ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
2 mars 2023 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Fonds structurels – Règlement (CE) no 1685/2000 – Éligibilité des dépenses – Obligation de preuve du paiement – Factures acquittées – Pièces comptables de valeur probante équivalente – Construction réalisée directement par le bénéficiaire final »
Dans l’affaire C‑31/21,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), par décision du 8 janvier 2021, parvenue à la Cour le 19 janvier 2021, dans la procédure
Eurocostruzioni Srl
contre
Regione Calabria,
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, MM. P. G. Xuereb, T. von Danwitz (rapporteur), A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Eurocostruzioni Srl, par Mes M. Sanino et S. Sticchi Damiani, avvocati,
– pour la Regione Calabria, par Mes M. Manna et G. Naimo, avvocati,
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Me A. Grumetto, avvocato dello Stato,
– pour la Commission européenne, par Mme P. Carlin et M. P. Rossi, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 octobre 2022,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement (CE) no 1685/2000 de la Commission, du 28 juillet 2000, portant modalités d’exécution du règlement (CE) no 1260/1999 du Conseil en ce qui concerne l’éligibilité des dépenses dans le cadre des opérations cofinancées par les Fonds structurels (JO 2000, L 193, p. 39), tel que modifié par le règlement (CE) no 448/2004 de la Commission, du 10 mars 2004 (JO 2004, L 72, p. 66) (ci-après
le « règlement no 1685/2000 »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Eurocostruzioni Srl à la Regione Calabria (Région de Calabre, Italie) au sujet du versement du solde d’une subvention aux fins de la construction et de l’ameublement d’un hôtel, ainsi que d’installations sportives y attenantes, dans la commune de Rossano (Italie), au titre du programme opérationnel régional (POR) 2000-2006 qui avait été approuvé par la Commission européenne pour ladite région.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement (CE) no 1260/1999
3 Les considérants 35, 41 et 43 du règlement (CE) no 1260/1999 du Conseil, du 21 juin 1999, portant dispositions générales sur les Fonds structurels (JO 1999, L 161, p. 1), énonçaient :
« (35) considérant que la mise en œuvre décentralisée des actions des Fonds structurels par les États membres doit apporter des garanties quant aux modalités et à la qualité de la mise en œuvre, quant aux résultats et à leur évaluation, et quant à la bonne gestion financière et à son contrôle ;
[...]
(41) considérant qu’il convient, conformément au principe de subsidiarité, que les règles nationales pertinentes s’appliquent aux dépenses éligibles en l’absence de règles communautaires, qui peuvent être établies par la Commission lorsqu’elles apparaissent nécessaires pour garantir une application uniforme et équitable des Fonds structurels dans la Communauté ; [...]
[...]
(43) considérant qu’il est nécessaire d’établir des garanties de bonne gestion financière en s’assurant que les dépenses sont justifiées et certifiées et en établissant des conditions de paiements liées au respect des responsabilités essentielles en matière de suivi de la programmation, de contrôle financier et d’application du droit communautaire ».
4 Aux termes de l’article 30, paragraphe 3, de ce règlement :
« Les règles nationales pertinentes s’appliquent aux dépenses éligibles sauf si, lorsque c’est nécessaire, la Commission établit des règles communes d’éligibilité des dépenses conformément à la procédure visée à l’article 53, paragraphe 2. »
5 L’article 32, paragraphe 1, troisième alinéa, dudit règlement disposait :
« Les paiements peuvent revêtir la forme d’acompte, de paiements intermédiaires ou de paiement du solde. Les paiements intermédiaires et les paiements de solde se réfèrent aux dépenses effectivement payées, qui doivent correspondre à des paiements exécutés par les bénéficiaires finals et justifiés par des factures acquittées ou des pièces comptables de valeur probante équivalente. »
6 L’article 38, paragraphe 1, du même règlement prévoyait :
« Sans préjudice de la responsabilité de la Commission dans l’exécution du budget général de l’Union européenne, les États membres assument en premier ressort la responsabilité du contrôle financier de l’intervention. À cette fin, ils prennent notamment les mesures suivantes :
[...]
c) ils s’assurent que les interventions sont gérées conformément à l’ensemble de la réglementation communautaire applicable et que les fonds mis à leur disposition sont utilisés conformément aux principes de la bonne gestion financière ;
d) ils certifient que les déclarations de dépenses présentées à la Commission sont exactes et veillent à ce qu’elles procèdent de systèmes de comptabilité basés sur des pièces justificatives susceptibles d’être vérifiées ;
[...] »
Le règlement no 1685/2000
7 Le considérant 5 du règlement no 1685/2000 énonce :
« [...] Pour certains types d’opérations, la Commission juge nécessaire, aux fins de garantir la mise en œuvre uniforme et équitable des [f]onds structurels dans la Communauté, d’adopter une série de règles communes sur les dépenses éligibles. L’adoption d’une règle relative à un type particulier d’opération ne préjuge pas du fonds au titre duquel cette opération peut être cofinancée. L’adoption de ces règles ne doit pas empêcher les États membres, dans certains cas qu’il conviendra d’indiquer,
d’appliquer des dispositions nationales plus strictes. [...] »
8 Aux termes du point 2.1 de la règle no 1, intitulée « Dépenses effectivement encourues », de l’annexe du règlement no 1685/2000, elle-même intitulée « Règles d’éligibilité » :
« En règle générale, les paiements effectués par les bénéficiaires finals et déclarés au titre des paiements intermédiaires et de solde sont accompagnés des factures acquittées. Si cela se révèle impossible, ces paiements sont accompagnés de pièces comptables de valeur probante équivalente. »
Le droit italien
La loi no 59 du 15 mars 1997
9 L’article 4, paragraphe 4, sous c), de la legge n. 59 – Delega al Governo per il conferimento di funzioni e compiti alle regioni ed enti locali, per la riforma della pubblica amministrazione e per la semplificazione amministrativa (loi no 59, portant délégation au gouvernement pour l’attribution de fonctions et de tâches aux régions et collectivités locales pour la réforme de l’administration publique et la simplification administrative), du 15 mars 1997 (GURI no 63, du 17 mars 1997), prévoyait la
délégation aux régions de fonctions et de tâches administratives en matière de politiques régionales, structurelles et de cohésion de l’Union. Cette délégation a été mise en œuvre par le decreto legislativo n. 123 – Disposizioni per la razionalizzazione degli interventi di sostegno pubblico alle imprese, a norma dell’articolo 4, comma 4, lettera c), della legge 15 marzo 1997, n. 59 [décret législatif no 123, portant dispositions de rationalisation des mesures de soutien public en faveur des
entreprises, conformément à l’article 4, paragraphe 4, sous c), de la loi no 59 du 15 mars 1997], du 31 mars 1998 (GURI no 99, du 30 avril 1998).
La loi régionale no 7 du 2 mai 2001
10 La legge regionale n. 7 – Disposizioni per la formazione del bilancio annuale 2001 e pluriennale 2001/2003 della Regione Calabria (Legge Finanziaria) [loi régionale no 7, portant dispositions pour la formation du budget annuel 2001 et pluriannuel 2001/2003 de la Région de Calabre (loi de finances)], du 2 mai 2001 (Bollettino ufficiale della Regione Calabria no 41, du 9 mai 2001), prévoyait la possibilité de soutenir les petites et moyennes entreprises locales au moyen d’aides accordées en vertu
du règlement (CE) no 70/2001 de la Commission, du 12 janvier 2001, concernant l’application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides d’État en faveur des petites et moyennes entreprises (JO 2001, L 10, p. 33), « également en référence aux dispositions du programme opérationnel régional (POR) de Calabre 2000-2006, approuvé par la Commission européenne par la décision C(2000) 2345 du 8 août 2000 ». L’article 31 quater de cette loi prévoyait l’adoption, par le conseil régional de Calabre,
d’actes régissant les modalités d’octroi de ces aides.
La décision no 398 du 14 mai 2002
11 Par sa décision no 398 du 14 mai 2002, le conseil régional de Calabre a approuvé un avis d’appel à projets (ci-après l’« avis d’appel à projets ») dont l’article 8 se référait au règlement no 1685/2000 et prévoyait qu’étaient éligibles à un soutien les dépenses relatives aux terrains, aux bâtiments et aux installations, au mobilier et aux équipements ainsi qu’à la conception et aux études.
12 L’article 9 de l’avis d’appel à projets disposait que, s’agissant des bâtiments et des installations, les travaux se devaient d’être quantifiés conformément au barème de l’inspection des travaux publics de la Région de Calabre de 1994, majoré de 15 %, et pour les postes non prévus dans celui-ci, aux prix du marché en vigueur estimés par le concepteur.
13 Selon l’article 11 de l’avis d’appel à projets, le versement de la subvention devait être régi par l’arrêté de subvention fixant les prescriptions auxquelles le bénéficiaire final devait se conformer.
L’arrêté de subvention
14 L’arrêté de subvention no 4457 du 20 avril 2004 (ci-après l’« arrêté de subvention ») énonçait les dispositions relatives aux documents à produire par le bénéficiaire final de l’aide afin de prouver les dépenses encourues. En particulier, s’agissant des travaux réalisés, l’arrêté exigeait la production de la documentation comptable y afférente, y compris la tenue, par le bénéficiaire final, d’un journal de chantier et d’un registre comptable, dûment signés par le directeur des travaux et par
ledit bénéficiaire.
15 Enfin, l’arrêté de subvention disposait que la subvention à verser pour l’exécution de travaux effectués par des moyens propres ne pouvait être déterminée qu’après vérification, par une commission de contrôle, du respect, par le bénéficiaire final, des limites fixées par le barème visé à l’article 9 de l’avis d’appel à projets, c’est-à-dire après la constatation de la réalisation des travaux sur la base des documents comptables susmentionnés (journal de chantier et registre comptable).
Le litige au principal et les questions préjudicielles
16 Eurocostruzioni est une entreprise active dans le secteur de la construction.
17 À la suite de l’avis d’appel à projets, cette entreprise a obtenu un financement en capital pour la construction d’un hôtel, y compris pour son ameublement, et d’installations sportives y attenantes dans la commune de Rossano, située dans la Région de Calabre (Italie), en tant que bénéficiaire final d’un soutien au titre du programme opérationnel régional (POR) 2000-2006. La Commission avait approuvé le cadre de soutien et le programme opérationnel concerné pour la Région de Calabre, dans ses
décisions C(2000) 2050 du 1er août 2000 et C(2000) 2345 du 8 août 2000.
18 Les dépenses éligibles au soutien au titre dudit programme opérationnel comprenaient, notamment, celles relatives à la construction des bâtiments et des installations. En vertu de l’article 9 de l’avis d’appel à projets, les dépenses afférentes à la construction de bâtiments pouvaient être quantifiées dans les limites du barème standard de l’inspection des travaux publics de la Région de Calabre de 1994 majoré de 15 %, et pour les postes non prévus dans celui-ci, dans les limites des prix du
marché en vigueur, estimés par le concepteur.
19 En ce qui concerne les travaux réalisés par les propres moyens du bénéficiaire final, l’arrêté de subvention précisait qu’il devait fournir les documents relatifs à la comptabilité des travaux, à savoir le journal de chantier et le registre comptable, signés par le directeur des travaux et par ledit bénéficiaire.
20 Eurocostruzioni a réalisé l’ouvrage prévu, a fait l’acquisition du mobilier et a fourni à la Région de Calabre la documentation demandée dans l’arrêté de subvention, à savoir – pour les travaux – le journal de chantier et le registre comptable. À l’issue d’un contrôle de conformité de ces travaux, elle a obtenu l’aval de la commission technique compétente. Cependant, elle n’a pas obtenu le versement du solde de la subvention relative aux travaux, car la Région de Calabre estimait que l’entreprise
était restée en défaut de fournir des factures ou des pièces comptables de valeur probante équivalente, conformément au point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000, auquel l’avis d’appel à projets faisait référence.
21 Eurocostruzioni a dès lors engagé une procédure d’injonction de payer devant le Tribunale di Catanzaro (tribunal de Catanzaro, Italie), aux fins de contraindre la Région de Calabre à lui verser le solde de la subvention. Le tribunal saisi a, par jugement du 4 avril 2012, fait droit à la demande de cette entreprise et a condamné cette région à payer la somme réclamée par ladite entreprise.
22 La Région de Calabre a interjeté appel de ce jugement devant la Corte d’appello di Catanzaro (cour d’appel de Catanzaro, Italie). Par un arrêt du 27 octobre 2014, celle-ci a considéré que, étant donné que l’avis d’appel à projets se référait au règlement no 1685/2000, le versement du solde de la subvention était subordonné à la présentation de factures acquittées ou de pièces comptables de valeur probante équivalente, et ce même si les travaux avaient été effectués par Eurocostruzioni, par ses
propres moyens. En effet, l’entreprise aurait été tenue de produire la documentation comptable appropriée afin d’établir les décaissements effectués, entre autres, pour l’achat de matériel, la location de véhicules et la rémunération des travailleurs ou des sous-traitants. À cet égard, les documents fournis par l’entreprise, tels que le journal de chantier et le registre comptable, auraient été nécessaires, mais n’auraient pas été suffisants. Cette juridiction a, par conséquent, accueilli l’appel
interjeté par la Région de Calabre.
23 Le 27 octobre 2015, Eurocostruzioni a formé un pourvoi en cassation devant la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), la juridiction de renvoi. À l’appui de son pourvoi, l’entreprise a notamment soutenu que le point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000, dont le libellé débute par les termes « en règle générale », ne fait qu’énoncer un principe général, susceptible de connaître des exceptions. À cet égard, Eurocostruzioni a également fait valoir qu’elle a
dûment réalisé les travaux prévus et qu’elle a produit la totalité des documents comptables requis dans l’arrêté de subvention, de sorte que le refus qui lui est opposé par la Région de Calabre sur la base du règlement no 1685/2000 serait contraire aux principes de bonne foi, de loyauté et de confiance légitime.
24 La juridiction de renvoi s’interroge quant à l’interprétation du point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000 et relève, en outre, que cette annexe ne semble pas prévoir le scénario de la construction directe d’un immeuble par un bénéficiaire final avec ses propres matériaux, équipements et main-d’œuvre.
25 C’est dans ce contexte que la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Le règlement [no 1685/2000], et en particulier le point 2.1 de la règle no 1 de son annexe, relatif à la “justification des dépenses”, exige-t-il que la preuve des paiements effectués par les bénéficiaires finals soit nécessairement apportée par des factures acquittées, même lorsque le financement a été accordé au bénéficiaire pour la construction d’un bâtiment en utilisant des matériaux, des équipements et de la main-d’œuvre propres, ou une exception, autre que celle qui est expressément
prévue lorsqu’une telle preuve se révèle impossible et qui requiert la production de “pièces comptables de valeur probante équivalente”, est-elle envisageable ?
2) Quelle est l’interprétation qu’il convient de retenir de l’expression “pièces comptables de valeur probante équivalente” ?
3) En particulier, les dispositions [...] du règlement [no 1685/2000] s’opposent-elles à une réglementation nationale et régionale et aux mesures administratives prises pour son exécution, qui, dans l’hypothèse où le financement a été accordé au bénéficiaire en vue de la réalisation d’un immeuble avec des matériaux, des équipements et de la main d’œuvre propres, prévoient un système de contrôle des dépenses financées par l’administration publique qui consiste :
a) en une quantification préalable des travaux sur la base d’un barème régional applicable aux travaux publics et, pour les postes qui n’y sont pas prévus, sur la base des prix du marché en vigueur estimés par le concepteur technique, puis
b) en un compte rendu ultérieur, qui comprend la présentation de la comptabilité relative aux travaux, à savoir le journal de chantier et [le registre] comptable, dûment signés sur chaque page par le directeur des travaux et l’entreprise bénéficiaire, ainsi que la vérification des travaux et la constatation de leur réalisation, sur la base des prix unitaires visés [au point] a) par une commission de contrôle désignée par l’administration régionale compétente ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
26 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000 doit être interprété en ce sens qu’il permet au bénéficiaire final d’un financement pour la construction d’un bâtiment, qui a réalisé celle-ci par ses propres moyens, de justifier les dépenses encourues par la production de documents autres que ceux expressément mentionnés par cette disposition.
Sur la recevabilité
27 La Région de Calabre estime que la première question est irrecevable, au motif que l’interprétation sollicitée du règlement no 1685/2000 ne présenterait aucun rapport avec le litige au principal et que la juridiction de renvoi aurait omis d’exposer les raisons qui l’ont amenée à s’interroger sur cette interprétation.
28 Selon une jurisprudence constante de la Cour, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que
l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées [arrêt du 27 octobre 2022, Proximus (Annuaires électroniques publics), C‑129/21, EU:C:2022:833, point 38 et jurisprudence citée].
29 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que le litige au principal porte, précisément, sur les obligations d’Eurocostruzioni, en qualité de bénéficiaire final, au titre du règlement no 1685/2000 et, en particulier, sur les exigences résultant du point 2.1 de la règle no 1 de son annexe, dont l’applicabilité n’est pas contestée par la Région de Calabre. En outre, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 33 de ses conclusions, la juridiction de renvoi a expliqué les raisons
pour lesquelles l’interprétation de cette disposition était nécessaire.
30 Dans ces conditions, les objections de la Région de Calabre à la recevabilité de la première question doivent être écartées.
Sur le fond
31 À titre liminaire, il convient de rappeler que les fonds structurels étaient régis, à la date de l’octroi de la subvention en cause au principal, à savoir le 20 avril 2004, par le règlement no 1260/1999. L’article 30, paragraphe 3, de ce règlement, lu en combinaison avec son considérant 41, habilitait la Commission à instituer des règles communes d’éligibilité des dépenses, en cas de nécessité, en vue d’assurer une application uniforme et équitable des fonds structurels au sein de l’Union. C’est
sur ce fondement que le règlement no 1685/2000 a été adopté.
32 S’agissant de la justification des dépenses encourues par un bénéficiaire final, le règlement no 1260/1999 et le règlement no 1685/2000 prévoient des exigences différentes, d’une part, pour les acomptes, et d’autre part, pour les paiements intermédiaires et les paiements de solde.
33 Aux termes de l’article 32, paragraphe 1, troisième alinéa, seconde phrase, du règlement no 1260/1999, « les paiements intermédiaires et les paiements de solde se réfèrent aux dépenses effectivement payées, qui doivent correspondre à des paiements exécutés par les bénéficiaires finals et justifiés par des factures acquittées ou des pièces comptables de valeur probante équivalente ».
34 Le point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000 reflète cette exigence, en prévoyant que, « en règle générale, les paiements effectués par les bénéficiaires finals et déclarés au titre des paiements intermédiaires et de solde sont accompagnés des factures acquittées. Si cela se révèle impossible, ces paiements sont accompagnés de pièces comptables de valeur probante équivalente ».
35 Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci conformément à leur sens habituel dans le langage courant, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 22 juin 2022, Leistritz, C‑534/20, EU:C:2022:495, point 18 et jurisprudence citée).
36 Il ressort du libellé du point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000 que, pour être éligibles, au sens du règlement no 1685/2000, les dépenses encourues par les bénéficiaires finals doivent, « en règle générale », être justifiées par des factures acquittées ou, si cela se révèle impossible, par des pièces comptables de valeur probante équivalente. Contrairement à ce que soutient la requérante au principal, les termes « en règle générale » se réfèrent clairement à l’obligation
de produire des factures acquittées, visée à la première phrase de ce point, alors que la production de pièces comptables de valeur probante équivalente, visée à la seconde phrase dudit point, constitue l’exception à cette règle générale.
37 Dès lors, le libellé du point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000 n’admet pas d’autre exception que celle expressément prévue par cette disposition.
38 Cette interprétation est corroborée par le contexte de cette disposition. Ainsi, il ressort du considérant 43 du règlement no 1260/1999 que les dépenses se doivent d’être « justifiées et certifiées », ce qui plaide pour une lecture restrictive de la seconde phrase du point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000, les factures acquittées et les pièces comptables de valeur probante équivalente étant les seuls documents susceptibles de répondre à cette exigence. Tel est a fortiori
le cas dès lors que la Commission a entendu établir des règles uniformes quant aux dépenses éligibles, sous réserve de la possibilité, pour les États membres, d’appliquer des dispositions nationales plus strictes, ainsi qu’en témoigne le considérant 5 du règlement no 1685/2000.
39 Enfin, cette interprétation est également conforme à l’objectif de bonne gestion financière, visé aux considérants 35 et 43, ainsi qu’à l’article 38, paragraphe 1, sous c) et d), du règlement no 1260/1999. En vertu de ces dernières dispositions, les États membres veillent notamment à ce que les fonds mis à leur disposition soient utilisés conformément aux principes de bonne gestion financière et à ce que les déclarations de dépenses procèdent de systèmes de comptabilité basés sur des pièces
justificatives susceptibles d’être vérifiées.
40 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence de la Cour, le système institué par l’article 32 du règlement no 1260/1999 ainsi que par la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000 repose sur le principe du remboursement des frais (arrêt du 24 novembre 2005, Italie/Commission, C‑138/03, C‑324/03 et C‑431/03, EU:C:2005:714, point 45).
41 Un tel remboursement ne peut porter que sur des dépenses qui sont réellement encourues et dûment justifiées. Toute autre interprétation de l’exigence de justification de ces dépenses pourrait mettre en péril la bonne gestion financière des fonds structurels. En particulier, l’on ne saurait retenir la lecture proposée par la partie requérante au principal, selon laquelle le point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000 ne ferait que refléter une orientation générale, susceptible
de connaître des exceptions autres que celle qui a été expressément énoncée par cette disposition.
42 En l’occurrence, dans le cadre du litige au principal, Eurocostruzioni sollicite un « paiement de solde », au sens de l’article 32, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement no 1260/1999 et du point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000. Pour être éligibles, au sens de ces règlements, les dépenses invoquées à l’appui de sa demande se doivent donc de pouvoir être justifiées par des factures acquittées ou, si cela s’avère impossible, par des pièces comptables de valeur
probante équivalente.
43 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 48 à 50 de ses conclusions, la circonstance que le bénéficiaire final a procédé, par ses propres moyens, à la réalisation de l’ouvrage ne saurait avoir pour effet de l’exempter des exigences de justification prévues par les règlements nos 1260/1999 et 1685/2000.
44 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que le point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000 doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas au bénéficiaire final d’un financement pour la construction d’un bâtiment, qui a réalisé celle-ci par ses propres moyens, de justifier les dépenses encourues par la production de documents autres que ceux expressément mentionnés par cette disposition.
Sur les deuxième et troisième questions
45 Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000 doit être interprété en ce sens que, s’agissant du bénéficiaire final d’un financement pour la construction d’un bâtiment, qui a réalisé celle-ci par ses propres moyens, un journal de chantier et un registre comptable peuvent être qualifiés de « pièces comptables de valeur probante équivalente », au
sens de cette disposition.
Sur la recevabilité
46 La Région de Calabre estime que la troisième question est irrecevable, au motif que la juridiction de renvoi aurait omis d’exposer le lien entre le règlement no 1685/2000 et les réglementations, tant nationales que régionales, mentionnées dans la décision de renvoi, qui auraient par ailleurs été exposées de manière insuffisante.
47 En vertu de l’article 94, sous b) et c), du règlement de procédure de la Cour, il incombe à la juridiction de renvoi de présenter, notamment, la teneur des dispositions nationales pertinentes, ainsi que le lien qu’elle établit entre le droit de l’Union et celles-ci.
48 En l’occurrence, il convient de constater que la juridiction de renvoi a respecté cette obligation, en faisant état de la teneur des lois nationales et régionales, de l’avis d’appel à projets et de l’arrêté de subvention en cause au principal. S’agissant du lien entre les dispositions nationales pertinentes et le droit de l’Union, la Région de Calabre a reconnu elle-même, dans ses observations écrites, que l’avis d’appel à projets incluait une référence au règlement no 1685/2000.
49 Dans ces conditions, les objections de la Région de Calabre à la recevabilité de la troisième question doivent être écartées.
Sur le fond
50 À titre liminaire, il convient de relever que ni le règlement no 1260/1999 ni le règlement no 1685/2000 ne comporte de définition de la notion de « pièces comptables de valeur probante équivalente ».
51 Ainsi qu’il a été rappelé au point 35 du présent arrêt, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci conformément à leur sens habituel dans le langage courant, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie.
52 S’agissant du sens habituel dans le langage courant des termes « pièces comptables de valeur probante équivalente », il convient de relever que ceux-ci visent tous documents comptables qui sont de nature à prouver, à l’instar de factures acquittées, l’effectivité des dépenses effectuées par un bénéficiaire final, et qui se voient reconnaître, à ce titre, une valeur probante comparable à celle de factures acquittées.
53 S’agissant du contexte de cette notion, il convient de rappeler que le droit de produire des pièces comptables de valeur probante équivalente constitue une exception à la règle générale prévoyant l’obligation de produire des factures acquittées aux fins de justifier les dépenses encourues par un bénéficiaire final. Or, selon une jurisprudence constante, une exception à une règle générale doit faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêt du 5 avril 2022, Commissioner of An
Garda Síochána e.a., C‑140/20, EU:C:2022:258, point 40 ainsi que jurisprudence citée).
54 À cet égard, il convient, en particulier, de tenir compte de l’exigence visée à l’article 32, paragraphe 1, troisième alinéa, seconde phrase, du règlement no 1260/1999, selon lequel les paiements intermédiaires et les paiements de solde se réfèrent aux « dépenses effectivement payées, qui doivent correspondre à des paiements exécutés » par les bénéficiaires finals. Aux fins de répondre à cette exigence, la portée de la notion de « pièces comptables de valeur probante équivalente » doit être
restreinte aux documents comptables qui sont de nature à prouver l’effectivité des dépenses encourues et à en donner une image à la fois fidèle et précise, correspondant aux paiements exécutés par le bénéficiaire final concerné.
55 À ce titre, l’on ne saurait admettre, sans contrevenir aux dispositions de l’article 32 du règlement no 1260/1999, l’interprétation extensive qui a été proposée par le gouvernement italien dans ses observations écrites, qui aurait pour effet de permettre une valorisation de travaux sans lien direct avec des paiements exécutés, sur la seule base d’une évaluation émanant d’un professionnel indépendant et/ou d’un organisme officiel agréé.
56 Cette interprétation stricte est également conforme à l’objectif de bonne gestion financière et au principe de remboursement des frais, rappelés aux points 39 et 40 du présent arrêt, dans la mesure où elle tend à éviter tout risque de double computation de dépenses et de fraude au détriment des fonds structurels de l’Union.
57 Par conséquent, ainsi que la Commission l’a relevé, en substance, dans ses observations écrites, il convient de constater que peuvent constituer des « pièces comptables de valeur probante équivalente » les documents comptables qui sont autorisés par le droit national d’un État membre, notamment lorsque l’émission d’une facture n’est pas pertinente selon les normes fiscales et comptables nationales, et qui sont de nature à prouver l’effectivité des dépenses encourues, en donnant une image fidèle
et précise de celles-ci.
58 En l’occurrence, s’agissant d’un bénéficiaire final ayant construit un bâtiment par ses propres moyens, la réglementation nationale en cause au principal prévoit un système de contrôle des dépenses qui requiert une quantification préalable des travaux à réaliser, fondée sur un barème standard, et une vérification ultérieure, fondée sur la constatation de la réalisation desdits travaux et sur la seule présentation d’un journal de chantier et d’un registre comptable. L’avis d’appel à projets cite
expressément le règlement no 1685/2000 quant à la définition des dépenses éligibles. Si l’arrêté de subvention ne rappelle pas l’obligation de produire des factures acquittées et/ou des pièces comptables de valeur probante équivalente afin de justifier les dépenses encourues dans le cadre des travaux de construction, cette circonstance est cependant sans incidence sur l’applicabilité dudit règlement.
59 Dans ces conditions, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, aux points 71 et 76 de ses conclusions, il incombe donc à la juridiction de renvoi de vérifier si la requérante au principal était dans l’impossibilité de justifier les dépenses encourues par des factures acquittées et, si une telle impossibilité est établie, d’apprécier si ledit journal de chantier et ledit registre comptable peuvent être qualifiés, eu égard à leur contenu concret et aux règles nationales pertinentes,
de « pièces comptables de valeur probante équivalente ».
60 Ainsi qu’il ressort du point 54 du présent arrêt, tel serait le cas si ces documents prouvaient, eu égard à l’ensemble des circonstances pertinentes de l’affaire au principal, l’effectivité des dépenses encourues, correspondant aux paiements exécutés par Eurocostruzioni, en donnant une image fidèle et précise desdites dépenses.
61 En revanche, si ce journal de chantier et ce registre comptable devaient, par exemple, se borner à rendre compte de l’avancement des travaux en se référant uniquement à une quantification préalable, fondée sur un barème standard, revêtant un caractère abstrait et sans corrélation objective avec les dépenses effectivement encourues, ces documents ne sauraient être qualifiés de « pièces comptables de valeur probante équivalente », au sens du point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement
no 1685/2000.
62 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions que le point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000 doit être interprété en ce sens que, s’agissant du bénéficiaire final d’un financement pour la construction d’un bâtiment, qui a réalisé celle-ci par ses propres moyens, un journal de chantier et un registre comptable ne peuvent être qualifiés de « pièces comptables de valeur probante équivalente », au sens de cette disposition, que si, eu
égard à leur contenu concret et aux règles nationales pertinentes, ces documents sont de nature à prouver l’effectivité des dépenses encourues par ledit bénéficiaire final, en donnant une image fidèle et précise de celles-ci.
Sur les dépens
63 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
1) Le point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement (CE) no 1685/2000 de la Commission, du 28 juillet 2000, portant modalités d’exécution du règlement (CE) no 1260/1999 du Conseil en ce qui concerne l’éligibilité des dépenses dans le cadre des opérations cofinancées par les Fonds structurels, tel que modifié par le règlement (CE) no 448/2004 de la Commission, du 10 mars 2004,
doit être interprété en ce sens que :
il ne permet pas au bénéficiaire final d’un financement pour la construction d’un bâtiment, qui a réalisé celle-ci par ses propres moyens, de justifier les dépenses encourues par la production de documents autres que ceux expressément mentionnés par cette disposition.
2) Le point 2.1 de la règle no 1 de l’annexe du règlement no 1685/2000, tel que modifié par le règlement no 448/2004,
doit être interprété en ce sens que :
s’agissant du bénéficiaire final d’un financement pour la construction d’un bâtiment, qui a réalisé celle-ci par ses propres moyens, un journal de chantier et un registre comptable ne peuvent être qualifiés de « pièces comptables de valeur probante équivalente », au sens de cette disposition, que si, eu égard à leur contenu concret et aux règles nationales pertinentes, ces documents sont de nature à prouver l’effectivité des dépenses encourues par ledit bénéficiaire final, en donnant une image
fidèle et précise de celles-ci.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.