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25/05/2023 | CJUE | N°C-608/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Procédure pénale à caractère administratif contre contre XN., 25/05/2023, C-608/21


 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

25 mai 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive 2012/13/UE – Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales – Article 6 – Droit d’être informé de l’accusation portée contre soi – Article 7 – Droit d’accès aux pièces du dossier – Exercice effectif des droits de la défense – Article 6 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit à la liberté et à la sûreté – Communication des motifs du pl

acement en détention de la personne soupçonnée ou
poursuivie dans un document distinct – Moment auquel cette communication doit ...

 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

25 mai 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive 2012/13/UE – Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales – Article 6 – Droit d’être informé de l’accusation portée contre soi – Article 7 – Droit d’accès aux pièces du dossier – Exercice effectif des droits de la défense – Article 6 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit à la liberté et à la sûreté – Communication des motifs du placement en détention de la personne soupçonnée ou
poursuivie dans un document distinct – Moment auquel cette communication doit être effectuée »

Dans l’affaire C‑608/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie), par décision du 17 septembre 2021, parvenue à la Cour le 29 septembre 2021, dans la procédure pénale à caractère administratif contre

XN,

en présence de :

Politseyski organ pri 02 RU SDVR,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos (rapporteur), président de chambre, Mme L. S. Rossi, MM. J.–C. Bonichot, S. Rodin et Mme O. Spineanu–Matei, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour XN, par Me R. Rashkov, advokat,

– pour la Commission européenne, par MM. M. Wasmeier et I. Zaloguin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 janvier 2023,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 2, et de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (JO 2012, L 142, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure relative à la légalité de l’arrêté de placement en détention de XN.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 14, 22, 27 et 28 de la directive 2012/13 énoncent :

« (14) La présente directive [...] fixe des normes minimales communes à appliquer en matière d’information des personnes soupçonnées d’une infraction pénale ou poursuivies à ce titre, sur leurs droits et sur l’accusation portée contre elles, en vue de renforcer la confiance mutuelle entre les États membres. Elle s’appuie sur les droits énoncés dans la [charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la “Charte”)], et notamment ses articles 6, 47 et 48, en développant les articles 5
et 6 de la [convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la “CEDH”)] tels qu’ils sont interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme.

[...]

(22) En cas d’arrestation ou de détention du suspect ou de la personne poursuivie, des informations sur les droits procéduraux qui leur sont applicables devraient leur être communiquées par une déclaration de droits écrite, rédigée d’une manière facile à comprendre afin de les aider à saisir ce que recouvrent leurs droits. Une telle déclaration de droits devrait être fournie rapidement à chaque personne arrêtée quand elle est privée de liberté par l’intervention des autorités répressives dans le
cadre d’une procédure pénale. Elle devrait inclure des informations de base concernant toute possibilité de contester la légalité de l’arrestation, d’obtenir un réexamen de la détention, ou de demander une mise en liberté provisoire lorsque, et dans la mesure où, un tel droit existe dans le droit national. [...]

(27) Les personnes poursuivies pour une infraction pénale devraient recevoir toutes les informations nécessaires sur l’accusation portée contre elles pour leur permettre de préparer leur défense et garantir le caractère équitable de la procédure.

(28) Les suspects ou les personnes poursuivies devraient recevoir rapidement des informations sur l’acte pénalement sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis, et au plus tard avant leur premier interrogatoire officiel par la police ou une autre autorité compétente, et sans porter préjudice au déroulement des enquêtes en cours. Une description des faits, y compris, lorsqu’ils sont connus, l’heure et le lieu des faits, relatifs à l’acte pénalement sanctionné que les personnes sont
soupçonnées ou accusées d’avoir commis, ainsi que la qualification juridique éventuelle de l’infraction présumée, devrait être donnée de manière suffisamment détaillée, en tenant compte du stade de la procédure pénale auquel une telle description intervient, pour préserver l’équité de la procédure et permettre un exercice effectif des droits de la défense. »

4 En vertu de l’article 1er de la directive 2012/13, intitulé « Objet » :

« La présente directive définit des règles concernant le droit des suspects ou des personnes poursuivies d’être informés de leurs droits dans le cadre des procédures pénales et de l’accusation portée contre eux. Elle définit également des règles concernant le droit des personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen d’être informées de leurs droits. »

5 Selon l’article 2, paragraphe 1, de cette directive :

« La présente directive s’applique dès le moment où des personnes sont informées par les autorités compétentes d’un État membre qu’elles sont soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale ou qu’elles sont poursuivies à ce titre, et jusqu’au terme de la procédure, qui s’entend comme la détermination définitive de la question de savoir si le suspect ou la personne poursuivie a commis l’infraction pénale, y compris, le cas échéant, la condamnation et la décision rendue sur tout appel. »

6 L’article 6 de ladite directive, intitulé « Droit d’être informé de l’accusation portée contre soi », prévoit, à ses paragraphes 1 à 3 :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies soient informés de l’acte pénalement sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis. Ces informations sont communiquées rapidement et de manière suffisamment détaillée pour garantir le caractère équitable de la procédure et permettre l’exercice effectif des droits de la défense.

2.   Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies qui sont arrêtés ou détenus soient informés des motifs de leur arrestation ou de leur détention, y compris de l’acte pénalement sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis.

3.   Les États membres veillent à ce que des informations détaillées sur l’accusation, y compris sur la nature et la qualification juridique de l’infraction pénale, ainsi que sur la nature de la participation de la personne poursuivie, soient communiquées au plus tard au moment où la juridiction est appelée à se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation. »

7 L’article 7 de la même directive, relatif au « [d]roit d’accès aux pièces du dossier », dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Lorsqu’une personne est arrêtée et détenue à n’importe quel stade de la procédure pénale, les États membres veillent à ce que les documents relatifs à l’affaire en question détenus par les autorités compétentes qui sont essentiels pour contester de manière effective conformément au droit national la légalité de l’arrestation ou de la détention soient mis à la disposition de la personne arrêtée ou de son avocat.

2.   Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies, ou leur avocat, aient accès au minimum à toutes les preuves matérielles à charge ou à décharge des suspects ou des personnes poursuivies, qui sont détenues par les autorités compétentes, afin de garantir le caractère équitable de la procédure et de préparer leur défense. »

8 L’article 8 de la directive 2012/13, intitulé « Vérification et voies de recours », énonce, à son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent à ce que les informations communiquées aux suspects ou aux personnes poursuivies, conformément aux articles 3 à 6, soient consignées conformément à la procédure d’enregistrement précisée dans le droit de l’État membre concerné. »

Le droit bulgare

9 Aux termes de l’article 22 du Zakon za administrativnite narushenia i nakazania (loi sur les infractions et les sanctions administratives, DV no 92, du 28 novembre 1969) :

« En vue d’éviter et de faire cesser des infractions administratives, ainsi qu’en vue d’éviter et d’éliminer les conséquences préjudiciables de celles-ci, des mesures administratives coercitives peuvent être appliquées. »

10 L’article 23 de cette loi est ainsi libellé :

« Les cas dans lesquels des mesures administratives coercitives peuvent être appliquées, leur nature, les autorités appelées à les appliquer et l’étendue de leur application, ainsi que les voies de recours contre ces mesures sont prévus par une loi ou un décret correspondants. »

11 L’article 72 du Zakon za ministerstvoto na vatreshnite raboti (loi relative au ministère de l’Intérieur, DV no 53, du 27 juin 2014), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi relative au ministère de l’Intérieur »), prévoit :

« (1)   Les autorités de police peuvent placer en détention une personne :

1. pour laquelle il existe des éléments indiquant qu’elle a commis une infraction.

[...]

(4)   La personne placée en détention a le droit de contester la légalité du placement en détention devant le rayonen sad [(tribunal d’arrondissement, Bulgarie)] du lieu du siège de l’autorité. Le tribunal statue sur le recours immédiatement, et sa décision peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation selon les modalités prévues par l’Administrativnoprotsesualen kodeks [(code de procédure administrative)] devant l’administrativen sad [(tribunal administratif)] correspondant.

(5)   À compter du moment de son placement en détention, la personne a le droit à un avocat, de même qu’elle se voit expliquer son droit de refuser un avocat et les conséquences d’un tel refus, ainsi que son droit de refuser de fournir des explications lorsque le placement en détention est fondé sur le paragraphe 1, point 1.

[...] »

12 Aux termes de l’article 73 de cette loi, une personne placée en détention dans les conditions visées à l’article 72, paragraphe 1, points 1 à 4, de ladite loi ne peut se voir restreindre d’autres droits que celui de circuler librement. La durée de la détention, dans ce cas, ne peut excéder 24 heures.

13 L’article 74 de la loi relative au ministère de l’Intérieur dispose :

« (1)   Pour les personnes visées à l’article 72, paragraphe 1, un arrêté écrit ordonnant le placement en détention est émis.

(2)   Dans l’arrêté visé au paragraphe 1 sont indiqués :

1. le nom, la fonction et le lieu de travail de l’autorité de police qui a émis l’arrêté ;

2. les motifs factuels et juridiques du placement en détention ;

3. les données d’identification de la personne placée en détention ;

4. la date et l’heure du placement en détention ;

5. la limitation des droits de la personne visée à l’article 73 ;

6. le droit de cette dernière :

a) de contester devant un tribunal la légalité du placement en détention ;

b) à l’assistance d’un avocat dès le moment du placement en détention ;

[...]

(3)   La personne placée en détention remplit une déclaration indiquant qu’elle a été informée de ses droits, ainsi que son intention d’exercer ou de ne pas exercer les droits qui lui sont conférés par le paragraphe 2, point 6, lettres “b” à “f”. L’arrêté est signé par l’autorité de police et par la personne placée en détention.

(4)   Le refus ou l’impossibilité, pour la personne placée en détention, de signer l’arrêté est attesté par la signature d’un témoin.

[...]

(6)   Une copie de l’arrêté est remise à la personne placée en détention contre sa signature. »

14 L’article 21, paragraphe 1, du Administrativnoprotsesualen kodeks (code de procédure administrative, DV no 30, du 11 avril 2006), dans sa version applicable au litige au principal, dispose :

« Un acte administratif individuel est une manifestation de volonté exprimée expressément ou par une action ou une inaction d’une autorité administrative ou d’un autre organe ou organisme habilité par la loi, de personnes exerçant des fonctions publiques et d’organismes de service public, créant des droits ou des obligations ou portant directement atteinte à des droits, des libertés ou des intérêts légaux de certains citoyens ou de certaines organisations, ainsi que le refus d’adopter un tel
acte. »

15 L’article 145 de ce code prévoit :

« (1)   Les actes administratifs peuvent faire l’objet d’un recours juridictionnel portant sur leur conformité à la loi.

(2)   Sont susceptibles de recours :

1. l’acte administratif individuel initial, y compris le refus d’adopter un tel acte ;

[...] »

16 L’article 1er de l’Ukaz no 904 za borba s drebnoto huliganstvo (décret no 904 relatif à la lutte contre le petit hooliganisme), du 28 décembre 1963 (DV no 102, du 31 décembre 1963), dans sa version applicable au litige au principal, dispose :

« (1)   Les actes de petit hooliganisme commis par une personne ayant atteint l’âge de seize ans sont punis des sanctions administratives suivantes :

1. placement en détention jusqu’à 15 jours, dans une structure appartenant au ministère de l’Intérieur ;

2. une amende de 100 à 500 BGN (environ 50 à 255 euros).

(2)   On entend par petit hooliganisme, au sens du présent décret, un comportement contraire à la dignité, qui s’exprime par l’emploi de jurons, d’injures ou d’autres obscénités proférés dans un lieu public, devant plusieurs personnes, par une attitude et un comportement offensants à l’égard des citoyens, des autorités ou de la communauté, ou par la querelle, les voies de fait ou des actes similaires, entraînant un trouble de l’ordre ou de la paix publics, mais qui, en raison du danger public
plus faible représenté, ne constitue pas une infraction au sens de l’article 325 du code pénal. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

17 Le 2 septembre 2020, RK, agent de police du commissariat du 2e arrondissement de police auprès de la direction des affaires intérieures de la Capitale (Bulgarie), a émis un arrêté ordonnant l’application d’une mesure administrative coercitive contre XN, à savoir le placement en détention de celui-ci pour une période allant jusqu’à 24 heures, sur la base d’une suspicion d’infraction.

18 Cet arrêté, qui portait la signature de RK, énonçait les motifs juridiques et factuels du placement en détention de XN dans les termes suivants : « article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi relative au ministère de l’Intérieur » et « trouble à l’ordre public ». XN a refusé d’apposer sa signature sur ledit arrêté. Au verso de ce dernier, il était indiqué que XN avait été libéré le 3 septembre 2020, à 11 h 10, ce fait étant confirmé par la signature de celui-ci. Immédiatement après le placement
en détention de XN, il a été procédé à une fouille personnelle qui a fait l’objet d’un procès-verbal, et une déclaration lui a été présentée, afin que celui-ci la remplisse, exposant les droits au titre des articles 72 à 74 de la loi relative au ministère de l’Intérieur.

19 Le 3 septembre 2020, XN a contesté la légalité de l’arrêté de placement en détention devant le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie), qui est la juridiction de renvoi.

20 Dans le cadre de l’instruction du dossier relatif à ce recours ont été versés des rapports écrits des autorités de police des 2, 3 et 4 septembre 2020, dans lesquels il était indiqué que, le 2 septembre 2020, vers 11 h 20, en tant que participant à une action de protestation sur le territoire de la ville de Sofia (Bulgarie), devant le bâtiment du Narodno Sabranie (Assemblée nationale, Bulgarie), XN avait tenté de franchir le cordon formé par la police, en frappant des mains et des pieds les
boucliers des fonctionnaires de police et en leur adressant des remarques cyniques, ce qui a nécessité son placement en détention.

21 Il n’est pas établi que les rapports écrits des fonctionnaires de police des 2 et 3 septembre 2020 aient été présentés à XN, pour information, lors de son placement en détention.

22 Dans ses observations écrites du 2 septembre 2020, XN a déclaré qu’il était présent aux actions de protestation et que, lorsque la tension est montée, il a été poussé par la foule vers le cordon de police, avant d’être arrêté par les autorités du ministère de l’Intérieur, lesquelles ont exercé une violence physique illégale contre lui. Il a nié avoir troublé l’ordre public.

23 Le 8 septembre 2020, par ordre d’un procureur du parquet de l’arrondissement de Sofia, un agent de police du commissariat du 2e arrondissement de police de cette ville a dressé, à l’encontre de XN, un rapport constatant des « actes de petit hooliganisme », qu’il a soumis, pour examen, au Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia), et dans lequel il était allégué que XN, en commettant les faits mentionnés au point 20 du présent arrêt, avait commis l’infraction administrative visée à
l’article 1er, paragraphe 2, du décret no 904, du 28 décembre 1963, dans sa version applicable au litige au principal.

24 Par décision du 8 septembre 2020, le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia) a déclaré XN non coupable et l’a acquitté pour défaut de preuve de l’infraction alléguée. Cet acte juridictionnel est définitif.

25 La juridiction de renvoi indique que, dans le cadre de l’affaire au principal, elle doit examiner la légalité de l’arrêté de placement en détention de XN.

26 Elle précise qu’un tel placement en détention de personnes pour lesquelles il existe des éléments indiquant qu’elles ont commis une infraction constitue une mesure administrative coercitive au sens de l’article 22 de la loi sur les infractions et les sanctions administratives, ayant le caractère d’un acte administratif individuel, dont l’objectif est d’éviter que la personne en cause s’enfuie ou commette une infraction.

27 Selon la jurisprudence nationale, aux fins d’adopter une telle mesure, il n’est pas nécessaire d’avoir réuni des preuves incontestées, établissant de manière catégorique et indubitable que la personne en cause s’est rendue coupable d’une infraction au sens du code pénal, ces preuves devant être apportées dans le cadre d’une procédure pénale et non d’une procédure administrative. Il suffit qu’il y ait des « informations », écrites ou orales, indiquant qu’une infraction a été commise et justifiant
la suspicion que la personne en cause y a, vraisemblablement, participé.

28 La juridiction de renvoi précise que, en vertu de l’article 74, paragraphe 2, point 2, de la loi relative au ministère de l’Intérieur, l’indication des motifs factuels et juridiques du placement en détention constitue la condition principale de validité de l’arrêté émis par une autorité de police. À cet égard, le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie) interpréterait toutefois cette disposition en ce sens qu’il est permis que ces informations soient contenues non pas
dans l’arrêté écrit ordonnant le placement en détention, mais dans d’autres documents l’accompagnant, établis préalablement ou ultérieurement, même si ces derniers ne sont pas communiqués à la personne concernée au moment de la limitation de sa liberté de circulation.

29 Or, la juridiction de renvoi considère que cette jurisprudence du Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême) n’est pas conforme à l’article 6, paragraphe 2, et à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2012/13 ni à l’article 5, paragraphe 1, sous c), de la CEDH, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme.

30 En effet, selon la juridiction de renvoi, il convient de tenir compte du fait que le droit d’accès au dossier des personnes ayant la qualité de « suspect », prévu à l’article 7 de la directive 2012/13, n’a pas été transposé en droit bulgare et, donc, n’est pas garanti à ces personnes. Un tel accès serait uniquement garanti aux personnes « accusées », en vertu du Nakazatelno protsesualen kodeks (code de procédure pénale).

31 Ainsi, en l’absence d’une information concrète relative aux motifs de fait et de droit du placement en détention, et eu égard au fait que le droit d’accès au dossier, où ces motifs figurent, ne lui est pas garanti, la personne détenue, soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale, serait privée de la possibilité d’organiser de manière adéquate et effective ses droits de la défense et de contester devant le juge la légalité de l’acte ayant ordonné son placement en détention.

32 La juridiction de renvoi s’interroge, par ailleurs, sur la portée et le degré de détail des informations concernant le comportement infractionnel pour lequel une personne arrêtée est placée en détention qui devraient être communiquées à cette personne en vertu de l’article 6 de la directive 2012/13.

33 Dans ces conditions, le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les dispositions de l’article 8, paragraphe 1, en combinaison avec l’article 6, paragraphe 2, de la directive [2012/13], doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale, appliquée de manière corrective sur la base de la jurisprudence établie dans l’État membre concerné, selon laquelle les motifs de l’arrestation ou du placement en détention des suspects, y compris pour l’infraction qu’ils sont soupçonnés d’avoir commise, peuvent ne pas être
contenus dans l’acte écrit ordonnant le placement en détention, mais peuvent être contenus dans d’autres documents l’accompagnant (préalables ou ultérieurs), lesquels ne sont pas fournis immédiatement et dont la personne peut prendre connaissance ultérieurement, dans le cadre d’un éventuel recours juridictionnel tendant à contester la légalité du placement en détention ?

2) La disposition de l’article 6, paragraphe 2, de la directive [2012/13] doit–elle être interprétée en ce sens que les informations concernant le comportement infractionnel dont est soupçonnée une personne arrêtée doivent contenir des éléments quant au moment, au lieu et aux modalités de l’infraction, à la participation concrète de ladite personne à celle-ci, et à la qualification pénale qui en découle, pour que soit garanti l’exercice effectif des droits de la défense ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur l’applicabilité de la directive 2012/13

34 La juridiction de renvoi indique que, en droit bulgare, un placement en détention sur le fondement de l’article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi relative au ministère de l’Intérieur, tel que celui en cause au principal, constitue une mesure administrative coercitive, ayant le caractère d’un acte administratif individuel. En outre, toujours selon cette juridiction, la responsabilité d’une personne au titre de l’infraction pour laquelle elle a fait l’objet d’un tel placement en détention est
examinée de manière séparée dans le cadre d’une procédure pénale. Eu égard à ces éléments, il convient de vérifier si la directive 2012/13 est applicable à l’affaire au principal.

35 Ainsi que l’indique son article 1er, la directive 2012/13 définit des règles concernant le droit des suspects ou des personnes poursuivies d’être informés de leurs droits dans le cadre des procédures pénales et de l’accusation portée contre eux.

36 En outre, selon son article 2, paragraphe 1, cette directive s’applique dès le moment où des personnes sont informées par les autorités compétentes d’un État membre qu’elles sont soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale ou qu’elles sont poursuivies à ce titre, et jusqu’au terme de la procédure, qui s’entend comme la détermination définitive de la question de savoir si le suspect ou la personne poursuivie a commis l’infraction pénale, y compris, le cas échéant, la condamnation et la
décision rendue sur tout appel.

37 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que l’arrêté de placement en détention en cause au principal mentionne, comme motif factuel et juridique de ce placement, l’« article 72, paragraphe 1, point 1, de la loi relative au ministère de l’Intérieur » et « trouble à l’ordre public ». Cette disposition prévoit le placement en détention des personnes pour lesquelles il existe des éléments indiquant qu’elles ont commis une infraction. En outre, il découle des indications de
la juridiction de renvoi que l’infraction que XN était soupçonné d’avoir commise relève du code pénal.

38 Par ailleurs, indépendamment des informations qui ont été effectivement transmises à XN par les autorités de police nationales, il y a lieu de considérer que, du fait de son arrestation et de son placement en détention, XN a été informé qu’il était soupçonné d’avoir commis une infraction pénale, de sorte que cette condition d’application de la directive 2012/13, établie à son article 2, paragraphe 1, est remplie.

39 Il découle de ces considérations que cette directive est applicable à l’affaire au principal.

Sur la première question

40 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 2, et l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2012/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’application d’une réglementation nationale selon laquelle les motifs du placement en détention des personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale ou poursuivies à ce titre, y compris les informations relatives à l’acte pénalement sanctionné qu’elles sont soupçonnées ou
accusées d’avoir commis, peuvent être exposés dans des documents autres que l’acte de placement en détention et qui ne sont communiqués à ces personnes que dans le cadre d’un éventuel recours juridictionnel tendant à contester la légalité du placement en détention.

41 Il importe d’emblée de relever que, eu égard à l’objet de cette question, il n’y a pas lieu d’interpréter l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2012/13. Cette disposition exige, en effet, que les informations communiquées aux suspects ou aux personnes poursuivies, conformément aux articles 3 à 6 de cette directive, soient consignées conformément à la procédure d’enregistrement précisée dans le droit de l’État membre concerné. Or, il ne ressort pas de la demande de décision préjudicielle que
cette obligation d’enregistrement d’informations présenterait une quelconque pertinence pour la réponse à ladite question.

42 Aux fins de l’interprétation de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2012/13, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de cette disposition, mais également de son contexte et de l’objectif poursuivi par la réglementation dont elle fait partie [arrêt du 2 mars 2023, Staatsanwaltschaft Graz (Service des affaires fiscales pénales de Düsseldorf) (C‑16/22, EU:C:2023:148, point 25 et jurisprudence citée)].

43 S’agissant, en premier lieu, du libellé de cet article 6, paragraphe 2, celui-ci dispose que les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies qui sont arrêtés ou détenus soient informés des motifs de leur arrestation ou de leur détention, y compris de l’acte pénalement sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis. Cette disposition ne donne ainsi aucune indication sur le moment auquel les motifs du placement en détention doivent être communiqués.

44 En ce qui concerne, en deuxième lieu, le contexte de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2012/13, il y a lieu de relever que le paragraphe 1 du même article prévoit, à sa première phrase, l’obligation pour les États membres d’informer les suspects ou les personnes poursuivies de l’acte pénalement sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis. Il est précisé, à sa seconde phrase, que ces informations doivent être communiquées « rapidement » et de manière suffisamment détaillée
pour garantir le caractère équitable de la procédure et permettre l’exercice effectif des droits de la défense.

45 Il ressort à cet égard du considérant 28 de cette directive que ces personnes devraient recevoir « rapidement » des informations sur l’acte pénalement sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis, et au plus tard avant leur premier interrogatoire officiel par la police ou une autre autorité compétente.

46 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 41 de ses conclusions, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2012/13 énonce une obligation générale d’information de l’acte pénalement sanctionné à laquelle s’ajoute l’obligation d’information supplémentaire, prévue à l’article 6, paragraphe 2, de cette directive, lorsque le suspect ou la personne poursuivie est arrêté ou détenu, et qui porte sur les motifs ayant justifié son arrestation ou sa détention. L’articulation entre ces deux
dispositions permet de conclure que l’exigence temporelle prévue au paragraphe 1 de cet article 6, selon laquelle le suspect ou la personne poursuivie doit être informé « rapidement » de l’acte pénalement sanctionné qu’il est soupçonné ou accusé d’avoir commis, s’applique également, dans le cas d’une arrestation ou d’une détention au sens du paragraphe 2 de ce même article 6.

47 S’agissant, en troisième lieu, de l’objectif poursuivi par la directive 2012/13, il résulte de la lecture conjointe de l’article 1er et des considérants 14 et 27 de cette directive que celle-ci a pour objectif, en fixant des normes minimales à appliquer en matière d’information des personnes soupçonnées d’une infraction pénale ou poursuivies à ce titre, de leur permettre de préparer leur défense et de garantir le caractère équitable de la procédure [voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2021,
Spetsializirana prokuratura (Déclaration des droits), C‑649/19, EU:C:2021:75, point 58].

48 La communication rapide de l’acte pénalement sanctionné que les suspects ou les personnes poursuivies sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis, prévue à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2012/13, contribue à garantir cet objectif, dès lors qu’elle permet à ces personnes de préparer de manière effective leur défense.

49 Lorsque les suspects ou les personnes poursuivies sont arrêtés ou détenus, l’objectif de garantir le caractère équitable de la procédure et de permettre l’exercice effectif des droits de la défense exige, en outre, ainsi qu’il ressort du considérant 22 de la directive 2012/13, que ces personnes soient en mesure de contester de manière effective la légalité de leur arrestation ou de leur détention, d’obtenir un réexamen de la détention ou de demander une mise en liberté provisoire lorsque, et dans
la mesure où, le droit à une telle mise en liberté existe dans l’État membre concerné. À cette fin, elles doivent disposer des motifs de leur arrestation ou de leur détention rapidement. C’est la raison pour laquelle l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2012/13 prévoit la communication de ces motifs, et que l’article 7, paragraphe 1, de cette directive impose de mettre à la disposition de la personne arrêtée ou détenue, ou de son avocat, les documents qui sont essentiels aux fins d’une
telle contestation effective de la légalité de ladite arrestation ou détention.

50 Par ailleurs, la directive 2012/13 ne règle pas les modalités selon lesquelles les informations mentionnées à son article 6 doivent être communiquées à la personne suspecte ou poursuivie. Toutefois, ces modalités ne sauraient porter atteinte à l’objectif visé à cet article [voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, point 128 et jurisprudence citée], en particulier à celui qui sous-tend le paragraphe 2 dudit article, rappelé au
point précédent du présent arrêt.

51 Il s’ensuit que, pour autant que l’objectif poursuivi par l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2012/13 soit assuré, les informations relatives aux motifs de l’arrestation ou de la détention des suspects ou des personnes poursuivies, y compris à l’acte pénalement sanctionné qu’ils sont soupçonnés ou accusés d’avoir commis peuvent leur être communiquées dans des documents autres que l’acte de placement en détention.

52 En effet, la circonstance, en tant que telle, que cet acte ne contient pas suffisamment d’informations sur les motifs du placement en détention ne fait pas obstacle à ce que les personnes arrêtées ou détenues puissent contester de manière effective la légalité de leur arrestation ou de leur détention, à condition que les éléments figurant dans d’autres documents établis par les autorités compétentes et communiqués à ces personnes leur permettent d’en comprendre les motifs.

53 En outre, il ressort déjà des considérations qui figurent notamment aux points 46 et 49 du présent arrêt que les informations visées à l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2012/13 doivent être communiquées rapidement aux personnes arrêtées ou détenues, afin d’atteindre l’objectif poursuivi par cette disposition. Ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 44 de ses conclusions, il en découle que ces personnes doivent être informées au plus vite des motifs de leur
arrestation ou de leur détention, à savoir au moment de la privation de liberté ou dans un court délai après le début de celle-ci.

54 Par conséquent, il importe que l’acte de placement en détention ou les documents autres que cet acte qui contiennent les informations nécessaires relatives aux motifs de l’arrestation ou de la détention soient communiqués au plus vite aux personnes arrêtées ou détenues. Le moment précis de cette communication pourra, cependant, être déterminé selon les circonstances spécifiques entourant la privation de liberté.

55 Une telle interprétation de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2012/13 est corroborée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 5 de la CEDH qui est expressément visée au considérant 14 de la directive 2012/13. En effet, cette Cour a déjà jugé que quiconque a le droit d’introduire un recours en vue d’une décision rapide sur la légalité de sa détention ne peut s’en prévaloir efficacement si on ne lui révèle pas dans le plus court délai, et à un
degré suffisant, les raisons pour lesquelles on l’a privé de sa liberté (Cour EDH, 12 avril 2005, Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, CE:ECHR:2005:0412JUD003637802, § 413).

56 En outre, cette même juridiction a jugé que l’article 5 de la CEDH énonce, à son paragraphe 2, une garantie élémentaire selon laquelle toute personne arrêtée doit connaître les raisons de son arrestation. Intégré au système de protection qu’offre cet article, le paragraphe 2 de celui-ci oblige à signaler à une telle personne, dans un langage simple et accessible pour elle, les raisons juridiques et factuelles de sa privation de liberté, afin qu’elle puisse en contester la légalité devant un
tribunal en vertu du paragraphe 4 dudit article. Cette personne doit bénéficier de ces renseignements « dans le plus court délai », mais les fonctionnaires qui la privent de sa liberté peuvent ne pas les lui fournir en entier sur-le-champ. Pour déterminer si elle en a reçu assez et suffisamment tôt, il faut avoir égard aux particularités de l’espèce (Cour EDH, 15 décembre 2016, Khlaifia et autres c. Italie, CE:ECHR:2016:1215JUD001648312, § 115).

57 En ce qui concerne les circonstances spécifiques du litige au principal, il y a lieu de relever que l’objectif poursuivi par l’obligation, prévue à l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2012/13, d’informer les suspects et les personnes poursuivies des motifs de leur détention, objectif consistant à permettre à la personne concernée de contester de manière effective la légalité de sa privation de liberté, ne saurait être atteint dans le cas où les informations relatives aux motifs de cette
détention ne sont fournies qu’une fois que cette personne a introduit un recours pour contester la légalité de sa détention. Il importe, en effet, d’éviter que ladite personne soit tenue de contester la légalité de l’arrêté de placement en détention pour pouvoir connaître les motifs de celle-ci, puisque, dans un tel cas, elle ne pourrait préparer de manière effective son recours ni apprécier les chances de succès de celui-ci.

58 Il résulte des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre à la première question que l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2012/13 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à l’application d’une réglementation nationale selon laquelle les motifs du placement en détention des personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale ou poursuivies à ce titre, y compris les informations relatives à l’acte pénalement sanctionné qu’elles sont soupçonnées ou accusées
d’avoir commis, peuvent être exposés dans des documents autres que l’acte de placement en détention. En revanche, cette disposition s’oppose à ce que ces informations ne soient communiquées à ces personnes que dans le cadre d’un éventuel recours juridictionnel tendant à contester la légalité du placement en détention et non pas au moment de la privation de liberté ou dans un court délai après le début de celle-ci.

Sur la seconde question

59 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2012/13 doit être interprété en ce sens qu’il exige que les motifs du placement en détention communiqués aux personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale ou poursuivies à ce titre contiennent des éléments relatifs au moment, au lieu et aux modalités de l’infraction, à la participation concrète de ces personnes à celle-ci ainsi qu’à la qualification juridique qui en
découle.

60 À l’instar de l’appréciation figurant au point 46 du présent arrêt, il convient de relever que le critère qualitatif prévu à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2012/13, selon lequel les informations doivent être communiquées « de manière suffisamment détaillée », doit également s’appliquer dans le cas d’une arrestation ou d’une détention, au sens du paragraphe 2 de cet article 6.

61 Le considérant 28 de cette directive précise, à cet égard, qu’une description des faits, y compris, lorsqu’ils sont connus, l’heure et le lieu des faits, relatifs à l’acte pénalement sanctionné que les personnes sont soupçonnées ou accusées d’avoir commis, ainsi que la qualification juridique éventuelle de l’infraction présumée, devrait être donnée de manière suffisamment détaillée, en tenant compte du stade de la procédure pénale auquel une telle description intervient, pour préserver l’équité
de la procédure et permettre un exercice effectif des droits de la défense.

62 Ainsi, afin de garantir l’objectif poursuivi par l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2012/13, toutes les informations nécessaires pour permettre à la personne détenue de contester de manière effective la légalité de sa détention doivent lui être communiquées.

63 En particulier, d’une part, doit lui être communiquée la description des faits pertinents, connus des autorités compétentes et relatifs à l’infraction pénale pour la commission de laquelle ladite personne est soupçonnée ou poursuivie. Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 58 de ses conclusions, cette description devrait contenir, en sus de l’heure et du lieu connus des faits, la nature de la participation de la personne concernée à cette infraction.

64 D’autre part, il est également nécessaire de faire figurer dans cette communication la qualification juridique, provisoirement retenue par les autorités compétentes, de l’infraction pénale pour la commission de laquelle la personne concernée est soupçonnée ou poursuivie, dès lors que cette qualification est de nature à permettre à cette personne ou à son avocat de mieux comprendre les motifs de la détention et, le cas échéant, d’en contester de manière effective la légalité devant le juge
compétent.

65 Il importe toutefois de relever que, ainsi qu’il ressort du considérant 28 de la directive 2012/13, le degré de détail des informations visées aux deux points précédents doit être adapté en fonction du stade de la procédure pénale afin de ne pas nuire à l’avancement d’une enquête en cours, tout en garantissant à la personne arrêtée ou détenue la communication d’informations suffisantes pour qu’elle comprenne les motifs de son arrestation ou de sa détention et puisse, le cas échéant, contester de
manière effective la légalité de celle-ci.

66 La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 5 de la CEDH, citée aux points 55 et 56 du présent arrêt, corrobore l’interprétation ainsi exposée de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2012/13, puisqu’elle exige que les motifs de l’arrestation ou de la détention soient communiqués à un degré suffisant (Cour EDH, 12 avril 2005, Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, CE:ECHR:2005:0412JUD003637802, § 413) et contiennent les raisons juridiques et factuelles
de la privation de liberté, afin que la personne concernée puisse en contester la légalité devant un tribunal en vertu du paragraphe 4 de cet article 5 (Cour EDH, 15 décembre 2016, Khlaifia et autres c. Italie, CE:ECHR:2016:1215JUD001648312, § 115).

67 La Cour européenne des droits de l’homme considère en outre que, dans le contexte de l’article 5, paragraphe 1, sous c), de la CEDH, la motivation de la décision ordonnant le placement en détention constitue un élément pertinent lorsqu’il s’agit de déterminer si la détention subie par une personne doit être ou non considérée comme arbitraire. Ainsi, dans le cadre du premier volet de cette disposition, qui permet de détenir régulièrement une personne lorsqu’il y a des raisons plausibles de
soupçonner qu’elle a commis une infraction, cette juridiction a jugé incompatible avec le principe de protection contre l’arbitraire consacré à cet article 5, paragraphe 1, l’absence totale de motivation de décisions judiciaires autorisant une détention pendant une période prolongée. À l’inverse, elle a jugé que la détention provisoire subie par un requérant ne peut passer pour avoir revêtu un caractère arbitraire si la juridiction compétente a indiqué certains motifs justifiant le maintien en
détention de l’intéressé, à moins que les motifs indiqués ne soient extrêmement laconiques et dépourvus de toute référence à des dispositions juridiques censées fonder la détention litigieuse (Cour EDH, 22 octobre 2018, S., V. et A. c. Danemark, CE:ECHR:2018:1022JUD003555312, § 92 ainsi que jurisprudence citée).

68 Cependant, l’article 5, paragraphe 2, de la CEDH ne fait pas obligation aux autorités compétentes de communiquer à l’intéressé, lors de son arrestation, une énumération complète de toutes les accusations portées contre lui (Cour EDH, 19 avril 2011, Gasiņš c. Lettonie, CE:ECHR:2011:0419JUD006945801, § 53).

69 En l’occurrence, la juridiction de renvoi explique que, en vertu de l’article 74, paragraphe 2, points 2 à 4, de la loi relative au ministère de l’Intérieur, l’arrêté ordonnant un placement en détention doit contenir, entre autres éléments, les motifs factuels et juridiques du placement en détention, les données d’identification de la personne placée en détention ainsi que la date et l’heure du placement en détention.

70 Il convient de constater que ces éléments sont, a priori, susceptibles d’assurer une information adéquate de la personne détenue, dès lors qu’ils lui permettent de comprendre les motifs de sa détention et, le cas échéant, de contester de manière effective la légalité de celle-ci.

71 Il appartient, cependant, au juge national de vérifier que les informations fournies dans chaque cas concret sont suffisamment complètes, conformément à ce qui est indiqué aux points 63 à 65 du présent arrêt.

72 À cet égard, il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que l’arrêté de placement en détention émis contre XN énonce les motifs juridiques et factuels de ce placement dans les termes suivants : « article 72, paragraphe 1, point 1, [de la loi relative au ministère de l’Intérieur] » et « trouble à l’ordre public ». Or, ces seules informations n’apparaissent pas suffisantes pour respecter les exigences découlant de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2012/13 puisqu’elles
ne permettaient pas à XN de contester de manière effective la légalité de cet arrêté.

73 La juridiction de renvoi précise, par ailleurs, que, en droit bulgare, l’accès aux pièces du dossier, visé à l’article 7 de la directive 2012/13, n’est garanti qu’aux personnes ayant le statut de personnes « accusées ». Ainsi, la personne arrêtée ou détenue qui n’est pas formellement placée sous ce statut ne peut avoir accès aux documents relatifs à l’affaire en question détenus par les autorités compétentes.

74 À cet égard, il convient de rappeler que le paragraphe 1 de cet article 7 impose de mettre à la disposition d’une personne arrêtée ou détenue, ou de son avocat, les documents qui sont essentiels aux fins d’une contestation effective de la légalité de son arrestation ou de sa détention, complétant ainsi l’obligation d’information prévue à l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2012/13. Or, cet article 7, paragraphe 1, s’applique à toute personne arrêtée ou détenue à n’importe quel stade de la
procédure pénale et, dès lors, indépendamment du statut juridique conféré à cette personne par le droit national.

75 En l’absence d’une information suffisante dans l’arrêté de placement en détention, relative aux motifs de ce placement, exigée par l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2012/13, et en l’absence d’accès aux documents qui sont essentiels aux fins d’une contestation effective de la légalité de son arrestation ou de sa détention, prévu à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive, une personne qui, comme XN, est détenue au motif qu’elle est soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale, se
trouve privée des informations suffisantes pour pouvoir contester de manière effective la légalité de son placement en détention.

76 Il résulte des considérations qui précèdent que l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2012/13 doit être interprété en ce sens qu’il exige que les motifs du placement en détention des personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale ou poursuivies à ce titre contiennent toutes les informations nécessaires pour leur permettre de contester de manière effective la légalité de leur détention. Tout en tenant compte du stade de la procédure pénale afin de ne pas nuire à l’avancement d’une
enquête en cours, ces informations doivent contenir une description des faits pertinents connus des autorités compétentes, au nombre desquels figurent l’heure et le lieu connus des faits, la nature de la participation concrète de ces personnes à l’infraction alléguée ainsi que la qualification juridique provisoirement retenue.

Sur les dépens

77 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 6, paragraphe 2, de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales,

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à l’application d’une réglementation nationale selon laquelle les motifs du placement en détention des personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale ou poursuivies à ce titre, y compris les informations relatives à l’acte pénalement sanctionné qu’elles sont soupçonnées ou accusées d’avoir commis, peuvent être exposés dans des documents autres que l’acte de placement en détention. En revanche, cette disposition s’oppose à ce que ces informations ne soient
communiquées à ces personnes que dans le cadre d’un éventuel recours juridictionnel tendant à contester la légalité du placement en détention et non pas au moment de la privation de liberté ou dans un court délai après le début de celle-ci.

  2) L’article 6, paragraphe 2, de la directive 2012/13

doit être interprété en ce sens que :

il exige que les motifs du placement en détention des personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale ou poursuivies à ce titre contiennent toutes les informations nécessaires pour leur permettre de contester de manière effective la légalité de leur détention. Tout en tenant compte du stade de la procédure pénale afin de ne pas nuire à l’avancement d’une enquête en cours, ces informations doivent contenir une description des faits pertinents connus des autorités compétentes, au
nombre desquels figurent l’heure et le lieu connus des faits, la nature de la participation concrète de ces personnes à l’infraction alléguée ainsi que la qualification juridique provisoirement retenue.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-608/21
Date de la décision : 25/05/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Sofiyski rayonen sad.

Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive 2012/13/UE – Droit à l’information dans le cadre des procédures pénales – Article 6 – Droit d’être informé de l’accusation portée contre soi – Article 7 – Droit d’accès aux pièces du dossier – Exercice effectif des droits de la défense – Article 6 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit à la liberté et à la sûreté – Communication des motifs du placement en détention de la personne soupçonnée ou poursuivie dans un document distinct – Moment auquel cette communication doit être effectuée.

Rapprochement des législations

Justice et affaires intérieures

Espace de liberté, de sécurité et de justice


Parties
Demandeurs : Procédure pénale à caractère administratif
Défendeurs : contre XN.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pikamäe
Rapporteur ?: Lycourgos

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:426

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