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11/05/2023 | CJUE | N°C-817/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, R.I. contre Inspecţia Judiciară et N.L., 11/05/2023, C-817/21


 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

11 mai 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – État de droit – Indépendance de la justice – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – Décision 2006/928/CE – Indépendance des juges – Procédure disciplinaire – Inspection judiciaire – Inspecteur en chef ayant des pouvoirs de réglementation, de sélection, d’évaluation, de nomination et d’instruction disciplinaire »

Dans l’affaire C‑817/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’articleÂ

 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel BucureÅŸti (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), par décision du 10 décembre 2021, par...

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

11 mai 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – État de droit – Indépendance de la justice – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – Décision 2006/928/CE – Indépendance des juges – Procédure disciplinaire – Inspection judiciaire – Inspecteur en chef ayant des pouvoirs de réglementation, de sélection, d’évaluation, de nomination et d’instruction disciplinaire »

Dans l’affaire C‑817/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), par décision du 10 décembre 2021, parvenue à la Cour le 21 décembre 2021, dans la procédure

R.I.

contre

Inspecţia Judiciară,

N.L.,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, M. L. Bay Larsen (rapporteur), vice‑président de la Cour, MM. P. G. Xuereb, T. von Danwitz et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour R.I., par Mme I. Roşca, en qualité d’agent,

– pour Inspecţia Judiciară, par M. L. Netejoru, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par Mme K. Herrmann, MM. I. Rogalski et P. Van Nuffel, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 janvier 2023,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2 et de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que de la décision 2006/928/CE de la Commission, du 13 décembre 2006, établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption (JO 2006, L 354, p. 56).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant R.I. à l’Inspecţia Judiciară (Inspection judiciaire, Roumanie) et à N.L. au sujet des décisions de l’Inspection judiciaire de classer sans suite une plainte déposée par R.I. contre N.L. et de rejeter la réclamation introduite contre ce classement sans suite.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 1er de la décision 2006/928 prévoit :

« Chaque année, le 31 mars au plus tard, et pour la première fois le 31 mars 2007, la Roumanie fait rapport à la Commission [européenne] sur les progrès qu’elle a réalisés en vue d’atteindre chacun des objectifs de référence exposés dans l’annexe.

La Commission peut, à tout moment, apporter une aide technique par différents moyens ou collecter et échanger des informations sur les objectifs de référence. En outre, elle peut, à tout moment, organiser des missions d’experts en Roumanie à cet effet. Les autorités roumaines lui apportent le soutien nécessaire dans ce contexte. »

Le droit roumain

4 L’article 44, paragraphe 6, de la Legea nr. 317/2004 privind Consiliul Superior al Magistraturii (loi no 317/2004 sur le Conseil supérieur de la magistrature), du 1er juillet 2004 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 827 du 13 septembre 2005), telle que modifiée et complétée (ci-après la « loi no 317/2004 modifiée »), dispose :

« Pour qu’une procédure disciplinaire puisse être engagée, l’Inspection judiciaire doit obligatoirement procéder à une enquête disciplinaire ».

5 L’article 45, paragraphe 4, de cette loi énonce :

« Si les vérifications préalables font apparaître qu’il n’y a pas d’indice de faute disciplinaire, la plainte est classée sans suite et le résultat est communiqué directement à l’auteur de la plainte et à la personne concernée par la plainte. La décision de classement sans suite est soumise à la confirmation de l’inspecteur en chef. La décision peut être infirmée, une seule fois, par l’inspecteur en chef, qui peut ordonner, par décision écrite et motivée, des vérifications complémentaires. »

6 L’article 45 bis, paragraphe 1, de ladite loi est ainsi libellé :

« La personne qui a déposé la plainte peut introduire une réclamation auprès de l’inspecteur en chef contre la décision de classement sans suite visée à l’article 45, paragraphe 4, dans les quinze jours suivant sa notification. La réclamation est traitée dans un délai de vingt jours à compter de la date de son enregistrement auprès de l’Inspection judiciaire. »

7 L’article 47, paragraphe 7, de la même loi précise :

« L’action disciplinaire peut être engagée dans un délai de trente jours à compter de l’achèvement de l’enquête disciplinaire, mais au plus tard deux ans à compter de la date à laquelle le fait a été commis. »

8 Aux termes de l’article 65, paragraphes 2 à 4, de la loi no 317/2004 modifiée :

« 2.   L’Inspection judiciaire est dirigée par un inspecteur en chef-juge, nommé à l’issue d’un concours organisé par le Consiliul Superior al Magistraturii [(Conseil supérieur de la magistrature, Roumanie)], assisté d’un inspecteur en chef adjoint-procureur, désigné par l’inspecteur en chef.

3.   L’Inspection judiciaire agit conformément au principe d’indépendance opérationnelle vis-à-vis du Conseil supérieur de la magistrature, des juridictions, des parquets près ces derniers et des autres autorités publiques, en exerçant ses pouvoirs d’analyse, de vérification et de contrôle dans les domaines d’activité spécifiques, en vertu de la loi et pour en assurer le respect.

4.   Les règles relatives à l’exécution des travaux d’inspection sont approuvées par l’inspecteur en chef par voie de règlement. »

9 L’article 66, paragraphe 3, de cette loi prévoit :

« L’organisation et le fonctionnement de l’Inspection judiciaire, la structure organisationnelle et les attributions de ses départements sont établis par un règlement approuvé par arrêté de l’inspecteur en chef [...] »

10 L’article 69, paragraphes 1 et 4, de ladite loi dispose :

« 1.   L’inspecteur en chef exerce, à titre principal, les fonctions suivantes :

a) il désigne, parmi les inspecteurs judiciaires, l’équipe dirigeante – l’inspecteur en chef adjoint, les directeurs des directions – sur le fondement d’une procédure dans le cadre de laquelle sont évalués les projets de gestion spécifiques à chaque poste, de manière à assurer la cohésion de l’encadrement, la compétence professionnelle et une communication efficace. Leur mandat prend fin en même temps que celui de l’inspecteur en chef ;

a bis) il exerce la fonction de direction et d’organisation de l’activité de l’Inspection judiciaire ;

a ter) il prend des mesures pour la coordination du travail du personnel de l’Inspection judiciaire, autre que les inspecteurs judiciaires ;

[...]

g) il nomme, dans les conditions de la loi, les inspecteurs judiciaires et les autres catégories de personnel de l’Inspection judiciaire, ordonne la modification, la suspension et la cessation de leurs relations de travail ou de service ;

h) il détermine les fonctions et les tâches individuelles du personnel placé sous son autorité, en approuvant ses fiches de poste ;

i) il procède, conformément à la loi, à l’évaluation du personnel placé sous son autorité ;

[...]

4.   L’inspecteur en chef adjoint est le remplaçant de droit de l’inspecteur en chef, il aide celui-ci à vérifier et à émettre un avis sur les actes et décisions établis par les inspecteurs judiciaires et exerce toutes les autres fonctions fixées par l’inspecteur en chef. »

11 L’article 71, paragraphe 2, de la même loi énonce :

« Les dispositions relatives aux sanctions et aux fautes disciplinaires ainsi que la procédure disciplinaire s’appliquent mutatis mutandis aux inspecteurs judiciaires. »

La procédure au principal et la question préjudicielle

12 R.I. est partie dans plusieurs affaires pénales devant des juridictions roumaines. Elle a déposé plusieurs plaintes disciplinaires, auprès de l’Inspection judiciaire, contre des juges et des procureurs affectés à ces juridictions.

13 Ces plaintes ont fait l’objet de diverses décisions de classement sans suite adoptées par l’Inspection judiciaire. L’une de ces décisions, datée du 2 juillet 2018, qui avait été confirmée par N.L., en sa qualité d’inspecteur en chef, a été contestée par R.I. devant la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest, Roumanie).

14 Par un jugement du 27 septembre 2019, cette juridiction a annulé ladite décision. L’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie) a rejeté, par un arrêt du 29 septembre 2020, le pourvoi introduit par l’Inspection judiciaire contre ce jugement.

15 À la suite de cette procédure judiciaire, l’Inspection judiciaire a adopté, le 11 mars 2021, une nouvelle décision de classement sans suite de la plainte disciplinaire visée. Le 31 mai 2021, N.L. a rejeté la réclamation introduite par R.I. contre cette décision. Cette dernière a introduit un recours en annulation contre la décision ainsi adoptée par N.L.

16 Par un mémoire adressé au Ministerului Justiţiei (ministère de la Justice, Roumanie) le 29 novembre 2019, R.I. s’est plainte de la violation de ses droits constitutionnels et a dénoncé l’action d’un « groupement » de personnes, parmi lesquelles figure N.L., qui auraient contribué à cette violation et aux enquêtes pénales la visant. Dans ce mémoire, R.I. a, notamment, soutenu que N.L. avait cherché à dissimuler les abus et les illégalités commis par certains magistrats.

17 Le ministère de la Justice s’est estimé incompétent pour examiner cette plainte et l’a, en conséquence, transmise à l’Inspection judiciaire. R.I. a, en outre, formulé un grief supplémentaire contre N.L. par une plainte présentée à l’Inspection judiciaire le 16 février 2021.

18 Dans le cadre de la procédure menée devant cet organe, R.I. a précisé ses griefs en faisant, notamment, valoir qu’il n’y avait pas eu de véritable enquête disciplinaire, que le jugement du 27 septembre 2019 n’avait pas été exécuté et que l’examen de ses réclamations avait été intentionnellement retardé afin de permettre l’expiration d’un délai de prescription.

19 La plainte visant N.L. a été classée sans suite, le 17 mars 2021, par décision d’un inspecteur judiciaire désigné en application de règles générales arrêtées par l’inspecteur en chef. La réclamation introduite par R.I. contre cette décision a été rejetée, le 11 mai 2021, par décision de l’inspecteur en chef adjoint.

20 Le 31 mai 2021, R.I. a introduit, devant la juridiction de renvoi, un recours tendant, notamment, à l’annulation des décisions des 17 mars et 11 mai 2021 ainsi qu’à la réparation du préjudice que ces décisions lui auraient causé.

21 À l’appui de ce recours, R.I. a invoqué, entre autres, plusieurs irrégularités relatives aux pouvoirs dont dispose l’inspecteur en chef en ce qui concerne la sélection des inspecteurs judiciaires, la désignation de l’inspecteur en chef adjoint et l’édiction des règles d’organisation de l’Inspection judiciaire ainsi que l’absence de garanties suffisantes contre le manque d’impartialité des personnes chargées d’instruire une plainte visant l’inspecteur en chef. R.I. estime que le droit de l’Union
s’oppose à la concentration des pouvoirs opérée entre les mains de l’inspecteur en chef, laquelle ferait obstacle à l’exercice de poursuites disciplinaires contre des magistrats ou contre l’inspecteur en chef.

22 La juridiction de renvoi relève que, si R.I. s’est prévalue de l’arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia  Forumul Judecătorilor din România  e.a. (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393), cet arrêt vise, toutefois, seulement l’acte de nomination de l’inspecteur en chef, lequel a été analysé à la lumière du risque d’ouverture d’une enquête disciplinaire contre les juges. En l’occurrence, R.I. se plaint, au contraire, de l’impossibilité d’exercer une action disciplinaire
en raison des modalités d’organisation et de fonctionnement de l’Inspection judiciaire.

23 La juridiction de renvoi souligne, à cet égard, que l’Inspection judiciaire a été réformée au cours de l’année 2012 pour accroître son indépendance opérationnelle à l’égard du Conseil supérieur de la magistrature et pour assurer ainsi le respect de la décision 2006/928. Diverses modalités d’organisation et de fonctionnement de l’Inspection judiciaire, relatives, entre autres, à sa structure, aux fonctions de son personnel, à la procédure de traitement des plaintes, à la nomination des inspecteurs
judiciaires ou des personnes occupant des postes de direction, découleraient de règles adoptées par l’inspecteur en chef en application des pouvoirs réglementaires qui lui ont été octroyés par le législateur roumain. Sur la base de ces éléments, la juridiction de renvoi s’interroge, en particulier, sur la solidité du système de garanties découlant de la réglementation roumaine s’agissant du contrôle de l’action de l’inspecteur en chef.

24 Dans ces conditions, la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, [TUE], la décision 2006/928 [...] ainsi que les garanties d’indépendance et d’impartialité imposées en vertu du droit de l’Union doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui permet à l’inspecteur en chef de l’Inspection judiciaire d’émettre des actes administratifs réglementaires (infralégaux) et/ou individuels par lesquels il décide de manière autonome de l’organisation du cadre
institutionnel de l’Inspection judiciaire pour la sélection des inspecteurs judiciaires, de l’évaluation de leur travail [et] de l’exécution des travaux d’inspection, [ainsi que] de la désignation de l’inspecteur en chef adjoint, alors que, en vertu de la loi organique, ces personnes sont les seules à pouvoir accomplir, confirmer ou infirmer des actes d’enquête disciplinaire contre l’inspecteur en chef ? »

Sur la demande d’application de la procédure préjudicielle accélérée

25 La juridiction de renvoi a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à une procédure préjudicielle accélérée en vertu de l’article 105 du règlement de procédure de la Cour.

26 À l’appui de sa demande, cette juridiction relève, d’une part, que R.I. s’est plainte de la durée excessive des procédures disciplinaires et qu’il est, dès lors, important que la durée de la procédure de renvoi préjudiciel n’apparaisse pas comme constituant une cause d’incertitude concernant l’effectivité de son recours. Cette juridiction souligne, d’autre part, que la question posée porte sur un problème de droit important, dans la mesure où elle concerne l’organisation et le fonctionnement d’un
organe d’Inspection judiciaire.

27 L’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut, lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, décider de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée dérogeant aux dispositions de ce règlement.

28 En l’occurrence, le président de la Cour a décidé, le 1er février 2022, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, qu’il n’y avait pas lieu de faire droit à la demande visée au point 25 du présent arrêt.

29 En effet, s’agissant, premièrement, du risque que la procédure préjudicielle prolonge excessivement la durée de la procédure au principal, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le simple intérêt des justiciables, certes légitime, à déterminer le plus rapidement possible la portée des droits qu’ils tirent du droit de l’Union n’est pas de nature à établir l’existence d’une circonstance exceptionnelle, au sens de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure (arrêt du 11 novembre
2021, Energieversorgungscenter Dresden-Wilschdorf, C‑938/19, EU:C:2021:908, point 43 et jurisprudence citée).

30 En outre, à supposer même que la juridiction de renvoi estime devoir traiter rapidement l’affaire au principal au regard de son objet, la circonstance que la juridiction de renvoi soit tenue de tout mettre en œuvre pour assurer un règlement rapide de l’affaire au principal ne saurait suffire en elle-même à justifier le recours à une procédure accélérée en application de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure (arrêt du 6 octobre 2021, TOTO et Vianini Lavori, C‑581/20,
EU:C:2021:808, point 29 ainsi que jurisprudence citée).

31 En ce qui concerne, deuxièmement, la circonstance que la question posée porte sur l’organisation et sur le fonctionnement d’un organe d’inspection judiciaire, il importe de rappeler que l’application de la procédure préjudicielle accélérée dépend non pas de la nature du litige au principal en tant que telle, mais des circonstances exceptionnelles propres à l’affaire concernée, lesquelles doivent établir l’urgence extraordinaire de statuer sur ces questions (arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi
e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 27 ainsi que jurisprudence citée).

32 En particulier, la circonstance que l’affaire porte sur un aspect important de l’organisation juridictionnelle de l’État membre concerné ne constitue pas, en tant que telle, une raison établissant une urgence extraordinaire, nécessaire pour justifier un traitement par voie accélérée (voir, en ce sens, arrêts du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, point 22, et du 21 décembre 2021, Randstad Italia, C‑497/20, EU:C:2021:1037, point 39).

Sur la question préjudicielle

Sur la recevabilité

33 L’Inspection judiciaire fait valoir que la demande de décision préjudicielle est irrecevable.

34 D’une part, alors que les juridictions nationales seraient seules compétentes pour apprécier la légalité de la procédure d’adoption des actes administratifs individuels, cette demande viserait non pas l’interprétation de dispositions de droit de l’Union, mais celle de la loi no 317/2004 modifiée. D’autre part, les dispositions roumaines applicables dans le litige en cause au principal seraient compatibles avec les règles du droit de l’Union et il ne saurait, dès lors, aucunement être porté
atteinte à l’indépendance des juges dans ce litige.

35 À cet égard, s’il est vrai que la Cour n’est pas compétente dans le cadre d’une procédure préjudicielle, pour interpréter le droit interne d’un État membre (voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2021, Hessischer Rundfunk, C‑422/19 et C‑423/19, EU:C:2021:63, point 31), il ressort, toutefois, clairement des termes de la question posée que celle-ci porte sur l’interprétation non pas du droit roumain, mais de dispositions de droit de l’Union, à savoir sur celle de l’article 2 et de l’article 19,
paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que de la décision 2006/928.

36 En outre, si l’Inspection judiciaire soutient qu’une réglementation telle que celle en cause au principal est compatible avec le droit de l’Union, cette objection a trait à la portée même des dispositions de ce droit sur lesquelles porte la question posée et, partant, à l’interprétation de ces dispositions. Une telle objection, qui concerne donc le fond de cette question, ne saurait ainsi, par nature, conduire à une irrecevabilité de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 20 avril 2021, Repubblika,
C‑896/19, EU:C:2021:311, point 33).

37 Il s’ensuit que la question posée est recevable.

Sur le fond

38 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ainsi que la décision 2006/928 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale conférant au directeur d’un organe compétent pour conduire les enquêtes et exercer l’action disciplinaire contre les juges et les procureurs le pouvoir d’adopter des actes réglementaires et individuels, relatifs notamment à l’organisation de cet organe, à
la sélection de ses agents, à leur évaluation, à l’exécution de leurs travaux ou encore à la désignation d’un directeur adjoint, alors que ces agents et ce directeur adjoint sont seuls compétents pour conduire une enquête disciplinaire contre ce directeur.

39 Il importe de rappeler que l’article 19 TUE, qui concrétise la valeur de l’État de droit affirmée à l’article 2 TUE, confie aux juridictions nationales et à la Cour la charge de garantir la pleine application du droit de l’Union dans l’ensemble des États membres ainsi que la protection juridictionnelle que les justiciables tirent de ce droit [arrêts du 18 mai 2021, Asociaţia  Forumul Judecătorilor din România  e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393,
point 188, ainsi que du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 37].

40 L’existence même d’un contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect du droit de l’Union est inhérente à un État de droit. À ce titre, et ainsi que l’énonce l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, il appartient aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures assurant aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. Le principe de protection juridictionnelle
effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, auquel se réfère l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, constitue un principe général du droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres, qui a été consacré aux articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et qui est à présent affirmé à l’article 47 de la charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 219 ainsi que jurisprudence citée).

41 Il s’ensuit que tout État membre doit assurer que les instances relevant, en tant que « juridiction », au sens défini par le droit de l’Union, de son système de voies de recours dans les domaines couverts par le droit de l’Union satisfont aux exigences d’une protection juridictionnelle effective [arrêts du 18 mai 2021, Asociaţia  Forumul Judecătorilor din România  e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 191, ainsi que du 22 février 2022, RS (Effet
des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 40].

42 S’agissant de l’applicabilité de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, dans une situation telle que celle de l’affaire au principal, il y a lieu de rappeler que cette disposition vise les « domaines couverts par le droit de l’Union », indépendamment de la situation dans laquelle les États membres mettent en œuvre ce droit, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia  Forumul Judecătorilor din România  e.a., C‑83/19, C‑127/19,
C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 192 ainsi que jurisprudence citée).

43 À cet égard, la Cour a jugé qu’une réglementation nationale qui relève du champ d’application de la décision 2006/928 doit respecter les exigences découlant du droit de l’Union, en particulier de l’article 2 et de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE [voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 57 et jurisprudence citée].

44 Tel est le cas, en particulier, d’une réglementation régissant l’organisation et le fonctionnement d’un organe qui, à l’instar de l’Inspection judiciaire, est compétent pour conduire les enquêtes et exercer l’action disciplinaire contre l’ensemble des juges roumains et, donc, contre les juges de droit commun qui sont appelés à statuer sur des questions liées à l’application ou à l’interprétation du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia  Forumul Judecătorilor din
România  e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, points 182, 185 et 193).

45 Or, pour garantir que des instances qui peuvent être appelées à statuer sur des questions liées à l’application ou à l’interprétation du droit de l’Union soient à même d’assurer la protection juridictionnelle effective requise par cette disposition, la préservation de l’indépendance de celles-ci est primordiale, comme le confirme l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui mentionne l’accès à un tribunal « indépendant » parmi les exigences liées au droit fondamental à un recours effectif
(arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia  Forumul Judecătorilor din România  e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 194 ainsi que jurisprudence citée).

46 L’exigence d’indépendance des juridictions, qui découle de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, comporte deux aspects. Le premier aspect, d’ordre externe, requiert que l’instance concernée exerce ses fonctions en toute autonomie, sans être soumise à aucun lien hiérarchique ou de subordination à l’égard de quiconque et sans recevoir d’ordres ou d’instructions de quelque origine que ce soit, étant ainsi protégée contre les interventions ou les pressions extérieures susceptibles de porter
atteinte à l’indépendance de jugement de ses membres et d’influencer leurs décisions. Le second aspect, d’ordre interne, rejoint la notion d’« impartialité » et vise l’égale distance par rapport aux parties au litige et à leurs intérêts respectifs au regard de l’objet de celui-ci. Ce dernier aspect exige le respect de l’objectivité et l’absence de tout intérêt dans la solution du litige en dehors de la stricte application de la règle de droit [voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2022, RS (Effet
des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 41 et jurisprudence citée].

47 Aux termes d’une jurisprudence constante de la Cour, les garanties d’indépendance et d’impartialité requises en vertu du droit de l’Union postulent l’existence de règles qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de l’instance en cause à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent [arrêts du 18 mai 2021, Asociaţia  Forumul Judecătorilor din România  e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19,
C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 196, ainsi que du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 82].

48 S’agissant, plus particulièrement, des règles gouvernant le régime disciplinaire, l’exigence d’indépendance impose, conformément à une jurisprudence constante, que ce régime présente les garanties nécessaires afin d’éviter tout risque d’utilisation d’un tel régime en tant que système de contrôle politique du contenu des décisions judiciaires. À cet égard, l’édiction de règles qui définissent, notamment, tant les comportements constitutifs d’infractions disciplinaires que les sanctions
concrètement applicables, qui prévoient l’intervention d’une instance indépendante conformément à une procédure garantissant pleinement les droits consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte, notamment les droits de la défense, et qui consacrent la possibilité de contester en justice les décisions des organes disciplinaires constitue un ensemble de garanties essentielles aux fins de la préservation de l’indépendance du pouvoir judiciaire (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia  Forumul Judecătorilor
din România  e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 198 ainsi que jurisprudence citée).

49 En outre, la perspective d’ouverture d’une enquête disciplinaire étant, en tant que telle, susceptible d’exercer une pression sur ceux qui ont la tâche de juger, il est essentiel qu’un organe compétent pour conduire les enquêtes et exercer l’action disciplinaire agisse lors de l’exercice de ses missions de manière objective et impartiale et qu’il soit, à cet effet, à l’abri de toute influence extérieure [voir, en ce sens, arrêts du 18 mai 2021, Asociaţia  Forumul Judecătorilor din România  e.a.,
C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 199, ainsi que du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 82].

50 Ainsi, et dès lors que les personnes occupant les postes de direction au sein d’un tel organe sont susceptibles d’exercer une influence déterminante sur l’activité de celui-ci, les règles gouvernant la procédure de nomination à ces postes doivent être conçues de manière à ce qu’elles ne puissent faire naître aucun doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’utilisation des prérogatives et des fonctions dudit organe comme instrument de pression sur l’activité judiciaire ou de
contrôle politique de cette activité (arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia  Forumul Judecătorilor din România  e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 200).

51 Une telle exigence s’applique non seulement aux règles gouvernant la procédure de nomination aux postes de direction au sein d’un organe compétent pour conduire les enquêtes et exercer l’action disciplinaire, mais aussi, plus largement, à l’ensemble des règles régissant l’organisation et le fonctionnement de cet organe.

52 En effet, ces dernières règles sont, de manière générale, susceptibles d’affecter directement la pratique dudit organe et donc de prévenir ou, au contraire, de favoriser l’exercice d’actions disciplinaires ayant pour objet ou pour effet d’exercer une pression sur ceux qui ont la tâche de juger ou d’assurer un contrôle politique de leur activité.

53 À cet égard, la concentration, entre les mains du directeur d’un tel organe, de pouvoirs lui permettant de réglementer l’organisation et le fonctionnement de cet organe ainsi que de prendre des décisions individuelles concernant la carrière de ses agents et les affaires que ceux-ci traitent est de nature à assurer à ce directeur un contrôle effectif sur l’ensemble des actions dudit organe, en tant que ledit directeur pourra non seulement influer sur le choix des agents du même organe, y compris
sur les membres de sa direction, mais aussi sur l’évolution de leur carrière ainsi que sur le sens et le contenu des décisions concrètement arrêtées par ces agents dans les actions disciplinaires visant des juges.

54 L’existence d’un contrôle de cet ordre ne saurait, néanmoins, être considérée comme étant, en tant que telle, incompatible avec l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

55 En effet, si un contrôle effectif du directeur d’un organe compétent pour conduire les enquêtes et exercer l’action disciplinaire sur l’ensemble des actions de cet organe peut être de nature à favoriser l’efficacité ainsi que l’uniformité des pratiques dudit organe, une telle concentration des pouvoirs dans les mains du seul directeur ne saurait, en tant que telle, nuire aux exigences d’indépendance et d’impartialité dans la mesure où les agents d’un organe tel que celui en cause au principal
sont appelés non pas à trancher des litiges en tant que juges, mais à mener des enquêtes et à engager des poursuites disciplinaires, de sorte qu’ils ne doivent pas nécessairement satisfaire à toutes les exigences d’indépendance et d’impartialité applicables aux juges.

56 Pour autant, la concentration de pouvoirs importants entre les mains du directeur d’un organe compétent pour conduire les enquêtes et exercer l’action disciplinaire est susceptible, en tant qu’elle offre en pratique à celui-ci une large discrétion dans l’engagement d’actions disciplinaires contre les juges, de faciliter l’utilisation, par ce directeur, du régime disciplinaire des juges pour influencer l’activité de ceux‑ci.

57 Dès lors, une réglementation octroyant au directeur de cet organe des pouvoirs tels que ceux qui sont conférés à l’inspecteur en chef par la réglementation en cause au principal pourrait faire naître un doute légitime, dans l’esprit des justiciables, s’agissant de l’utilisation des prérogatives et des fonctions dudit organe comme instrument de pression sur l’activité judiciaire ou de contrôle politique de cette activité.

58 C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartiendra, en dernière analyse, de se prononcer à ce sujet après avoir procédé aux appréciations requises à cette fin. Il importe, en effet, de rappeler que l’article 267 TFUE habilite la Cour non pas à appliquer les règles du droit de l’Union à une espèce déterminée, mais seulement à se prononcer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions de l’Union européenne. Toutefois, conformément à une jurisprudence constante, la Cour
peut, dans le cadre de la coopération judiciaire instaurée à cet article 267 TFUE, à partir des éléments du dossier, fournir à la juridiction nationale les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui pourraient lui être utiles dans l’appréciation des effets de telle ou telle disposition de celui-ci (voir, par analogie, arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia  Forumul Judecătorilor din România  e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 201 ainsi que
jurisprudence citée).

59 À cet égard, la juridiction de renvoi devra apprécier la réglementation en cause au principal en tant que telle et dans son contexte juridico-factuel national. En effet, plusieurs éléments qui relèvent de ce contexte et qui ressortent de la décision de renvoi et du dossier dont dispose la Cour sont susceptibles de présenter une certaine pertinence aux fins de l’examen que doit mener la juridiction de renvoi.

60 S’agissant, en premier lieu, de la réglementation en cause au principal, les garanties éventuellement prévues par celle-ci, afin de prévenir la survenance ou la persistance d’abus de pouvoirs de la part du directeur d’un organe compétent pour conduire les enquêtes et exercer l’action disciplinaire, voire l’absence éventuelle de telles garanties, revêtent une importance particulière.

61 Or, la juridiction de renvoi précise que, en application de cette réglementation, une action disciplinaire destinée à réprimer des abus commis par l’inspecteur en chef ne peut être engagée que par un inspecteur dont la carrière dépend, dans une large mesure, des décisions de l’inspecteur en chef et qui devra nécessairement agir dans le cadre de l’organisation définie par ce dernier.

62 En outre, il ressort de la décision de renvoi que les décisions relatives à l’inspecteur en chef peuvent être révisées par l’inspecteur en chef adjoint, qui a été désigné par l’inspecteur en chef et dont le mandat prendra fin en même temps que celui de l’inspecteur en chef.

63 Un tel régime disciplinaire semble, sous réserve des vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi, de nature à faire obstacle, en pratique, à l’exercice effectif d’une action disciplinaire contre l’inspecteur en chef, même si celui-ci devait faire l’objet de plaintes sérieusement étayées.

64 Certes, ainsi que le montre la procédure en cause au principal, le classement sans suite d’une plainte contre l’inspecteur en chef peut faire l’objet d’un recours pouvant aboutir, le cas échéant, à l’annulation de la décision de classement sans suite et au prononcé d’injonctions relatives au traitement devant être assuré par l’Inspection judiciaire à cette plainte.

65 Il appartient, toutefois, à la juridiction de renvoi d’apprécier dans quelle mesure les pouvoirs dont disposent à cet égard les juridictions roumaines sont susceptibles de permettre l’exercice effectif d’actions disciplinaires contre l’inspecteur en chef ainsi qu’un traitement efficace et impartial des plaintes dirigées contre ce dernier. Aux fins de cette appréciation, la juridiction de renvoi devra, notamment, tenir compte de la dépendance à l’égard de l’inspecteur en chef qui sera à nouveau
saisi de l’affaire à la suite de l’annulation d’une décision de classement sans suite et du risque éventuel d’expiration de délais de prescription pouvant faire obstacle à l’exercice de poursuites disciplinaires.

66 Dans l’hypothèse où cette juridiction devrait conclure que l’action de l’inspecteur en chef ne peut pas faire l’objet, dans le cadre de la réglementation en cause au principal, d’un contrôle réel et effectif, il y aurait lieu de considérer que cette réglementation n’est pas conçue de manière à ce qu’elle ne puisse faire naître aucun doute légitime, dans l’esprit des justiciables, s’agissant de l’utilisation des prérogatives et des fonctions de l’Inspection judiciaire comme instrument de pression
sur l’activité judiciaire ou de contrôle politique de cette activité [voir, par analogie, arrêts du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 142 ; du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 129, ainsi que du 18 mai 2021, Asociaţia  Forumul Judecătorilor din România  e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19
et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 205].

67 En ce qui concerne, en second lieu, le contexte juridico-factuel national qu’il convient de prendre en compte, trois éléments qui ressortent de la décision de renvoi ainsi que du dossier dont dispose la Cour sont susceptibles de présenter une certaine pertinence aux fins de l’examen que doit mener la juridiction de renvoi.

68 Tout d’abord, il apparaît, sous réserve des vérifications que cette juridiction devra opérer, que les pouvoirs de l’inspecteur en chef ont été renforcés dans le contexte plus global de réformes de l’organisation du pouvoir judiciaire roumain ayant pour objet ou pour effet de réduire les garanties d’indépendance et d’impartialité des juges roumains [voir, par analogie, arrêts du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, points 133 à 135,
ainsi que du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, points 106 et 108].

69 Ensuite, les modalités concrètes de nomination de l’inspecteur en chef peuvent revêtir une certaine importance, si celles-ci indiquent que cet inspecteur en chef est étroitement lié aux pouvoirs exécutif ou législatif, ce qui semble, à première vue, être le cas en l’occurrence.

70 Enfin, il convient également de prendre en considération la pratique concrète suivie par l’inspecteur en chef dans l’exercice de ses prérogatives [voir, par analogie, arrêts du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 144, ainsi que du 18 mai 2021, Asociaţia  Forumul Judecătorilor din România  e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 219].

71 En l’occurrence, la Commission fait état d’exemples pouvant montrer que ces prérogatives ont été utilisées, à plusieurs reprises, à des fins de contrôle politique de l’activité judiciaire, certains de ces exemples figurant d’ailleurs dans les rapports de la Commission au Parlement européen et au Conseil, du 22 octobre 2019 et du 8 juin 2021, sur les progrès réalisés par la Roumanie au titre du mécanisme de coopération et de vérification [COM(2019) 499 final, p. 7 et 8, ainsi que COM(2021) 370,
p. 18], dont les autorités roumaines doivent dûment tenir compte, au titre du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, aux fins de la réalisation des objectifs poursuivis par la décision 2006/928 (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia  Forumul Judecătorilor din România  e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 178).

72 Sous réserve des vérifications incombant à la juridiction de renvoi, il apparaît donc que ces éléments du contexte juridico-factuel national portés à la connaissance de la Cour tendent à corroborer, plutôt qu’à infirmer, une éventuelle constatation selon laquelle la réglementation en cause au principal n’est pas conçue de manière à ce qu’elle ne puisse faire naître aucun doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’utilisation des prérogatives et des fonctions de l’Inspection
judiciaire comme instrument de pression sur l’activité judiciaire ou de contrôle politique de cette activité.

73 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lus en combinaison avec la décision 2006/928, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale

– qui confère au directeur d’un organe compétent pour conduire les enquêtes et exercer l’action disciplinaire contre les juges et les procureurs le pouvoir d’adopter des actes réglementaires et individuels, relatifs, notamment, à l’organisation de cet organe, à la sélection de ses agents, à leur évaluation, à l’exécution de leurs travaux ou encore à la désignation d’un directeur adjoint,

– alors que, tout d’abord, ces agents et ce directeur adjoint sont seuls compétents pour conduire une enquête disciplinaire contre ce directeur, ensuite, leur carrière dépend, dans une large mesure, des décisions dudit directeur et, enfin, le mandat dudit directeur adjoint prendra fin en même temps que celui du même directeur,

lorsque cette réglementation n’est pas conçue de manière à ce qu’elle ne puisse faire naître aucun doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’utilisation des prérogatives et des fonctions de cet organe comme instrument de pression sur l’activité de ces juges et de ces procureurs ou de contrôle politique de cette activité.

Sur les dépens

74 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

  L’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lus en combinaison avec la décision 2006/928/CE de la Commission, du 13 décembre 2006, établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption,

  doivent être interprétés en ce sens que :

  ils s’opposent à une réglementation nationale

– qui confère au directeur d’un organe compétent pour conduire les enquêtes et exercer l’action disciplinaire contre les juges et les procureurs le pouvoir d’adopter des actes réglementaires et individuels, relatifs, notamment, à l’organisation de cet organe, à la sélection de ses agents, à leur évaluation, à l’exécution de leurs travaux ou encore à la désignation d’un directeur adjoint,
 
– alors que, tout d’abord, ces agents et ce directeur adjoint sont seuls compétents pour conduire une enquête disciplinaire contre ce directeur, ensuite, leur carrière dépend, dans une large mesure, des décisions dudit directeur et, enfin, le mandat dudit directeur adjoint prendra fin en même temps que celui du même directeur,

  lorsque cette réglementation n’est pas conçue de manière à ce qu’elle ne puisse faire naître aucun doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’utilisation des prérogatives et des fonctions de cet organe comme instrument de pression sur l’activité de ces juges et de ces procureurs ou de contrôle politique de cette activité.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le roumain.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-817/21
Date de la décision : 11/05/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par la Curtea de Apel Bucureşti.

Renvoi préjudiciel – État de droit – Indépendance de la justice – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – Décision 2006/928/CE – Indépendance des juges – Procédure disciplinaire – Inspection judiciaire – Inspecteur en chef ayant des pouvoirs de réglementation, de sélection, d’évaluation, de nomination et d’instruction disciplinaire.

Relations extérieures


Parties
Demandeurs : R.I.
Défendeurs : Inspecţia Judiciară et N.L.

Composition du Tribunal
Avocat général : Collins
Rapporteur ?: Bay Larsen

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:391

Source

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