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16/03/2023 | CJUE | N°C-493/22

CJUE | CJUE, Ordonnance de la Cour, Armaprocure SRL contre Ministerul Apărării Naţionale et BlueSpace Technology SRL., 16/03/2023, C-493/22


 ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

16 mars 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Marchés publics – Directive 2009/81/CE – Article 55, paragraphe 4 – Article 57, paragraphe 2 – Intérêt à agir – Accès aux procédures de recours – Soumissionnaire exclu de la procédure de passation d’un marché par une décision du pouvoir adjudicateur devenue définitive – Réglementation nationale privant un tel soumissionnaire d’un accès à une voie de recours – Absence d’intérêt

à agir »

Dans l’affaire C‑493/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 T...

 ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

16 mars 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Marchés publics – Directive 2009/81/CE – Article 55, paragraphe 4 – Article 57, paragraphe 2 – Intérêt à agir – Accès aux procédures de recours – Soumissionnaire exclu de la procédure de passation d’un marché par une décision du pouvoir adjudicateur devenue définitive – Réglementation nationale privant un tel soumissionnaire d’un accès à une voie de recours – Absence d’intérêt à agir »

Dans l’affaire C‑493/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), par décision du 28 juin 2022, parvenue à la Cour le 22 juillet 2022, dans la procédure

Armaprocure SRL

contre

Ministerul Apărării Naţionale,

BlueSpace Technology SRL,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. M. Safjan, président de chambre, MM. N. Jääskinen et M. Gavalec (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 55, paragraphe 4, de l’article 56, paragraphe 3, de l’article 57, paragraphe 2, de l’article 60, paragraphe 1, sous b), ainsi que de l’article 61 de la directive 2009/81/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés de travaux, de fournitures et de services par des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices dans les domaines de
la défense et de la sécurité, et modifiant les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE (JO 2009, L 216, p. 76).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Armaprocure SRL au Ministerul Apărării Naţionale (ministère de la Défense nationale, Roumanie) et à BlueSpace Technology SRL au sujet de la décision de ce ministère de rejeter l’offre d’Armaprocure et d’attribuer à un consortium constitué de BlueSpace Technology et de la compagnie nationale Romarm SA (ci-après le « Consortium ») un marché public destiné à l’acquisition de polygones de tir.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2009/81

3 Le considérant 72 de la directive 2009/81 énonce :

« Le respect des obligations de transparence et de mise en concurrence devrait être garanti par un système de recours efficace, inspiré du système prévu par [la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO 1989, L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 2007/66/CE du
Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2007 (JO 2007, L 335, p. 31) (ci-après la « directive 89/665 »), et la directive 92/13/CEE du Conseil, du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications (JO 1992, L 76, p. 14), telle que modifiée
par la directive 2007/66], pour les marchés relevant [de la directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie et des transports et des services postaux (JO 2004, L 134, p. 1), et de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de
services (JO 2004, L 134, p. 114)]. Il convient en particulier de prévoir la possibilité de contester la procédure de passation avant la signature du marché ainsi que les garanties nécessaires à l’efficacité du recours, comme le délai de suspension. Il convient également de donner la possibilité de contester les marchés de gré à gré illégaux ou conclus en violation de la présente directive. »

4 L’article 55 de la directive 2009/81, intitulé « Champ d’application et accès aux procédures de recours », dispose, à ses paragraphes 2 et 4 :

« 2.   Les États membres prennent les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs ou les entités adjudicatrices peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles 56 à 62, au motif que ces décisions ont violé le droit [de l’Union] en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.

[...]

4.   Les États membres s’assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée. »

5 L’article 56 de cette directive, intitulé « Exigences en matière de procédure de recours », prévoit, à son paragraphe 3 :

« Lorsqu’une instance de premier ressort, indépendante du pouvoir adjudicateur ou de l’entité adjudicatrice, est saisie d’un recours portant sur la décision d’attribution du marché, les États membres s’assurent que le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice ne peuvent conclure le marché avant que l’instance de recours statue soit sur la demande de mesures provisoires soit sur le recours. La suspension prend fin au plus tôt à l’expiration du délai de suspension visé à l’article 57,
paragraphe 2, et à l’article 60, paragraphes 4 et 5. »

6 L’article 57 de ladite directive, intitulé « Délai de suspension », est libellé comme suit, à son paragraphe 2, deuxième alinéa :

« Les soumissionnaires sont réputés concernés s’ils n’ont pas encore été définitivement exclus. Une exclusion est définitive si elle a été notifiée aux soumissionnaires concernés et a été jugée licite par une instance de recours indépendante ou ne peut plus faire l’objet d’un recours. »

7 L’article 60 de la directive 2009/81, intitulé « Absence d’effets », prévoit, à son paragraphe 1, sous b) :

« Les États membres veillent à ce qu’un marché soit déclaré dépourvu d’effets par une instance de recours indépendante du pouvoir adjudicateur ou de l’entité adjudicatrice ou à ce que l’absence d’effets dudit marché résulte d’une décision d’une telle instance dans chacun des cas suivants :

[...]

b) en cas de violation de l’article 55, paragraphe 6, de l’article 56, paragraphe 3, ou de l’article 57, paragraphe 2, si cette violation a privé le soumissionnaire intentant un recours de la possibilité d’engager un recours précontractuel lorsqu’une telle violation est accompagnée d’une violation des dispositions du titre I ou du titre II, si cette violation a compromis les chances du soumissionnaire intentant un recours d’obtenir le marché ».

8 Aux termes de l’article 61 de cette directive, intitulé « Violation des dispositions du présent titre et sanctions de substitution » :

« 1.   En cas de violation de l’article 55, paragraphe 6, de l’article 56, paragraphe 3, ou de l’article 57, paragraphe 2, ne relevant pas de l’article 60, paragraphe 1, point b), les États membres prévoient l’absence d’effets du marché conformément à l’article 60, paragraphes 1 à 3, ou des sanctions de substitution. Les États membres peuvent prévoir que l’instance de recours indépendante du pouvoir adjudicateur ou de l’entité adjudicatrice décide, après avoir apprécié tous les aspects pertinents,
si le marché doit être considéré comme dépourvu d’effets ou s’il y a lieu d’appliquer des sanctions de substitution.

[...] »

La directive 89/665

9 L’article 1er de la directive 89/665, intitulé « Champ d’application et accessibilité des procédures de recours », dispose, à son paragraphe 3 :

« Les États membres s’assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée. »

10 L’article 2 bis de cette directive, intitulé « Délai de suspension », prévoit, à son paragraphe 2, deuxième alinéa :

« Les soumissionnaires sont réputés concernés s’ils n’ont pas encore été définitivement exclus. Une exclusion est définitive si elle a été notifiée aux soumissionnaires concernés et a été jugée licite par une instance de recours indépendante ou ne peut plus faire l’objet d’un recours. »

Le droit roumain

L’ordonnance d’urgence no 114/2011

11 L’article 137 de l’Ordonanța de urgență a Guvernului nr. 114/2011 privind atribuirea anumitor contracte de achiziții publice în domeniile apărării și securității (ordonnance d’urgence du gouvernement no 114/2011 concernant l’attribution de certains marchés publics dans les domaines de la défense et de la sécurité), du 21 décembre 2011 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 932 du 29 décembre 2011, ci-après l’« ordonnance d’urgence no 114/2011), dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Le pouvoir adjudicateur est tenu d’informer les opérateurs économiques impliqués dans la procédure d’attribution des décisions concernant le résultat de la sélection, l’issue de la procédure de passation du marché ou de conclusion de l’accord-cadre ou, le cas échéant, l’annulation de la procédure de passation et le lancement ultérieur éventuel d’une nouvelle procédure, par écrit et dans les meilleurs délais, au plus tard trois jours ouvrables après l’émission de ces décisions.

2.   Aux fins du paragraphe 1, est considéré comme un opérateur économique impliqué dans la procédure de passation tout candidat/soumissionnaire que le pouvoir adjudicateur n’a pas encore informé des décisions concernant directement sa propre candidature/offre ou tout candidat/soumissionnaire dont la candidature/offre n’a pas encore été définitivement rejetée par le pouvoir adjudicateur. Un rejet est considéré comme définitif s’il a été communiqué à l’opérateur économique concerné et s’il a été
jugé légal par le [Consiliului Național de Soluționare a Contestațiilor (Conseil national pour la résolution des contestations, Roumanie)], saisi à cet égard, ou s’il n’a pas fait ou ne peut plus faire l’objet d’un recours. »

12 L’article 138 de cette ordonnance d’urgence prévoit, à son paragraphe 2, sous c) :

« Dans le cadre de la communication visée à l’article 137, paragraphe 3, le pouvoir adjudicateur est tenu d’informer les soumissionnaires/candidats qui ont été écartés ou dont l’offre n’a pas été retenue des motifs ayant fondé la décision en question, à savoir de communiquer :

[...]

c) à chaque soumissionnaire qui a présenté une offre acceptable et conforme, donc recevable, mais qui n’a pas été déclaré adjudicataire, les caractéristiques et avantages relatifs de l’offre ou des offres retenues par rapport à la sienne, le nom du soumissionnaire auquel le marché public sera attribué ou, le cas échéant, des soumissionnaires avec lesquels un accord-cadre sera conclu ».

La loi no 101/2016

13 La Legea nr. 101/2016 privind remediile și căile de atac în materie de atribuire a contractelor de achiziție publică, a contractelor sectoriale și a contractelor de concesiune de lucrări și concesiune de servicii, precum și pentru organizarea și funcționarea Consiliului Național de Soluționare a Contestațiilor (loi no 101/2016 relative aux voies de recours en matière de passation de marchés publics, de marchés sectoriels et de marchés de concessions de travaux et de concessions de services ainsi
qu’à l’organisation et au fonctionnement du Conseil national pour la résolution des contestations), du 19 mai 2016 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 393 du 23 mai 2016), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi no 101/2016 »), dispose, à son article 3 :

« 1.   On entend par :

[...]

f) personne qui estime qu’un de ses droits ou intérêts légitimes a été lésé : tout opérateur économique qui remplit les conditions suivantes cumulatives :

i) a ou a eu un intérêt lié à une procédure de passation de marché ; et

ii) a subi, subit ou risque de subir un préjudice à la suite d’un acte du pouvoir adjudicateur susceptible de produire des effets juridiques ou d’un défaut de réponse à une demande relative à une procédure de passation de marché dans le délai prévu par la loi.

[...]

3.   Aux fins du paragraphe 1, sous f), i), une personne est réputée avoir ou avoir eu un intérêt lié à une procédure de passation de marché si elle n’a pas encore été définitivement exclue de cette procédure. Une exclusion est définitive si elle a été notifiée au candidat/soumissionnaire intéressé et soit a été considérée comme licite par le Conseil national pour la résolution des contestations ou par une juridiction soit ne peut plus faire l’objet d’un recours. »

14 L’article 58 de la loi no 101/2016 dispose :

« 1.   Toute personne intéressée peut demander à la juridiction de constater la nullité absolue du contrat ou de l’avenant à celui-ci conclu en violation des conditions de validité requises, selon le cas, par la législation relative aux marchés publics, aux marchés sectoriels ou aux concessions de travaux et de services, ainsi que de rétablir les parties dans leur situation antérieure.

2.   La juridiction constate la nullité absolue totale/partielle du contrat ou de son avenant et rétablit les parties dans leur situation antérieure, conformément à l’article 1254, paragraphe 3, de la [Legea nr. 287/2009 privind Codul civil (loi no 287/2009 portant code civil)], republiée, telle que modifiée, dans les cas suivants :

[...]

c) le contrat ou l’avenant à celui-ci a été conclu dans des conditions moins favorables que celles figurant dans les propositions techniques et/ou financières qui constituaient l’offre retenue ;

d) les critères de qualification et de sélection et/ou les facteurs d’évaluation prévus dans l’avis de marché sur la base desquels l’offre a été déclarée gagnante n’ont pas été respectés, conduisant à modifier le résultat de la procédure en annulant ou en réduisant les avantages concurrentiels ;

e) le marché a été conclu avant la réception de la décision du Conseil [national pour la résolution des contestations] ou de la juridiction statuant sur la contestation ou au mépris de ladite décision ;

[...]

6.   En cas de violation des dispositions relatives au délai légal d’attente pour la conclusion du contrat, la juridiction, après avoir analysé tous les aspects pertinents, constate la nullité absolue totale ou partielle du contrat ou de son avenant et rétablit les parties dans leur situation antérieure ou, si cela est suffisant, ordonne des sanctions de substitution, telles que celles prévues au paragraphe 3. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

15 Le 12 décembre 2019, le ministère de la Défense nationale a lancé, sur le fondement de l’ordonnance d’urgence no 114/2011, qui transpose la directive 2009/81, une procédure de passation d’un marché public comportant deux lots :

– lot no 1 – Polygone de tir de type 2, valeur estimée : 14405042 lei roumains (RON) hors taxe sur la valeur ajoutée (TVA) (environ 2920000 euros) ;

– lot no 2 – Polygone de tir de type 3, valeur estimée : 29500000 RON hors TVA (environ 5980000 euros).

16 La valeur totale estimée du marché était de 43905042 RON (environ 8900000 euros), l’attribution se faisant sur le seul critère du « prix le plus bas ».

17 Par une lettre du 9 mars 2020, le pouvoir adjudicateur a informé Armaprocure, d’une part, du rejet de son offre pour les deux lots, au motif qu’elle avait été déclarée non conforme pour le lot no 1 et non conforme et irrecevable pour le lot no 2. D’autre part, le pouvoir adjudicateur faisait part de l’attribution du marché au Consortium.

18 Le 19 mars 2020, Armaprocure a saisi une première fois le Conseil national pour la résolution des contestations, en vue de contester la légalité de la décision de rejet de son offre, de celle de l’admission des autres offres, ainsi que de celle de l’attribution du marché au Consortium.

19 Par une décision du 10 avril 2020, le Conseil national pour la résolution des contestations a partiellement fait droit aux prétentions d’Armaprocure, notamment en ordonnant au pouvoir adjudicateur de réévaluer l’offre d’Armaprocure pour le lot no 1 ainsi que les offres du Consortium et des autres soumissionnaires, à savoir Electro Optic Components SRL et Stimpex SA, pour les deux lots. Ledit Conseil a, en revanche, rejeté la contestation d’Armaprocure en ce qu’elle était dirigée contre la
décision de rejet de son offre pour le lot no 2.

20 Après que la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), saisie par le ministère de la Défense nationale ainsi que par Electro Optic Components et le Consortium, eut partiellement modifié la décision du Conseil national pour la résolution des contestations, par un arrêt du 30 juin 2020, le pouvoir adjudicateur a procédé à une nouvelle évaluation des offres. Par une lettre du 10 novembre 2020, il a informé Armaprocure que son offre avait été rejetée comme non conforme pour le
lot no 1 et que l’offre du Consortium l’avait emporté pour ce lot. Quant à l’offre d’Armaprocure pour le lot no 2, elle a été définitivement rejetée.

21 Par acte enregistré le 25 novembre 2020, Armaprocure a saisi une deuxième fois le Conseil national pour la résolution des contestations, afin de contester le résultat de cette nouvelle évaluation des offres.

22 Par une décision du 24 mai 2021, ledit Conseil a annulé le rapport sur la procédure, établi par le pouvoir adjudicateur, uniquement en ce qui concerne l’évaluation financière des offres du Consortium et d’Electro Optic Components (ci-après la « décision du 24 mai 2021 »).

23 Le 14 juin 2021, après avoir à nouveau évalué ces offres, le pouvoir adjudicateur a informé Electro Optic Components que son offre avait été déclarée irrecevable. Conformément aux dispositions de l’article 137, paragraphe 2, et de l’article 138, paragraphe 2, sous c), de l’ordonnance d’urgence no 114/2011, le résultat de la nouvelle évaluation n’a pas été communiqué à Armaprocure, étant donné que l’offre présentée par celle-ci avait été préalablement rejetée et que ce rejet avait été considéré
comme légal par le Conseil national pour la résolution des contestations.

24 Le 8 juin 2021, Armaprocure a introduit un recours contre la décision du 24 mai 2021. Ce recours ayant été rejeté comme non fondé par la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest), par un arrêt du 27 octobre 2021, Armaprocure a formé un recours en révision contre cet arrêt, lequel a été rejeté par l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie), le 25 mai 2022.

25 À sa demande, Armaprocure a été informée par le pouvoir adjudicateur, par une lettre du 11 novembre 2021, que les offres du Consortium et d’Electro Optic Components avaient été à nouveau évaluées le 14 juin 2021, en application de la décision du 24 mai 2021.

26 À la fin du mois de novembre 2021, le contrat de fourniture des produits « Polygone de tir de type 2 » et « Polygone de tir de type 3 » a été signé entre le pouvoir adjudicateur et le Consortium. L’avis d’attribution du marché au Consortium a été publié sur la plateforme en ligne dénommée « système électronique des marchés publics », le 31 décembre 2021.

27 Par une troisième contestation introduite le 10 janvier 2022, Armaprocure a notamment demandé au Conseil national pour la résolution des contestations, en ce qui concerne le lot no 1, d’annuler tous les actes du pouvoir adjudicateur adoptés en exécution de la décision du 24 mai 2021, de rétablir les parties dans leur situation antérieure, d’annuler la procédure de passation de marché et de suspendre l’exécution du marché relatif à ce lot.

28 Par une décision du 28 janvier 2022, le Conseil national pour la résolution des contestations a rejeté les prétentions d’Armaprocure, qui a, dès lors, saisi le Tribunalul București (tribunal de Bucarest, Roumanie).

29 Par un jugement du 29 mars 2022, ce dernier a rejeté le recours d’Armaprocure, en relevant que l’offre de celle-ci pour le lot no 2 avait été rejetée par la décision du Conseil national pour la résolution des contestations du 10 avril 2020, ce qui n’avait pas été contesté devant la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest). Le Tribunalul București (tribunal de Bucarest) a également souligné que la décision du 24 mai 2021 avait rejeté les demandes présentées par Armaprocure tendant,
d’une part, à obtenir l’annulation de la procédure et de la décision déclarant non conforme l’offre de celle-ci pour le lot no 1 et, d’autre part, à enjoindre le pouvoir adjudicateur de réévaluer cette offre.

30 Le Tribunalul București (tribunal de Bucarest) a relevé, ensuite, que le recours introduit par Armaprocure contre la décision du 24 mai 2021 avait été rejeté par un arrêt de la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest) du 27 octobre 2021. Partant, pour le Tribunalul București (tribunal de Bucarest), Armaprocure n’avait plus d’intérêt à soulever des griefs relatifs à l’offre retenue et aux actes de la procédure de passation du marché pour le lot no 1, dès lors que la non-conformité de
l’offre qu’elle avait présentée avait été définitivement constatée et était revêtue de l’autorité de la chose jugée.

31 Armaprocure a formé un pourvoi contre le jugement du Tribunalul București (tribunal de Bucarest) du 29 mars 2022 devant la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest), qui est la juridiction de renvoi. Armaprocure a notamment fait valoir que le pouvoir adjudicateur avait méconnu la directive 2009/81 en ce que celui-ci aurait signé le contrat de fourniture des produits visés par les lots nos 1 et 2 avec un soumissionnaire qui avait présenté une offre irrecevable et non conforme.
Armaprocure a également allégué qu’elle avait saisi le Tribunalul București (tribunal de Bucarest) d’un recours en annulation du marché public ayant abouti à ce contrat, fondé sur l’article 58, paragraphe 1, de la loi no 101/2016. Partant, il suffirait qu’elle démontre qu’elle est une « personne intéressée », au sens de cette disposition, pour être recevable à contester ce marché, ce sans avoir à établir qu’elle est une personne « lésée », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous f), de ladite
loi. Dès lors, il ne serait pas nécessaire qu’elle ait la qualité de soumissionnaire ou de candidat.

32 La juridiction de renvoi relève que la directive 2009/81 ne prévoit de droit de recours qu’en faveur du soumissionnaire ou du candidat intéressé, l’intérêt du soumissionnaire ou du candidat à la procédure de passation des marchés publics découlant de la participation de celui-ci à une telle procédure. Or, en l’occurrence, à la date de la signature du contrat par l’adjudicataire, à la fin du mois de novembre 2021, Armaprocure avait été définitivement exclue de la procédure de passation du marché
ayant abouti à ce contrat. En raisonnant par analogie avec l’arrêt du 21 décembre 2016, Bietergemeinschaft Technische Gebäudebetreuung und Caverion Österreich (C‑355/15, EU:C:2016:988), qui se rapportait à la directive 89/665, cette juridiction se demande si la directive 2009/81 s’oppose à ce qu’un soumissionnaire qui a été exclu d’une procédure de passation de marché public par une décision du pouvoir adjudicateur devenue définitive dispose d’une voie de recours contre le contrat conclu avec
l’adjudicataire.

33 C’est dans ce contexte que la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« [L’article 55, paragraphe 4, l’article 56, paragraphe 3, l’article 57, paragraphe 2, l’article 60, paragraphe 1, sous b), et l’article 61] de la directive [2009/81], peuvent-[ils] être interprétés en ce sens qu’[ils] s’opposent à ce qu’un soumissionnaire exclu d’une procédure de passation de marché public par une décision du pouvoir adjudicateur devenue définitive puisse disposer d’une voie de recours contre le contrat conclu avec l’adjudicataire ? »

Sur la demande de procédure accélérée

34 La juridiction de renvoi a demandé à la Cour que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure accélérée, en vertu de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.

35 Cependant, compte tenu de la décision de la Cour de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure, il n’y a pas lieu de statuer sur cette demande (voir, en ce sens, ordonnance du 10 janvier 2023, Ambisig, C‑469/22, EU:C:2023:25, point 19 et jurisprudence citée).

Sur la question préjudicielle

36 En vertu de l’article 99 du règlement de procédure, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

37 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre du présent renvoi préjudiciel.

38 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 55, paragraphe 4, et l’article 57, paragraphe 2, de la directive 2009/81 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’un soumissionnaire exclu d’une procédure de passation de marché public par une décision du pouvoir adjudicateur devenue définitive puisse disposer d’une voie de recours contre le contrat conclu avec l’adjudicataire.

39 À titre liminaire, il importe de relever qu’il ressort de la décision de renvoi, que par ses décisions des 10 avril 2020 et 24 mai 2021, dans lesquelles il s’est prononcé sur les deux premières contestations d’Armaprocure, le Conseil national pour la résolution des contestations a rejeté, respectivement, la contestation de la décision de rejet de l’offre de cette société relative aux lots nos 1 et 2, étant précisé que, selon les explications de la juridiction de renvoi, ces décisions sont
devenues définitives avant la signature du contrat conclu avec l’adjudicataire. Après avoir formé une troisième contestation, Armaprocure a saisi la juridiction de renvoi en vue d’obtenir l’annulation de la procédure de passation du marché en cause et, par suite, que celui-ci lui soit attribué.

40 D’emblée, il y a lieu de relever qu’il découle du considérant 72 de la directive 2009/81 que, en adoptant cette directive, le législateur de l’Union a entendu instaurer un système de recours efficace, inspiré du système prévu par la directive 89/665.

41 Dans ce contexte, il convient de rappeler, en premier lieu, que, aux termes de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665, dont le libellé est repris à l’identique par l’article 55, paragraphe 4, de la directive 2009/81, les États membres s’assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités qu’ils peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation
alléguée. Ce faisant, ces dispositions n’obligent pas les États membres à rendre lesdites procédures de recours accessibles à toute personne souhaitant obtenir l’adjudication d’un marché public, mais leur permet d’exiger, en plus, que la personne concernée ait été lésée ou risque d’être lésée par la violation qu’elle allègue (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2003, Hackermüller, C‑249/01, EU:C:2003:359, point 18, et ordonnance du 17 mai 2022, Estaleiros Navais de Peniche, C‑787/21, non publiée,
EU:C:2022:414, point 22).

42 Appelée à interpréter l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665, la Cour a considéré que, dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché public, les soumissionnaires, dont l’exclusion est demandée, ont un intérêt légitime équivalent à l’exclusion de l’offre des autres soumissionnaires aux fins de l’obtention du marché, et ce quels que soient le nombre de participants à la procédure de passation du marché public concerné, le nombre de participants ayant introduit des recours ou
encore la divergence des motifs qu’ils ont soulevés. En effet, l’exclusion d’un soumissionnaire peut aboutir à ce que l’autre soumissionnaire obtienne directement le marché aux termes de la même procédure. En outre, dans l’hypothèse d’une exclusion des deux soumissionnaires et de l’ouverture d’une nouvelle procédure de passation de marché public, chacun des soumissionnaires pourrait y participer et, ainsi, obtenir indirectement le marché (voir, en ce sens, arrêts du 4 juillet 2013, Fastweb,
C‑100/12, EU:C:2013:448, point 33 ; du 5 avril 2016, PFE, C‑689/13, EU:C:2016:199, points 24, 27 et 29 ; du 24 mars 2021, NAMA e.a., C‑771/19, EU:C:2021:232, point 31, ainsi que ordonnance du 17 mai 2022, Estaleiros Navais de Peniche, C‑787/21, non publiée, EU:C:2022:414, point 23).

43 En second lieu, le principe jurisprudentiel rappelé au point précédent ne vaut que pour autant que l’exclusion du soumissionnaire ne soit pas devenue définitive, notamment après avoir été confirmée par une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée (voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2016, Bietergemeinschaft Technische Gebäudebetreuung und Caverion Österreich, C‑355/15, EU:C:2016:988, point 36 ; du 11 mai 2017, Archus et Gama, C‑131/16, EU:C:2017:358, points 57 et 58 ; du 24 mars 2021,
NAMA e.a., C‑771/19, EU:C:2021:232, point 42, ainsi que ordonnance du 17 mai 2022, Estaleiros Navais de Peniche, C‑787/21, non publiée, EU:C:2022:414, point 24).

44 Or, aux termes de l’article 57, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 2009/81, qui est rédigé dans les mêmes termes que l’article 2 bis, paragraphe 2, de la directive 89/665, l’exclusion d’un soumissionnaire est définitive si elle lui a été notifiée et a été jugée licite par une instance de recours indépendante ou ne peut plus faire l’objet d’un recours. Il s’ensuit que le caractère non encore définitif de la décision d’exclusion détermine, pour ces soumissionnaires, la qualité pour agir
contre la décision d’adjudication (arrêt du 21 décembre 2021, Randstad Italia, C‑497/20, EU:C:2021:1037, point 74, et ordonnance du 17 mai 2022, Estaleiros Navais de Peniche, C‑787/21, non publiée, EU:C:2022:414, point 25).

45 L’intérêt à agir d’un soumissionnaire évincé d’une procédure de passation de marché contre la décision d’attribution de ce marché est ainsi intrinsèquement lié à la persistance d’un intérêt à agir contre la décision qui l’a exclu de cette procédure. Partant, en l’absence d’un intérêt à agir contre la décision excluant son offre, un soumissionnaire évincé ne saurait prétendre conserver un intérêt à agir contre la décision d’attribution du marché. Un tel intérêt à agir ne peut pas être tiré de ce
que ledit soumissionnaire pourrait éventuellement se voir attribuer le marché dans l’hypothèse où, à la suite d’une annulation de cette décision, le pouvoir adjudicateur déciderait de lancer une nouvelle procédure d’attribution (ordonnance du 17 mai 2022, Estaleiros Navais de Peniche, C‑787/21, non publiée, EU:C:2022:414, points 26 et 27).

46 L’intérêt à agir d’un soumissionnaire évincé d’une procédure de passation de marché contre la décision d’attribution de ce marché fait ainsi manifestement défaut lorsque l’exclusion de ce soumissionnaire résulte d’une décision devenue définitive soit parce qu’elle est désormais insusceptible de faire l’objet d’un recours contentieux, faute d’avoir été contestée dans les délais impartis par les règles procédurales nationales, soit en raison de l’épuisement des voies de recours disponibles au
niveau national.

47 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 55, paragraphe 4, et l’article 57, paragraphe 2, de la directive 2009/81 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’un soumissionnaire exclu d’une procédure de passation de marché public par une décision du pouvoir adjudicateur devenue définitive puisse disposer d’une voie de recours contre le contrat conclu avec l’adjudicataire.

Sur les dépens

48 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

  Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

  L’article 55, paragraphe 4, et l’article 57, paragraphe 2, de la directive 2009/81/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés de travaux, de fournitures et de services par des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices dans les domaines de la défense et de la sécurité, et modifiant les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE,

  doivent être interprétés en ce sens que :

  ils s’opposent à ce qu’un soumissionnaire exclu d’une procédure de passation de marché public par une décision du pouvoir adjudicateur devenue définitive puisse disposer d’une voie de recours contre le contrat conclu avec l’adjudicataire.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le roumain.


Synthèse
Formation : Huitième chambre
Numéro d'arrêt : C-493/22
Date de la décision : 16/03/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par la Curtea de Apel Bucureşti.

Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Marchés publics – Directive 2009/81/CE – Article 55, paragraphe 4 – Article 57, paragraphe 2 – Intérêt à agir – Accès aux procédures de recours – Soumissionnaire exclu de la procédure de passation d’un marché par une décision du pouvoir adjudicateur devenue définitive – Réglementation nationale privant un tel soumissionnaire d’un accès à une voie de recours – Absence d’intérêt à agir.

Libre prestation des services

Droit d'établissement

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : Armaprocure SRL
Défendeurs : Ministerul Apărării Naţionale et BlueSpace Technology SRL.

Composition du Tribunal
Avocat général : Campos Sánchez-Bordona
Rapporteur ?: Gavalec

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:291

Source

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