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09/03/2023 | CJUE | N°C-752/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, JP EOOD contre Otdel « Mitnichesko razsledvane i razuznavane » /MRR/ v TD « Mitnitsa Burgas »., 09/03/2023, C-752/21


 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

9 mars 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) no 952/2013 – Code des douanes de l’Union – Voies de recours – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2005/212/JAI – Contrebande douanière – Biens appartenant à un tiers saisis dans le cadre d’une procédure administrative à caractère pénal – Législation nationale excluant ce tiers de la catégorie des personnes habilitées à former un recours contre la décision de sanction administrative ordonnant la saisie »r>
Dans l’affaire C‑752/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 T...

 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

9 mars 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) no 952/2013 – Code des douanes de l’Union – Voies de recours – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2005/212/JAI – Contrebande douanière – Biens appartenant à un tiers saisis dans le cadre d’une procédure administrative à caractère pénal – Législation nationale excluant ce tiers de la catégorie des personnes habilitées à former un recours contre la décision de sanction administrative ordonnant la saisie »

Dans l’affaire C‑752/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administrativen sad – Haskovo (tribunal administratif de Haskovo, Bulgarie), par décision du 17 novembre 2021, parvenue à la Cour le 7 décembre 2021, dans la procédure

JP EOOD

contre

Otdel « Mitnichesko razsledvane i razuznavane » /MRR/ v TD « Mitnitsa Burgas »,

en présence de :

Okrazhna prokuratura – Haskovo,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. M. Safjan (rapporteur), président de chambre, MM. N. Jääskinen et M. Gavalec, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour la Commission européenne, par Mme F. Moro et M. I. Zaloguin, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 22, paragraphe 7, ainsi que des articles 29 et 44 du règlement (UE) no 952/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 9 octobre 2013, établissant le code des douanes de l’Union (JO 2013, L 269, p. 1, ci-après le « code des douanes de l’Union »), de l’article 4 de la décision-cadre 2005/212/JAI du Conseil, du 24 février 2005, relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime
(JO 2005, L 68, p. 49), et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant JP EOOD, une société commerciale de droit bulgare, à l’Otdel « Mitnichesko razsledvane i razuznavane » /MRR/ v TD « Mitnitsa Burgas » (département de la direction territoriale des douanes de Burgas, Bulgarie) au sujet de la décision adoptée par ce dernier portant saisie, au profit de l’État bulgare, d’un véhicule de transport, appartenant à JP, ayant servi à la contrebande de marchandises.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La décision-cadre 2005/212

3 Aux termes du considérant 1 de la décision-cadre 2005/212 :

« La criminalité organisée transfrontalière poursuit essentiellement des fins lucratives. Afin de prévenir et de combattre efficacement cette criminalité, il convient de concentrer les efforts sur le dépistage, le gel, la saisie et la confiscation des produits du crime. Toutefois, ces opérations sont rendues difficiles en raison, notamment, des disparités entre les législations des États membres dans ce domaine. »

4 L’article 1er de cette décision-cadre, intitulé « Définitions », dispose, à son quatrième tiret :

« Aux fins de la présente décision-cadre, on entend par :

[...]

– “confiscation” une peine ou une mesure ordonnée par un tribunal à la suite d’une procédure portant sur une ou des infractions pénales, aboutissant à la privation permanente du bien ».

5 L’article 2 de ladite décision-cadre, intitulé « Confiscation », prévoit :

« 1.   Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de tout ou partie des instruments et des produits provenant d’infractions pénales passibles d’une peine privative de liberté d’une durée supérieure à un an, ou de biens dont la valeur correspond à ces produits.

[...] »

6 Aux termes de l’article 4 de la même décision-cadre, intitulé « Voies de recours » :

« Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour faire en sorte que les personnes affectées par les mesures prévues aux articles 2 et 3 disposent de voies de recours effectives pour préserver leurs droits. »

Le code des douanes de l’Union

7 L’article 5 du code des douanes de l’Union, intitulé « Définitions », prévoit :

« Aux fins du code [des douanes de l’Union], on entend par :

1) “autorités douanières” : les administrations douanières des États membres chargées de l’application de la législation douanière et toute autre autorité habilitée en droit national à appliquer certaines dispositions douanières ;

2) “législation douanière” : l’ensemble des dispositions constitué par :

a) le code et les dispositions le complétant ou le mettant en œuvre adoptées au niveau de l’Union ou au niveau national ;

b) le tarif douanier commun ;

c) la législation établissant un régime de l’Union des franchises douanières ;

d) les accords internationaux comportant des dispositions douanières, dans la mesure où celles-ci sont applicables dans l’Union ;

[...]

39) “décision” : tout acte concernant la législation douanière pris par une autorité douanière statuant sur un cas donné et qui a des effets de droit sur la ou les personnes concernées ;

[...] »

8 L’article 22 de ce code, intitulé « Décisions arrêtées à la suite d’une demande », dispose, à son paragraphe 7 :

« Une décision qui a des conséquences défavorables pour le demandeur expose les raisons qui la motivent et mentionne le droit de recours prévu à l’article 44. »

9 L’article 29 dudit code, intitulé « Décisions arrêtées sans demande préalable », dispose :

« Sauf lorsqu’une autorité douanière agit en qualité d’autorité judiciaire, l’article 22, paragraphes 4, 5, 6 et 7, l’article 23, paragraphe 3, et les articles 26, 27 et 28 s’appliquent également aux décisions arrêtées par les autorités douanières sans demande préalable de la personne concernée. »

10 L’article 42 du même code, intitulé « Application des sanctions », énonce :

« 1.   Chaque État membre prévoit des sanctions en cas d’infraction à la législation douanière. Ces sanctions sont effectives, proportionnées et dissuasives.

2.   Lorsque des sanctions administratives sont appliquées, elles peuvent l’être, notamment, sous l’une ou les deux formes suivantes :

a) une charge pécuniaire imposée par les autorités douanières, y compris, le cas échéant, un règlement en lieu et place d’une sanction pénale ;

b) le retrait, la suspension ou la modification de toute autorisation dont la personne concernée est titulaire.

3.   Les États membres informent la Commission [européenne], dans un délai de cent quatre-vingts jours à compter de la date d’application du présent article, déterminée conformément à l’article 288, paragraphe 2, des dispositions nationales en vigueur comme indiqué au paragraphe 1 du présent article et lui communiquent sans délai toute modification ultérieure de ces dispositions. »

11 Aux termes de l’article 43 du code des douanes de l’Union, intitulé « Décisions prises par une autorité judiciaire » :

« Les articles 44 et 45 ne s’appliquent pas aux recours introduits en vue de l’annulation, de la révocation ou de la modification d’une décision relative à l’application de la législation douanière prise par une autorité judiciaire, ou par les autorités douanières agissant en qualité d’autorité judiciaire. »

12 L’article 44 de ce code, intitulé « Droit de recours », dispose :

« 1.   Toute personne a le droit d’exercer un recours contre les décisions relatives à l’application de la législation douanière prises par les autorités douanières et qui la concernent directement et individuellement.

[...]

2.   Le droit de recours peut être exercé au minimum en deux temps :

a) dans un premier temps, devant les autorités douanières ou une autorité judiciaire ou un autre organisme désigné à cet effet par les États membres ;

b) dans un second temps, devant une instance supérieure indépendante qui peut être une autorité judiciaire ou un organisme spécialisé équivalent, conformément aux dispositions en vigueur dans les États membres.

3   Le recours est introduit dans l’État membre où la décision a été prise ou sollicitée.

4.   Les États membres veillent à ce que la procédure de recours permette de confirmer ou de rectifier rapidement les décisions prises par les autorités douanières. »

La directive 2014/42/UE

13 La directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne (JO 2014, L 127, p. 39), prévoit, à son article 2, intitulé « Définitions » :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

4) “confiscation”, une privation permanente d’un bien ordonnée par une juridiction en lien avec une infraction pénale ;

[...] »

14 L’article 14 de cette directive, intitulé « Remplacement de l’action commune 98/699/JAI et de certaines dispositions des décisions-cadres 2001/500/JAI et 2005/212/JAI », dispose, à son paragraphe 1 :

« [...] les articles 3 et 4 de la décision-cadre 2001/500/JAI [du Conseil, du 26 juin 2001, concernant le blanchiment d’argent, l’identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime (JO 2001, L 182, p. 1)], ainsi que les quatre premiers tirets de l’article 1er et l’article 3 de la décision-cadre 2005/212/JAI sont remplacés par la présente directive pour les États membres liés par la présente directive, sans préjudice des obligations de ces
États membres relatives aux délais de transposition de ces décisions-cadres en droit national. »

Le droit bulgare

Le ZM

15 L’article 231 du zakon za mitnitsite (loi sur les douanes) (DV no 15, du 6 février 1998), dans sa version applicable aux faits au principal (ci‑après le « ZM »), prévoit :

« Les décisions de sanction administrative sont émises par le directeur de l’Agence des douanes ou par les agents que celui-ci a désignés. »

16 Aux termes de l’article 232 du ZM :

« (1)   Lorsque l’auteur de l’infraction est inconnu, le procès-verbal est signé par celui qui l’a établi ainsi que par un témoin et il n’est pas signifié. Est émise, dans ce cas, une décision de sanction administrative qui entre en vigueur dès son émission.

[...] »

17 L’article 233 de cette loi dispose :

« (1)   Quiconque déplace ou transporte des marchandises à travers la frontière de l’État, ou tente de le faire, à l’insu ou sans autorisation des autorités douanières, est sanctionné, lorsque l’acte commis ne constitue pas une infraction pénale, d’une amende pour contrebande douanière de 100 à 200 % de la valeur en douane à l’importation ou de la valeur des marchandises à l’exportation.

[...]

(8)   Les moyens de transport ou les contenants ayant servi à déplacer ou à transporter les biens faisant l’objet de la contrebande douanière sont saisis au profit de l’État quel que soit leur propriétaire, sauf lorsque leur valeur ne correspond manifestement pas à la valeur de l’objet de la contrebande douanière. »

Le ZANN

18 L’article 59 du zakon za administrativnite narushenia i nakazania (loi sur les infractions et les sanctions administratives) (DV no 92, du 28 novembre 1969), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après le « ZANN »), dispose :

« (1)   La décision de sanction administrative et la fiche électronique sont susceptibles de recours devant le [Rayonen sad (tribunal d’arrondissement)], dans l’arrondissement où l’infraction a été commise ou achevée, et, pour les infractions commises à l’étranger, devant le [Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia)].

(2)   L’auteur de l’infraction et la personne qui réclame une indemnisation peuvent former un recours contre cette décision dans un délai de sept jours à compter de sa signification, tandis que le parquet a le droit de former opposition contre cette décision dans un délai de deux semaines à compter de son émission. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

19 Le 11 juillet 2020, les autorités douanières bulgares ont constaté une tentative de transporter, sans autorisation, de la Turquie vers la Bulgarie des injecteurs pour automobiles chargés sur un poids lourd et une semi‑remorque attelée.

20 Une enquête pénale a été ouverte par l’Okrazhna prokuratura – Haskovo (parquet régional de Haskovo, Bulgarie) pour contrebande douanière aggravée. Toutefois, par une décision du 15 décembre 2020, le procureur près le parquet régional de Haskovo a mis fin à la procédure pénale pour défaut de preuves.

21 À la même occasion, le dossier a été transmis au service d’enquête et de recherches douanières afin que ce dernier apprécie l’opportunité d’engager une action en responsabilité administrative à caractère pénal en vertu du ZM.

22 N’ayant pas été en mesure d’identifier l’auteur de l’infraction, le chef du département de la direction territoriale des douanes de Burgas a émis, le 22 février 2021, une décision de sanction administrative contre un auteur inconnu, sur le fondement de l’article 232, paragraphe 1, du ZM. Selon cette dernière disposition, lorsque l’auteur de l’infraction est inconnu, la décision de sanction administrative entre en vigueur dès son émission.

23 Par cette décision, l’auteur inconnu a été dépossédé des injecteurs automobiles, lesquels ont été saisis au profit de l’État bulgare. Par ladite décision, les autorités douanières bulgares ont saisi au profit de l’État, conformément à l’article 233, paragraphe 8, du ZM, le poids lourd et la semi-remorque attelée d’une valeur totale de 111604, 20 leva bulgares (BGN) (environ 57300 euros), tous deux propriété de JP.

24 Cette société a introduit un recours contre cette même décision devant le Rayonen sad Svilengrad (tribunal d’arrondissement de Svilengrad, Bulgarie), lequel a, par une ordonnance du 20 avril 2021, rejeté ce recours comme étant irrecevable, au motif que ladite société n’avait pas d’intérêt à agir.

25 Ce tribunal a considéré, d’une part, que le droit d’introduire un recours contre la décision en cause au principal est ouvert, conformément à l’article 59, paragraphe 2, du ZANN, à l’auteur de l’infraction ainsi qu’à la personne qui réclame une indemnisation, tandis que le parquet a le droit de former opposition. D’autre part, il a jugé que, dans la mesure où la décision de sanction administrative concernée avait été émise envers un auteur inconnu, celle-ci était entrée en vigueur, conformément à
l’article 232, paragraphe 1, du ZM, à compter de son émission et était insusceptible de recours.

26 JP a interjeté appel de cette ordonnance devant l’Administrativen sad – Haskovo (tribunal administratif de Haskovo, Bulgarie), la juridiction de renvoi, en faisant valoir que, bien qu’étant un tiers non impliqué dans la procédure administrative à caractère pénal, elle avait subi un préjudice patrimonial lors de la saisie de ses biens sans qu’il lui eût été offert une possibilité réelle de défendre ses droits et ses intérêts légitimes.

27 Cette juridiction confirme que le droit bulgare ne prévoit pas de droit de recours lorsque, comme dans l’affaire au principal, une décision de sanction administrative est émise contre un auteur inconnu. En effet, dans un tel cas, il ressortirait explicitement de l’article 232, paragraphe 1, du ZM qu’une telle décision est insusceptible de recours.

28 Ladite juridiction émet donc des doutes quant à la compatibilité de la réglementation nationale, d’une part, avec le code des douanes de l’Union et, d’autre part, avec la décision-cadre 2005/212, à supposer que cette dernière s’applique également aux situations dans lesquelles l’acte commis ne constitue pas une infraction pénale.

29 Dans ces conditions, l’Administrativen sad – Haskovo (tribunal administratif de Haskovo) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 44, [paragraphe] 1, du [code des douanes de l’Union], lu en combinaison avec l’article 13 de [la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950,] et avec l’article 47 de la [Charte], doit-il être interprété en ce sens qu’est illicite une disposition de droit national, telle que l’article 59, paragraphe 2, [du ZANN], laquelle n’inclut pas au nombre des personnes ayant un droit de recours contre une décision
de sanction administrative le propriétaire dont les biens ont été saisis par ladite décision et qui n’est pas l’auteur de l’acte incriminé ?

2) Les dispositions combinées de l’article 22, [paragraphe] 7, [ainsi que des articles] 29 et 44 du [code des douanes de l’Union], lues en combinaison avec l’article 13 [de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales] et avec l’article 47 de la Charte, doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles n’autorisent pas une disposition de droit national, telle que l’article 232, paragraphe 1, [du ZM], laquelle exclut toute possibilité de recours
contre une décision de sanction administrative émise contre un auteur inconnu dans la mesure où, en vertu de la législation nationale, cette décision peut ordonner la saisie au profit de l’État de biens qui sont la propriété d’un tiers, lequel ne participe pas à la procédure administrative à caractère pénal ?

3) Convient-il d’interpréter, selon un raisonnement a fortiori, l’article 4 de la décision-cadre [2005/212], lu en combinaison avec l’article 47 de la Charte, en ce sens qu’il s’applique également aux situations dans lesquelles l’acte commis ne constitue pas une infraction pénale ? Et convient-il d’interpréter ladite disposition en ce sens qu’elle n’autorise pas une disposition de droit national, telle que l’article 59, paragraphe 2, du ZANN, laquelle exclut le propriétaire des biens saisis du
cercle des personnes ayant un droit de recours, ni une disposition nationale telle que l’article 232 [du] ZM, prévoyant expressément qu’est insusceptible de recours la décision qui, en vertu de la législation nationale, peut ordonner la saisie des biens d’un tiers, lequel ne participe pas à la procédure administrative à caractère pénal ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur les première et deuxième questions

30 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 44 du code des douanes de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui ne prévoit pas de droit de recours contre une décision de sanction administrative pour une personne dont les biens ont été saisis sur le fondement d’une telle décision, mais qui n’est pas considérée, dans cette décision, comme étant l’auteur de
l’infraction administrative qui est en lien avec la sanction qui a été infligée.

31 À cet égard, il convient de relever que l’article 44 de ce code prévoit que toute personne a le droit d’exercer un recours contre les décisions relatives à l’application de la législation douanière prises par les autorités douanières et qui la concernent directement et individuellement.

32 S’agissant de la notion de « décision », à laquelle cette disposition fait référence, celle-ci est définie au point 39 de l’article 5 dudit code comme étant « tout acte concernant la législation douanière pris par une autorité douanière statuant sur un cas donné et qui a des effets de droit sur la ou les personnes concernées », étant précisé que la législation douanière comprend notamment, conformément au point 2 de cet article, le code des douanes de l’Union et les dispositions complétant ou
mettant en œuvre ce code au niveau national.

33 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que la décision de sanction administrative en cause au principal, qui a été adoptée par les autorités douanières statuant sur un cas de contrebande douanière particulier, a des effets de droit sur JP, dans la mesure où des biens de cette personne morale, en tant que « personne concernée », ont été saisis. Il s’ensuit qu’il s’agit d’une « décision », au sens de l’article 5, point 39, du code des douanes de l’Union.

34 Il convient d’ajouter, d’une part, que l’article 42, paragraphe 1, de ce code dispose que les États membres sont tenus de prévoir des sanctions en cas d’infraction à la législation douanière, si bien que la décision d’imposer, dans le cas d’une contrebande douanière telle que celle constatée dans l’affaire au principal, une telle sanction, notamment la saisie des biens, constitue une décision relative à l’application de la législation douanière, au sens de l’article 44 dudit code.

35 D’autre part, s’il semble que la décision de sanction administrative en cause au principal n’ait pas été formellement adressée à JP, circonstance qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, il n’en demeure pas moins que celle-ci produit des effets juridiques directs sur cette société, dans la mesure où ses biens ont été saisis en vertu de cette décision. Partant, il y a lieu de considérer que ladite décision concerne directement et individuellement JP, au sens de l’article 44 du même
code.

36 Il s’ensuit qu’une décision de sanction administrative, telle que celle en cause au principal, doit, conformément à l’article 44 du code des douanes de l’Union, pouvoir faire l’objet d’un recours, de sorte que ce code s’oppose à une réglementation nationale qui ne prévoit pas le droit d’introduire un recours contre une telle décision pour une personne directement et individuellement concernée par celle-ci.

37 Eu égard à l’ensemble de ces motifs, il convient de répondre aux première et deuxième questions que l’article 44 du code des douanes de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui ne prévoit pas de droit de recours contre une décision de sanction administrative pour une personne dont les biens ont été saisis sur le fondement d’une telle décision, mais qui n’est pas considérée, dans cette décision, comme étant l’auteur de l’infraction administrative
qui est en lien avec la sanction qui a été infligée.

Sur la troisième question

38 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4 de la décision-cadre 2005/212 doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à une décision relative à un acte qui ne constitue pas une infraction pénale et, dans l’affirmative, qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit qu’un tiers dont le bien peut être saisi dans le cadre d’une procédure administrative à caractère pénal ne dispose pas d’une voie de recours contre cette décision.

39 À cet égard, il convient de relever que l’article 2 de cette décision-cadre, auquel l’article 4 de celle-ci fait référence, prévoit que chaque État membre doit prendre les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de tout ou partie des instruments et des produits provenant d’infractions pénales passibles d’une peine privative de liberté d’une durée supérieure à un an, ou de biens dont la valeur correspond à ces produits.

40 Il découle du libellé de cet article que le champ d’application matériel de ladite décision-cadre est, ainsi que cela ressort également du titre même ainsi que du considérant 1 de la même décision-cadre lesquels font référence respectivement à la « confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime » et à la « criminalité organisée », limité aux infractions pénales, de sorte que la même décision-cadre ne s’applique pas à une décision qui ne s’inscrit pas dans le
cadre ou à la suite d’une procédure portant sur une ou plusieurs infractions pénales (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2020, « Agro In 2001 », C‑234/18, EU:C:2020:221, point 61).

41 Ce même champ d’application est également limité en ce sens qu’il ne vise que des infractions pénales d’une certaine gravité, à savoir celles passibles d’une peine privative de liberté d’une durée supérieure à un an.

42 Quant à la notion de « confiscation », il convient de se référer non pas à la définition figurant à l’article 1er, quatrième tiret, de la décision-cadre 2005/212, mais à celle figurant à l’article 2, point 4, de la directive 2014/42, puisque cette directive a, en vertu de son article 14, paragraphe 1, remplacé, notamment, les quatre premiers tirets de l’article 1er de cette décision-cadre (arrêt du 10 novembre 2022, DELTA STROY 2003, C‑203/21, EU:C:2022:865, point 30).

43 Aux termes de l’article 2, point 4, de cette directive, constitue une confiscation la « privation permanente d’un bien ordonnée par une juridiction en lien avec une infraction pénale ».

44 Or, il suffit de constater que, d’une part, dans l’affaire au principal, la décision de sanction administrative a été émise à la suite d’une procédure de nature administrative, laquelle procédure ne portait pas sur une ou plusieurs infractions pénales et encore moins sur une infraction pénale passible d’une peine privative de liberté d’une durée supérieure à un an, telle qu’exigée par l’article 2 de la décision-cadre 2005/212.

45 D’autre part, il ressort également du dossier dont dispose la Cour que cette décision a été adoptée par les autorités douanières bulgares et non pas par une juridiction, tel qu’exigé par l’article 2, point 4, de la directive 2014/42.

46 Par conséquent, la décision-cadre 2005/212 n’est pas matériellement applicable dans une situation dans laquelle l’acte commis ne constitue pas une infraction pénale.

47 Dans la mesure où le champ d’application matériel de cette décision-cadre est clairement défini et que celle-ci a été adoptée en vue de mettre en place des règles minimales communes dans un domaine bien délimité, qui, au demeurant, concerne la coopération en matière pénale, celle-ci ne saurait pas davantage être matériellement applicable par analogie à une situation telle que celle en cause au principal.

48 Eu égard à l’ensemble de ces motifs, il convient de répondre à la troisième question que l’article 4 de la décision-cadre 2005/212 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas à une décision relative à un acte qui ne constitue pas une infraction pénale.

Sur les dépens

49 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 44 du règlement (UE) no 952/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 9 octobre 2013, établissant le code des douanes de l’Union,

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à une réglementation nationale qui ne prévoit pas de droit de recours contre une décision de sanction administrative pour une personne dont les biens ont été saisis sur le fondement d’une telle décision, mais qui n’est pas considérée, dans cette décision, comme étant l’auteur de l’infraction administrative qui est en lien avec la sanction qui a été infligée.

  2) L’article 4 de la décision-cadre 2005/212/JAI du Conseil, du 24 février 2005, relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime,

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’applique pas à une décision relative à un acte qui ne constitue pas une infraction pénale.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.


Synthèse
Formation : Huitième chambre
Numéro d'arrêt : C-752/21
Date de la décision : 09/03/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par l’Administrativen sad – Haskovo.

Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) no 952/2013 – Code des douanes de l’Union – Voies de recours – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2005/212/JAI – Contrebande douanière – Biens appartenant à un tiers saisis dans le cadre d’une procédure administrative à caractère pénal – Législation nationale excluant ce tiers de la catégorie des personnes habilitées à former un recours contre la décision de sanction administrative ordonnant la saisie.

Union douanière

Coopération policière

Convention européenne des droits de l'Homme

Espace de liberté, de sécurité et de justice

Droits fondamentaux

Charte des droits fondamentaux

Marché intérieur - Principes

Libre circulation des marchandises

Tarif douanier commun

Coopération judiciaire en matière pénale


Parties
Demandeurs : JP EOOD
Défendeurs : Otdel « Mitnichesko razsledvane i razuznavane » /MRR/ v TD « Mitnitsa Burgas ».

Composition du Tribunal
Avocat général : Campos Sánchez-Bordona
Rapporteur ?: Safjan

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:179

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