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09/03/2023 | CJUE | N°C-119/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, PlasticsEurope contre Agence européenne des produits chimiques (ECHA)., 09/03/2023, C-119/21


 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

9 mars 2023 ( *1 )

« Pourvoi – Établissement d’une liste des substances soumises à autorisation – Règlement (CE) no 1907/2006 – Annexe XIV – Liste de substances identifiées aux fins d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV – Mise à jour de l’inscription de la substance bisphénol A comme “substance extrêmement préoccupante” »

Dans l’affaire C‑119/21 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne,

introduit le 25 février 2021,

PlasticsEurope AISBL, établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes R. Cana et E. Mullier,...

 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

9 mars 2023 ( *1 )

« Pourvoi – Établissement d’une liste des substances soumises à autorisation – Règlement (CE) no 1907/2006 – Annexe XIV – Liste de substances identifiées aux fins d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV – Mise à jour de l’inscription de la substance bisphénol A comme “substance extrêmement préoccupante” »

Dans l’affaire C‑119/21 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 25 février 2021,

PlasticsEurope AISBL, établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes R. Cana et E. Mullier, avocates,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par M. W. Broere et Mme A. Hautamäki, en qualité d’agents, assistés de Me S. Raes, advocaat,

partie défenderesse en première instance,

République fédérale d’Allemagne, représentée initialement par MM. J. Möller et D. Klebs, en qualité d’agents, puis par M. Möller, en qualité d’agent,

République française, représentée par MM. G. Bain et T. Stéhelin, en qualité d’agents,

ClientEarth, établie à Londres (Royaume-Uni), représentée par Me P. Kirch, avocat,

parties intervenantes en première instance,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, Mme L. S. Rossi, MM. J.–C. Bonichot, S. Rodin (rapporteur), et Mme O. Spineanu–Matei, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 septembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1 Par son pourvoi, PlasticsEurope AISBL, une association représentant les intérêts des producteurs européens de matières plastiques, demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 décembre 2020, PlasticsEurope/ECHA (T‑207/18, ci-après l’ arrêt attaqué , EU:T:2020:623), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision ED/01/2018 du directeur exécutif de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), du 3 janvier 2018 (ci-après la « décision
litigieuse »), par laquelle l’entrée existante relative au bisphénol A sur la liste des substances identifiées aux fins d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et
abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, et rectificatif JO 2007, L 136, p. 3), tel que modifié par le règlement (UE) no 253/2011 de la Commission, du 15 mars 2011 (JO 2011, L 69, p. 7) (ci-après le « règlement REACH »), a été complétée en ce sens que le bisphénol A a été également identifié
en tant que substances relevant de l’article 57, sous f), du règlement REACH, à savoir celles pouvant avoir des effets graves sur l’environnement, en raison des propriétés perturbant le système endocrinien, et qui suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation d’autres substances énumérées à l’article 57, sous a) à e), de ce règlement.

Le cadre juridique

2 L’article 2 du règlement REACH, intitulé « Application », dispose, à son paragraphe 8, sous b), que les intermédiaires isolés restant sur le site et les intermédiaires isolés transportés sont exemptés du titre VII de ce règlement lequel soumet au régime d’autorisation les substances extrêmement préoccupantes au sens de celui-ci.

3 L’article 3 dudit règlement, intitulé « Définitions », prévoit, à son point 15 :

« “intermédiaire” : une substance fabriquée en vue d’une transformation chimique et consommée ou utilisée dans le cadre de cette transformation en vue de faire l’objet d’une opération de transformation en une autre substance (ci-après dénommée “synthèse”) :

a) “intermédiaire non isolé” : un intermédiaire qui, pendant la synthèse, n’est pas retiré intentionnellement (sauf à des fins d’échantillonnage) des dispositifs dans lesquels a lieu la synthèse. Ces dispositifs comprennent la cuve de réaction, le matériel annexe et tout matériel par lequel la ou les substances passent au cours d’un processus à flux continu ou d’un processus discontinu, ainsi que les tuyauteries permettant le transfert d’une cuve à l’autre en vue de la prochaine étape de la
réaction. Ils ne comprennent pas les réservoirs et autres récipients dans lesquels la ou les substances sont conservées après la fabrication ;

b) “intermédiaire isolé restant sur le site” : un intermédiaire ne répondant pas aux critères définissant un intermédiaire non isolé, dans les cas où la fabrication de l’intermédiaire et la synthèse d’une ou de plusieurs autres substances à partir de cet intermédiaire ont lieu sur le même site, exploité par une ou plusieurs personnes morales ;

c) “intermédiaire isolé transporté” : un intermédiaire ne répondant pas aux critères définissant un intermédiaire non isolé, transporté entre différents sites ou fourni à d’autres sites ».

4 L’article 7 du même règlement, intitulé « Enregistrement et notification des substances contenues dans des articles », énonce, à son paragraphe 2 :

« Tout producteur ou importateur d’articles notifie à [l’ECHA] conformément au paragraphe 4 du présent article, si une substance répond aux critères énoncés à l’article 57 et est identifiée conformément à l’article 59, paragraphe 1, si les deux conditions suivantes sont remplies :

a) la substance est présente dans ces articles dans des quantités supérieures au total à 1 tonne par producteur ou importateur par an ;

b) la substance est présente dans ces articles dans une concentration supérieure à 0,1 % masse/masse (w/w). »

5 L’article 17 du règlement REACH, intitulé « Enregistrement d’intermédiaires isolés restant sur le site », dispose, à son paragraphe 3 :

« Le paragraphe 2 est applicable aux intermédiaires isolés restant sur le site seulement si le fabricant confirme que la substance est fabriquée et utilisée uniquement dans des conditions strictement contrôlées du fait de son confinement rigoureux par des moyens techniques tout au long de son cycle de vie. Des procédures et des techniques de contrôle sont utilisées pour réduire, autant que possible, les émissions et toute exposition en résultant.

Si ces conditions ne sont pas remplies, l’enregistrement comprend les informations visées à l’article 10. »

6 L’article 18 de ce règlement, intitulé « Enregistrement d’intermédiaires isolés transportés » prévoit, à son paragraphe 4 :

« Les paragraphes 2 et 3 ne s’appliquent qu’aux intermédiaires isolés transportés, si le fabricant ou l’importateur confirme lui-même ou déclare qu’il a reçu confirmation de l’utilisateur que la synthèse d’une ou de plusieurs autres substances dérivées de cet intermédiaire a lieu sur d’autres sites dans les conditions suivantes, strictement contrôlées : [...] »

7 Aux termes de l’article 33 dudit règlement, intitulé « Obligation de communiquer des informations sur les substances contenues dans des articles » :

« 1.   Tout fournisseur d’un article contenant une substance répondant aux critères énoncés à l’article 57 et identifiée conformément à l’article 59, paragraphe 1, avec une concentration supérieure à 0,1 % masse/masse (w/w), fournit au destinataire de l’article des informations suffisantes dont il dispose pour permettre l’utilisation dudit article en toute sécurité et comprenant, au moins, le nom de la substance.

2.   Sur demande d’un consommateur, tout fournisseur d’un article contenant une substance répondant aux critères énoncés à l’article 57 et identifiée conformément à l’article 59, paragraphe 1, avec une concentration supérieure à 0,1 % masse/masse (w/w), fournit au consommateur des informations suffisantes dont il dispose pour permettre l’utilisation dudit article en toute sécurité et comprenant, au moins, le nom de la substance.

Les informations pertinentes sont fournies, gratuitement, dans les quarante-cinq jours qui suivent la réception de la demande. »

8 L’article 57 du même règlement, intitulé « Substances à inclure dans l’annexe XIV », est ainsi libellé :

« Les substances suivantes peuvent être incluses dans l’annexe XIV conformément à la procédure prévue à l’article 58 :

a) les substances répondant aux critères de classification comme substances cancérogènes, de catégorie 1A ou 1B, conformément à l’annexe I, section 3.6, du règlement (CE) no 1272/2008 ;

b) les substances répondant aux critères de classification comme substances mutagènes sur les cellules germinales, de catégorie 1A ou 1B, conformément à l’annexe I, section 3.5, du règlement (CE) no 1272/2008 ;

c) les substances répondant aux critères de classification comme substances toxiques pour la reproduction, de catégorie 1A ou 1B, ayant des effets néfastes sur la fonction sexuelle et la fertilité ou sur le développement, conformément à l’annexe I, section 3.7, du règlement (CE) no 1272/2008 ;

d) les substances qui sont persistantes, bioaccumulables et toxiques conformément aux critères énoncés à l’annexe XIII du présent règlement ;

e) les substances qui sont très persistantes et très bioaccumulables, conformément aux critères énoncés à l’annexe XIII du présent règlement ;

f) les substances – telles que celles possédant des propriétés perturbant le système endocrinien ou celles possédant des propriétés persistantes, bioaccumulables et toxiques ou très persistantes et très bioaccumulables, qui ne remplissent pas les critères visés aux points d) ou e) – pour lesquelles il est scientifiquement prouvé qu’elles peuvent avoir des effets graves sur la santé humaine ou l’environnement qui suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation
d’autres substances énumérées aux points a) à e) et qui sont identifiées, cas par cas, conformément à la procédure prévue à l’article 59. »

9 L’article 59 du règlement REACH, intitulé « Identification des substances visées à l’article 57 », énonce, à ses paragraphes 3, 4, 7 et 8 :

« 3.   Tout État membre peut élaborer un dossier conformément à l’annexe XV pour les substances dont il estime qu’elles répondent aux critères énoncés à l’article 57 et le transmettre à l’[ECHA]. Le dossier peut se limiter, le cas échéant, à une référence à une entrée dans l'annexe VI, partie 3, du règlement (CE) no 1272/2008. L’[ECHA] met ce dossier à la disposition des autres États membres dans un délai de trente jours à compter de sa réception.

4.   L’[ECHA] publie sur son site internet un avis indiquant qu’un dossier conforme aux prescriptions de l’annexe XV a été élaboré pour la substance. L’[ECHA] invite toutes les parties intéressées à soumettre leurs informations à l’[ECHA]dans un délai fixé.

[...]

7.   Après avoir reçu ou émis des observations, l’[ECHA] renvoie le dossier au comité des États membres dans les quinze jours suivant la fin de la période de soixante jours visée au paragraphe 5.

8.   Si, dans les trente jours qui suivent le renvoi du dossier, le comité des États membres parvient à un accord unanime sur l’identification, l’[ECHA] inclut cette substance sur la liste visée au paragraphe 1. L’[ECHA] peut inclure cette substance dans les recommandations qu’elle formule conformément à l’article 58, paragraphe 3. »

10 Le règlement REACH comporte une annexe XI, intitulée « Règles générales d’adaptation du régime d’essais standard visé aux annexes VII à X », dont le point 1.2., intitulé « Éléments de preuve », énonce :

« L’hypothèse/la conclusion qu’une substance possède ou non une propriété dangereuse particulière peut être confirmée valablement par des éléments de preuve provenant de plusieurs sources d’informations indépendantes, alors que les informations provenant de chacune de ces sources, considérées isolément, sont jugées insuffisantes pour permettre de formuler cette hypothèse/conclusion.

Le recours à des méthodes d’essai nouvellement mises au point, mais ne figurant pas encore parmi les méthodes visées à l’article 13, paragraphe 3, ou à une méthode d’essai internationale reconnue comme équivalente par la Commission [européenne] ou par l’[ECHA], peut fournir des éléments de preuve suffisants pour permettre de conclure qu’une substance possède ou non une propriété dangereuse particulière.

Quand des éléments de preuve suffisants sont disponibles pour confirmer l’existence ou l’absence d’une propriété dangereuse particulière :

– il y a lieu de renoncer à des essais supplémentaires sur des animaux vertébrés en ce qui concerne la propriété en cause,

– il peut être renoncé à des essais supplémentaires n’utilisant pas d’animaux vertébrés.

Dans tous les cas, il y a lieu de fournir une description suffisante et fiable. »

Les antécédents du litige

11 Le bisphénol A [2,2-bis(4-hydroxyphényl)propane ou 4,4’-isopropylidènediphénol, no CE 201-245-8, no CAS 0000080-05-7] est une substance utilisée principalement en tant qu’intermédiaire, comme monomère dans la fabrication de polymères tels que le polycarbonate et les résines époxyde. De plus, le bisphénol A peut être utilisé à des fins non intermédiaires, notamment dans la fabrication de papier thermique.

12 Le 4 janvier 2017, l’ECHA a adopté la décision ED/01/2017 par laquelle elle a estimé que le bisphénol A doit être inscrit sur la liste des substances à inclure dans l’annexe XIV du règlement REACH (ci-après la « liste des substances candidates »), au motif que cette substance avait été identifiée comme étant une « substance toxique pour la reproduction », au sens de l’article 57, sous c), de ce règlement.

13 Le 6 juillet 2017, l’ECHA a adopté la décision ED/30/2017, par laquelle l’entrée existante relative à la substance bisphénol A sur la liste des substances candidates a été complétée. En effet, cette substance a été identifiée également en tant que substances relevant de l’article 57, sous f), à savoir celles possédant des propriétés perturbant le système endocrinien et pouvant avoir des effets graves sur la santé humaine qui suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par
l’utilisation d’autres substances énumérées à l’article 57, sous a) à e), dudit règlement.

14 Le 29 août 2017, l’Umweltbundesamt (Office fédéral de l’environnement, Allemagne) a, en vertu de l’article 59, paragraphe 3, du règlement REACH, présenté un dossier conformément aux prescriptions de l’annexe XV de ce règlement (ci-après le « dossier élaboré conformément à l’annexe XV »), en proposant que le bisphénol A soit identifié comme étant également une substance perturbant le système endocrinien pour laquelle il est scientifiquement prouvé qu’elle peut avoir des effets graves sur
l’environnement, au sens de l’article 57, sous f), dudit règlement.

15 Le 5 septembre 2017, l’ECHA a publié le dossier élaboré conformément à l’annexe XV.

16 Le même jour, conformément à l’article 59, paragraphe 4, du règlement REACH, l’ECHA a invité toutes les parties intéressées à soumettre leurs observations sur ce dossier.

17 Le 20 octobre 2017, la requérante a présenté, au nom de ses membres, des observations sur ledit dossier.

18 Par la suite, l’Office fédéral de l’environnement a préparé un document portant la date du 14 décembre 2017 qui contenait ses réponses à tous les commentaires concernant l’identification du bisphénol A reçus par l’ECHA lors de la consultation publique.

19 L’ECHA a transmis le dossier comportant les commentaires concernant l’identification du bisphénol A au comité des États membres (ci-après le « CEM »), conformément à l’article 59, paragraphe 7, du règlement REACH. Le CEM a reçu le dossier élaboré conformément à l’annexe XV, un projet d’accord du CEM et un document de travail contenant l’évaluation des propriétés intrinsèques du bisphénol A aux fins de son identification au titre de l’article 57, sous f), dudit règlement (ci-après le « document
d’appui »).

20 Lors de sa 57e réunion, qui s’est tenue du 11 au 15 décembre 2017, le CEM est parvenu à un accord unanime sur l’identification du bisphénol A en tant que substance répondant à ces critères. Quatre États membres se sont abstenus lors du vote. Les motifs de l’identification du bisphénol A ont été exposés dans une version modifiée du document d’appui, telle qu’adoptée le 14 décembre 2017.

21 D’abord, le document d’appui, dans sa version finale, conclut, sur la base d’une analyse d’une multitude d’études, que le bisphénol A répond à la définition de perturbateur endocrinien telle qu’établie au niveau de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et interprétée par le groupe consultatif des experts des perturbateurs endocriniens de la Commission. Plus particulièrement, ce document d’appui conclut que les données in vitro et in vivo analysées indiquent que le bisphénol A agit en tant
qu’agoniste de l’œstrogène chez certaines espèces de poissons ainsi qu’en tant qu’antagoniste thyroïdien chez certaines espèces d’amphibiens.

22 Ensuite, ce document constate que les analyses de différents taxons d’invertébrés démontrent qu’il est possible que les effets graves du bisphénol A résultent du mode d’action endocrinien.

23 Enfin, il y est indiqué que les effets du bisphénol A sur les poissons et les amphibiens sont considérés comme suscitant un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par les substances énumérées à l’article 57, sous a) à e), du règlement REACH, à savoir les substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction ou encore les substances persistantes, bioaccumulables et toxiques (ci-après les « substances PBT ») et celles très persistantes et très bioaccumulables (ci-après les
« substances vPvB »). À ces fins, le document d’appui, dans sa version finale, relève, notamment, le caractère grave et irréversible des effets sur les organismes et les populations ainsi que les difficultés rencontrées dans la détermination d’un niveau sûr d’exposition au bisphénol A.

24 Le 3 janvier 2018, à la suite de l’accord unanime au sein du CEM et conformément à l’article 59, paragraphe 8, du règlement REACH, l’ECHA a adopté la décision litigieuse, par laquelle l’entrée existante relative à la substance bisphénol A sur la liste des substances candidates a été complétée en ce sens que cette substance relève également, pour les raisons exposées dans la version finale du document d’appui, des substances figurant à cet article 57, sous f), à savoir celles possédant des
propriétés perturbant le système endocrinien et pouvant avoir des effets graves sur l’environnement qui suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation d’autres substances énumérées à l’article 57, sous a) à e), dudit règlement.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

25 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 mars 2018, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

26 À l’appui de son recours, la requérante a soulevé quatre moyens. Le premier moyen était tiré de l’existence de plusieurs erreurs manifestes d’appréciation dans l’identification du bisphénol A en tant que substance extrêmement préoccupante, au sens de l’article 57, sous f), du règlement REACH. Par le deuxième moyen, la requérante a invoqué une violation de l’article 59 de ce règlement, lu en combinaison avec l’article 57, sous f), dudit règlement. Le troisième moyen portait sur une violation de
l’article 2, paragraphe 8, sous b), de ce même règlement. Par le quatrième moyen, la requérante a invoqué une violation du principe de proportionnalité.

27 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté ce recours.

Les conclusions des parties devant la Cour

28 La requérante demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– d’annuler la décision litigieuse ;

– à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin que celui-ci se prononce sur son recours en annulation, et

– de condamner l’ECHA aux dépens, en ce compris les dépens de la procédure devant le Tribunal, y compris ceux des parties intervenantes.

29 L’ECHA demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner la requérante aux dépens.

30 La République fédérale d’Allemagne demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner la requérante aux dépens.

31 La République française demande à la Cour de rejeter le pourvoi.

32 ClientEarth demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner la requérante à supporter ses propres dépens, les dépens de l’ECHA, de la République française et les siens, y compris les dépens exposés en première instance.

Sur le pourvoi

33 À l’appui de son pourvoi, la requérante soulève cinq moyens.

34 Le premier moyen est tiré de plusieurs erreurs de droit que le Tribunal aurait commises dans le cadre du contrôle qu’il est tenu d’exercer sur l’évaluation, par l’ECHA, des éléments de preuve scientifiques aux fins de l’application de l’article 57, sous f), du règlement REACH. Ce moyen comporte quatre branches visant le contrôle exercé par le Tribunal en ce qui concerne, premièrement, l’absence de prise en compte, par l’ECHA, d’études fiables et pertinentes contredisant sa décision finale,
deuxièmement, la prise en compte, par l’ECHA, d’études ayant un faible degré de fiabilité qui étayent sa décision finale, troisièmement, l’octroi, par l’ECHA, d’un poids plus important aux études étayant sa décision finale, et, enfin, quatrièmement, l’absence de prise en compte, par l’ECHA, des études relatives au bisphénol A réalisées par d’autres agences et institutions de l’Union.

35 Le deuxième moyen est tiré d’une interprétation erronée de l’article 57, sous f), du règlement REACH, d’une dénaturation des écritures de la requérante et d’une violation du droit d’être entendu.

36 Le troisième moyen est tiré d’erreurs de droit qu’aurait commises le Tribunal dans l’appréciation des éléments de preuve relatifs à la fiabilité d’études scientifiques ainsi que d’une prétendue dénaturation des éléments de preuve.

37 Le quatrième moyen est tiré d’une interprétation erronée du principe de précaution.

38 Le cinquième moyen est tiré d’une interprétation erronée de l’article 2, paragraphe 8, sous b), du règlement REACH et d’une méconnaissance de l’obligation de motivation.

Sur le premier moyen, tiré de plusieurs erreurs de droit du Tribunal lors du contrôle qu’il est tenu d’exercer sur l’évaluation, par l’ECHA, des éléments de preuve scientifiques aux fins de l’application de l’article 57, sous f), du règlement REACH

Sur la première branche du premier moyen, relative au contrôle exercé par le Tribunal en ce qui concerne l’absence de prise en compte, par l’ECHA, d’études fiables et pertinentes contredisant sa décision finale

– Argumentation des parties

39 Par la première branche du premier moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a, au point 64 de l’arrêt attaqué, procédé à une interprétation et à une application erronées du principe d’excellence scientifique, de la notion de « valeur probante des éléments de preuve » et de l’obligation incombant à l’ECHA de tenir compte de toutes les informations pertinentes.

40 En estimant, à ce point 64, qu’« une erreur manifeste d’appréciation ne saurait être constatée que si l’ECHA avait ignoré complètement et erronément une étude fiable dont l’inclusion aurait modifié l’évaluation globale des éléments de preuve d’une manière telle que la décision [litigieuse] aurait été privée de plausibilité », le Tribunal aurait permis à l’ECHA de ne pas tenir compte d’études scientifiques fiables pourvu qu’elle ne l’ait pas fait « complètement et erronément ». Ce faisant, le
Tribunal aurait méconnu l’étendue de son contrôle juridictionnel des décisions de l’ECHA quand bien même ce contrôle est limité à celui de l’erreur manifeste d’appréciation. Si une étude est fiable et pertinente, les résultats de cette étude devraient être pris en considération, dans le cadre de l’évaluation de la force probante des éléments de preuve, compte tenu de l’obligation incombant à l’ECHA de tenir compte de toutes les informations pertinentes.

41 L’arrêt attaqué fixerait, en outre, un niveau de preuve inacceptable et irréalisable en matière de contestation de la force probante des éléments de preuve retenus par l’ECHA dans le cadre de son évaluation au titre de l’article 57, sous f), du règlement REACH, faisant ainsi peser sur la requérante la charge de la preuve de démontrer, d’une part, que l’ECHA a ignoré une étude complètement et erronément et, d’autre part, que la prise en compte de cette étude aurait modifié l’évaluation globale des
éléments de preuve d’une manière telle que la décision finale de l’ECHA aurait été privée de plausibilité.

42 Une telle exigence serait également contraire à la ratio legis et à la notion de « valeur probante », telle que définie au point 1.2 de l’annexe XI de ce règlement. En effet, une évaluation de la force probante des éléments de preuve s’appliquerait, par définition, lorsqu’il existe plus d’une étude justifiant une conclusion, une seule étude n’étant donc jamais suffisante pour infirmer la conclusion à laquelle parvient l’ECHA. Selon la requérante, toute omission de tenir compte des résultats d’une
étude scientifique fiable relative au bisphénol A, qui sont pertinents pour la propriété qui est examinée dans le cadre d’une évaluation de la force probante des éléments de preuve, constitue une erreur manifeste d’appréciation, un manquement à l’obligation incombant à l’ECHA de tenir compte de toutes les informations pertinentes et une violation du principe d’excellence scientifique.

43 L’ECHA, la République fédérale d’Allemagne, la République française et ClientEarth contestent l’argumentation de la requérante et font valoir que la première branche du premier moyen est non fondée.

– Appréciation de la Cour

44 Il y a lieu de constater que l’argumentation développée par la requérante dans le cadre de la première branche de son premier moyen procède d’une lecture erronée des motifs pertinents de l’arrêt attaqué.

45 Au point 62 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé, à juste titre, qu’un large pouvoir d’appréciation doit être reconnu à l’ECHA aux fins de l’identification des substances extrêmement préoccupantes au titre de l’article 57, sous f), du règlement REACH, en considération des évaluations scientifiques et techniques hautement complexes que cette agence doit opérer dans ce contexte (voir, par analogie, arrêts du 22 novembre 2017, Commission/Bilbaína de Alquitranes e.a., C‑691/15 P, EU:C:2017:882,
point 34, ainsi que du 15 octobre 2020, Deza/Commission, C‑813/18 P, non publié, EU:C:2020:832, point 40).

46 À cet égard, il convient de rappeler que, dès lors que les autorités de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation, notamment en ce qui concerne les éléments factuels d’ordre scientifique et technique hautement complexes pour déterminer la nature et l’étendue des mesures qu’elles adoptent dans ce cadre, le contrôle du juge de l’Union doit se limiter à examiner si l’exercice d’un tel pouvoir n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou encore si ces
autorités n’ont pas manifestement dépassé les limites de leur pouvoir d’appréciation. Dans un tel contexte, le juge de l’Union ne peut, en effet, substituer son appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique à celle des institutions auxquelles, seules, le traité FUE a conféré cette tâche (arrêts du 21 juillet 2011, Nickel Institute, C‑14/10, EU:C:2011:503, point 60, et du 15 octobre 2020, Deza/Commission, C‑813/18 P, non publié, EU:C:2020:832, point 41).

47 Le large pouvoir d’appréciation des autorités de l’Union, impliquant un contrôle juridictionnel limité de son exercice, ne s’applique pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais s’applique aussi, dans une certaine mesure, à la constatation des données de base. Toutefois, un tel contrôle juridictionnel, même s’il a une portée limitée, requiert que les autorités de l’Union, auteurs de l’acte en cause, soient en mesure d’établir devant le juge de l’Union que l’acte
a été adopté moyennant un exercice effectif de leur pouvoir d’appréciation, lequel suppose la prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir (ordonnance du 4 septembre 2014, Cindu Chemicals e.a./ECHA, C‑289/13 P, non publiée, EU:C:2014:2175, point 26 ainsi que jurisprudence citée).

48 Au point 63 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que, « [e]n l’occurrence, l’identification de la substance en cause comme extrêmement préoccupante a été effectuée en ayant recours à l’approche de la force probante des éléments de preuve. Selon le point 1.2 de l’annexe XI du règlement [REACH], cette approche est caractérisée par le fait que l’hypothèse qu’une substance possède ou non une propriété dangereuse particulière peut être confirmée valablement par des éléments de preuve provenant de
plusieurs sources d’informations indépendantes, alors que les informations provenant de chacune de ces sources, considérées isolément, peuvent être insuffisantes pour permettre de formuler cette hypothèse ou cette conclusion ».

49 Le Tribunal a encore souligné, à ce point, que « l’identification d’une substance en ayant recours à l’approche de la force probante des éléments de preuve doit être faite sur la base de données complètes permettant à l’autorité compétente d’exercer le pouvoir d’appréciation dont elle dispose au titre des articles 57 et 59 de [ce règlement] tout en prenant en compte tous les éléments de preuve pertinents et disponibles à la date à laquelle l’autorité adopte sa décision ».

50 C’est à la lumière de ces principes, exposés par le Tribunal aux points 62 et 63 de l’arrêt attaqué, et que la requérante ne remet pas en cause dans son pourvoi, qu’il y a lieu d’examiner la portée du point 64 de cet arrêt. Le Tribunal a considéré à bon droit, audit point 64, qu’il est loisible à l’ECHA, dans le cadre de l’évaluation de la force probante des éléments de preuve, « d’écarter des études qu’elle ne considère pas comme pertinentes pour des raisons plausibles liées à la cohérence
interne de l’évaluation effectuée. » C’est également sans commettre d’erreur que le Tribunal a jugé que l’obligation qui incombe à l’ECHA de prendre en compte tous les éléments de preuve pertinents et disponibles n’implique pas que toutes les études qui ont été réalisées, indépendamment de leur fiabilité ou de leur pertinence, doivent nécessairement être incluses dans son évaluation, au regard notamment de la circonstance que le bisphénol A est l’une des substances les plus étudiées au monde.

51 Dans la dernière phrase du point 64 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté qu'« [u]ne erreur manifeste d’appréciation ne saurait être constatée que si l’ECHA avait ignoré complètement et erronément une étude fiable dont l’inclusion aurait modifié l’évaluation globale des éléments de preuve d’une manière telle que la décision finale aurait été privée de plausibilité ».

52 Contrairement aux affirmations de la requérante, cette phrase ne saurait être interprétée en ce sens que le Tribunal a considéré que l’ECHA pouvait, compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont elle dispose, ignorer les éléments pertinents d’une étude fiable dont la prise en compte aurait modifié l’évaluation globale des éléments de preuve d’une manière telle que la décision finale n’aurait pas été plausible. En particulier, les termes « complètement et erronément », interprétés à la lumière
du contexte dans lequel ils s’inscrivent, visent précisément le cas dans lequel l’ECHA aurait manqué à son obligation de tenir compte de tels éléments pertinents, fiables et décisifs dans le cadre de son évaluation. En revanche, ne saurait être constitutif d’une erreur manifeste d’appréciation le fait, pour l’ECHA, d’avoir ignoré les éléments non pertinents d’une étude fiable ou des éléments qui n’auraient en tout état de cause pas été susceptibles de modifier l’évaluation globale d’une manière
telle que la décision finale n’aurait pas été plausible.

53 Sur la base de ces considérations, le Tribunal a examiné, aux points 66 à 70 de l’arrêt attaqué, si, au regard des diverses études produites par la requérante, l’ECHA avait ignoré des éléments pertinents d’une étude fiable dont la prise en compte aurait modifié l’évaluation globale des éléments de preuve.

54 Ainsi que l’a souligné M. l’avocat général, au point 90 de ses conclusions, le Tribunal a relevé, aux points 67 et 69 de l’arrêt attaqué, que l’ECHA a pris en considération, même indirectement, les éléments pertinents de deux des quatre études invoquées par la requérante. En ce qui concerne les éléments des études invoquées par la requérante qui n’ont pas été pris en compte par l’ECHA, le Tribunal a effectivement contrôlé, aux points 66 à 68 de l’arrêt attaqué, l’appréciation de l’ECHA concernant
l’absence de pertinence de ces éléments. Ce faisant, le Tribunal n’a pas méconnu l’étendue du contrôle juridictionnel qui lui incombe en vertu de la jurisprudence rappelée aux points 45 à 47 du présent arrêt.

55 Quant à la prétendue erreur de droit commise par le Tribunal relative à la charge de la preuve qui pèse sur la requérante, il suffit de relever que cet argument procède de la même lecture erronée des motifs pertinents de l’arrêt attaqué, identifiée au point 52 du présent arrêt.

56 Partant, la première branche du premier moyen doit être rejetée comme étant non fondée.

Sur la deuxième branche du premier moyen, relative au contrôle exercé par le Tribunal en ce qui concerne la prise en compte, par l’ECHA, d’études ayant un faible degré de fiabilité qui étayent sa décision finale

– Argumentation des parties

57 Par la deuxième branche du premier moyen, la requérante reproche au Tribunal d’avoir considéré, au point 82 de l’arrêt attaqué, que l’ECHA pouvait invoquer des études ayant un faible degré de fiabilité pour identifier le bisphénol A en tant que substance extrêmement préoccupante. Or, le faible degré de fiabilité d’une étude s’opposerait de manière absolue et générale à la prise en compte de celle-ci.

58 Si la requérante ne conteste pas le fait que des études non standard peuvent être prises en compte en tant qu’éléments de preuve, elle soutient, en revanche, que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que l’ECHA pouvait retenir, en tant qu’élément de preuve probant, des études faiblement fiables, voire non fiables, pour fonder la décision litigieuse.

59 En accordant une telle marge de manœuvre à l’ECHA, l’arrêt attaqué permettrait à cette agence de procéder à une sélection arbitraire de données scientifiques et de choisir parmi celles-ci celles qui corroborent son hypothèse. Selon la requérante, l’ECHA ne peut en aucun cas s’appuyer sur les résultats d’études non fiables ou de faible degré de fiabilité, pour valider sa conclusion, seules les études clés pouvant être utilisées à cette fin. Or, le Tribunal aurait considéré, à tort, que l’ECHA
pouvait prendre en compte de telles études non fiables ou ayant un faible degré de fiabilité aux points 168, 169, 174 et 184 de l’arrêt attaqué, non seulement en tant qu’étude « venant à l’appui » de ses conclusions, mais également en tant qu’étude clé.

60 Selon la requérante, les études ayant un faible degré de fiabilité ou les études non fiables sont des études qui ne satisfont pas aux exigences générales de qualité scientifique fixées par les organismes scientifiques pour que les résultats de celles-ci soient retenus en tant qu’éléments de preuve scientifiques. Les études non standard ne devraient pas être automatiquement écartées, mais elles pourraient être non fiables et non pertinentes dans le cas, par exemple, où leur méthodologie n’est pas
convenablement documentée ni justifiée ou dans celui où elles ont été réalisées sur la base d’une conception d’étude erronée. En revanche, des données scientifiques de piètre qualité ne pourraient pas être invoquées en tant qu’éléments de preuve scientifiques pour justifier des décisions de l’ECHA.

61 L’ECHA, la République fédérale d’Allemagne, la République française et ClientEarth contestent l’argumentation de la requérante et font valoir que la deuxième branche du premier moyen est non fondée.

– Appréciation de la Cour

62 Aux points 71 à 90 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné le grief par lequel la requérante a critiqué la prise en compte, par l’ECHA, d’études « non standard » ou « exploratoires », à savoir des études qui n’auraient pas été effectuées en conformité avec les méthodes validées à l’échelle nationale ou internationale.

63 Au point 76 de cet arrêt, le Tribunal a rappelé que « l’ECHA [était] parvenue à l’identification du bisphénol A comme substance extrêmement préoccupante au titre de l’article 57, sous f), du règlement [REACH] en suivant l’approche de la force probante des éléments de preuve », laquelle exige que l’autorité compétente prenne en compte « tous les éléments de preuve pertinents ».

64 Au terme d’une analyse des dispositions pertinentes de ce règlement, le Tribunal a jugé, au point 82 dudit arrêt, « que des données non standard ou non validées peuvent venir à l’appui des conclusions sur les propriétés intrinsèques d’une certaine substance dès que l’ECHA suit l’approche de la force probante des éléments de preuve dans l’identification d’une substance comme extrêmement préoccupante ». Le Tribunal a encore précisé, à ce point, qu’il est « inhérent à cette approche que leur
caractère non standard et, le cas échéant, leur faible fiabilité doivent être pris en considération lors de la pondération des éléments de preuve en vue de conclure sur les propriétés intrinsèques d’une substance, sans que la faible fiabilité d’une certaine étude s’oppose de manière absolue et générale à sa prise en compte lors de l’identification d’une substance au titre de l’article 57, sous f), du règlement [REACH] ».

65 Ledit point doit être lu en combinaison avec le point 106 de l’arrêt attaqué, dont il ressort que le document d’appui, dans sa version finale, a identifié les études clés en fonction de leur fiabilité et de leur pertinence. Des études fiables offrant le plus d’informations sur le mode d’action endocrinien et ses effets sont qualifiées dans le document d’appui d’« études clés », alors que les études d’une fiabilité moins élevée et présentant moins d’informations sur le mode d’action endocrinien
viennent seulement à l’appui des conclusions tirées principalement des études clés et contribuent ainsi à la force probante des éléments de preuve.

66 Il ressort de ce qui précède que le Tribunal a considéré que l’ECHA pouvait tenir compte, lors de l’évaluation de la force probante des éléments de preuve dont elle disposait, d’études revêtant des degrés de fiabilité variables, à la condition expresse que leur degré de fiabilité soit pris en considération lors de la pondération des éléments de preuve, de manière à octroyer une importance prépondérante aux études les plus fiables. Ce faisant, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit,
contrairement à ce qu’affirme la requérante.

67 Sur la base de ces considérations, c’est encore sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, aux points 168, 169, 174, 175 et 184 de l’arrêt attaqué, que l’ECHA pouvait prendre en compte certaines études revêtant un faible degré de fiabilité, notamment lorsque ces études venaient à l’appui de conclusions tirées des études dotées d’une valeur probante plus élevée et constituant des études clés.

68 Partant, la deuxième branche du premier moyen doit être rejetée comme étant non fondée.

Sur la troisième branche du premier moyen, relative à l’erreur de droit et à la dénaturation des éléments de preuve, commises par le Tribunal, lorsqu’il a jugé que l’ECHA pouvait privilégier les études scientifiques étayant sa décision finale

– Argumentation des parties

69 Par la troisième branche du premier moyen, la requérante fait valoir que, aux points 106, 116 à 118, 152 et 208 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a commis une erreur de droit en validant l’approche de l’ECHA consistant à attribuer plus de poids à des études scientifiques qui viennent à l’appui de l’hypothèse retenue par cette agence. Ce faisant, le Tribunal aurait également dénaturé les éléments de preuve produits devant lui, enfreint le principe d’excellence scientifique, les principes relatifs à
l’applicabilité de la notion de « force probante des éléments de preuve », telle que définie au point 1.2 de l’annexe XI du règlement REACH, et l’obligation de tenir compte de toutes les informations pertinentes.

70 En ce qui concerne les points 106 et 208 de l’arrêt attaqué, la requérante soutient que le Tribunal a constaté que la sélection d’études clés n’est pas strictement fondée sur la fiabilité de ces études, mais repose également sur le point de savoir si elles viennent à l’appui de l’hypothèse retenue par l’ECHA.

71 Aux points 116 à 118 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait affirmé que l’ECHA devrait s’appuyer, lorsqu’elle évalue la force probante des éléments de preuve dont elle dispose, sur les données résultant d’études in vitro en dépit de leur caractère éventuellement moins fiable et peu concluant, dans la mesure où, d’une part, ces données viennent à l’appui des effets observés lors des études in vivo sur les poissons et sur les amphibiens et où, d’autre part, elles correspondent aux conclusions
tirées des effets in vivo observés. Le Tribunal aurait ainsi restreint la possibilité pour les parties affectées de contester effectivement le comportement de l’ECHA devant les juridictions de l’Union.

72 Au point 152 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait en outre jugé que les faiblesses de l’étude Chen et al. (2015) devaient être appréciées eu égard à la capacité de cette étude à néanmoins étayer la conclusion qu’elle était appelée à corroborer.

73 Le Tribunal aurait également jugé, à tort, que l’ECHA pouvait décider de retenir ou non des études ayant un faible degré de fiabilité selon que leurs résultats validaient ou réfutaient l’hypothèse de l’agence.

74 L’ECHA, la République fédérale d’Allemagne, la République française et ClientEarth contestent l’argumentation de la requérante et font valoir que la troisième branche du premier moyen est non fondée.

– Appréciation de la Cour

75 Par la troisième branche du premier moyen, la requérante estime que le Tribunal a validé l’approche suivie par l’ECHA suivant laquelle la force probante des études doit dépendre de la capacité de ces dernières à confirmer ou à réfuter l’hypothèse soutenue par l’ECHA. Or, cette branche repose sur une lecture erronée des points 106, 116 à 118, 152 et 208 de l’arrêt attaqué.

76 En effet, ainsi qu’il a été relevé aux points 65 et 66 du présent arrêt, le point 106 de l’arrêt attaqué décrit la distinction établie dans le document d’appui, dans sa version finale, entre, d’une part, les études fiables offrant le plus d’informations sur le mode d’action endocrinien et ses effets, lesquelles sont qualifiées d’« études clés », et, d’autre part, les études d’une fiabilité moins élevée et présentant moins d’informations sur le mode d’action endocrinien, lesquelles viennent
seulement à l’appui des conclusions tirées principalement des études clés. En d’autres termes, l’approche décrite audit point 106 établit une distinction non pas entre des études venant confirmer ou infirmer l’hypothèse retenue par l’ECHA, mais entre des études fiables et des études moins fiables.

77 Ce constat est également applicable aux points 116 à 118, 152 et 208 de l’arrêt attaqué.

78 Dès lors, le Tribunal n’a pas « validé », aux points 106, 116 à 118, 152 et 208 de l’arrêt attaqué, une prétendue approche de l’ECHA qui consisterait à privilégier les études scientifiques qui viennent à l’appui de l’hypothèse retenue par cette agence.

79 Partant, la troisième branche du premier moyen doit être rejetée comme étant non fondée.

Sur la quatrième branche du premier moyen, relative au contrôle exercé par le Tribunal en ce qui concerne l’absence de prise en compte, par l’ECHA, des études relatives au bisphénol A réalisées par d’autres agences et institutions de l’Union

– Argumentation des parties

80 Par la quatrième branche du premier moyen, la requérante estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en ayant jugé, aux points 109 et 176 de l’arrêt attaqué, que l’ECHA avait pu ignorer, lors de l’évaluation aboutissant à l’adoption de la décision litigieuse, les conclusions relatives aux données concernant le bisphénol A rendues par d’autres agences et institutions de l’Union, à savoir le rapport de l’Union sur l’évaluation des risques liés au bisphénol A, élaboré par le Royaume-Uni au
mois de février 2010 en conformité avec le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil, du 23 mars 1993, concernant l’évaluation et le contrôle des risques présentés par les substances existantes (JO 1993, L 84, p. 1), ainsi qu’avec le protocole relatif à l’évaluation des dangers présentés par le bisphénol A, tel que développé par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).

81 La requérante soutient que des conclusions scientifiques et/ou des approches concernant l’appréciation des données, qui sont pertinentes au niveau de l’Union concernant la même substance, ne sauraient être écartées pour la simple raison qu’elles ont été adoptées en ayant à l’esprit un objectif différent. Le fait de les ignorer serait susceptible de favoriser des divergences réglementaires et des contradictions et serait incompatible avec le principe d’excellence scientifique. Cela conduirait au
résultat absurde selon lequel aucune donnée ou meilleure pratique issues d’autres cadres réglementaires ne seraient jamais pertinentes pour l’identification d’une substance en tant que substance extrêmement préoccupante au titre du règlement REACH.

82 En outre, le Tribunal a jugé que les objectifs différents poursuivis par plusieurs sources d’informations pouvaient conduire à des conclusions différentes en ce qui concerne la fiabilité des données scientifiques. Or, la fiabilité d’une étude scientifique serait intrinsèque, elle dépendrait du respect d’exigences scientifiques minimales et ne pourrait varier en fonction du contexte dans lequel a été réalisée cette étude.

83 L’ECHA, la République fédérale d’Allemagne, la République française et ClientEarth contestent l’argumentation avancée par la requérante et font valoir que la quatrième branche du premier moyen est non fondée.

– Appréciation de la Cour

84 Il convient de rappeler que, conformément à l’article 256, paragraphe 1, TFUE et à l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve. Il s’ensuit que, dans le cadre d’un pourvoi, la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal
a retenues à l’appui de ces faits (voir, en ce sens, arrêt du 28 octobre 2021, Vialto Consulting/Commission, C‑650/19 P, EU:C:2021:879, point 58 et jurisprudence citée).

85 Le pouvoir de contrôle de la Cour sur les constatations de fait opérées par le Tribunal s’étend donc, notamment, à celui de l’inexactitude matérielle de ces constatations résultant des pièces du dossier, à la qualification juridique de ceux-ci, à la dénaturation des faits et des éléments de preuve et à la question de savoir si les règles en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectées (arrêts du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission,
C‑403/04 P et C‑405/04 P, EU:C:2007:52, point 39, ainsi que du 11 mai 2017, Dyson/Commission, C‑44/16 P, EU:C:2017:357, point 31).

86 Il suffit de relever, à cet égard, que, par son argumentation présentée dans le cadre de la quatrième branche du premier moyen, la requérante cherche, en réalité, à obtenir un réexamen des appréciations factuelles opérées par le Tribunal, pour lequel la Cour n’est pas compétente dans le cadre d’un pourvoi, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence rappelée aux points 84 et 85 du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, PlasticsEurope/ECHA, C‑876/19 P, non publié, EU:C:2021:1047,
point 80).

87 Partant, la quatrième branche du premier moyen doit être rejetée comme étant irrecevable.

88 Il s’ensuit que le premier moyen doit être rejeté comme étant en partie non fondé et en partie irrecevable.

Sur le deuxième moyen, tiré d’une dénaturation des écritures de la requérante, d’une interprétation erronée de l’article 57, sous f), du règlement REACH et d’une violation du droit d’être entendu

Argumentation des parties

89 Par son deuxième moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal, aux points 220 à 226 de l’arrêt attaqué, relatifs au critère de niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation d’autres substances énumérées à l’article 57, sous a) à e), du règlement REACH, prévu sous f) de cet article, a dénaturé les écritures de la requérante, interprété de manière erronée cette dernière disposition et violé le droit de la requérante d’être entendue.

90 Au point 224 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait confondu l’équivalence du niveau de la préoccupation avec l’équivalence des propriétés. Ainsi, le Tribunal aurait dénaturé les arguments invoqués par la requérante dans la mesure où il a considéré que celle-ci affirmait qu’une substance devait présenter des propriétés PBT et/ou vPvB pour pouvoir relever de l’article 57, sous f), du règlement REACH.

91 Or, la requérante fait valoir qu’elle a soutenu devant le Tribunal qu’une substance ne pouvait relever de cette disposition que si le niveau de préoccupation suscité par cette substance pour l’environnement était équivalent au niveau de préoccupation suscité par les substances PBT et/ou vPvB visées à l’article 57, sous d) et e), de ce règlement, sans que les propriétés de cette substance doivent nécessairement être équivalentes à celles des substances PBT et/ou vPvB.

92 En outre, la requérante affirme avoir démontré les défauts viciant l’évaluation du niveau de préoccupation équivalent réalisée par l’ECHA. À cet égard, la requérante soutient que cette démonstration figure dans sa réponse aux questions posées par le Tribunal. En premier lieu, au point 63 de cette réponse, la requérante aurait constaté qu’il ressort de l’annexe XIII du règlement REACH et des travaux préparatoires de celui-ci que le niveau de préoccupation extrême pour l’environnement au-delà
duquel une substance doit être qualifiée de substance PBT et/ou vPvB est intrinsèquement lié au caractère irréversible des effets de telles substances après une accumulation dans l’environnement.

93 En deuxième lieu, au point 65 de ladite réponse, l’argument de la requérante aurait concerné le point de savoir si l’ECHA avait établi un niveau de préoccupation pour l’environnement équivalent à celui suscité par les substances présentant des propriétés PBT et/ou vPvB pour le bisphénol A, qui est rapidement dégradable et présente un faible potentiel de bioaccumulation.

94 En troisième lieu, aux points 66 à 75 de la même réponse, la requérante aurait soutenu que l’ECHA avait omis de démontrer l’existence d’un tel niveau de préoccupation par des propriétés autres que la persistance ou la bioaccumulation, qui sont spécifiques aux substances PBT et vPvB, et que la référence par l’ECHA à la gravité des effets, au caractère irréversible et aux difficultés rencontrées pour définir un niveau sûr ne satisfaisait pas à ce critère.

95 L’ECHA, la République fédérale d’Allemagne, la République française et ClientEarth contestent l’argumentation de la requérante et font valoir que le deuxième moyen est non fondé.

Appréciation de la Cour

96 En ce qui concerne, en premier lieu, l’argument tiré d’une prétendue dénaturation par le Tribunal des écritures de la requérante au point 224 de l’arrêt attaqué, il y a lieu de constater que celle-ci a allégué dans la requête en annulation, le mémoire en réplique et sa réponse aux questions du Tribunal que, en raison de la biodégradabilité facile et immédiate du bisphénol A, l’ECHA avait conclu à tort que cette substance présentait un « niveau de préoccupation équivalent » à celui suscité par
l’utilisation d’autres substances, au sens de l’article 57, sous f), du règlement REACH.

97 Au soutien de cette allégation, la requérante s’est référée à plusieurs reprises au fait que le bisphénol A ne présentait pas les propriétés de persistance et de bioaccumulation caractérisant les substances PBT et vPvB, et qui justifiaient le niveau de préoccupation suscité par ces dernières. À titre d’illustration, au point 83 du mémoire en réplique, la requérante a explicitement soutenu que, aux fins d’établir qu’une substance présente un « niveau de préoccupation équivalent » à celui suscité
par l’utilisation d’autres substances, au sens de l’article 57, sous f), du règlement REACH, il y avait lieu « de renvoyer aux propriétés qui sont pertinentes pour l’identification des substances PBT et vPvB, à savoir, la persistance et la bioaccumulation », étant entendu que, « [en] l’espèce, le bisphénol A n’est ni persistant dans l’environnement (étant donné qu’il se dégrade rapidement) ni bioaccumulable (car il a un faible potentiel de bioaccumulation) ».

98 Au point 224 de l’arrêt attaqué, loin de dénaturer les écritures de la requérante, le Tribunal les a rappelées, conformément à son obligation de motivation, en relevant leur caractère contradictoire.

99 En ce qui concerne, en second lieu, les arguments de la requérante relatifs à l’appréciation réalisée par l’ECHA, selon laquelle le bisphénol A présentait « un niveau de préoccupation équivalent », au sens de l’article 57, sous f), du règlement REACH, il y a lieu de relever que la requérante se borne à résumer les observations qu’elle a soumises à cet égard au Tribunal, en reprochant à ce dernier d’avoir rejeté l’interprétation qu’elle avait proposée.

100 Il y a lieu de rappeler, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 46 du présent arrêt, que le Tribunal doit se limiter à contrôler si l’appréciation portée par l’ECHA n’est pas entachée d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou encore si l’ECHA n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation.

101 Au point 229 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé, au terme d’une analyse détaillée des arguments avancés par la requérante, que celle-ci n’avait pas démontré en quoi l’ECHA aurait commis une erreur manifeste d’appréciation dans l’établissement d’un « niveau de préoccupation équivalent ». Or, aucun des arguments avancés par la requérante au soutien de son pourvoi ne permet d’infirmer cette appréciation et de considérer que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant que l’ECHA n’avait
pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.

102 Partant, le deuxième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

Sur le troisième moyen, tiré d’erreurs de droit dans l’appréciation des éléments de preuve relatifs à la fiabilité d’études scientifiques ainsi que d’une dénaturation des éléments de preuve

Argumentation des parties

103 Par son troisième moyen, la requérante soutient que le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit dans l’appréciation des éléments de preuve relatifs à la fiabilité de certaines études scientifiques et a, en outre, dénaturé certains de ces éléments de preuve.

104 En premier lieu, la requérante reproche au Tribunal d’avoir dénaturé les éléments de preuve en jugeant, au point 66 de l’arrêt attaqué, que l’ECHA n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en n’ayant pas considéré que l’étude Bjerregaard et al. (2008) constituait un élément de preuve pertinent, dans la mesure où les auteurs de cette étude n’avaient pas, selon elle, observé de changements majeurs dans le développement des gonades de poissons après une exposition des œufs et des alevins
au bisphénol A. Le Tribunal aurait abouti à cette conclusion sur la base d’observations spéculatives faites par les auteurs de cette étude selon lesquels une période d’exposition plus longue aurait pu entraîner des effets sur la différenciation sexuelle des gonades.

105 En deuxième lieu, la requérante soutient que le Tribunal a jugé de manière erronée, au point 69 de l’arrêt attaqué, que l’ECHA n’avait pas omis de prendre en compte l’étude Rhodes et al. (2008), telle que publiée dans Mihaich et al. (2012). Selon la requérante, si l’ECHA avait tenu compte de cette étude, elle aurait dû conclure qu’il n’en ressortait aucun effet néfaste pertinent du bisphénol A pour la population du poisson tête de boule (Pimephales promelas).

106 En troisième lieu, la requérante reproche au Tribunal d’avoir dénaturé les éléments de preuve dont il disposait, en estimant que l’étude Sumpter et al. (2001) corrobore les conclusions de l’ECHA au motif que cette étude constate également une induction de la vittelogénine à la suite de l’exposition au bisphénol A, alors que l’augmentation de la vitellogénine ne serait pas constitutive, en elle-même, d’un effet néfaste.

107 En quatrième lieu, la requérante reproche au Tribunal d’avoir interprété de manière erronée, aux points 140 à 144 de l’arrêt attaqué, l’exercice, par l’ECHA, de son pouvoir d’appréciation et d’avoir dénaturé les éléments de preuve en considérant que tant l’étude Heimeier et al. (2009) que l’étude Iwamuro et al. (2003), deux études in vivo sur les amphibiens de l’espèce xenopus laevis, pouvaient se voir attribuer une note de fiabilité de 2, à savoir « fiable avec restrictions », sur l’échelle de
cotation de Klimisch et ainsi faire partie des éléments de preuve scientifiques de l’ECHA en tant qu’études clés.

108 En cinquième lieu, la requérante reproche au Tribunal d’avoir jugé, aux points 152 à 163 de l’arrêt attaqué, que l’ECHA n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant l’étude Chen et al. (2015) comme étant fiable et constituant une étude clé, dénaturant ainsi les éléments de preuve et violant le principe d’excellence scientifique.

109 En sixième lieu, la requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur en concluant que l’étude Chen et al. (2015) est fiable par référence aux études Segner et al. (2003a), Keiter et al. (2012) ainsi que Yokota et al. (2000), et omis de répondre à son argument selon lequel les études Segner et al. (2003a) et Keiter et al. (2012) n’avaient pas observé le ratio des sexes. En effet, le Tribunal aurait constaté, au point 158 de l’arrêt attaqué, que ces deux dernières études font état d’autres
indicateurs confirmant l’existence ou, à tout le moins, la vraisemblance d’un mode d’action endocrinien du bisphénol A, à savoir, notamment, une induction de la vittelogénine, alors qu’une induction de la vitellogénine ne serait pas un indicateur d’effets néfastes.

110 En septième et dernier lieu, le Tribunal aurait affirmé erronément, au point 159 de l’arrêt attaqué, et sans répondre aux arguments de la requérante, que, prises ensemble, l’étude Chen et al. (2015) ainsi que l’étude Yokota et al. (2000) contribuent à la force probante des éléments de preuve en ce qui concerne les effets du bisphénol A sur le ratio des sexes dans les populations de poissons. L’étude Yokota et al. (2000) aurait été réalisée à une concentration supérieure de quatre ordres de
grandeur à l’étude Chen et al. (2015), ainsi que le Tribunal l’aurait relevé dans l’arrêt attaqué, et la seule concentration dans l’étude Yokota et al. (2000) dans laquelle une modification du ratio des sexes avait été observée se serait située dans la gamme de la toxicité létale.

Appréciation de la Cour

111 Selon une jurisprudence constante de la Cour, lorsqu’il allègue une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal, un requérant doit, en application de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, indiquer de manière précise les éléments qui auraient été dénaturés et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le
Tribunal à cette dénaturation. Par ailleurs, une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 12 mai 2022, Klein/Commission, C‑430/20 P, EU:C:2022:377, point 23 et jurisprudence citée).

112 En l’occurrence, force est de constater qu’aucune des dénaturations alléguées par la requérante n’apparaît de manière manifeste des pièces du dossier, au sens de la jurisprudence rappelée au point 111 du présent arrêt.

113 Ce faisant, par son argumentation, la requérante cherche, en réalité, à obtenir un réexamen par la Cour des éléments de preuve produits devant le Tribunal, dont l’appréciation relève de la seule compétence de ce dernier, conformément à la jurisprudence rappelée au point 84 du présent arrêt.

114 Il résulte de ce qui précède que le troisième moyen doit être rejeté dans son intégralité comme étant irrecevable.

Sur le quatrième moyen, tiré d’une interprétation erronée du principe de précaution

Argumentation des parties

115 Par son quatrième moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a procédé à une interprétation erronée, aux points 88 et 223 de l’arrêt attaqué, du principe de précaution afin de permettre à l’ECHA de s’appuyer, lors de son appréciation des éléments de preuve, sur des études scientifiques non validées et non fiables et sur de prétendues incertitudes concernant la détermination d’un niveau sûr d’exposition. Ce principe, qui sous-tendrait l’ensemble des dispositions du règlement REACH, ne
pourrait être invoqué par l’ECHA afin de ne pas s’acquitter de l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 57, sous f), du règlement REACH et de ne pas respecter le principe d’excellence scientifique.

116 Selon la requérante, il ressort de l’arrêt du 1er octobre 2019, Blaise e.a. (C‑616/17, EU:C:2019:800, points 43 ainsi que 46), que le principe de précaution n’autorise l’adoption de mesures de protection que lorsqu’il subsiste des incertitudes sur l’existence ou la portée de risques. En revanche, ce principe ne signifierait pas que les agences de l’Union peuvent adopter des mesures sur la base de données scientifiques non fiables.

117 La requérante invoque également le titre 5.1 de la Communication de la Commission sur le recours au principe de précaution, intitulé « Les facteurs déclenchant le recours au principe de précaution », dont il résulterait que le champ d’application du principe de précaution se limite à l’incertitude entourant le point de savoir si ou dans quelle mesure une substance présente un risque. En revanche, ce principe ne pourrait être invoqué pour pallier l’insuffisance d’éléments, en l’espèce non
fiables, prouvant qu’une substance présente une propriété intrinsèque, à savoir un danger, ce qui est une étape précédant l’appréciation de la question de savoir si la substance présente réellement un risque pour la santé humaine ou l’environnement.

118 L’ECHA, la République fédérale d’Allemagne, la République française et ClientEarth contestent l’argumentation de la requérante et font valoir que le quatrième moyen est non fondé.

Appréciation de la Cour

119 En ce qui concerne le point 88 de l’arrêt attaqué, il y a lieu de relever que celui-ci s’inscrit dans une série de motifs exposés par le Tribunal aux points 71 à 90 de l’arrêt attaqué, afin de répondre à un grief par lequel la requérante a critiqué la prise en compte, par l’ECHA, d’études « non standard » ou « exploratoires », à savoir des études qui n’auraient pas été effectuées en conformité avec les méthodes validées à l’échelle nationale ou internationale.

120 Or, même à supposer que le Tribunal ait commis une erreur de droit au point 88 de l’arrêt attaqué, en ayant interprété de manière erronée le principe de précaution, cette erreur est sans incidence sur la constatation selon laquelle il n’existe pas d’interdiction de principe pour l’ECHA de prendre en considération des études « non standard » ou « exploratoires ». À cet égard, il y a lieu de relever que le Tribunal a rejeté le grief de la requérante en se fondant sur des arguments développés aux
points 87 et 89 de l’arrêt attaqué, lesquels n’ont pas été remis en cause par celle-ci dans le cadre de son pourvoi.

121 Partant, dans la mesure où il vise le point 88 de l’arrêt attaqué, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen comme étant inopérant.

122 Le point 223 de l’arrêt attaqué s’inscrit, quant à lui, dans un ensemble de motifs exposés par le Tribunal aux points 211 à 230 de l’arrêt attaqué, en vue de répondre à un grief par lequel la requérante a allégué l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation commise par l’ECHA dans l’identification d’un « niveau de préoccupation équivalent », au sens de l’article 57, sous f), du règlement REACH.

123 Plus spécifiquement, les points 221 à 223 de l’arrêt attaqué portent sur l’appréciation effectuée par l’ECHA, et la remise en question de celle-ci par la requérante, quant à l’impossibilité d’établir un niveau sûr d’exposition au bisphénol A.

124 Au point 222 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que l’ECHA avait pris en compte les incertitudes dans la détermination d’un niveau sûr d’exposition, résultant, d’une part, du fait que certains effets ne sauraient être observés que pendant certaines phases de vie, certaines périodes ou bien certaines saisons, et, d’autre part, du fait que le bisphénol A affecte une grande variété d’organismes à travers des modes d’action endocriniens différents.

125 C’est dans ce contexte que le Tribunal a relevé, au point 223 de l’arrêt attaqué, que, au vu de ces incertitudes à tout le moins plausibles, l’ECHA avait abordé avec prudence la question de la possibilité de déterminer un niveau sûr d’exposition au bisphénol A, cette prudence étant « notamment » justifiée à la lumière du principe de précaution sur lequel reposent les dispositions du règlement REACH en vertu de son article 1er, paragraphe 1. Le Tribunal en a déduit qu’il ne pouvait pas être
reproché à l’ECHA d’avoir justifié le niveau de préoccupation suscité par les effets du bisphénol A en raison de son mode d’action endocrinien, notamment, en invoquant les incertitudes qu’elle avait identifiées en vue de la détermination d’un niveau sûr d’exposition au bisphénol A.

126 À la lecture des motifs pertinents de l’arrêt attaqué, il n’apparaît pas, contrairement aux allégations de la requérante, que le Tribunal aurait interprété le principe de précaution de telle sorte que l’ECHA pouvait fonder la décision litigieuse sur des données scientifiques non fiables. En effet, au point 223 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a exposé que l’ECHA, en raison de l’existence d’incertitudes, a abordé avec prudence la question de la possibilité de déterminer un niveau sûr d’exposition
au bisphénol A, cette prudence étant justifiée à la lumière de ce principe.

127 Il y a lieu, en outre, de rappeler que le principe de précaution implique que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou la portée de risques pour la santé des personnes, des mesures de protection peuvent être prises sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. Lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué, en raison de la nature non concluante des résultats des études
menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour la santé publique persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives (arrêt du 16 juin 2022, SGL Carbon e.a./Commission, C‑65/21 P et C‑73/21 P à C‑75/21 P, EU:C:2022:470, point 96 ainsi que jurisprudence citée).

128 Eu égard aux incertitudes entourant la détermination d’un niveau sûr d’exposition au bisphénol A, c’est à bon droit que le Tribunal a considéré que la prudence de l’ECHA à cet égard était, notamment, justifiée à la lumière du principe de précaution, tel qu’interprété par la jurisprudence rappelée au point 127 du présent arrêt.

129 Il s’ensuit que le quatrième moyen doit être rejeté comme étant partiellement inopérant et partiellement non fondé.

Sur le cinquième moyen, tiré d’une interprétation erronée de l’article 2, paragraphe 8, sous b), du règlement REACH et d’une méconnaissance de l’obligation de motivation

Argumentation des parties

130 Par la première branche de son cinquième moyen, la requérante reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit aux points 243 à 271 de l’arrêt attaqué, en jugeant que les intermédiaires tels que le bisphénol A n’étaient pas exemptés de l’identification, au titre des articles 57 et 59 du règlement REACH, au motif que ces dispositions ne visent que les propriétés intrinsèques d’une substance et non pas l’utilisation de celle-ci, et qu’il n’était pas disproportionné pour l’ECHA d’inscrire le
bisphénol A sur la liste des substances candidates.

131 À cet égard, la requérante fait d’abord valoir, citant l’arrêt du 25 octobre 2017, PPG et SNF/ECHA (C‑650/15 P, EU:C:2017:802, point 59), que l’interprétation du Tribunal est contraire à l’interprétation littérale de l’article 2, paragraphe 8, sous b), du règlement REACH, qui exempte tous les intermédiaires du titre VII de ce règlement, dans la mesure où ils ont une existence temporaire et sont destinés, au titre de l’article 3, point 15, du règlement REACH, à être transformés en d’autres
substances.

132 Ensuite, au point 255 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait justifié son interprétation notamment par la nécessité de veiller à ce que les intermédiaires n’échappent pas à la procédure d’identification en tant que substances extrêmement préoccupantes. Or, les exigences énoncées à l’article 7, paragraphe 2, et à l’article 33 du règlement REACH n’auraient pas été conçues pour couvrir les intermédiaires. L’application de ces dispositions serait déclenchée par la présence, dans des objets fabriqués
à partir de substances chimiques, de substances répondant aux critères énoncés à l’article 57 de ce règlement. Partant, lesdites dispositions ne seraient pas destinées à couvrir les intermédiaires, ceux-ci étant destinés, par définition, à être transformés en d’autres substances de manière telle qu’ils ne sont plus censés être « présents ».

133 Enfin, la requérante soutient, d’une part, que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant, au point 252 de l’arrêt attaqué, que la notion d’« intermédiaire » fait référence aux utilisations d’une substance et, d’autre part, que les utilisations d’une substance ne sont pas pertinentes aux fins de l’identification en tant que substance extrêmement préoccupante. Il serait nécessaire d’opérer une distinction entre l’« utilisation d’une substance intermédiaire », notion employée
correctement dans la requête, et l’« intermédiaire en tant qu’utilisation », notion visée par l’ECHA et également interprétée par le Tribunal, dans l’arrêt attaqué et dans ses arrêts précédents, comme consistant en un certain type d’utilisation d’une substance.

134 Par la deuxième branche de son cinquième moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a méconnu son obligation de motivation en ne répondant pas à plusieurs arguments figurant dans la requête en annulation, différents des arguments avancés dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 25 octobre 2017, PPG et SNF/ECHA (C‑650/15 P, EU:C:2017:802), visé par le Tribunal dans l’arrêt attaqué.

135 Premièrement, le constat posé par le Tribunal au point 252 de l’arrêt attaqué, selon lequel « c’est un certain type d’utilisation des substances qui est couvert, notamment, par l’article 17, paragraphe 3, et l’article 18, paragraphe 4, du règlement [REACH] », ne répondrait pas aux observations de la requérante, émises au point 144 de sa requête en annulation, concernant les dispositions spécifiques de ce règlement relatives aux informations à communiquer pour l’enregistrement des substances
intermédiaires.

136 Deuxièmement, le Tribunal aurait également omis de répondre aux arguments soulevés au point 149 de la requête en annulation, selon lesquels l’interprétation juridique de la notion d’« intermédiaire » ne devrait pas être affectée par la circonstance particulière que les exigences relatives aux informations limitées, énoncées aux articles 17 et 18 du règlement REACH, ne sont pas applicables à un monomère, comme dans le cas de l’enregistrement du bisphénol A en tant qu’intermédiaire.

137 La requérante souligne que, en dépit de tous les arguments précités, qui corroboreraient la conclusion selon laquelle les substances intermédiaires ont un statut juridique particulier au sein du règlement REACH et ne devraient pas être considérées simplement comme un « certain type d’utilisation d’une substance », le Tribunal a simplement appliqué l’interprétation de la Cour dans l’arrêt du 25 octobre 2017, PPG et SNF/ECHA (C‑650/15 P, EU:C:2017:802).

138 Par la troisième branche de son cinquième moyen, la requérante affirme que le Tribunal a commis une erreur de droit, au point 258 de l’arrêt attaqué, en procédant à une interprétation erronée de ses écritures en tant qu’elles concernaient l’article 49 du règlement REACH.

139 En effet, la requérante aurait souligné, au point 148 de la requête en annulation, que non seulement les intermédiaires fabriqués et/ou utilisés dans des conditions strictement contrôlées pouvaient être enregistrés moyennant la transmission d’informations limitées, mais que les intermédiaires isolés restant sur le site qui sont utilisés dans des conditions strictement contrôlées étaient également spécifiquement exemptés de l’évaluation de la substance, au titre de l’article 49 du règlement
REACH.

140 Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait interprété erronément cet argument en affirmant que l’article 49 du règlement REACH aurait une « toute autre finalité » que l’identification au titre de l’article 57 de ce règlement. Cette motivation du Tribunal ne tiendrait pas compte du fait que l’article 49 dudit règlement s’applique spécifiquement lorsque l’autorité compétente d’un État membre estime qu’un risque est équivalent au niveau de préoccupation suscité par l’utilisation de substances
remplissant les critères de l’article 57 du même règlement. Ainsi, il ressortirait de la reprise des termes « niveau de préoccupation équivalent » et de la référence expresse à l’article 57 du règlement REACH que le législateur de l’Union avait clairement l’intention d’utiliser, pour les intermédiaires isolés restant sur le site, l’article 49 de ce règlement comme une procédure de gestion des risques différente de celle prévue sous le titre « Autorisation » dudit règlement.

141 L’ECHA, la République fédérale d’Allemagne et ClientEarth contestent l’argumentation de la requérante et, conjointement avec la République française, font valoir que le cinquième moyen est non fondé.

Appréciation de la Cour

142 En ce qui concerne la première branche du cinquième moyen, il suffit de relever que le Tribunal a appliqué à bon droit, aux points 251 à 257 de l’arrêt attaqué, l’arrêt du 25 octobre 2017, PPG et SNF/ECHA (C‑650/15 P, EU:C:2017:802), en ce qui concerne la portée de l’exemption prévue à l’article 2, paragraphe 8, sous b), du règlement REACH. En effet, au point 63 de cet arrêt, la Cour a jugé que cette exemption est inapplicable aux dispositions du titre VII du règlement REACH qui régissent les
substances en fonction de leurs propriétés intrinsèques, précisant que l’article 2, paragraphe 8, sous b), de ce règlement ne s’oppose donc pas à ce qu’une substance puisse être identifiée comme étant extrêmement préoccupante sur la base des critères prévus à l’article 57 dudit règlement, et ce quand bien même elle ne serait utilisée que comme intermédiaire isolé restant sur le site ou comme intermédiaire isolé transporté.

143 Partant, la première branche du cinquième moyen doit être rejetée comme étant non fondée.

144 En ce qui concerne la deuxième branche de ce moyen, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motiver les arrêts, qui incombe au Tribunal en vertu de l’article 36 et de l’article 53, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, n’impose pas à celui-ci de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation peut donc être implicite, à condition qu’elle
permette aux intéressés de connaître les motifs sur lesquels le Tribunal se fonde et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 9 décembre 2020, Groupe Canal +/Commission, C‑132/19 P, EU:C:2020:1007, point 45 et jurisprudence citée).

145 En l’occurrence, il y a lieu de constater que la motivation développée par le Tribunal, aux points 251 à 257 de l’arrêt attaqué, satisfait aux exigences rappelées au point 144 du présent arrêt, en ce qu’elle permet aux intéressés de connaître les motifs sur lesquels le Tribunal se fonde et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre d’un pourvoi.

146 Partant, cette deuxième branche doit être rejetée comme étant non fondée.

147 En ce qui concerne la troisième branche du cinquième moyen, qui porte sur une prétendue erreur de droit commise par le Tribunal au point 258 de l’arrêt attaqué, il y a lieu de relever qu’elle se fonde sur la prémisse selon laquelle les dispositions de l’article 49 du règlement REACH, applicables aux intermédiaires isolés restant sur le site, excluraient l’applicabilité de l’article 57 de ce règlement à de telles substances.

148 Or, ainsi qu’il ressort du point 258 de l’arrêt attaqué, cette prémisse est erronée. En effet, le régime prévu à l’article 49 du règlement REACH vise l’hypothèse d’un risque suscité par l’utilisation de substances comme intermédiaires isolés, restant sur le site dans des conditions strictement contrôlées, sans qu’il soit nécessaire, pour que cet article s’applique, que ces substances remplissent les critères de l’article 57 de ce règlement. Ledit article 49 a donc bien, ainsi qu’indiqué par le
Tribunal, une tout autre finalité que ledit article 57, et n’exclut nullement l’applicabilité de ce dernier lorsque les propriétés intrinsèques d’une substance justifient son inclusion à terme dans l’annexe XIV dudit règlement.

149 La référence à l’article 57 du règlement REACH, figurant dans l’article 49 de ce règlement, ne conduit pas à une autre conclusion. En effet, cette référence vise non pas à introduire une exception audit article 57, mais uniquement à déterminer le niveau de risque qui est requis pour que ledit article 49 s’applique, ce risque pour la santé humaine ou l’environnement devant être « équivalent au niveau de préoccupation suscité par l’utilisation de substances remplissant les critères de
l’article 57 ».

150 Partant, la troisième branche du cinquième moyen doit être rejetée comme étant non fondée.

151 Dans ces circonstances, il convient d’écarter le cinquième moyen comme étant non fondé et, en conséquence, de rejeter le pourvoi dans son intégralité.

Sur les dépens

152 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

153 L’article 184, paragraphe 4, du règlement de procédure dispose que, lorsqu’elle n’a pas, elle-même, formé le pourvoi, une partie intervenante en première instance ne peut être condamnée aux dépens dans la procédure de pourvoi que si elle a participé à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour. Lorsqu’une telle partie participe à la procédure, la Cour peut décider qu’elle supporte ses propres dépens.

154 L’ECHA et ClientEarth ayant conclu à la condamnation de PlasticsEurope et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

155 La République fédérale d’Allemagne, partie intervenante en première instance, supportera ses propres dépens.

156 La République française, partie intervenante en première instance, ayant participé à la phase écrite devant la Cour mais n’ayant pas conclu à la condamnation de PlasticsEurope aux dépens, supportera ses propres dépens.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

  1) Le pourvoi est rejeté.

  2) PlasticsEurope AISBL est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) et ClientEarth.

  3) La République fédérale d’Allemagne et la République française supportent leurs propres dépens.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-119/21
Date de la décision : 09/03/2023
Type d'affaire : Pourvoi - irrecevable, Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Établissement d’une liste des substances soumises à autorisation – Règlement (CE) no 1907/2006 – Annexe XIV – Liste de substances identifiées aux fins d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV – Mise à jour de l’inscription de la substance bisphénol A comme “substance extrêmement préoccupante”.

Santé publique

Rapprochement des législations

Environnement


Parties
Demandeurs : PlasticsEurope
Défendeurs : Agence européenne des produits chimiques (ECHA).

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar
Rapporteur ?: Rodin

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:180

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