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30/03/2023 | CJUE | N°C-556/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid contre E.N. e.a., 30/03/2023, C-556/21


 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

30 mars 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) no 604/2013 – Détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale – Article 27 – Recours exercé contre une décision de transfert prise à l’égard d’un demandeur d’asile – Article 29 – Délai de transfert – Suspension de ce délai en appel – Mesure provisoire sollicitée par l’administration »

Dans l’affaire C‑556/21,

ayant pour objet une demande de décisi

on préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas), par décision du 1er septemb...

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

30 mars 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) no 604/2013 – Détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale – Article 27 – Recours exercé contre une décision de transfert prise à l’égard d’un demandeur d’asile – Article 29 – Délai de transfert – Suspension de ce délai en appel – Mesure provisoire sollicitée par l’administration »

Dans l’affaire C‑556/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas), par décision du 1er septembre 2021, parvenue à la Cour le 10 septembre 2021, dans la procédure

Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid

contre

E.N.,

S.S.,

J.Y.,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la première chambre, M. L. Bay Larsen (rapporteur), vice‑président de la Cour, M. A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : Mme R. Stefanova-Kamisheva, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 juillet 2022,

considérant les observations présentées :

– pour E.N., par Me M. J. A. Rinkes, advocaat,

– pour S.S., par Me M. H. R. de Boer, advocaat,

– pour J.Y., par Me D. P. J. Cain, advocaat,

– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman, M.H.S Gijzen et P. Huurnink, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme C. Cattabriga et M. F. Wilman, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 novembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 27, paragraphe 3, et de l’article 29, paragraphes 1 et 2, du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31, ci‑après le « règlement
Dublin III »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre de litiges opposant le Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité, Pays-Bas) (ci-après le « secrétaire d’État ») à E.N., à S.S. et à J.Y., ressortissants de pays tiers, au sujet des décisions du secrétaire d’État d’écarter sans examen leurs demandes de protection internationale et d’ordonner leur transfert vers d’autres États membres.

Le cadre juridique

3 Les considérants 4 et 5 du règlement Dublin III sont rédigés comme suit :

« (4) Les conclusions [du Conseil européen, lors de sa réunion spéciale] de Tampere [les 15 et 16 octobre 1999,] ont également précisé que le [régime d’asile européen commun (RAEC)] devrait comporter à court terme une méthode claire et opérationnelle pour déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile.

(5) Une telle méthode devrait être fondée sur des critères objectifs et équitables tant pour les États membres que pour les personnes concernées. Elle devrait, en particulier, permettre une détermination rapide de l’État membre responsable afin de garantir un accès effectif aux procédures d’octroi d’une protection internationale et ne pas compromettre l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale. »

4 Le chapitre VI de ce règlement, intitulé « Procédures de prise en charge et de reprise en charge », comporte à sa section IV, intitulée « Garanties procédurales », l’article 27, lui-même intitulé « Voies de recours », qui dispose, à ses paragraphes 1, 3 et 4 :

« 1.   Le demandeur [...] dispose d’un droit de recours effectif, sous la forme d’un recours contre la décision de transfert ou d’une révision, en fait et en droit, de cette décision devant une juridiction.

[...]

3.   Aux fins des recours contre des décisions de transfert ou des demandes de révision de ces décisions, les États membres prévoient les dispositions suivantes dans leur droit national :

a) le recours ou la révision confère à la personne concernée le droit de rester dans l’État membre concerné en attendant l’issue de son recours ou de sa demande de révision ; ou

b) le transfert est automatiquement suspendu et une telle suspension expire au terme d’un délai raisonnable, pendant lequel une juridiction, après un examen attentif et rigoureux de la requête, aura décidé s’il y a lieu d’accorder un effet suspensif à un recours ou une demande de révision ; ou

c) la personne concernée a la possibilité de demander dans un délai raisonnable à une juridiction de suspendre l’exécution de la décision de transfert en attendant l’issue de son recours ou de sa demande de révision. Les États membres veillent à ce qu’il existe un recours effectif, le transfert étant suspendu jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la première demande de suspension. La décision de suspendre ou non l’exécution de la décision de transfert est prise dans un délai raisonnable, en
ménageant la possibilité d’un examen attentif et rigoureux de la demande de suspension. La décision de ne pas suspendre l’exécution de la décision de transfert doit être motivée.

4.   Les États membres peuvent prévoir que les autorités compétentes peuvent décider d’office de suspendre l’exécution de la décision de transfert en attendant l’issue du recours ou de la demande de révision. »

5 Dans la section VI du chapitre VI dudit règlement, intitulée « Transferts », l’article 29, lui-même intitulé « Modalités et délais », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Le transfert du demandeur [...] de l’État membre requérant vers l’État membre responsable s’effectue conformément au droit national de l’État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu’il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la
révision lorsque l’effet suspensif est accordé conformément à l’article 27, paragraphe 3.

[...]

2.   Si le transfert n’est pas exécuté dans le délai de six mois, l’État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l’État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s’il n’a pas pu être procédé au transfert en raison d’un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. »

Les litiges au principal et la question préjudicielle

6 Les 12 juillet 2019, 7 octobre 2019 et 22 novembre 2020, les défendeurs au principal ont, respectivement, introduit des demandes de protection internationale aux Pays-Bas. Le secrétaire d’État a présenté aux autorités d’autres États membres des requêtes aux fins de prise en charge ou de reprise en charge desdits défendeurs. Les 27 octobre 2019, 20 novembre 2019 et 19 janvier 2021, ces autorités ont accepté, explicitement ou implicitement, ces requêtes.

7 Les 9 janvier 2020, 8 février 2020 et 16 février 2021, le secrétaire d’État a décidé d’écarter sans examen les demandes de protection internationale introduites par les défendeurs au principal et de les transférer vers les États membres ayant accepté lesdites requêtes.

8 Les défendeurs au principal ont introduit des recours en annulation contre ces décisions devant des juridictions de première instance.

9 Les 25 février 2020, 16 septembre 2020 et 1er avril 2021, ces juridictions ont annulé lesdites décisions. Lesdites juridictions ont également ordonné au secrétaire d’État de prendre de nouvelles décisions sur les demandes de protection internationale introduites par les défendeurs au principal.

10 Le secrétaire d’État a interjeté appel des jugements rendus par les mêmes juridictions devant le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas), qui est la juridiction de renvoi. Il a assorti ses appels de demandes de mesures provisoires tendant, d’une part, à ce qu’il n’ait pas à prendre une nouvelle décision avant qu’il n’ait été statué sur les appels et, d’autre part, à ce que le délai de transfert soit suspendu. Le juge des référés de la juridiction de renvoi a fait droit à ces demandes, les
3 mars 2020, 18 septembre 2020 et 8 avril 2021.

11 La juridiction de renvoi se demande toutefois si les articles 27 et 29 du règlement Dublin III s’opposent à ce qu’il soit fait droit à une demande de mesure provisoire introduite par l’administration, accessoirement à l’appel qu’elle interjette contre une décision judiciaire annulant une décision de transfert, tendant à suspendre le délai de transfert. Si tel devait être le cas, il appartiendrait à cette juridiction de constater que ce délai a expiré et que le Royaume des Pays-Bas est donc devenu
responsable de l’examen des demandes de protection internationale introduites par les défendeurs au principal.

12 Elle estime que la circonstance que l’article 27, paragraphe 3, de ce règlement n’évoque que des mesures provisoires ordonnées à la demande de la personne concernée et l’objectif de détermination rapide de l’État membre responsable pourrait justifier une telle solution.

13 Néanmoins, elle relève que ledit règlement ne semble pas s’opposer à ce que la personne concernée puisse solliciter du juge d’appel la suspension de l’exécution de la décision de transfert. À défaut, cette personne risquerait d’être transférée vers un autre État membre et devoir être renvoyée aux Pays-Bas dans le cas où son appel serait accueilli.

14 Il serait dès lors concevable que le secrétaire d’État bénéficie également de la possibilité de demander, au cours de la procédure d’appel, la suspension du délai de transfert. Une solution opposée risquerait de priver le secrétaire d’État de toute possibilité concrète d’interjeter appel, dans la mesure où le délai de transfert ne serait pas toujours suffisant pour permettre à la juridiction de renvoi de statuer sur un recours en appel.

15 Dans ces conditions, le Raad van State (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 27, paragraphe 3, et l’article 29 du règlement [Dublin III] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que, lorsque le système juridique d’un État membre prévoit un deuxième degré de juridiction pour les affaires telles que celles en cause, la juridiction d’appel ordonne, pendant le traitement de l’affaire et à la demande de l’autorité compétente de l’État membre, une mesure provisoire ayant pour effet de suspendre le délai de transfert ? »

Sur la question préjudicielle

16 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 29, paragraphes 1 et 2, du règlement Dublin III, lu en combinaison avec l’article 27, paragraphe 3, de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale permettant à une juridiction saisie d’un recours de deuxième degré contre un jugement annulant une décision de transfert d’adopter, à la demande des autorités compétentes, une mesure provisoire leur permettant de ne pas prendre
une nouvelle décision en attendant l’issue de ce recours et ayant pour objet ou pour effet de suspendre le délai de transfert jusqu’à cette issue.

17 L’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III prévoit que le transfert de la personne concernée vers l’État membre responsable s’effectue, conformément au droit national de l’État membre requérant, dès qu’il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de cette personne ou de la décision définitive sur le recours lorsque l’effet suspensif est
accordé conformément à l’article 27, paragraphe 3, de ce règlement.

18 Aux termes de l’article 29, paragraphe 2, dudit règlement, si le transfert n’est pas exécuté dans le délai de six mois, l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l’État membre requérant.

19 À cet égard, s’il ressort de l’article 29, paragraphes 1 et 2, du règlement Dublin III que le législateur de l’Union européenne a entendu favoriser une exécution rapide des décisions de transfert, il n’en demeure pas moins qu’il n’a pas entendu sacrifier la protection juridictionnelle des demandeurs de protection internationale à l’exigence de célérité dans le traitement de leur demande, et qu’il a prévu, en vue de garantir cette protection, que l’exécution de ces décisions peut, dans certains
cas, être suspendue [voir, en ce sens, arrêts du 14 janvier 2021, The International Protection Appeals Tribunal e.a., C‑322/19 et C‑385/19, EU:C:2021:11, point 88, ainsi que du 22 septembre 2022, Bundesrepublik Deutschland (Suspension administrative de la décision de transfert), C‑245/21 et C‑248/21, EU:C:2022:709, points 40 et 60].

20 L’article 27, paragraphe 3, de ce règlement exige ainsi que les États membres offrent aux personnes concernées une voie de recours susceptible de conduire à la suspension de l’exécution de la décision de transfert prise à leur égard [arrêt du 22 septembre 2022, Bundesrepublik Deutschland (Suspension administrative de la décision de transfert), C‑245/21 et C‑248/21, EU:C:2022:709, point 41].

21 En vertu de cette disposition, les États membres doivent prévoir soit, premièrement, que le recours contre la décision de transfert confère à la personne concernée le droit de rester dans l’État membre ayant adopté cette décision en attendant l’issue de son recours, soit, deuxièmement, que, à la suite de l’introduction d’un recours contre la décision de transfert, le transfert est automatiquement suspendu pendant un délai raisonnable durant lequel une juridiction détermine s’il y a lieu
d’accorder un effet suspensif à ce recours, soit, troisièmement, que la personne concernée dispose de la possibilité d’introduire un recours visant à obtenir la suspension de l’exécution de la décision de transfert en attendant l’issue du recours contre cette décision [arrêt du 22 septembre 2022, Bundesrepublik Deutschland (Suspension administrative de la décision de transfert), C‑245/21 et C‑248/21, EU:C:2022:709, point 42].

22 En outre, l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III complète ladite disposition en autorisant les États membres à prévoir que les autorités compétentes peuvent décider d’office de suspendre l’exécution de la décision de transfert, dans des cas où sa suspension ne procéderait ni de l’effet de la loi ni de celui d’une décision de justice, lorsque les circonstances entourant cette exécution impliquent que la personne concernée doit, afin d’assurer la protection juridictionnelle effective
de celle-ci, être autorisée à rester sur le territoire de l’État membre ayant adopté la décision de transfert jusqu’à l’adoption d’une décision définitive sur le recours exercé contre cette décision [voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2022, Bundesrepublik Deutschland (Suspension administrative de la décision de transfert), C‑245/21 et C‑248/21, EU:C:2022:709, points 54 et 61].

23 Dans le cas où la suspension de l’exécution de la décision de transfert procède de l’application de l’article 27, paragraphes 3 ou 4, du règlement Dublin III, il résulte de l’article 29, paragraphe 1, de celui-ci que le délai de transfert court non pas à compter de l’acceptation de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge, mais, par dérogation, à compter de la décision définitive sur le recours exercé contre la décision de transfert [voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre
2022, Bundesrepublik Deutschland (Suspension administrative de la décision de transfert), C‑245/21 et C‑248/21, EU:C:2022:709, points 44 et 49].

24 Il ressort ainsi de l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III, et notamment de l’emploi de l’expression « décision définitive », que le législateur de l’Union a envisagé que le délai de transfert ne commence à courir qu’à partir du moment où la décision sur un recours contre une décision de transfert est devenue définitive, après l’épuisement des voies de recours prévues par l’ordre juridique de l’État membre concerné, à condition que l’exécution de la décision de transfert ait été
suspendue, en application de l’article 27, paragraphes 3 ou 4, de ce règlement.

25 Cependant, force est de constater que ce législateur n’a pas précisé selon quelles modalités procédurales cette règle doit être appliquée en cas d’exercice d’un recours de deuxième degré et, en particulier, si l’application de ladite règle peut impliquer le prononcé de mesures provisoires par la juridiction saisie de ce recours.

26 En effet, il ressort, tout d’abord, du libellé même de l’article 27, paragraphe 3, du règlement Dublin III que celui-ci vise des procédures « aux fins des recours contre des décisions de transfert ou des demandes de révision de ces décisions ». Par conséquent, les références au « recours » et à la « demande de révision » figurant à ladite disposition doivent être comprises comme renvoyant uniquement aux recours et aux révisions contre une décision de transfert visés à l’article 27, paragraphe 1,
de ce règlement. Or, ces recours et ces révisions doivent, en vertu de cette dernière disposition, être mis à la disposition du destinataire d’une décision de transfert, les autorités compétentes n’ayant au demeurant aucun intérêt à contester leurs propres décisions.

27 Dès lors, l’article 27, paragraphe 3, du règlement Dublin III doit être interprété comme ayant pour objet de régir uniquement les mesures provisoires pouvant résulter, de plein droit ou sur demande de la personne concernée, de l’introduction d’un recours ou d’une demande de révision de premier degré contre une telle décision. En revanche, cette disposition n’a pas vocation à réglementer les mesures provisoires pouvant éventuellement être adoptées dans le cadre d’un recours de deuxième degré
introduit par les autorités compétentes.

28 Ensuite, s’il découle de l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III que l’interruption ou la suspension du délai de transfert peut, dans certains cas, procéder d’une initiative des autorités compétentes, cette disposition constitue, ainsi qu’il a été rappelé au point 22 du présent arrêt, un complément de l’article 27, paragraphe 3, de ce règlement qui vise à suspendre l’exécution de la décision de transfert.

29 Il s’ensuit que l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III ne saurait être appliqué dans une situation, telle que celles en cause au principal, où la décision de transfert a été annulée en première instance. En effet, dans une telle situation, il n’existe plus, dans le cadre d’un recours de deuxième degré introduit par les autorités compétentes, de décision de transfert dont l’exécution pourrait être suspendue.

30 Enfin, dès lors que le règlement Dublin III ne comporte, de manière plus générale, aucune règle relative à la possibilité d’interjeter appel de la décision statuant sur le recours exercé contre la décision de transfert ou régissant explicitement le régime d’un éventuel recours en appel, il y a lieu de considérer que la protection conférée par l’article 27, paragraphe 1, dudit règlement, lu à la lumière de l’article 18 et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
se limite à l’existence d’une voie de recours juridictionnelle et n’exige pas l’instauration de plusieurs degrés de juridiction [voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2018, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (Effet suspensif de l’appel), C‑180/17, EU:C:2018:775, point 33].

31 Au vu de ce qui précède, et en l’absence d’une réglementation de l’Union en la matière, il appartient donc, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à l’ordre juridique interne de chaque État membre de décider de l’instauration éventuelle d’un deuxième degré de juridiction contre un jugement statuant sur un recours visant une décision de transfert et de régler, le cas échéant, les modalités procédurales de ce deuxième degré de juridiction, y compris le prononcé éventuel de mesures
provisoires, à condition, toutefois, que ces modalités ne soient pas, dans les situations relevant du droit de l’Union, moins favorables que dans des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) [voir, en ce sens, arrêts du 26 septembre 2018, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (Effet suspensif de l’appel),
C‑180/17, EU:C:2018:775, points 34 et 35, ainsi que du 15 avril 2021, État belge (Éléments postérieurs à la décision de transfert), C‑194/19, EU:C:2021:270, point 42].

32 Dans ce cadre, dès lors, notamment, qu’il ressort de la décision de renvoi que la réglementation nationale visée par la présente demande préjudicielle est applicable, dans l’ordre juridique néerlandais, à toutes les procédures de recours en droit administratif, une telle réglementation peut prévoir que la juridiction saisie d’un tel recours de deuxième degré peut prononcer, à la demande des autorités compétentes, des mesures provisoires. En revanche, cette réglementation ne saurait déroger à
l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III en prévoyant que de telles mesures ont, en dehors des cas visés à cette disposition, l’effet de reporter le décompte du délai de transfert et ainsi de retarder l’expiration de celui-ci.

33 Or, ainsi qu’il ressort des points 23 et 24 du présent arrêt, il découle de l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III que le délai de transfert ne peut courir à compter de la décision définitive sur le recours exercé contre la décision de transfert que pour autant que l’exécution de cette dernière ait été suspendue lors de l’examen du recours de premier degré, en application de l’article 27, paragraphes 3 ou 4, de ce règlement.

34 Il s’ensuit qu’une mesure provisoire ayant pour effet de suspendre le délai de transfert en attendant l’issue d’un recours de deuxième degré ne peut être adoptée que lorsque l’exécution de la décision de transfert a été suspendue en attendant l’issue du recours de premier degré, en application de ces dernières dispositions.

35 Dans une telle situation, d’une part, la prolongation du report du décompte du délai de transfert jusqu’à l’issue du recours de deuxième degré permet d’assurer l’égalité des armes et l’effectivité des procédures de recours, en garantissant que ce délai n’expire pas alors que l’exécution de la décision de transfert a été rendue impossible par l’introduction d’un recours contre cette décision.

36 D’autre part, le choix de subordonner à l’adoption d’une mesure provisoire la prolongation, dans le cadre d’un recours de deuxième degré, de l’effet suspensif du recours de premier degré contre la décision de transfert sur le décompte du délai de transfert permet d’éviter que l’introduction d’un recours de deuxième degré contre un jugement annulant une décision de transfert entraîne systématiquement, même lorsque ce recours ne paraît pas raisonnablement pouvoir prospérer, un report de ce
décompte, susceptible de retarder l’examen de la demande de protection internationale de la personne concernée.

37 Une telle règle est, partant, de nature à favoriser la réalisation des objectifs dudit règlement tenant, ainsi qu’il résulte de ses considérants 4 et 5, à l’établissement d’une méthode claire et opérationnelle, fondée sur des critères objectifs et équitables tant pour les États membres que pour les personnes concernées, pour déterminer rapidement l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale, afin de garantir un accès effectif aux procédures d’octroi d’une telle
protection et de ne pas compromettre l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale [voir, en ce sens, arrêts du 19 mars 2019, Jawo, C‑163/17, EU:C:2019:218, point 58, et du 22 septembre 2022, Bundesrepublik Deutschland (Suspension administrative de la décision de transfert), C‑245/21 et C‑248/21, EU:C:2022:709, point 56].

38 Ainsi, cette règle renforce l’application des délais impératifs par lesquels le législateur de l’Union a encadré les procédures de prise en charge et de reprise en charge. Ces délais contribuent, de manière déterminante, à la réalisation de l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale, en garantissant que lesdites procédures seront mises en œuvre sans retard injustifié, et témoignent de l’importance particulière que ce législateur a attachée à la
détermination rapide de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale ainsi que du fait que, eu égard à l’objectif de garantir un accès effectif aux procédures d’octroi d’une protection internationale et de ne pas compromettre cet objectif de célérité, il importe que de telles demandes soient, le cas échéant, examinées par un État membre autre que celui désigné comme responsable en vertu des critères énoncés au chapitre III de ce règlement (voir, en ce sens,
arrêt du 13 novembre 2018, X et X, C‑47/17 et C‑48/17, EU:C:2018:900, points 69 et 70).

39 En revanche, lorsque, comme cela semble être le cas dans les litiges au principal, et sous réserve des vérifications qui incombent à la juridiction de renvoi, l’exécution de la décision de transfert n’a pas été suspendue en attendant l’issue du recours de premier degré, la possibilité de solliciter, dans le cadre d’un recours de deuxième degré, une mesure provisoire telle que celle en cause au principal permettrait, de fait, aux autorités compétentes, qui n’avaient ni jugé utile de faire usage de
la faculté que leur offre l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III, afin d’assurer la protection juridictionnelle effective des personnes concernées, ni exécuté la décision de transfert au cours de l’examen de ce recours, de reporter le décompte du délai de transfert, prévu à l’article 29, paragraphe 1, de ce règlement et ainsi d’éviter que la responsabilité pour le traitement des demandes de ces personnes soit transférée à l’État membre requérant, en application de l’article 29,
paragraphe 2, dudit règlement et, de cette façon, de retarder indûment le déroulement de la procédure de protection internationale, en portant atteinte aux objectifs de ce règlement rappelés aux points 37 et 38 du présent arrêt.

40 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 29, paragraphes 1 et 2, du règlement Dublin III, lu en combinaison avec l’article 27, paragraphe 3, de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale permettant à une juridiction nationale saisie d’un recours de deuxième degré contre un jugement annulant une décision de transfert d’adopter, à la demande des autorités compétentes, une mesure provisoire leur
permettant de ne pas prendre une nouvelle décision en attendant l’issue de ce recours et ayant pour objet ou pour effet de suspendre le délai de transfert jusqu’à cette issue, pour autant qu’une telle mesure ne puisse être adoptée que lorsque l’exécution de la décision de transfert a été suspendue lors de l’examen du recours de premier degré, en application de l’article 27, paragraphes 3 ou 4, dudit règlement.

Sur les dépens

41 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

  L’article 29, paragraphes 1 et 2, du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, lu en combinaison avec l’article 27, paragraphe 3, de ce règlement,

  doit être interprété en ce sens que :

  il ne s’oppose pas à une réglementation nationale permettant à une juridiction nationale saisie d’un recours de deuxième degré contre un jugement annulant une décision de transfert d’adopter, à la demande des autorités compétentes, une mesure provisoire leur permettant de ne pas prendre une nouvelle décision en attendant l’issue de ce recours et ayant pour objet ou pour effet de suspendre le délai de transfert jusqu’à cette issue, pour autant qu’une telle mesure ne puisse être adoptée que lorsque
l’exécution de la décision de transfert a été suspendue lors de l’examen du recours de premier degré, en application de l’article 27, paragraphes 3 ou 4, dudit règlement.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-556/21
Date de la décision : 30/03/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Raad van State.

Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) no 604/2013 – Détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale – Article 27 – Recours exercé contre une décision de transfert prise à l’égard d’un demandeur d’asile – Article 29 – Délai de transfert – Suspension de ce délai en appel – Mesure provisoire sollicitée par l’administration.

Politique d'asile

Espace de liberté, de sécurité et de justice


Parties
Demandeurs : Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid
Défendeurs : E.N. e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Bay Larsen

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:272

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