cadre d’une procédure d’exécution de lettres de change, le juge saisi d’une opposition n’est pas compétent pour apprécier, d’office ou à la demande
du consommateur concerné, le caractère potentiellement abusif des clauses du contrat conclu par ce consommateur avec un professionnel et constituant le fondement de l’émission des lettres de change dont la valeur de titre exécutoire est contestée.

Sur les dépens

45 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

  1) La demande de décision préjudicielle introduite par la Qorti tal-Maġistrati (Malta) fil-qasam ċivili (tribunal inférieur en matière civile, Malte), du 14 décembre 2022, est manifestement irrecevable en tant qu’elle concerne les deuxième et troisième questions.

  2) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils s’opposent à une disposition du droit national, telle qu’interprétée par les juridictions nationales, prévoyant que, dans le cadre d’une procédure d’exécution de lettres de change, le juge saisi d’une opposition n’est pas compétent pour apprécier, d’office ou à la demande du consommateur concerné, le caractère potentiellement abusif des clauses du contrat conclu par ce consommateur avec un professionnel et constituant le fondement de l’émission des lettres de change dont la valeur de titre
exécutoire est contestée.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le maltais.


Synthèse
Formation : Neuvième chambre
Numéro d'arrêt : C-25/23
Date de la décision : 05/10/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par Qorti tal-Maġistrati (Malta).

Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, article 94, sous b) et c), et article 99 du règlement de procédure de la Cour – Protection des consommateurs – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Lettres de change – Exigence de présentation du contexte réglementaire du litige au principal – Exigence d’indication des raisons justifiant la nécessité d’une réponse par la Cour – Irrecevabilité manifeste partielle – Absence de compétence du juge de l’exécution saisi d’une opposition pour apprécier, d’office ou à la demande du consommateur concerné, le caractère abusif des clauses du contrat conclu par ce consommateur avec un professionnel et constituant le fondement de l’émission des lettres de change dont la valeur de titre exécutoire est contestée.

Rapprochement des législations

Protection des consommateurs


Parties
Demandeurs : AL
Défendeurs : Princess Holdings.

Composition du Tribunal
Avocat général : Kokott
Rapporteur ?: Rodin

Origine de la décision
Date de l'import : 19/10/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:786

Source

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