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04/05/2023 | CJUE | N°C-99/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Kapniki A. Michailidis AE contre Organismos Pliromon kai Elenchou Koinotikon Enischiseon Prosanatolismou kai Engyiseon (OPEKEPE), et Ypourgos Agrotikis Anaptyxis kai Trofimon., 04/05/2023, C-99/22


 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

4 mai 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Agriculture – Règlement (CEE) no 2062/92 – Article 3, paragraphe 3 – Validité – Organisation commune des marchés – Tabac brut – Primes accordées aux acheteurs de tabac en feuilles – Réduction de ces primes en fonction de la quantité de tabac de classes, de catégories ou de qualités inférieures achetée – Principes de non-rétroactivité et de protection de la confiance légitime »

Dans l’affaire C‑99/22,

ayant pour objet une d

emande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État, Gr...

 ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)

4 mai 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Agriculture – Règlement (CEE) no 2062/92 – Article 3, paragraphe 3 – Validité – Organisation commune des marchés – Tabac brut – Primes accordées aux acheteurs de tabac en feuilles – Réduction de ces primes en fonction de la quantité de tabac de classes, de catégories ou de qualités inférieures achetée – Principes de non-rétroactivité et de protection de la confiance légitime »

Dans l’affaire C‑99/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État, Grèce), par décision du 30 décembre 2021, parvenue à la Cour le 14 février 2022, dans la procédure

Kapniki A. Michailidis AE

contre

Organismos Pliromon kai Elenchou Koinotikon Enischiseon Prosanatolismou kai Engyiseon (OPEKEPE),

Ypourgos Agrotikis Anaptyxis kai Trofimon,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. D. Gratsias, président de chambre, MM. M. Ilešič et Z. Csehi (rapporteur), juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Kapniki A. Michailidis AE, par Me P. Yatagantzidis, dikigoros,

– pour le gouvernement hellénique, par Mmes E. Leftheriotou, M. Tassopoulou et A.‑E. Vasilopoulou, en qualité d’agents,

– pour le Conseil de l’Union européenne, par Mmes M. Balta, A. Nowak-Salles et M. A. Tamás, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par MM. M. Konstantinidis et B. Rechena, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur la validité de l’article 3, paragraphe 3, du règlement (CEE) no 2062/92 du Conseil, du 30 juin 1992, fixant, pour la récolte 1992, les prix d’objectif, les prix d’intervention et les primes accordées aux acheteurs de tabac en feuilles, les prix d’intervention dérivés du tabac emballé, les qualités de référence ainsi que les zones de production (JO 1992, L 215, p. 22).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Kapniki A. Michaïlidis AE à l’Organismos Pliromon kai Elenchou Koinotikon Enischiseon Prosanatolismou kai Engyiseon (OPEKEPE) (organisme de paiement et de contrôle des aides communautaires d’orientation et de garantie, Grèce) et à l’Ypourgos Agrotikis Anaptyxis kai Trofimon (ministre du Développement agricole et des Denrées alimentaires, Grèce) au sujet de l’annulation d’une décision d’Ethnikos Organismos Kapnou (Office national du
tabac, Grèce), adoptée en application du règlement no 2062/92 et exigeant le remboursement, par cette société, d’une prime au motif que celle-ci lui avait été indûment versée.

Le droit de l’Union

Le règlement no 727/70

3 Le sixième considérant du règlement (CEE) no 727/70 du Conseil, du 21 avril 1970, portant établissement d’une organisation commune des marchés dans le secteur du tabac brut (JO 1970, L 94, p. 1), tel que modifié par le règlement (CEE) no 860/92 du Conseil, du 30 mars 1992 (JO 1992, L 91, p. 1) (ci-après le « règlement no 727/70 »), était libellé comme suit :

« considérant que ces objectifs peuvent être atteints par un régime d’intervention basé sur un système de prix d’objectif et d’intervention comportant, d’une part, l’obligation d’achat au prix d’intervention et, d’autre part, l’octroi de primes aux utilisateurs qui achètent le tabac en feuilles directement chez les producteurs communautaires ; que ce régime doit être appliqué de manière à encourager l’amélioration de la qualité et l’adaptation de la production, notamment dans le sens de la
conversion des cultures vers des variétés plus demandées ou plus compétitives ».

4 L’article 2, paragraphe 3, de ce règlement énonçait :

« 3.   Les prix d’objectif et d’intervention sont fixés :

a) pour le tabac en feuilles n’ayant pas subi les opérations de première transformation et de conditionnement ;

b) pour chacune des variétés de la production de la Communauté cultivée dans des zones de production reconnues ;

c) et pour une qualité de référence de chaque variété, définie dans ses caractéristiques et suffisamment représentative de la qualité d’une récolte normale.

Toutefois, ces prix peuvent être différenciés pour la même variété pour des zones spécifiques de production au sens de l’article 4 paragraphe 5. »

5 L’article 3, paragraphes 1 et 3, dudit règlement disposait :

« 1.   Une prime est accordée aux personnes physiques ou morales qui achètent du tabac en feuilles directement auprès des planteurs de la Communauté.

La prime n’est octroyée qu’aux acheteurs :

i) ayant passé avec les planteurs les contrats de culture européens avant la date à déterminer conformément aux dispositions du paragraphe 3 ;

[...]

3.   Les modalités d’application du présent article, et notamment celles prévoyant les moyens administratifs de contrôle, sont arrêtées selon la procédure prévue à l’article 17.

Ces modalités fixent les clauses qui doivent obligatoirement figurer dans les contrats, notamment la mention du prix consenti au planteur et du montant de la prime auquel le contrat ouvre droit. »

6 Aux termes de l’article 4, paragraphes 3 et 4, du même règlement :

« 3.   Le montant de la prime est fixé :

[...]

b) pour chacune des variétés de la production de la Communauté provenant de zones de production reconnues et pour la qualité de référence correspondante.

Le montant de la prime ainsi fixé est valable pour tous les tabacs de la variété en cause. Cependant, dans la mesure où, pour une variété donnée, l’octroi d’une prime de même montant aux tabacs de différentes qualités de cette variété risque d’entraver le bon fonctionnement de l’organisation commune des marchés et l’adaptation qualitative de la production aux besoins des utilisateurs, le montant de la prime peut être fixé, à titre exceptionnel, pour des qualités différentes de celle retenue comme
qualité de référence, à un montant supérieur ou inférieur à celui normalement applicable à l’ensemble des tabacs de la variété.

Toutefois, ce montant peut être différencié pour la même variété pour des zones spécifiques de production au sens du paragraphe 5.

4.   Chaque année, avant le 1er novembre, le montant de la prime par variété, valable pour la récolte de l’année civile suivante est fixé selon la procédure prévue à l’article 43 paragraphe 2 du traité [CEE]. »

7 En vue de limiter toute augmentation de la production de tabac dans l’Union européenne et de décourager en même temps la production de variétés présentant des problèmes pour leurs débouchés, le règlement (CEE) no 1114/88 du Conseil, du 25 avril 1988, modifiant le règlement (CEE) no 727/70 instaurant une organisation commune des marchés dans le secteur du tabac brut (JO 1988, L 110, p. 35), a ajouté un paragraphe 5 à l’article 4 de ce dernier règlement. Cette disposition prévoyait :

« Le Conseil établit chaque année, selon la procédure prévue à l’article 43, paragraphe 2, du traité [CEE], pour chacune des variétés ou groupes de variétés de tabac de la production communautaire pour lesquelles les prix et les primes sont fixés, une quantité maximale garantie, en fonction notamment des conditions du marché et des conditions socio-économiques et agronomiques des régions concernées. La quantité maximale globale pour la Communauté est fixée pour chacune des récoltes de 1988, 1989
et 1990 à 385000 tonnes de tabac en feuilles.

[...] »

Le règlement no 1726/70

8 Les conditions et les exigences relatives aux contrats de culture visés à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 727/70 ont été définies par le règlement (CEE) no 1726/70 de la Commission, du 25 août 1970, relatif aux modalités d’octroi de la prime pour le tabac en feuilles (JO 1970, L 191, p. 1).

9 L’article 2 ter, paragraphes 1, 3 et 4, du règlement no 1726/70, tel que modifié par le règlement (CEE) no 1413/91 de la Commission, du 29 mai 1991 (JO 1991, L 135, p. 15) (ci-après le « règlement no 1726/70 ») prévoyait :

« 1.   Le contrat de culture [...] qui doit contenir au moins les éléments figurant aux points 1 à 12 de l’annexe est conclu entre les parties suivantes :

a) un acheteur du tabac en feuilles soumettant ce tabac aux opérations de première transformation et conditionnement, dénommé ci-après “l’acheteur”,

et

b) un planteur de tabac ou des planteurs associés, dénommés ci-après “le vendeur”.

[...]

3.   Le contrat de culture peut être annuel ou pluriannuel. Il doit être conclu, sauf cas de force majeure, avant le 1er juin de l’année de sa première application. [...]

4.   Dans le contrat de culture doivent obligatoirement figurer :

a) le prix contractuel de base ;

b) les critères servant à la définition du prix d’achat final et notamment :

– prix d’objectif fixe pour la récolte en cause,

– niveau de la prime correspondante.

[...] »

10 L’annexe du règlement no 1726/70 contenait un contrat de culture européen type, dont les points 1, 4, 5 et 8 étaient ainsi libellés :

« 1. Le vendeur s’engage à cultiver pour la/les [...] récolte(s) [...] 19…, du tabac selon le détail ci-après :

[...]

Rendement maximale : … kg/ha

et à procéder au séchage conformément aux exigences propres à la variété en cause.

[...]

4. Le vendeur s’engage à livrer à l’acheteur, dans la limite de la production maximale fixée au point 1, la totalité des tabacs récoltée sur la superficie faisant l’objet du présent contrat.

5. L’acheteur s’engage à acheter dans la limite de la production maximale fixée au point 1 la totalité des tabacs récoltée sur la superficie faisant l’objet du présent contrat et répondant aux caractéristiques qualitatives minimales prévues à l’article 6 paragraphe 2 du [règlement (CEE) no 1727/70 de la Commission, du 25 août 1970, relatif aux modalités d’intervention dans le secteur du tabac brut (JO 1970, L 191, p. 5)].

[...]

8. Le prix contractuel de la qualité de référence visée à la règlementation communautaire est égal à… par kg. [...]

Sans préjudice de la disposition prévue à l’alinéa précédent, si les prix ou prime afférents à la variété de tabac mentionnée au premier point du présent contrat sont modifiés par un règlement communautaire, l’acheteur et le vendeur renégocient le prix contractuel. Au cas où ces prix ou primes sont modifiés par l’application des dispositions prévues à l’article 4 paragraphe 5 du [règlement no 727/70], le prix contractuel est ajusté en fonction de la modification des prix et primes. »

Le règlement no 2062/92

11 Les premier, troisième et septième considérants du règlement no 2062/92 étaient libellés comme suit :

« considérant que la Commission [européenne] a proposé une réforme de l’organisation commune du marché du tabac qui s’appliquera à partir de la récolte 1993 ; qu’il y a donc lieu de maintenir, pour la récolte 1992, les dispositions applicables à la récolte précédente, sous réserve de modifications indispensables pour assurer la transition vers le nouveau régime ; que, en vue de celui-ci, la fixation de la quantité maximale garantie par variétés ou groupes de variétés prévue à l’article 4
paragraphe 5 premier alinéa du [règlement no 727/70] n’est pas requise pour la récolte 1993 ;

[...]

considérant que les prix d’objectif et les prix d’intervention du tabac en feuilles doivent être fixés selon les critères visés à l’article 2, paragraphe 2 du [règlement no 727/70] en vue d’encourager l’orientation de la production, notamment dans le sens de la conversion des cultures vers les variétés les plus demandées, les plus compétitives ainsi que les moins nocives pour la santé ;

[...]

considérant que la prime est identique pour tous les tabacs de la variété en cause, indépendamment de la qualité du tabac livré ; qu’il en résulte cependant l’incitation de produire des tabacs de basse qualité ; qu’il importe dès lors de réduire le montant de la prime pour les quantités de tabac de basse qualité achetées par un transformateur au-delà d’un pourcentage correspondant à la quantité normale de tabac de basse qualité par rapport à la totalité d’une récolte ».

12 L’article 3 de ce règlement énonçait :

« 1.   Pour la récolte 1992, les prix d’objectif et d’intervention et les montants de la prime accordée aux acheteurs de tabac en feuilles, visés aux articles 2 et 3 du [règlement no 727/70], ainsi que les prix d’intervention dérivés du tabac emballé visés à l’article 6 dudit règlement, sont fixés à l’annexe IV du présent règlement.

[...]

3.   Lorsque la quantité de tabac de classes, catégories ou qualités inférieures achetée par un transformateur dépasse, par rapport à ses achats totaux de la variété en cause, le pourcentage indiqué à l’annexe IV, la prime est diminuée de 30 % pour la quantité dépassant le pourcentage en cause. »

13 L’annexe IV dudit règlement prévoyait, sous le numéro d’ordre 18, que, s’agissant du grade IV de la variété « Katerini et variétés similaires », le pourcentage visé à l’article 3, paragraphe 3, du même règlement était de 20 %.

Le litige au principal et la question préjudicielle

14 La requérante au principal a conclu, avant le 1er juin 1992, des contrats d’achat de tabac de la variété Katerini avec des producteurs de tabac pour la récolte de l’année 1992. Elle a ensuite perçu, à titre d’avance, la prime qui était prévue à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 727/70.

15 Par une décision du 22 septembre 1995, l’Ethnikos Organismos Kapnou (Office national du tabac) a invité la requérante au principal à rembourser, en tant que somme indûment perçue et en application de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 2062/92, une partie de la prime d’un montant de 51564843 drachmes grecques (GRD) (environ 151327 euros) qui lui avait été accordée, au motif que l’avance qu’elle avait perçue au titre de cette prime était supérieure à celle à laquelle elle avait droit. En
effet, selon l’Ethnikos Organismos Kapnou (Office national du tabac), la quantité de tabac de catégorie inférieure achetée par la requérante au principal représentait un pourcentage supérieur à 20 % de ses achats totaux.

16 La requérante au principal a introduit un recours en annulation contre cette décision devant le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État, Grèce), la juridiction de renvoi, qui a renvoyé ce recours devant le Dioikitiko Protodikeio Athinon (tribunal administratif de première instance d’Athènes, Grèce), afin qu’il y soit jugé comme un recours de plein contentieux. Devant cette dernière juridiction, la requérante au principal a notamment invoqué l’invalidité de l’article 3, paragraphe 3, du
règlement no 2062/92, en raison du caractère rétroactif de cette disposition et d’une violation du principe de protection de la confiance légitime. Le Dioikitiko Protodikeio Athinon (tribunal administratif de première instance d’Athènes) a, par un jugement, rejeté ledit recours comme étant non fondé.

17 La requérante au principal a interjeté appel de ce jugement devant le Dioikitiko Efeteio Athinon (cour administrative d’appel d’Athènes, Grèce), qui l’a rejeté par un arrêt au motif, d’une part, que l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 2062/92 était dépourvu d’effet rétroactif, étant donné que cette disposition se rapportait non pas à la date de conclusion des contrats de culture en cause, mais à la qualité du tabac et, d’autre part, que ce règlement ne méconnaissait pas le principe de
protection de la confiance légitime.

18 La requérante au principal a formé un pourvoi contre cet arrêt devant le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État). Celui-ci s’interroge sur la validité de ladite disposition, en tant que celle-ci pourrait être contraire aux principes de non-rétroactivité des règles de droit et de protection de la confiance légitime.

19 Plus particulièrement, cette juridiction considère que l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 2062/92 était doté d’un effet rétroactif, étant donné que ce règlement avait été publié le 30 juillet 1992, c’est-à-dire après la date d’expiration du délai prévu par le règlement no 1726/70 pour la conclusion de contrats de culture entre les producteurs et les transformateurs, portant sur la récolte de l’année 1992. À cet égard, ladite juridiction estime que, bien que la réduction de la prime prévue
à cet article 3, paragraphe 3, visât à améliorer la qualité des variétés de tabac cultivées et, ainsi, leur compétitivité, un tel objectif, qui était conforme aux objectifs de l’organisation commune des marchés dans le secteur du tabac, ne pouvait pas être atteint à la date de l’entrée en vigueur du règlement no 2062/92, dès lors que, à cette date, ce délai avait expiré et que les opérateurs du marché en cause avaient déjà décidé de l’orientation de la production, sans qu’il fût possible
d’atteindre cet objectif lors de la récolte de l’année 1992. Par conséquent, la même juridiction se pose la question de la validité de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 2062/92.

20 Par ailleurs, la juridiction de renvoi considère que, en prévoyant une réduction de la prime pour du tabac de qualité inférieure, le règlement no 2062/92 est susceptible de violer le principe de protection de la confiance légitime, dès lors que, en vertu de l’article 4, paragraphe 4, du règlement no 727/70, le montant de la prime qui était valable pour la récolte de l’année concernée devait être fixé avant le 1er novembre de l’année précédente et que, en tout état de cause, les contrats de
culture devaient être conclus avant le 1er juin de chaque année.

21 Dans ces conditions, le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 3, paragraphe 3, du règlement [no 2062/92], en vertu duquel, lorsque la quantité de tabac en feuilles de qualités inférieures achetée par un transformateur dépasse, par rapport à ses achats totaux de la variété en cause, le pourcentage indiqué à l’annexe IV [de ce règlement], la prime est diminuée de 30 % pour la quantité dépassant le pourcentage en cause, est-il constitutif d’une violation du principe de non-rétroactivité des règles de droit et du principe de protection de la
confiance légitime ? »

Sur la question préjudicielle

22 Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 2062/92 est valide au regard des principes de non-rétroactivité des règles de droit et de protection de la confiance légitime.

23 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, si, en règle générale, le principe de sécurité juridique s’oppose à ce que la portée dans le temps d’un acte de l’Union voie son point de départ fixé à une date antérieure à sa publication, il peut en être autrement, à titre exceptionnel, lorsqu’un but d’intérêt général l’exige et lorsque la confiance légitime des intéressés est dûment respectée, ainsi que dans la mesure où il ressort clairement des termes, de la finalité ou de l’économie des règles
concernées qu’un tel effet doit leur être attribué [arrêt du 30 avril 2019, Italie/Conseil (Quota de pêche de l’espadon méditerranéen), C‑611/17, EU:C:2019:332, point 106 et jurisprudence citée].

24 Dans ces conditions, il convient, dans un premier temps, de déterminer si l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 2062/92, selon lequel, lorsque la quantité de tabac de classes, de catégories ou de qualités inférieures achetée par un transformateur dépasse, par rapport à ses achats totaux de la variété en cause, le pourcentage indiqué à l’annexe IV de ce règlement, la prime est diminuée de 30 % pour la quantité dépassant le pourcentage en cause, est doté d’un effet rétroactif. Dans
l’affirmative, il y aura lieu de vérifier, dans un second temps, si l’application rétroactive de cette disposition peut être admise, conformément à la jurisprudence citée au point précédent du présent arrêt.

25 S’agissant, en premier lieu, de l’appréciation de l’effet rétroactif de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 2062/92, il y a lieu de constater que ce règlement a été publié le 30 juillet 1992. Or, il ressort de l’article 2 ter, paragraphe 3, du règlement no 1726/70 que, pour avoir droit, au titre de la récolte 1992, à la prime prévue à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 727/70, les personnes physiques ou morales qui achètent du tabac en feuilles auprès des planteurs devaient, sauf
cas de force majeure, conclure avec ces derniers des contrats de culture au plus tard avant le 1er juin 1992.

26 Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que le règlement no 2062/92, y compris l’article 3, paragraphe 3 de celui-ci, était doté d’un effet rétroactif, dès lors qu’il a été adopté à une date à laquelle les personnes physiques ou morales qui achètent du tabac en feuilles auprès des planteurs avaient déjà dû prendre, à l’égard de ces derniers, des engagements contractuels contraignants quant à l’achat de leur production (voir, par analogie, arrêt du 11 juillet 1991, Crispoltoni, C‑368/89,
EU:C:1991:307, points 14 à 16).

27 En outre, cet effet rétroactif résultait du fait que, en vertu de cette disposition, la fixation annuelle du montant de la prime pour la récolte de l’année 1992 avait eu lieu au mois de juin 1992, alors que, conformément à l’article 4, paragraphe 4, du règlement no 727/70, elle aurait dû intervenir avant le 1er novembre 1991.

28 En ce qui concerne, en deuxième lieu, la question de savoir si l’application rétroactive de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 2062/92 peut être justifiée par un but d’intérêt général qui l’exigerait, il convient de relever que l’application rétroactive de ce règlement, y compris l’article 3, paragraphe 3 de celui-ci, découle impérativement de la nécessité d’atteindre l’objectif fondamental poursuivi par l’organisation commune des marchés dans le secteur du tabac pour l’année 1992, à
savoir fournir un soutien financier aux producteurs et aux transformateurs de tabac.

29 Dans ces conditions, il convient, en troisième lieu, de rechercher si le principe de protection de la confiance légitime a été dûment respecté. À cet égard, il convient de rappeler que, si ce principe s’inscrit parmi les principes fondamentaux de l’Union, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d’une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d’appréciation des institutions de l’Union, et cela spécialement dans un
domaine comme celui des organisations communes des marchés, dont l’objet comporte une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique (voir, en ce sens, arrêts du 5 octobre 1994, Crispoltoni e.a., C‑133/93, C‑300/93 et C‑362/93, EU:C:1994:364, point 57 ; du 17 septembre 1998, Pontillo, C‑372/96, EU:C:1998:412, point 22, ainsi que du 26 juin 2012, Pologne/Commission, C‑335/09 P, EU:C:2012:385, point 180 et jurisprudence citée).

30 Il en résulte que les opérateurs économiques ne sauraient invoquer un droit acquis au maintien d’un avantage, résultant pour eux de la mise en place de l’organisation commune des marchés, et dont ils ont bénéficié à un moment donné (arrêts du 5 octobre 1994, Crispoltoni e.a., C‑133/93, C‑300/93 et C‑362/93, EU:C:1994:364, point 58, ainsi que du 17 septembre 1998, Pontillo, C‑372/96, EU:C:1998:412, point 23 et jurisprudence citée).

31 Il en est d’autant plus ainsi lorsque, comme c’est le cas dans le litige au principal, la réglementation de l’Union applicable, en l’occurrence le règlement no 727/70, obligeait le Conseil à déterminer chaque année, en fonction notamment de l’évolution des marchés et de la nocivité des différentes variétés de tabac, les prix ainsi que les primes pour celles-ci, et prévoyait expressément l’éventualité d’une réduction de ces prix et de ces primes (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 1998,
Pontillo, C‑372/96, EU:C:1998:412, point 24).

32 En effet, depuis la publication du règlement no 1114/88, tous les opérateurs concernés étaient conscients de la situation d’incertitude découlant du fait que la fixation annuelle des prix et des primes n’avait pas encore eu lieu. En particulier, tant que le législateur de l’Union n’avait pas fixé les prix et les primes relatifs à la récolte de tabac de l’année 1992, ces opérateurs ne pouvaient légitimement placer leur confiance dans le maintien d’un certain niveau des prix et des primes en
question.

33 En outre, il convient de relever que, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 727/70, le montant de la prime pouvait être fixé, à titre exceptionnel, pour des qualités différentes de celle retenue comme qualité de référence, à un montant supérieur ou inférieur à celui normalement applicable à tous les tabacs de la variété en cause. De surcroît, ainsi qu’il ressortait de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 2062/92, lu à la lumière des premier, troisième et septième
considérants de celui-ci, ce règlement visait à décourager la production de classes, de catégories ou de qualités inférieures des variétés de tabac qui présentaient des difficultés de débouchés afin de limiter la production de tabac au sein de l’Union en général.

34 Au demeurant, il importe de rappeler qu’il ressort de l’article 2 ter, paragraphe 1, du règlement no 1726/70, lu en combinaison avec le point 8 de l’annexe de ce règlement, que les contrats de culture conclus entre les acheteurs et les planteurs contenaient une clause prévoyant une renégociation du prix contractuel en cas de modification, notamment, de la prime versée aux acheteurs.

35 Partant, il y a lieu de constater que la confiance légitime des opérateurs concernés n’a pas été violée par l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 2062/92.

36 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que l’examen de la question posée n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 2062/92 au regard des principes de non-rétroactivité des règles de droit et de protection de la confiance légitime.

Sur les dépens

37 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

  L’examen de la question préjudicielle n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de l’article 3, paragraphe 3, du règlement (CEE) no 2062/92 du Conseil, du 30 juin 1992, fixant, pour la récolte 1992, les prix d’objectif, les prix d’intervention et les primes accordées aux acheteurs de tabac en feuilles, les prix d’intervention dérivés du tabac emballé, les qualités de référence ainsi que les zones de production, au regard des principes de non-rétroactivité des règles de droit et de
protection de la confiance légitime.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le grec.


Synthèse
Formation : Dixième chambre
Numéro d'arrêt : C-99/22
Date de la décision : 04/05/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Symvoulio tis Epikrateias.

Renvoi préjudiciel – Agriculture – Règlement (CEE) no 2062/92 – Article 3, paragraphe 3 – Validité – Organisation commune des marchés – Tabac brut – Primes accordées aux acheteurs de tabac en feuilles – Réduction de ces primes en fonction de la quantité de tabac de classes, de catégories ou de qualités inférieures achetée – Principes de non-rétroactivité et de protection de la confiance légitime.

Tabac

Principes, objectifs et mission des traités

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Kapniki A. Michailidis AE
Défendeurs : Organismos Pliromon kai Elenchou Koinotikon Enischiseon Prosanatolismou kai Engyiseon (OPEKEPE), et Ypourgos Agrotikis Anaptyxis kai Trofimon.

Composition du Tribunal
Avocat général : Emiliou
Rapporteur ?: Csehi

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:382

Source

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