ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
2 mars 2023 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Travailleurs migrants – Sécurité sociale – Législation applicable – Règlement (CE) no 987/2009 – Article 5 – Certificat A 1 – Retrait provisoire – Effet contraignant – Certificat obtenu ou invoqué de manière frauduleuse – Règlement (CE) no 883/2004 – Article 13, paragraphe 1, sous b), i) – Personnes exerçant normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres – Applicabilité de la législation de l’État membre du siège social – Notion de “siège social” –
Entreprise ayant obtenu une licence communautaire de transport en vertu des règlements (CE) no 1071/2009 et (CE) no 1072/2009 – Incidence – Licence obtenue ou invoquée de manière frauduleuse »
Dans les affaires jointes C‑410/21 et C‑661/21,
ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Hof van Cassatie (Cour de cassation, Belgique), par décisions du 29 juin 2021 (C‑410/21) et du 27 octobre 2021 (C‑661/21), parvenues à la Cour, respectivement, les 5 juillet 2021 et 4 novembre 2021, dans les procédures pénales contre
FU,
DRV Intertrans BV (C‑410/21),
et
Verbraeken J. en Zonen BV,
PN (C‑661/21),
LA COUR (deuxième chambre),
composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), MM. F. Biltgen, N. Wahl et J. Passer, juges,
avocat général : M. J. Richard de la Tour,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour FU et DRV Intertrans BV, par Me F. Vanden Bogaerde, advocaat,
– pour Verbraeken J. en Zonen BV, par Mes P. Bekaert et S. Bekaert, advocaten,
– pour PN, par Me F. Vanden Bogaerde, advocaat,
– pour le gouvernement belge, par M. S. Baeyens, Mmes C. Pochet et L. Van den Broecket, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K Bulterman et M. de Ree, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par M. D. Martin et Mme F. van Schaik, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 13, paragraphe 1, sous b), i), du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012 (JO 2012, L 149, p. 4) (ci-après le « règlement no 883/2004 »), de l’article 5 du règlement (CE) no 987/2009 du
Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement no 883/2004 (JO 2009, L 284, p. 1), tel que modifié par le règlement no 465/2012 (ci‑après le « règlement no 987/2009 »), de l’article 3, paragraphe 1, sous a), et de l’article 11, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1071/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, établissant des règles communes sur les conditions à respecter pour exercer la profession de transporteur par
route, et abrogeant la directive 96/26/CE du Conseil (JO 2009, L 300, p. 51), ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 1072/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, établissant des règles communes pour l’accès au marché du transport international de marchandises par route (JO 2009, L 300, p. 72).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux procédures pénales engagées, d’une part, contre FU et DRV Intertrans BV (affaire C‑410/21), et, d’autre part, contre Verbraeken J. en Zonen BV et PN (affaire C‑661/21), pour la commission de fraudes en matière de cotisations de sécurité sociale.
Le cadre juridique
Le règlement no 883/2004
3 Le considérant 15 du règlement no 883/2004 énonce :
« Il convient de soumettre les personnes qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté au régime de la sécurité sociale d’un seul État membre, afin d’éviter les cumuls de législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter. »
4 Le titre II du règlement no 883/2004, intitulé « Détermination de la législation applicable », comporte les articles 11 à 16 de celui-ci.
5 L’article 11, paragraphe 1, de ce règlement prévoit :
« Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément au présent titre. »
6 L’article 13, paragraphe 1, dudit règlement est libellé comme suit :
« La personne qui exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres est soumise :
[...]
b) si elle n’exerce pas une partie substantielle de ses activités dans l’État membre de résidence :
i) à la législation de l’État membre dans lequel l’entreprise ou l’employeur a son siège social ou son siège d’exploitation, si cette personne est salariée par une entreprise ou un employeur ; [...]
[...] »
7 En vertu de l’article 72, sous a), du même règlement, la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci‑après la « commission administrative ») est chargée notamment de traiter toute question administrative ou d’interprétation découlant des dispositions du règlement no 883/2004 ou de celles du règlement no 987/2009.
8 Aux termes de l’article 76 du règlement no 883/2004, intitulé « Coopération » :
« [...]
4. Les institutions et les personnes couvertes par le présent règlement sont tenues à une obligation mutuelle d’information et de coopération pour assurer la bonne application du présent règlement.
[...]
6. En cas de difficultés d’interprétation ou d’application du présent règlement, susceptibles de mettre en cause les droits d’une personne couverte par celui-ci, l’institution de l’État membre compétent ou de l’État membre de résidence de l’intéressé contacte la ou les institutions du ou des États membres concernés. À défaut d’une solution dans un délai raisonnable, les autorités concernées peuvent saisir la commission administrative. »
9 L’article 90, paragraphe 1, de ce règlement dispose :
« Le [règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (JO 1971, L 149, p. 2)] est abrogé à partir de la date d’application du présent règlement.
[...] »
Le règlement no 987/2009
10 Les considérants 2 et 6 du règlement no 987/2009 énoncent :
« (2) L’organisation d’une coopération plus efficace et plus étroite entre les institutions de sécurité sociale est un facteur essentiel pour permettre aux personnes concernées par le [règlement no 883/2004] de faire valoir leurs droits dans les meilleurs délais et dans les meilleures conditions possibles.
[...]
(6) Le renforcement de certaines procédures devrait apporter plus de sécurité juridique et de transparence aux utilisateurs du [règlement no 883/2004]. [...] »
11 Sous l’intitulé « Valeur juridique des documents et pièces justificatives établis dans un autre État membre », l’article 5 de ce règlement dispose :
« 1. Les documents établis par l’institution d’un État membre qui attestent de la situation d’une personne aux fins de l’application du [règlement no 883/2004] et du [présent règlement], ainsi que les pièces justificatives y afférentes, s’imposent aux institutions des autres États membres aussi longtemps qu’ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par l’État membre où ils ont été établis.
2. En cas de doute sur la validité du document ou l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant, l’institution de l’État membre qui reçoit le document demande à l’institution émettrice les éclaircissements nécessaires et, le cas échéant, le retrait dudit document. L’institution émettrice réexamine ce qui l’a amenée à établir le document et, au besoin, le retire.
3. En application du paragraphe 2, en cas de doute sur les informations fournies par les intéressés, sur le bien‑fondé d’un document ou d’une pièce justificative, ou encore sur l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant, l’institution du lieu de séjour ou de résidence procède, pour autant que cela soit possible, à la demande de l’institution compétente, à la vérification nécessaire desdites informations ou dudit document.
4. À défaut d’un accord entre les institutions concernées, les autorités compétentes peuvent saisir la commission administrative au plus tôt un mois après la date à laquelle l’institution qui a reçu le document a présenté sa demande. La commission administrative s’efforce de concilier les points de vue dans les six mois suivant sa saisine. »
12 L’article 14, paragraphe 5 bis, premier alinéa, dudit règlement est libellé comme suit :
« Aux fins de l’application du titre II du [règlement no 883/2004], on entend par “siège social ou siège d’exploitation” le siège social ou le siège d’exploitation où sont adoptées les décisions essentielles de l’entreprise et où sont exercées les fonctions d’administration centrale de celle-ci. »
13 Aux termes de l’article 19, paragraphe 2, du même règlement :
« À la demande de la personne concernée ou de l’employeur, l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable en vertu d’une disposition du titre II du [règlement no 883/2004] atteste que cette législation est applicable et indique, le cas échéant, jusqu’à quelle date et à quelles conditions. »
14 L’article 20 du règlement no 987/2009, intitulé « Coopération entre institutions », énonce :
« 1. Les institutions concernées communiquent à l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable à une personne en vertu du titre II du [règlement no 883/2004] les informations nécessaires pour déterminer la date à laquelle cette législation devient applicable et établir les cotisations dont cette personne et son ou ses employeurs sont redevables au titre de cette législation.
2. L’institution compétente de l’État membre dont la législation devient applicable à une personne en vertu du titre II du [règlement no 883/2004] met à la disposition de l’institution désignée par l’autorité compétente de l’État membre à la législation duquel la personne était soumise en dernier lieu les informations indiquant la date à laquelle l’application de cette législation prend effet. »
15 L’article 96, paragraphe 1, de ce règlement dispose :
« Le règlement (CEE) no 574/72 [du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement no 1408/71 (JO 1972, L 74, p. 1),] est abrogé à partir du 1er mai 2010.
[...] »
Le règlement no 1071/2009
16 L’article 3 du règlement no 1071/2009, intitulé « Exigences pour exercer la profession de transporteur par route », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Les entreprises qui exercent la profession de transporteur par route :
a) sont établies de façon stable et effective dans un État membre ;
[...] »
17 Sous l’intitulé « Conditions relatives à l’exigence d’établissement », l’article 5 de ce règlement est libellé comme suit :
« Pour satisfaire à l’exigence prévue à l’article 3, paragraphe 1, point a), une entreprise, dans l’État membre concerné :
a) dispose d’un établissement, situé dans ledit État membre, avec des locaux dans lesquels elle conserve ses principaux documents d’entreprise, notamment ses documents comptables, les documents de gestion du personnel, les documents contenant les données relatives au temps de conduite et de repos et tout autre document auquel l’autorité compétente doit pouvoir accéder pour vérifier le respect des conditions prévues par le présent règlement. Les États membres peuvent prévoir que les établissements
situés sur leur territoire tiennent aussi d’autres documents à disposition dans leurs locaux, en permanence ;
b) une fois qu’une autorisation est accordée, dispose d’un ou de plusieurs véhicules, qui sont immatriculés ou mis en circulation par un autre moyen conformément à la législation dudit État membre, que ces véhicules soient détenus en pleine propriété ou, par exemple, en vertu d’un contrat de location-vente ou d’un contrat de location ou de crédit-bail (leasing) ;
c) dirige effectivement et en permanence ses activités relatives aux véhicules visés au point b) en disposant des équipements administratifs nécessaires, ainsi que des équipements et des installations techniques appropriés dans un centre d’exploitation situé dans cet État membre. »
18 L’article 11, paragraphe 1, dudit règlement dispose :
« Une entreprise de transport qui satisfait aux exigences prévues à l’article 3 est autorisée, sur demande, à exercer la profession de transporteur par route. L’autorité compétente vérifie qu’une entreprise qui introduit une demande satisfait aux exigences prévues audit article. »
19 L’article 12, paragraphe 1, du même règlement énonce :
« Les autorités compétentes vérifient que les entreprises qu’elles ont autorisées à exercer la profession de transporteur par route continuent de satisfaire aux exigences prévues à l’article 3. [...] »
Le règlement no 1072/2009
20 Aux termes de l’article 3 du règlement no 1072/2009 :
« Les transports internationaux sont exécutés sous le couvert d’une licence communautaire, combinée, si le conducteur est ressortissant d’un pays tiers, avec une attestation de conducteur. »
21 L’article 4, paragraphe 1, de ce règlement prévoit :
« La licence communautaire est délivrée par un État membre, conformément au présent règlement, à tout transporteur de marchandises par route pour compte d’autrui qui est :
a) établi dans ledit État membre conformément à la législation communautaire et à la législation nationale de cet État membre ; et
b) habilité dans l’État membre d’établissement, conformément à la législation communautaire et à la législation nationale de cet État membre en matière d’accès à la profession de transporteur par route, à effectuer des transports internationaux de marchandises par route. »
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
L’affaire C‑410/21
22 FU est le gérant de DRV Intertrans BV, une société établie en Belgique. Il a constitué avec son épouse la société Md Intercargo s. r. o., établie en Slovaquie. Ces deux sociétés ont pour activité le transport national et international.
23 L’autorité compétente slovaque a émis des certificats A 1, attestant, en application de l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 987/2009, l’affiliation de plusieurs travailleurs de la société Md Intercargo à la sécurité sociale slovaque (ci‑après les « travailleurs concernés »).
24 Les activités de FU et les liens entre les sociétés susmentionnées ont fait l’objet d’un contrôle par la Sociale Inspectie (Inspection sociale, Belgique) (ci-après l’« inspection sociale belge »), lequel a révélé que Md Intercargo était en réalité dirigée depuis la Belgique où avait lieu la plupart de ses services de transport. Selon l’inspection sociale belge, Md Intercargo avait été constituée afin d’affecter à DRV Intertrans une main‑d’œuvre bon marché en détachant des travailleurs. Bien
qu’elle soit titulaire d’une licence communautaire de transport routier émise par les autorités slovaques, Md Intercargo n’aurait eu aucune activité économique pertinente en Slovaquie, ce qui aurait été confirmé par les autorités de cet État membre en réponse à une question de l’inspection sociale belge.
25 Sur le fondement du contrôle ainsi effectué par l’inspection sociale belge, des poursuites pénales ont été engagées contre FU et DRV Intertrans devant le correctionele rechtbank West-Vlaanderen, afdeling Brugge (tribunal correctionnel de Flandre occidentale, division de Bruges, Belgique), pour fraude en matière de cotisations de sécurité sociale durant la période allant du 17 juillet 2013 au 11 octobre 2014.
26 Au cours de cette procédure pénale, l’inspection sociale belge a, le 26 octobre 2016, demandé à l’institution émettrice slovaque de retirer rétroactivement les certificats A 1 relatifs aux travailleurs concernés.
27 Par lettre du 20 décembre 2016, l’institution émettrice slovaque a répondu qu’elle avait vainement tenté d’effectuer un contrôle de la société MD Intercargo et a demandé à l’inspection sociale belge de lui transmettre les résultats de son enquête et tous les éléments de preuve réunis dans le cadre de cette affaire afin de lui permettre de décider si elle acceptait d’appliquer rétroactivement le régime de sécurité sociale belge aux travailleurs concernés. Compte tenu des doutes sérieux qu’elle
éprouvait quant au véritable siège social de cette société et de l’existence de la procédure pénale évoquée aux points 25 et 26 du présent arrêt, l’institution émettrice slovaque a indiqué qu’elle retirait provisoirement tous les certificats A 1 relatifs aux travailleurs concernés, de telle sorte que ces certificats n’auraient plus désormais de force obligatoire et que les autorités belges pourraient ainsi poursuivre ladite procédure pénale. Toutefois, cette institution émettrice a souligné,
premièrement, que tant les éléments de preuve que l’inspection sociale belge était censée lui transmettre que l’issue de la procédure pénale pendante devant les juridictions belges lui permettraient de déterminer définitivement la législation applicable aux travailleurs concernés, et deuxièmement, que, en attendant, ces travailleurs resteraient assujettis au régime de sécurité sociale slovaque et qu’aucun des certificats A 1 en cause ne serait définitivement retiré.
28 Par un jugement du 10 mai 2017, le correctionele rechtbank West-Vlaanderen, afdeling Brugge (tribunal correctionnel de Flandre occidentale, division de Bruges) a déclaré FU et DRV Intertrans coupables de fraude en matière de cotisations de sécurité sociale. Ce jugement a été, d’abord, confirmé par un arrêt du 4 octobre 2018 du hof van beroep te Gent (cour d’appel de Gand, Belgique), puis, cassé par un arrêt du 9 avril 2019 du Hof van Cassatie (Cour de cassation, Belgique), qui a renvoyé l’affaire
au hof van beroep te Antwerpen (cour d’appel d’Anvers, Belgique).
29 Par un arrêt du 11 février 2021 rendu par cette dernière juridiction, FU et DRV Intertrans ont été reconnus coupables de fraude en matière de cotisations de sécurité sociale. Il ressort de cet arrêt que, compte tenu de leur retrait provisoire par l’institution émettrice slovaque, les certificats A 1 en cause au principal ont été considérés comme étant non contraignants et, dès lors, comme étant dépourvus de toute force probante en ce qui concerne le régime de sécurité sociale applicable aux
travailleurs concernés. De même, il a été considéré que la licence communautaire de transport routier dont bénéficiait la société MD Intercargo n’avait aucune incidence sur la détermination dudit régime et n’imposait pas de considérer que cette société disposait d’un établissement stable et effectif en Slovaquie aux fins des règlements nos 883/2004 et 987/2009.
30 FU et DRV Intertrans ont formé un pourvoi contre cet arrêt devant la juridiction de renvoi, à savoir le Hof van Cassatie (Cour de cassation). Dans le cadre de ce pourvoi, d’une part, les requérants au principal font valoir notamment que l’article 5 du règlement no 987/2009 ne permet pas le retrait ou la suspension provisoire des certificats A 1, de telle sorte que les certificats A 1 retirés provisoirement par l’institution émettrice slovaque gardaient toute leur valeur. D’autre part, ces mêmes
requérants au principal soutiennent que, en application notamment des articles 5, 11 et 12 du règlement no 1071/2009 ainsi que des articles 3 et 4 du règlement no 1072/2009, la détention par une société d’une licence communautaire de transport routier constitue une preuve irréfragable de l’existence d’un établissement stable et effectif dans l’État membre l’ayant délivrée, et, dès lors, du siège social de cette société dans cet État membre, aux fins de l’article 13, paragraphe 1, du
règlement no 883/2004.
31 Dans ces conditions, le Hof van Cassatie (Cour de cassation) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 5 du [règlement no 987/2009] doit-il être interprété en ce sens que, si, après que les autorités de l’État membre d’emploi ont demandé de retirer rétroactivement des certificats A 1, les autorités de l’État membre qui ont émis [ces certificats] se contentent de [les] retirer provisoirement en indiquant qu’ils n’ont plus de force obligatoire, de telle sorte que la procédure pénale peut être poursuivie dans l’État membre d’emploi, et que l’État membre qui a émis [lesdits certificats]
ne statuera définitivement qu’après que la procédure pénale sera définitivement close dans l’État membre d’emploi, la présomption qui s’attache aux certificats A 1 de régularité de l’affiliation des travailleurs concernés au régime de sécurité sociale de cet État membre d’émission devient caduque et ces certificats A 1 ne lient plus les autorités de l’État membre d’emploi ? Si cette question appelle une réponse négative, au vu de la jurisprudence de la [Cour], les autorités de l’État membre
d’emploi peuvent-elles ne pas tenir compte desdits certificats A 1 pour fraude ?
2) L’article 13, paragraphe 1, sous b), i), du [règlement no 883/2004], l’article 3, paragraphe 1, sous a), et l’article 11, paragraphe 1, du [règlement no 1071/2009], et l’article 4, paragraphe 1, sous a), du [règlement no 1072/2009] doivent-ils être interprétés en ce sens que le fait qu’une entreprise ait obtenu une licence de transport dans un État membre conformément au [règlement no 1071/2009] et au [règlement no 1072/2009] et doive donc être établie de façon stable et effective dans cet
État membre constitue nécessairement la preuve irréfragable que son siège social est établi dans cet État membre au sens de l’article 13, paragraphe 1, du [règlement no 883/2004] aux fins de la détermination du régime de sécurité sociale applicable et [en ce sens] que les autorités de l’État membre d’emploi sont liées par ce constat ? »
L’affaire C‑661/21
32 PN est le gérant de Verbraeken J. en Zonen BV (ci-après « Verbraeken »), une société de transport établie à Melle (Belgique). Par ailleurs, PN est copropriétaire de Uab Van Daele F. (ci-après « Van Daele »), une société spécialisée dans les services de transport et de logistique établie en Lituanie et disposant d’une licence communautaire de transport routier émise par les autorités lituaniennes.
33 Selon une enquête menée par l’inspection sociale belge, PN et Verbraeken auraient utilisé Van Daele pour employer des chauffeurs lituaniens en Belgique. Ces derniers, après avoir été recrutés en Lituanie, seraient immédiatement allés en Belgique afin de signer leurs contrats de travail et d’exercer leur activité depuis cet État membre, à partir des locaux de Verbraeken. Ils circuleraient principalement en Belgique et dans les pays voisins et retourneraient dans ces locaux pour leurs périodes de
repos obligatoire. Les documents de transport et les disques tachygraphiques seraient traités au bureau de PN à Melle.
34 Des poursuites pénales ont été engagées contre PN et Verbraeken, notamment, pour fraude en matière de cotisations de sécurité sociale durant la période allant du 1er juillet 2011 au 4 décembre 2015.
35 Par un jugement du 18 septembre 2019, le correctionele rechtbank van Oost‑Vlaanderen, afdeling Gent (tribunal correctionnel de Flandre orientale, division de Gand, Belgique) a déclaré PN et Verbraeken coupables de ce délit. Ce jugement a été partiellement annulé par un arrêt du 18 mars 2021 du hof van beroep te Gent (cour d’appel de Gand) en tant qu’il déclarait les faits constitutifs dudit délit comme étant établis au regard de PN et de Verbraeken pour la période allant du 20 janvier 2014 au
4 décembre 2015.
36 PN et Verbraeken ont formé un pourvoi contre cet arrêt devant la juridiction de renvoi, en faisant valoir notamment que, en application des articles 5, 11 et 12 du règlement no 1071/2009 ainsi que de l’article 4 du règlement no 1072/2009, la détention par une société d’une licence communautaire de transport routier constituait une preuve irréfragable de l’existence d’un établissement stable et effectif dans l’État membre l’ayant délivrée, et, dès lors, du siège social de cette société dans cet
État membre, aux fins de l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 883/2004.
37 Dans ces conditions, le Hof van Cassatie (Cour de cassation) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 13, paragraphe 1, sous b), i), du [règlement no 883/2004], l’article 3, paragraphe 1, sous a), et l’article 11, paragraphe 1, du [règlement no 1071/2009], et l’article 4, paragraphe 1, sous a), du [règlement no 1072/2009] doivent-ils être interprétés en ce sens que le fait qu’une entreprise ait obtenu une licence de transport dans un État membre conformément au [règlement no 1071/2009] et au [règlement no 1072/2009] et doive donc être établie de façon stable et effective dans cet
État membre constitue la preuve irréfragable que son siège social est établi dans cet État membre au sens de l’article 13, paragraphe 1, du [règlement no 883/2004] aux fins de la détermination du régime de sécurité sociale applicable et [en ce sens que] les autorités de l’État membre d’emploi sont liées par ce constat ?
2) La juridiction nationale de l’État membre d’emploi qui constate que la licence de transport en cause a été obtenue par fraude peut‑elle ignorer l’existence de cette licence ou les autorités de l’État membre d’emploi doivent‑elles, en raison de la constatation d’une fraude, demander au préalable le retrait de cette licence aux autorités qui l’ont délivrée ? »
38 Par décision du président de la Cour du 13 septembre 2022, les affaires C‑410/21 et C‑661/21 ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt.
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question dans l’affaire C‑410/21
39 Il ressort de la demande de décision préjudicielle concernant l’affaire C‑410/21 que, à la suite d’une demande de réexamen et de retrait des certificats A 1 en cause au principal, adressée par l’inspection sociale belge à l’institution émettrice slovaque, cette dernière éprouvant des doutes quant aux faits à l’origine de l’émission de ces certificats et quant à la législation de sécurité sociale applicable aux travailleurs concernés, a déclaré qu’elle retirait provisoirement lesdits certificats,
lesquels n’auraient pas de force obligatoire jusqu’à ce qu’elle détermine le régime de sécurité sociale applicable aux travailleurs concernés et qu’elle statue, en conséquence, sur ladite demande après la clôture de la procédure pénale engagée devant les juridictions belges contre les prévenus au principal pour des actes pouvant impliquer l’obtention ou l’utilisation frauduleuse des mêmes certificats.
40 Ainsi, en « retirant provisoirement » les certificats A 1 en cause au principal, l’institution émettrice slovaque a, en définitive, entendu suspendre les effets juridiques de ces certificats pendant une période déterminée.
41 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, par sa première question dans l’affaire C‑410/21, la juridiction de renvoi demande, en substance, d’abord, si l’article 5 du règlement no 987/2009 doit être interprété en ce sens qu’un certificat A 1 délivré par l’institution compétente d’un État membre cesse de lier les institutions et les juridictions de l’État membre dans lequel le travail est effectué lorsque, à la suite d’une demande de réexamen et de retrait adressée par l’institution
compétente de ce dernier État membre à l’institution émettrice, celle-ci a déclaré suspendre les effets contraignants de ce certificat jusqu’à ce qu’elle statue définitivement sur cette demande. En cas de réponse négative à cette première interrogation, la juridiction de renvoi demande, ensuite, si, dans de telles circonstances, une juridiction de l’État membre dans lequel le travail est effectué, saisie d’une procédure pénale diligentée contre des personnes soupçonnées d’avoir obtenu ou utilisé
frauduleusement ce même certificat A 1, peut toutefois constater l’existence d’une fraude et écarter en conséquence ledit certificat.
42 À titre liminaire, il convient de rappeler que le certificat A 1, qui a remplacé le certificat E 101 prévu par le règlement no 574/72, correspond à un formulaire type délivré, conformément au titre II du règlement no 987/2009, par l’institution désignée par l’autorité compétente de l’État membre dont la législation en matière de sécurité sociale est applicable pour attester, selon les termes, notamment, de l’article 19, paragraphe 2, de ce règlement, de la soumission des travailleurs se trouvant
dans l’une des situations visées au titre II du règlement no 883/2004 à la législation de cet État membre. Ce faisant, en raison du principe selon lequel les travailleurs doivent être affiliés à un seul régime de sécurité sociale, ce certificat implique nécessairement que les régimes de sécurité sociale des autres États membres ne sont pas susceptibles de s’appliquer (arrêt du 14 mai 2020, Bouygues travaux publics e.a., C‑17/19, EU:C:2020:379, points 38 et 39 ainsi que jurisprudence citée).
43 Ainsi que la Cour l’a déjà relevé, le règlement no 987/2009 a codifié la jurisprudence de la Cour concernant la portée et les effets juridiques du certificat E 101 et la procédure à suivre pour résoudre les éventuels différends entres les institutions des États membres concernés portant sur la validité ou l’exactitude de ce certificat, en consacrant, d’une part, le caractère contraignant de tels certificats et la compétence exclusive de l’institution émettrice quant à l’appréciation de leur
validité, et en reprenant explicitement, d’autre part, la procédure de dialogue entre les institutions compétentes des États membres concernés et de conciliation devant la commission administrative en tant que moyen pour résoudre les différends entre ces institutions tant sur l’exactitude des documents établis que sur la détermination de la législation applicable au travailleur concerné (voir arrêt du 6 septembre 2018, Alpenrind e.a., C‑527/16, EU:C:2018:669, point 43 et jurisprudence citée).
44 En particulier, l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 prévoit que les documents établis par l’institution d’un État membre qui attestent de la situation d’une personne aux fins de l’application des règlements nos 883/2004 et 987/2009 ainsi que les pièces justificatives y afférentes s’imposent aux institutions des autres États membres aussi longtemps qu’ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par l’État membre dans lequel ils ont été établis.
45 À cet égard, la Cour a déjà précisé qu’un certificat A 1, délivré par l’institution compétente d’un État membre lie non seulement les institutions de l’État membre dans lequel l’activité est exercée, mais également les juridictions de cet État membre (arrêt du 6 septembre 2018, Alpenrind e.a., C‑527/16, EU:C:2018:669, point 47).
46 L’article 5, paragraphes 2 à 4, du règlement no 987/2009 précise les modalités d’application de la procédure prévue à l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004 aux fins de la résolution des différends entre l’institution de l’État membre qui reçoit les documents et les pièces visées au paragraphe 1 de cet article 5 et l’institution émettrice de ces documents. Plus particulièrement, les paragraphes 2 et 3 dudit article 5 précisent les démarches que ces institutions sont appelées à
suivre en cas de doute sur la validité de tels documents et pièces justificatives ou sur l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant, en imposant à l’institution émettrice de réexaminer le bien‑fondé de la délivrance desdits documents et, le cas échéant, de les retirer. Le paragraphe 4 de ce même article 5, quant à lui, dispose que, à défaut d’un accord entre les institutions concernées, les autorités compétentes peuvent saisir la commission administrative, laquelle
s’efforce de concilier les points de vue dans les six mois suivant sa saisine.
47 Il convient de vérifier, dans un premier temps, si un certificat A 1 dont les effets ont été provisoirement suspendus est dépourvu d’effets contraignants à l’égard des institutions et des juridictions des États membres au cours de cette période de suspension provisoire.
48 À cet égard, en premier lieu, il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 que seuls le retrait et la déclaration d’invalidité des certificats A 1 privent ces derniers de leurs effets contraignants à l’égard des institutions et des juridictions des États membres.
49 Le terme « retrait » employé par le législateur de l’Union européenne impliquant, dans son acception en droit, la disparition d’un acte ou sa suppression rétroactive sur le fondement d’une décision de l’administration qui en est l’auteur, le libellé de l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009 suggère que la décision de l’institution émettrice de suspendre provisoirement un certificat A 1 n’entraîne pas la perte des effets contraignants qui lui sont attachés. Cette interprétation est
corroborée par le fait que, outre le cas du retrait, le législateur de l’Union n’a prévu la perte des effets contraignants attachés aux certificats A 1 qu’en cas de déclaration d’invalidité de ces certificats, déclaration qui revêt elle aussi le caractère d’un acte définitif équivalent à une annulation desdits certificats.
50 En deuxième lieu, la décision de l’institution émettrice, saisie d’une demande de retrait d’un certificat A 1 formée par l’institution d’un autre État membre, de retirer ce certificat aux fins de l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 987/2009, doit être prise dans le cadre de la procédure de dialogue et de conciliation entre institutions prévue à l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004, dont les modalités d’application sont précisées à l’article 5, paragraphes 2 à 4, du
règlement no 987/2009, lorsque, à la suite du réexamen du bien-fondé de la délivrance dudit certificat, l’institution émettrice estime, eu égard à la situation réelle du travailleur concerné, que son régime de sécurité sociale n’est pas applicable à ce travailleur.
51 Il s’ensuit que seule la décision de retrait d’un certificat A 1 adoptée par l’institution émettrice conformément à cette procédure de dialogue et de conciliation, et, dès lors, à la suite du réexamen du bien‑fondé de la délivrance d’un tel certificat et de la détermination du régime de sécurité sociale applicable au travailleur concerné, est de nature à priver ledit certificat de ses effets contraignants.
52 Dans ce contexte, il importe de rappeler que, ainsi que la Cour l’a déjà relevé, ladite procédure de dialogue et de conciliation doit être observée par les institutions des États membres amenées à appliquer les règlements nos 883/2004 et 987/2009 lorsqu’il existe des différends entre les institutions des États membres concernés portant sur la validité ou l’exactitude d’un certificat A 1 (voir en ce sens, s’agissant du règlement no 1408/71, arrêt du 27 avril 2017, A-Rosa Flussschiff, C‑620/15,
EU:C:2017:309, point 53).
53 Or, admettre que l’institution émettrice puisse priver, ne serait-ce que provisoirement, un certificat A 1 de ses effets contraignants sans avoir préalablement réexaminé le bien-fondé de sa délivrance ni déterminé quel est le régime de sécurité sociale applicable au travailleur concerné reviendrait à méconnaître tant les modalités d’application que la finalité de ladite procédure de dialogue et de conciliation.
54 En troisième lieu, il convient de rappeler l’importance accordée, dans le cadre des règlements no s 883/2004 et 987/2009, aux principes d’unicité de la législation nationale applicable, de coopération loyale et de sécurité juridique qui sous‑tendaient tous la jurisprudence de la Cour relative à l’effet contraignant des certificats E 101. En effet, si le principe de sécurité juridique est invoqué, notamment au considérant 6 du règlement no 987/2009, le principe de l’affiliation des travailleurs
salariés à un seul régime de sécurité sociale est énoncé au considérant 15 ainsi qu’à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, tandis que l’importance du principe de coopération loyale ressort tant de l’article 76 du règlement no 883/2004 que du considérant 2 et de l’article 20 du règlement no 987/2009 (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2018, Alpenrind e.a., C‑527/16, EU:C:2018:669, point 45).
55 Or, dans l’hypothèse visée au point 53 du présent arrêt, le principe de coopération loyale sur lequel est fondée la procédure de dialogue et de conciliation serait méconnu en raison du non‑respect de cette procédure.
56 Par ailleurs, dans une telle hypothèse, l’absence d’effets contraignants du certificat A 1 en cause permettrait aux institutions des autres États membres, et, notamment, à celle de l’État membre ayant émis des doutes sur l’exactitude et la validité dudit certificat, de soumettre le travailleur concerné à leurs propres régimes de sécurité sociale. Ainsi, une interprétation de l’article 5 du règlement no 987/2009 permettant à l’institution émettrice de suspendre provisoirement un certificat A 1, en
le privant, au cours de cette période provisoire, des effets contraignants qui lui sont attachés, serait de nature à accroître le risque de cumul de régimes de sécurité sociale, ce qui porterait atteinte au principe d’affiliation des travailleurs salariés à un seul régime de sécurité sociale ainsi qu’à la prévisibilité du régime applicable et, partant, au principe de sécurité juridique (voir en ce sens, s’agissant du règlement no 1408/71, arrêt du 2 avril 2020, CRPNPAC et Vueling Airlines,
C‑370/17 et C‑37/18, EU:C:2020:260, point 70 ainsi que jurisprudence citée).
57 À cet égard, il importe de relever qu’un tel risque ne saurait être écarté par une déclaration de l’institution émettrice du certificat A 1, précisant que, au cours de la période de cessation provisoire des effets contraignants dudit certificat, le travailleur concerné resterait assujetti à son régime de sécurité sociale. En effet, une telle déclaration ne saurait produire les effets propres à un certificat A 1 parmi lesquels figure l’effet contraignant à l’égard des institutions et des
juridictions des États membres autres que celui dont relève l’institution émettrice de tels certificats.
58 En quatrième et dernier lieu, compte tenu des complications que l’éventuel cumul de régimes de sécurité sociale serait susceptible d’impliquer, une interprétation de l’article 5 du règlement no 987/2009 telle que celle évoquée au point 56 du présent arrêt serait également susceptible de compromettre l’objectif ultime poursuivi tant par les certificats A 1 que par la réglementation de droit matériel prévue au titre II de ce règlement, à savoir faciliter la libre circulation des travailleurs et la
libre prestation des services (voir, par analogie, arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C‑359/16, EU:C:2018:63, point 35 ainsi que jurisprudence citée).
59 Il résulte de ce qui précède qu’un certificat A 1, bien qu’ayant été suspendu provisoirement par une décision de l’institution émettrice, n’est pas dépourvu de ses effets contraignants pendant cette période de suspension provisoire, de telle sorte qu’il continue à lier les institutions et les juridictions des États membres.
60 Il convient, dès lors, de vérifier, dans un second temps, si, dans des circonstances telles que celles évoquées au point 39 du présent arrêt, une juridiction de l’État membre dans lequel le travail est effectué, saisie dans le cadre d’une procédure pénale diligentée contre des personnes soupçonnées d’avoir obtenu ou utilisé frauduleusement le certificat A 1 en cause, peut toutefois constater l’existence d’une fraude et écarter en conséquence ce certificat.
61 À cet égard, il importe de rappeler que la Cour a déjà jugé que la juridiction de l’État membre d’accueil saisie dans le cadre d’une procédure diligentée contre un employeur pour des faits de nature à révéler une obtention ou une utilisation frauduleuses de certificats A 1 ne peut se prononcer de manière définitive sur l’existence d’une telle fraude et écarter ces certificats que si elle constate, après avoir, pour autant que de besoin, procédé à la suspension de la procédure judiciaire en vertu
de son droit national, que, la procédure de dialogue et de conciliation prévue à l’article 76, paragraphe 6, du règlement no 883/2004 ayant été promptement enclenchée, l’institution émettrice desdits certificats s’est abstenue de procéder à leur réexamen et de prendre position, dans un délai raisonnable, sur les éléments présentés par l’institution compétente de l’État membre d’accueil, le cas échéant en annulant ou en retirant ces mêmes certificats (voir, par analogie, arrêt du 2 avril 2020,
CRPNPAC et Vueling Airlines, C‑370/17 et C‑37/18, EU:C:2020:260, point 80).
62 En effet, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, cette procédure de dialogue et de conciliation constitue un préalable obligatoire aux fins de déterminer si les conditions de l’existence d’une fraude sont réunies et, partant, de tirer toute conséquence utile en ce qui concerne la validité des certificats A 1 en cause et la législation de sécurité sociale applicable aux travailleurs concernés. Ainsi, une juridiction de l’État membre d’accueil saisie d’une procédure pénale telle que celle au principal ne
saurait ignorer ladite procédure de dialogue et de conciliation (voir, par analogie, arrêt du 2 avril 2020, CRPNPAC et Vueling Airlines, C‑370/17 et C‑37/18, EU:C:2020:260, points 71 et 73).
63 En l’occurrence, si la procédure de dialogue et de conciliation a bien été enclenchée, l’institution émettrice des certificats A 1 en cause au principal a, toutefois, en méconnaissant les modalités d’application de cette procédure, décidé de différer le réexamen de la validité de ces certificats et l’appréciation du régime de sécurité sociale applicable aux travailleurs concernés jusqu’à la clôture de la procédure pénale pendante devant les juridictions de l’État membre dans lequel le travail est
effectué.
64 Dans ces conditions, il apparaît que ladite institution émettrice s’est abstenue de procéder au réexamen des certificats dont l’obtention ou l’utilisation frauduleuse a été mise en cause dans le cadre de la procédure pénale susmentionnée et de prendre position, dans un délai raisonnable, sur les éléments présentés à cet égard par l’institution compétente de l’État membre d’accueil.
65 Par conséquent, ces éléments doivent pouvoir être invoqués dans le cadre de ladite procédure pénale, aux fins d’obtenir du juge de l’État membre dans lequel le travail est effectué qu’il écarte les certificats en cause (voir arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C‑359/16, EU:C:2018:63, point 55).
66 En tout état de cause, il convient de rappeler que les personnes auxquelles il est reproché, dans le cadre d’une procédure judiciaire, d’avoir eu recours à des travailleurs détachés sous le couvert de certificats obtenus de manière frauduleuse doivent disposer de la possibilité de réfuter les éléments sur lesquels se fonde cette procédure, dans le respect des garanties liées au droit à un procès équitable, avant que le juge national ne décide, le cas échéant, d’écarter ces certificats et ne se
prononce sur la responsabilité desdites personnes en vertu du droit national applicable (arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C‑359/16, EU:C:2018:63, point 56).
67 Dès lors, dans des circonstances telles que celles évoquées au point 39 du présent arrêt, une juridiction de l’État membre dans lequel le travail est effectué, saisie dans le cadre d’une procédure pénale diligentée contre des personnes soupçonnées d’avoir obtenu ou utilisé frauduleusement un certificat A 1, peut constater l’existence d’une fraude et écarter en conséquence ce certificat, pour autant que les garanties inhérentes au droit à un procès équitable qui doivent être accordées à ces
personnes soient respectées.
68 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question dans l’affaire C‑410/21 que l’article 5 du règlement no 987/2009 doit être interprété en ce sens qu’un certificat A 1 délivré par l’institution compétente d’un État membre lie les institutions et les juridictions de l’État membre dans lequel le travail est effectué, y compris lorsque, à la suite d’une demande de réexamen et de retrait adressée par l’institution compétente de ce dernier État membre à
l’institution émettrice, celle-ci a déclaré suspendre provisoirement les effets contraignants de ce certificat jusqu’à ce qu’elle statue définitivement sur cette demande. Toutefois, dans de telles circonstances, une juridiction de l’État membre dans lequel le travail est effectué, saisie dans le cadre d’une procédure pénale diligentée contre des personnes soupçonnées d’avoir obtenu ou utilisé frauduleusement le même certificat A 1, peut constater l’existence d’une fraude et écarter en conséquence
ce certificat, pour les besoins de cette procédure pénale, pour autant, d’une part, qu’un délai raisonnable s’est écoulé sans que l’institution émettrice ait procédé au réexamen du bien-fondé de la délivrance de ce même certificat et ait pris position sur les éléments concrets soumis par l’institution compétente de l’État membre d’accueil qui donnent à penser que ledit certificat a été obtenu ou invoqué de manière frauduleuse, le cas échéant, en annulant ou en retirant le certificat en cause, et,
d’autre part, que les garanties inhérentes au droit à un procès équitable qui doivent être accordées à ces personnes soient respectées.
Sur la seconde question dans l’affaire C‑410/21 et la première question dans l’affaire C‑661/21
69 Par sa seconde question dans l’affaire C‑410/21 et sa première question dans l’affaire C‑661/21, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 13, paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 883/2004, lu à la lumière de l’article 3, paragraphe 1, sous a), et de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1071/2009, ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1072/2009, doit être interprété en ce sens que la détention par une
société d’une licence communautaire de transport routier délivrée par les autorités compétentes d’un État membre constitue la preuve irréfragable du siège social de cette société dans cet État membre aux fins de la détermination, conformément à l’article 13, paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 883/2004, de la législation nationale de sécurité sociale applicable.
70 Ainsi qu’il ressort des demandes de décision préjudicielle, les doutes de la juridiction de renvoi résultent du fait que la délivrance d’une licence communautaire de transport routier en faveur d’une entreprise est subordonnée notamment à l’exigence d’un établissement stable et effectif, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1071/2009, dans l’État membre de délivrance.
71 En effet, une telle exigence ressort notamment de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1072/2009.
72 Il convient, dès lors, de vérifier si la notion de « siège social ou siège d’exploitation », au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 883/2004, correspond à celle d’« établissement stable et effectif », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1071/2009.
73 S’agissant, en premier lieu, de la notion de « siège social ou siège d’exploitation », au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 883/2004, cette disposition prévoit que la personne qui exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres et qui n’exerce pas une partie substantielle de cette activité dans l’État membre de sa résidence est soumise à la législation de l’État membre dans lequel l’entreprise ou l’employeur a son siège social ou son
siège d’exploitation, si elle est salariée par une entreprise ou un employeur.
74 L’article 14, paragraphe 5 bis, du règlement no 987/2009 précise que, aux fins de l’application du titre II du règlement no 883/2004, dont l’article 13, paragraphe 1, sous b), i) fait notamment partie, il y a lieu d’entendre par « siège social ou siège d’exploitation » le siège social ou le lieu d’établissement où sont adoptées les décisions essentielles de l’entreprise et où sont exercées les fonctions d’administration centrale de celle-ci.
75 Il s’ensuit que le facteur de rattachement du « siège social ou siège d’exploitation » visé à l’article 13, paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 883/2004 pour désigner l’État membre dont la législation en matière de sécurité sociale est applicable est déterminé par le lieu à partir duquel une entreprise est effectivement gérée et organisée.
76 En ce qui concerne, en second lieu, la notion d’« établissement stable et effectif », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1071/2009, ainsi qu’il ressort de l’article 5 de ce règlement, le fait pour une entreprise de disposer d’un « établissement stable et effectif », au sens dudit article 3, paragraphe 1, sous a), implique, en substance, premièrement, qu’elle dispose de locaux dans lesquels elle conserve ses principaux documents d’entreprise, deuxièmement, qu’elle
dispose de véhicules immatriculés et, troisièmement, qu’elle dirige effectivement et en permanence ses activités relatives à ces véhicules en disposant des équipements et des installations techniques et administratives appropriées dans un centre d’exploitation.
77 Il en résulte que la notion d’« établissement stable et effectif », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1071/2009, se réfère essentiellement à l’endroit où sont conservés les principaux documents de l’entreprise et où se trouvent ses équipements ainsi que ses installations techniques et administratives.
78 Dès lors, les critères pour déterminer le siège d’une entreprise de transport aux fins de l’obtention d’une licence communautaire de transport routier sont différents de ceux utilisés pour déterminer le siège d’une telle entreprise aux fins de l’article 13, paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 883/2004.
79 Ainsi, si l’établissement stable et effectif, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1071/2009, et le lieu où une entreprise ou un employeur adopte les décisions essentielles ou exerce les fonctions d’administration centrale peuvent, certes, coïncider, tel ne doit pas être nécessairement le cas.
80 Par conséquent, la notion de « siège social ou siège d’exploitation », au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 883/2004, ne correspond pas à celle d’« établissement stable et effectif », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1071/2009.
81 Dans ces conditions, la détention par une entreprise d’une licence communautaire de transport routier peut être un élément à prendre en considération lors de la détermination de son siège social ou de son siège d’exploitation, aux fins de la détermination de la législation nationale de sécurité sociale applicable conformément à l’article 13, paragraphe 1, sous i), du règlement no 883/2004, mais ne saurait en constituer automatiquement la preuve, ni, à plus forte raison, la preuve irréfragable, ni
lier les autorités de l’État membre dans lequel le travail est effectué.
82 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question dans l’affaire C‑410/21 et à la première question dans l’affaire C‑661/21 que l’article 13, paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 883/2004, lu à la lumière de l’article 3, paragraphe 1, sous a), et de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1071/2009, ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1072/2009, doit être interprété en ce sens que la détention par une société d’une
licence communautaire de transport routier délivrée par les autorités compétentes d’un État membre ne constitue pas la preuve irréfragable du siège social de cette société dans cet État membre aux fins de la détermination, conformément à l’article 13, paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 883/2004, de la législation nationale de sécurité sociale applicable.
Sur la seconde question dans l’affaire C‑661/21
83 Eu égard à la réponse apportée à la seconde question dans l’affaire C‑410/21 et à la première question dans l’affaire C‑661/21, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question dans cette dernière affaire.
Sur les dépens
84 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :
1) L’article 5 du règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (UE) no 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012,
doit être interprété en ce sens que :
un certificat A 1 délivré par l’institution compétente d’un État membre lie les institutions et les juridictions de l’État membre dans lequel le travail est effectué, y compris lorsque, à la suite d’une demande de réexamen et de retrait adressée par l’institution compétente de ce dernier État membre à l’institution émettrice, celle-ci a déclaré suspendre provisoirement les effets contraignants de ce certificat jusqu’à ce qu’elle statue définitivement sur cette demande. Toutefois, dans de telles
circonstances, une juridiction de l’État membre dans lequel le travail est effectué, saisie dans le cadre d’une procédure pénale diligentée contre des personnes soupçonnées d’avoir obtenu ou utilisé frauduleusement le même certificat A 1, peut constater l’existence d’une fraude et écarter en conséquence ce certificat, pour les besoins de cette procédure pénale, pour autant, d’une part, qu’un délai raisonnable s’est écoulé sans que l’institution émettrice ait procédé au réexamen du bien-fondé de
la délivrance de ce même certificat et ait pris position sur les éléments concrets soumis par l’institution compétente de l’État membre d’accueil qui donnent à penser que ledit certificat a été obtenu ou invoqué de manière frauduleuse, le cas échéant, en annulant ou en retirant le certificat en cause, et, d’autre part, que les garanties inhérentes au droit à un procès équitable qui doivent être accordées à ces personnes soient respectées.
2) L’article 13, paragraphe 1, sous b), i), du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement no 465/2012, lu à la lumière de l’article 3, paragraphe 1, sous a), et de l’article 11, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1071/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, établissant des règles communes sur les conditions à respecter pour exercer la
profession de transporteur par route et abrogeant la directive 96/26/CE du Conseil, ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 1072/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, établissant des règles communes pour l’accès au marché du transport international de marchandises par route,
doit être interprété en ce sens que :
la détention par une société d’une licence communautaire de transport routier délivrée par les autorités compétentes d’un État membre ne constitue pas la preuve irréfragable du siège social de cette société dans cet État membre aux fins de la détermination, conformément à l’article 13, paragraphe 1, sous b), i), du règlement no 883/2004, tel que modifié par le règlement no 465/2012, de la législation nationale de sécurité sociale applicable.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.