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16/02/2023 | CJUE | N°C-524/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, IG et Agenţia Municipală pentru Ocuparea Forţei de Muncă Bucureşti contre Agenţia Judeţeană de Ocupare a Forţei de Muncă Ilfov et IM., 16/02/2023, C-524/21


 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

16 février 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur – Directive 2008/94/CE – Prise en charge par les institutions de garantie des créances salariales des travailleurs salariés – Limitation de l’obligation de paiement des institutions de garantie aux créances salariales afférentes à la période de trois mois antérieurs ou postérieurs à la date d’ouverture de la procédure d’insolvabilité – Application d

’un délai de prescription –
Recouvrement de paiements indûment versés par l’institution de garantie – Condi...

 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

16 février 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur – Directive 2008/94/CE – Prise en charge par les institutions de garantie des créances salariales des travailleurs salariés – Limitation de l’obligation de paiement des institutions de garantie aux créances salariales afférentes à la période de trois mois antérieurs ou postérieurs à la date d’ouverture de la procédure d’insolvabilité – Application d’un délai de prescription –
Recouvrement de paiements indûment versés par l’institution de garantie – Conditions »

Dans les affaires jointes C‑524/21 et C‑525/21,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par la Curtea de Apel Bucureşti (Cour d’appel de Bucarest, Roumanie), par décisions du 16 avril 2021, parvenues à la Cour le 24 août 2021, dans les procédures

IG

contre

Agenţia Judeţeană de Ocupare a Forţei de Muncă Ilfov (C‑524/21),

et

Agenţia Municipală pentru Ocuparea Forţei de Muncă Bucureşti

contre

IM (C‑525/21),

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), MM. F. Biltgen, N. Wahl et J. Passer, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour le gouvernement roumain, par Mmes E. Gane et A. Rotăreanu, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement espagnol, par M. I. Herranz Elizalde, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par Mmes A. Armenia et A. Katsimerou ainsi que par M. B.-R. Killmann, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 septembre 2022,

rend le présent

Arrêt

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, de l’article 2, paragraphe 1, de l’article 3, second alinéa, de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 12, sous a), de la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur (JO 2008, L 283, p. 36).

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant IG à l’Agenția Județeană de Ocupare a Forței de Muncă Ilfov (agence départementale pour l’emploi d’Ilfov, Roumanie) (ci-après l’« agence d’Ilfov ») (affaire C‑524/21) et l’Agenția Municipală pentru Ocuparea Forței de Muncă București (agence municipale pour l’emploi de Bucarest, Roumanie) (ci-après l’« agence de Bucarest ») à IM (affaire C‑525/21) au sujet du recouvrement par ces agences de montants payés par le Fondul de garantare
pentru plata creanțelor salariale (Fonds de garantie pour le paiement des créances salariales, Roumanie) (ci-après le « Fonds de garantie ») au titre des créances salariales impayées de IG et IM, qui sont des travailleurs salariés.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Le chapitre I de la directive 2008/94, intitulé « Champ d’application et définitions », comprend les articles 1er et 2 de celle-ci.

4 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive :

« La présente directive s’applique aux créances des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et existant à l’égard d’employeurs qui se trouvent en état d’insolvabilité au sens de l’article 2, paragraphe 1. »

5 L’article 2 de ladite directive prévoit, à son paragraphe 1 :

« Aux fins de la présente directive, un employeur est considéré comme se trouvant en état d’insolvabilité lorsqu’a été demandée l’ouverture d’une procédure collective fondée sur l’insolvabilité de l’employeur, prévue par les dispositions législatives, réglementaires et administratives d’un État membre, qui entraîne le dessaisissement partiel ou total de cet employeur ainsi que la désignation d’un syndic, ou une personne exerçant une fonction similaire, et que l’autorité qui est compétente en vertu
desdites dispositions a :

a) soit décidé l’ouverture de la procédure ;

b) soit constaté la fermeture définitive de l’entreprise ou de l’établissement de l’employeur, ainsi que l’insuffisance de l’actif disponible pour justifier l’ouverture de la procédure. »

6 Le chapitre II de la directive 2008/94, intitulé « Dispositions relatives aux institutions de garantie », comprend les articles 3 à 5 de celle-ci.

7 L’article 3 de cette directive dispose :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires afin que les institutions de garantie assurent, sous réserve de l’article 4, le paiement des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail y compris, lorsque le droit national le prévoit, des dédommagements pour cessation de la relation de travail.

Les créances prises en charge par l’institution de garantie sont les rémunérations impayées correspondant à une période se situant avant et/ou, le cas échéant, après une date déterminée par les États membres. »

8 L’article 4 de ladite directive est libellé comme suit :

« 1.   Les États membres ont la faculté de limiter l’obligation de paiement des institutions de garantie visée à l’article 3.

2.   Lorsque les États membres font usage de la faculté visée au paragraphe 1, ils fixent la durée de la période donnant lieu au paiement des créances impayées par l’institution de garantie. Cette durée ne peut toutefois être inférieure à une période portant sur la rémunération des trois derniers mois de la relation de travail se situant avant et/ou après la date visée à l’article 3, deuxième alinéa.

Les États membres peuvent inscrire cette période minimale de trois mois dans une période de référence dont la durée ne peut être inférieure à six mois.

Les États membres qui prévoient une période de référence d’au moins dix-huit mois peuvent limiter à huit semaines la période donnant lieu au paiement des créances impayées par l’institution de garantie. Dans ce cas, les périodes les plus favorables au travailleur salarié sont retenues pour le calcul de la période minimale.

3.   Les États membres peuvent assigner des plafonds aux paiements effectués par l’institution de garantie. Ces plafonds ne doivent pas être inférieurs à un seuil socialement compatible avec l’objectif social de la présente directive.

Lorsque les États membres font usage de cette faculté, ils communiquent à la Commission [européenne] les méthodes selon lesquelles ils fixent le plafond. »

9 Le chapitre V de la directive 2008/94, intitulé « Dispositions générales et finales », comprend les articles 11 à 18 de celle-ci.

10 L’article 12 de cette directive prévoit :

« La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres :

a) de prendre les mesures nécessaires en vue d’éviter des abus ;

[...] »

Le droit roumain

11 L’article 2 de la Legea nr. 200/2006 privind constituirea şi utilizarea Fondului de garantare pentru plata creanţelor salariale (loi no 200/2006 relative à la constitution et à l’utilisation du Fonds de garantie pour le paiement des créances salariales) (Monitorul Oficial al României, partie I, no 453 du 25 mai 2006), prévoit :

« Le Fonds de garantie assure le paiement des créances salariales résultant des contrats individuels de travail et des conventions collectives de travail conclus entre les salariés et les employeurs contre lesquels ont été prononcées des décisions juridictionnelles définitives d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité et à l’égard desquels une mesure de levée totale ou partielle du droit de gestion a été prononcée, ci-après les [“employeurs en état d’insolvabilité”]. »

12 L’article 13, paragraphe 1, sous a), de cette loi prévoit :

« Dans les limites et sous les conditions prévues au présent chapitre, les catégories suivantes de créances salariales sont prises en charge à l’aide des ressources du Fonds de garantie : arriérés de salaire [...] »

13 Aux termes de l’article 14, paragraphe 1, de ladite loi :

« La somme totale des créances salariales prises en charge par le Fonds de garantie ne peut excéder le montant de [trois] salaires bruts moyens nationaux par salarié. »

14 L’article 15 de la même loi dispose :

« (1)   Les créances salariales visées à l’article 13, paragraphe 1, sous a), c), d) et e), sont prises en charge pour une période de [trois] mois civils.

(2)   La période visée au paragraphe 1 est la période antérieure à la date à laquelle l’octroi des droits est demandé et précède ou suit la date d’ouverture de la procédure d’insolvabilité. »

15 L’article 5 des Normele metodologice de aplicare a Legii nr. 200/2006 privind constituirea şi utilizarea Fondului de garantare pentru plata creanţelor salariale (règles méthodologiques d’application de la loi no 200/2006), du 21 décembre 2006 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 1038 du 28 décembre 2006, ci-après les « règles méthodologiques »), prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les créances salariales visées à l’article 13, paragraphe 1, sous a), c), d) et e), de la loi [no 200/2006] sont afférentes à la période de [trois] mois civils visée à l’article 15, paragraphe 1, de [cette] loi, période qui est antérieure au mois au cours duquel l’octroi des droits est demandé. »

16 L’article 7 des règles méthodologiques dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :

« (1)   Lorsque les créances des salariés de l’employeur en état d’insolvabilité sont antérieures au mois d’ouverture de la procédure d’insolvabilité, la période de [trois] mois civils visée à l’article 15, paragraphe 1, de la loi [no 200/2006] précède la date d’ouverture de la procédure.

(2)   Lorsque les créances des salariés de l’employeur en état d’insolvabilité sont postérieures au mois d’ouverture de la procédure d’insolvabilité, la période visée à l’article 15, paragraphe 1, de [cette] loi succède à la date d’ouverture de la procédure. »

17 Aux termes de l’article 47, paragraphe 1, de la Legea nr. 76/2002 privind sistemul asigurărilor pentru şomaj şi stimularea ocupării forţei de muncă (loi no 76/2002 relative au régime de l’assurance chômage et à la stimulation de l’emploi) (Monitorul Oficial al României, partie I, no 103 du 6 février 2002) :

« Les sommes indûment payées à partir du budget des assurances chômage ainsi que tout autre débit du budget des assurances chômage autre que provenant de la contribution à l’assurance pour le travail sont recouvrés sur la base de décisions émises par les agences pour l’emploi [...], lesquelles [décisions] constituent des titres exécutoires. »

18 L’article 731 de la Legea nr. 500/2002 privind finanțele publice (loi no 500/2002 relative aux finances publiques) (Monitorul Oficial al României, partie I, no 597 du 13 août 2002), telle que modifiée par la loi no 270/2013, dispose :

« Le recouvrement des sommes représentant un préjudice/versement irrégulier de fonds publics, déterminées par les instances de contrôle compétentes, est réalisé avec perception d’intérêts et de pénalités de retard ou de majorations de retard, selon le cas, applicables aux recettes budgétaires, calculés pour la période s’étendant de réalisation du préjudice/versement au recouvrement des sommes. »

Les litiges au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

19 Le 13 mars 2017, l’agence d’Ilfov a admis la demande d’un liquidateur judiciaire visant à ce que soit déterminé et payé par le Fonds de garantie le montant des créances salariales impayées pour les mois de mai, de juin et de juillet 2013 de travailleurs salariés dont l’employeur avait été mis en faillite. À ce titre, la créance salariale de IG a été fixée à 1308 lei roumains (RON) (environ 264 euros) et versée à l’intéressé (affaire C‑524/21).

20 Le 14 mars 2018, l’agence de Bucarest a admis la demande d’un liquidateur judiciaire visant à ce que soit déterminé et payé par le Fonds de garantie le montant des créances salariales dues par un employeur en état d’insolvabilité. En conséquence, la créance salariale de IM a été fixée à 3143 RON (environ 634 euros) et versée à l’intéressé (affaire C‑525/21).

21 À la suite d’une décision de la Curtea de Conturi a României (Cour des comptes de Roumanie) du 6 août 2019, il a été ordonné à l’Agenția Națională pentru Ocuparea Forței de Muncă (agence nationale pour l’emploi, Roumanie) d’appliquer des mesures visant à recouvrer les paiements indûment effectués par le Fonds de garantie au titre des arriérés de salaire dus par certains employeurs insolvables, afférents à des périodes non comprises dans la période de trois mois précédant ou suivant immédiatement
l’ouverture de la procédure d’insolvabilité à l’égard de ces employeurs prévue par les dispositions de l’article 15, paragraphes 1 et 2, de la loi no 200/2006, telles qu’entre-temps interprétées par l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie) dans un arrêt du 5 mars 2018, ou qui ont été réclamés hors du délai général de prescription. Par arrêté du 2 septembre 2019 du président de l’agence nationale pour l’emploi, les agences départementales et
municipales pour l’emploi de Roumanie ont été chargées de déterminer l’étendue du préjudice subi par le Fonds de garantie et de procéder au recouvrement qui en découlait.

22 Par décision du 6 décembre 2019, adoptée en exécution dudit arrêté du 2 septembre 2019, le directeur exécutif de l’agence de Bucarest a ordonné qu’il soit procédé au recouvrement de la créance salariale indûment perçue par IM (affaire C‑525/21) pour les mois d’octobre et de novembre 2017, lesquels mois se situaient en effet en dehors de la période de référence des trois mois précédant ou suivant immédiatement la date d’ouverture de la procédure d’insolvabilité de l’employeur de celui-ci, à savoir
le 22 janvier 2015.

23 Par décision du 31 décembre 2019, le directeur exécutif de l’agence d’Ilfov a ordonné qu’il soit procédé au recouvrement de la créance salariale indûment perçue par IG (affaire C‑524/21) au titre des mois de mai, de juin et de juillet 2013, majorée des intérêts et des pénalités de retard, au motif que la demande de prise en charge des créances salariales de celui-ci avait été déposée par le liquidateur judiciaire le 8 février 2017, alors que la procédure d’insolvabilité avait été ouverte le
19 mars 2010, de telle sorte que la créance salariale en cause se situait en dehors de la période de référence des trois mois précédant ou suivant immédiatement cette date d’ouverture de la procédure d’insolvabilité de l’employeur de celui-ci.

24 IM et IG ont, chacun, formé un recours, le premier, contre la décision du directeur exécutif de l’agence de Bucarest du 6 décembre 2019 et, le second, contre la décision du directeur exécutif de l’agence d’Ilfov du 31 décembre 2019, devant le Tribunalul București (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie).

25 Par jugement du 25 mai 2020, le Tribunalul București (tribunal de grande instance de Bucarest) a rejeté le recours de IG comme étant non fondé. Par jugement du 14 juillet 2020, il a accueilli le recours de IM.

26 IG et l’agence de Bucarest ont chacun formé un pourvoi contre ces jugements respectifs devant la Curtea de Apel Bucureşti (Cour d’appel de Bucarest, Roumanie), qui est la juridiction de renvoi.

27 Cette juridiction considère que, dans les affaires au principal, se pose la question de la conformité à la finalité sociale de la directive 2008/94 d’une pratique administrative consistant à interpréter la réglementation nationale d’une façon qui remet en cause des créances salariales précédemment versées aux salariés d’employeurs se trouvant en état d’insolvabilité. Cette pratique administrative trouverait son origine dans la décision de la Curtea de Conturi a României (Cour des comptes de
Roumanie), adoptée à la suite de l’interprétation de ladite réglementation retenue par l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice), décision et interprétation visées au point 21 du présent arrêt.

28 La juridiction de renvoi estime que ladite pratique administrative a créé une situation juridique désavantageuse pour lesdits salariés en portant atteinte à la certitude et à la sécurité des rapports juridiques par la remise en cause de créances salariales déjà payées à ces derniers, ainsi qu’en prévoyant, sans fondement légal national approprié, une obligation de remboursement des sommes perçues à cet égard, le cas échéant assorties d’intérêts et de pénalités de retard.

29 En outre, cette juridiction s’interroge sur le point de savoir si la réglementation nationale en cause dans les affaires pendantes devant elle, qui prévoit le recouvrement, auprès du travailleur salarié, des sommes acquittées hors du délai de prescription par le Fonds de garantie à titre de créances impayées des salariés d’un employeur en état d’insolvabilité, peut être reconnue comme étant adoptée « en vue d’éviter des abus », au sens de l’article 12, sous a), de la directive 2008/94, dans la
mesure où le paiement de créances salariales au salarié a eu lieu à la suite d’une demande faite par le liquidateur judiciaire de l’employeur auprès du Fonds de garantie, et ce en l’absence de toute action ou omission imputable au salarié concerné.

30 Dans ces conditions, la Curtea de Apel Bucureşti (Cour d’appel de Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, rédigées en des termes identiques dans les affaires C‑524/21 et C‑525/21 :

« 1) Les dispositions de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/94, eu égard à la notion autonome d’“état d’insolvabilité”, s’opposent–elles à une réglementation nationale de transposition de [cette] directive, [à savoir] l’article 15, paragraphes 1 et 2, de la loi no 200/2006 relative à la constitution et l’utilisation du Fonds de garantie pour le paiement des créances salariales, lu en combinaison avec l’article 7 des [règles méthodologiques,] telle
[qu’interprétée par] l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice) [...], selon laquelle la période de trois mois, pour laquelle le Fonds de garantie peut prendre en charge et payer les créances salariales de l’employeur en état d’insolvabilité, prend exclusivement pour référence la date d’ouverture de la procédure d’insolvabilité ?

2) Les dispositions de l’article 3, [second alinéa], et de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2008/94 s’opposent-elles à l’article 15, paragraphes 1 et 2, de la loi no 200/2006 concernant la constitution et l’utilisation du Fonds de garantie pour le paiement des créances salariales, tel qu’interprété par l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice) [...], selon lequel la période maximale de trois mois, pour laquelle le Fonds de garantie peut prendre en
charge et payer les créances salariales de l’employeur en état d’insolvabilité, s’inscrit dans la période de référence des trois mois précédant immédiatement l’ouverture de la procédure d’insolvabilité [et des] trois mois suivant immédiatement l’ouverture de la procédure d’insolvabilité ?

3) Une pratique administrative nationale par laquelle, en vertu d’une décision de la Curtea de Conturi a României (Cour des comptes de Roumanie) et en l’absence d’une réglementation nationale spécifique obligeant le travailleur à rembourser, il est procédé au recouvrement auprès du travailleur des sommes prétendument acquittées pour des périodes dépassant le cadre légal ou qui ont été réclamées hors du délai de prescription, est-elle conforme à la finalité sociale de la directive 2008/94 et [à]
l’article 12, sous a), de [cette] directive ?

4) S’agissant de l’interprétation de la notion d’“abus”, visée à l’article 12, sous a), de la directive 2008/94, l’action de procéder au recouvrement auprès du travailleur, dans le but déclaré de faire respecter le délai général de prescription, des droits salariaux que le Fonds a payés sur demande du liquidateur judiciaire, est-elle une justification objective suffisante ?

5) Une interprétation et une pratique administrative nationales selon lesquelles les créances salariales dont la restitution est demandée aux travailleurs sont assimilées à des créances fiscales portant des intérêts et des pénalités de retard sont-elles conformes aux dispositions et aux objectifs de la directive [2008/94] ? »

31 Par décision du président de la Cour du 22 octobre 2021, les affaires C‑524/21 et C‑525/21 ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.

Sur les questions préjudicielles

Sur les première et deuxième questions

32 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si les dispositions combinées de l’article 1er, paragraphe 1, de l’article 2, paragraphe 1, de l’article 3, second alinéa, et de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2008/94 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale qui prévoit que la date de référence pour la détermination de la période donnant lieu au paiement,
par une institution de garantie, des créances salariales impayées des travailleurs salariés est la date d’ouverture de la procédure d’insolvabilité de l’employeur de ces travailleurs et qui limite ce paiement à une période de trois mois s’inscrivant dans une période de référence comprenant les trois mois précédant et les trois mois suivant immédiatement cette date d’ouverture.

33 Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2008/94, celle-ci s’applique aux créances des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et existant à l’égard d’employeurs qui se trouvent en état d’insolvabilité au sens de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive.

34 Cette dernière disposition prévoit qu’un employeur est considéré comme se trouvant en état d’insolvabilité lorsqu’a été demandée l’ouverture d’une procédure collective fondée sur l’insolvabilité de l’employeur, prévue par les dispositions législatives, réglementaires et administratives d’un État membre, qui entraîne le dessaisissement partiel ou total de cet employeur ainsi que la désignation d’un syndic, ou d’une personne exerçant une fonction similaire, et que l’autorité qui est compétente en
vertu desdites dispositions a soit décidé l’ouverture de la procédure, soit constaté la fermeture définitive de l’entreprise ou de l’établissement de l’employeur, ainsi que l’insuffisance de l’actif disponible pour justifier l’ouverture de la procédure.

35 Conformément à l’article 3, premier alinéa, de la directive 2008/94, les États membres prennent les mesures nécessaires afin que les institutions de garantie assurent, sous réserve de l’article 4 de cette directive, le paiement des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail y compris, lorsque le droit national le prévoit, des dédommagements pour cessation de la relation de travail.

36 À cet égard, aux termes de l’article 3, second alinéa, de la directive 2008/94, les créances prises en charge par l’institution de garantie sont les rémunérations impayées correspondant à une période se situant avant et/ou, le cas échéant, après une date déterminée par les États membres.

37 Or, la Cour a déjà jugé que l’article 3, second alinéa, de la directive 2008/94 donne aux États membres la faculté de déterminer la date avant et/ou, le cas échant, après laquelle se situe la période durant laquelle les créances correspondant à des rémunérations impayées sont prises en charge par l’institution de garantie, et laisse aux États membres la liberté de déterminer une date appropriée (voir, en ce sens, arrêt du 18 avril 2013, Mustafa, C‑247/12, EU:C:2013:256, points 39 et 41).

38 Ainsi, rien ne s’oppose à ce que la date d’ouverture de la procédure d’insolvabilité diligentée envers un employeur puisse être retenue par un État membre en tant que date de référence pour la détermination, par une institution de garantie, de la période donnant lieu au paiement des créances salariales impayées des travailleurs salariés de cet employeur.

39 Par ailleurs, l’existence de relations de travail et de créances impayées des travailleurs étant établie dans les affaires au principal, la juridiction de renvoi cherche à savoir quelle est l’étendue temporelle de l’obligation pour une institution de garantie de payer lesdites créances.

40 Ainsi que la Cour l’a jugé, la directive 2008/94 confère aux États membres la faculté de limiter l’obligation de paiement par la fixation d’une période de référence ou d’une période de garantie et/ou l’assignement de plafonds aux paiements (arrêt du 25 juillet 2018, Guigo, C‑338/17, EU:C:2018:605, point 30 et jurisprudence citée).

41 À cet égard, l’article 4, paragraphe 1, de cette directive dispose, en effet, que les États membres ont la faculté de limiter l’obligation de paiement des institutions de garantie visée à l’article 3 de celle-ci. Aux termes de l’article 4, paragraphe 2, premier alinéa, de ladite directive, lorsque les États membres font usage de la faculté visée au paragraphe 1, ils fixent la durée de la période donnant lieu au paiement des créances impayées par l’institution de garantie. Cette durée ne peut
toutefois être inférieure à une période portant sur la rémunération des trois derniers mois de la relation de travail se situant avant et/ou après la date visée à l’article 3, second alinéa. L’article 4, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la même directive donne également aux États membres la faculté d’inscrire cette période minimale de trois mois dans une période de référence dont la durée ne peut être inférieure à six mois.

42 En l’occurrence, il résulte des explications fournies par la juridiction de renvoi ainsi que des observations écrites soumises par le gouvernement roumain que l’article 15, paragraphes 1 et 2, de la loi no 200/2006 doit être compris comme prévoyant une période maximale de trois mois au titre de laquelle peuvent être prises en compte les créances salariales impayées, cette période s’inscrivant dans une période de référence de trois mois précédant immédiatement l’ouverture de la procédure
d’insolvabilité et de trois mois suivant immédiatement cette ouverture.

43 Or, une telle réglementation nationale, qui limite ainsi le paiement, par une institution de garantie, des créances salariales impayées des travailleurs salariés à une période maximale de trois mois précédant ou suivant immédiatement l’ouverture de la procédure d’insolvabilité collective de l’employeur répond aux exigences prévues, notamment, à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2008/94. En effet, une telle réglementation respecte la durée minimale de trois mois prescrite, en vertu de
cette disposition, au titre de la période pouvant donner lieu au paiement, par l’institution de garantie, des créances impayées, tout en situant cette période dans une période de référence satisfaisant à la durée minimale de six mois imposée par la même disposition.

44 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et deuxième questions que :

– l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/94 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit que la date de référence pour la détermination de la période donnant lieu au paiement, par une institution de garantie, des créances salariales impayées des travailleurs salariés est la date d’ouverture de la procédure collective d’insolvabilité de l’employeur de ces travailleurs, et

– l’article 3, second alinéa, et l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2008/94 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui limite le paiement, par une institution de garantie, des créances salariales impayées des travailleurs salariés à une période de trois mois s’inscrivant dans une période de référence comprenant les trois mois précédant et les trois mois suivant immédiatement la date d’ouverture de la procédure d’insolvabilité collective
de l’employeur de ces travailleurs.

Sur la quatrième question

45 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, sous a), de la directive 2008/94 doit être interprété en ce sens que peuvent constituer des mesures nécessaires en vue d’éviter des abus, au sens de cette disposition, des règles adoptées par un État membre qui prévoient le recouvrement par une institution de garantie auprès d’un travailleur salarié des sommes payées à un tel travailleur, hors du délai général de prescription, à titre de créances
salariales impayées des travailleurs salariés.

46 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 12, sous a), de la directive 2008/94, celle-ci ne porte pas atteinte à la faculté des États membres de prendre les mesures nécessaires en vue d’éviter des abus.

47 À titre liminaire, il convient de constater que, si la juridiction de renvoi n’a précisé ni la durée ni la base juridique, en droit national, du délai général de prescription visé par cette question ni n’a expliqué en quoi ce délai aurait pu être méconnu dans les circonstances caractérisant les litiges au principal, il peut néanmoins être supposé que cette juridiction vise la possibilité que, en vertu d’un tel délai, le droit au paiement des créances salariales de l’intéressé en cause dans
l’affaire C–524/21 soit prescrit, que ce délai soit celui de cinq ans suggéré par la Commission dans ses observations écrites et figurant dans le code de procédure fiscale roumain ou bien celui de trois ans mentionné par le gouvernement roumain dans ses observations écrites et prévu dans le code civil. En effet, dans l’affaire C–524/21, la procédure d’insolvabilité de l’employeur concerné a été ouverte le 19 mars 2010, alors que la demande de paiement des créances salariales a été déposée le
8 février 2017, soit presque sept ans après la date d’ouverture de cette procédure d’insolvabilité.

48 Cela étant précisé, en l’occurrence, ainsi qu’il ressort des décisions de renvoi, conformément à la réglementation nationale, c’est le liquidateur judiciaire de l’employeur en état d’insolvabilité, et non pas l’ayant droit, à savoir le travailleur salarié concerné, qui présente, auprès d’une agence pour l’emploi, une demande de paiement des créances salariales impayées de ce travailleur, à effectuer par le Fonds de garantie. Dans ces conditions, où il apparaît exclu que ledit travailleur ait agi
de mauvaise foi ou qu’il puisse être tenu pour responsable des démarches effectuées en dehors du cadre légal par le liquidateur judiciaire en vue du recouvrement des créances salariales, le recouvrement, prévu par cette réglementation, des sommes qui, en vertu de ladite réglementation, auraient été indûment payées à ce titre ne peut avoir pour effet d’éviter un abus de la part du travailleur.

49 En outre, la juridiction de renvoi n’a pas fourni, dans les décisions de renvoi, d’autres éléments, notamment relatifs aux actions ou omissions des travailleurs concernés, susceptibles d’éclairer en quoi la circonstance que ces travailleurs auraient reçu des paiements de la part du Fonds de garantie à titre de créances salariales impayées auxquels ils n’auraient, en définitive, pas droit en ce que leur droit à ces paiements était prescrit serait, en l’occurrence, de nature à révéler une situation
d’abus de la part de ces mêmes travailleurs.

50 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l’article 12, sous a), de la directive 2008/94 doit être interprété en ce sens que ne peuvent pas constituer des mesures nécessaires en vue d’éviter des abus, au sens de cette disposition, des règles adoptées par un État membre qui prévoient le recouvrement par une institution de garantie auprès d’un travailleur salarié des sommes payées à un tel travailleur hors du délai général de prescription à titre de créances
salariales impayées, en l’absence de toute action ou omission imputable au travailleur concerné.

Sur les troisième et cinquième questions

51 Par ses troisième et cinquième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2008/94 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à l’application d’une réglementation fiscale d’un État membre aux fins de procéder au recouvrement, assorti d’intérêts et de pénalités de retard, auprès des travailleurs salariés, de sommes indûment acquittées par une institution de garantie à titre de créances salariales impayées des travailleurs
salariés pour des périodes non comprises dans la période de temps prévue par la réglementation nationale de cet État et visées dans les première et deuxième questions ou réclamées hors du délai général de prescription.

52 S’agissant des modalités du recouvrement de sommes qui, selon la réglementation nationale applicable mettant en œuvre la directive 2008/94, auraient été indûment payées par une institution de garantie, il convient de constater d’emblée que cette directive ne contient aucune disposition qui règle la question de savoir si les États membres peuvent prévoir un tel recouvrement auprès des travailleurs et à quelles conditions, notamment procédurales, ce recouvrement peut être effectué.

53 En effet, les articles 4, 5 et 12 de la directive 2008/94, qui permettent aux États membres non seulement de fixer les modalités de l’organisation, du financement et du fonctionnement de l’institution de garantie, mais aussi de limiter dans certaines circonstances la protection qu’elle vise à assurer aux travailleurs salariés, ne prévoient pas de limitation de la possibilité, pour les États membres, de procéder au recouvrement de sommes qui, selon la réglementation nationale applicable mettant en
œuvre la directive 2008/94, ont été indûment payées (voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2009, Visciano, C‑69/08, EU:C:2009:468, point 38).

54 Dans ces conditions, les États membres sont en principe libres de prévoir dans leur droit national des dispositions fixant les modalités, notamment procédurales, à cet égard, pour autant, toutefois, que ces dispositions ne sont pas moins favorables que celles concernant des demandes semblables de nature interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne sont pas aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits reconnus par la directive 2008/94
(principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêts du 18 septembre 2003, Pflücke, C‑125/01, EU:C:2003:477, point 34, et du 16 juillet 2009, Visciano, C‑69/08, EU:C:2009:468, point 39).

55 Si les troisième et cinquième questions portent sur les conditions du recouvrement, auprès des travailleurs salariés, des sommes acquittées à titre de créances salariales impayées des travailleurs salariés par une institution de garantie, et non pas sur l’exercice, en tant que tel, par les travailleurs de leur droit aux prestations prévues par la directive 2008/94, il n’en demeure pas moins que lesdites conditions de recouvrement peuvent interférer avec un tel exercice effectif et avoir un impact
sur l’étendue dudit droit. Par conséquent, les exigences découlant des principes d’équivalence et d’effectivité, visés au point précédent, doivent bien trouver application dans les affaires au principal.

56 À cet égard, s’agissant, en premier lieu, du principe d’équivalence, ainsi qu’il découle de la jurisprudence rappelée au point 54 du présent arrêt, ce principe s’oppose à ce qu’un État membre prévoie des modalités, notamment procédurales, moins favorables pour les mesures de recouvrement de prestations dont l’octroi est régi ou encadré par le droit de l’Union que pour celles applicables aux mesures de recouvrement de prestations de nature similaire dont l’octroi est régi ou encadré par le seul
droit interne.

57 En l’occurrence, il importe de constater que, ainsi qu’il ressort des décisions de renvoi, le recouvrement en cause dans les affaires au principal est opéré sur le fondement des dispositions nationales portant sur le recouvrement de dettes fiscales, ces dispositions étant en l’espèce appliquées par analogie.

58 Or, dans la mesure où les droits garantis par la directive 2008/94, dont la finalité sociale consiste à garantir à tous les travailleurs salariés un minimum de protection au niveau de l’Union européenne en cas d’insolvabilité de l’employeur (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Guigo, C‑338/17, EU:C:2018:605, point 28), relèvent du domaine du droit de la protection sociale des travailleurs, il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner si les conditions de recouvrement appliquées
dans les affaires au principal ne sont pas moins favorables pour les travailleurs salariés que les conditions de recouvrement des autres prestations similaires dues au titre des dispositions nationales relevant dudit domaine.

59 Aux fins de cette comparaison, la juridiction de renvoi doit tenir compte du fait de savoir si les travailleurs cherchant à s’opposer au recouvrement des sommes qui leur ont été payées au titre de la directive 2008/94 ne sont pas désavantagés par rapport à ceux qui se verraient impliqués dans une procédure de recouvrement de sommes de nature similaire dont l’octroi est régi par le droit interne. Ainsi que l’a relevé en substance M. l’avocat général au point 59 de ses conclusions, peuvent
notamment être pris en compte à cet effet la possibilité de répéter l’indu, la bonne foi de la personne ayant prétendument indûment perçu une somme et le point de départ des intérêts de retard.

60 En ce qui concerne, en second lieu, le principe d’effectivité, il y a lieu de rappeler que la fixation de délais raisonnables à peine de forclusion satisfait, en principe, à celui-ci dans la mesure où elle constitue une application du principe de sécurité juridique (voir, en ce sens, arrêts du 18 septembre 2003, Pflücke, C‑125/01, EU:C:2003:477, point 36, et du 16 juillet 2009, Visciano, C‑69/08, EU:C:2009:468, point 43).

61 En l’occurrence, il convient de constater que, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 63 de ses conclusions, l’application de la réglementation nationale portant sur le recouvrement, auprès des travailleurs salariés, des sommes indûment acquittées par une institution de garantie à titre de créances salariales impayées de ces travailleurs salariés ne saurait rendre impossible ou excessivement difficile pour ceux-ci l’exercice de leur droit à demander le versement de
sommes dues au titre des salaires impayés auprès de l’institution de garantie.

62 En particulier, les modalités de la procédure de recouvrement en question ne sauraient, par conséquent, être à l’origine d’une situation dans laquelle les éventuels droits des travailleurs salariés au paiement des créances salariales qui leur seraient effectivement dues seraient pour leur part prescrits.

63 À cet égard, il convient de souligner que les litiges au principal apparaissent caractérisés par la circonstance que le bien-fondé des demandes de paiement des créances salariales impayées des travailleurs concernés est principalement contesté au motif que ces créances ne s’inscrivent pas dans la période de référence fixée par la réglementation nationale en application de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2008/94.

64 Ainsi, il n’est pas exclu que ces travailleurs auraient eu droit au paiement, par l’institution de garantie, de leurs créances salariales, à hauteur du même montant, correspondant à une période située à l’intérieur de cette période de référence, dans l’hypothèse où ces créances seraient effectivement demeurées impayées, et que ce paiement leur aurait été octroyé si le liquidateur avait, dans la demande qu’il a introduite à cet effet, correctement identifié ces périodes, alors que l’introduction
d’une telle demande pourrait ne plus être possible, juridiquement ou en pratique, au moment où les travailleurs prennent connaissance de la décision de recouvrement, notamment en raison de l’expiration éventuelle du délai général de prescription.

65 Dans une telle situation, si la Cour a reconnu, en cette matière, la compatibilité avec le droit de l’Union de la fixation de délais de prescription raisonnables, et que le délai général de prescription prévu en droit roumain, tel qu’exposé au point 47 du présent arrêt, apparaît en principe raisonnable, les travailleurs se retrouveraient néanmoins, en définitive, dans l’impossibilité d’exercer les droits que leur a reconnus la directive 2008/94, situation contraire au principe d’effectivité, ce
qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

66 S’agissant de l’obligation pour les travailleurs salariés de supporter des intérêts et des pénalités de retard, prévue par la réglementation nationale en cause, il convient de constater que, ainsi que l’a relevé en substance M. l’avocat général au point 64 de ses conclusions, le principe d’effectivité exige que l’éventuel paiement de ces intérêts et pénalités de retard n’affecte en aucune façon la protection accordée aux travailleurs salariés par la directive 2008/94, notamment en ne portant pas
atteinte, dans l’hypothèse visée au point 64 du présent arrêt, au niveau minimal de la protection prévue conformément à l’article 4, paragraphe 2, de cette directive.

67 En effet, dans l’hypothèse où il est établi que les travailleurs auraient eu, en cas de présentation d’une demande correcte, droit au paiement, en substance, du même montant que celui qui leur a été effectivement payé à la suite de la demande erronée introduite par le liquidateur, alors que l’impossibilité éventuelle d’introduire encore une demande correcte est contraire au principe d’effectivité, ces travailleurs doivent effectivement pouvoir bénéficier intégralement du droit au paiement de
leurs créances salariales impayées dans les limites prévues à l’article 3 et à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2008/94 et, le cas échéant, par le droit interne.

68 Partant, dans les affaires au principal, le recouvrement du montant déjà payé, majoré d’intérêts et de pénalités de retard, aurait nécessairement pour conséquence de porter atteinte aux droits que les travailleurs concernés peuvent tirer des articles 3 et 4 de la directive 2008/94 en réduisant, en définitive, le montant global qui leur est dû au titre de leurs créances salariales impayées en dessous des limites minimales qui y sont prévues.

69 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux troisième et cinquième questions que la directive 2008/94, lue à la lumière des principes d’équivalence et d’effectivité, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à l’application d’une réglementation fiscale d’un État membre aux fins de procéder au recouvrement, assorti d’intérêts et de pénalités de retard, auprès des travailleurs salariés, de sommes indûment acquittées par une institution de garantie
à titre de créances salariales impayées des travailleurs salariés pour des périodes non comprises dans la période de référence prévue par la réglementation de cet État et visées dans les première et deuxième questions ou réclamées hors du délai général de prescription dans le cas où :

– les conditions de recouvrement prévues par cette réglementation nationale sont moins favorables pour les travailleurs salariés que les conditions de recouvrement des prestations dues au titre des dispositions nationales relevant du domaine du droit de la protection sociale, ou

– l’application de la réglementation nationale en cause rend impossible ou excessivement difficile pour les travailleurs concernés de demander le versement de sommes dues au titre des créances salariales impayées auprès de l’institution de garantie ou bien le paiement des intérêts et des pénalités de retard, prévus par ladite réglementation nationale, affecte la protection accordée aux travailleurs salariés tant par la directive 2008/94 que par les dispositions nationales mettant en œuvre
celle-ci, notamment en portant atteinte au niveau minimal de la protection prévue conformément à l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive.

Sur les dépens

70 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 1er, paragraphe 1, et l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit que la date de référence pour la détermination de la période donnant lieu au paiement, par une institution de garantie, des créances salariales impayées des travailleurs salariés est la date d’ouverture de la procédure collective d’insolvabilité de l’employeur de ces travailleurs.

  2) L’article 3, second alinéa, et l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2008/94

doivent être interprétés en ce sens que :

ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui limite le paiement, par une institution de garantie, des créances salariales impayées des travailleurs salariés à une période de trois mois s’inscrivant dans une période de référence comprenant les trois mois précédant et les trois mois suivant immédiatement la date d’ouverture de la procédure d’insolvabilité collective de l’employeur de ces travailleurs.

  3) L’article 12, sous a), de la directive 2008/94

doit être interprété en ce sens que :

ne peuvent pas constituer des mesures nécessaires en vue d’éviter des abus, au sens de cette disposition, des règles adoptées par un État membre qui prévoient le recouvrement par une institution de garantie auprès d’un travailleur salarié des sommes payées à un tel travailleur hors du délai général de prescription à titre de créances salariales impayées, en l’absence de toute action ou omission imputable au travailleur concerné.

  4) La directive 2008/94, lue à la lumière des principes d’équivalence et d’effectivité,

doit être interprétée en ce sens que :

elle s’oppose à l’application d’une réglementation fiscale d’un État membre aux fins de procéder au recouvrement, assorti d’intérêts et de pénalités de retard, auprès des travailleurs salariés, de sommes indûment acquittées par une institution de garantie à titre de créances salariales impayées des travailleurs salariés pour des périodes non comprises dans la période de référence prévue par la réglementation de cet État et visées dans les première et deuxième questions ou réclamées hors du
délai général de prescription dans le cas où :

– les conditions de recouvrement prévues par cette réglementation nationale sont moins favorables pour les travailleurs salariés que les conditions de recouvrement des prestations dues au titre des dispositions nationales relevant du domaine du droit de la protection sociale, ou

– l’application de la réglementation nationale en cause rend impossible ou excessivement difficile pour les travailleurs concernés de demander le versement de sommes dues au titre des créances salariales impayées auprès de l’institution de garantie ou bien le paiement des intérêts et des pénalités de retard, prévus par ladite réglementation nationale, affecte la protection accordée aux travailleurs tant par la directive 2008/94 que par les dispositions nationales mettant en œuvre celle-ci,
notamment en portant atteinte au niveau minimal de la protection prévue conformément à l’article 4, paragraphe 2, de ladite directive.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le roumain.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-524/21
Date de la décision : 16/02/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle, introduites par la Curtea de Apel Bucureşti.

Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur – Directive 2008/94/CE – Prise en charge par les institutions de garantie des créances salariales des travailleurs salariés – Limitation de l’obligation de paiement des institutions de garantie aux créances salariales afférentes à la période de trois mois antérieurs ou postérieurs à la date d’ouverture de la procédure d’insolvabilité – Application d’un délai de prescription – Recouvrement de paiements indûment versés par l’institution de garantie – Conditions.

Politique sociale


Parties
Demandeurs : IG et Agenţia Municipală pentru Ocuparea Forţei de Muncă Bucureşti
Défendeurs : Agenţia Judeţeană de Ocupare a Forţei de Muncă Ilfov et IM.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Arastey Sahún

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:100

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