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30/03/2023 | CJUE | N°C-338/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid contre S.S. e.a., 30/03/2023, C-338/21


 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

30 mars 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) no 604/2013 – Détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale – Article 27 – Recours exercé contre une décision de transfert prise à l’égard d’un demandeur d’asile – Article 29 – Suspension de l’exécution de la décision de transfert – Délai de transfert – Interruption du délai pour effectuer le transfert – Directive 2004/81/CE – Titre de séjour délivré aux ressor

tissants de pays tiers qui sont victimes de la
traite des êtres humains ou ont fait l’objet d’une aide à l’immigration clandes...

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

30 mars 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) no 604/2013 – Détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale – Article 27 – Recours exercé contre une décision de transfert prise à l’égard d’un demandeur d’asile – Article 29 – Suspension de l’exécution de la décision de transfert – Délai de transfert – Interruption du délai pour effectuer le transfert – Directive 2004/81/CE – Titre de séjour délivré aux ressortissants de pays tiers qui sont victimes de la
traite des êtres humains ou ont fait l’objet d’une aide à l’immigration clandestine et qui coopèrent avec les autorités compétentes – Article 6 – Délai de réflexion – Interdiction d’exécuter une mesure d’éloignement – Voies de recours »

Dans l’affaire C‑338/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas), par décision du 26 mai 2021, parvenue à la Cour le 31 mai 2021, dans la procédure

Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid

contre

S.S.,

N.Z.,

S.S.,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la première chambre, M. L. Bay Larsen (rapporteur), vice‑président de la Cour, M. A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : Mme R. Stefanova-Kamisheva, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 juillet 2022,

considérant les observations présentées :

– pour S.S., par Mes A. Khalaf et P. A. J. Mulders, advocaten,

– pour N.Z., par Me F. M. Holwerda, advocaat,

– pour S.S., par Me M. H. R. de Boer, advocaat,

– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman, M. H. S. Gijzen et P. Huurnink, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement allemand, par M. J. Möller et Mme A. Hoesch, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme C. Cattabriga et M. F. Wilman, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 novembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 27, paragraphe 3, et de l’article 29, paragraphes 1et 2, du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31, ci‑après le « règlement
Dublin III »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre de litiges opposant le Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité, Pays-Bas) (ci-après le « secrétaire d’État ») à S.S., à N.Z. et à S.S., ressortissants de pays tiers, au sujet des décisions du secrétaire d’État d’écarter sans examen leurs demandes de protection internationale et d’ordonner leur transfert vers l’Italie.

Le cadre juridique

La directive 2004/81/CE

3 L’article 1er de la directive 2004/81/CE du Conseil, du 29 avril 2004, relative au titre de séjour délivré aux ressortissants de pays tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains ou ont fait l’objet d’une aide à l’immigration clandestine et qui coopèrent avec les autorités compétentes (JO 2004, L 261, p. 19), dispose :

« La présente directive a pour objet de définir les conditions d’octroi de titres de séjour de durée limitée, en fonction de la longueur de la procédure nationale applicable, aux ressortissants de pays tiers qui coopèrent à la lutte contre la traite des êtres humains ou contre l’aide à l’immigration clandestine. »

4 L’article 4 de cette directive est ainsi rédigé :

« La présente directive n’empêche pas les États membres d’adopter ou de maintenir des dispositions plus favorables à l’égard des personnes visées par la présente directive. »

5 L’article 6 de ladite directive prévoit :

« 1.   Les États membres garantissent que les ressortissants de pays tiers concernés bénéficient d’un délai de réflexion leur permettant de se rétablir et de se soustraire à l’influence des auteurs des infractions, de sorte qu’ils puissent décider en connaissance de cause de coopérer ou non avec les autorités compétentes.

La durée et le point de départ du délai visé au premier alinéa sont déterminés conformément au droit national.

2.   Pendant le délai de réflexion, et en attendant que les autorités compétentes se soient prononcées, les ressortissants de pays tiers concernés ont accès au traitement prévu à l’article 7 et aucune mesure d’éloignement ne peut être exécutée à leur égard.

3.   Le délai de réflexion n’ouvre pas de droit au séjour au titre de la présente directive.

4.   L’État membre peut mettre fin à tout moment au délai de réflexion [...] pour des raisons liées à l’ordre public et à la protection de la sécurité intérieure. »

6 L’article 7 de la même directive définit le traitement accordé aux ressortissants de pays tiers concernés avant la délivrance d’un titre de séjour.

7 Aux termes de l’article 8 de la directive 2004/81 :

« 1.   Après l’expiration du délai de réflexion, ou plus tôt si les autorités compétentes estiment que le ressortissant d’un pays tiers concerné a déjà satisfait au critère énoncé au point b), l’État membre examine :

a) s’il est opportun de prolonger son séjour sur son territoire aux fins de l’enquête ou de la procédure judiciaire, et

b) si l’intéressé manifeste une volonté claire de coopération, et

c) s’il a rompu tout lien avec les auteurs présumés des faits susceptibles d’être considérés comme une des infractions visées à l’article 2, points b) et c).

2.   Sans préjudice des raisons liées à l’ordre public et à la protection de la sécurité intérieure, la délivrance du titre de séjour exige le respect des conditions visées au paragraphe 1.

3.   Sans préjudice des dispositions sur le retrait [...], le titre de séjour est valable pendant une période minimale de six mois. Il est renouvelé si les conditions énoncées au paragraphe 2 du présent article continuent d’être remplies. »

Le règlement Dublin III

8 Les considérants 4 et 5 du règlement Dublin III sont rédigés comme suit :

« (4) Les conclusions [du Conseil européen, lors de sa réunion spéciale] de Tampere [les 15 et 16 octobre 1999,] ont également précisé que le [régime d’asile européen commun (RAEC)] devrait comporter à court terme une méthode claire et opérationnelle pour déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile.

(5) Une telle méthode devrait être fondée sur des critères objectifs et équitables tant pour les États membres que pour les personnes concernées. Elle devrait, en particulier, permettre une détermination rapide de l’État membre responsable afin de garantir un accès effectif aux procédures d’octroi d’une protection internationale et ne pas compromettre l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale. »

9 Le chapitre VI de ce règlement, intitulé « Procédures de prise en charge et de reprise en charge », comporte à sa section IV, intitulée « Garanties procédurales », l’article 27, lui-même intitulé « Voies de recours », qui dispose, à ses paragraphes 1, 3 et 4 :

« 1.   Le demandeur [...] dispose d’un droit de recours effectif, sous la forme d’un recours contre la décision de transfert ou d’une révision, en fait et en droit, de cette décision devant une juridiction.

[...]

3.   Aux fins des recours contre des décisions de transfert ou des demandes de révision de ces décisions, les États membres prévoient les dispositions suivantes dans leur droit national :

a) le recours ou la révision confère à la personne concernée le droit de rester dans l’État membre concerné en attendant l’issue de son recours ou de sa demande de révision ; ou

b) le transfert est automatiquement suspendu et une telle suspension expire au terme d’un délai raisonnable, pendant lequel une juridiction, après un examen attentif et rigoureux de la requête, aura décidé s’il y a lieu d’accorder un effet suspensif à un recours ou une demande de révision ; ou

c) la personne concernée a la possibilité de demander dans un délai raisonnable à une juridiction de suspendre l’exécution de la décision de transfert en attendant l’issue de son recours ou de sa demande de révision. Les États membres veillent à ce qu’il existe un recours effectif, le transfert étant suspendu jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la première demande de suspension. La décision de suspendre ou non l’exécution de la décision de transfert est prise dans un délai raisonnable, en
ménageant la possibilité d’un examen attentif et rigoureux de la demande de suspension. La décision de ne pas suspendre l’exécution de la décision de transfert doit être motivée.

4.   Les États membres peuvent prévoir que les autorités compétentes peuvent décider d’office de suspendre l’exécution de la décision de transfert en attendant l’issue du recours ou de la demande de révision. »

10 Dans la section VI du chapitre VI dudit règlement, intitulée « Transferts », l’article 29, lui-même intitulé « Modalités et délais », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Le transfert du demandeur [...] de l’État membre requérant vers l’État membre responsable s’effectue conformément au droit national de l’État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu’il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la
révision lorsque l’effet suspensif est accordé conformément à l’article 27, paragraphe 3.

[...]

2.   Si le transfert n’est pas exécuté dans le délai de six mois, l’État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l’État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s’il n’a pas pu être procédé au transfert en raison d’un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. »

Les litiges au principal et la question préjudicielle

11 Les défendeurs au principal ont introduit successivement deux types de demandes de titre de séjour aux Pays-Bas.

12 En premier lieu, les 19 avril, 5 septembre et 7 octobre 2019, ils ont, respectivement, introduit des demandes de protection internationale aux Pays-Bas. Le secrétaire d’État a présenté aux autorités italiennes des requêtes aux fins de prise en charge ou de reprise en chargedes défendeurs au principal. Les 12 juin, 20 novembre et 28 novembre 2019, ces autorités ont accepté, explicitement ou implicitement, ces requêtes.

13 Les 1er août 2019, 17 janvier 2020 et 8 février 2020, le secrétaire d’État a décidé d’écarter sans examen les demandes de protection internationale introduites par les défendeurs au principal et d’ordonner leur transfert vers l’Italie.

14 Les défendeurs au principal ont introduit des recours en annulation contre ces décisions devant des juridictions de première instance.

15 Les 21 novembre 2019, 1er septembre 2020 et 16 septembre 2020, ces juridictions ont annulé lesdites décisions, au motif, notamment, que le délai de transfert prévu à l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III avait expiré et que le Royaume des Pays-Bas était donc devenu responsable de l’examen des demandes de protection internationale introduites par les défendeurs au principal. Lesdites juridictions ont également ordonné au secrétaire d’État de prendre de nouvelles décisions sur ces
demandes de protection internationale.

16 Le secrétaire d’État a interjeté appel des jugements rendus par les mêmes juridictions devant le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas), qui est la juridiction de renvoi. Il a assorti ses appels de demandes de mesures provisoires tendant, d’une part, à ce qu’il n’ait pas à prendre une nouvelle décision avant qu’il n’ait été statué sur les appels et, d’autre part, à ce que le délai de transfert soit suspendu. La juridiction de renvoi a fait droit à ces demandes, les 22 avril, 21 septembre
et 16 novembre 2020.

17 En second lieu, les 1er octobre 2019, 21 février 2020 et 4 mars 2020, les défendeurs au principal ont dénoncé des actes de traite des êtres humains qu’ils auraient subis aux Pays-Bas ou en Italie. Ces dénonciations ont été considérées par le secrétaire d’État comme constituant des demandes de permis de séjour lié à des motifs humanitaires temporaires.

18 Ces demandes ont été rejetées par le secrétaire d’État, par décisions des 7 octobre 2019, 3 mars 2020 et 6 avril 2020.

19 Les 4 novembre 2019, 30 mars 2020 et 6 avril 2020, les défendeurs au principal ont introduit des demandes de révision contre ces décisions. Les demandes de révision introduites contre lesdites décisions ont été rejetées par le secrétaire d’État ou retirées les 16 décembre 2019, 22 avril 2020 et 28 août 2020.

20 Le secrétaire d’État fait valoir, à l’appui des appels introduits contre les jugements ayant annulé les décisions de transfert, que le délai de transfert prévu à l’article 29 du règlement Dublin III est, en vertu de la réglementation nationale applicable, suspendu par l’introduction d’une demande de révision contre une décision refusant d’accorder à un ressortissant d’un pays tiers un titre de séjour en qualité de victime de la traite des êtres humains.

21 La juridiction de renvoi estime qu’une lecture littérale de l’article 27, paragraphe 3, et de l’article 29 du règlement Dublin III impliquerait que ces dispositions s’opposent à une réglementation prévoyant que l’introduction d’une telle demande de révision entraîne la suspension de l’exécution d’une décision de transfert préalablement adoptée et l’interruption du délai du transfert.

22 Cette juridiction estime néanmoins que quatre arguments plaident en faveur d’une solution opposée.

23 Premièrement, une telle solution serait nécessaire pour garantir l’effet utile du règlement Dublin III et de la directive 2004/81, tout en évitant les abus de droit. En effet, il serait en pratique difficile de parvenir à examiner une demande de titre de séjour, puis une demande de révision avant l’expiration du délai de transfert lorsque le demandeur fait l’objet d’une décision de transfert préalablement adoptée. Partant, l’absence de suspension du délai de transfert en cas d’introduction d’une
demande de révision contre une décision refusant d’accorder à un ressortissant d’un pays tiers un titre de séjour en qualité de victime de la traite des êtres humains favoriserait le forum shopping et inciterait les autorités nationales à ne pas traiter les dénonciations d’actes de traite des êtres humains avec une attention suffisante.

24 Deuxièmement, il serait possible d’interpréter la notion de « décision de transfert » figurant à l’article 27, paragraphe 3, du règlement Dublin III comme visant également « l’exécution effective du transfert ». L’introduction d’un recours faisant obstacle à cette exécution relèverait alors de cette disposition et impliquerait donc une suspension du délai de transfert.

25 Troisièmement, un État membre pourrait opter pour la suspension du délai de transfert au titre de son autonomie procédurale.

26 Quatrièmement, les trois options énumérées à l’article 27, paragraphe 3, du règlement Dublin III ne seraient pas mutuellement exclusives. Dès lors, la circonstance que le Royaume des Pays-Bas a choisi de transposer l’option décrite à l’article 27, paragraphe 3, sous c), de ce règlement n’empêcherait pas de considérer qu’une demande de révision telle que celles en cause au principal relève de l’option visée à l’article 27, paragraphe 3, sous a), dudit règlement.

27 Dans ces conditions, le Raad van State (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 27, paragraphe 3, et l’article 29 du règlement [Dublin III] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause en l’espèce, dans laquelle un État membre a opté pour la mise en œuvre de l’article 27, paragraphe 3, [ab] initio et sous c), [de ce règlement], mais a également conféré un effet suspensif, dans l’exécution d’une décision de transfert, à une demande de révision ou à un recours formé contre une décision
adoptée dans le cadre d’une procédure concernant une demande de permis de séjour liée à la traite des êtres humains, étant entendu que ladite décision n’est pas une décision de transfert, qui empêche temporairement le transfert effectif ? »

Sur la question préjudicielle

28 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 29, paragraphes 1 et 2, du règlement Dublin III, lu en combinaison avec l’article 27, paragraphe 3, de ce règlement, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale prévoyant que l’introduction d’une demande de révision d’une décision refusant d’accorder à un ressortissant d’un pays tiers un titre de séjour en qualité de victime de la traite des êtres humains implique, d’une part, la
suspension de l’exécution d’une décision de transfert préalablement adoptée visant ce ressortissant d’un pays tiers et, d’autre part, la suspension ou l’interruption du délai pour le transfert dudit ressortissant d’un pays tiers.

29 L’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III prévoit que le transfert de la personne concernée vers l’État membre responsable s’effectue, conformément au droit national de l’État membre requérant, dès qu’il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de cette personne ou de la décision définitive sur le recours lorsque l’effet suspensif est
accordé conformément à l’article 27, paragraphe 3, de ce règlement.

30 Aux termes de l’article 29, paragraphe 2, dudit règlement, si le transfert n’est pas exécuté dans le délai de six mois, l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l’État membre requérant.

31 En vue de déterminer les effets de l’article 29 du même règlement dans une situation telle que celles en cause au principal, dans laquelle la réglementation nationale applicable vise à faciliter l’application de la directive 2004/81, il convient, en premier lieu, de vérifier si cette directive impose ou, à tout le moins, permet que l’exécution d’une décision de transfert préalablement adoptée soit suspendue dans l’attente de l’issue d’un recours contre une décision rejetant une demande de titre
de séjour en qualité de victime de la traite des êtres humains.

32 Conformément à l’article 1er de la directive 2004/81, celle-ci a pour objet de définir les conditions d’octroi de titres de séjour de durée limitée aux ressortissants de pays tiers qui coopèrent à la lutte contre la traite des êtres humains ou contre l’aide à l’immigration clandestine.

33 L’article 6, paragraphe 1, de cette directive prévoit que les États membres garantissent que tout ressortissant d’un pays tiers qui peut raisonnablement être considéré comme pouvant être ou avoir été la victime d’infractions liées à la traite des êtres humains bénéficie d’un délai de réflexion lui permettant de se rétablir et de se soustraire à l’influence des auteurs des infractions, de sorte qu’il puisse décider en connaissance de cause de coopérer ou non avec les autorités compétentes [voir,
en ce sens, arrêt du 20 octobre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éloignement de la victime de la traite d’êtres humains), C‑66/21, EU:C:2022:809, points 47 et 49].

34 En vertu de l’article 6, paragraphe 2, de ladite directive, pendant le délai de réflexion, et en attendant que les autorités compétentes se soient prononcées, les ressortissants de pays tiers concernés ont accès au traitement prévu à l’article 7 de celle-ci et aucune mesure d’éloignement ne peut être exécutée à leur égard.

35 L’interdiction d’exécuter une mesure d’éloignement prévue à l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2004/81 fait notamment obstacle à ce que, pendant le délai de réflexion accordé conformément à l’article 6, paragraphe 1, de celle-ci, et en attendant que les autorités compétentes se soient prononcées, soit exécutée une décision de transfert, adoptée en application du règlement Dublin III, à l’égard des ressortissants de pays tiers relevant du champ d’application de cette directive [voir, en ce
sens, arrêt du 20 octobre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éloignement de la victime de la traite d’êtres humains), C‑66/21, EU:C:2022:809, point 70].

36 En revanche, premièrement, aucune disposition de la directive 2004/81 n’énonce d’interdiction d’exécuter une mesure d’éloignement après l’expiration de ce délai de réflexion ou après que les autorités compétentes se sont prononcées.

37 En outre, il ressort de l’article 6, paragraphes 3 et 4, de cette directive, d’une part, que le délai de réflexion n’ouvre pas, en tant que tel, de droit au séjour au titre de ladite directive et, d’autre part, que l’État membre concerné peut mettre fin à tout moment au délai de réflexion, notamment pour des raisons liées à l’ordre public et à la protection de la sécurité intérieure.

38 Deuxièmement, la même directive ne comporte pas de disposition relative aux voies de recours, administratives ou juridictionnelles, pouvant être exercées contre une décision rejetant une demande de titre de séjour en qualité de victime de la traite des êtres humains.

39 Cela étant, dès lors que l’article 8 de la directive 2004/81 permet, dans les conditions énoncées au paragraphe 1 de cet article, aux ressortissants de pays tiers visés d’obtenir un titre de séjour, il découle de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne que les ressortissants d’un pays tiers dont la demande de titre de séjour fondée sur la même directive a été rejetée doivent disposer d’une voie de recours effective contre la décision rejetant cette demande,
notamment afin de leur permettre de faire valoir que l’autorité compétente a appliqué cet article 8, paragraphe 1, de manière erronée (voir, en ce sens, arrêt du 2 juin 2022, Skeyes, C‑353/20, EU:C:2022:423, points 49 et 50).

40 En l’absence de réglementation de l’Union en la matière, il appartient, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales de cette voie de recours, à condition, toutefois, que ces modalités ne soient pas, dans les situations relevant du droit de l’Union, moins favorables que dans des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou
excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêts du 10 mars 2021, Konsul Rzeczypospolitej Polskiej w N., C‑949/19, EU:C:2021:186, point 43, et du 2 juin 2022, Skeyes, C‑353/20, EU:C:2022:423, point 52).

41 Il y a lieu, dès lors, de déterminer si, dans ce cadre, les États membres sont tenus de prévoir que l’introduction d’un recours contre une décision rejetant une demande de titre de séjour en qualité de victime de la traite des êtres humains, le cas échéant sous la forme d’un recours administratif préalable, implique la suspension de l’exécution d’une mesure d’éloignement préalablement adoptée, en vue de garantir au ressortissant d’un pays tiers concerné la possibilité de rester sur le territoire
de l’État membre en cause dans l’attente de l’issue de ce recours.

42 À cet égard, tout d’abord, il ressort de la directive 2004/81 que la protection contre toute mesure d’éloignement, y compris l’exécution d’une décision de transfert, conférée par cette directive vise à garantir, d’une part, que les personnes concernées puissent bénéficier du traitement qui doit leur être accordé, conformément à l’article 7 de cette directive, pendant le délai de réflexion et, d’autre part, que ces personnes ne soient pas contraintes à quitter le territoire de l’État membre où
elles ont dénoncé des actes de traite des êtres humains avant même qu’elles n’aient pu, durant ce délai, se prononcer sur leur volonté de coopérer à l’enquête pénale sur ces actes [voir, en ce sens, arrêt du 20 octobre 2022, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Éloignement de la victime de la traite d’êtres humains), C‑66/21, EU:C:2022:809, points 61 et 62].

43 Dans ces conditions, la prolongation de cette protection à la période s’étendant entre l’expiration du délai de réflexion ou la décision rejetant une demande de titre de séjour en qualité de victime de la traite des êtres humains et l’issue du recours contre cette décision ne saurait être considérée comme étant nécessaire pour garantir l’effet utile des obligations de protection provisoire imposées aux États membres par la directive 2004/81.

44 Il importe, ensuite, de rappeler que l’exécution d’une décision de transfert implique non pas l’éloignement de la personne concernée vers un pays tiers, mais son transfert vers un État membre qui est tenu de respecter, notamment, la charte des droits fondamentaux et l’ensemble des obligations résultant de la directive 2004/81.

45 De ce fait, la situation d’une personne faisant l’objet à la fois d’une décision rejetant une demande de titre de séjour en qualité de victime de la traite des êtres humains et d’une décision de transfert ne saurait être assimilée, de manière générale, à celle d’une personne dont il existe des raisons sérieuses de croire que l’éloignement vers un pays tiers serait contraire au principe de non-refoulement, laquelle doit bénéficier d’un recours de plein droit suspensif contre l’exécution de la
décision permettant cet éloignement, en vue d’éviter la survenance d’un préjudice grave et irréparable dans l’attente de l’issue de ce recours (voir, en ce sens, arrêts du 18 décembre 2014, Abdida, C‑562/13, EU:C:2014:2453, points 50 et 52, ainsi que du 19 juin 2018, Gnandi, C‑181/16, EU:C:2018:465, point 54).

46 Enfin, à supposer même que l’exécution d’une décision de transfert soit de nature à impliquer, à titre exceptionnel, un préjudice de cet ordre, ce grief a vocation à être examiné dans le cadre d’un recours dirigé contre cette décision ou contre l’exécution de celle-ci, et non dans celui d’un recours visant une décision relative au séjour en qualité de victime de la traite des êtres humains (voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 2015, Tall, C‑239/14, EU:C:2015:824, points 56 à 58, ainsi que du
19 juin 2018, Gnandi, C‑181/16, EU:C:2018:465, points 55 et 56).

47 Partant, l’effectivité d’une éventuelle annulation de la décision rejetant une demande de titre de séjour en qualité de victime de la traite des êtres humains doit normalement pouvoir être suffisamment assurée en autorisant le retour de la personne concernée dans l’État membre en cause après une telle annulation, sans qu’il soit imposé à cet État membre de s’abstenir, dans l’attente de l’issue du recours contre cette décision, d’exécuter une décision de transfert fondée sur le règlement Dublin
III.

48 Il s’ensuit qu’il ne saurait être considéré que la garantie de l’effectivité d’un recours exercé contre une décision rejetant une demande de titre de séjour en qualité de victime de la traite des êtres humains exige que l’exécution d’une décision de transfert préalablement adoptée soit exclue avant qu’il n’ait été statué sur ce recours.

49 Cela étant, l’article 4 de la directive 2004/81 dispose que celle-ci n’empêche pas les États membres d’adopter ou de maintenir des dispositions plus favorables à l’égard des personnes visées par cette directive.

50 Il en découle que la directive 2004/81 ne fait pas obstacle à ce qu’un État membre décide, dans le cadre de l’exercice de son autonomie procédurale, de renforcer la protection accordée aux ressortissants de pays tiers visés par cette directive, en conférant à un recours, administratif ou juridictionnel, introduit contre une décision rejetant une demande de titre de séjour fondée sur ladite directive, un effet suspensif d’une décision de transfert préalablement adoptée, en vue de permettre à ces
ressortissants de pays tiers de rester sur son territoire dans l’attente de l’issue de ce recours.

51 En conséquence, il convient, en second lieu, de déterminer si le règlement Dublin III s’oppose à ce que les États membres fassent usage de la marge d’appréciation dont ils disposent en vue de mettre en œuvre la directive 2004/81 en prévoyant qu’un recours contre une décision prise au titre de cette directive implique un tel effet suspensif et la suspension ou l’interruption du délai de transfert.

52 À cet égard, s’il ressort de l’article 29, paragraphes 1 et 2, du règlement Dublin III que le législateur de l’Union européenne a entendu favoriser une exécution rapide des décisions de transfert, il n’en demeure pas moins qu’il n’a pas entendu sacrifier la protection juridictionnelle des demandeurs de protection internationale à l’exigence de célérité dans le traitement de leur demande, et qu’il a prévu, en vue de garantir cette protection, que l’exécution de ces décisions peut, dans certains
cas, être suspendue [voir, en ce sens, arrêts du 14 janvier 2021, The International Protection Appeals Tribunal e.a., C‑322/19 et C‑385/19, EU:C:2021:11, point 88, ainsi que du 22 septembre 2022, Bundesrepublik Deutschland (Suspension administrative de la décision de transfert), C‑245/21 et C‑248/21, EU:C:2022:709, points 40 et 60].

53 L’article 27, paragraphe 3, de ce règlement exige ainsi que les États membres offrent aux personnes concernées une voie de recours susceptible de conduire à la suspension de l’exécution de la décision de transfert prise à leur égard [arrêt du 22 septembre 2022, Bundesrepublik Deutschland (Suspension administrative de la décision de transfert), C‑245/21 et C‑248/21, EU:C:2022:709, point 41].

54 En vertu de cette disposition, les États membres doivent prévoir soit, premièrement, que le recours contre la décision de transfert confère à la personne concernée le droit de rester dans l’État membre ayant adopté cette décision en attendant l’issue de son recours, soit, deuxièmement, que, à la suite de l’introduction d’un recours contre la décision de transfert, le transfert est automatiquement suspendu pendant un délai raisonnable durant lequel une juridiction détermine s’il y a lieu
d’accorder un effet suspensif à ce recours, soit, troisièmement, que la personne concernée dispose de la possibilité d’introduire un recours visant à obtenir la suspension de l’exécution de la décision de transfert en attendant l’issue du recours contre cette décision [arrêt du 22 septembre 2022, Bundesrepublik Deutschland (Suspension administrative de la décision de transfert), C‑245/21 et C‑248/21, EU:C:2022:709, point 42].

55 En outre, l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III complète ladite disposition en autorisant les États membres à prévoir que les autorités compétentes peuvent décider d’office de suspendre l’exécution de la décision de transfert, dans des cas où sa suspension ne procéderait ni de l’effet de la loi ni de celui d’une décision de justice, lorsque les circonstances entourant cette exécution impliquent que la personne concernée doit, afin d’assurer la protection juridictionnelle effective
de celle-ci, être autorisée à rester sur le territoire de l’État membre ayant adopté la décision de transfert jusqu’à l’adoption d’une décision définitive sur le recours exercé contre cette décision [voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2022, Bundesrepublik Deutschland (Suspension administrative de la décision de transfert), C‑245/21 et C‑248/21, EU:C:2022:709, points 54 et 61].

56 Dans le cas où la suspension de l’exécution de la décision de transfert procède de l’application de l’article 27, paragraphes 3 ou 4, du règlement Dublin III, il résulte de l’article 29, paragraphe 1, de celui-ci que le délai de transfert court non pas à compter de l’acceptation de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge, mais, par dérogation, à compter de la décision définitive sur le recours exercé contre la décision de transfert [voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre
2022, Bundesrepublik Deutschland (Suspension administrative de la décision de transfert), C‑245/21 et C‑248/21, EU:C:2022:709, points 44 et 49].

57 Un recours, administratif ou juridictionnel, exercé contre une décision autre qu’une décision de transfert, telle qu’une décision rejetant une demande de titre de séjour en qualité de victime de la traite des êtres humains, ne saurait, cependant, être considéré comme constituant un recours ou une révision visé à l’article 27, paragraphes 3 ou 4, du règlement Dublin III.

58 En effet, il ressort du libellé même de cette disposition que celle-ci vise des procédures « aux fins des recours contre des décisions de transfert ou des demandes de révision de ces décisions ». Partant, les références au « recours » et à la « demande de révision » figurant à ladite disposition doivent être comprises comme renvoyant uniquement aux recours et aux révisions contre une décision de transfert visés à l’article 27, paragraphe 1, de ce règlement.

59 Cette interprétation est d’ailleurs cohérente avec l’objet de l’article 27 dudit règlement qui régit non pas les modalités d’exécution des décisions de transfert, mais les voies de recours pouvant être exercées contre ces décisions.

60 Dès lors, étant donné que l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III ne prévoit l’application d’une dérogation au principe selon lequel le délai de transfert court à compter de l’acceptation de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge que dans l’attente de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l’effet suspensif est accordé conformément à l’article 27, paragraphes 3 ou 4, de ce règlement, cette dérogation ne saurait être appliquée en cas
d’introduction d’une demande de révision ou d’un recours contre une décision rejetant une demande de titre de séjour en qualité de victime de la traite des êtres humains, même si l’introduction d’un tel recours implique, en application du droit national, un droit de rester sur le territoire de l’État membre concerné.

61 En particulier, ne saurait être étendue à un tel recours la solution à laquelle est parvenue la Cour, dans les arrêts du 13 septembre 2017, Khir Amayry (C‑60/16, EU:C:2017:675), ainsi que du 22 septembre 2022, Bundesrepublik Deutschland (Suspension administrative de la décision de transfert) (C‑245/21 et C‑248/21, EU:C:2022:709), en ce qui concerne les effets d’une suspension de l’exécution d’une décision de transfert en application de l’article 27, paragraphe 4, de ce règlement.

62 Cette solution procède, en effet, de la prise en compte de l’attribution d’un effet suspensif de la décision de transfert à un recours exercé contre cette décision, qui a été explicitement prévue par le législateur de l’Union et qui a pour objectif de garantir une protection juridictionnelle effective des personnes concernées par une telle décision dans le cadre défini par ledit règlement [voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2022, Bundesrepublik Deutschland (Suspension administrative de la
décision de transfert), C‑245/21 et C‑248/21, EU:C:2022:709, point 61].

63 Toutefois, la circonstance que la dérogation mentionnée au point 60 du présent arrêt ne soit pas applicable dans une situation telle que celles en cause au principal ne signifie nullement que le règlement Dublin III s’oppose à une réglementation nationale prévoyant que l’introduction d’une demande de révision d’une décision refusant d’accorder à un ressortissant d’un pays tiers un titre de séjour fondée sur la directive 2004/81 implique la suspension de l’exécution d’une décision de transfert
préalablement adoptée visant ce ressortissant d’un pays tiers.

64 En effet, ainsi qu’il ressort du point 35 du présent arrêt, il ne saurait être exclu, de façon générale, que l’exécution d’une décision de transfert puisse être valablement suspendue en dehors des cas visés à l’article 27, paragraphes 3 et 4, du règlement Dublin III.

65 En outre, il convient de rappeler que ce règlement vise, ainsi qu’il résulte de ses considérants 4 et 5, à l’établissement d’une méthode claire et opérationnelle, fondée sur des critères objectifs et équitables tant pour les États membres que pour les personnes concernées, en vue de déterminer rapidement l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale, afin de garantir un accès effectif aux procédures d’octroi d’une telle protection et de ne pas compromettre
l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale [voir, en ce sens, arrêts du 19 mars 2019, Jawo, C‑163/17, EU:C:2019:218, point 58, ainsi que du 22 septembre 2022, Bundesrepublik Deutschland (Suspension administrative de la décision de transfert), C‑245/21 et C‑248/21, EU:C:2022:709, point 56].

66 Les délais impératifs par lesquels le législateur de l’Union a encadré les procédures de prise en charge et de reprise en charge contribuent, de manière déterminante, à la réalisation de l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale, en garantissant que lesdites procédures seront mises en œuvre sans retard injustifié, et témoignent de l’importance particulière que ce législateur a attachée à la détermination rapide de l’État membre responsable de l’examen
d’une demande de protection internationale ainsi que du fait que, eu égard à l’objectif de garantir un accès effectif aux procédures d’octroi d’une protection internationale et de ne pas compromettre cet objectif de célérité, il importe que de telles demandes soient, le cas échéant, examinées par un État membre autre que celui désigné comme responsable en vertu des critères énoncés au chapitre III de ce règlement (voir, en ce sens, arrêt du 13 novembre 2018, X et X, C‑47/17 et C‑48/17,
EU:C:2018:900, points 69 et 70).

67 Il découle des objectifs du règlement Dublin III rappelés aux points précédents du présent arrêt ainsi que d’une lecture combinée de l’article 29, paragraphe 1, de celui-ci, qui définit le délai de transfert, et de l’article 29, paragraphe 2, de ce règlement, qui prévoit que l’absence d’exécution de la décision de transfert dans ce délai entraîne un transfert de responsabilité, que le législateur de l’Union a entendu obliger l’État membre requérant non pas à exécuter dans tous les cas les
décisions de transfert, mais à assumer, à l’égard des personnes concernées et des autres États membres, les conséquences des retards observés dans l’exécution de telles décisions, afin de garantir que le traitement des demandes de protection internationale ne soit pas exagérément différé.

68 Dans ce contexte, la précision figurant à l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III selon laquelle le transfert s’effectue « conformément au droit national de l’État membre requérant » doit être interprétée comme impliquant que les États membres disposent d’une certaine marge d’appréciation dans la définition des conditions d’exécution des décisions de transfert et qu’ils peuvent, à ce titre, prévoir que l’exécution d’une décision de transfert pourra être suspendue en vue d’assurer une
protection renforcée aux ressortissants de pays tiers dans le cadre de la mise en œuvre de la directive 2004/81.

69 Cette marge d’appréciation ne saurait, pour autant, impliquer qu’un État membre peut prévoir qu’une suspension de l’exécution d’une décision de transfert qui résulte de son droit national implique la suspension ou l’interruption du délai de transfert.

70 En effet, outre que la référence au droit national figurant à l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III se rapporte aux conditions d’exécution du transfert et non aux règles de computation du délai de transfert, il importe de souligner que, dans la mesure où l’expiration du délai de transfert implique, en vertu de l’article 29, paragraphe 2, de ce règlement, un transfert de responsabilité entre États membres, permettre à chaque État membre de moduler les règles de computation de ce
délai en fonction du contenu de sa réglementation nationale conduirait à une altération de la répartition des responsabilités entre les États membres résultant dudit règlement.

71 Une telle interprétation de l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III serait, de surcroît, de nature à contrarier la réalisation des objectifs de ce règlement, rappelés aux points 65 et 66 du présent arrêt, dès lors que celle-ci risquerait de retarder, le cas échéant de manière durable, le décompte du délai de transfert pour des motifs qui n’ont pas été retenus par le législateur de l’Union et, en conséquence, de priver de tout effet utile ce délai ainsi que de différer exagérément
l’examen des demandes de protection internationale des personnes concernées.

72 Il s’ensuit que le fait que les modalités des recours contre les décisions rejetant une demande de titre de séjour en qualité de victime de la traite des êtres humains relèvent, ainsi qu’il ressort du point 40 du présent arrêt, de l’autonomie procédurale des États membres ne saurait permettre à ceux-ci de déroger aux règles de computation du délai de transfert résultant de l’article 29 du règlement Dublin III.

73 Cette appréciation n’est pas remise en cause par les risques de forum shopping et d’abus de droit mentionnés par la juridiction de renvoi, dans la mesure où il découle des considérations figurant aux points 32 à 47 du présent arrêt que de tels risques ne procèdent pas, en tout état de cause, des règles arrêtées par le législateur de l’Union, mais découlent, le cas échéant, des choix opérés par le Royaume des Pays-Bas, dans le cadre de son autonomie procédurale.

74 Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 29, paragraphes 1 et 2, du règlement Dublin III, lu en combinaison avec l’article 27, paragraphe 3, de ce règlement, doit être interprété en ce sens que :

– il ne s’oppose pas à une réglementation nationale prévoyant que l’introduction d’une demande de révision d’une décision refusant d’accorder à un ressortissant d’un pays tiers un titre de séjour en qualité de victime de la traite des êtres humains implique la suspension de l’exécution d’une décision de transfert préalablement adoptée visant ce ressortissant d’un pays tiers, mais que

– il s’oppose à une réglementation nationale prévoyant qu’une telle suspension entraîne la suspension ou l’interruption du délai pour le transfert dudit ressortissant d’un pays tiers.

Sur les dépens

75 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

  L’article 29, paragraphes 1 et 2, du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, lu en combinaison avec l’article 27, paragraphe 3, de ce règlement,

  doit être interprété en ce sens que :

  – il ne s’oppose pas à une réglementation nationale prévoyant que l’introduction d’une demande de révision d’une décision refusant d’accorder à un ressortissant d’un pays tiers un titre de séjour en qualité de victime de la traite des êtres humains implique la suspension de l’exécution d’une décision de transfert préalablement adoptée visant ce ressortissant d’un pays tiers, mais que

  – il s’oppose à une réglementation nationale prévoyant qu’une telle suspension entraîne la suspension ou l’interruption du délai pour le transfert dudit ressortissant d’un pays tiers.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-338/21
Date de la décision : 30/03/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par Raad van State.

Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) no 604/2013 – Détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale – Article 27 – Recours exercé contre une décision de transfert prise à l’égard d’un demandeur d’asile – Article 29 – Suspension de l’exécution de la décision de transfert – Délai de transfert – Interruption du délai pour effectuer le transfert – Directive 2004/81/CE – Titre de séjour délivré aux ressortissants de pays tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains ou ont fait l’objet d’une aide à l’immigration clandestine et qui coopèrent avec les autorités compétentes – Article 6 – Délai de réflexion – Interdiction d’exécuter une mesure d’éloignement – Voies de recours.

Politique d'asile

Espace de liberté, de sécurité et de justice


Parties
Demandeurs : Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid
Défendeurs : S.S. e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Bay Larsen

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:269

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