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04/05/2023 | CJUE | N°C-389/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Banque centrale européenne (BCE) contre Crédit lyonnais., 04/05/2023, C-389/21


 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

4 mai 2023 ( *1 )

« Pourvoi – Politique économique et monétaire – Surveillance prudentielle des établissements de crédit – Règlement (UE) no 575/2013 – Calcul du ratio de levier – Mesure de l’exposition – Article 429, paragraphe 14 – Exclusion des expositions remplissant certaines conditions – Refus partiel d’autorisation – Pouvoir discrétionnaire de la Banque centrale européenne (BCE) – Recours en annulation – Erreur manifeste d’appréciation – Contrôle juridictionnel »
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ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Un...

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

4 mai 2023 ( *1 )

« Pourvoi – Politique économique et monétaire – Surveillance prudentielle des établissements de crédit – Règlement (UE) no 575/2013 – Calcul du ratio de levier – Mesure de l’exposition – Article 429, paragraphe 14 – Exclusion des expositions remplissant certaines conditions – Refus partiel d’autorisation – Pouvoir discrétionnaire de la Banque centrale européenne (BCE) – Recours en annulation – Erreur manifeste d’appréciation – Contrôle juridictionnel »

Dans l’affaire C‑389/21 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 24 juin 2021,

Banque centrale européenne (BCE), représentée par MM. F. Bonnard, M. Ioannidis, R. Ugena et Mme C. Zilioli, en qualité d’agents,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Crédit lyonnais, établi à Lyon (France), représenté par Mes A. Champsaur et A. Delors, avocates,

partie demanderesse en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la première chambre, M. L. Bay Larsen (rapporteur), vice-président de la Cour, MM. P. G. Xuereb et A. Kumin, juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : Mme M. Siekierzyńska, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 juin 2022,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 27 octobre 2022,

rend le présent

Arrêt

1 Par son pourvoi, la Banque centrale européenne (BCE) demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 14 avril 2021, Crédit lyonnais/BCE (T‑504/19, ci-après l’ arrêt attaqué , EU:T:2021:185), par lequel celui-ci a accueilli le recours de Crédit lyonnais tendant à l’annulation de la décision ECB‑SSM‑2019‑FRCAG‑39 de la Banque centrale européenne (BCE), du 3 mai 2019 (ci-après la « décision litigieuse »), prise en application de l’article 4, paragraphe 1, sous d), et de
l’article 10 du règlement (UE) no 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63), et de l’article 429, paragraphe 14, du règlement (UE) no 575/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et
modifiant le règlement (UE) no 648/2012 (JO 2013, L 176, p. 1), tel que modifié par le règlement délégué (UE) 2015/62 de la Commission, du 10 octobre 2014 (JO 2015, L 11, p. 37) (ci-après le « règlement no 575/2013 »), en tant que cette décision refuse d’autoriser Crédit lyonnais à exclure certaines expositions du calcul de son ratio de levier.

Le cadre juridique

Le règlement no 575/2013

2 Les considérants 90, 91 et 94 du règlement no 575/2013 énoncent :

« (90) Les années précédant la crise financière ont été caractérisées par un développement excessif des expositions des établissements par rapport à leurs fonds propres (effet de levier). Pendant la crise financière, les pertes et les difficultés de financement ont forcé ces établissements à réduire fortement leur levier sur une courte période. Cela a amplifié les pressions à la baisse sur le prix des actifs et provoqué des pertes supplémentaires pour les établissements, ce qui a entraîné de
nouvelles diminutions de leurs fonds propres. Cette spirale négative a débouché sur une réduction des crédits disponibles pour l’économie réelle et sur une crise plus profonde et plus longue.

(91) Des exigences de fonds propres fondées sur les risques sont essentielles pour faire en sorte que les pertes imprévues soient couvertes par des fonds propres suffisants. Cependant, la crise a montré que ces exigences seules ne suffisent pas à empêcher les établissements de prendre des risques excessifs et non viables liés à l’effet de levier.

[...]

(94) Un ratio de levier constitue pour l’Union [européenne] un nouvel outil de réglementation et de surveillance. Conformément aux accords internationaux, il devrait être instauré d’abord en tant qu’élément supplémentaire pouvant être appliqué à certains établissements à la discrétion des autorités de surveillance. Les obligations de déclaration imposées aux établissements permettraient un réexamen et un calibrage appropriés, en vue du passage à une mesure contraignante en 2018. »

3 L’article 4, paragraphe 1, points 93 et 94, de ce règlement prévoit :

« Au sens du présent règlement, on entend par :

[...]

93) “levier” : l’importance relative des actifs, des obligations [...] hors bilan et des obligations éventuelles de payer ou de fournir une prestation ou une sûreté, y compris les obligations qui découlent de financements reçus, d’engagements pris, d’instruments dérivés et de mises en pension, mais à l’exclusion de celles dont l’exécution ne peut être imposée que lors de la liquidation d’un établissement, par rapport aux fonds propres de cet établissement ;

94) “risque de levier excessif” : le risque de vulnérabilité d’un établissement, résultant d’un levier ou d’un levier éventuel pouvant nécessiter la prise de mesures correctives non prévues au plan d’entreprise, y compris une vente en urgence d’actifs pouvant se solder par des pertes ou une réévaluation des actifs restants ».

4 L’article 116, paragraphe 4, dudit règlement dispose :

« Dans des circonstances exceptionnelles, les expositions sur les entités du secteur public peuvent être traitées comme des expositions sur l’administration centrale, régionale ou locale dans la juridiction de laquelle celles-ci sont établies lorsque, de l’avis des autorités compétentes de ladite juridiction, il n’existe pas de différence de risque entre ces expositions en raison de l’existence d’une garantie appropriée de l’administration centrale, régionale ou locale. »

5 L’article 412, paragraphe 1, du même règlement est libellé comme suit :

« Les établissements détiennent des actifs liquides dont la valeur totale couvre les sorties de trésorerie moins les entrées de trésorerie en situation de tensions afin de garantir qu’ils conservent des coussins de liquidité suffisants pour faire face à tout déséquilibre éventuel entre entrées et sorties de trésorerie en situation de tensions sévères pendant une période de trente jours. [...] »

6 L’article 429, paragraphes 2 et 14, du règlement no 575/2013 prévoit :

« 2.   Le ratio de levier est calculé comme étant égal à la mesure des fonds propres de l’établissement divisée par la mesure de l’exposition totale de l’établissement et est exprimé en pourcentage.

[...]

[...]

14.   Les autorités compétentes peuvent autoriser un établissement à exclure de la mesure de l’exposition les expositions qui remplissent toutes les conditions suivantes :

a) elles portent sur une entité du secteur public ;

b) elles sont traitées conformément à l’article 116, paragraphe 4 ;

c) elles résultent de dépôts que l’établissement est légalement tenu de transférer à l’entité du secteur public visée au point a) afin de financer des investissements d’intérêt général. »

7 L’article 429 bis, paragraphe 1, sous j), du règlement no 575/2013, tel que modifié par le règlement (UE) 2019/876 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2019 (JO 2019, L 150, p. 1) (ci-après le « règlement no 575/2013 modifié »), applicable à partir du 28 juin 2021, conformément à l’article 3, paragraphe 2, du règlement 2019/876, prévoit :

« 1.   Par dérogation à l’article 429, paragraphe 4, un établissement peut exclure l’une ou plusieurs des expositions suivantes de sa mesure de l’exposition totale :

[...]

j) les expositions qui remplissent toutes les conditions suivantes :

i) ce sont des expositions sur une entité du secteur public ;

ii) elles sont traitées conformément à l’article 116, paragraphe 4 ;

iii) elles résultent de dépôts que l’établissement est légalement tenu de transférer à l’entité du secteur public visée au point i) afin de financer des investissements d’intérêt général ».

Le règlement no 1024/2013

8 Le considérant 55 du règlement no 1024/2013 énonce :

« Les missions de surveillance confiées à la BCE donnent à celle-ci des responsabilités importantes quant au maintien de la stabilité financière de l’Union et à l’utilisation la plus efficace et proportionnée possible de ses pouvoirs de surveillance. [...] »

9 L’article 4, paragraphe 1, sous d), et paragraphe 3, de ce règlement dispose :

« 1.   Dans le cadre de l’article 6, la BCE est, conformément au paragraphe 3 du présent article, seule compétente pour exercer, à des fins de surveillance prudentielle, les missions suivantes à l’égard de tous les établissements de crédit établis dans les États membres participants :

[...]

d) veiller au respect des actes visés à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, qui imposent des exigences prudentielles aux établissements de crédit dans les domaines des exigences de fonds propres, de la titrisation, des limites applicables aux grands risques, de la liquidité, de l’effet de levier ainsi que des déclarations d’informations et des informations à destination du public sur ces sujets ;

[...]

3.   Aux fins de l’accomplissement des missions qui lui sont confiées par le présent règlement, et en vue d’assurer des normes de surveillance de niveau élevé, la BCE applique toutes les dispositions pertinentes du droit de l’Union et, lorsque celui-ci comporte des directives, le droit national transposant ces directives. [...] »

10 Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, dudit règlement :

« La BCE s’acquitte de ses missions dans le cadre d’un mécanisme de surveillance unique, composé d’elle-même ainsi que des autorités compétentes nationales. La BCE est chargée de veiller au fonctionnement efficace et cohérent du [mécanisme de surveillance unique] ».

Les antécédents du litige

11 Crédit lyonnais est une société anonyme de droit français agréée en tant qu’établissement de crédit. Cet établissement de crédit est une filiale de Crédit agricole SA et est, à ce titre, soumis à la surveillance prudentielle directe de la BCE.

12 Le 5 mai 2015, Crédit agricole a, en son nom et en celui des entités faisant partie du groupe Crédit agricole, dont Crédit lyonnais, sollicité de la BCE l’autorisation d’exclure les expositions sur la Caisse des dépôts et consignations (France, ci-après la « CDC »), résultant des dépôts effectués sur les livrets A, les livrets d’épargne populaire et les livrets de développement durable et solidaire, qui doivent, selon la réglementation française applicable, être obligatoirement transférés à la
CDC (ci-après, ensemble, l’« épargne réglementée »), de la mesure de l’exposition aux fins du calcul du ratio de levier.

13 Par une décision du 24 août 2016, la BCE a refusé d’accorder à Crédit agricole l’autorisation qu’elle avait sollicitée. Cette décision a été annulée par l’arrêt du 13 juillet 2018, Crédit agricole/BCE (T‑758/16, EU:T:2018:472).

14 Le 26 juillet 2018, Crédit agricole a, en son nom ainsi qu’en celui des entités faisant partie du groupe Crédit agricole, dont Crédit lyonnais, de nouveau sollicité de la BCE l’autorisation d’exclure les expositions sur la CDC, résultant des dépôts effectués sur les livrets d’épargne réglementée, de la mesure de l’exposition aux fins du calcul du ratio de levier.

15 Après avoir communiqué à Crédit agricole un projet de décision et avoir reçu ses observations à cet égard, la BCE a, le 3 mai 2019, adopté la décision litigieuse.

16 Par cette décision, Crédit agricole et les entités faisant partie du groupe Crédit agricole, à l’exception de Crédit lyonnais, ont été autorisées à exclure la totalité de leurs expositions sur la CDC, résultant des dépôts sur les livrets d’épargne réglementée, de la mesure de l’exposition aux fins du calcul du ratio de levier. En revanche, Crédit lyonnais a uniquement été autorisé à en exclure 66 %.

17 Au soutien de ladite décision, la BCE a estimé que les conditions énoncées à l’article 429, paragraphe 14, sous a) à c), du règlement no 575/2013 étaient remplies en l’espèce. Considérant qu’elle disposait d’un pouvoir discrétionnaire pour accorder une exemption au titre de cette disposition, la BCE a appliqué une méthodologie prenant en compte trois éléments, à savoir la qualité de crédit de l’administration centrale française, le risque de ventes en catastrophe et le niveau de concentration des
expositions sur la CDC, résultant des dépôts effectués sur les livrets d’épargne réglementée.

18 En conclusion, la BCE a considéré que les expositions sur la CDC des entités soumises à sa surveillance prudentielle présentent un risque faible. Toutefois, s’agissant de Crédit lyonnais, elle a estimé, en se fondant sur l’évaluation des trois éléments de sa méthodologie et, en particulier, sur le délai d’ajustement décadaire entre les positions de cet établissement de crédit et celles de la CDC, sur la concentration élevée et croissante des expositions dudit établissement de crédit sur la CDC
liées à l’épargne réglementée ainsi que sur le fait que le même établissement de crédit n’est pas couvert par le mécanisme de solidarité existant au niveau du groupe Crédit agricole, qu’un équilibre entre l’intérêt d’appliquer un ratio de levier neutre en termes de risques et celui d’exempter certaines expositions à faible risque justifiait de ne lui accorder, aux fins du calcul de ce ratio, qu’un pourcentage d’exclusion de 66 % en ce qui concerne ses expositions sur la CDC.

Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

19 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 juillet 2019, Crédit lyonnais a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse en tant que cette décision refuse d’autoriser Crédit lyonnais à exclure la totalité de ses expositions sur la CDC, résultant des dépôts sur les livrets d’épargne réglementée, de la mesure de l’exposition aux fins du calcul du ratio de levier.

20 À l’appui de ce recours, Crédit lyonnais a soulevé trois moyens tirés, premièrement, d’une violation de l’article 266 TFUE, découlant d’une mauvaise exécution, par la BCE, de l’arrêt du 13 juillet 2018, Crédit agricole/BCE (T‑758/16, EU:T:2018:472), deuxièmement, d’une violation de l’article 429, paragraphe 14, et de l’article 400, paragraphe 1, sous a), du règlement no 575/2013 ainsi que, troisièmement, d’erreurs manifestes d’appréciation commises par la BCE.

21 Le Tribunal a écarté les premier et deuxième moyens, tout en considérant, au point 69 de l’arrêt attaqué, qu’il convenait d’examiner l’argument, figurant dans la troisième branche du premier moyen, qui portait sur la question de savoir si l’appréciation effectuée par la BCE était conforme au point 81 de l’arrêt du 13 juillet 2018, Crédit agricole/BCE (T‑758/16, EU:T:2018:472), conjointement avec le troisième moyen.

22 Aux points 101 à 123 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné la première branche du troisième moyen, relative à l’erreur manifeste d’appréciation commise par la BCE, dans la décision litigieuse, lors de l’appréciation du risque de ventes en catastrophe.

23 Dans le cadre de cet examen, le Tribunal a, en premier lieu, relevé, aux points 107 à 114 de l’arrêt attaqué, que l’épargne réglementée comporte certaines caractéristiques essentielles, à savoir, premièrement, la qualité de « valeur refuge » de cette épargne en cas de crise bancaire, qui n’était pas mentionnée dans la décision litigieuse, deuxièmement, l’existence d’une double garantie de la République française en relation avec les dépôts d’épargne réglementée et, troisièmement, le fait que
ladite épargne est peu susceptible de contribuer à la constitution d’un levier excessif étant donné qu’elle doit être transférée à la CDC et ne peut donc pas, à la différence d’autres types de dépôts bancaires, être investie dans des actifs risqués ou non liquides.

24 Le Tribunal a, en deuxième lieu, considéré, aux points 105 et 115 à 117 de cet arrêt, que, au vu des éléments exposés aux points 107 à 114 dudit arrêt, la justification de la décision litigieuse tirée du caractère particulièrement liquide de l’épargne réglementée ne suffisait pas, à elle seule, à soutenir la conclusion à laquelle la BCE était arrivée à l’égard de Crédit lyonnais et selon laquelle, en l’espèce, il existait un risque de ventes en catastrophe, de sorte que le bien-fondé de cette
conclusion dépendait de l’autre élément sur lequel la BCE s’était essentiellement fondée, à savoir l’expérience tirée des crises bancaires récentes.

25 À cet égard, le Tribunal a, en troisième lieu, estimé, aux points 118 à 122 du même arrêt, que l’exemple pris en compte par la BCE pour conclure que l’expérience des crises bancaires récentes montrait qu’il y avait eu des retraits massifs ne concernait pas des dépôts présentant, eu égard aux éléments rappelés au point 23 du présent arrêt, des caractéristiques suffisamment proches des dépôts effectués au titre de l’épargne réglementée.

26 Le Tribunal a conclu, au point 123 de l’arrêt attaqué, qu’il convenait de faire droit à la première branche du troisième moyen, dès lors que la BCE n’avait pas pris en compte, à l’occasion de l’appréciation du risque de ventes en catastrophe, toutes les caractéristiques de l’épargne réglementée, et en a déduit, au point 124 de cet arrêt, que la BCE n’avait pas procédé à une« application correcte » du point 81 de l’arrêt du 13 juillet 2018, Crédit agricole/BCE (T‑758/16, EU:T:2018:472), de sorte
qu’il y avait lieu d’accueillir l’argument figurant, à cet égard, dans la troisième branche du premier moyen.

27 Au point 125 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que le motif de la décision litigieuse relatif à l’appréciation du risque de ventes en catastrophe était donc entaché d’illégalité.

28 Au point 126 de cet arrêt, il a considéré, compte tenu de la méthodologie appliquée par la BCE dans la décision litigieuse, que les autres motifs de cette décision, relatifs à la qualité de crédit de l’administration centrale française et au niveau de concentration des expositions sur la CDC, à les supposer non entachés d’illégalité, ne permettaient pas de justifier le refus qui avait été opposé à Crédit lyonnais par la BCE. En effet, sur la base de cette méthodologie, la prise en compte de ces
seuls motifs n’aurait pas conduit, selon le Tribunal, au refus d’accorder à Crédit lyonnais l’entier bénéfice de la dérogation envisagée à l’article 429, paragraphe 14, du règlement no 575/2013.

29 Par conséquent, sans procéder à l’analyse des arguments visant les autres motifs de la décision litigieuse, le Tribunal a annulé cette décision dans la mesure où la BCE avait refusé à Crédit lyonnais d’exclure 34 % des expositions de celle-ci sur la CDC, résultant des dépôts effectués sur les livrets d’épargne réglementée, de la mesure de l’exposition aux fins du calcul du ratio de levier.

Les conclusions des parties

30 Par son pourvoi, la BCE demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt l’attaqué et

– de condamner Crédit lyonnais aux dépens.

31 Crédit lyonnais demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi comme étant manifestement non fondé et

– de condamner la BCE aux dépens.

Sur le pourvoi

32 La BCE soulève quatre moyens à l’appui de son pourvoi. Le premier moyen est tiré de la méconnaissance, par le Tribunal, des limites qui s’imposent à l’exercice de son contrôle juridictionnel. Les deuxième à quatrième moyens sont tirés, respectivement, de la violation de l’obligation de motivation, de la dénaturation des éléments présentés devant le Tribunal et de la violation de l’article 4, paragraphe 1, point 94, ainsi que de l’article 429, paragraphe 14, du règlement no 575/2013.

Argumentation des parties

33 Par son premier moyen, la BCE considère que le Tribunal a méconnu les limites qui s’imposent à l’exercice de son contrôle juridictionnel.

34 À titre liminaire, la BCE relève que, lorsque les institutions ou les organes de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation, notamment en raison des évaluations économiques complexes auxquelles ils doivent se livrer, le pouvoir de contrôle des juridictions de l’Union est limité. Outre le défaut ou l’insuffisance de motivation, la dénaturation des faits, l’erreur de droit et le détournement de pouvoir, celles-ci ne pourraient que sanctionner l’erreur manifeste d’appréciation commise par
l’institution ou l’organe en question lors de l’adoption de la décision qui leur est déférée, sans toutefois substituer leur appréciation à celle de cette institution ou de cet organe.

35 Il ressortirait des termes de l’article 429, paragraphe 14, du règlement no 575/2013 que les autorités compétentes, visées à cette disposition, bénéficient d’un large pouvoir d’appréciation, eu égard, notamment, à leur compétence technique en matière de supervision bancaire et aux informations confidentielles auxquelles elles peuvent avoir accès à ce titre. En effet, ladite disposition prévoirait que, même si les expositions concernées remplissent les conditions qu’elle énumère, les autorités
compétentes peuvent accorder ou refuser l’exclusion de la mesure de l’exposition demandée par un établissement.

36 Or, à cet égard, le Tribunal n’aurait pas démontré que les conclusions de la BCE étaient de toute évidence infondées eu égard aux éléments de fait établis par celle‑ci. En réalité, il se serait fondé sur des motifs autres que ceux avancés par la BCE au soutien de la décision litigieuse. Outre que les motifs retenus par le Tribunal seraient inexacts, le contrôle exercé par ce dernier en l’espèce traduirait un transfert en sa faveur de la réalisation d’évaluations économiques complexes.

37 Ainsi, alors que la BCE avait considéré, dans la décision litigieuse, que le risque de ventes en catastrophe, même s’il était peu probable, existait néanmoins et que, s’il se matérialisait dans le cas de Crédit lyonnais, il pourrait susciter des pertes importantes compte tenu du niveau des expositions de cet établissement de crédit sur la CDC, le Tribunal aurait conclu, en se fondant sur sa propre appréciation de certaines caractéristiques des livrets d’épargne réglementée, que ce risque n’était
pas établi dans le cas de Crédit lyonnais. Partant, le Tribunal aurait substitué sa propre appréciation à celle réalisée par la BCE.

38 Une telle substitution aurait été opérée à l’égard de plusieurs motifs de la décision litigieuse.

39 Premièrement, la BCE reproche au Tribunal d’avoir, aux points 107 à 110 de l’arrêt attaqué, considéré que, l’épargne réglementée ayant la qualité de « valeur refuge », les dépôts effectués sur les livrets d’épargne réglementée n’étaient pas ou étaient peu susceptibles de faire l’objet de retraits massifs par les déposants sur une courte période de temps. Or, elle-même n’aurait pas ignoré cette caractéristique de « valeur refuge » en cas de crise bancaire, mais elle aurait conclu que ladite
caractéristique ne permettait pas, en l’absence de dispositif légal restreignant la faculté de retrait des déposants, d’éliminer complètement le risque de retraits massifs.

40 La BCE considère que, alors que le raisonnement qui venait au soutien de la décision litigieuse était cohérent, les éléments de preuve sur lesquels le Tribunal s’est appuyé dans l’arrêt attaqué ne sont pas pertinents en raison de leur ancienneté ou de leur caractère général, qu’ils ont été mal interprétés par celui-ci et qu’ils ne sont pas de nature à étayer les conclusions qu’il en tire dans cet arrêt.

41 Deuxièmement, la BCE soutient que, au point 113 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré, à tort, que les dépôts effectués sur les livrets d’épargne réglementée transférés à la CDC par Crédit lyonnais n’étaient pas susceptibles de générer un risque de levier excessif, alors qu’elle avait considéré, dans la décision litigieuse, que ce risque, bien que faible, ne pouvait pas être ignoré.

42 À cet égard, la BCE relève que l’obligation de transfert à la CDC d’une partie des dépôts effectués sur les livrets d’épargne réglementée est l’une des conditions que les expositions doivent remplir, conformément à l’article 429, paragraphe 14, sous c), du règlement no 575/2013, pour pouvoir être exclues de la mesure de l’exposition aux fins du calcul du ratio de levier. En considérant que cette condition suffisait pour éliminer tout risque de levier excessif, le Tribunal aurait substitué son
appréciation à celle de la BCE et méconnu la définition de ce risque, figurant à l’article 4, paragraphe 1, point 94, de ce règlement, lequel ne se réfère pas à la liberté d’utilisation des dépôts. La BCE considère que, afin de déterminer s’il existe un risque de levier excessif, au sens de cette disposition, il importe de déterminer si l’établissement est en mesure d’honorer une obligation à la date à laquelle elle doit être remplie et, dans l’hypothèse où tel ne serait pas le cas, s’il doit
procéder à des ventes en catastrophe pour pouvoir s’acquitter de cette obligation. En l’espèce, un risque de levier excessif n’aurait pas pu être exclu en l’absence, d’une part, de certitude d’une simultanéité entre les retraits des sommes déposées sur les livrets d’épargne réglementée opérés par les déposants et le remboursement de ces sommes par la CDC et, d’autre part, d’un dispositif légal restreignant la faculté de retrait desdites sommes.

43 Troisièmement, la BCE relève que le Tribunal a estimé, au point 122 de l’arrêt attaqué, que, en raison de la protection des livrets d’épargne réglementée par une double garantie de la République française, les déposants perçoivent le niveau de sécurité de ces livrets comme plus élevé que celui des dépôts bénéficiant de la seule protection du mécanisme de garantie issu de la transposition de la directive 2014/49/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, relative aux systèmes de
garantie des dépôts (JO 2014, L 173, p. 149). Le Tribunal aurait considéré que cette double garantie contribue à empêcher que cette épargne fasse l’objet de retraits massifs sur une courte période de temps. Or, la BCE avait estimé, dans la décision litigieuse, que ladite double garantie ne pouvait pas empêcher tout risque de retraits massifs sur une telle période de temps et que, dès lors, ce risque devait être pris en considération aux fins de l’évaluation d’un risque de levier excessif.

44 Quatrièmement, la BCE soutient que le Tribunal a, au point 116 de l’arrêt attaqué, substitué sa propre appréciation à la sienne, en considérant que le caractère liquide des dépôts effectués sur les livrets d’épargne réglementée contribuait à ce que ces livrets aient la qualité de « valeur refuge » en période de crise. Or, la BCE avait estimé qu’il devait être tenu compte du fait que le caractère liquide de l’épargne réglementée empêchait d’exclure tout risque de retraits massifs sur une courte
période de temps.

45 Par ailleurs, le Tribunal se fonderait sur un extrait du rapport annuel de l’observatoire de l’épargne réglementée (France), dont le contenu ne permettrait pas d’étayer les conclusions que le Tribunal en tire.

46 Crédit lyonnais estime que les arguments de la BCE ne sont pas fondés.

47 Il soutient que le Tribunal a correctement appliqué les standards du contrôle juridictionnel établis par la jurisprudence de la Cour dans les domaines dans lesquels l’auteur de la décision dont l’annulation est demandée dispose d’un pouvoir d’appréciation. Ce contrôle impliquerait, selon cette jurisprudence, y compris dans le domaine de la politique monétaire, que soit vérifié le respect de certaines exigences procédurales, dont l’obligation d’examiner, avec soin et impartialité, tous les
éléments de la situation en cause.

48 Le Tribunal aurait, dans l’arrêt attaqué, considéré que la BCE, dans le cadre de son analyse des caractéristiques des livrets d’épargne réglementée visant à apprécier le risque prudentiel associé aux expositions de Crédit lyonnais sur la CDC, s’était de toute évidence fondée sur des éléments non pertinents à cet égard et avait omis de prendre en compte, ou volontairement écarté, des éléments pertinents, à savoir la qualité de « valeur refuge » de ces livrets en période de crise, l’absence de
liberté dans l’utilisation, par l’établissement les collectant, des dépôts effectués sur lesdits livrets et la double garantie de la République française.

49 Crédit lyonnais conteste les arguments de la BCE avancés à l’encontre du raisonnement du Tribunal.

50 Premièrement, Crédit lyonnais fait valoir que le Tribunal a relevé une lacune dans le raisonnement de la BCE, en ce que celle-ci s’est fondée exclusivement sur la liquidité des dépôts effectués sur les livrets d’épargne réglementée, sans tenir compte du caractère de « valeur refuge » de ces livrets en période de crise. Un tel caractère, que la BCE ne contesterait pas, impliquerait que lesdits livrets ne peuvent qu’exposer faiblement l’établissement qui a collecté cette épargne à un risque de
retraits massifs en cas de crise.

51 Crédit lyonnais soutient, en outre, que la BCE n’a pas contesté devant le Tribunal les éléments de preuve qu’il avait avancés dans son recours en première instance et qui ont été retenus dans les motifs de l’arrêt attaqué.

52 Deuxièmement, s’agissant de l’appréciation du risque de levier, le Tribunal aurait, à bon droit, tenu compte de l’intention du législateur, telle qu’exposée aux points 48 à 51 de l’arrêt du 13 juillet 2018, Crédit agricole/BCE (T‑758/16, EU:T:2018:472), et des analyses de l’Autorité bancaire européenne (ci-après l’« ABE »). En outre, il se serait borné à constater que les dépôts effectués sur les livrets d’épargne réglementée ne sont pas laissés à la libre disposition des établissements qui les
collectent.

53 Troisièmement, le Tribunal aurait simplement constaté, aux points 114 et 122 de l’arrêt attaqué, s’agissant de la double garantie de la République française en faveur des dépôts effectués sur les livrets d’épargne réglementée, que le système de garantie des dépôts institué par la directive 2014/49 ne présente pas les mêmes caractéristiques que ce dispositif de double garantie, notamment en termes de perception de la sécurité des dépôts par les épargnants. Le Tribunal aurait ainsi considéré que le
raisonnement de la BCE, en ce qu’il est fondé exclusivement sur le système institué par cette directive et qu’il ne prend pas en compte la double garantie de la République française, n’était pas pertinent pour apprécier le risque de levier auquel les sommes figurant sur les livrets d’épargne réglementée exposaient Crédit lyonnais.

54 Quatrièmement, le Tribunal aurait, au point 115 de l’arrêt attaqué, pris en compte l’ensemble des éléments de preuve qui lui ont été présentés dans le cadre de l’examen du litige qui lui était soumis, sans commettre aucune erreur de droit dans leur interprétation. La BCE n’aurait pas apporté, quant à elle, les éléments de preuve soutenant son argument selon lequel le caractère liquide des dépôts effectués sur les livrets d’épargne réglementée crée, à lui seul, un risque de ventes en catastrophe.
Ainsi, le Tribunal aurait pris en compte, au point 116 de l’arrêt attaqué, le fait que ce caractère peut effectivement favoriser des retraits par les épargnants, mais il aurait constaté une lacune dans les motifs de la décision litigieuse, dès lors que celle-ci serait, à cet égard, fondée exclusivement sur ledit caractère et ignorerait les éléments de preuve présentés en sens contraire.

Appréciation de la Cour

55 Ainsi que le Tribunal l’a rappelé, en substance, au point 98 de l’arrêt attaqué, dans la mesure où la BCE dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans le choix d’accorder ou non le bénéfice de l’article 429, paragraphe 14, du règlement no 575/2013, le contrôle juridictionnel que le juge de l’Union doit exercer sur le bien-fondé des motifs d’une décision telle que la décision litigieuse ne doit pas le conduire à substituer sa propre appréciation à celle de la BCE, mais vise à vérifier que cette
décision ne repose pas sur des faits matériellement inexacts et qu’elle n’est entachée d’aucune erreur manifeste d’appréciation ou de détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêts du 25 janvier 1979, Racke, 98/78, EU:C:1979:14, point 5 ; du 18 juillet 2007, Industrias Químicas del Vallés/Commission, C‑326/05 P, EU:C:2007:443, point 76 ; du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 46, ainsi que du 11 décembre 2018, Weiss e.a., C‑493/17, EU:C:2018:1000, point 24).

56 À cet égard, il est de jurisprudence constante que le juge de l’Union doit notamment vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (arrêts du 26 mars 2019, Commission/Italie, C‑621/16 P, EU:C:2019:251,
point 104, ainsi que du 11 novembre 2021, Autostrada Wielkopolska/Commission et Pologne, C‑933/19 P, EU:C:2021:905, point 117).

57 En effet, lorsqu’une institution dispose d’un large pouvoir d’appréciation, revêt une importance fondamentale le respect des garanties procédurales, parmi lesquelles figure l’obligation pour celle-ci d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents de la situation en cause (voir, en ce sens, arrêts du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, EU:C:1991:438, point 14, ainsi que du 11 décembre 2018, Weiss e.a., C‑493/17, EU:C:2018:1000, point 30).

58 En l’espèce, en vue de se prononcer sur le bien-fondé de l’appréciation de la BCE relative à l’existence d’un risque de ventes en catastrophe, le Tribunal a, tout d’abord, apprécié, aux points 107 à 114 de l’arrêt attaqué, certains éléments ayant trait aux caractéristiques des livrets d’épargne réglementée, mises en avant par Crédit lyonnais dans sa requête en première instance, à savoir leur qualité de « valeur refuge » en cas de crise bancaire, l’absence de liberté dans l’utilisation, par
l’établissement les collectant, des dépôts effectués sur ces livrets ainsi que la double garantie de la République française dont bénéficient ces dépôts.

59 Aux fins de cette appréciation, le Tribunal a, en particulier, procédé à une comparaison entre les caractéristiques des dépôts effectués sur les livrets d’épargne réglementée et celles des dépôts ordinaires. Il a ainsi considéré, aux points 111 et 113 de cet arrêt, que les seconds pouvaient être investis dans des actifs susceptibles de contribuer à la constitution d’un levier excessif, alors que les premiers étaient peu susceptibles de contribuer à la constitution d’un tel levier.

60 Le Tribunal a, ensuite, retenu, au point 115 dudit arrêt et au vu de l’appréciation qu’il a opérée des éléments relevés aux points 107 à 114 du même arrêt, que la justification tirée du caractère particulièrement liquide des dépôts effectués sur les mêmes livrets ne permettait pas, à elle seule, de démontrer le bien-fondé de la conclusion de la BCE selon laquelle les expositions sur la CDC au titre de ces dépôts présentaient un risque de ventes en catastrophe.

61 Le Tribunal a ajouté, au point 116 du même arrêt, qu’il ressortait des éléments de preuve avancés par Crédit lyonnais que l’appréciation de la BCE sur l’incidence du caractère particulièrement liquide desdits dépôts sur le risque de ventes en catastrophe ne prenait pas en considération le fait que ce caractère participait également de la qualité de « valeur refuge » des livrets d’épargne réglementée, en cas de crise bancaire, à l’instar de leur niveau de sécurité élevé.

62 Le Tribunal a, enfin, considéré, au point 120 de l’arrêt attaqué, que l’exemple sur lequel était fondée la conclusion de la BCE, selon laquelle les expositions sur la CDC au titre des dépôts effectués sur les livrets d’épargne réglementée présentaient un risque de ventes en catastrophe, ne concernait pas des dépôts ayant des caractéristiques suffisamment proches de celles de ces livrets pour qu’ils puissent être pertinemment pris en considération.

63 À cet égard, le Tribunal a estimé, au point 122 de cet arrêt, en se référant aux appréciations faites aux points 107 à 110 et 114 dudit arrêt, que l’éventualité que ces dépôts fassent l’objet de retraits massifs et soudains en cas de crise différait de celle affectant les dépôts pris en considération à titre d’exemples par la BCE dans la décision litigieuse.

64 Le Tribunal en a déduit, aux points 125 et 126 de l’arrêt attaqué, que le motif de la décision litigieuse tiré du niveau de risque de ventes en catastrophe était entaché d’« illégalité » et, par conséquent, que les deux autres éléments de la méthodologie visée également au point 17 du présent arrêt, à savoir la qualité de crédit de l’administration centrale française et le niveau de concentration des expositions de Crédit lyonnais sur la CDC, n’auraient pas pu conduire à ce que la BCE refuse,
dans la décision litigieuse, d’octroyer à Crédit lyonnais le bénéfice de l’exclusion prévue à l’article 429, paragraphe 14, du règlement no 575/2013 pour la totalité des expositions de cet établissement de crédit sur la CDC. Partant, il a, au point 127 de l’arrêt attaqué, annulé cette décision dans la mesure où elle a refusé d’exclure du calcul du ratio de levier de Crédit lyonnais 34 % de ces expositions.

65 Il ressort des points de l’arrêt attaqué visés aux points 58 à 64 du présent arrêt que, afin de motiver l’annulation partielle de la décision litigieuse, le Tribunal, d’une part, s’est livré à sa propre appréciation des caractéristiques de l’épargne réglementée en considérant, en particulier, que la qualité de « valeur refuge » de l’épargne réglementée contrebalançait la liquidité de cette épargne et, d’autre part, a considéré que la BCE avait fondé sa justification tirée de l’expérience des
crises bancaires récentes sur un exemple de retrait de dépôts présentant des caractéristiques insuffisamment proches de l’épargne réglementée en ce que cette dernière se distinguerait des dépôts visés par cet exemple par l’absence de liberté dans l’utilisation, par l’établissement les collectant, des dépôts effectués sur les livrets de ladite épargne ainsi que par sa qualité de « valeur refuge » en cas de crise bancaire liée à la double garantie de la République française dont bénéficient ces
dépôts.

66 Le Tribunal a ainsi considéré que le niveau de risque de ventes en catastrophe qui ressortait de sa propre appréciation des caractéristiques de l’épargne réglementée et de leur effet cumulé n’était pas suffisamment élevé pour justifier de refuser d’exclure la totalité des expositions de Crédit lyonnais sur la CDC de la mesure de ses expositions aux fins du calcul du ratio de levier.

67 Or, force est de constater, en premier lieu, que le Tribunal n’a pas remis en cause les constats opérés par la BCE quant aux caractéristiques de l’épargne réglementée, constats qui avaient mené celle-ci à conclure que ces caractéristiques ne permettaient pas d’écarter complètement tout risque de retraits massifs susceptibles de contraindre Crédit lyonnais à procéder à des ventes en catastrophe durant le délai d’ajustement décadaire entre ses propres positions et celles de la CDC.

68 Ainsi, il ressort du point 116 de l’arrêt attaqué que, lors de l’appréciation des caractéristiques de l’épargne réglementée, le Tribunal a considéré que la forte liquidité de cette épargne et la double garantie de la République française dont bénéficient les sommes déposées sur les livrets de ladite épargne contribuaient à lui conférer la qualité de « valeur refuge » en cas de crise bancaire. Or, comme elle le fait valoir devant la Cour, la BCE avait, dans la décision litigieuse, pris en compte,
afin d’apprécier le risque de ventes en catastrophe, les caractéristiques qui confèrent à cette même épargne, selon le Tribunal, la qualité de « valeur refuge ».

69 À cet égard, il importe de souligner que le Tribunal n’a pas remis en cause les constats de la BCE, figurant dans la décision litigieuse, relatifs à la forte liquidité de l’épargne réglementée en l’absence de dispositif légal limitant les retraits de celle-ci ainsi qu’à l’obligation pour Crédit lyonnais de rembourser les déposants pendant le délai d’ajustement décadaire entre les positions de ce dernier et celles de la CDC.

70 Il ne saurait, par conséquent, être considéré que le raisonnement sur le fondement duquel le Tribunal a procédé à l’annulation partielle de la décision litigieuse remet en cause l’exactitude matérielle, la fiabilité ou la cohérence, des éléments pris en compte dans cette décision ou qu’il établit que ces éléments ne constituent pas l’ensemble des données pertinentes qui devaient être prises en considération, en l’espèce, par la BCE.

71 En second lieu, pour autant que le Tribunal conclut néanmoins que les données prises en compte par la BCE n’étaient pas de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées dans la décision litigieuse, force est de constater que cette conclusion du Tribunal découle d’une appréciation propre à celui-ci du niveau de risque de ventes en catastrophe, appréciation qui, tout en se fondant sur les mêmes éléments que ceux pris en compte par la BCE, s’écarte de celle retenue par cette institution sans
établir le caractère manifestement erroné de cette dernière.

72 En raisonnant ainsi, le Tribunal n’a pas effectué le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation qui lui incombait, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 55 à 57 du présent arrêt, mais il a substitué son appréciation à celle de la BCE dans un cas dans lequel cette institution bénéficie pourtant d’une large marge d’appréciation.

73 En outre, s’agissant de l’appréciation faite par le Tribunal, aux points 117 à 122 de l’arrêt attaqué, de la justification de la BCE tirée de l’expérience des crises bancaires récentes, le Tribunal n’a pas établi, dans cet arrêt, en quoi les considérations, mentionnées au point 121 de celui-ci, selon lesquelles les dépôts d’épargne réglementée ne peuvent pas être investis, à la différence des dépôts à vue visés au point 118 dudit arrêt, dans des actifs risqués ou non liquides sont de nature à
démontrer le caractère manifestement erroné de l’appréciation faite par la BCE du scénario de risque de retraits massifs qui devait être retenu pour analyser le risque de ventes en catastrophe auquel était exposé Crédit lyonnais. Il en va de même s’agissant des considérations opérées au point 122 du même arrêt et fondées sur la différence entre la double garantie de la République française dont bénéficient les livrets d’épargne réglementée et le mécanisme de garantie issu de la directive 2014/49.

74 Il s’ensuit que le Tribunal a annulé la décision litigieuse en tant que celle-ci concerne Crédit lyonnais en substituant sa propre appréciation du risque de ventes en catastrophe auquel Crédit lyonnais était exposé, sans établir en quoi l’appréciation de la BCE contenue dans cette décision à cet égard serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Ce faisant, il a outrepassé les limites de son contrôle juridictionnel rappelées au point 55 du présent arrêt. C’est également à tort qu’il a
considéré que la BCE avait manqué à son obligation, découlant de la jurisprudence rappelée au point 57 du présent arrêt, d’examiner avec soin et impartialité l’ensemble des éléments pertinents de la situation en cause.

75 Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, il y a lieu d’accueillir le premier moyen de celui-ci et, en conséquence, d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il accueille la première branche du troisième moyen et, partiellement, la troisième branche du premier moyen du recours en première instance et qu’il annule partiellement la décision litigieuse.

Sur le recours en première instance

76 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

77 Tel est le cas de la présente affaire, la Cour disposant de tous les éléments nécessaires pour statuer sur le recours en première instance de Crédit lyonnais.

78 Ce recours est fondé sur trois moyens, mentionnés au point 20 du présent arrêt.

79 Ainsi qu’il ressort du point 21 du présent arrêt, le premier moyen, à l’exception de l’argument figurant dans sa troisième branche, tirée d’une violation de l’article 266 TFUE découlant d’une mauvaise exécution, par la BCE, du point 81 de l’arrêt du 13 juillet 2018, Crédit agricole/BCE (T‑758/16, EU:T:2018:472), et le deuxième moyen ont été écartés par le Tribunal, sans que Crédit lyonnais conteste, dans le cadre d’un pourvoi incident, le bien-fondé des appréciations faites par le Tribunal à
l’égard de ceux-ci. Dans ces conditions, l’arrêt attaqué est, s’agissant de ces appréciations, revêtu de l’autorité de la chose jugée, nonobstant l’annulation partielle de cet arrêt découlant de l’accueil du premier moyen du pourvoi de la BCE (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, points 109 à 111).

80 Il s’ensuit que la Cour doit uniquement examiner le troisième moyen du recours en première instance ainsi que l’argument de la troisième branche du premier moyen mentionné au point précédent.

Sur la troisième branche du premier moyen et la première branche du troisième moyen

Argumentation des parties

81 Par la troisième branche du premier moyen et la première branche du troisième moyen, qu’il convient d’examiner conjointement, Crédit lyonnais fait valoir que la BCE n’a pas effectué, à l’occasion de l’appréciation du risque de ventes en catastrophe, une analyse approfondie des caractéristiques des livrets d’épargne réglementée, alors qu’elle aurait dû procéder de la sorte conformément à la jurisprudence qui est également rappelée au point 57 du présent arrêt.

82 Crédit lyonnais soutient, premièrement, que plusieurs études et rapports économiques démontrent que ces livrets constituent une « valeur refuge » en cas de crise bancaire, en raison de la garantie de la République française dont les dépôts sur lesdits livrets bénéficient, ce qui en fait un produit d’épargne particulièrement sûr, de telle sorte que l’hypothèse d’un retrait massif de ces dépôts en période de crise n’est pas crédible.

83 Crédit lyonnais conteste, à cet égard, la référence opérée par la BCE à un scénario de retraits portant sur 10 % à 30 % des dépôts garantis en moins de cinq jours, lequel constituerait une hypothèse invérifiable et dépourvue de pertinence.

84 En outre, la BCE ne démontrerait pas en quoi le délai de dix jours entre les retraits des déposants titulaires de livrets d’épargne réglementée et le remboursement de la CDC à Crédit lyonnais des sommes correspondant à ces retraits générerait un risque de liquidité dans le cadre de l’appréciation du ratio de levier alors qu’il n’en présenterait pas dans le cadre du ratio de liquidité, comme la BCE l’avait reconnu.

85 Crédit lyonnais considère, deuxièmement, que les livrets d’épargne réglementée relèvent d’un mécanisme structurellement équilibré au plan bilanciel, les dépôts effectués sur ces livrets, centralisés auprès de la CDC, correspondant aux créances d’un même montant détenues par Crédit lyonnais à l’encontre de celle-ci. Les sommes collectées sur lesdits livrets ne pourraient pas être investies dans des actifs risqués et elles seraient parfaitement couvertes par l’obligation de remboursement des
montants de ces dépôts retirés par les épargnants qui s’impose à la CDC, de sorte qu’un établissement qui, comme Crédit lyonnais, collecte lesdits dépôts n’aurait pas à céder des actifs en urgence pour se procurer les liquidités nécessaires pour faire droit à des retraits.

86 Crédit lyonnais avance, troisièmement, que le volume des dépôts effectués sur les livrets d’épargne réglementée ne dépend pas de la stratégie de l’établissement qui les collecte, mais de facteurs hors de son contrôle. Cet établissement agirait comme simple véhicule de transit entre le déposant et la CDC.

87 Ces caractéristiques des livrets d’épargne réglementée démontreraient que celle-ci n’expose pas les établissements collecteurs à un risque de levier excessif, ce qui serait confirmé par un rapport de l’ABE, du 3 août 2016, portant sur les expositions bénéficiant des mécanismes de garantie légale spécifiques ainsi que par l’article 429 bis, paragraphe 1, sous j), du règlement no 575/2013 modifié.

88 La BCE estime qu’il convient d’écarter cette argumentation.

Appréciation de la Cour

89 Ainsi qu’il a été relevé aux points 55 à 57 du présent arrêt, lorsqu’elle détermine s’il y a lieu d’accorder ou non le bénéfice de l’article 429, paragraphe 14, du règlement no 575/2013, la BCE dispose d’un large pouvoir d’appréciation de sorte que le contrôle juridictionnel que le juge de l’Union doit exercer sur le bien-fondé des motifs d’une décision telle que la décision litigieuse ne doit pas le conduire à substituer sa propre appréciation à celle de la BCE, mais vise à vérifier que cette
décision ne repose pas sur des faits matériellement inexacts et qu’elle n’est entachée d’aucune erreur manifeste d’appréciation ou de détournement de pouvoir.

90 En l’occurrence, la BCE a estimé que les expositions sur la CDC résultant des dépôts effectués sur les livrets d’épargne réglementée représentaient un risque prudentiel faible pour les établissements soumis à sa surveillance, mais que persistait, s’agissant de Crédit lyonnais, un risque prudentiel qui devait être pris en considération en limitant à hauteur de 66 % l’exclusion de ces expositions de la mesure des expositions aux fins du calcul du ratio de levier de cet établissement.

91 Dans le cadre de l’analyse qui a fondé une telle conclusion, la BCE a apprécié, compte tenu des caractéristiques des livrets d’épargne réglementée, y compris, ainsi qu’il ressort explicitement de l’évaluation des observations no 2 et no 4 présentées par Crédit agricole, figurant en annexe à la décision litigieuse, de celles relatives à l’existence d’une double garantie de la République française, si les établissements soumis à la surveillance de la BCE pouvaient, lors d’un épisode de crise
bancaire, être exposés à des retraits massifs en une courte période de temps pouvant nécessiter la prise de mesures correctives non prévues au plan d’entreprise, y compris une vente en urgence d’actifs afin de disposer des fonds nécessaires pour faire droit aux demandes de retraits, au sens de l’article 4, paragraphe 1, point 94, du règlement no 575/2013.

92 Il en ressort que la BCE a procédé à une analyse prudentielle de nature prévisionnelle, en déterminant les effets que des événements dont la survenance n’est pas certaine pourraient avoir sur la capacité d’un établissement à faire face à ces événements.

93 En vue de mener à bien cette analyse, si la BCE doit se fonder, dans le cadre de la large marge d’appréciation dont elle dispose, sur des scénarios qui ne sont pas dépourvus de vraisemblance au regard des données disponibles, il ne saurait toutefois être considéré, au vu de la nature prévisionnelle de ladite analyse, qu’elle est tenue de prouver l’existence d’événements passés présentant les mêmes caractéristiques que le scénario analysé.

94 Or, s’agissant de la référence à un scenario de retraits portant sur 10 % à 30 % des dépôts garantis en moins de cinq jours, retenu par la BCE dans la décision litigieuse, il n’apparaît pas que ce scénario, qui se fonde sur un exemple effectivement intervenu dans une situation présentant des éléments comparables à ceux des expositions sur la CDC résultant des dépôts effectués sur les livrets d’épargne réglementée, serait manifestement dépourvu de vraisemblance.

95 À cet égard, les arguments et les éléments avancés par Crédit lyonnais quant à la qualité de « valeur refuge » de ces livrets, liée, notamment, au fait que ceux-ci bénéficient d’une garantie de la République française, permettent, certes, de constater que, lors de certains épisodes passés de crise bancaire, le niveau global des dépôts sur certains livrets d’épargne réglementée a eu tendance à augmenter.

96 Toutefois, ce constat général ne saurait pour autant conduire à priver de toute vraisemblance le scénario, retenu par la BCE dans le cadre de son analyse prévisionnelle du risque de ventes en catastrophe, d’une probabilité, même limitée, de retraits massifs de l’épargne réglementée déposée auprès de Crédit lyonnais, en cas de crise bancaire.

97 En effet, si les arguments et les éléments avancés par Crédit lyonnais qui permettent d’effectuer ce constat peuvent, ainsi que l’a admis la BCE, expliquer que, en cas de tension ou de crise sur les marchés financiers, les épargnants seront enclins, en règle générale, à se tourner vers ces formes de placement sûr et liquide au détriment d’autres formes d’investissements plus risqués ou moins liquides, ces arguments et éléments ne sont cependant pas de nature à établir que tout risque que les
déposants procèdent à des retraits instantanés et massifs de cette épargne visant, par exemple, à la réinvestir dans des établissements plus sains, serait manifestement écarté. Lesdits arguments doivent donc être rejetés.

98 Quant à l’existence d’une double garantie de la République française en relation avec l’épargne réglementée, Crédit lyonnais n’établit pas en quoi la BCE aurait, dans la décision litigieuse, commis une erreur manifeste d’appréciation en ne regardant pas ladite caractéristique, eu égard à l’expérience des crises bancaires récentes, comme étant de nature à prémunir cet établissement de crédit contre tout risque de retraits massifs et, partant, contre tout risque de ventes en catastrophe.

99 S’agissant, en outre, de l’argument de Crédit lyonnais tiré du fait que l’épargne réglementée se traduit par des opérations structurellement équilibrées dans le bilan de l’établissement collecteur des dépôts effectués à ce titre, il y a lieu de relever que la BCE a considéré que, dans un système de transfert comme celui visé par la condition prévue à l’article 429, paragraphe 14, sous c), du règlement no 575/2013, qui est remplie par les expositions sur la CDC résultant de tels dépôts, des
retraits massifs n’entraîneraient pas en eux-mêmes une insuffisance d’actifs pour l’établissement tenu de répondre aux demandes de retrait si, en l’absence d’un mécanisme limitant la faculté de retrait, un tel établissement pouvait exiger et recevoir immédiatement des entités du secteur public auxquelles lesdits dépôts ont été transférés les montants correspondant aux sommes ainsi retirées. Or, la BCE a constaté, dans la décision litigieuse, que tel n’était pas le cas en l’espèce.

100 Elle a, en effet, pris en considération le fait que les sommes déposées sur les livrets d’épargne réglementée étaient transférées à la CDC afin de financer des investissements d’intérêt public et qu’il existait une obligation pesant sur la CDC, et garantie par la République française, de rembourser aux établissements collecteurs de ces dépôts les montants retirés par les déposants. Toutefois, elle a estimé que le délai d’ajustement décadaire entre le retrait des sommes déposées et le
remboursement par la CDC des sommes retirées faisait persister un risque de ventes en catastrophe.

101 Or, il n’apparaît pas que le choix de cette institution, fondé sur un scénario de retraits qui n’est pas manifestement dépourvu de vraisemblance, consistant à prendre en considération les conséquences que ce délai d’ajustement décadaire pourrait avoir sur la nécessité, pour l’établissement concerné, de recourir à des mesures correctives non prévues par le plan d’entreprise, y compris une vente en urgence d’actifs, a dépassé les limites de la large marge d’appréciation dont disposait la BCE afin
d’évaluer le niveau de risque prudentiel considéré pertinent aux fins de l’application de l’article 429, paragraphe 14, du règlement no 575/2013.

102 Cette considération n’est pas remise en cause par l’argument de Crédit lyonnais selon lequel la BCE ne démontrerait pas en quoi ce délai d’ajustement décadaire serait susceptible de faire naître un risque de liquidité dans le cadre de l’appréciation effectuée pour déterminer le ratio de levier alors qu’il n’en irait pas de même dans le cadre de l’appréciation conduite pour déterminer l’exigence de couverture des besoins de liquidité.

103 En effet, il y a lieu de relever que, dans la décision litigieuse, la BCE a justifié la prise en compte d’un tel délai décadaire en soulignant que, dans le cadre du calcul du ratio de levier, aucun horizon temporel spécifique approprié n’est déterminé, contrairement à ce qui est le cas aux fins du calcul du ratio de liquidité.

104 À cet égard, il convient de relever que, ainsi que la BCE l’a souligné devant le Tribunal, l’exigence de couverture des besoins de liquidité, qui est régie, notamment, par l’article 412 du règlement no 575/2013, vise à ce que la valeur totale des actifs liquides « couvre les sorties de trésorerie moins les entrées de trésorerie en situation de tensions » afin de garantir que les établissements conservent des « coussins de liquidité suffisants pour faire face à tout déséquilibre éventuel entre
entrées et sorties de trésorerie en situation de tensions sévères pendant une période de trente jours ». Le ratio de levier est, quant à lui, régi, notamment, par l’article 429 de ce règlement et il vise à prémunir l’établissement du risque de levier excessif, c’est-à-dire du risque « résultant d’un levier ou d’un levier éventuel pouvant nécessiter la prise de mesures correctives non prévues au plan d’entreprise, y compris une vente en urgence d’actifs pouvant se solder par des pertes ou une
réévaluation des actifs restants ». Ainsi, tandis que l’exigence de liquidité vise à garantir une couverture suffisante des sorties de trésorerie dans un scénario de tensions sévères à un horizon de trente jours, le ratio de levier entend, pour sa part, éviter qu’un établissement qui se trouve dans une situation d’insuffisance de liquidité soit contraint de procéder à des mesures correctives telles que des ventes « en urgence » d’actifs, à des conditions dépréciées.

105 Or, la BCE a relevé que, si un retrait à hauteur de 30 % des dépôts d’épargne réglementée devait se produire en moins de cinq jours, cela représenterait, pour Crédit lyonnais, un volume de 5,4 milliards d’euros. Elle a estimé que l’éventualité d’un tel volume et d’une telle rapidité de retrait ne pouvait pas être exclue pour cet établissement de crédit et que, dans cette éventualité, celui-ci pourrait devoir procéder à des mesures non prévues au plan d’entreprise, y compris une vente en urgence
d’actifs afin de disposer des fonds nécessaires pour faire droit aux demandes de retraits.

106 Il s’ensuit que, eu égard à ces différences d’horizon temporel découlant du règlement no 575/2013, il n’apparaît pas que l’appréciation de la BCE relative à la prise en compte du délai décadaire entre les retraits des déposants et le remboursement de la CDC dans le cadre de l’application de l’article 429, paragraphe 14, de ce règlement est entachée d’une erreur manifeste.

107 S’agissant, en outre, de l’argument de Crédit lyonnais tiré de ce que le volume de l’épargne réglementée dépend non pas de la stratégie de l’établissement collecteur de cette épargne, mais de facteurs hors de son contrôle, force est de constater que Crédit lyonnais s’est borné à mettre en avant des éléments de nature à démontrer que des facteurs extérieurs à son action avaient également une influence sur ce volume. Il n’a ni allégué ni démontré qu’il n’avait aucune forme d’influence sur le
volume des dépôts effectués sur les livrets d’épargne réglementée.

108 Dans ces conditions, cet argument de Crédit lyonnais doit être écarté.

109 De même, il convient d’écarter les arguments de Crédit lyonnais tirés de l’article 429 bis, paragraphe 1, sous j), du règlement no 575/2013 modifié et du rapport de l’ABE mentionné au point 87 du présent arrêt.

110 En effet, d’une part, cette disposition est entrée en vigueur postérieurement à l’adoption de la décision litigieuse et n’est donc pas applicable ratione temporis dans le cadre de la présente affaire. En outre, ainsi qu’il ressort de son libellé, ladite disposition a pour objet, non pas d’exclure de plein droit certaines expositions, telles que celles liées à l’épargne réglementée, de la mesure de l’exposition totale aux fins du calcul du ratio de levier, mais de supprimer l’obligation pour les
établissements concernés d’obtenir l’autorisation des autorités compétentes aux fins d’une telle exclusion, en transférant à ceux-ci la responsabilité d’apprécier si cette exclusion se justifie pour les expositions remplissant les conditions prévues par le règlement no 575/2013.

111 De plus, pour autant que cette modification législative puisse signifier que le législateur a estimé que les expositions liées à l’épargne réglementée ne créeraient pas de risque de levier, ce constat ne permettrait pas de considérer que la BCE aurait dû appréhender la situation de Crédit lyonnais au regard des indications que l’article 429 bis, paragraphe 1, sous j), du règlement no 575/2013 modifié donnerait sur l’intention du législateur quant au régime futur de ces expositions.

112 S’agissant, d’autre part, du rapport de l’ABE mentionné au point 87 du présent arrêt, il y a lieu de relever que celui-ci préconisait l’application d’une exclusion analogue à celle résultant de l’article 429, paragraphe 14, du règlement no 575/2013 pour des expositions autres que celles résultant des dépôts effectués sur les livrets d’épargne réglementée.

113 En tout état de cause, ce rapport, qui ne lie pas la BCE lorsqu’elle adopte une décision sur la base de cet article, permet tout au plus de relever que l’ABE estimait que ces autres expositions avaient également un profil de risque faible, ce qui correspond, ainsi qu’il a été relevé au point 90 du présent arrêt, à l’appréciation globale retenue dans la décision litigieuse par la BCE pour ce qui concerne les livrets d’épargne réglementée.

114 Il ressort de ce qui précède que, par ses arguments, Crédit lyonnais ne démontre pas que l’appréciation de la BCE relative au risque de ventes en catastrophe généré par ses expositions sur la CDC résultant des dépôts effectués sur les livrets d’épargne réglementée, qui a contribué à justifier l’exclusion de seulement 66 % de ces expositions de la mesure des expositions aux fins du calcul du ratio de levier, est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

115 Il s’ensuit que la première branche du troisième moyen et la troisième branche du premier moyen doivent être écartées.

Sur la seconde branche du troisième moyen

Argumentation des parties

116 Crédit lyonnais considère que la BCE ne présente pas d’éléments pouvant accréditer la vraisemblance d’un défaut de la République française qui permettraient de fonder un refus, même partiel, d’autoriser l’exclusion prévue à l’article 429, paragraphe 14, du règlement no 575/2013.

117 La BCE estime qu’il convient d’écarter cette argumentation.

Appréciation de la Cour

118 Au point 2.2.1 de la décision litigieuse, la BCE a pris en considération la qualité de crédit de l’administration centrale française pour apprécier s’il existait un risque, en cas de défaillance de la CDC, que cette administration ne soit pas en mesure de rembourser aux entités soumises à la surveillance prudentielle les montants transférés à la CDC et correspondant aux dépôts effectués sur les livrets d’épargne réglementée qui seraient retirés par les épargnants.

119 Il ressort, en outre, de ce point de la décision litigieuse que la BCE a considéré que ce risque ne soulevait pas, en soi, de « problèmes prudentiels » qui justifieraient qu’elle n’autorise pas l’exclusion demandée au titre de l’article 429, paragraphe 14, du règlement no 575/2013.

120 Toutefois, eu égard à la notation attribuée à la République française par les organismes externes d’évaluation du crédit, parmi lesquels figure Standard & Poor’s, qui n’était pas « la plus élevée possible », et à la cotation des contrats d’échange sur risque de crédit à cinq ans, qui impliquait « une probabilité de défaut [de ce pays] qui n’est pas nulle », la BCE a estimé que l’importance de l’exposition sur la CDC des établissements soumis à sa surveillance prudentielle était un élément
pertinent à prendre en considération pour évaluer le risque prudentiel global représenté par la situation de ces établissements.

121 Il en découle que la BCE a procédé à l’évaluation du risque de défaut de la République française sur la base d’éléments qui permettaient raisonnablement d’estimer que le risque lié à la qualité de crédit de l’administration centrale française n’était pas nul, sans que Crédit lyonnais parvienne à démontrer que cette appréciation serait entachée d’une erreur manifeste.

122 Il y a lieu de relever, à cet égard, qu’il appartenait en l’espèce à la BCE, dans le cadre de la mise en œuvre de la large marge d’appréciation dont elle disposait, de déterminer si le faible risque de défaut de la République française qu’elle a constaté, sur la base d’une appréciation dépourvue d’erreur manifeste, devait être pris en compte aux fins de l’évaluation qui lui incombait.

123 Il s’ensuit que, eu égard à cette large marge d’appréciation, il ne peut pas être considéré que le niveau de risque retenu et l’incidence de celui‑ci sur la situation des établissements soumis à sa surveillance sont entachés d’une erreur manifeste d’appréciation.

124 Il convient donc d’écarter la seconde branche du troisième moyen et, avec elle, ce moyen dans son ensemble.

125 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le recours en première instance.

Sur les dépens

126 Conformément à l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

127 L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

128 En l’espèce, Crédit lyonnais ayant succombé et la BCE ayant conclu, tant devant la Cour que devant le Tribunal, à la condamnation de Crédit lyonnais aux dépens, il y a lieu de condamner ce dernier à supporter, outre ses propres dépens, ceux de la BCE afférents à la procédure de première instance et au présent pourvoi.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

  1) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 14 avril 2021, Crédit lyonnais/BCE (T‑504/19, EU:T:2021:185), est annulé en tant qu’il accueille la première branche du troisième moyen ainsi que, partiellement, la troisième branche du premier moyen invoqués en première instance et qu’il annule la décision ECB‑SSM‑2019‑FRCAG‑39 de la Banque centrale européenne (BCE), du 3 mai 2019, dans la mesure où cette décision a refusé d’exclure du calcul du ratio de levier de Crédit lyonnais 34 % de ses
expositions sur la Caisse des dépôts et consignations.

  2) Le recours introduit dans l’affaire T‑504/19 par Crédit lyonnais en première instance est rejeté.

  3) Crédit lyonnais est condamné aux dépens.

Arabadjiev

Lenaerts

Bay Larsen

Xuereb

Kumin
 
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 4 mai 2023.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président de chambre

A. Arabadjiev

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-389/21
Date de la décision : 04/05/2023
Type d'affaire : Pourvoi
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Politique économique et monétaire – Surveillance prudentielle des établissements de crédit – Règlement (UE) no 575/2013 – Calcul du ratio de levier – Mesure de l’exposition – Article 429, paragraphe 14 – Exclusion des expositions remplissant certaines conditions – Refus partiel d’autorisation – Pouvoir discrétionnaire de la Banque centrale européenne (BCE) – Recours en annulation – Erreur manifeste d’appréciation – Contrôle juridictionnel.

Politique économique et monétaire


Parties
Demandeurs : Banque centrale européenne (BCE)
Défendeurs : Crédit lyonnais.

Composition du Tribunal
Avocat général : Emiliou
Rapporteur ?: Bay Larsen

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:368

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