ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)
27 avril 2023 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Commerce électronique – Directive 2000/31/CE – Article 1er – Champ d’application – Article 2, sous c) – Notion de “prestataire établi” – Article 3, paragraphe 1 – Prestation de services de la société de l’information fournis par un prestataire établi sur le territoire d’un État membre – Société établie sur le territoire de la Confédération suisse – Inapplicabilité ratione personae – Article 56 TFUE – Accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la
Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes – Champ d’application – Interdiction des restrictions à des prestations de services transfrontalières n’excédant pas une durée de 90 jours par année civile – Prestations de services en Italie d’une durée supérieure à 90 jours – Inapplicabilité ratione personae – Article 102 TFUE – Absence de tout élément dans la décision de renvoi permettant d’établir un lien entre le litige au principal et un éventuel abus de position
dominante – Irrecevabilité »
Dans l’affaire C‑70/22,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), par décision du 27 janvier 2022, parvenue à la Cour le 1er février 2022, dans la procédure
Viagogo AG
contre
Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni (AGCOM),
Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (AGCM),
en présence de :
Ticketone SpA,
LA COUR (septième chambre),
composée de Mme M. L. Arastey Sahún, présidente de chambre, MM. N. Wahl (rapporteur) et J. Passer, juges,
avocat général : M. M. Szpunar,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Viagogo AG, par Mes E. Apa, E. Foco, M.V. La Rosa, E. Marasà, M. Montinari et I. Picciano, avvocati,
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mmes R. Guizzi et F. Varrone, avvocati dello Stato,
– pour la Commission européenne, par Mme M. Angeli, M. S. Kalėda, Mme U. Małecka et M. L. Malferrari, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation, d’une part, des articles 3, 14 et 15 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») (JO 2000, L 178, p. 1), lus en combinaison avec l’article 56 TFUE, et, d’autre part, des articles 102 et 106 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Viagogo AG, une société établie à Genève (Suisse), à l’Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni (AGCOM, Autorité garante en matière de communications, Italie) et à l’Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (AGCM, Autorité garante du respect de la concurrence et des règles du marché, Italie) au sujet d’une amende de 3700000 euros infligée à Viagogo par l’AGCOM.
Le cadre juridique
L’accord CE-Suisse
3 La Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, ont signé le 21 juin 1999 à Luxembourg (Luxembourg) sept accords, dont l’accord sur la libre circulation des personnes (JO 2002, L 114, p. 6, ci-après l’« accord CE-Suisse »). Par la décision du Conseil et de la Commission en ce qui concerne l’accord de coopération scientifique et technologique, du 4 avril 2002, relative à la conclusion de sept accords avec la Confédération suisse
(2002/309/CE, Euratom) (JO 2002, L 114, p. 1 et rectificatif JO 2015, L 210, p. 38), ces accords ont été approuvés au nom de la Communauté. Ils sont entrés en vigueur le 1er juin 2002.
4 L’article 1er de l’accord CE-Suisse, intitulé « Objectif », prévoit :
« L’objectif de cet accord, en faveur des ressortissants des États membres de la Communauté européenne et de la Suisse, est :
[...]
b) de faciliter la prestation de services sur le territoire des parties contractantes, en particulier de libéraliser la prestation de services de courte durée [...] »
5 L’article 5 de l’accord CE-Suisse, intitulé « Prestataire de services », est ainsi rédigé :
« 1. Sans préjudice d’autres accords spécifiques relatifs à la prestation de services entre les parties contractantes [...], un prestataire de services, y compris les sociétés conformément aux dispositions de l’annexe I, bénéficie du droit de fournir un service pour une prestation sur le territoire de l’autre partie contractante qui ne dépasse pas 90 jours de travail effectif par année civile.
[...] »
6 Aux termes de l’article 15 de l’accord CE-Suisse, intitulé « Annexes et protocoles », les annexes et les protocoles de cet accord en font partie intégrante.
7 L’article 17 de l’annexe I de l’accord CE-Suisse, intitulé « Prestataire de services », énonce :
« Est interdite, dans le cadre de la prestation de services, selon l’article 5 du présent accord :
a) toute restriction à une prestation de services transfrontalière sur le territoire d’une partie contractante ne dépassant pas 90 jours de travail effectif par année civile.
[...] »
8 Selon l’article 18 de cette annexe, les dispositions de l’article 17 de ladite annexe s’appliquent à des sociétés qui sont constituées en conformité avec la législation d’un État membre de la Communauté ou de la Confédération suisse et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur établissement principal sur le territoire d’une partie contractante.
9 L’article 21 de la même annexe stipule :
« 1. La durée totale d’une prestation de service visée par l’article 17[, sous a)], de la présente annexe, qu’il s’agisse d’une prestation ininterrompue ou de prestations successives, ne peut excéder 90 jours de travail effectif par année civile.
[...] »
Le droit de l’Union
10 Aux termes du considérant 19 de la directive 2000/31 :
« Le lieu d’établissement d’un prestataire devrait être déterminé conformément à la jurisprudence de la Cour de justice, selon laquelle le concept d’établissement implique l’exercice effectif d’une activité économique au moyen d’une installation stable et pour une durée indéterminée. [...] Le lieu d’établissement d’une société fournissant des services par le biais d’un site Internet n’est pas le lieu où se situe l’installation technologique servant de support au site ni le lieu où son site est
accessible, mais le lieu où elle exerce son activité économique. [...] »
11 L’article 1er de cette directive, intitulé « Objectif et champ d’application », est ainsi libellé :
« 1. La présente directive a pour objectif de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en assurant la libre circulation des services de la société de l’information entre les États membres.
[...]
4. La présente directive n’établit pas de règles additionnelles de droit international privé et ne traite pas de la compétence des juridictions. »
12 L’article 2 de ladite directive, intitulé « Définitions », dispose :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
a) “services de la société de l’information” : les services au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 98/34/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JO 1998, L 204, p. 37)], telle que modifiée par la directive 98/48/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998 (JO 1998, L 217, p. 18)] ;
b) “prestataire” : toute personne physique ou morale qui fournit un service de la société de l’information ;
c) “prestataire établi” : prestataire qui exerce d’une manière effective une activité économique au moyen d’une installation stable pour une durée indéterminée. La présence et l’utilisation des moyens techniques et des technologies requis pour fournir le service ne constituent pas en tant que telles un établissement du prestataire ;
[...] »
13 L’article 3 de la même directive, intitulé « Marché intérieur », énonce :
« 1. Chaque État membre veille à ce que les services de la société de l’information fournis par un prestataire établi sur son territoire respectent les dispositions nationales applicables dans cet État membre relevant du domaine coordonné.
2. Les États membres ne peuvent, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre.
[...] »
Le droit italien
14 La Legge n. 232 – Bilancio di previsione dello Stato per l’anno finanziario 2017 e bilancio pluriennale per il triennio 2017–2019 (loi no 232 portant budget prévisionnel de l’État pour l’année financière 2017 et budget pluriannuel pour le triennat 2017-2019), du 11 décembre 2016 (GURI no 297, du 21 décembre 2016, supplément ordinaire à la GURI no 57), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi de 2016 »), comporte un article 1er dont le paragraphe 545 prévoit ce qui
suit :
« Afin de lutter contre l’évasion et la fraude fiscales, ainsi que pour assurer la protection des consommateurs et garantir l’ordre public, la vente ou toute autre forme de placement de billets d’accès à des activités de spectacle réalisées par une personne autre que les titulaires, même sur la base d’un contrat ou d’un accord spécifique, des systèmes d’émission de ces billets est punie, sauf si l’acte constitue une infraction pénale, de l’interdiction de ce comportement et d’amendes
administratives de 5000 à 180000 euros, ainsi que, si ledit comportement se manifeste au moyen de réseaux de communication électronique, selon les modalités définies au paragraphe 546, à la suppression des contenus ou, dans des cas plus graves, à l’occultation du site Internet au moyen duquel la violation s’est trouvée constituée, sans préjudice des actions en dommages et intérêts. L’[AGCOM] et les autres autorités compétentes effectuent les enquêtes et les interventions nécessaires, en agissant
d’office ou sur signalement des intéressés. En tout état de cause, n’est pas sanctionnée la vente ou toute autre forme de placement des billets d’accès à des activités de spectacle exercées par une personne physique à titre occasionnel, pour autant qu’elle n’ait pas de but commercial. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
15 Viagogo, dont le siège social et le domicile fiscal sont situés à Genève, exploite des sites Internet fondés sur l’intermédiation entre consommateurs pour la revente de titres d’accès à des activités de spectacle et à des événements sportifs. Une fois leurs billets acquis auprès d’émetteurs officiels, tels que les organisateurs du spectacle ou de l’événement concerné ou les distributeurs agréés (« marché primaire »), il arrive que certaines personnes souhaitent procéder à leur revente. Viagogo a
été créé pour mettre en relation l’offre et la demande sur le marché de la vente de billets de seconde main (« marché secondaire »).
16 Compte tenu de la rapidité avec laquelle les billets disponibles sur le marché primaire cessent d’être disponibles, notamment en raison du recours à des programmes automatisés d’achat par certains utilisateurs, le nombre de personnes à la recherche de billets, en particulier s’agissant de spectacles ou d’événements de grand renom, n’a cessé de croître et les sites Internet dédiés au marché secondaire concerné connaissent ainsi un véritable succès.
17 Dans ce contexte, Viagogo présélectionne, sur les sites Internet qu’elle exploite au moyen d’une plate-forme hébergée aux États-Unis, un certain nombre de spectacles ou d’événements. Les détenteurs de billets, en choisissant le spectacle ou l’événement correspondant à ces billets, peuvent proposer ces derniers à la vente sur ces sites Internet. Viagogo met en relation les vendeurs et les acquéreurs potentiels, en offrant des services auxiliaires tels que l’assistance téléphonique et par courrier
électronique, la suggestion de prix sur la base d’un logiciel et un système automatisé de promotion des billets pour certains spectacles ou événements.
18 Le phénomène décrit au point 16 du présent arrêt ayant atteint des proportions jugées inquiétantes en Italie, notamment en raison de la possibilité aisée d’utiliser l’exploitation de tels sites Internet pour blanchir de l’argent issu d’activités illégales, et le prix de vente des billets sur le marché secondaire n’ayant plus aucun rapport avec celui auquel ces billets sont proposés sur le marché primaire, le législateur italien a mis en œuvre une politique visant à endiguer ce phénomène,
notamment au moyen de l’adoption de l’article 1er, paragraphe 545, de la loi de 2016.
19 Après plusieurs plaintes déposées par des sociétés opérant dans le secteur de l’organisation d’événements musicaux, par des sociétés de vente de billets pour des événements musicaux sur le marché primaire et par des associations professionnelles, l’AGCOM a procédé à une inspection du site Internet www.viagogo.it, géré par Viagogo.
20 À la suite de cette inspection, l’AGCOM, par la décision no 104/20/CONS du 16 mars 2020, a infligé à Viagogo une amende administrative de 3700000 euros. A été imputée à Viagogo la commission de 37 infractions, au moyen de ce site Internet et d’un renvoi à ce dernier sur un réseau social, constituées par la mise en vente, entre les mois de mars et de mai 2019, de billets de concerts et de spectacles, sans que Viagogo ait été titulaire des systèmes d’émission de ces billets, à des prix supérieurs
aux prix nominaux indiqués sur les sites de vente autorisés.
21 Viagogo a introduit un recours tendant à l’annulation de cette décision devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional du Latium, Italie), lequel a rejeté ce recours. Elle a interjeté appel du jugement de première instance au principal devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), la juridiction de renvoi.
22 C’est dans ce contexte que le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1 ) La directive [2000/31], notamment ses articles 3, 14 et 15, lus en combinaison avec l’article 56 TFUE, s’oppose-t-elle à une application de la législation d’un État membre relative à la vente de billets pour des événements sur le marché secondaire qui a pour effet d’interdire à un gestionnaire de plate-forme d’hébergement opérant dans l’[Union européenne], tel que la requérante dans la présente procédure, de fournir aux utilisateurs tiers des services de publicité pour la vente de billets
pour des événements sur le marché secondaire, en réservant cette activité aux seuls vendeurs, organisateurs d’événements ou autres entités autorisées par les pouvoirs publics à émettre des billets sur le marché primaire au moyen de systèmes certifiés ?
2) En outre, l’article 102 TFUE, lu en combinaison avec l’article 106 TFUE, s’oppose-t-il à l’application de la législation d’un État membre relative à la vente de billets pour des événements qui réserve tous les services relatifs au marché secondaire des billets (et, en particulier, le courtage de billets) aux seuls vendeurs, organisateurs d’événements ou autres entités autorisées à émettre des billets sur le marché primaire au moyen de systèmes certifiés, en interdisant cette activité aux
prestataires de services de la société de l’information souhaitant agir en tant que fournisseurs d’hébergement au sens des articles 14 et 15 de la directive [2000/31] notamment lorsque, comme en l’espèce, une telle réserve a pour effet de permettre à un opérateur dominant sur le marché primaire de la distribution de billets d’étendre sa domination aux services d’intermédiation sur le marché secondaire ?
3) La notion de “fournisseur de services d’hébergement passif”, au sens de la législation européenne et notamment de la directive [2000/31], n’est-elle utilisable qu’en l’absence de toute activité de filtrage, de sélection, d’indexation, d’organisation, de catalogage, d’agrégation, d’évaluation, d’utilisation, de modification, d’extraction ou de promotion des contenus publiés par les utilisateurs, ces activités étant entendues comme des indices qui ont un caractère illustratif et qui ne doivent
pas être tous présents dans la mesure où ils doivent être considérés, en soi, comme révélateurs d’une gestion entrepreneuriale du service et/ou de l’adoption d’une technique d’évaluation du comportement des utilisateurs en vue de les fidéliser, ou appartient-il à la juridiction de renvoi d’apprécier la pertinence de ces circonstances de telle sorte que, même si une ou plusieurs d’entre elles sont présentes, il est possible de considérer que la neutralité du service qui conduit à la
qualification de fournisseur de services d’hébergement passif prévaut ? »
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
23 Premièrement, il convient de rappeler que, pour être recevable, une demande de décision préjudicielle doit être nécessaire à la solution du litige que la juridiction de renvoi est appelée à trancher (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 30 ainsi que jurisprudence citée), ce qui suppose que les dispositions de droit de l’Union sur lesquelles porte cette demande soient applicables à ce litige.
24 À cet égard, en premier lieu, il importe de relever que les trois questions posées par la juridiction de renvoi portent sur l’interprétation de la directive 2000/31. Or, cette dernière n’est pas applicable ratione personae au litige au principal.
25 En effet, la directive 2000/31 a pour objectif, conformément à son article 1er, de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en assurant la libre circulation des services de la société de l’information « entre les États membres ». Cela suppose donc, pour que cette directive soit applicable ratione personae, que les prestations de services dont il s’agit soient effectuées par des prestataires de services établis sur le territoire d’un État membre, comme le rappelle l’article 3,
paragraphe 1, de ladite directive.
26 À cet égard, l’article 2, sous c), de la même directive définit le « prestataire établi » comme le prestataire qui exerce d’une manière effective une activité économique au moyen d’une installation stable pour une durée indéterminée, cette disposition précisant que la présence et l’utilisation des moyens techniques et des technologies requis pour fournir le service concerné ne constituent pas en tant que telles un établissement du prestataire.
27 Il ressort à ce sujet de la jurisprudence que la possibilité d’appliquer l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la directive 2000/31 étant subordonnée à l’identification de l’État membre sur le territoire duquel le prestataire du service de la société de l’information concerné est effectivement établi, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si ce prestataire est effectivement établi sur le territoire d’un État membre. À défaut d’un tel établissement, le mécanisme prévu à l’article 3,
paragraphe 2, de cette directive ne s’applique pas (arrêt du 15 mars 2012, G, C‑292/10, EU:C:2012:142, point 71 et jurisprudence citée).
28 De même, l’interdiction, pour des raisons relevant du domaine coordonné, des restrictions à la libre prestation des services dont traite la directive 2000/31 vise uniquement, selon les termes exprès de l’article 3, paragraphe 2, de cette directive, ceux « en provenance d’un autre État membre ».
29 Certes, en application de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3), le Comité mixte de l’Espace économique européen (EEE) a, par la décision no 91/2000, du 27 octobre 2000, modifiant l’annexe XI (Services de télécommunications) de l’accord EEE (JO 2001, L 7, p. 13), étendu le champ d’application de la directive 2000/31 à l’EEE, de telle sorte que cette directive vise également les États parties audit accord. Toutefois, la Confédération suisse ne figure pas au
nombre de ces derniers. Par ailleurs, aucune décision n’a été adoptée par le Comité mixte UE–Suisse, institué en application de l’accord CE–Suisse, en vue de l’extension de l’application de ladite directive à cet État tiers.
30 Or, il n’est pas contesté que Viagogo est établie à Genève, y a son siège et y centralise son activité économique, nonobstant la circonstance qu’elle déploie ses sites Internet dans des versions accessibles dans différents États membres de l’Union et, notamment, en Italie. Les prestations de services dont il s’agit sont donc fournies depuis un État tiers par une société régie par le droit de cet État tiers.
31 Il s’ensuit que, contrairement à ce que suppose la juridiction de renvoi, la directive 2000/31 n’est pas invocable par la requérante au principal. L’ensemble des questions posées par cette juridiction se rapportant à cette directive, la demande de décision préjudicielle s’en trouve, en totalité, entachée d’irrecevabilité.
32 En second lieu, au surplus, il convient de préciser, s’agissant de la première question, que l’article 56 TFUE n’est pas non plus invocable par Viagogo.
33 En effet, cet article, sauf traité ou accord international le prévoyant, n’est pas applicable à une société établie dans un État tiers à l’Union, quand bien même cette société fournit des services que peuvent se procurer les ressortissants de certains États membres ou les sociétés établies sur le territoire de ces derniers (voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 2015, Wagner-Raith, C‑560/13, EU:C:2015:347, point 36 et jurisprudence citée).
34 En l’occurrence, le champ d’application de l’accord CE-Suisse ne permet pas à Viagogo de se prévaloir de l’application de l’article 56 TFUE, puisque la particularité de cet accord est de prévoir, au regard de l’assimilation des prestataires de services établis en Suisse à des prestataires établis sur le territoire d’un État membre, une limitation dans le temps à 90 jours par année civile.
35 Ainsi, l’article 1er de l’accord CE-Suisse prévoit, en particulier, « de libéraliser la prestation de services de courte durée », l’article 5, paragraphe 1, de cet accord accordant, quant à lui, aux prestataires de services suisses le « droit de fournir un service pour une prestation sur le territoire de l’autre partie contractante qui ne dépasse pas 90 jours de travail effectif par année civile. » L’annexe I audit accord, qui, aux termes de l’article 15 du même accord, en fait partie intégrante,
comprend un article 17 qui interdit « toute restriction à une prestation de services transfrontalière sur le territoire d’une partie contractante ne dépassant pas 90 jours de travail effectif par année civile ». Par ailleurs, l’article 18 de cette annexe stipule que les dispositions de l’article 17 de ladite annexe s’appliquent à des sociétés qui sont constituées en conformité avec la législation d’un État membre de la Communauté ou de la Confédération suisse et ayant leur siège statutaire, leur
administration centrale ou leur établissement principal sur le territoire d’une partie contractante. Enfin, l’article 21 de la même annexe précise que ces 90 jours correspondent à la durée totale d’une prestation, qu’il s’agisse d’une prestation ininterrompue ou de prestations successives.
36 Or, en l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour que Viagogo fournit des prestations de services d’une durée supérieure à celle prévue par l’accord CE-Suisse.
37 Tout d’abord, par nature, un prestataire de services exerçant exclusivement son activité par l’intermédiaire de sites Internet confère à celle-ci un caractère quasi ininterrompu, voire permanent. En particulier, à propos d’une offre concernant l’annonce de la vente de billets pour un spectacle ou un événement donné, les acquéreurs potentiels vont pouvoir se manifester à tout moment par l’intermédiaire du site Internet concerné. À cet égard, il ne ressort pas des éléments fournis par la
juridiction de renvoi que le site Internet exploité par la requérante au principal ait, depuis sa création, cessé à un moment quelconque son activité, ce que confirme le gouvernement italien, qui indique que « le service d’intermédiaire sur le marché secondaire est presté [par Viagogo] de manière continue pendant toute l’année civile ».
38 Ensuite, il ressort des éléments mis en avant en première instance au principal que Viagogo a déjà été sanctionnée en 2016 par l’AGCOM et que son activité n’apparaissait pas limitée dans le temps.
39 Enfin, d’une part, la décision de l’AGCOM du 16 mars 2020, qui porte spécifiquement sur les mois de mars à mai 2019, c’est-à-dire 92 jours, vise une période excédant la durée maximale de 90 jours prévue par l’accord CE-Suisse. D’autre part, il ressort du jugement de première instance au principal que la dernière vente ayant fait l’objet de l’inspection de l’AGCOM a eu lieu le 7 septembre 2019, soit, en tout état de cause, bien au-delà des 90 jours prévus par l’accord CE-Suisse.
40 Viagogo n’entre donc pas dans le champ d’application ratione personae de l’article 56 TFUE et ne peut, par conséquent, se prévaloir de la méconnaissance de cet article dans le cadre du litige au principal, de telle sorte que la première question, en tant qu’elle porte sur l’interprétation dudit article, est également irrecevable de ce chef.
41 Deuxièmement, les deuxième et troisième questions conduisent la Cour à rappeler, à titre surabondant, sa jurisprudence selon laquelle une question préjudicielle posée par une juridiction nationale est irrecevable lorsque cette dernière ne fournit pas à la Cour les éléments de fait et de droit nécessaires pour lui permettre de répondre de manière utile (arrêt du 2 juillet 2015, Gullotta et Farmacia di Gullotta Davide & C., C‑497/12, EU:C:2015:436, point 26).
42 Ainsi, à aucun moment, dans la demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi n’indique, s’agissant de la deuxième question, les raisons qui l’ont conduite à s’interroger sur l’interprétation des articles 102 et 106 TFUE, ni le lien qu’elle établit entre ces articles et, en particulier, la loi de 2016, contrairement aux exigences fixées à l’article 94, sous c), du règlement de procédure de la Cour.
43 En particulier, en ce qui concerne les articles 102 TFUE et suivants, et plus spécifiquement l’existence d’un éventuel abus de position dominante, aucune référence n’est faite par la juridiction de renvoi aux éléments constitutifs d’une position dominante, au sens de cet article 102, dans le contexte de l’affaire au principal (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2013, Ragn-Sells, C‑292/12, EU:C:2013:820, point 41). Rien n’est dit sur ce que serait cet abus de position dominante ni en quoi la
loi de 2016 serait susceptible d’y conduire (voir, en ce sens, arrêt du 2 juillet 2015, Gullotta et Farmacia di Gullotta Davide & C., C‑497/12, EU:C:2015:436, point 25).
44 S’agissant de la troisième question, dont le caractère hypothétique est patent, il y a lieu de rappeler que la justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un contentieux (voir, notamment, arrêts du 16 décembre 1981, Foglia, C‑244/80, EU:C:1981:302, point 18, et du 20 janvier 2005, García Blanco, C‑225/02, EU:C:2005:34, point 28 ainsi que jurisprudence citée).
45 Partant, au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, la demande de décision préjudicielle est irrecevable.
Sur les dépens
46 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :
La demande de décision préjudicielle introduite par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), par décision du 27 janvier 2022, est irrecevable.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.