La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/10/2023 | CJUE | N°C-146/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, YD contre Dyrektor Krajowej Informacji Skarbowej., 05/10/2023, C-146/22


 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

5 octobre 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 98, paragraphe 2 – Faculté pour les États membres d’appliquer un taux réduit à certaines livraisons de biens et prestations de services – Annexe III, points 1 et 12 bis – Denrées alimentaires similaires préparées à partir du même ingrédient principal – Boissons chaudes préparées à base de lait – Application de taux de TVA réduits différen

ts – Biens présentant les mêmes
caractéristiques et les mêmes propriétés objectives – Biens assortis ou non de servic...

 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

5 octobre 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 98, paragraphe 2 – Faculté pour les États membres d’appliquer un taux réduit à certaines livraisons de biens et prestations de services – Annexe III, points 1 et 12 bis – Denrées alimentaires similaires préparées à partir du même ingrédient principal – Boissons chaudes préparées à base de lait – Application de taux de TVA réduits différents – Biens présentant les mêmes
caractéristiques et les mêmes propriétés objectives – Biens assortis ou non de services de préparation et de mise à disposition par le fournisseur »

Dans l’affaire C‑146/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Wojewódzki Sąd Administracyjny we Wrocławiu (tribunal administratif de voïvodie de Wrocław, Pologne), par décision du 28 janvier 2022, parvenue à la Cour le 1er mars 2022, dans la procédure

YD

contre

Dyrektor Krajowej Informacji Skarbowej,

en présence de :

Rzecznik Małych i Średnich Przedsiębiorców,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. M. Safjan, président de chambre, MM. N. Jääskinen (rapporteur) et M. Gavalec, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour YD, par MM. S. Czajka, J. Orłowski, Mmes I. Rymanowska et A. Tałasiewicz, doradcy podatkowi,

– pour le Dyrektor Krajowej Informacji Skarbowej, par Mmes K. Nowicka et B. Rogowska-Rajda,

– pour le Rzecznik Małych i Średnich Przedsiębiorców, par Me P. Chrupek, radca prawny,

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par Mmes J. Jokubauskaitė et A. Stobiecka-Kuik, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 1, sous a) et c), de l’article 14, paragraphe 1, de l’article 24, paragraphe 1, et de l’article 98 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive (UE) 2018/1713 du Conseil, du 6 novembre 2018 (JO 2018, L 286, p. 20) (ci-après la « directive TVA »), lus en combinaison avec ses
considérants 4 et 7, son annexe III, points 1 et 12 bis, les principes de coopération loyale, de neutralité fiscale, de légalité et de sécurité juridique, ainsi qu’avec l’article 6 du règlement d’exécution (UE) no 282/2011 du Conseil, du 15 mars 2011, portant mesures d’exécution de la directive 2006/112 (JO 2011, L 77, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant YD au Dyrektor Krajowej Informacji Skarbowej (directeur de l’information fiscale nationale, Pologne) (ci-après l’« autorité fiscale ») au sujet du taux d’imposition à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicable aux opérations de vente de boissons lactées chocolatées réalisées par YD dans ses établissements de consommation.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La NC

3 La position 2202 de la nomenclature combinée figurant à l’annexe I du règlement (CEE) no 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO 1987, L 256, p. 1), dans sa version résultant du règlement (CE) no 1549/2006 de la Commission, du 17 octobre 2006 (JO 2006, L 301, p. 1) (ci-après la « NC »), couvre les « [e]aux, y compris les eaux minérales et les eaux gazéifiées, additionnées de sucre ou d’autres édulcorants ou
aromatisées, et autres boissons non alcooliques, à l’exclusion des jus de fruits ou de légumes du no 2009 ».

La directive TVA

4 Aux termes des considérants 4 et 7 de la directive TVA :

« (4) La réalisation de l’objectif de l’instauration d’un marché intérieur suppose l’application, dans les États membres, de législations relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ne faussant pas les conditions de concurrence et n’entravant pas la libre circulation des marchandises et des services. Il est donc nécessaire de réaliser une harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires au moyen d’un système de [TVA], ayant pour objet l’élimination, dans toute la
mesure du possible, des facteurs qui sont susceptibles de fausser les conditions de concurrence, tant sur le plan national que sur le plan communautaire.

[...]

(7) Le système commun de TVA devrait, même si les taux et les exonérations ne sont pas complètement harmonisés, aboutir à une neutralité concurrentielle, en ce sens que sur le territoire de chaque État membre les biens et les services semblables supportent la même charge fiscale, quelle que soit la longueur du circuit de production et de distribution. »

5 L’article 2, paragraphe 1, sous a) et c), de cette directive prévoit :

« Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :

a) les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ;

[...]

c) les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ».

6 L’article 14, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :

« Est considéré comme “livraison de biens”, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire. »

7 Aux termes de l’article 24, paragraphe 1, de la même directive :

« Est considérée comme “prestation de services” toute opération qui ne constitue pas une livraison de biens. »

8 L’article 96 de la directive TVA prévoit :

« Les États membres appliquent un taux normal de TVA fixé par chaque État membre à un pourcentage de la base d’imposition qui est le même pour les livraisons de biens et pour les prestations de services. »

9 L’article 98 de cette directive énonce :

« 1.   Les États membres peuvent appliquer soit un, soit deux taux réduits.

2.   Les taux réduits s’appliquent uniquement aux livraisons de biens et aux prestations de services des catégories figurant à l’annexe III.

Les taux réduits ne sont pas applicables aux services fournis par voie électronique, à l’exception des services relevant du point 6) de l’annexe III.

3.   En appliquant les taux réduits prévus au paragraphe 1 aux catégories qui se réfèrent à des biens, les États membres peuvent recourir à la nomenclature combinée pour délimiter avec précision la catégorie concernée. »

10 L’annexe III de la directive TVA, intitulée « Liste des livraisons de biens et des prestations de services pouvant faire l’objet des taux réduits visés à l’article 98 », énumère, à ses points 1 et 12 bis :

« 1)   Les denrées alimentaires (y compris les boissons, à l’exclusion, toutefois, des boissons alcooliques) destinées à la consommation humaine et animale, les animaux vivants, les graines, les plantes et les ingrédients normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires ; les produits normalement utilisés pour compléter ou remplacer des denrées alimentaires ;

[...]

12 bis) les services de restaurant et de restauration, la fourniture de boissons (alcooliques et/ou non alcooliques) pouvant être exclue ».

Le règlement d’exécution no 282/2011

11 L’article 6 du règlement d’exécution no 282/2011 prévoit :

« 1.   Les services de restaurant et de restauration consistent en la fourniture d’aliments ou de boissons préparés ou non ou des deux, destinés à la consommation humaine, accompagnée par des services connexes suffisants permettant la consommation immédiate de ces aliments ou boissons. La fourniture d’aliments ou de boissons ou des deux n’est qu’une composante d’un ensemble dans lequel les services prédominent. Les services de restaurant couvrent les services de ce type fournis dans les
installations du prestataire, alors que les services de restauration couvrent les services de ce type fournis en dehors desdites installations.

2.   La fourniture d’aliments ou de boissons préparés ou non ou des deux, incluant ou non le transport mais sans aucun autre service connexe, n’est pas considérée comme un service de restaurant ou de restauration au sens du paragraphe 1. »

Le droit polonais

12 L’ustawa o podatku od towarów i usług (loi relative à la taxe sur les biens et les services), du 11 mars 2004 (Dz. U. no 54, position 535), dans sa version applicable au litige au principal (Dz. U. de 2018, position 2174) (ci-après la « loi sur la TVA »), dispose, à son article 41, paragraphe 2, que « [p]our les biens et services énumérés à l’annexe 3 de la loi », autres que ceux qui relèvent de la rubrique 56 du Rozporządzenie Rady Ministrów w sprawie Polskiej Klasyfikacji Wyrobów i Usług
(règlement du Conseil des ministres concernant la classification polonaise des produits et des services), du 4 septembre 2015 (Dz. U. de 2015, position 1676, ci-après le « PKWiU »), « le taux de la taxe est de 7 %, sous réserve de l’article 114, paragraphe 1 ». Le taux de TVA prévu à cette disposition a été porté à 8 % en vertu de l’article 146aa, paragraphe 1, point 1, de cette loi.

13 L’article 41, paragraphe 2a, de loi sur la TVA prévoit que « [p]our les biens et services énumérés à l’annexe 10 de la loi », autres que ceux qui relèvent de rubrique 56 du PKWiU, « le taux de la taxe est de 5 % ».

14 Aux termes de l’article 41, paragraphe 12f, point 1, de cette loi :

« Le taux de taxe visé au paragraphe 2 s’applique à la fourniture de biens et de services classés conformément à la classification polonaise des produits et des services dans le groupe des services de restauration et de débits de boissons (PKWiU 56), à l’exception des ventes concernant : les boissons autres que celles énumérées à l’annexe 3 ou à l’annexe 10 de la loi ou dans les règlements d’exécution qui en découlent, y compris leur préparation et leur service. »

15 L’annexe 10, point 17, de ladite loi vise « les eaux, y compris les eaux minérales et les eaux gazéifiées, additionnées de sucre ou d’autres édulcorants ou aromatisées, et autres boissons non alcooliques, à l’exclusion des jus de fruits ou de légumes du code NC 2009 – exclusivement les produits suivants : 1) yoghourt, babeurre, képhir, lait ne relevant pas de la rubrique 04 de la NC – à l’exclusion des produits contenant du café et des extraits, essences ou concentrés de café, 2) boissons non
alcoolisées dans lesquelles la proportion en poids de jus de fruits, de légumes ou de jus de fruits et de légumes n’est pas inférieure à 20 % des matières premières ».

16 La rubrique 56 du PKWiU, intitulée « Services de restauration et de débits de boissons », comprend les « [s]ervices de restauration et de restauration mobile », les « [s]ervices de préparation et de fourniture de denrées alimentaires (catering) à des clients externes et autres services de restauration » et les « [s]ervices de préparation et de fourniture de boissons ».

Le litige au principal et les questions préjudicielles

17 YD, la requérante au principal, exploite une chaîne de cafés à Wrocław (Pologne) qui commercialise une boisson dénommée « Classic Hot Chocolate », laquelle se présente sous la forme d’un chocolat chaud préparé à base de lait et d’une sauce au chocolat.

18 YD a adressé à l’autorité fiscale une demande de renseignements contraignants concernant le taux de TVA applicable à cette boisson. Par un avis du 17 juin 2020, cette autorité a estimé que la vente à emporter et la vente sur place de ladite boisson devaient être considérées comme des livraisons de biens assorties de services accessoires, à savoir la préparation et la fourniture de la boisson au client pour une consommation immédiate. Elle en a conclu que cette prestation relevait de la
rubrique 56 du PKWiU, intitulée « Services de restauration et de débits de boissons », si bien que de telles livraisons de biens sont soumises au taux réduit de TVA de 8 %.

19 YD a contesté cet avis en faisant valoir qu’il convenait d’appliquer un taux réduit de TVA de 5 %, par analogie avec les autres livraisons de biens visées à l’annexe 10 de la loi sur la TVA, laquelle comprend, notamment, les boissons à base de lait. À cet égard, elle invoquait, en raison de la similitude entre ces produits et la boisson en cause au principal, une violation du principe de neutralité de la TVA, une infraction aux règles de concurrence et une mise en œuvre incorrecte de la loi sur
la TVA.

20 L’autorité fiscale a confirmé son avis par une décision du 11 décembre 2020. Elle a relevé que les denrées alimentaires classées dans la rubrique 56 du PKWiU, telles que la boisson en cause, n’étaient pas interchangeables avec les boissons lactées proposées à la vente au détail, taxées au taux réduit de TVA de 5 %. Elle a souligné la différence qui, selon elle, distingue une boisson prête à l’emploi vendue en magasin et une boisson chaude préparée par un employé, sur commande et dans un café, en
tenant compte des souhaits individuels du client concerné. La livraison est accompagnée, dans le second cas, de services accessoires qui ont une incidence sur la décision du consommateur d’acheter le produit en question.

21 À la suite de cette décision, YD a adressé une requête au Wojewódzki Sąd Administracyjny we Wrocławiu (tribunal administratif de voïvodie de Wrocław, Pologne), la juridiction de renvoi, en invoquant une violation de l’article 41, paragraphe 12f, point 1, de la loi sur la TVA, lu en combinaison avec l’article 41, paragraphe 2a, et le point 17, paragraphe 1, de l’annexe 10 de cette loi, ainsi que de l’article 98, paragraphes 1 et 2, de la directive TVA et des considérants 4 et 7 de cette directive.
Selon elle, c’est au terme d’une interprétation erronée de ces dispositions que l’autorité fiscale a conclu que la fourniture de la boisson en cause au principal devait être soumise au taux réduit de TVA de 8 %. YD considère qu’une telle boisson doit être soumise à une taxation analogue à celle à laquelle sont soumis les autres biens énumérés à l’annexe 10 de la loi sur la TVA, c’est-à-dire une taxation au taux réduit de TVA de 5 %, afin de garantir des conditions de concurrence équitables entre
ces biens.

22 La juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la compatibilité de la réglementation et de la pratique nationales en cause avec la directive TVA telle qu’interprétée par la jurisprudence de la Cour, ainsi qu’avec les principes du système commun de TVA.

23 Cette juridiction indique, en substance, que le législateur polonais a prévu d’appliquer des taux de TVA réduits aux « denrées alimentaires » visées au point 1 de l’annexe III de la directive TVA et aux « services de restaurant et de restauration » visés au point 12 bis de cette annexe III. Ainsi, l’article 41, paragraphe 2a, de la loi sur la TVA prévoit qu’un taux réduit de TVA de 5 % est applicable aux biens et aux services qui sont énumérés à l’annexe 10 de cette loi, laquelle se réfère à la
position 2202 de la NC. Toutefois, ces biens et services ne peuvent bénéficier de ce taux lorsqu’ils relèvent de la rubrique 56 du PKWiU.

24 Dans ce contexte, ladite juridiction se demande, en premier lieu, si, au regard du principe de sécurité juridique, le législateur national peut avoir recours à deux sources de classification différentes, la NC et le PKWiU, pour définir le taux de TVA qui s’applique à une même catégorie de biens ou de services.

25 Premièrement, elle affirme que la loi sur la TVA et le PKWiU ne poursuivent pas les mêmes objectifs.

26 Deuxièmement, elle estime qu’il pourrait être considéré que l’autorité fiscale bénéficie d’un trop grand pouvoir d’appréciation dans la détermination du taux de TVA qu’il convient d’appliquer à des biens et services répondant au même besoin pour un consommateur moyen, ce qui ne serait pas conforme au principe de neutralité de la TVA.

27 Troisièmement, elle relève que le législateur polonais se réfère au PKWiU, alors que celui-ci interprète la notion d’« activité imposable » différemment du système commun de TVA, notamment en ce qui concerne la qualification d’une prestation composée d’une prestation principale et de plusieurs prestations accessoires.

28 En second lieu, la juridiction de renvoi indique qu’il est constant que la vente de la boisson en cause constitue une livraison de biens. Toutefois, elle nourrit des doutes quant au fait que l’autorité fiscale puisse considérer que les services accessoires liés à sa préparation et à sa commercialisation puissent déterminer l’application à ce produit d’un taux de TVA différent par rapport à des produits similaires, mais qui ne sont pas accompagnés de tels services.

29 Dans ces conditions, le Wojewódzki Sąd Administracyjny we Wrocławiu (tribunal administratif de voïvodie de Wrocław) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 2, paragraphe 1, sous a) et c), l’article 14, paragraphe 1, l’article 24, paragraphe 1, et l’article 98, paragraphes 1 à 3, de la [directive TVA], lus en combinaison avec l’article 6, paragraphes 1 et 2, du [règlement d’exécution no 282/2011], avec les points 1 et 12 bis de l’annexe III de cette directive et avec [les] considérants 4 et 7 [de celle-ci], ainsi que les principes de coopération loyale, de neutralité fiscale, de légalité de l’impôt et de sécurité juridique,
s’opposent-ils à une réglementation nationale, telle que celle en cause en l’espèce, qui prévoit un taux réduit de TVA de 5 % pour des denrées alimentaires, notamment des boissons contenant du lait, relevant [de la position 2202 de la NC], en excluant de ce taux des denrées alimentaires telles que les boissons contenant du lait classées comme services de restauration et de débits de boissons conformément à la [rubrique 56 du PKWiU] et en appliquant à ces derniers biens (leur livraison ou
leur service) le taux réduit de TVA de 8 %, alors que le consommateur moyen qui achète ces biens ou ces services considère ces livraisons (services) comme répondant au même besoin ?

2) Une pratique administrative qui implique l’application de deux taux réduits de TVA différents à des biens qui présentent les mêmes caractéristiques et [les mêmes] propriétés objectives, selon que des services de préparation et de présentation de ces biens sont ou non fournis, différenciant ainsi ces biens sous l’angle personnel et non matériel, est-elle compatible avec les principes de neutralité fiscale et de sécurité juridique ? »

Sur les questions préjudicielles

30 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 98 de la directive TVA, lu en combinaison avec l’annexe III, points 1 et 12 bis, de celle-ci, l’article 6 du règlement d’exécution no 282/2011 ainsi que le principe de neutralité fiscale, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit que des denrées alimentaires composées du même ingrédient principal et répondant au même besoin pour un
consommateur moyen sont soumises à deux taux réduits de TVA différents, selon qu’elles sont vendues au détail dans un magasin ou qu’elles sont préparées et fournies chaudes à un client à sa demande en vue de leur consommation immédiate.

31 À titre liminaire, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 96 de la directive TVA, un même taux de TVA, à savoir le taux normal fixé par chaque État membre, est en principe applicable aux livraisons de biens et aux prestations de services.

32 Par dérogation à ce principe, l’article 98 de cette directive confère aux États membres la faculté d’appliquer des taux réduits de TVA. À cette fin, l’annexe III de ladite directive énumère, de manière exhaustive, les catégories de livraisons de biens et de prestations de services pouvant faire l’objet de ces taux réduits (arrêt du 22 avril 2021, Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w Katowicach, C‑703/19, EU:C:2021:314, point 36 et jurisprudence citée).

33 La finalité de la faculté ouverte aux États membres de prévoir des taux réduits de TVA est de rendre moins onéreux et, par conséquent, plus accessibles pour le consommateur final, qui supporte en définitive la taxe, certains biens et services considérés comme étant particulièrement nécessaires (arrêt du 22 avril 2021, Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w Katowicach, C‑703/19, EU:C:2021:314, point 37 et jurisprudence citée).

34 Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, il appartient aux États membres, sous réserve de respecter le principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de TVA, de déterminer plus précisément parmi les livraisons de biens et les prestations de services incluses dans les catégories de l’annexe III de la directive TVA celles auxquelles le taux réduit s’applique (arrêt du 22 avril 2021, Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w Katowicach, C‑703/19, EU:C:2021:314, point 38 et
jurisprudence citée).

35 À cet égard, il y a lieu de noter que, selon l’article 98, paragraphe 3, de la directive TVA, les États membres peuvent recourir à la NC lorsqu’ils appliquent les taux réduits aux catégories qui font référence à des livraisons de biens, afin de délimiter avec précision la catégorie concernée. Cependant, il convient de relever que le recours à la NC n’est qu’une manière parmi d’autres de délimiter avec précision la catégorie concernée (arrêt du 22 avril 2021, Dyrektor Izby Administracji Skarbowej
w Katowicach, C‑703/19, EU:C:2021:314, point 39 et jurisprudence citée).

36 Partant, à condition que les opérations auxquelles le taux réduit s’applique relèvent d’une des catégories de l’annexe III de la directive TVA et que le principe de neutralité fiscale soit respecté, le législateur national est libre, lorsqu’il délimite, dans son droit interne, les catégories auxquelles il entend appliquer ce taux réduit, de classer les livraisons de biens et les prestations de services incluses dans les catégories de l’annexe III de la directive TVA selon la méthode qu’il
considère comme étant la plus appropriée (arrêt du 22 avril 2021, Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w Katowicach, C‑703/19, EU:C:2021:314, point 40).

37 Dans ce cadre, la Cour a considéré que, sous réserve du respect des conditions énoncées au point précédent, il est loisible au législateur national de classer dans une même catégorie des opérations taxables différentes, incluses dans des catégories distinctes de cette annexe III, sans opérer formellement de distinction entre les livraisons de biens et les prestations de services, et de les soumettre au même taux réduit de TVA (arrêt du 22 avril 2021, Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w
Katowicach, C‑703/19, EU:C:2021:314, point 41).

38 De même, elle a estimé que la directive TVA ne s’oppose pas à ce que les livraisons de biens ou les prestations de services relevant de la même catégorie de l’annexe III de cette directive soient soumises à deux taux réduits de TVA différents (arrêt du 22 avril 2021, Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w Katowicach, C‑703/19, EU:C:2021:314, point 42 et jurisprudence citée).

39 Toutefois, il convient de rappeler que, lorsqu’ils font le choix d’appliquer un ou deux taux réduits de TVA à l’une des catégories de livraisons de biens ou de prestations de services figurant à l’annexe III de la directive TVA ou, le cas échéant, d’en limiter l’application de manière sélective à une partie des livraisons de biens ou des prestations de services de chacune de ces catégories, les États membres doivent respecter le principe de neutralité fiscale (arrêt du 22 avril 2021, Dyrektor
Izby Administracji Skarbowej w Katowicach, C‑703/19, EU:C:2021:314, point 43 et jurisprudence citée).

40 En l’occurrence, il ressort des explications fournies par la juridiction de renvoi que la réglementation et la pratique en cause au principal conduisent à distinguer entre les boissons lactées prêtes à consommer qui sont commercialisées dans des magasins, celles-ci étant classées parmi les denrées alimentaires relevant du code NC 2202 auxquelles est appliqué un taux réduit de TVA de 5 %, et les boissons lactées chaudes qui, à l’instar du Classic Hot Chocolate commercialisé par la requérante au
principal, sont préparées par l’employé d’un café à la demande d’un client pour une consommation immédiate, celles-ci relevant de la rubrique 56 du PKWiU (« services de restauration et de débits de boissons ») et étant soumises à un taux réduit de TVA de 8 %.

41 Des taux réduits de TVA différents s’appliquent donc aux boissons lactées mentionnées précédemment, selon qu’elles font l’objet d’une vente au détail, dans un magasin, en tant que boisson prête à consommer, ou qu’elles sont préparées et fournies chaudes à un client, en tant que livraison de biens, à sa demande et en vue de leur consommation immédiate. Cette distinction découle de leur classification, respectivement en tant que denrée alimentaire relevant de la NC et en tant que composante de
services de restauration et débits de boissons relevant du PKWiU.

42 Or, il ressort, en substance, de la jurisprudence mentionnée aux points 37 à 39 du présent arrêt que des livraisons de biens ou des prestations de services qui relèvent de l’annexe III de la directive TVA peuvent être soumises à deux taux réduits de TVA différents, pour autant que le principe de neutralité fiscale soit respecté.

43 Par conséquent, une méthode de classification des denrées alimentaires, telle que celle en cause au principal, qui se fonde notamment sur le fait qu’elles sont accompagnées ou non de services accessoires en vue de leur consommation, n’est pas, en soi, incompatible avec le droit de l’Union.

44 Il doit d’autant plus en aller ainsi que, alors que tant les points 1 et 12 bis de l’annexe III de la directive TVA peuvent concerner des denrées alimentaires identiques ou similaires en tant que, respectivement, « denrées alimentaires » et denrées faisant l’objet de « services de restaurant et de restauration », il résulte de l’article 6 du règlement d’exécution no 282/2011 que, aux fins de la qualification d’une opération taxable de « services de restaurant et de restauration », le législateur
de l’Union européenne a souhaité accorder une importance déterminante non pas aux denrées alimentaires elles-mêmes ni au mode de préparation des aliments ou de leur livraison, mais à la mise en œuvre de services connexes qui accompagnent la fourniture des aliments préparés, ces services devant être suffisants en vue d’assurer la consommation immédiate de ces aliments et prédominants par rapport à la fourniture de ceux-ci (voir, en ce sens, arrêt du 22 avril 2021, Dyrektor Izby Administracji
Skarbowej w Katowicach, C‑703/19, EU:C:2021:314, point 58).

45 Il incombe cependant à la juridiction de renvoi de vérifier que la réglementation en cause au principal respecte le principe de neutralité fiscale.

46 À cet égard, il importe de rappeler que ce principe s’oppose à ce que des livraisons de biens ou des prestations de services semblables, qui se trouvent en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA (arrêt du 22 avril 2021, Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w Katowicach, C‑703/19, EU:C:2021:314, point 44 et jurisprudence citée).

47 Pour ce qui est de l’appréciation du caractère semblable des biens ou des prestations de services concernés, qui appartient en définitive au juge national, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il convient de tenir principalement compte du point de vue du consommateur moyen. Des biens ou des prestations de services sont semblables lorsqu’ils présentent des propriétés analogues et répondent aux mêmes besoins auprès du consommateur, en fonction d’un critère de comparabilité dans
l’utilisation, et lorsque les différences existantes n’influent pas de manière considérable sur la décision du consommateur moyen de recourir à l’un ou à l’autre desdits biens ou prestations de services (arrêt du 9 novembre 2017, AZ, C‑499/16, EU:C:2017:846, point 31 et jurisprudence citée).

48 Dès lors, il incombe à la juridiction de renvoi d’examiner si les boissons lactées classées en tant que denrées alimentaires relevant de la position 2202 de la NC et les boissons lactées chaudes classées en tant que service relevant de la rubrique 56 du PKWiU (« services de restauration et de débits de boissons ») sont substituables les unes aux autres aux yeux du consommateur moyen.

49 Dans cette perspective, la juridiction de renvoi devra tenir compte, premièrement, en ce qui concerne les propriétés des boissons en cause au principal, de ce que ces dernières présentent des similitudes, notamment du fait qu’elles sont préparées à partir du même ingrédient principal, à savoir le lait, et que, selon les constatations de l’autorité fiscale, elles présentent une consistance liquide et un aspect extérieur similaires.

50 Toutefois, la juridiction de renvoi devra également vérifier, dans ce cadre, si les boissons en cause au principal sont susceptibles de différer sensiblement au niveau de leur goût, de leur consistance et de leur odeur, en particulier parce que, ainsi que le gouvernement polonais l’indique dans ses observations écrites, le consommateur pourrait, en ce qui concerne les boissons lactées chaudes soumises au taux de TVA réduit de 8 %, commander des ingrédients supplémentaires susceptibles d’avoir un
impact non négligeable sur ces éléments. En outre, la juridiction de renvoi devra prendre en considération le fait que les boissons en cause au principal présentent une différence thermique susceptible d’exercer une influence sensible sur leurs propriétés respectives, telles que leur goût et leur odeur.

51 Deuxièmement, il ressort de la décision de renvoi et de la formulation de la première question préjudicielle que la juridiction de renvoi a établi que les deux types de boissons lactées en cause au principal visent à satisfaire un même besoin de consommation de boissons non alcoolisées sucrées.

52 Troisièmement, s’agissant de la question de savoir si les différences entre les boissons lactées en cause au principal sont susceptibles d’exercer une influence déterminante sur le choix du consommateur moyen d’acheter l’une ou l’autre de ces boissons, il importe de rappeler qu’il convient à cet égard de prendre en considération les différences qui concernent les propriétés des biens ou des prestations de services en cause ainsi que leur utilisation et qui sont, dès lors, inhérentes à ces biens
ou à ces prestations de services ainsi que les différences tenant au contexte dans lequel les livraisons de biens ou les prestations de services sont effectuées (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2021, Phantasialand, C‑406/20, EU:C:2021:720, point 41 et jurisprudence citée).

53 Dans ce cadre, il y a lieu de relever que les boissons commercialisées par YD ont vocation, du fait qu’elles sont préparées spécifiquement à la demande du client et fournies chaudes, à être consommées immédiatement alors que tel n’est pas nécessairement le cas des boissons lactées commercialisées en magasin, sur la composition desquelles le consommateur n’a par ailleurs aucune influence. Or, il semble, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que cette différence est susceptible
d’exercer une influence déterminante sur le choix du consommateur d’acheter l’une ou l’autre de ces boissons, dans la mesure où ce choix ne s’effectue pas dans les mêmes conditions ni dans le même objectif, et ce encore moins si le consommateur peut modifier la composition des premières boissons en commandant des ingrédients supplémentaires.

54 C’est notamment au regard des éléments exposés aux points 49 à 52 ci‑dessus que la juridiction de renvoi devra déterminer, premièrement, si les boissons lactées en cause au principal présentent des propriétés analogues, deuxièmement si elles répondent aux mêmes besoins auprès du consommateur et, troisièmement, si les différences entre ces boissons lactées exercent une influence déterminante sur le choix du consommateur moyen d’acheter l’une ou l’autre desdites boissons. Il y a lieu de souligner,
à cet égard, qu’il suffit notamment que le troisième critère soit satisfait pour qu’il soit considéré que les biens ou les prestations de services concernés ne sont pas semblables et pour que leur assujettissement à des taux de TVA réduits différents n’enfreigne pas, par conséquent, le principe de neutralité fiscale (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, K, C‑219/13, EU:C:2014:2207, point 31).

55 Eu égard aux motifs qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 98 de la directive TVA, lu en combinaison avec l’annexe III, points 1 et 12 bis, de celle-ci, l’article 6 du règlement d’exécution no 282/2011 ainsi que le principe de neutralité fiscale, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit que des denrées alimentaires composées du même ingrédient principal et répondant au même besoin pour un consommateur moyen
sont soumises à deux taux réduits de TVA différents, selon qu’elles sont vendues au détail dans un magasin ou qu’elles sont préparées et fournies chaudes à un client à sa demande en vue de leur consommation immédiate, pour autant que ces denrées alimentaires ne présentent pas des propriétés analogues malgré l’ingrédient principal qu’elles ont en commun ou que les différences existant entre lesdites denrées, y compris en ce qui concerne les services connexes qui accompagnent leurs fournitures,
influent de manière considérable sur la décision du consommateur moyen d’acheter l’une ou l’autre de celles-ci.

Sur les dépens

56 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

  L’article 98 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive (UE) 2018/1713 du Conseil, du 6 novembre 2018, lu en combinaison avec l’annexe III, points 1 et 12 bis, de celle-ci, l’article 6 du règlement d’exécution (UE) no 282/2011 du Conseil, du 15 mars 2011, portant mesures d’exécution de la directive 2006/112, ainsi que le principe de neutralité fiscale,

  doit être interprété en ce sens que :

  il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit que des denrées alimentaires composées du même ingrédient principal et répondant au même besoin pour un consommateur moyen sont soumises à deux taux réduits de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) différents, selon qu’elles sont vendues au détail dans un magasin ou qu’elles sont préparées et fournies chaudes à un client à sa demande en vue de leur consommation immédiate, pour autant que ces denrées alimentaires ne présentent pas des
propriétés analogues malgré l’ingrédient principal qu’elles ont en commun ou que les différences existant entre lesdites denrées, y compris en ce qui concerne les services connexes qui accompagnent leurs fournitures, influent de manière considérable sur la décision du consommateur moyen d’acheter l’une ou l’autre de celles-ci.

  Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure : le polonais.


Synthèse
Formation : Huitième chambre
Numéro d'arrêt : C-146/22
Date de la décision : 05/10/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Wojewódzki Sąd Administracyjny we Wrocławiu.

Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 98, paragraphe 2 – Faculté pour les États membres d’appliquer un taux réduit à certaines livraisons de biens et prestations de services – Annexe III, points 1 et 12 bis – Denrées alimentaires similaires préparées à partir du même ingrédient principal – Boissons chaudes préparées à base de lait – Application de taux de TVA réduits différents – Biens présentant les mêmes caractéristiques et les mêmes propriétés objectives – Biens assortis ou non de services de préparation et de mise à disposition par le fournisseur.

Fiscalité

Taxe sur la valeur ajoutée


Parties
Demandeurs : YD
Défendeurs : Dyrektor Krajowej Informacji Skarbowej.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Jääskinen

Origine de la décision
Date de l'import : 07/10/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:739

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award