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22/06/2023 | CJUE | N°C-6/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, République fédérale d'Allemagne contre Pharma Mar SA et Commission européenne et République d'Estonie contre Pharma Mar SA et Commission européenne., 22/06/2023, C-6/21


 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

22 juin 2023 ( *1 )

« Pourvoi – Santé publique – Médicaments à usage humain – Règlement (CE) no 726/2004 – Refus d’autorisation de mise sur le marché du médicament à usage humain – Aplidin – plitidepsine – Agence européenne des médicaments (EMA) – Impartialité des experts d’un groupe scientifique consultatif (GSC) – Politique de l’Agence européenne des médicaments concernant le traitement des intérêts concurrents des membres des comités scientifiques et des experts – Notion d’

“entreprise pharmaceutique” – Portée de
l’exclusion en faveur des “instituts de recherche” – Notion de “produits riva...

 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

22 juin 2023 ( *1 )

« Pourvoi – Santé publique – Médicaments à usage humain – Règlement (CE) no 726/2004 – Refus d’autorisation de mise sur le marché du médicament à usage humain – Aplidin – plitidepsine – Agence européenne des médicaments (EMA) – Impartialité des experts d’un groupe scientifique consultatif (GSC) – Politique de l’Agence européenne des médicaments concernant le traitement des intérêts concurrents des membres des comités scientifiques et des experts – Notion d’“entreprise pharmaceutique” – Portée de
l’exclusion en faveur des “instituts de recherche” – Notion de “produits rivaux” »

Dans les affaires jointes C‑6/21 P et C‑16/21 P,

ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits le 7 janvier 2021,

République fédérale d’Allemagne, représentée initialement par M. J. Möller et Mme S. Heimerl, puis par MM. J. Möller et P.-L. Krüger, en qualité d’agents (C‑6/21 P),

partie requérante,

soutenue par :

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme M. K. Bulterman, M. J. Langer et Mme C. S. Schillemans, en qualité d’agents,

Agence européenne des médicaments (EMA), représentée par M. S. Drosos, Mme H. Kerr et M. S. Marino, en qualité d’agents,

parties intervenantes au pourvoi,

les autres parties à la procédure étant :

Pharma Mar SA, établie à Colmenar Viejo (Espagne), représentée par Mes M. Merola et V. Salvatore, avvocati,

partie demanderesse en première instance,

Commission européenne, représentée par Mme L. Haasbeek et M. A. Sipos, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

et

République d’Estonie, représentée par Mme N. Grünberg, en qualité d’agent (C‑16/21 P),

partie requérante,

soutenue par :

République fédérale d’Allemagne, représentée initialement par M. J. Möller et Mme S. Heimerl, puis par MM. J. Möller et D. Klebs, et, enfin, par MM. J. Möller et P.-L. Krüger, en qualité d’agents,

Royaume des Pays-Bas, représenté Mme M. K. Bulterman, M. J. Langer et Mme C. S. Schillemans, en qualité d’agents,

Agence européenne des médicaments (EMA), représentée par M. S. Drosos, Mme H. Kerr et M. S. Marino, en qualité d’agents,

parties intervenantes au pourvoi,

les autres parties à la procédure étant :

Pharma Mar SA, établie à Colmenar Viejo, représentée par Mes M. Merola et V. Salvatore, avvocati,

partie demanderesse en première instance,

Commission européenne, représentée par Mme L. Haasbeek et M. A. Sipos, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, présidente de chambre, MM. M. Safjan, N. Piçarra, N. Jääskinen et M. Gavalec (rapporteur), juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. M. Longar, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 octobre 2022,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 janvier 2023,

rend le présent

Arrêt

1 Par leurs pourvois respectifs, la République fédérale d’Allemagne et la République d’Estonie demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 28 octobre 2020, Pharma Mar/Commission (T‑594/18, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2020:512), par lequel celui-ci a annulé la décision d’exécution C(2018) 4831 final de la Commission, du 17 juillet 2018, refusant l’autorisation de mise sur le marché (ci-après l’« AMM ») du médicament à usage humain Aplidin – plitidepsine
(ci-après la « décision litigieuse »), au titre du règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO 2004, L 136, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 1027/2012, du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012 (JO 2012, L 316, p. 38)
(ci-après le « règlement no 726/2004 »).

Le cadre juridique

Le règlement no 726/2004

2 Les considérants 7, 8 et 19 du règlement no 726/2004 énoncent :

« (7) L’expérience acquise depuis l’adoption de la directive 87/22/CEE du Conseil du 22 décembre 1986 portant rapprochement des mesures nationales relatives à la mise sur le marché des médicaments de haute technologie, notamment ceux issus de la biotechnologie [(JO 1987, L 15, p. 38)] a montré qu’il est nécessaire d’instituer une procédure communautaire centralisée d’autorisation obligatoire pour les médicaments de haute technologie, et en particulier pour ceux issus de la biotechnologie, afin de
maintenir le haut niveau d’évaluation scientifique de ces médicaments dans l’Union européenne et de préserver en conséquence la confiance des patients et des professions médicales dans cette évaluation. [...] Cette approche devrait être maintenue, notamment en vue d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur dans le secteur pharmaceutique.

(8) Dans l’optique d’une harmonisation du marché intérieur pour les nouveaux médicaments, il convient également de rendre cette procédure obligatoire pour les médicaments orphelins [...]

[...]

(19) L’Agence [européenne des médicaments (ci-après l’“Agence” ou l’“EMA”)] devrait être principalement chargée de fournir un avis scientifique du meilleur niveau possible aux institutions de la Communauté ainsi qu’aux États membres pour leur permettre d’exercer les compétences que leur confère la législation communautaire, dans le secteur des médicaments, en matière d’autorisation et de surveillance des médicaments. Ce n’est qu’à l’issue d’une évaluation scientifique unique du plus haut niveau
possible de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité des médicaments de haute technologie par l’Agence qu’une [AMM] devrait être octroyée par la Communauté, au moyen d’une procédure rapide assurant une coopération étroite entre la Commission et les États membres. »

3 Aux termes de l’article 9, paragraphes 1 et 2, de ce règlement :

« 1.   L’Agence informe immédiatement le demandeur si, de l’avis du comité des médicaments à usage humain :

a) la demande ne satisfait pas aux critères d’autorisation fixés par le présent règlement ;

[...]

2.   Dans les quinze jours suivant la réception de l’avis visé au paragraphe 1, le demandeur peut notifier par écrit à l’Agence son intention de demander un réexamen de l’avis. [...] »

4 Le titre IV dudit règlement, intitulé « L’Agence européenne des médicaments – Responsabilités et structure administrative », comporte un chapitre 1, lui-même intitulé « Missions de l’Agence », qui se compose des articles 55 à 66 du même règlement.

5 L’article 56 du règlement no 726/2004 énonce, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   L’Agence se compose :

a) du comité des médicaments à usage humain, chargé d’élaborer l’avis de l’Agence sur toute question relative à l’évaluation de médicaments à usage humain ;

[...]

c) du comité des médicaments orphelins ;

[...]

d bis) du comité des thérapies innovantes ;

[...]

2.   Les comités visés au paragraphe 1, points a) à d bis), ont chacun la faculté d’instituer des groupes de travail permanents et temporaires. Les comités visés au paragraphe 1, points a) et b), peuvent créer des groupes scientifiques consultatifs dans le cadre de l’évaluation de types particuliers de médicaments ou de traitements, auxquels le comité concerné peut déléguer certaines tâches ayant trait à l’élaboration des avis scientifiques visés aux articles 5 et 30.

Lorsqu’ils instituent des groupes de travail et des groupes scientifiques consultatifs, les comités prévoient, dans leur règlement intérieur visé à l’article 61, paragraphe 8 :

a) les modalités de la nomination des membres de ces groupes de travail et groupes scientifiques consultatifs à partir des listes d’experts visées à l’article 62, paragraphe 2, deuxième alinéa ; et

b) les modalités de consultation de ces groupes de travail et groupes scientifiques consultatifs. »

6 L’article 57 de ce règlement dispose, à son paragraphe 1 :

« L’Agence donne aux États membres et aux institutions de la Communauté les meilleurs avis scientifiques possibles sur toute question relative à l’évaluation de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité des médicaments à usage humain ou vétérinaire qui lui est soumise conformément aux dispositions de la législation communautaire relative aux médicaments.

[...] »

7 L’article 62 dudit règlement prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Lorsque, en application du présent règlement, un des comités visés à l’article 56, paragraphe 1, est chargé d’évaluer un médicament à usage humain, il désigne un de ses membres pour agir en qualité de rapporteur en tenant compte des compétences disponibles dans l’État membre en question. Le comité concerné peut désigner un second membre comme corapporteur.

[...]

Lorsqu’il consulte un groupe scientifique consultatif visé à l’article 56, paragraphe 2, le comité lui transmet les projets de rapports d’évaluation établis par le rapporteur ou le corapporteur. L’avis du groupe scientifique consultatif est transmis au président du comité compétent de manière à assurer le respect des délais fixés à l’article 6, paragraphe 3, et à l’article 31, paragraphe 3.

Le contenu de cet avis est inclus dans le rapport d’évaluation publié conformément à l’article 13, paragraphe 3, et à l’article 38, paragraphe 3.

En cas de demande de réexamen d’un de ses avis, lorsque la législation de l’Union prévoit cette possibilité, le comité concerné nomme un rapporteur et, le cas échéant, un corapporteur différents de ceux qui ont été désignés pour l’avis initial. La procédure de réexamen ne peut porter que sur des points de l’avis identifiés au préalable par le demandeur et ne peut être fondée que sur les données scientifiques qui étaient disponibles au moment où le comité a adopté l’avis initial. Le demandeur peut
demander que le comité consulte un groupe scientifique consultatif dans le cadre du réexamen.

2.   Les États membres transmettent à l’Agence le nom d’experts nationaux possédant une expérience confirmée dans l’évaluation des médicaments à usage humain et qui, en tenant compte de l’article 63, paragraphe 2, seraient disponibles pour participer à des groupes de travail ou groupes scientifiques consultatifs des comités visés à l’article 56, paragraphe 1, en indiquant leurs qualifications et leurs domaines spécifiques de compétence.

L’Agence tient à jour une liste d’experts accrédités. Cette liste comprend les experts visés au premier alinéa ainsi que d’autres experts désignés directement par l’Agence. Cette liste est mise à jour. »

8 Aux termes de l’article 63, paragraphe 2, du même règlement :

« Les membres du conseil d’administration, les membres des comités, les rapporteurs et les experts ne peuvent pas avoir d’intérêt financier ou autre dans l’industrie pharmaceutique qui serait de nature à compromettre leur impartialité. Ils s’engagent à agir au service de l’intérêt public et dans un esprit d’indépendance et font chaque année une déclaration d’intérêts financiers. Tout intérêt indirect susceptible d’avoir un lien avec l’industrie pharmaceutique est déclaré dans un registre détenu
par l’Agence et accessible au public, sur demande, dans les locaux de l’Agence.

Le code de conduite de l’Agence prévoit les mesures concrètes pour la mise en œuvre du présent article, en particulier en ce qui concerne l’acceptation de dons.

Les membres du conseil d’administration, les membres des comités, rapporteurs et experts qui participent aux réunions ou groupes de travail de l’Agence déclarent à chaque réunion, eu égard aux points à l’ordre du jour, les intérêts particuliers qui pourraient être considérés comme préjudiciables à leur indépendance. Ces déclarations sont rendues accessibles au public. »

Le règlement (CE) no 141/2000

9 Le considérant 7 du règlement (CE) no 141/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1999, concernant les médicaments orphelins (JO 2000, L 18, p. 1), énonce :

« [...] il y a [...] lieu de soumettre les médicaments orphelins à la procédure d’évaluation habituelle ; [...] »

Le code de conduite de l’EMA

10 L’European Medicines Agency Code of Conduct (code de conduite de l’Agence européenne du médicament), dans sa version du 16 juin 2016 (EMA/385894/2012 rev.1.) (ci-après le « code de conduite de l’EMA »), prévoit, à son point 2.3.3 :

« S’agissant des membres du conseil d’administration ou des comités scientifiques, des rapporteurs et des experts, ainsi que des membres du personnel de l’EMA, la participation aux travaux de l’EMA est subordonnée à la communication d’une déclaration d’intérêts signée et à une analyse des intérêts ainsi déclarés. Les restrictions applicables aux personnes concernées s’agissant des tâches susceptibles de leur être assignées dans le cadre de la mission et des responsabilités de l’EMA dépendront de
leurs intérêts concurrents et des fonctions exercées. Les restrictions pertinentes sont détaillées dans les documents d’orientation politique de l’Agence. »

La politique de l’EMA

11 L’European Medicines Agency policy on the handling of competing interests of scientific committees’ members and experts (Politique de l’Agence européenne des médicaments concernant le traitement des intérêts concurrents des membres des comités scientifiques et des experts), dans sa version du 6 octobre 2016 (EMA/626261/2014. Rev. 1, ci-après la « politique de l’EMA »), comporte un point 3.2.2, intitulé « Autres définitions », qui définit la notion d’« entreprise pharmaceutique » de la façon
suivante :

« Par “entreprise pharmaceutique” on entend : toute personne physique ou morale ayant pour vocation de découvrir, mettre au point, produire, commercialiser et/ou distribuer des médicaments. Aux fins de la présente politique, la définition inclut les entreprises auxquelles des activités liées à la découverte, à la mise au point, à la production, à la commercialisation et à la maintenance des médicaments (qui peuvent aussi se dérouler en interne) sont confiées dans le cadre d’un contrat.

À cet égard, les organismes de recherche clinique ou les sociétés de conseil qui fournissent des avis ou des services relatifs aux activités susmentionnées relèvent de la définition d’entreprise pharmaceutique.

Les personnes physiques ou morales qui ne relèvent pas de cette définition mais qui i) contrôlent (c’est-à-dire détiennent une participation majoritaire dans une entreprise pharmaceutique ou exercent une influence considérable dans les processus décisionnels d’une telle entreprise), ii) sont contrôlées par ou iii) sont placées sous le contrôle commun d’une entreprise pharmaceutique sont considérées comme des entreprises pharmaceutiques aux fins de la présente politique.

Les chercheurs indépendants et les instituts de recherche, y compris les universités et les sociétés savantes, sont exclus du champ de la présente définition. »

12 Aux termes du point 4.1 de la politique de l’EMA, intitulé « Objectifs de la politique » :

« Le principal objectif de cette politique est de s’assurer que les membres des comités scientifiques et les experts participant aux activités de l’Agence n’ont pas d’intérêts dans l’industrie pharmaceutique susceptibles d’affecter leur impartialité, conformément aux exigences de la législation de l’Union. Il faut toutefois trouver un équilibre avec la nécessité d’obtenir la meilleure expertise scientifique (spécialistes) pour l’évaluation et la surveillance des médicaments à usages humain et
vétérinaire. C’est pourquoi, il est de la plus haute importance de rechercher un équilibre optimal entre la période de réflexion pour les intérêts déclarés et le maintien de l’expertise scientifique.

Afin d’atteindre cet objectif et de trouver l’équilibre susmentionné, l’accent est d’abord mis sur la nature de l’intérêt déclaré avant de déterminer la durée d’application de toute restriction éventuelle. »

13 Aux termes du point 4.2.1.2 de cette politique, intitulé « Limiter l’implication dans les activités de l’Agence » :

« Niveaux des restrictions et périodes à prendre en compte

– L’implication de l’individu dans les activités de l’Agence est limitée en tenant compte de trois facteurs : la nature de l’intérêt déclaré, la période au cours de laquelle cet intérêt a existé, ainsi que le type d’activité. La méthodologie suivante est appliquée : on examine d’abord la nature de l’intérêt déclaré dans le cadre de l’activité spécifique de l’Agence, avant de déterminer la durée d’application de toute restriction.

– En règle générale, un emploi [...] actuel dans une entreprise pharmaceutique ou des intérêts financiers actuels dans l’industrie pharmaceutique sont incompatibles avec la participation aux activités de l’Agence. Une exception à cette règle générale concerne le témoin expert. Les intérêts financiers actuels sont compatibles avec une implication en tant que témoin expert.

– Les exigences relatives à l’appartenance aux organes de décision (c’est-à-dire les comités scientifiques) sont plus strictes que pour les organes consultatifs [c’est–à–dire les groupes scientifiques consultatifs (GSC) et les groupes d’experts ad hoc].

– Les exigences sont également plus strictes pour les présidents/vice-présidents des comités scientifiques que pour les présidents/vice-présidents des autres forums et que pour les membres des comités scientifiques et des autres forums. De même, les exigences sont plus strictes pour les rapporteurs (ou un rôle de direction/coordination équivalent) et les pairs examinateurs officiellement nommés que pour les autres membres des forums scientifiques.

– La période à prendre en compte en fonction de l’intérêt direct ou indirect déclaré est, soit la période actuelle, soit les 3 dernières années, soit dans certains cas, [...] une période plus longue [...]

– [...]

Cas spécifiques des produits rivaux

Dans le cas particulier des produits rivaux (anciennement désignés “produits concurrents”), une approche à deux niveaux s’applique :

– la notion de produits rivaux a trait aux situations dans lesquelles il n’existe qu’un très petit nombre (un à deux) de produits rivaux. La même chose s’appliquerait à une marque dominante lorsqu’un produit générique est examiné ;

– en ce qui concerne les indications larges, étant donné que de nombreux produits sont autorisés pour la même indication, le volume existant de concurrence dilue de manière adéquate de potentiels intérêts.

Dans des situations se caractérisant par un petit nombre seulement de produits rivaux, comme indiqué ci-dessus, les conséquences auront trait aux présidents et vice-présidents des comités scientifiques et des groupes ainsi qu’aux rapporteurs et autres membres ayant un rôle de direction/codirection et aux pairs évaluateurs officiellement nommés. »

Les antécédents du litige

14 Les antécédents du litige sont exposés aux points 1 à 11 de l’arrêt attaqué et peuvent être résumés comme suit.

15 Pharma Mar SA est une société qui exerce son activité dans le domaine de la recherche sur l’oncologie. Le 16 novembre 2004, elle a obtenu, en application du règlement no 141/2000, la désignation du médicament Aplidin, dont la substance active est la plitidepsine, comme médicament orphelin pour le traitement du myélome multiple, qui est un cancer grave de la moelle osseuse.

16 Le 21 septembre 2016, Pharma Mar a, en vertu de l’article 4 du règlement no 726/2004, présenté à l’EMA une demande d’AMM de l’Aplidin. Cette demande d’AMM portait sur l’indication suivante : « en combinaison avec de la dexaméthasone, pour le traitement du myélome multiple récidivant/réfractaire chez des patients adultes ayant déjà reçu au moins trois traitements antérieurs, dont du bortézomib et, soit du lénalidomide, soit du thalidomide ».

17 Le 14 décembre 2017, le comité des médicaments à usage humain de l’EMA (ci–après le « CHMP ») a émis un avis recommandant à la Commission européenne de rejeter la demande d’AMM de l’Aplidin au motif que l’efficacité et la sécurité du produit n’étaient pas suffisamment démontrées et que, par conséquent, les bénéfices n’étaient pas supérieurs aux risques.

18 Pharma Mar a, sur le fondement de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 726/2004, présenté à l’EMA, le 3 janvier 2018, une demande de réexamen de l’avis du CHMP, assortie d’une demande de consultation d’un groupe scientifique consultatif, conformément à l’article 62, paragraphe 1, de ce règlement.

19 La procédure de réexamen a débuté le 15 février 2018. Le 7 mars 2018, s’est tenue une réunion du groupe scientifique consultatif sur l’oncologie (ci-après le « GSC oncologie »), lequel était composé de cinq membres principaux, de six experts additionnels et de deux représentants des patients.

20 Le 21 mars 2018, Pharma Mar a présenté ses observations orales devant le CHMP. Le 22 mars 2018, le CHMP a confirmé son avis du 14 décembre 2017 et un projet de décision de la Commission rejetant la demande d’AMM de l’Aplidin a été élaboré.

21 Le 17 juillet 2018, la Commission a adopté la décision litigieuse, laquelle comporte une annexe intitulée « Conclusions scientifiques et motifs de refus présentés par l’EMA », qui correspond à l’avis du CHMP.

Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

22 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er octobre 2018, Pharma Mar a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

23 À l’appui de son recours, Pharma Mar a invoqué cinq moyens. Ceux-ci étaient tirés de la violation, premièrement, de l’obligation d’examen impartial de la demande d’AMM de l’Aplidin par les membres du GSC oncologie, deuxièmement, du principe de bonne administration, troisièmement, l’article 12 du règlement no 726/2004 et du principe d’égalité de traitement, quatrièmement, de l’obligation de motivation ainsi que, cinquièmement, des droits de la défense.

24 Le premier moyen comportait deux branches. Dans le cadre de la première branche de ce moyen, Pharma Mar contestait le manque d’impartialité et, plus spécifiquement, la participation au vote de deux experts du GSC oncologie (ci-après, ensemble, les « deux experts »). Elle soutenait qu’ils auraient dû être exclus du vote dès lors qu’ils avaient déclaré des intérêts incompatibles avec un examen impartial de la demande d’AMM de l’Aplidin. Pharma Mar visait, d’une part, un professeur (ci-après le
« premier expert »), qui était vice-président du GSC oncologie et l’un des cinq membres principaux de ce GSC. Ce premier expert était employé par un institut universitaire (ci-après l’« Institut »), établissement d’enseignement renommé dans le domaine médical. Selon Pharma Mar, l’Institut exerce une influence importante sur l’hôpital universitaire dans lequel il se situe et sur un centre professionnel de recherche clinique, lesquels devraient être qualifiés d’organismes de recherche clinique et,
partant, être assimilés à des entreprises pharmaceutiques, en application du point 3.2.2 de la politique de l’EMA. Pharma Mar visait, d’autre part, une autre personne, également professeur et salarié de l’Institut (ci-après le « second expert »), qui était l’un des six experts additionnels du GSC oncologie et qui avait déclaré participer au développement de produits concurrents de l’Aplidin.

25 Au point 84 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a souligné l’influence potentielle du GSC oncologie sur le déroulement et l’issue de la procédure d’AMM de l’Aplidin, ainsi que le rôle important assuré au sein de ce groupe par le premier expert, en sa qualité de président de la réunion du 7 mars 2018. Partant, en raison de la participation des deux experts au GSC oncologie, de leur lien d’emploi avec l’hôpital universitaire et des activités du second expert en lien avec des médicaments concurrents de
l’Aplidin, le Tribunal a considéré que la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision litigieuse n’offrait pas de garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé.

26 Le Tribunal a donc estimé, au point 85 de l’arrêt attaqué, qu’il y avait lieu d’accueillir la première branche du premier moyen et d’annuler, pour ce motif, la décision litigieuse, sans qu’il soit besoin de statuer sur la seconde branche du premier moyen ni sur les autres moyens de la requête.

Les conclusions des parties

27 Par son pourvoi dans l’affaire C‑6/21 P, la République fédérale d’Allemagne demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– de confirmer la décision litigieuse et de rejeter le recours ;

– à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

– de condamner Pharma Mar aux dépens.

28 Par son pourvoi dans l’affaire C‑16/21 P, la République d’Estonie demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué, et

– de condamner chaque partie à supporter ses propres dépens afférents au pourvoi.

29 Pharma Mar demande à la Cour :

– de déclarer qu’il n’est pas nécessaire de statuer sur les pourvois ou de les rejeter comme irrecevables ou non fondés, et

– de condamner les parties requérantes au pourvoi à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux de Pharma Mar liés aux pourvois.

La procédure devant la Cour

30 Par décision du président de la Cour du 30 mars 2021, les pourvois dans les affaires C‑6/21 et C‑16/21 ont été joints aux fins des procédures écrites et orales ainsi que de l’arrêt.

31 Par décisions des 8 juillet et 17 septembre 2021, le Président de la Cour a autorisé, dans l’affaire C‑6/21 P, respectivement le Royaume des Pays-Bas et l’EMA à intervenir au soutien des conclusions de la République fédérale d’Allemagne.

32 Par décisions des 8 et 9 juillet, ainsi que du 17 septembre 2021, le Président de la Cour a autorisé, dans l’affaire C‑16/21 P, respectivement le Royaume des Pays-Bas, la République fédérale d’Allemagne et l’EMA à intervenir au soutien des conclusions de la République d’Estonie.

Sur les pourvois

33 Au soutien de son pourvoi dans l’affaire C‑6/21, la République fédérale d’Allemagne soulève quatre moyens tirés, premièrement, d’une violation de la notion d’« entreprise pharmaceutique », au sens du point 3.2.2 de la politique de l’EMA, deuxièmement, d’une répartition erronée de la charge de l’allégation et de la charge de la preuve, troisièmement, d’une violation de la notion de « médicament concurrent », au sens du point 4.2.1.2 de la politique de l’EMA, lors de l’appréciation de
l’impartialité des experts, ainsi que, quatrièmement, de l’absence d’influence décisive du second expert.

34 Quant à la République d’Estonie, elle invoque, au soutien de son pourvoi dans l’affaire C‑16/21, trois moyens tirés, premièrement, d’une violation de la notion d’« entreprise pharmaceutique », au sens du point 3.2.2 de la politique de l’EMA, deuxièmement, d’une violation de la notion de « médicament concurrent », au sens du point 4.2.1.2 de la politique de l’EMA, lors de l’appréciation de l’impartialité des experts, ainsi que, troisièmement, d’une méconnaissance du rôle des experts et de leur
influence sur les conclusions du GSC oncologie.

35 Pharma Mar excipe de l’irrecevabilité des pourvois formés par la République fédérale d’Allemagne et par la République d’Estonie et, à titre subsidiaire, conteste les moyens que ces États membres ont soulevés au soutien de leurs pourvois respectifs.

Sur l’exception d’irrecevabilité des pourvois

36 Pharma Mar considère que les pourvois sont dépourvus d’objet et qu’ils devraient donc être déclarés irrecevables. En effet, il résulterait de la jurisprudence de la Cour que, bien que les États membres et les institutions de l’Union n’aient pas à démontrer un intérêt spécifique à former un pourvoi contre une décision du Tribunal, encore faudrait-il que ce pourvoi soit susceptible, s’il est accueilli, de leur procurer un bénéfice.

37 Or, en l’espèce, l’arrêt attaqué se limiterait à imposer à l’EMA de procéder à un nouveau réexamen, en conformité avec l’exigence d’impartialité, de la demande d’AMM de l’Aplidin. Telle serait la raison pour laquelle la Commission et l’EMA ont décidé de ne pas former de pourvoi contre l’arrêt attaqué, mais de se concentrer sur le lancement rapide d’une nouvelle procédure de réexamen. Pharma Mar demande donc à la Cour de déclarer d’office qu’il n’est pas nécessaire de statuer sur les pourvois, qui
viseraient simplement à clarifier des questions hypothétiques, seulement susceptibles de se poser dans de futures affaires.

38 À cet égard, s’agissant de l’intérêt à agir, il résulte de l’article 56, deuxième et troisième alinéas, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que, indépendamment du fait qu’il ait été partie au litige en première instance, un État membre peut former un pourvoi contre toute décision du Tribunal, même celles qui ne l’affectent pas directement, dès lors qu’il n’a pas à faire la preuve d’un intérêt pour pouvoir former un pourvoi contre celles-ci (voir, en ce sens, arrêts du 8 juillet
1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 171, ainsi que du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, points 44 et 45).

39 S’agissant du défaut d’objet, par leurs pourvois respectifs, la République fédérale d’Allemagne et la République d’Estonie poursuivent l’annulation de l’arrêt attaqué qui fonde l’irrégularité de la procédure d’AMM de l’Aplidin sur le défaut d’impartialité objective des experts en cause. Les présents pourvois visent à reconnaître la légalité de la procédure qui a conduit à opposer un refus à la demande d’AMM, ce qui atteste, en tout état de cause, qu’ils ne sont pas dépourvus d’objet.

40 Il y a donc lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par Pharma Mar.

Sur les premiers moyens dans les affaires C‑6/21 P et C‑16/21 P, tirés de la violation du point 3.2.2 de la politique de l’EMA ainsi que de l’article 41, paragraphe 1, de la Charte

Argumentation des parties

41 Par leur premier moyen, la République fédérale d’Allemagne et la République d’Estonie contestent les points 58 à 65 de l’arrêt attaqué. Elles soutiennent que la politique de l’EMA offre suffisamment de garanties pour exclure tout doute quant à l’impartialité des membres du GSC oncologie, de sorte que le Tribunal aurait interprété et appliqué de manière erronée le point 3.2.2 de cette politique et, partant, méconnu le droit à une bonne administration garanti à l’article 41, paragraphe 1, de la
charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

42 Ces États membres allèguent que le Tribunal a assimilé, à tort, aux points 61 et 65 de l’arrêt attaqué, l’hôpital universitaire, dans son ensemble, à une « entreprise pharmaceutique », au sens du point 3.2.2 de la politique de l’EMA. Il en aurait déduit, de manière tout aussi erronée, que la relation d’emploi qui existait entre cet hôpital et certains experts du GSC oncologie plaçait automatiquement ceux-ci dans une situation potentielle de conflit d’intérêts, susceptible de susciter un doute
quant à leur impartialité.

43 Pharma Mar considère que ce moyen n’est pas fondé. Cette partie fait valoir que, à supposer même que l’EMA jouisse effectivement de la marge d’appréciation alléguée pour garantir l’impartialité des experts de cette agence, la politique de l’EMA ne contient aucune règle spécifique pertinente en l’espèce. L’EMA n’aurait donc jamais exercé ce pouvoir d’appréciation lorsqu’elle a défini sa politique. En l’espèce, le centre de thérapie cellulaire au sein de l’hôpital universitaire est impliqué dans le
développement d’un produit rival de l’Aplidin, sans qu’un tiers observateur puisse facilement apprécier si l’impartialité objective est respectée, dès lors que ce centre n’est pas juridiquement distinct de l’hôpital universitaire. En outre, la Commission n’aurait pas prouvé l’absence de contrôle entre l’hôpital universitaire et ce centre. Pharma Mar souligne, par ailleurs, que la jurisprudence de la Cour exige que des garanties suffisantes soient offertes pour exclure tout doute légitime quant à
l’existence d’un conflit d’intérêts.

Appréciation de la Cour

44 À titre liminaire, il convient d’examiner l’argument soulevé par Pharma Mar, dans son mémoire en réponse, selon lequel, en substance, la politique de l’EMA est dénuée de pertinence pour apprécier l’impartialité d’un expert du GSC oncologie ayant déclaré des intérêts dans des produits rivaux de médicaments orphelins.

45 À cet égard, il y a lieu, tout d’abord, de relever que le considérant 8 du règlement no 726/2004 énonce clairement que, dans l’optique d’une harmonisation du marché intérieur pour les nouveaux médicaments, il convient de rendre obligatoire pour les médicaments orphelins également la procédure centralisée d’autorisation de l’Union. Ensuite, il découle du considérant 7 du règlement no 141/2000 que, afin que les patients souffrant d’affections rares aient droit à des médicaments dont la qualité, la
sécurité et l’efficacité sont équivalentes à celles des médicaments dont bénéficient les autres patients, il y a lieu de soumettre les médicaments orphelins à la procédure d’évaluation habituelle, autrement dit à la procédure prévue par le règlement no 726/2004. Enfin, selon l’article 57, paragraphe 1, de ce dernier règlement, l’EMA est chargée de rendre les meilleurs avis scientifiques possibles sur toute question relative à l’évaluation de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité des
médicaments à usage humain ou vétérinaire qui lui est soumise conformément aux dispositions de la législation de l’Union relative aux médicaments. Par sa généralité, cette formulation inclut nécessairement les médicaments orphelins.

46 Il s’ensuit, ainsi que l’EMA l’a déclaré lors de l’audience, que la politique de l’EMA est un document global s’appliquant indistinctement à tous les médicaments, qu’ils soient orphelins ou non. Ainsi, contrairement à ce que soutient Pharma Mar, l’impartialité d’un expert du GSC oncologie ayant déclaré des intérêts dans des produits rivaux du médicament orphelin considéré peut être examinée au regard de la politique de l’EMA.

47 Cela étant précisé, il convient d’examiner l’argumentation de la République fédérale d’Allemagne et de la République d’Estonie selon laquelle le Tribunal a commis une erreur de droit, au point 61 de l’arrêt attaqué, en interprétant de manière large la notion d’« entreprise pharmaceutique », au sens du point 3.2.2 de la politique de l’EMA, et en méconnaissant ainsi la large marge d’appréciation conférée à l’EMA par le législateur de l’Union pour garantir l’impartialité des experts de cette agence,
ainsi que le libellé de ce point 3.2.2.

48 À cet égard, il importe de relever, en premier lieu, que le règlement no 726/2004 entend, ainsi qu’il découle notamment de ses considérants 7 et 8, assurer le bon fonctionnement du marché intérieur dans le secteur pharmaceutique et harmoniser le marché intérieur pour les nouveaux médicaments. Telle est la raison pour laquelle le législateur de l’Union a notamment fondé ce règlement sur l’article 95 CE, cette disposition lui permettant d’arrêter les mesures relatives au rapprochement des
dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur.

49 Or, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, par l’expression « mesures relatives au rapprochement » figurant à l’article 95 CE, les auteurs du traité ont voulu conférer au législateur de l’Union, en fonction du contexte général et des circonstances spécifiques de la matière à harmoniser, une marge d’appréciation quant à la technique de rapprochement la plus appropriée afin d’aboutir au résultat souhaité, en particulier dans des domaines qui se caractérisent par des particularités techniques complexes.
Cette marge d’appréciation peut notamment être utilisée afin de choisir la technique d’harmonisation la plus appropriée lorsque le rapprochement envisagé requiert des analyses physiques, chimiques ou biologiques, ainsi que la prise en compte des développements scientifiques relatifs à la matière concernée (arrêt du 6 décembre 2005, Royaume-Uni/Parlement et Conseil, C‑66/04, EU:C:2005:743, points 45 et 46).

50 Eu égard à la marge d’appréciation qui lui est ainsi conférée par l’article 95 CE, le législateur de l’Union a choisi, en ce qui concerne l’exigence d’impartialité des experts de l’EMA, de fixer des critères essentiels dans le règlement de base, puis de confier à cette agence le soin de les mettre en œuvre. Tel est l’objet de l’article 63 du règlement no 726/2004, qui assujettit les membres du conseil d’administration, les membres des comités, les rapporteurs et les experts de l’EMA à des
obligations d’impartialité et d’indépendance, tout en précisant que la mise en œuvre de ces exigences est confiée à l’EMA, à qui il incombe d’adopter un code de conduite.

51 Le législateur de l’Union a ainsi confié à l’EMA l’arbitrage à opérer entre, d’une part, la double exigence d’impartialité et d’indépendance de ses experts, telle qu’énoncée à l’article 63, paragraphe 2, de ce règlement, et, d’autre part, l’intérêt public, mentionné à l’article 57, paragraphe 1, dudit règlement, tenant à la nécessité de disposer des meilleurs avis scientifiques possibles sur toute question relative à l’évaluation de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité des médicaments à
usage humain ou vétérinaire qui lui est soumise.

52 En deuxième lieu, afin de permettre à l’EMA de poursuivre efficacement l’objectif qui lui est ainsi assigné, et en considération des évaluations techniques complexes qu’elle doit opérer, le large pouvoir d’appréciation qui lui est reconnu (voir, par analogie, arrêt du 18 juillet 2007, Industrias Químicas del Vallés/Commission, C‑326/05 P, EU:C:2007:443, point 75), se manifeste notamment dans la définition des critères devant présider à l’impartialité et à l’indépendance des personnes contribuant
à l’élaboration de ses avis scientifiques.

53 À cet égard, le point 2.3.3 du code de conduite de l’EMA renvoie, à son tour, aux documents d’orientation de cette agence pour détailler les restrictions applicables aux membres du conseil d’administration ou des comités scientifiques, aux rapporteurs et aux experts. Ces restrictions, qui sont fonction des activités, du rôle et des responsabilités de chacune de ces personnes au sein de l’EMA, doivent être en adéquation avec leurs intérêts concurrents et le rôle qui leur est confié.

54 Ainsi, le point 4.1, premier alinéa, de la politique de l’EMA, qui concrétise l’article 57, paragraphe 1, du règlement no 726/2004, énonce que « [l]e principal objectif de cette politique est de garantir que les membres des comités scientifiques et les experts participant aux activités de l’Agence n’ont pas d’intérêts dans l’industrie pharmaceutique susceptibles d’affecter leur impartialité, conformément aux exigences de la législation de l’Union. Il faut toutefois trouver un équilibre avec la
nécessité d’obtenir la meilleure expertise scientifique (spécialistes) pour l’évaluation et la surveillance des médicaments à usage humain et vétérinaire. C’est pourquoi, il est de la plus haute importance de rechercher un équilibre optimal entre la période de réflexion pour les intérêts déclarés et le maintien de l’expertise scientifique ».

55 En outre, le point 4.2.1.2 de cette politique prévoit que, « [e]n règle générale, un emploi actuel dans une entreprise pharmaceutique ou des intérêts financiers actuels dans l’industrie pharmaceutique sont incompatibles avec la participation aux activités de l’Agence. [...] ».

56 En troisième lieu, ainsi qu’il ressort du libellé du point 3.2.2 de la politique de l’EMA, visé au point 11 du présent arrêt, il convient de déterminer, dans un premier temps, si un hôpital universitaire peut être assimilé aux « instituts de recherche » et, par conséquent, être exclu du champ d’application de la définition d’« entreprise pharmaceutique ». Dans l’affirmative, il conviendra, dans un second temps, d’examiner si le fait qu’un hôpital universitaire contrôle le centre de thérapie
cellulaire, dont il est constant qu’il constitue une entreprise pharmaceutique, conduit à le priver du bénéfice de cette exclusion.

57 Sur le premier point, il résulte du libellé de ladite disposition que, tandis que ses trois premiers alinéas définissent positivement l’« entreprise pharmaceutique », son dernier alinéa exclut du champ d’application de cette définition « [l]es chercheurs indépendants et les instituts de recherche, y compris les universités et les sociétés savantes ». Eu égard à la formulation employée, notamment à la locution « y compris », cette énumération ne saurait être considérée comme étant exhaustive.

58 Or, il découle d’une interprétation finaliste du point 3.2.2 de la politique de l’EMA que les hôpitaux universitaires doivent être assimilés à des instituts de recherche.

59 En effet, premièrement, la dénomination des hôpitaux universitaires témoigne de la proximité qu’ils entretiennent avec une université qui est, quant à elle, expressément exclue du périmètre de l’« entreprise pharmaceutique ».

60 Deuxièmement, ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 57 de l’arrêt attaqué, un hôpital universitaire exerce un triple rôle, de soins, d’enseignement et de recherche. Ainsi que l’ont soutenu la République fédérale d’Allemagne et la République d’Estonie, les universités et les hôpitaux universitaires se consacrent essentiellement et, en règle générale, en vertu de la loi, à la recherche scientifique à but non lucratif dans l’intérêt de la santé, ils sont soumis à une série de normes éthiques
strictes dans le cadre des recherches qu’ils effectuent et ils ne participent pas à la commercialisation des médicaments.

61 Troisièmement, ainsi que l’ont exposé à juste titre tant la République d’Estonie que le Royaume des Pays-Bas et l’EMA aussi bien dans leurs écritures que lors de l’audience, le fait d’exclure les hôpitaux universitaires de la notion d’« entreprise pharmaceutique », au sens du point 3.2.2 de la politique de l’EMA, contribue à atteindre un équilibre entre la nécessité d’effectuer, d’une part, un examen impartial des demandes d’AMM d’un médicament et, d’autre part, un examen scientifique attentif et
le plus précis possible concernant les questions qui se posent lors de l’évaluation d’un médicament. Or, afin d’atteindre cet équilibre, il apparaît nécessaire, ainsi que le soulignent ces parties, d’autoriser l’EMA à désigner en tant qu’expert des personnes qui appartiennent au personnel des hôpitaux universitaires dès lors que, conformément au point 4.2.1.2, deuxième alinéa, de cette politique, elle ne peut désigner en cette qualité, hormis pour les témoins experts, des personnes occupant un
emploi dans l’industrie pharmaceutique ou y ayant des intérêts financiers actuels.

62 Il découle des considérations qui précèdent qu’un hôpital universitaire doit être exclu du champ d’application de la notion d’« entreprise pharmaceutique », au sens du point 3.2.2 de ladite politique.

63 Aussi, convient-il d’examiner, dans un second temps, si le fait qu’un hôpital universitaire contrôle une entreprise pharmaceutique, en l’occurrence le centre de thérapie cellulaire, conduit à considérer que cet hôpital ne relève pas de cette exclusion.

64 Aux termes du quatrième et dernier alinéa de la notion d’« entreprise pharmaceutique » définie au point 3.2.2 de la politique de l’EMA, « [l]es chercheurs indépendants et les instituts de recherche, y compris les universités et les sociétés savantes, sont exclus du champ de [cette] définition ». Formulée de manière univoque, cette disposition n’assortit l’exclusion qu’elle prévoit d’aucune exception.

65 Or, l’EMA a, en substance, souligné, lors de l’audience, qu’un hôpital universitaire est fréquemment doté d’une petite entité qui fabrique des médicaments et qui remplit les critères pour être qualifiée d’« entreprise pharmaceutique », soit parce que ces médicaments disposent d’une courte durée de conservation, ce qui suppose de pouvoir les administrer très rapidement après leur fabrication, soit parce qu’ils doivent être produits à partir de matières biologiques prélevées sur les patients. Dans
un tel contexte, l’exclusion sans réserve des instituts de recherche du champ d’application de la définition de l’« entreprise pharmaceutique », au sens du point 3.2.2 de la politique de l’EMA, témoigne de l’intention de l’EMA, dans le cadre de l’habilitation qui lui a été consentie par le législateur de l’Union, ainsi qu’il a été rappelé aux points 50 et 51 du présent arrêt, d’exclure du champ d’application de cette définition les instituts de recherche et, par extension, les hôpitaux
universitaires.

66 En outre, l’application, à un hôpital universitaire, du critère du contrôle énoncé au troisième alinéa de ladite définition de l’entreprise pharmaceutique priverait d’effet utile l’exclusion prévue au quatrième alinéa de cette même définition. En effet, cet hôpital serait entièrement privé du bénéfice de cette exclusion dès lors qu’il contrôlerait une entité remplissant les critères d’une entreprise pharmaceutique, et ce quelle que soit la fraction de ses effectifs affectés à cette entité.

67 Considérer que l’ensemble du personnel d’un hôpital universitaire est employé par une « entreprise pharmaceutique », au sens du point 3.2.2 de cette politique, irait également à l’encontre de l’objectif de l’article 57, paragraphe 1, du règlement no 726/2004, lu en combinaison avec le considérant 19 de celui-ci, ainsi que du point 4.1 de ladite politique, consistant à trouver un équilibre optimal entre l’exigence d’impartialité des membres des comités scientifiques et des experts participant aux
activités de l’Agence et la nécessité de disposer d’un avis scientifique du meilleur niveau possible.

68 En l’occurrence, la République d’Estonie a exposé lors de l’audience, en s’appuyant sur les statistiques relatives à l’année 2021, qu’une telle interprétation aboutirait à considérer que les 4656 salariés employés par l’hôpital universitaire de Tartu (Estonie), qui est l’unique hôpital universitaire de cet État, travaillent pour une entreprise pharmaceutique, alors même que seuls quatre employés sont affectés à la fabrication de médicaments. La République fédérale d’Allemagne a également indiqué,
lors de l’audience, que le plus grand hôpital universitaire allemand, à savoir l’hôpital de la Charité à Berlin, emploie 20900 salariés, dont seulement une centaine, tout au plus, sont affectés aux entités de fabrication à visée commerciale de l’hôpital.

69 Ainsi, le fait de prévoir une exclusion globale des experts des hôpitaux universitaires de la participation aux avis scientifiques de l’EMA au motif que de tels hôpitaux disposent, en leur sein, d’une ou de plusieurs entités susceptibles de constituer des entreprises pharmaceutiques, au sens du point 3.2.2 de la politique de l’EMA, risque d’engendrer une pénurie d’experts possédant des connaissances médicales approfondies dans certains domaines scientifiques, en particulier en matière de
médicaments orphelins et de médicaments innovants. Selon le dossier dont dispose la Cour, le personnel des universités et des hôpitaux universitaires représente, en effet, la part la plus importante du réseau des experts sollicités par l’EMA pour donner un avis scientifique dans le cadre de la procédure d’évaluation de la demande d’AMM d’un médicament.

70 L’exclusion du champ d’application de la notion d’« entreprise pharmaceutique », définie au point 3.2.2 de la politique de l’EMA, prévue au quatrième alinéa de cette définition, ne s’applique toutefois pas aux entités contrôlées par un hôpital universitaire qui remplissent, elles-mêmes, les critères de l’« entreprise pharmaceutique », au sens du premier alinéa de ladite définition.

71 Par conséquent, les personnes employées par une entité contrôlée par un hôpital universitaire ou qui, plus largement, collaborent avec celle-ci ne sauraient être amenées à exprimer un avis scientifique pour l’EMA, si cette entité répond aux critères de la notion d’« entreprise pharmaceutique », telle que définie au point 3.2.2 de la politique de l’EMA.

72 Une telle interprétation est de nature à assurer un équilibre optimal entre l’exigence d’impartialité des experts participant aux activités de l’Agence et l’exigence d’excellence des experts sollicités.

73 Il s’ensuit que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant en l’espèce que l’hôpital universitaire constituait une « entreprise pharmaceutique », au sens du premier alinéa de la définition de ces termes figurant au point 3.2.2 de la politique de l’EMA, du seul fait qu’il contrôlait un centre de thérapie cellulaire qui remplissait, lui-même, les critères de l’« entreprise pharmaceutique », au sens de cette disposition.

74 Il convient, par conséquent, d’accueillir les premiers moyens dans les affaires C‑6/21 P et C‑16/21 P, tirés de la violation du point 3.2.2 de la politique de l’EMA.

75 Les premiers moyens soulevés par la République fédérale d’Allemagne et par la République d’Estonie étant accueillis, il y a lieu d’annuler l’arrêt attaqué, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi soulevés par ces parties.

Sur le renvoi de l’affaire devant le Tribunal

76 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, soit statuer définitivement sur le litige lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

77 En l’espèce, dès lors que, sur le fond, le litige n’est pas en état d’être jugé, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant le Tribunal.

Sur les dépens

78 Le litige étant renvoyé devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens afférents au pourvoi.

  Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête :

  1) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 28 octobre 2020, Pharma Mar/Commission (T‑594/18, non publié, EU:T:2020:512), est annulé.

  2) L’affaire T‑594/18 est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne.

  3) Les dépens sont réservés.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-6/21
Date de la décision : 22/06/2023
Type d'affaire : Pourvoi
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Santé publique – Médicaments à usage humain – Règlement (CE) no 726/2004 – Refus d’autorisation de mise sur le marché du médicament à usage humain – Aplidin – plitidepsine – Agence européenne des médicaments (EMA) – Impartialité des experts d’un groupe scientifique consultatif (GSC) – Politique de l’Agence européenne des médicaments concernant le traitement des intérêts concurrents des membres des comités scientifiques et des experts – Notion d’“entreprise pharmaceutique” – Portée de l’exclusion en faveur des “instituts de recherche” – Notion de “produits rivaux”.

Santé publique


Parties
Demandeurs : République fédérale d'Allemagne
Défendeurs : Pharma Mar SA et Commission européenne et République d'Estonie

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Gavalec

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:502

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