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11/05/2023 | CJUE | N°C-155/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, RE contre Bezirkshauptmannschaft Lilienfeld., 11/05/2023, C-155/22


 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

11 mai 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Transports par route – Règles communes relatives aux conditions d’exercice de la profession de transporteur par route – Règlement (CE) no 1071/2009 – Articles 6 et 22 – Réglementation nationale permettant le transfert de la responsabilité pénale du fait des infractions graves concernant le temps de conduite et de repos des conducteurs – Absence de prise en compte des sanctions infligées pour ces infractions lors d’appréciation de l’honorabilité de l’en

treprise de transport
routier »

Dans l’affaire C‑155/22,

ayant pour objet une demande de déci...

 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

11 mai 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Transports par route – Règles communes relatives aux conditions d’exercice de la profession de transporteur par route – Règlement (CE) no 1071/2009 – Articles 6 et 22 – Réglementation nationale permettant le transfert de la responsabilité pénale du fait des infractions graves concernant le temps de conduite et de repos des conducteurs – Absence de prise en compte des sanctions infligées pour ces infractions lors d’appréciation de l’honorabilité de l’entreprise de transport
routier »

Dans l’affaire C‑155/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landesverwaltungsgericht Niederösterreich (tribunal administratif régional de Basse-Autriche, Autriche), par décision du 3 mars 2022, parvenue à la Cour le 3 mars 2022, dans la procédure

RE

contre

Bezirkshauptmannschaft Lilienfeld,

en présence de :

Arbeitsinspektorat NÖ Wald- und Mostviertel,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), MM. F. Biltgen, N. Wahl et J. Passer, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour RE, par Mes A. Bajraktarevic et D. Schärmer, Rechtsanwälte,

– pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Leeb, M. A. Posch et Mme J. Schmoll, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par MM. P. Messina et G. Wilms, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 22 du règlement (CE) no 1071/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, établissant des règles communes sur les conditions à respecter pour exercer la profession de transporteur par route et abrogeant la directive 96/26/CE du Conseil (JO 2009, L 300, p. 51), tel que modifié par le règlement (UE) no 517/2013 du Conseil, du 13 mai 2013 (JO 2013, L 158, p. 1) (ci-après le
« règlement no 1071/2009 »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant RE à la Bezirkshauptmannschaft Lilienfeld (autorité administrative du district de Lilienfeld, Autriche) (ci-après l’« autorité administrative ») au sujet de plusieurs sanctions infligées à RE par l’autorité administrative pour violations des règles du droit de l’Union concernant notamment les temps de conduite et de repos des conducteurs.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 1, 2 et 4 du règlement no 1071/2009 énoncent :

« (1) La réalisation d’un marché intérieur du transport par route avec des conditions loyales de concurrence exige l’application uniforme de règles communes concernant l’accès à la profession de transporteur de marchandises ou de voyageurs par route (ci‑après “profession de transporteur par route”). Ces règles communes contribueront à atteindre un niveau plus élevé de qualification professionnelle pour les transporteurs par route, à rationaliser le marché, à augmenter la qualité du service, dans
l’intérêt des transporteurs par route, de leurs clients et de l’économie dans son ensemble, ainsi qu’à améliorer la sécurité routière [...]

(2) La directive 96/26/CE du Conseil du 29 avril 1996 concernant l’accès à la profession de transporteur de marchandises et de transporteur de voyageurs par route ainsi que la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres visant à favoriser l’exercice effectif de la liberté d’établissement de ces transporteurs dans le domaine des transports nationaux et internationaux [(JO 1996, L 124, p. 1)] établit les conditions minimales régissant l’accès à la profession de transporteur
par route et la reconnaissance mutuelle des documents requis à cet égard. Toutefois, l’expérience, une analyse d’impact et diverses études réalisées en la matière montrent que ladite directive est appliquée de façon disparate par les États membres. Cette disparité a plusieurs conséquences négatives, notamment une distorsion de la concurrence, un manque de transparence du marché et de contrôle uniforme, ainsi que le risque que des entreprises employant du personnel à faible niveau de
qualification professionnelle puissent être négligentes en ce qui concerne les règles de sécurité routière et les règles sociales, ou moins respectueuses de celles-ci, ce qui peut nuire à l’image du secteur.

[...]

(4) Il convient donc de moderniser les règles existantes concernant l’accès à la profession de transporteur par route afin d’en assurer une application plus homogène et effective. [...] »

4 L’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement dispose :

« Le présent règlement régit l’accès à la profession de transporteur par route et l’exercice de cette profession. »

5 L’article 2, point 5, dudit règlement définit le « gestionnaire de transport » comme étant « une personne physique employée par une entreprise ou, si cette entreprise est une personne physique, cette personne ou, si une telle possibilité est prévue, une autre personne physique que l’entreprise désigne au moyen d’un contrat, qui dirige effectivement et en permanence les activités de transport de cette entreprise ».

6 L’article 3 du même règlement, intitulé « Exigences pour exercer la profession de transporteur par route », prévoit, à son paragraphe 1, sous b), que les entreprises qui exercent la profession de transporteur par route doivent être « honorables ».

7 Aux termes de l’article 6 du règlement no 1071/2009, intitulé « Conditions relatives à l’exigence d’honorabilité » :

« 1.   Sous réserve du paragraphe 2 du présent article, les États membres déterminent les conditions que doivent remplir des entreprises et des gestionnaires de transport pour satisfaire à l’exigence d’honorabilité prévue à l’article 3, paragraphe 1, point b).

Pour déterminer si une entreprise satisfait à cette exigence, les États membres tiennent compte de la conduite de l’entreprise, de ses gestionnaires de transport et de toute autre personne concernée qui pourrait être désignée par l’État membre. Toute référence, dans le présent article, à une condamnation, à une sanction ou à une infraction inclut les condamnations prononcées à l’encontre de l’entreprise elle‑même, de ses gestionnaires de transport et de toute autre personne concernée qui pourrait
être désignée par l’État membre, ainsi que les sanctions qui leur sont infligées et les infractions qu’ils ont commises.

Les conditions visées au premier alinéa comprennent au moins ce qui suit :

[...]

b) le gestionnaire de transport ou l’entreprise de transport n’a pas fait l’objet, dans un ou plusieurs États membres, d’une condamnation pénale grave ou ne s’est pas vu inflig[er] de sanction pour avoir gravement enfreint les réglementations communautaires qui concernent notamment :

i) les temps de conduite et de repos des conducteurs, le temps de travail et l’installation et l’utilisation des appareils de contrôle ;

[...]

2.   Aux fins du paragraphe l, troisième alinéa, point b) :

a) si le gestionnaire de transport ou l’entreprise de transport a fait l’objet, dans un ou plusieurs États membres, d’une condamnation pénale grave ou qu’on lui a infligé une sanction pour une des infractions les plus graves aux réglementations communautaires, visées à l’annexe IV, l’autorité compétente de l’État membre d’établissement mène, d’une manière appropriée et en temps opportun, une procédure administrative en bonne et due forme comprenant, s’il y a lieu, un contrôle effectué dans les
locaux de l’entreprise concernée.

La procédure détermine si, compte tenu de circonstances spécifiques, la perte de l’honorabilité constituerait une mesure disproportionnée dans le cas d’espèce. Toute conclusion dans ce sens doit être dûment motivée et justifiée.

Si l’autorité compétente conclut que la perte de l’honorabilité constituerait une mesure disproportionnée, elle peut décider que l’honorabilité n’est pas remise en cause. Dans ce cas, les motifs qui sous-tendent cette décision sont inscrits dans le registre national. Le nombre de ces décisions est indiqué dans le rapport visé à l’article 26, paragraphe 1.

Si l’autorité compétente ne conclut pas que la perte de l’honorabilité constituerait une mesure disproportionnée, la condamnation ou la sanction entraînent la perte de l’honorabilité ;

[...] »

8 L’article 12 de ce règlement, intitulé « Contrôles », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les autorités compétentes vérifient que les entreprises qu’elles ont autorisées à exercer la profession de transporteur par route continuent de satisfaire aux exigences prévues à l’article 3. [...] »

9 Aux termes de l’article 13, paragraphe 3, dudit règlement :

« Si l’autorité compétente constate que l’entreprise ne satisfait plus à une ou plusieurs des exigences prévues à l’article 3, elle suspend ou retire, dans les délais visés au paragraphe 1 du présent article, l’autorisation d’exercer la profession de transporteur par route. »

10 L’article 22 du même règlement prévoit :

« 1.   Les États membres fixent les règles relatives aux sanctions applicables aux violations des dispositions du présent règlement et prennent toutes les mesures nécessaires pour assurer leur mise en œuvre. Les sanctions prévues doivent être efficaces, proportionnées et dissuasives. Les États membres notifient ces dispositions à la Commission [européenne] au plus tard le 4 décembre 2011 et lui notifient sans délai toute modification ultérieure les concernant. Les États membres veillent à ce que
toutes ces mesures soient appliquées sans discrimination en raison de la nationalité ou du lieu d’établissement de l’entreprise.

2.   Les sanctions visées au paragraphe 1 comprennent notamment la suspension de l’autorisation d’exercer la profession de transporteur par route, le retrait de cette autorisation et une déclaration d’inaptitude des gestionnaires de transport. »

11 L’annexe IV du règlement no 1071/2009 contient la « [l]iste des infractions les plus graves aux fins de l’article 6, paragraphe 2, point a) », du même règlement.

Le droit autrichien

12 En vertu de l’article 9, paragraphe 2, dernière phrase, du Verwaltungsstrafgesetz (loi sur les sanctions administratives), du 31 janvier 1991 (BGBl. 52/1991), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après le « VStG »), les personnes habilitées à représenter une société vis-à-vis des tiers peuvent désigner, en tant que préposés responsables, une ou plusieurs personnes qui ne font pas partie du cercle des personnes habilitées à la représenter vis-à-vis des tiers, auxquelles incombent
la responsabilité du respect des règles administratives relatives à certains domaines de l’entreprise, territorialement ou matériellement délimités.

13 Selon l’article 91, paragraphe 2, de la Gewerbeordnung (code des professions artisanales, commerciales et industrielles), du 18 mars 1994 (BGBl. 194/1994), dans sa version applicable aux faits au principal, l’autorisation d’exercer une activité professionnelle ne peut être retirée à une personne morale exerçant une activité industrielle ou artisanale que si les motifs du retrait se rapportent à une personne physique exerçant une influence significative sur la conduite des affaires et si l’entité
exerçant l’activité professionnelle n’a pas écarté cette personne physique dans le délai que l’administration lui a fixé à cet effet.

14 Conformément à l’article 5, paragraphe 2, du Güterbeförderungsgesetz (loi relative au transport routier de marchandises), du 31 août 1995 (BGBl. 593/1995), dans sa version applicable aux faits au principal, en dehors des cas de figure régis par l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1071/2009, l’honorabilité de l’entreprise de transport n’est pas établie notamment lorsque le demandeur, le titulaire de l’autorisation d’exercer une activité professionnelle ou le gestionnaire de transport a été
définitivement condamné à une peine privative de liberté de plus de trois mois ou à une amende de plus de 180 jours-amende ou a commis des infractions graves aux réglementations en vigueur dans les domaines des conditions salariales et de travail du secteur professionnel concerné ou du transport de marchandises, en particulier des temps de conduite et de repos des conducteurs.

Le litige au principal et la question préjudicielle

15 RE a été désignée par H.Z. GmbH, une entreprise de transport routier exerçant son activité dans le domaine du transport international de marchandises, en tant que préposée responsable, au sens de l’article 9, paragraphe 2, dernière phrase, du VStG. En cette qualité, RE a assumé la responsabilité du respect des dispositions de l’Arbeitszeitgesetz (loi sur le temps de travail, ci-après l’« AZG »).

16 Par une décision du 11 janvier 2019 (ci-après la « décision litigieuse »), l’autorité administrative a infligé à RE, en sa qualité de préposée responsable de H.Z., plusieurs amendes, au motif que des dispositions de l’AZG, lues en combinaison avec, d’une part, le règlement (CE) no 561/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, modifiant les règlements (CEE)
no 3821/85 et (CE) no 2135/98 du Conseil et abrogeant le règlement (CEE) no 3820/85 du Conseil (JO 2006, L 102, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 165/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 4 février 2014 (JO 2014, L 60, p. 1), et, d’autre part, certaines dispositions du règlement no 165/2014 avaient été violées.

17 En particulier, RE n’aurait pas planifié le temps de travail de S.R., un des conducteurs employés par H.Z., de manière à lui permettre de respecter les heures de conduite journalières prescrites par le règlement no 561/2006, tel que modifié par le règlement no 165/2014. RE n’aurait pas non plus veillé à ce que S.R. respecte les obligations relatives à l’utilisation du tachygraphe prévues par le règlement no 165/2014, notamment en ce qui concerne l’obligation d’inscrire certaines informations sur
la carte de conducteur à l’aide de la fonction de saisie manuelle, cette dernière violation constituant une infraction très grave au regard de l’annexe III de la directive 2006/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant les conditions minimales à respecter pour la mise en œuvre des règlements du Conseil (CEE) no°3820/85 et (CEE) no°3821/85 concernant la législation sociale relative aux activités de transport routier, et abrogeant la directive 88/599/CEE du Conseil (JO
2006, L 102, p. 35).

18 À la date des faits incriminés, H.Z. était titulaire d’une licence de transport international de marchandises. Son gérant, au sens du droit commercial, était lui aussi, simultanément, le gestionnaire de transport. Pour sa part, RE n’était ni une gestionnaire de transport ni une mandataire habilitée à représenter H.Z. vis-vis des tiers. RE n’avait pas non plus d’influence significative sur la gestion de H.Z.

19 Par ailleurs, à la date d’ouverture de la procédure administrative à caractère pénal ayant conduit à l’adoption de la décision litigieuse, le casier judiciaire de RE comportait 113 condamnations définitives, dont au moins 65 résultaient de violations du droit de l’Union commises au sein de H.Z., en sa qualité d’entreprise de transport routier. L’honorabilité de cette société, en tant qu’entreprise de transport routier, n’aurait jamais été examinée à la lumière de ces infractions.

20 Par un jugement du 29 mai 2020, la juridiction de renvoi, le Landesverwaltungsgericht Niederösterreich (tribunal administratif régional de Basse-Autriche, Autriche), a annulé la décision litigieuse en raison des doutes qu’elle éprouvait quant à la compatibilité de l’article 9, paragraphe 2, dernière phrase, du VStG avec le règlement no 1071/2009. Cette juridiction a estimé que les dispositions nationales en cause devant elle ne pouvaient servir de base légale aux sanctions infligées à RE, dès
lors que la procédure administrative au terme de laquelle ces sanctions ont été adoptées ne permettait pas d’aboutir à un contrôle de l’honorabilité de H.Z. et, partant, à une éventuelle sanction de cette dernière. Selon elle, en cas de condamnation de RE à une sanction, aucune autre personne ne pourrait être sanctionnée pour les mêmes faits.

21 En particulier, la juridiction de renvoi a, tout d’abord, relevé que, en vertu de l’article 22 du règlement no 1071/2009, les États membres doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que les sanctions prévues en cas de violations de ce règlement, au nombre desquelles figurent le retrait de l’autorisation d’exercer la profession de transporteur par route en cas de perte d’honorabilité, prévu à l’article 6 dudit règlement, soient effectives, proportionnées et dissuasives.
L’existence d’une sanction pour une infraction grave aux règles du droit de l’Union concernant les temps de conduite et de repos des conducteurs constituerait l’un des éléments permettant de caractériser une perte d’honorabilité. Il s’ensuivrait que la procédure administrative à caractère pénal en cause constitue une « mesure », au sens de l’article 22 du règlement no 1071/2009.

22 Ensuite, ladite juridiction a indiqué qu’un préposé responsable, au sens de l’article 9, paragraphe 2, dernière phrase, du VStG, n’est pas une « personne concernée qui pourrait être désignée par l’État membre », au sens de l’article 6, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement no 1071/2009. En effet, les dispositions nationales pertinentes aux fins d’une telle désignation, à savoir l’article 5, paragraphe 2, de la loi relative au transport routier de marchandises, dans sa version applicable aux
faits au principal, et l’article 91, paragraphe 2, du code des professions artisanales, commerciales et industrielles, dans sa version applicable aux faits au principal, ne viseraient, respectivement, que les titulaires de l’autorisation d’exercer l’activité professionnelle et les personnes exerçant une influence significative sur la conduite des affaires, à savoir, s’agissant d’une société à responsabilité limitée, telle que H.Z., un gérant au sens du droit commercial ou un associé majoritaire
de la société. Ainsi, en application des dispositions du droit national susmentionnées, les sanctions infligées aux préposés responsables, au sens de l’article 9, paragraphe 2, dernière phrase, du VStG, en raison de violations très graves des dispositions du droit de l’Union concernant les temps de conduite et de repos des conducteurs, telles que celles reprochées à RE, ne seraient pas susceptibles d’entacher l’honorabilité de l’entreprise de transport routier concernée et, par voie de
conséquence, de telles sanctions ne seraient pas prises en compte lors de l’appréciation de l’honorabilité de cette entreprise ni ne donneraient lieu à un contrôle d’une telle honorabilité.

23 Enfin, la juridiction de renvoi a considéré que le résultat auquel conduisait l’application du droit national était contraire à l’objectif poursuivi par l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1071/2009 et ne permettait pas d’assurer, contrairement aux prescriptions de l’article 22 de ce règlement, l’effet dissuasif des dispositions nationales relatives au contrôle de l’honorabilité de l’entreprise de transport qui se rattachent à la procédure pénale.

24 Cette juridiction a en substance estimé que, dans l’affaire pendante devant elle, la seule possibilité de garantir la conformité au droit de l’Union de la procédure administrative à caractère pénal consistait à ne pas infliger à RE une sanction qui ne permettait pas d’atteindre cet objectif et à laisser, de ce fait, inappliqué l’article 9, paragraphe 2, du VStG.

25 Par un arrêt du 21 juillet 2021, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) a annulé le jugement du Landesverwaltungsgericht Niederösterreich (tribunal administratif régional de Basse-Autriche), considérant que la juridiction de renvoi n’avait pas à contrôler si la sanction avait été infligée à RE de telle sorte qu’elle donnait lieu à un contrôle contraignant de l’honorabilité en vertu des dispositions du règlement no 1071/2009.

26 Le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a, tout d’abord, jugé que l’appréciation de la juridiction de renvoi selon laquelle, s’agissant des infractions aux dispositions de droit de l’Union concernant les temps de conduite et de repos des conducteurs, seul le gérant, au sens du droit commercial, et non le préposé responsable nommé conformément à l’article 9, paragraphe 2, du VStG, pourrait être déclaré pénalement responsable ne ressortait pas du règlement no 1071/2009. Selon le
Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative), en ce qui concerne ces infractions, il y avait lieu de partir du principe de la responsabilité pénale de l’employeur ou du préposé responsable.

27 Ensuite, cette juridiction a jugé que l’appréciation du Landesverwaltungsgericht Niederösterreich (tribunal administratif régional de Basse-Autriche), selon laquelle le fait de sanctionner uniquement le préposé responsable ne permettait pas de retirer à l’entreprise de transport routier concernée l’autorisation d’exercer la profession de transporteur par route, à titre de sanction effective, au sens de l’article 22 du règlement no 1071/2009, était dénuée de pertinence aux fins de la procédure en
cause, car celle-ci ne portait pas sur un tel retrait.

28 Enfin, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a ajouté que l’article 6, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement no 1071/2009 non seulement n’excluait pas mais semblait au contraire suggérer que, dans le cadre d’une telle procédure de retrait, il y aurait également lieu de tenir compte des sanctions prononcées contre des préposés responsables, en tant que « personnes concernées désignées par l’État membre », en l’occurrence, par l’article 9 du VStG.

29 Appelée à statuer sur la procédure administrative à caractère pénal en cause, à la suite de l’annulation de son jugement du 29 mai 2020 par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative), la juridiction de renvoi, à laquelle l’affaire a été renvoyée, émet toujours les mêmes doutes exprimés dans ce jugement quant à la compatibilité de l’article 9, paragraphe 2, dernière phrase, du VStG avec le règlement no 1071/2009.

30 Dans ces conditions, le Landesverwaltungsgericht Niederösterreich (tribunal administratif régional de Basse-Autriche) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Convient-il d’interpréter le droit de l’Union en ce sens qu’il admet une disposition nationale, laquelle permet aux personnes engageant leur responsabilité pénale pour une entreprise de transport de transférer à une personne physique, par commun accord, leur responsabilité au titre d’infractions très graves contre des dispositions communautaires en matière des temps de conduite et de repos des conducteurs lorsque, du fait de ce transfert, il n’est pas procédé au contrôle d’honorabilité au sens
du règlement no 1071/2009, contrôle que les dispositions nationales prévoient uniquement lorsqu’une sanction est infligée à la personne qui engageait sa responsabilité pénale et qui l’a transférée ? »

Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

31 Tous les intéressés ayant déposé des observations écrites devant la Cour contestent la recevabilité de la demande de décision préjudicielle.

32 Tout d’abord, l’ensemble de ces intéressés font valoir que la procédure administrative à caractère pénal au principal n’est pas une procédure visée à l’article 6, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1071/2009, dès lors qu’elle a pour objet non pas le contrôle de l’honorabilité de H.Z., mais le contrôle de la légalité d’une décision infligeant à RE des amendes pour des infractions à l’AZG. L’interprétation du règlement no 1071/2009 sollicitée par la juridiction de renvoi n’aurait ainsi aucun
rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou porterait sur un problème de nature hypothétique.

33 Selon RE, le caractère hypothétique de la question posée par la juridiction de renvoi résulte également du fait que les infractions qui lui sont reprochées ne relèveraient pas de la liste des infractions les plus graves aux fins de l’article 6, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1071/2009, visées à l’annexe IV de ce dernier, de telle sorte que la condition à laquelle est subordonnée l’ouverture par les autorités nationales de la procédure permettant de contrôler si la perte d’honorabilité
constitue une mesure disproportionnée, prévue à cette disposition, ferait, en tout état de cause, clairement défaut.

34 Ensuite, le gouvernement autrichien conteste l’interprétation du droit national effectuée par la juridiction de renvoi, selon laquelle les préposés responsables, au sens de l’article 9, paragraphe 2, dernière phrase, du VStG, ne font pas partie des catégories de personnes dont la conduite est susceptible d’entacher l’honorabilité de l’entreprise. Cette interprétation, sur laquelle serait fondée la question préjudicielle, serait contraire à la jurisprudence du Verwaltungsgerichtshof (Cour
administrative), dont il ressortirait que de tels préposés responsables sont des « personnes concernées désignées par cet État membre », au sens de l’article 6, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement no 1071/2009, et serait, dès lors, erronée.

35 Enfin, la Commission invoque le caractère ambigu de la demande de décision préjudicielle et le non-respect des exigences concernant le contenu d’une telle demande énoncées à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour.

36 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi de la procédure au principal et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement
que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 50 et jurisprudence citée).

37 En effet, de telles questions bénéficient d’une présomption de pertinence. Il n’est possible pour la Cour de refuser de statuer sur celles–ci que lorsque, notamment, les exigences concernant le contenu de la demande de décision préjudicielle figurant à l’article 94 du règlement de procédure ne sont pas respectées ou lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de la validité d’une règle de l’Union européenne, demandées par la juridiction nationale, n’ont aucun
rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou lorsque le problème est de nature hypothétique [arrêt du 22 septembre 2022, Vicente (Action en paiement d’honoraires d’avocat), C‑335/21, EU:C:2022:720, point 46 et jurisprudence citée].

38 Or, premièrement, il y a lieu de considérer que la juridiction de renvoi a exposé avec un niveau de clarté et de précision suffisant les éléments de fait et de droit caractérisant le litige au principal, rappelés aux points 15 à 29 du présent arrêt, et sur lesquels est fondée la question adressée à la Cour, les raisons qui l’ont conduite à s’interroger sur l’interprétation du règlement no 1071/2009, notamment, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, de l’article 22 de ce règlement, lu en
combinaison avec l’article 6 de celui-ci, et le lien qu’elle établit entre ces dispositions du droit de l’Union et l’article 9, paragraphe 2, dernière phrase, du VStG, qui serait applicable au litige au principal.

39 Partant, la demande de décision préjudicielle satisfait aux exigences prévues à l’article 94 du règlement de procédure.

40 Deuxièmement, s’agissant de l’allégation concernant le caractère hypothétique de la question préjudicielle et l’absence de rapport entre l’interprétation des articles 6 et 22 du règlement no 1071/2009 sollicitée par la juridiction de renvoi et la réalité ou l’objet du litige au principal, en premier lieu, il convient de relever que l’article 22, paragraphe 1, de ce règlement impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires afin d’assurer que les violations des dispositions dudit
règlement soient sanctionnées d’une manière effective, proportionnée et dissuasive.

41 Or, ainsi qu’il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1071/2009, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, de celui-ci, l’accès d’une entreprise à la profession de transporteur par route et l’exercice par celle-ci de cette profession sont subordonnés à la satisfaction de plusieurs exigences, dont celle de l’honorabilité de l’entreprise. Il s’ensuit que l’exercice de cette profession par une entreprise ne satisfaisant pas à cette exigence constitue une violation du
règlement no 1071/2009, qui doit être sanctionnée par les États membres, conformément à l’article 22 de ce règlement.

42 Par ailleurs, ainsi qu’il découle de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1071/2009, parmi les éléments susceptibles d’entacher l’honorabilité d’une entreprise, et d’aboutir, le cas échéant, à la perte d’une telle honorabilité, figurent les condamnations pénales graves et les sanctions infligées pour avoir enfreint gravement les réglementations du droit de l’Union visées à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, sous b), du règlement no 1071/2009.

43 Par conséquent, afin d’assurer que la remise en cause de l’honorabilité d’une entreprise de transport qui pourrait résulter du non-respect par celle-ci de ces réglementations du droit de l’Union soit sanctionnée d’une manière effective, proportionnée et dissuasive, et de respecter ainsi les obligations qui leur incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 22 du règlement no 1071/2009, les États membres doivent notamment garantir que les infractions graves auxdites
réglementations du droit de l’Union, commises au sein de ladite entreprise, soient poursuivies et sanctionnées, en adoptant à cet effet les dispositions nécessaires, telles que, notamment, celles concernant la responsabilité pénale du fait desdites infractions.

44 Or, l’article 9, paragraphe 2, dernière phrase, du VStG, applicable au litige au principal, ferait partie de telles dispositions, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, d’une part, cet article autorise une entreprise de transport routier à désigner une personne en tant que préposé responsable du respect des réglementations du droit de l’Union relatives aux temps de conduite et de repos des conducteurs employés par cette entreprise et, d’autre part, une telle désignation
emporte transfert au préposé ainsi désigné de la responsabilité pénale du fait des infractions à ces réglementations commises au sein de ladite société.

45 En second lieu, ainsi qu’il ressort également de la décision de renvoi, la juridiction de renvoi est saisie d’un recours portant sur la légalité de la décision litigieuse, dans le cadre duquel, selon cette juridiction, celle-ci doit, conformément au droit national, contrôler cette décision dans son intégralité, en se prononçant, en particulier, sur le caractère punissable du comportement reproché à la requérante au principal. Ainsi, la légalité de la décision litigieuse dépendrait notamment de la
conformité à l’article 22 du règlement no 1071/2009, lu en combinaison avec l’article 6 de ce règlement, de l’application faite en l’espèce de l’article 9, paragraphe 2, dernière phrase, du VStG. En effet, en appliquant cette dernière disposition au litige au principal, seule la requérante au principal peut voir sa responsabilité pénale engagée pour les infractions en cause, alors que le droit national exclurait que la conduite de cette personne puisse être prise en compte pour déterminer si la
société en question satisfait à l’exigence d’honorabilité.

46 Partant, le fait d’appliquer en l’occurrence l’article 9, paragraphe 2, dernière phrase, du VStG et de considérer que la responsabilité pénale de la requérante au principal est engagée risquerait d’avoir une incidence sur la possibilité de prendre en compte les infractions concernées aux fins du contrôle de l’honorabilité de ladite société, visé notamment à l’article 6, paragraphe 2, du règlement no 1071/2009, et du prononcé des éventuelles sanctions afférentes à l’absence d’honorabilité, visées
notamment à l’article 22 de ce règlement.

47 Par conséquent, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée par la juridiction de renvoi n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou que la question posée par la juridiction de renvoi est de nature hypothétique.

48 Est sans incidence à cet égard la circonstance, invoquée par RE, que les faits qui lui sont reprochés dans la procédure au principal ne figureraient pas sur la liste des infractions énumérées à l’annexe IV du règlement no 1071/2009, dès lors que, ainsi qu’il ressort des points 40 à 46 du présent arrêt, le lien existant entre les articles 22 et 6 du règlement no 1071/2009 et l’article 9, paragraphe 2, dernière phrase, du VStG, applicable au litige au principal, ne dépend pas du fait que les
infractions en cause au principal relèvent de ladite liste.

49 Troisièmement, il y a lieu de rappeler que, lorsqu’elle répond à des questions préjudicielles, il incombe à la Cour de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions de l’Union et les juridictions nationales, le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent ces questions, tel que défini par la décision de renvoi (arrêt du 2 avril 2020, Coty Germany, C‑567/18, EU:C:2020:267, point 21 et jurisprudence citée). En particulier, il n’appartient pas
à la Cour d’apprécier l’interprétation des dispositions du droit national ou de juger si l’interprétation que la juridiction nationale en donne est correcte (arrêt du 26 septembre 2013, Texdata Software, C‑418/11, EU:C:2013:588, point 28 et jurisprudence citée).

50 Il s’ensuit que la Cour doit s’en tenir à l’interprétation du droit national effectuée par la juridiction de renvoi en ce qui concerne l’absence de prise en compte, aux fins de l’article 6, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement no 1071/2009, des infractions dont sont tenus responsables les préposés responsables en vertu de l’article 9, paragraphe 2, dernière phrase, du VStG, sur laquelle est fondée la question posée par cette juridiction.

51 L’allégation du gouvernement autrichien concernant le caractère erroné d’une telle interprétation est, dès lors, sans incidence sur la recevabilité de cette question.

52 Il découle de ce qui précède que la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur la question préjudicielle

53 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 22 du règlement no 1071/2009, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle une personne qui engage sa responsabilité pénale pour les infractions commises au sein d’une entreprise de transport routier et dont la conduite est prise en compte aux fins de l’appréciation de l’honorabilité de cette
entreprise peut désigner une personne en tant que préposé responsable du respect des dispositions du droit de l’Union concernant les temps de conduite et de repos des conducteurs, et transférer ainsi à cette dernière personne la responsabilité pénale du fait des infractions à ces dispositions du droit de l’Union, lorsque le droit national ne permet pas de prendre en compte les infractions ainsi imputées audit préposé afin d’apprécier si l’entreprise de transport satisfait à l’exigence
d’honorabilité.

54 En premier lieu, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort des considérants 1, 2 et 4 du règlement no 1071/2009, ce dernier a pour objectif de moderniser les règles régissant l’accès à la profession de transporteur par route afin d’assurer une application plus homogène et effective de ces règles dans les États membres, en vue d’atteindre un niveau plus élevé de qualification professionnelle pour les transporteurs par route, de rationaliser le marché, d’augmenter la qualité du service, dans
l’intérêt des transporteurs par route, de leurs clients et de l’économie dans son ensemble, ainsi que d’améliorer la sécurité routière.

55 Parmi les exigences requises pour exercer la profession de transporteur par route énoncées à l’article 3 du règlement no 1071/2009 figure celle de l’honorabilité, dont les conditions sont précisées à l’article 6 de ce règlement.

56 À cet égard, d’une part, il ressort de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 1071/2009 qu’il appartient aux États membres de fixer les conditions que doivent remplir les entreprises pour satisfaire à l’exigence d’honorabilité. Toutefois, le législateur de l’Union a fixé, à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, de ce règlement, les conditions minimales que cette exigence doit comprendre, parmi lesquelles figure, au point b) de cette disposition, l’absence de
condamnations pénales graves ou de sanctions infligées à l’entreprise ou au gestionnaire de transport pour avoir gravement enfreint les réglementations du droit de l’Union énumérées à ce point, telles que celles concernant les temps de conduite et de repos des conducteurs.

57 D’autre part, conformément à l’article 6, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement no 1071/2009, afin de déterminer si une entreprise satisfait à l’exigence d’honorabilité, les États membres doivent tenir compte de la conduite de l’entreprise, de ses gestionnaires de transport et de toute autre personne concernée qui pourrait être désignée par lesdits États membres. Cette disposition précise également que toute référence, dans cet article 6, à une condamnation, à une sanction ou à une
infraction inclut les condamnations prononcées envers l’entreprise elle-même, ses gestionnaires de transport et toute autre personne concernée qui pourrait être désignée par l’État membre, ainsi que les sanctions qui leur sont infligées et les infractions qu’ils ont commises.

58 Il s’ensuit que le respect par une entreprise de transport routier, dans l’exercice de ses activités de transport, des réglementations visées à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, sous b), du règlement no 1071/2009 est l’une des conditions qu’elle doit remplir pour satisfaire à l’exigence d’honorabilité.

59 Cette exigence vise ainsi à éviter que des entreprises de transport routier négligentes en ce qui concerne notamment les règles de sécurité routière et les règles sociales opèrent dans le marché intérieur en compromettant de ce fait l’objectif poursuivi par le règlement no 1071/2009, tel qu’énoncé au point 54 du présent arrêt.

60 L’honorabilité d’une entreprise de transport routier dépend, par ailleurs, de l’absence de condamnations pénales graves ou de sanctions qui auraient été infligées à ses gestionnaires de transport pour avoir gravement enfreint les réglementations du droit de l’Union énumérées à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, sous b), du règlement no 1071/2009.

61 Cette condition répond tant à la finalité poursuivie par l’exigence d’honorabilité qu’à l’objectif poursuivi par ce règlement, en ce qu’elle vise notamment à empêcher que la gestion de l’activité de ces entreprises, en particulier des domaines d’activités relevant desdites réglementations du droit de l’Union, incombe à des personnes qui ont fait l’objet de telles condamnations pénales graves ou de telles sanctions, afin de réduire le risque que des entreprises de transport négligentes au sens
indiqué au point 59 du présent arrêt exercent cette profession.

62 Enfin, l’honorabilité d’une entreprise de transport routier dépend également de l’absence de condamnations pénales graves ou de sanctions qui auraient été infligées à toute autre personne concernée que les États membres pourraient désigner pour avoir gravement enfreint les réglementations du droit de l’Union énumérées à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, sous b), du règlement no 1071/2009.

63 La notion de « personnes concernées » pouvant être désignées par un État membre, qui figure à l’article 6, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement no 1071/2009, n’est pas définie dans ce règlement ni, de manière indirecte, par renvoi aux droits nationaux des États membres. Ainsi, ladite notion doit être considérée comme étant une notion autonome du droit de l’Union, qui doit être interprétée de manière uniforme sur le territoire de cette dernière, en tenant compte non seulement des termes de
ladite disposition, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 22 décembre 2022, EUROAPTIEKA, C‑530/20, EU:C:2022:1014, point 31 et jurisprudence citée).

64 À cet égard, il ressort du libellé même et de l’économie de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1071/2009 que les « personnes concernées », au sens du deuxième alinéa de cette disposition, font partie des catégories des personnes dont la conduite doit être prise en compte afin d’examiner si une entreprise de transport satisfait à l’exigence d’honorabilité prévue à l’article 3, paragraphe 1, sous b), de ce règlement. En conséquence, les condamnations pénales graves prononcées à leur égard
et les sanctions qui leur sont infligées pour les infractions graves aux réglementations du droit de l’Union visées à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, dudit règlement sont susceptibles d’entacher l’honorabilité de ladite entreprise, tout comme les condamnations pénales graves prononcées à l’égard de l’entreprise elle–même ou de ses gestionnaires de transport et les sanctions qui leur ont été infligées pour ces infractions.

65 Or, eu égard à la finalité poursuivie par l’exigence d’honorabilité, telle qu’elle a été énoncée aux points 59 et 61 du présent arrêt, il y a lieu de considérer que relèvent de la notion de « personne concernée », au sens de l’article 6, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement no 1071/2009, les personnes autres que les gestionnaires de transport qui assument la responsabilité de la gestion des domaines d’activités relevant des réglementations du droit de l’Union mentionnées à l’article 6,
paragraphe 1, troisième alinéa, sous b), de ce règlement et qui doivent, par voie de conséquence, assurer le respect de ces réglementations dans l’exercice de ces domaines d’activités et engager leur responsabilité pénale en cas d’infractions auxdites réglementations.

66 Partant, lorsqu’un État membre confère, en vertu d’une réglementation nationale, telle que l’article 9, paragraphe 2, du VStG, aux entreprises de transport routier la faculté de désigner des personnes autres que les gestionnaires de transport en tant que préposés responsables de la gestion des domaines d’activités visés au point précédent, il y a lieu de considérer que, ce faisant, cet État membre a désigné une telle catégorie de préposés comme étant des « personnes concernées » aux fins de
l’article 6, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement no 1071/2009, dont la conduite doit être prise en compte afin d’apprécier l’honorabilité desdites entreprises.

67 En second lieu, ainsi qu’il a été relevé aux points 40 et 41 du présent arrêt, l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 1071/2009 impose aux États membres d’adopter les mesures nécessaires pour sanctionner, d’une manière effective, dissuasive et proportionnée, les entreprises de transport routier qui ne satisfont pas à l’exigence d’honorabilité.

68 Au nombre de ces sanctions figurent notamment, ainsi qu’il ressort du paragraphe 2 de cet article 22, la suspension de l’autorisation d’exercer la profession de transporteur par route, le retrait de cette autorisation et la déclaration d’inaptitude des gestionnaires de transport.

69 Dès lors que l’honorabilité des entreprises de transport dépend notamment de l’absence de condamnations pénales ou de sanctions pour le non–respect, lors de l’exercice de leurs activités de transport, des réglementations visées à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, sous b), du règlement no 1071/2009, afin de respecter les prescriptions de l’article 22 dudit règlement, les États membres doivent notamment veiller à ce que la responsabilité pénale du fait des infractions graves à ces
réglementations, commises au sein d’une telle entreprise, soit déterminée d’une manière telle qu’elle n’empêche pas de sanctionner d’une manière effective, dissuasive et proportionnée la perte de l’honorabilité qui pourrait résulter de la commission desdites infractions.

70 Or, il apparaît que la réglementation nationale en cause au principal permet à une entreprise de transport routier de désigner une personne en tant que préposée responsable du respect des réglementations du droit de l’Union, visées à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, sous b), du règlement no 1071/2009, que cette désignation emporte transfert à cette personne de la responsabilité pénale du fait des infractions à ces réglementations du droit de l’Union commises dans l’exercice des
activités de transport routier de cette entreprise et que le droit national fait obstacle à ce que la conduite de la personne ainsi désignée soit prise en compte afin d’apprécier si ladite entreprise satisfait à l’exigence d’honorabilité prévue à l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1071/2009.

71 En conséquence, les infractions graves auxdites réglementations commises au sein de ladite entreprise après une telle désignation ne sont pas susceptibles d’entacher l’honorabilité de l’entreprise concernée.

72 En effet, alors même que la personne ainsi désignée assume la responsabilité de la gestion des domaines d’activités relevant des mêmes réglementations et relève donc de la catégorie des « personnes concernées désignées par l’État membre », au sens de l’article 6, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement no 1071/2009, les condamnations graves prononcées et les sanctions infligées du fait de ces infractions ne donneront jamais lieu à une procédure de contrôle de l’honorabilité de l’entreprise
concernée, au titre de l’article 6 de ce règlement, ni ne seront prises en considération lors des contrôles que les autorités compétentes sont tenues d’effectuer, conformément à l’article 12 dudit règlement, afin de vérifier que les entreprises autorisées à exercer la profession de transporteur par route continuent de satisfaire aux exigences prévues à l’article 3 du même règlement.

73 Ainsi, la commission de telles infractions, indépendamment de leur nombre et de leur gravité, n’aboutira jamais à la perte d’une telle honorabilité ni, par voie de conséquence, au retrait ou à la suspension de l’autorisation d’exercice de la profession de transporteur par route.

74 Par conséquent, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal fait obstacle, en violation de l’article 22 du règlement no 1071/2009, à la remise en cause de l’honorabilité des entreprises de transport routier et à l’adoption de sanctions à leur égard alors même que des personnes devant être considérées, par rapport à ces entreprises, comme étant des « personnes concernées », au sens de l’article 6, paragraphe 1, deuxième alinéa, de ce règlement, ont commis de graves
infractions aux réglementations du droit de l’Union visées à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, sous b), dudit règlement.

75 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 22 du règlement no 1071/2009, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle une personne qui engage sa responsabilité pénale pour les infractions commises au sein d’une entreprise de transport routier et dont la conduite est prise en compte aux fins de l’appréciation de
l’honorabilité de cette entreprise peut désigner une personne en tant que préposé responsable du respect des dispositions du droit de l’Union concernant les temps de conduite et de repos des conducteurs, et transférer ainsi à cette dernière personne la responsabilité pénale du fait des infractions à ces dispositions du droit de l’Union, lorsque le droit national ne permet pas de prendre en compte les infractions ainsi imputées audit préposé afin d’apprécier si ladite entreprise satisfait à
l’exigence d’honorabilité.

Sur les dépens

76 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

  L’article 22 du règlement (CE) no 1071/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, établissant des règles communes sur les conditions à respecter pour exercer la profession de transporteur par route, et abrogeant la directive 96/26/CE du Conseil, tel que modifié par le règlement (UE) no 517/2013 du Conseil, du 13 mai 2013, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1071/2009, tel que modifié,

  doit être interprété en ce sens que :

  il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle une personne qui engage sa responsabilité pénale pour les infractions commises au sein d’une entreprise de transport routier et dont la conduite est prise en compte aux fins de l’appréciation de l’honorabilité de cette entreprise peut désigner une personne en tant que préposé responsable du respect des dispositions du droit de l’Union concernant les temps de conduite et de repos des conducteurs, et transférer ainsi à cette dernière
personne la responsabilité pénale du fait des infractions à ces dispositions du droit de l’Union, lorsque le droit national ne permet pas de prendre en compte les infractions ainsi imputées audit préposé afin d’apprécier si ladite entreprise satisfait à l’exigence d’honorabilité.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-155/22
Date de la décision : 11/05/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Landesverwaltungsgericht Niederösterreich.

Renvoi préjudiciel – Transports par route – Règles communes relatives aux conditions d’exercice de la profession de transporteur par route – Règlement (CE) no 1071/2009 – Articles 6 et 22 – Réglementation nationale permettant le transfert de la responsabilité pénale du fait des infractions graves concernant le temps de conduite et de repos des conducteurs – Absence de prise en compte des sanctions infligées pour ces infractions lors d’appréciation de l’honorabilité de l’entreprise de transport routier.

Transports


Parties
Demandeurs : RE
Défendeurs : Bezirkshauptmannschaft Lilienfeld.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Arastey Sahún

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:394

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