ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)
26 avril 2023 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Politique d’immigration – Directive 2008/115/CE – Normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Article 6, paragraphe 2 – Décision de retour accompagnée d’une interdiction d’entrée d’une durée de trois ans – Ressortissant de pays tiers titulaire d’un titre de séjour valable délivré par un autre État membre – Omission, par l’autorité de police
nationale, de permettre à ce ressortissant de se rendre sur le territoire de cet autre État membre avant d’adopter cette décision de retour à son égard »
Dans l’affaire C‑629/22,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Förvaltningsrätten i Göteborg, migrationsdomstolen (tribunal administratif siégeant à Göteborg, statuant en matière d’immigration, Suède), par décision du 27 septembre 2022, parvenue à la Cour le 7 octobre 2022, dans la procédure
A.L.
contre
Migrationsverket,
LA COUR (huitième chambre),
composée de M. M. Safjan (rapporteur), président de chambre, MM. N. Piçarra et N. Jääskinen, juges,
avocat général : M. P. Pikamäe,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant A.L., un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier en Suède, au Migrationsverket (Office des migrations, Suède) au sujet de la décision de ce dernier de rejeter le recours administratif formé par A.L. contre la décision de retour adoptée à son égard par l’autorité de police suédoise et contre l’interdiction d’entrée en Suède accompagnant cette décision.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 1er de la directive 2008/115, intitulé « Objet », dispose :
« La présente directive fixe les normes et procédures communes à appliquer dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, conformément aux droits fondamentaux en tant que principes généraux du droit communautaire ainsi qu’au droit international, y compris aux obligations en matière de protection des réfugiés et de droits de l’homme. »
4 L’article 2 de cette directive, intitulé « Champ d’application », prévoit, à son paragraphe 2 :
« Les États membres peuvent décider de ne pas appliquer la présente directive aux ressortissants de pays tiers :
a) faisant l’objet d’une décision de refus d’entrée conformément à l’article 13 du [règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2006, L 105, p. 1)], ou arrêtés ou interceptés par les autorités compétentes à l’occasion du franchissement irrégulier par voie terrestre, maritime ou aérienne de la frontière extérieure d’un État membre
et qui n’ont pas obtenu par la suite l’autorisation ou le droit de séjourner dans ledit État membre ;
b) faisant l’objet d’une sanction pénale prévoyant ou ayant pour conséquence leur retour, conformément au droit national, ou faisant l’objet de procédures d’extradition. »
5 L’article 4 de ladite directive, intitulé « Dispositions plus favorables », énonce :
« 1. La présente directive s’applique sans préjudice des dispositions plus favorables :
a) des accords bilatéraux ou multilatéraux conclus entre la Communauté – ou la Communauté et ses États membres – et un ou plusieurs pays tiers ;
b) des accords bilatéraux ou multilatéraux conclus entre un ou plusieurs États membres et un ou plusieurs pays tiers.
2. La présente directive s’applique sans préjudice des dispositions qui relèvent de l’acquis communautaire en matière d’immigration et d’asile et qui s’avéreraient plus favorables pour le ressortissant d’un pays tiers.
3. La présente directive s’applique sans préjudice du droit des États membres d’adopter ou de maintenir des dispositions plus favorables pour les personnes auxquelles la présente directive s’applique, à condition que ces dispositions soient compatibles avec la présente directive.
4. En ce qui concerne les ressortissants de pays tiers exclus du champ d’application de la présente directive conformément à l’article 2, paragraphe 2, point a), les États membres :
a) veillent à ce que le traitement et le niveau de protection qui leur sont accordés ne soient pas moins favorables que ceux prévus à l’article 8, paragraphes 4 et 5 (limitations du recours aux mesures coercitives), à l’article 9, paragraphe 2, point a) (report de l’éloignement), à l’article 14, paragraphe 1, points b) et d) (soins médicaux d’urgence et prise en considération des besoins des personnes vulnérables), ainsi qu’aux articles 16 et 17 (conditions de rétention), et
b) respectent le principe de non-refoulement. »
6 Aux termes de l’article 6 de la même directive, intitulé « Décision de retour » :
« 1. Les États membres prennent une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 à 5.
2. Les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre et titulaires d’un titre de séjour valable ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour délivrés par un autre État membre sont tenus de se rendre immédiatement sur le territoire de cet autre État membre. En cas de non-respect de cette obligation par le ressortissant concerné d’un pays tiers ou lorsque le départ immédiat du ressortissant d’un pays tiers est requis pour des motifs relevant de
l’ordre public ou de la sécurité nationale, le paragraphe 1 s’applique.
3. Les États membres peuvent s’abstenir de prendre une décision de retour à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire si le ressortissant concerné d’un pays tiers est repris par un autre État membre en vertu d’accords ou d’arrangements bilatéraux existant à la date d’entrée en vigueur de la présente directive. Dans ce cas, l’État membre qui a repris le ressortissant concerné d’un pays tiers applique le paragraphe 1.
4. À tout moment, les États membres peuvent décider d’accorder un titre de séjour autonome ou une autre autorisation conférant un droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. Dans ce cas, aucune décision de retour n’est prise. Si une décision de retour a déjà été prise, elle est annulée ou suspendue pour la durée de validité du titre de séjour ou d’une autre autorisation conférant un droit de
séjour.
5. Si un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre fait l’objet d’une procédure en cours portant sur le renouvellement de son titre de séjour ou d’une autre autorisation lui conférant un droit de séjour, cet État membre examine s’il y a lieu de s’abstenir de prendre une décision de retour jusqu’à l’achèvement de la procédure en cours, sans préjudice du paragraphe 6.
6. La présente directive n’empêche pas les États membres d’adopter une décision portant sur la fin du séjour régulier en même temps qu’une décision de retour et/ou une décision d’éloignement et/ou d’interdiction d’entrée dans le cadre d’une même décision ou d’un même acte de nature administrative ou judiciaire, conformément à leur législation nationale, sans préjudice des garanties procédurales offertes au titre du chapitre III ainsi que d’autres dispositions pertinentes du droit communautaire
et du droit national. »
7 L’article 11 de la directive 2008/115, intitulé « Interdiction d’entrée », est libellé comme suit :
« 1. Les décisions de retour sont assorties d’une interdiction d’entrée :
a) si aucun délai n’a été accordé pour le départ volontaire, ou
b) si l’obligation de retour n’a pas été respectée.
Dans les autres cas, les décisions de retour peuvent être assorties d’une interdiction d’entrée.
2. La durée de l’interdiction d’entrée est fixée en tenant dûment compte de toutes les circonstances propres à chaque cas et ne dépasse pas cinq ans en principe. Elle peut cependant dépasser cinq ans si le ressortissant d’un pays tiers constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale.
[...] »
Le droit suédois
8 L’article 6 a du chapitre 8 de l’Utlänningslag (2005:716) [loi (2005:716) relative aux étrangers] dispose :
« Lorsqu’est en cause l’éloignement au titre des articles 2, 3 ou 6 [du présent chapitre] d’un étranger titulaire d’un permis de séjour en cours de validité ou d’une autre forme de permis conférant un droit de séjour dans un autre État membre de l’[Union européenne], l’autorité compétente demande à l’étranger de se rendre de sa propre initiative dans l’autre État membre de l’[Union] dans un délai raisonnable. L’autorité compétente ne peut statuer sur l’éloignement que si l’étranger ne s’est pas
conformé à une telle demande.
Le premier alinéa ne s’applique pas si :
[...]
5. il est probable que l’étranger ne se conforme pas à la demande.
[...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
9 Le 23 mars 2022, A.L., un ressortissant de pays tiers, a fait l’objet d’un contrôle routier en Suède. Lors de ce contrôle, l’autorité de police suédoise a constaté que A.L. ne disposait ni d’une autorisation de séjour ni d’un permis de travail en Suède. Toutefois, celui-ci a pu présenter un titre de séjour croate valable jusqu’au 25 juin 2022 et a fait valoir qu’il travaillait pour une agence croate qui avait loué ses services à une entreprise suédoise.
10 Le même jour, cette autorité de police a adopté une décision ordonnant à A.L. de quitter le territoire suédois. Cette décision était accompagnée d’une interdiction d’entrée en Suède d’une durée de trois ans. Il ressort de la décision de renvoi que ladite autorité de police n’a pas demandé à A.L. de se rendre en Croatie de sa propre initiative, au motif qu’il était, selon elle, probable que celui-ci ne se conforme pas à une telle demande.
11 A.L. est parti pour Zagreb (Croatie) le 1er avril 2022.
12 A.L. a formé un recours administratif contre la décision visée au point 10 de la présente ordonnance devant l’Office des migrations. Ce dernier ayant rejeté ce recours, A.L. a introduit un recours juridictionnel contre cette décision de rejet devant le Förvaltningsrätten i Göteborg, migrationsdomstolen (tribunal administratif siégeant à Göteborg, statuant en matière d’immigration, Suède), qui est la juridiction de renvoi.
13 Cette juridiction se demande si l’article 6 a du chapitre 8 de la loi (2005:716) relative aux étrangers, qui met en œuvre l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115 dans l’ordre juridique suédois, est compatible avec cette directive.
14 Certes, cet article 6 a, premier alinéa, disposerait, conformément à l’article 6, paragraphe 2, de cette directive, que l’autorité nationale compétente doit permettre à un ressortissant de pays tiers disposant d’un droit de séjour dans un État membre de se rendre de sa propre initiative dans ce dernier, avant de statuer sur son retour éventuel. Toutefois, ledit article 6 a, deuxième alinéa, point 5, prévoirait une exception qui ne serait pas prévue à l’article 6, paragraphe 2, de ladite
directive, dans la mesure où, lorsqu’il est probable que ce ressortissant de pays tiers ne se rendra pas dans cet État membre, une décision de retour peut être adoptée à son égard sans que cette autorité lui ait préalablement permis de se rendre dans ledit État membre.
15 Dans ces conditions, le Förvaltningsrätten i Göteborg, migrationsdomstolen (tribunal administratif siégeant à Göteborg, statuant en matière d’immigration) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Que signifie l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115 ? Cette disposition signifie-t-elle qu’il faut demander au ressortissant d’un pays tiers de se rendre immédiatement de l’État membre dans lequel il séjourne irrégulièrement vers l’État membre dans lequel il possède un titre de séjour valable, à moins que son départ immédiat ne soit requis pour des motifs relevant de l’ordre public ou de la sécurité nationale ?
2) La directive 2008/115, ou toute autre disposition du droit de l’Union, fournit-elle des indications sur les conséquences qui découlent du fait qu’une autorité nationale n’a pas présenté la demande requise au titre de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115 ? Le fait de ne pas présenter la demande requise entraîne-t-il la nullité de la décision d’éloignement et de la décision d’interdiction de retour ?
3) Si l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115 impose une telle demande et une telle conséquence, est-il suffisamment clair et précis pour avoir un effet direct ?
4) Une législation nationale, telle que la règle suédoise prévue à l’article 6 a du chapitre 8 de la loi [(2005:716)] relative aux étrangers, qui crée des exceptions supplémentaires à une éventuelle obligation de présenter une demande, est-elle compatible avec le droit de l’Union ? »
Sur les questions préjudicielles
16 En vertu de l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.
17 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.
Sur les première et quatrième questions
18 Par ses première et quatrième questions, qu’il convient d’examiner ensemble et en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que les autorités compétentes d’un État membre sont tenues de permettre à un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire de cet État membre et disposant d’un titre de séjour valable ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour délivrés
par un autre État membre de se rendre dans celui-ci avant d’adopter, le cas échéant, une décision de retour à son égard, alors même que ces autorités estiment probable que ce ressortissant ne se conformera pas à une demande de se rendre dans cet autre État membre.
19 Aux termes de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115, les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre et titulaires d’un titre de séjour valable ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour délivrés par un autre État membre sont tenus de se rendre immédiatement sur le territoire de cet autre État membre. En cas de non-respect de cette obligation par le ressortissant concerné d’un pays tiers ou lorsque le départ immédiat du
ressortissant d’un pays tiers est requis pour des motifs relevant de l’ordre public ou de la sécurité nationale, le paragraphe 1 de cet article 6 s’applique. Cette dernière disposition prévoit que les États membres prennent une décision de retour à l’égard de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire.
20 Il ressort dudit article 6, paragraphe 2, qu’il y a lieu de permettre à un ressortissant d’un pays tiers, qui séjourne de manière irrégulière sur le territoire d’un État membre tout en disposant d’un titre de séjour valable ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour délivrés par un autre État membre, de se rendre dans ce dernier État plutôt que d’adopter, d’emblée, une décision de retour à son égard, à moins que l’ordre public ou la sécurité nationale ne l’exigent [voir, en ce sens,
arrêt du 24 février 2021, M e.a. (Transfert vers un État membre), C‑673/19, EU:C:2021:127, point 35 ainsi que jurisprudence citée].
21 Cela étant, cette disposition ne saurait être interprétée comme édictant une exception au champ d’application de la directive 2008/115, qui s’ajouterait à celles énoncées à l’article 2, paragraphe 2, de cette dernière et qui permettrait aux États membres de soustraire aux normes et aux procédures communes de retour les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier lorsque ceux-ci refusent de réintégrer immédiatement le territoire de l’État membre qui leur reconnaît un droit de séjour [arrêt
du 24 février 2021, M e.a. (Transfert vers un État membre), C‑673/19, EU:C:2021:127, point 36].
22 Au contraire, dans l’hypothèse où ces ressortissants refusent de réintégrer immédiatement ce territoire, les États membres sur le territoire desquels lesdits ressortissants séjournent irrégulièrement sont, en principe, tenus d’adopter, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115, lu en combinaison avec le paragraphe 1 de cet article, une décision de retour enjoignant aux mêmes ressortissants de quitter le territoire de l’Union [arrêt du 24 février 2021, M e.a. (Transfert vers
un État membre), C‑673/19, EU:C:2021:127, point 37 ainsi que jurisprudence citée].
23 Par ailleurs, ainsi qu’il résulte tant de l’intitulé que du libellé de l’article 1er de la directive 2008/115, celle-ci établit les « normes et procédures communes » qui doivent être appliquées par chaque État membre au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Il découle de l’expression susmentionnée, mais aussi de l’économie générale de cette directive, que les États membres ne peuvent déroger à ces normes et à ces procédures que dans les conditions prévues par ladite
directive, notamment celles fixées à l’article 4 de cette dernière (arrêt du 28 avril 2011, El Dridi, C‑61/11 PPU, EU:C:2011:268, point 32).
24 Cet article 4 confère, à son paragraphe 3, aux États membres la faculté d’adopter ou de maintenir des dispositions plus favorables pour les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier que celles de la directive 2008/115, pour autant que ces dispositions sont compatibles avec celle‑ci. Toutefois, cette directive ne permet pas aux États membres d’appliquer des normes plus sévères dans le domaine qu’elle régit (arrêt du 28 avril 2011, El Dridi, C‑61/11 PPU, EU:C:2011:268, point 33).
25 À cet égard, la Cour a également relevé que la directive 2008/115 établit avec précision la procédure à appliquer par chaque État membre au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire et fixe l’ordre de déroulement des différentes étapes que cette procédure comporte successivement (arrêt du 28 avril 2011, El Dridi, C‑61/11 PPU, EU:C:2011:268, point 34).
26 À la lumière de ces considérations, il y a lieu de constater qu’une interprétation de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115 selon laquelle cette disposition permettrait aux autorités compétentes des États membres d’adopter une décision de retour lorsqu’il est « probable » que le ressortissant concerné d’un pays tiers ne se conformera pas à une demande de se rendre immédiatement sur le territoire de l’État membre lui ayant délivré un titre de séjour valable ou une autre autorisation
conférant un droit de séjour reviendrait à instaurer une dérogation qui n’est pas prévue à cet article 6, paragraphe 2, et priverait donc cette disposition de son effet utile.
27 Eu égard à ces motifs, il convient de répondre aux première et quatrième questions que l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que les autorités compétentes d’un État membre sont tenues de permettre à un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire de cet État membre et disposant d’un titre de séjour valable ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour délivrés par un autre État membre de se rendre dans celui-ci avant
d’adopter, le cas échéant, une décision de retour à son égard, alors même que ces autorités estiment probable que ce ressortissant ne se conformera pas à une demande de se rendre dans cet autre État membre.
Sur la troisième question
28 Par sa troisième question, qu’il convient d’examiner en deuxième lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que, en ce qu’il exige que les États membres permettent aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire de se rendre dans l’État membre leur ayant délivré un titre de séjour valable ou une autre autorisation conférant un droit de séjour avant d’adopter, le cas échéant,
une décision de retour à leur égard, est doté d’un effet direct et peut ainsi être invoqué par les particuliers devant les juridictions nationales.
29 Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour que, dans tous les cas où les dispositions d’une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer devant le juge national contre l’État membre concerné soit lorsque celui-ci s’est abstenu de transposer dans les délais cette directive dans le droit national, soit lorsqu’il en a fait une transposition incorrecte [arrêt du 1er août 2022, TL (Absence
d’interprète et de traduction), C‑242/22 PPU, EU:C:2022:611, point 49 ainsi que jurisprudence citée].
30 À cet égard, la Cour a précisé qu’une disposition du droit de l’Union est, d’une part, inconditionnelle lorsqu’elle énonce une obligation qui n’est assortie d’aucune condition ni subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte soit des institutions de l’Union, soit des États membres et, d’autre part, suffisamment précise pour être invoquée par un justiciable et appliquée par le juge lorsqu’elle énonce une obligation dans des termes non équivoques [arrêt du
1er août 2022, TL (Absence d’interprète et de traduction), C‑242/22 PPU, EU:C:2022:611, point 50 ainsi que jurisprudence citée].
31 La Cour a en outre jugé que, même si une directive laisse aux États membres une certaine marge d’appréciation lorsqu’ils adoptent les modalités de sa mise en œuvre, une disposition de cette directive peut être considérée comme ayant un caractère inconditionnel et précis dès lors qu’elle met à la charge des États membres, dans des termes non équivoques, une obligation de résultat précise et qui n’est assortie d’aucune condition quant à l’application de la règle qu’elle énonce [arrêt du 1er août
2022, TL (Absence d’interprète et de traduction), C‑242/22 PPU, EU:C:2022:611, point 51 ainsi que jurisprudence citée].
32 En l’occurrence, ainsi que cela a été indiqué au point 25 de la présente ordonnance, la directive 2008/115 établit avec précision la procédure à appliquer par chaque État membre au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et fixe l’ordre de déroulement des différentes étapes que cette procédure comporte successivement.
33 À cet égard, il découle du libellé de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115 que ce n’est que lorsque le ressortissant concerné de pays tiers ne respecte pas l’obligation de se rendre immédiatement sur le territoire de l’État membre lui ayant délivré un titre de séjour valable ou une autre autorisation conférant un droit de séjour ou lorsque son départ immédiat est requis pour des motifs relevant de l’ordre public ou de la sécurité nationale que l’État membre, sur le territoire
duquel ce ressortissant se trouve en séjour irrégulier, prend une décision de retour, conformément au paragraphe 1 de cet article 6.
34 Il importe de relever, d’une part, que l’obligation, pour les États membres, de permettre aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire de se rendre dans l’État membre leur ayant délivré un titre de séjour valable ou une autre autorisation conférant un droit de séjour présente un caractère inconditionnel, dès lors que l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115 ne subordonne pas cette obligation à l’intervention d’un acte de l’Union ni ne permet aux États
membres de conditionner ou de restreindre la portée de ladite obligation.
35 D’autre part, si la directive 2008/115 laisse aux États membres une certaine marge d’appréciation lorsqu’ils adoptent les modalités pratiques destinées à mettre en œuvre la procédure visée à l’article 6, paragraphe 2, de cette directive, cette disposition met à leur charge, dans des termes non équivoques, l’obligation de permettre aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire de se rendre dans l’État membre leur ayant délivré un titre de séjour valable ou une autre
autorisation conférant un droit de séjour avant que ne soit adoptée une décision de retour à leur égard.
36 Eu égard à ces motifs, il convient de répondre à la troisième question que l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que, en ce qu’il exige que les États membres permettent aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire de se rendre dans l’État membre leur ayant délivré un titre de séjour valable ou une autre autorisation conférant un droit de séjour avant d’adopter, le cas échéant, une décision de retour à leur égard, est doté
d’un effet direct et peut ainsi être invoqué par les particuliers devant les juridictions nationales.
Sur la deuxième question
37 Par sa deuxième question, qu’il convient d’examiner en dernier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que lorsque, en contradiction avec cette disposition, un État membre ne permet pas à un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier sur son territoire de se rendre immédiatement dans l’État membre lui ayant délivré un titre de séjour valable ou une autre autorisation conférant un droit de
séjour avant d’adopter une décision de retour à son égard, cette décision de retour et l’interdiction d’entrée l’accompagnant sont nulles.
38 En vertu du principe de primauté du droit de l’Union, dans l’hypothèse où il lui est impossible de procéder à une interprétation de la réglementation nationale conforme aux exigences du droit de l’Union, tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a, en tant qu’organe d’un État membre, l’obligation de laisser inappliquée toute disposition nationale contraire à une disposition de ce droit qui est d’effet direct dans le litige dont il est saisi, telle que, en l’occurrence,
l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115 (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 2022, Landkreis Gifhorn, C‑519/20, EU:C:2022:178, point 101 et jurisprudence citée).
39 Il s’ensuit que, sauf à pouvoir interpréter une réglementation nationale telle que celle en cause au principal conformément au droit de l’Union, tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, doit refuser d’appliquer une telle réglementation dans le litige qui lui est soumis (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 2022, Landkreis Gifhorn, C‑519/20, EU:C:2022:178, point 102).
40 À ce titre, le juge national doit prendre notamment en compte que cela implique, le cas échéant, l’obligation de prendre toutes les mesures pour faciliter la réalisation du plein effet du droit de l’Union (arrêt du 16 décembre 2010, Seydaland Vereinigte Agrarbetriebe, C‑239/09, EU:C:2010:778, point 53 et jurisprudence citée).
41 En effet, en vertu du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, les États membres sont tenus d’effacer les conséquences illicites d’une violation du droit de l’Union [arrêt du 25 juin 2020, A e.a. (Éoliennes à Aalter et à Nevele), C‑24/19, EU:C:2020:503, point 83]. Il en résulte que les autorités nationales compétentes, y compris les juridictions nationales saisies d’un recours contre un acte de droit interne adopté en violation de l’article 6, paragraphe 2, de la
directive 2008/115, sont tenues de prendre, dans l’exercice de leurs compétences, toutes les mesures nécessaires afin de remédier au non-respect, par une autorité nationale, des obligations découlant de cette dernière disposition. Cela peut, par exemple, entraîner, en vertu du droit national, la nullité d’une décision de retour et, partant, également d’une décision accompagnant celle-ci, telle qu’une interdiction d’entrée au titre de l’article 11 de cette directive.
42 Eu égard à ces motifs, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115 doit être interprété en ce sens que lorsque, en contradiction avec cette disposition, un État membre ne permet pas à un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier sur son territoire de se rendre immédiatement dans l’État membre lui ayant délivré un titre de séjour valable ou une autre autorisation conférant un droit de séjour avant d’adopter une décision de retour à
son égard, les autorités nationales compétentes, y compris les juridictions nationales saisies d’un recours contre cette décision de retour et l’interdiction d’entrée l’accompagnant, sont tenues de prendre toutes les mesures nécessaires afin de remédier au non-respect, par une autorité nationale, des obligations découlant de ladite disposition.
Sur les dépens
43 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :
1) L’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier,
doit être interprété en ce sens que :
les autorités compétentes d’un État membre sont tenues de permettre à un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire de cet État membre et disposant d’un titre de séjour valable ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour délivrés par un autre État membre de se rendre dans celui-ci avant d’adopter, le cas échéant, une décision de retour à son égard, alors même que ces autorités estiment probable que ce ressortissant ne se conformera pas à une demande de se
rendre dans cet autre État membre.
2) L’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115,
doit être interprété en ce sens que :
en ce qu’il exige que les États membres permettent aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire de se rendre dans l’État membre leur ayant délivré un titre de séjour valable ou une autre autorisation conférant un droit de séjour avant d’adopter, le cas échéant, une décision de retour à leur égard, est doté d’un effet direct et peut ainsi être invoqué par les particuliers devant les juridictions nationales.
3) L’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115
doit être interprété en ce sens que :
lorsque, en contradiction avec cette disposition, un État membre ne permet pas à un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier sur son territoire de se rendre immédiatement dans l’État membre lui ayant délivré un titre de séjour valable ou une autre autorisation conférant un droit de séjour avant d’adopter une décision de retour à son égard, les autorités nationales compétentes, y compris les juridictions nationales saisies d’un recours contre cette décision de retour et l’interdiction
d’entrée l’accompagnant, sont tenues de prendre toutes les mesures nécessaires afin de remédier au non-respect, par une autorité nationale, des obligations découlant de ladite disposition.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le suédois.