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02/02/2023 | CJUE | N°C-806/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Procédure pénale contre TF., 02/02/2023, C-806/21


 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

2 février 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Précurseurs de drogues – Décision-cadre 2004/757/JAI – Article 2, paragraphe 1, sous d) – Personne impliquée dans le transport et la distribution de précurseurs utilisés pour la production ou la fabrication illicites de drogues – Règlement (CE) no 273/2004 – Substances classifiées – Article 2 – Notion d’“opérateur” – Article 8, paragraphe 1 – Éléments donnant à penser que des substances classifiées peuvent être détournées pour

la fabrication illicite de stupéfiants ou de
substances psychotropes – Obligation de notification de ces éléments – Notion ...

 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

2 février 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Précurseurs de drogues – Décision-cadre 2004/757/JAI – Article 2, paragraphe 1, sous d) – Personne impliquée dans le transport et la distribution de précurseurs utilisés pour la production ou la fabrication illicites de drogues – Règlement (CE) no 273/2004 – Substances classifiées – Article 2 – Notion d’“opérateur” – Article 8, paragraphe 1 – Éléments donnant à penser que des substances classifiées peuvent être détournées pour la fabrication illicite de stupéfiants ou de
substances psychotropes – Obligation de notification de ces éléments – Notion d’“élément” – Portée »

Dans l’affaire C‑806/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas), par décision du 14 décembre 2021, parvenue à la Cour le 21 décembre 2021, dans la procédure pénale contre

TF

en présence de :

Openbaar Ministerie,

LA COUR (septième chambre),

composée de Mme M. L. Arastey Sahún, présidente de chambre, MM. F. Biltgen (rapporteur) et J. Passer, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour le gouvernement néerlandais, par Mme M. K. Bulterman et M. J. Langer, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme L. Haasbeek et M. R. Lindenthal, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CE) no 273/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, relatif aux précurseurs de drogues (JO 2004, L 47, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 1258/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 20 novembre 2013 (JO 2013, L 330, p. 21) (ci-après le « règlement no 273/2004 »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée aux Pays-Bas contre TF, accusé d’avoir transporté des substances classifiées utilisées pour la fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes.

Le cadre juridique

Le droit international

3 L’article 3 de la convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, conclue à Vienne le 20 décembre 1988 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1582, p. 95), et approuvée par la Communauté économique européenne par la décision 90/611/CEE du Conseil, du 22 octobre 1990 (JO 1990, L 326, p. 56, ci-après la « convention de Vienne contre le trafic illicite »), intitulé « Infractions et sanctions », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Chaque Partie adopte les mesures nécessaires pour conférer le caractère d’infractions pénales conformément à son droit interne, lorsque l’acte a été commis intentionnellement :

a) [...]

iv) À la fabrication, au transport ou à la distribution d’équipements, de matériels ou de substances inscrites au Tableau I et au Tableau II, dont celui qui s’y livre sait qu’ils doivent être utilisés dans ou pour la culture, la production ou la fabrication illicites de stupéfiants ou de substances psychotropes ;

[...]

c) Sous réserve de ses principes constitutionnels et des concepts fondamentaux de son système juridique,

[...]

ii) À la détention d’équipements, de matériels ou de substances inscrites au Tableau I ou au Tableau II, dont celui qui les détient sait qu’ils sont ou doivent être utilisés dans ou pour la culture, la production ou la fabrication illicites de stupéfiants ou de substances psychotropes ;

[...] »

4 L’article 12 de cette convention, intitulé « Substances fréquemment utilisées dans la fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes », stipule :

« 1.   Les Parties adoptent les mesures qu’elles jugent appropriées pour empêcher le détournement de substances inscrites au Tableau I et au Tableau II aux fins de la fabrication illicite de stupéfiants et de substances psychotropes et coopèrent entre elles à cette fin.

[...]

8.   

a) Sans préjudice du caractère général des dispositions du paragraphe 1 du présent article et des dispositions de la Convention de 1961, de la Convention de 1961 telle que modifiée et de la Convention de 1971, les Parties prennent les mesures qu’elles jugent appropriées pour contrôler, sur leur territoire, la fabrication et la distribution des substances inscrites au Tableau I et au Tableau II ;

b) À cette fin, les Parties peuvent :

i) Exercer une surveillance sur toutes les personnes et entreprises se livrant à la fabrication et à la distribution desdites substances ;

[...]

iii) Exiger que les titulaires d’une licence obtiennent une autorisation pour se livrer aux opérations susmentionnées ;

[...]

9.   En ce qui concerne les substances figurant dans les tableaux I et II, chaque Partie prend les mesures suivantes :

a) Elle établit et maintient un système de surveillance du commerce international des substances inscrites au Tableau I et au Tableau II afin de faciliter la détection des opérations suspectes. Ces systèmes de surveillance doivent être mis en œuvre en étroite coopération avec les fabricants, importateurs, exportateurs, grossistes et détaillants, qui signalent aux autorités compétentes les commandes et opérations suspectes ;

b) Elle prévoit la saisie de toute substance inscrite au Tableau I et au Tableau II s’il existe des preuves suffisantes qu’elle est destinée à servir à la fabrication illicite d’un stupéfiant ou d’une substance psychotrope ;

c) Elle informe le plus rapidement possible les autorités et services compétents des Parties intéressées s’il y a des raisons de penser qu’une substance inscrite au Tableau I ou au Tableau II est importée, exportée ou acheminée en transit en vue de la fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes, notamment en leur fournissant des informations sur les modes de paiement utilisés et tous autres éléments essentiels sur lesquels repose sa conviction ;

d) Elle exige que les envois faisant l’objet d’importations et d’exportations soient correctement marqués et accompagnés des documents nécessaires. Les documents commerciaux tels que factures, manifestes, documents douaniers, de transports et autres documents d’expédition doivent indiquer les noms des substances faisant l’objet de l’importation ou de l’exportation tels qu’ils figurent au Tableau I ou au Tableau II, la quantité importée et exportée, ainsi que le nom et l’adresse de l’exportateur,
de l’importateur et, lorsqu’il est connu, ceux du destinataire ;

[...]

[...] »

Le droit de l’Union

La décision-cadre 2004/757/JAI

5 Les considérants 1 à 3 de la décision-cadre 2004/757/JAI du Conseil, du 25 octobre 2004, concernant l’établissement des dispositions minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et des sanctions applicables dans le domaine du trafic de drogue (JO 2004, L 335, p. 8), énoncent :

« (1) Le trafic de drogue représente une menace pour la santé, la sécurité et la qualité de vie des citoyens de l’Union européenne, ainsi que pour l’économie légale, la stabilité et la sécurité des États membres.

(2) La nécessité d’une action législative dans le domaine de la lutte contre le trafic de drogue a été reconnue notamment par le plan d’action du Conseil [de l’Union européenne] et de la Commission [européenne] concernant les modalités optimales de mise en œuvre des dispositions du traité d’Amsterdam relatives à l’établissement d’un espace de liberté, de sécurité et de justice [(JO 1999, C 19, p. 1)], adopté lors du Conseil “Justice et affaires intérieures” de Vienne, le 3 décembre 1998, les
conclusions du Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999, et notamment la conclusion no 48, la stratégie antidrogue de l’Union européenne (2000-2004), approuvée lors du Conseil européen d’Helsinki du 10 au 12 décembre 1999 et le plan d’action de l’Union européenne en matière de lutte contre la drogue (2000‑2004), entériné lors du Conseil européen de Santa Maria da Feira des 19 et 20 juin 2000.

(3) Il est nécessaire d’adopter des règles minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions de trafic de drogue et de précurseurs, qui permettront de définir une approche commune au niveau de l’Union européenne dans la lutte contre le trafic de drogue. »

6 L’article 1er de cette décision-cadre, intitulé « Définitions », prévoit :

« Aux fins de la présente décision-cadre, on entend par :

[...]

2) “précurseur” : toute substance classifiée dans la législation communautaire donnant effet aux obligations découlant de l’article 12 de la [convention de Vienne contre le trafic illicite] ;

[...] »

7 L’article 2 de ladite décision-cadre, intitulé « Infractions liées au trafic de drogue et de précurseurs », dispose, à son paragraphe 1 :

« Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que les comportements intentionnels suivants soient punis lorsqu’ils ne peuvent être légitimés :

[...]

d) la fabrication, le transport, la distribution de précurseurs, dont celui qui s’y livre sait qu’ils doivent être utilisés dans ou pour la production ou la fabrication illicites de drogues. »

Le règlement no 273/2004

8 Les considérants 2 à 6, 8, 11 à 13 et 17 du règlement no 273/2004 énoncent :

« (2) Les exigences de l’article 12 de la [convention de Vienne contre le trafic illicite] relative[s] au commerce des précurseurs (c’est-à-dire des substances fréquemment utilisées dans la fabrication illicite de stupéfiants et de substances psychotropes) ont été satisfaites en ce qui concerne les échanges entre la Communauté et les pays tiers, par suite de l’adoption du règlement (CEE) no 3677/90 du Conseil du 13 décembre 1990 relatif aux mesures à prendre afin d’empêcher le détournement de
certaines substances pour la fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes [(JO 1990, L 357, p. 1)].

(3) L’article 12 de la [convention de Vienne contre le trafic illicite] envisage l’adoption de mesures visant à surveiller la fabrication et la distribution des précurseurs. Il s’agit de prendre des dispositions pour régir le commerce des précurseurs entre les États membres. De telles mesures ont été instaurées par la directive 92/109/CEE du Conseil du 14 décembre 1992 relative à la fabrication et à la mise sur le marché de certaines substances utilisées pour la fabrication illicite de stupéfiants
et de substances psychotropes [(JO 1992, L 370, p. 76)]. Pour mieux assurer l’application simultanée de règles harmonisées dans tous les États membres, un règlement paraît plus approprié que la directive actuelle.

(4) Dans le cadre de l’élargissement de l’Union européenne, sachant que chaque modification de la directive 92/109/CEE et de ses annexes donnera lieu à des mesures de mise en œuvre dans 25 États membres, il importe de remplacer ladite directive par un règlement.

(5) Par les décisions adoptées lors de sa trente-cinquième session en 1992, la commission des stupéfiants des Nations unies a complété la liste des substances prévues dans les tableaux de l’annexe à la [convention de Vienne contre le trafic illicite]. Il convient de prévoir des dispositions correspondantes dans le présent règlement afin de détecter d’éventuels détournements illicites de précurseurs de drogues dans la Communauté et de garantir l’application de règles communes de surveillance sur le
marché communautaire.

(6) Les dispositions de l’article 12 de la [convention de Vienne contre le trafic illicite] s’appuient sur un système de surveillance du commerce des substances en cause. La plus grande partie du commerce de ces substances est tout à fait licite. La documentation et le marquage des envois de ces substances devraient être suffisamment explicites. Il importe, en outre, tout en dotant les autorités compétentes des moyens nécessaires, de mettre au point, dans l’esprit de la [convention de Vienne
contre le trafic illicite], des mécanismes basés sur une étroite coopération avec les opérateurs concernés et sur le développement de la collecte des renseignements.

[...]

(8) Les substances couramment utilisées dans la fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes devraient figurer à l’annexe.

[...]

(11) Il y a lieu d’adopter des mesures afin de garantir un meilleur contrôle du commerce intracommunautaire des substances classifiées figurant à l’annexe I.

(12) Toutes les transactions conduisant à la mise sur le marché de substances classifiées des catégories 1 et 2 de l’annexe I devraient être accompagnées d’une documentation appropriée. Les opérateurs devraient notifier aux autorités compétentes toute transaction suspecte comprenant les substances reprises à l’annexe I. Toutefois, il convient de prévoir des dérogations pour les opérations portant sur des substances de la catégorie 2 de l’annexe I lorsque les quantités en cause ne dépassent pas
celles indiquées dans l’annexe II.

(13) De nombreuses autres substances, dont beaucoup sont commercialisées légalement en grandes quantités, ont été recensées comme précurseurs pour la fabrication illicite de drogues de synthèse et de substances psychotropes. Le fait de soumettre ces substances aux mêmes contrôles stricts que ceux applicables aux substances de l’annexe I créerait un obstacle inutile aux échanges, impliquant l’octroi d’un agrément aux opérateurs et l’obligation d’établir une documentation pour toute transaction. Il
est dès lors nécessaire de mettre en place, au niveau communautaire, un système plus souple qui permettrait aux autorités compétentes des États membres d’être informées de ces transactions.

[...]

(17) Étant donné que les objectifs de l’action envisagée, à savoir assurer un contrôle harmonisé des échanges de précurseurs de drogue et empêcher leur détournement en vue de la fabrication illicite de drogues de synthèse et de substances psychotropes, ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison de la dimension internationale et de l’aspect dynamique d’un tel commerce, être mieux réalisés au niveau communautaire, la Communauté peut prendre des
mesures conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 du traité. Conformément au principe de proportionnalité tel qu’énoncé audit article, le présent règlement n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs. »

9 L’article 1er du e règlement no 273/2004 prévoit :

« Le présent règlement établit des mesures harmonisées pour le contrôle et la surveillance, à l’intérieur de l’Union, de certaines substances fréquemment utilisées pour la fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes, en vue d’éviter leur détournement. »

10 L’article 2 de ce règlement dispose :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

a) “substance classifiée” : toute substance figurant à l’annexe I qui peut être utilisée pour la fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes, y compris les mélanges et les produits naturels contenant de telles substances, mais à l’exclusion des mélanges et des produits naturels contenant des substances classifiées qui sont composées de manière telle que les substances classifiées ne peuvent pas être facilement utilisées ni extraites par des moyens aisés à mettre en œuvre ou
économiquement viables, des médicaments au sens de l’article 1er, point 2, de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil[, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67),] et des médicaments vétérinaires au sens de l’article 1er, point 2), de la directive 2001/82/CE du Parlement européen et du Conseil[, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments vétérinaires (JO 2001, L 311,
p. 1)] ;

b) “substance non classifiée” : toute substance qui, bien que non comprise dans l’annexe I, est identifiée comme ayant été utilisée dans le cadre d’une fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes ;

c) “mise sur le marché” : toute mise à disposition, à titre onéreux ou gratuit, de substances classifiées dans l’Union ; ou le stockage, la fabrication, la production, la transformation, le commerce, la distribution ou le courtage de ces substances à des fins de mise à disposition dans l’Union ;

d) “opérateur” : toute personne physique ou morale concernée par la mise sur le marché de substances classifiées ;

[...]

f) “agrément spécial” : un agrément délivré à un type particulier d’opérateur ;

g) “enregistrement spécial” : un enregistrement effectué pour un type particulier d’opérateur ;

[...] »

11 L’article 8 dudit règlement, intitulé « Notification aux autorités compétentes », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les opérateurs notifient immédiatement aux autorités compétentes tous les éléments, tels que des commandes ou des transactions inhabituelles portant sur des substances classifiées devant être mises sur le marché, qui donnent à penser que ces substances peuvent être détournées pour la fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes. À cette fin, les opérateurs fournissent toute information disponible permettant aux autorités compétentes de vérifier la légitimité de la commande
ou de la transaction concernée. »

12 Aux termes de l’article 10, paragraphe 1, du même règlement :

« En vue d’assurer l’application correcte des articles 3 à 8, chaque État membre adopte les mesures nécessaires pour permettre à ses autorités compétentes de mener à bien leurs tâches de contrôle et de surveillance, et en particulier :

a) de recueillir des informations sur toute commande de substances classifiées ou opération dans laquelle interviennent des substances classifiées ;

b) d’avoir accès aux locaux professionnels des opérateurs et des utilisateurs en vue de recueillir la preuve d’irrégularités ;

c) au besoin, de retenir et de saisir les envois qui ne respectent pas le présent règlement. »

13 L’annexe I du règlement no 273/2004 dresse la liste des « substances classifiées », au sens de l’article 2, sous a), dudit règlement. L’acide chlorhydrique et l’acide sulfurique figurent à cette annexe en tant que substance classifiée de catégorie 3.

Le règlement no 111/2005

14 L’article 1er du règlement (CE) no 111/2005 du Conseil, du 22 décembre 2004, fixant des règles pour la surveillance du commerce des précurseurs des drogues entre l’Union et les pays tiers (JO 2005, L 22, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 1259/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 20 novembre 2013 (JO 2013, L 330, p. 30) (ci-après le « règlement no 111/2005 »), est libellé comme suit :

« Le présent règlement fixe des règles pour la surveillance du commerce entre l’Union et les pays tiers de certaines substances fréquemment utilisées dans la fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes (ci-après dénommées “précurseurs de drogues”), afin d’empêcher le détournement de ces substances. Il s’applique aux importations, aux exportations et aux activités intermédiaires. »

Le droit néerlandais

La loi relative à la prévention du détournement de substances chimiques

15 L’article 2, sous a), de la Wet voorkoming misbruik chemicaliën (loi relative à la prévention du détournement de substances chimiques), dans sa version applicable aux faits au principal (Stb. 2008, no 112), prévoit :

« Il est interdit d’agir contrairement aux réglementations édictées par ou en vertu :

a. des articles 3, paragraphes 2 et 3, et 8 du règlement no 273/2004.

[...] »

La loi sur les délits économiques

16 L’article 1er, sous 1°, de la Wet op de economische delicten (loi sur les délits économiques), telle que modifiée le 14 octobre 2015 (Stb. 2015, no 399), est libellé comme suit :

« Les délits économiques sont :

1°. violations des réglementations éditées par ou en vertu de :

la loi relative à la prévention du détournement de substances chimiques, articles 2, sous a), et 4, deuxième alinéa. »

17 L’article 2, paragraphe 1, de la loi sur les délits économiques, telle que modifiée le 14 octobre 2015, prévoit :

« Les infractions économiques visées à l’article 1er, sous 1° et 2°, et à l’article 1er bis, sous 1° et 2°, sont des crimes, dans la mesure où elles sont commises intentionnellement ; dans la mesure où ces infractions économiques ne sont pas des crimes, elles sont des délits. »

18 L’article 6, paragraphe 1, 1°, de ladite loi énonce :

« 1.   Celui qui commet un délit économique est puni :

1°. en cas de crime, dans la mesure où il s’agit d’une infraction économique visée à l’article 1er, sous 1°, ou à l’article 1er bis, sous 1°, d’une peine privative de liberté n’excédant pas six ans, d’une peine de travaux d’intérêt général ou d’une amende de cinquième catégorie. »

La loi sur l’opium

19 L’article 2 de l’Opiumwet (loi portant dispositions concernant l’opium et autres stupéfiants), du 12 mai 1928, dans sa version applicable aux faits au principal (Stb. 2015, no 429) (ci-après la « loi sur l’opium »), prévoit :

« Il est interdit, s’agissant d’une substance ou préparation visée dans la liste I annexée à la présente loi ou désignée en vertu de l’article 3a, paragraphe 5 :

A. de la faire entrer ou sortir du territoire des Pays-Bas ;

B. de la cultiver, préparer, traiter, transformer, vendre, livrer, fournir ou transporter ;

C. de la détenir ;

D. de la fabriquer. »

20 L’article 10 de cette loi est libellé comme suit :

« 1.   Celui qui agit contrairement à :

a. une interdiction visée à l’article 2, [...]

[...]

sera puni d’une peine privative de liberté n’excédant pas six mois ou d’une amende de quatrième catégorie.

[...]

3.   Celui qui enfreint intentionnellement l’interdiction prévue à l’article 2, sous C, sera puni d’une peine privative de liberté de six ans ou plus ou d’une amende de cinquième catégorie.

4.   Celui qui enfreint intentionnellement l’interdiction prévue à l’article 2, sous B ou D, est puni d’une peine privative de liberté n’excédant pas huit ans ou d’une amende de cinquième catégorie.

5.   Celui qui enfreint intentionnellement une interdiction prévue à l’article 2, sous A, est puni d’une peine privative de liberté n’excédant pas douze ans ou d’une amende de cinquième catégorie.

[...] »

21 L’article 10a, paragraphe 1, de ladite loi énonce :

« Celui qui, pour préparer ou favoriser une infraction visée à l’article 10, paragraphe 4 ou 5 :

1°. tente d’inciter une autre personne à commettre ou à faire commettre cette infraction, à y participer ou à en être l’instigateur, ou de l’aider ou de lui fournir une occasion, des moyens ou des informations à cette fin,

2°. cherche à se procurer ou à procurer à un tiers l’occasion, les moyens ou les informations nécessaires à la commission de cette infraction,

3°. détient des objets, moyens de transport, substances, fonds ou autres instruments de paiement, dont il sait ou a de sérieuses raisons de soupçonner qu’ils sont destinés à commettre cette infraction,

est puni d’une peine privative de liberté n’excédant pas six ans ou d’une amende de cinquième catégorie. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

22 TF a été inculpé pour avoir loué un véhicule qu’il a ensuite utilisé pour se rendre, le ou vers le 12 janvier 2016, dans une entreprise de produits chimiques située à Liège (Belgique) où il a pris livraison, à plusieurs reprises, de grandes quantités de produits chimiques, dont de l’acide sulfurique, de l’acide chlorhydrique, de l’acide formique et de la soude caustique. Il a ensuite transporté ces produits vers un garage et un parking situés aux Pays-Bas, aux fins de les livrer. Alors qu’il se
rendait à Waalre (Pays-Bas) pour y effectuer une livraison supplémentaire, TF, ainsi que la personne qui l’accompagnait avec un autre véhicule, ont été arrêtés par la police.

23 Les produits chimiques en cause n’étaient, pour la plupart, pas étiquetés et TF ne disposait pas des documents de transport requis.

24 L’acide chlorhydrique et l’acide sulfurique transportés et livrés par TF (ci-après les « produits en cause ») figurent à l’annexe I, catégorie 3, du règlement no 273/2004 et sont, dès lors, des « substances classifiées », au sens de l’article 2, sous a), de ce règlement. En conséquence, l’Openbaar Ministerie (ministère public, Pays-Bas) a engagé des poursuites pénales contre TF, d’une part, pour avoir préparé ou facilité la préparation, le traitement, la transformation, la vente, la livraison, la
fourniture, le transport, la fabrication, l’importation et l’exportation de MDMA et/ou d’amphétamine, actes punissables en vertu de l’article 10a, paragraphe 1, 1° et 3°, de la loi sur l’opium et, d’autre part, pour avoir violé l’obligation de notification prévue à l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 273/2004.

25 Par arrêt du 11 juin 2020, le Gerechtshof ’s-Hertogenbosch (cour d’appel de Bois-le-Duc, Pays-Bas) a déclaré TF coupable du premier de ces chefs d’accusation. TF a soutenu qu’il n’ignorait pas la nature des produits en cause, mais qu’il les avait transportés de manière désintéressée. Cette juridiction a toutefois considéré que, dans la mesure où il est de notoriété publique que de tels produits peuvent être utilisés dans la production à grande échelle de drogues de synthèse, notamment
d’amphétamine ou de MDMA, et que TF les a transportés aux fins de les livrer dans des lieux inhabituels, il ne pouvait ignorer que ces produits avaient une destination illicite ou criminelle. Par sa contribution substantielle au transport et à la livraison de ces derniers, ladite juridiction a estimé que TF avait accepté le risque que les produits en cause soient utilisés pour la production de drogues synthétiques. En revanche, la même juridiction a relaxé TF du second de ces chefs d’accusation,
en jugeant que, même si ce dernier peut être qualifié d’« opérateur », au sens de l’article 2, sous d), du règlement no 273/2004, les faits qui lui sont reprochés, à savoir le transport, la réception, le stockage ou la détention de substances classifiées, ne constituent pas des « éléments » devant être notifiés en application de l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement.

26 Le ministère public s’est pourvu en cassation contre cet arrêt devant le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas).

27 Cette juridiction s’interroge sur l’interprétation de ces dispositions. En particulier, elle relève que l’article 10a, paragraphe 1, 3°, de la loi sur l’opium met en œuvre l’article 2, paragraphe 1, sous d), de la décision‑cadre 2004/757, qui impose à chaque État membre de veiller à ce que la fabrication, le transport, la distribution de précurseurs, dont celui qui s’y livre sait qu’ils doivent être utilisés dans ou pour la production ou la fabrication illicites de drogues, soient punis. Elle se
demande, dès lors, si une personne peut, lorsqu’elle a fabriqué, transporté ou distribué des précurseurs tout en sachant qu’ils allaient être utilisés dans ou pour la production ou la fabrication de drogues, être reconnue coupable de manière simultanée d’une violation de la législation nationale mettant en œuvre la décision-cadre 2004/757 et d’une violation de l’obligation de notification prévue à l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 273/2004.

28 La juridiction de renvoi s’interroge, en particulier, sur la conformité d’un tel cumul au principe nemo tenetur se ipsum accusare consacré aux articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950. En effet, la personne concernée ne pourrait, dans un tel cas, éviter que la notification de son propre comportement criminel en application de
l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 273/2004 engendre des poursuites et éventuellement des sanctions pour violation de la législation nationale mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 1, de la décision-cadre 2004/757.

29 Pour déterminer si un tel cumul est possible, la juridiction de renvoi estime qu’il est nécessaire, d’une part, de déterminer si la notion d’« opérateur », telle que définie à l’article 2, sous d), du règlement no 273/2004, doit être interprétée de manière large, en ce que toute personne qui met sur le marché des substances classifiées constituerait un « opérateur », ou de manière stricte, comme visant uniquement les personnes qui se livrent au commerce légal de telles substances. D’autre part,
il importerait également de déterminer si la notion d’« élément », figurant à l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement, doit être interprétée de manière large, en ce sens qu’elle vise tous les comportements, y compris ceux de l’opérateur lui-même, ou de manière stricte, de telle sorte qu’elle ne se réfère qu’aux comportements des tiers, ceux de l’opérateur étant, quant à eux, régis par la décision-cadre 2004/757.

30 Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les personnes physiques et morales qui participent à la mise sur le marché de substances classifiées d’une manière telle que cette participation constitue une infraction punissable en vertu de l’article 2, paragraphe 1, initio et sous d), de la décision-cadre 2004/757 doivent-elles être considérées comme des “opérateurs” au sens de l’article 2, sous d), du règlement no 273/2004 ?

2) Dans l’affirmative :

a) Ces comportements de l’opérateur visé à la première question constituent-ils un “élément”, au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 273/2004 ?

b) Des comportements tels que la réception, le transport et le stockage de substances classifiées constituent-ils un “élément”, au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 273/2004, s’ils ne visent pas à livrer ces substances à un tiers ? »

31 Par décision du 2 décembre 2022, le président de la Cour a, en vertu de l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour, accordé un traitement prioritaire à la présente affaire.

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

32 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, sous d), du règlement no 273/2004 doit être interprété en ce sens qu’une personne qui participe, dans le cadre d’une activité illégale, à la mise sur le marché de substances classifiées dans l’Union constitue un « opérateur », au sens de cette disposition.

33 À cet effet, il importe en particulier de déterminer si la « mise sur le marché », au sens de ladite disposition, renvoie à toute mise à disposition de substances classifiées dans l’Union, peu importe qu’elle soit effectuée dans le cadre d’une activité légale ou illégale, ou si elle ne vise que les mises à disposition de telles substances effectuées dans le cadre d’une activité légale.

34 Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte, non seulement des termes de cette disposition, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 18 octobre 2022, IG Metall et ver.di, C‑677/20, EU:C:2022:800, point 31 ainsi que jurisprudence citée).

35 L’article 2, sous d), du règlement no 273/2004 définit l’« opérateur » comme « toute personne physique ou morale concernée par la mise sur le marché de substances classifiées ». Cette disposition, telle qu’elle est libellée, ne précise pas si la mise sur le marché de telles substances comprend également la commercialisation de celles-ci dans le cadre d’une activité illégale.

36 S’agissant de l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement, il prévoit que « [l]es opérateurs notifient immédiatement aux autorités compétentes tous les éléments, tels que des commandes ou des transactions inhabituelles portant sur des substances classifiées devant être mises sur le marché, qui donnent à penser que ces substances peuvent être détournées pour la fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes » et que, « à cette fin, les opérateurs fournissent toute information
disponible permettant aux autorités compétentes de vérifier la légitimité de la commande ou de la transaction concernée ».

37 Il résulte de cette disposition que l’obligation de notification prévue par le législateur de l’Union porte sur les commandes et les transactions qui semblent inhabituelles, à savoir celles qui pourraient avoir été effectuées dans le but de soustraire illégalement ces substances classifiées à leur destination normale.

38 Il en découle que l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 273/2004 impose aux « opérateurs », au sens de l’article 2, sous d), de celui-ci, de notifier tous les éléments qui donnent à penser que des substances classifiées devant être mises sur le marché peuvent faire l’objet d’une soustraction illégitime du circuit commercial légal en vue de fabriquer de manière illicite des stupéfiants ou des substances psychotropes.

39 En conséquence, seules les personnes participant à la mise sur le marché de substances classifiées dans un cadre légal peuvent être regardées comme des « opérateurs », au sens de cette dernière disposition.

40 Cette interprétation littérale est confortée, en premier lieu, par le contexte dans lequel s’inscrit la disposition en cause.

41 Tout d’abord, le règlement no 273/2004 a abrogé et remplacé, notamment, la directive 92/109, et le règlement (CE) no 1485/96 de la Commission, du 26 juillet 1996, portant modalités d’application de la directive 92/109 en ce qui concerne les déclarations du client qui spécifient les usages de certaines substances utilisées dans la fabrication illicite de stupéfiants et de substances psychotropes (JO 1996, L 188, p. 28). Or, ces actes visaient le commerce légal de précurseurs de drogues. En effet,
le premier considérant de la directive 92/109 faisait expressément référence à la nécessité d’établir « des règles communes au niveau communautaire, dans la perspective de l’achèvement du marché intérieur, afin d’éviter toute distorsion de la concurrence dans le commerce licite et d’assurer une application uniforme des règles arrêtées ». Le deuxième considérant du règlement no 1485/96 énonçait, quant à lui, que « l’établissement de dispositions relatives aux déclarations du client contribuera à
garantir que, lors de chaque transaction, soit clairement identifié l’usage que le client doit faire des substances classifiées ; que cette identification permettra d’éviter le détournement des substances classifiées vers la fabrication illicite de stupéfiants ».

42 Ensuite, les considérants 3, 6 et 17 du règlement no 273/2004 font référence à un système de surveillance du « commerce » des précurseurs de drogue et les considérants 5 et 11 de ce règlement énoncent, respectivement, la nécessité « de détecter d’éventuels détournements illicites de précurseurs de drogues dans la Communauté » ainsi que « d’adopter des mesures afin de garantir un meilleur contrôle du commerce intracommunautaire des substances classifiées ». Or, les considérants 6, 8 et 13 dudit
règlement opèrent une distinction entre le commerce licite ou légal de ces substances et la fabrication illicite de celles-ci.

43 Enfin, l’article 3 du règlement no 273/2004, relatif aux exigences liées à la mise sur le marché de substances classifiées, prévoit, à son paragraphe 1, que les « opérateurs qui souhaitent mettre sur le marché des substances classifiées relevant des catégories 1 et 2 de l’annexe I sont tenus de désigner une personne responsable du commerce de substances classifiées », « qui veille à ce que le commerce de substances classifiées réalisé par l’opérateur s’effectue dans le respect du présent
règlement ». Les paragraphes 2 et 3 de cet article indiquent également, respectivement, que la « détention ou la mise sur le marché de substances classifiées relevant de la catégorie 1 de l’annexe I sont subordonnées à l’obtention par les opérateurs [...] d’un agrément délivré par les autorités compétentes de l’État membre dans lequel ils sont établis » et que « [t]out opérateur détenteur d’un agrément ne fournit les substances classifiées relevant de la catégorie 1 de l’annexe I qu’à des
opérateurs [...] eux-mêmes titulaires d’un agrément et ayant signé une déclaration du client telle que prévue à l’article 4, paragraphe 1 ». En outre, le paragraphe 6 dudit article impose aux opérateurs de s’enregistrer auprès des autorités compétentes de l’État membre dans lequel ils sont établis. Il découle des exigences liées à la mise sur le marché des substances classifiées, prévues à l’article 3 de ce règlement, que celles-ci ont pour objet de soumettre le commerce de substances classifiées
à un cadre légal.

44 La même interprétation s’impose au regard des articles 4 à 7 du règlement no 273/2004, qui prévoient les règles formelles auxquelles est soumis le commerce des substances classifiées, telles que la nécessité pour le client de déclarer les usages de ces substances, l’obligation pour l’opérateur d’adjoindre lors des transactions une documentation à certaines substances ou encore le fait de marquer par un étiquetage approprié certaines substances.

45 Il en va de même au regard de l’article 10 dudit règlement, qui prévoit que, « en vue d’assurer l’application correcte des articles 3 à 8, chaque État membre adopte les mesures nécessaires pour permettre à ses autorités compétentes de mener à bien leurs tâches de contrôle et de surveillance, et en particulier [...] d’avoir accès aux locaux professionnels des opérateurs et des utilisateurs en vue de recueillir la preuve d’irrégularités ».

46 Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que celles-ci ont pour objet de soumettre le commerce de substances classifiées à un cadre légal.

47 L’interprétation littérale de la notion d’« opérateur », au sens de l’article 2, sous d), du règlement no 273/2004, effectuée au point 39 du présent arrêt, est corroborée, en second lieu, par les objectifs poursuivis par la réglementation dont cette disposition fait partie.

48 En effet, ainsi qu’il ressort de son article 1er, le règlement no 273/2004 établit des mesures harmonisées pour le contrôle et la surveillance, à l’intérieur de l’Union, de certaines substances fréquemment utilisées pour la fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes, en vue d’éviter leur détournement. Ce règlement a été adopté, ainsi que la Cour l’a déjà relevé, en vue de lutter contre le détournement de substances couramment utilisées dans la fabrication illicite de
stupéfiants ou de substances psychotropes en mettant en place un système de surveillance du commerce de ces substances assorti de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives (arrêts du 5 février 2015, M. e.a., C‑627/13 et C‑2/14, EU:C:2015:59, point 53, ainsi que du 12 février 2015, Gielen e.a., C‑369/13, EU:C:2015:85, point 36).

49 Il découle de ses considérants 1 à 6 que le règlement no 273/2004 constitue la mise en œuvre dans l’ordre juridique de l’Union de l’article 12 de la convention de Vienne contre le trafic illicite (arrêt du 5 février 2015, M. e.a., C‑627/13 et C‑2/14, EU:C:2015:59, point 47), qui prévoit que les États membres qui y sont parties adoptent les mesures qu’ils jugent appropriées pour empêcher le détournement des substances énumérées aux fins de la fabrication illicite de stupéfiants et de substances
psychotropes et coopèrent entre eux à cette fin. Lesdits États doivent, notamment, prendre les mesures nécessaires pour établir et maintenir un système de surveillance du commerce international des substances afin de faciliter la détection des opérations suspectes.

50 Il convient, par ailleurs, d’ajouter que, selon la jurisprudence de la Cour, par les règlements nos 273/2004 et 111/2005, qui poursuivent la même finalité, le législateur de l’Union a défini de manière détaillée le régime applicable aux précurseurs de drogue (arrêt du 5 février 2015, M. e.a., C‑627/13 et C‑2/14, EU:C:2015:59, point 52). Ainsi, d’une part, le règlement no 273/2004 établit des mesures harmonisées pour le contrôle et la surveillance, à l’intérieur de l’Union, des précurseurs de
drogue en vue d’éviter leur détournement et, d’autre part, le règlement no 111/2005 fixe, conformément à son article 1er, des règles pour la surveillance du commerce, entre l’Union et les pays tiers, des précurseurs de drogues.

51 Le règlement no 273/2004 s’inscrit donc dans le cadre d’une réglementation plus large, dont fait également partie la décision‑cadre 2004/757.

52 Or, il convient de souligner que la décision-cadre 2004/757 établit des dispositions minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et des sanctions applicables dans le domaine du trafic de drogue, permettant de définir une approche commune au niveau de l’Union dans la lutte contre le trafic de drogue. À cette fin, son article 2 prévoit que chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que les comportements intentionnels qu’il énumère soient punis lorsqu’ils ne
peuvent être légitimés, notamment la fabrication, le transport, la distribution de précurseurs, dont celui qui s’y livre sait qu’ils doivent être utilisés dans ou pour la production ou la fabrication illicites de drogues. Par ailleurs, l’article 1er, point 2, de cette décision-cadre définit le terme « précurseur » comme toute substance classifiée dans la législation communautaire donnant effet aux obligations découlant de l’article 12 de la convention de Vienne contre le trafic illicite.

53 Il en découle que, bien que la décision-cadre 2004/757, le règlement no 273/2004 et le règlement no 111/2005 poursuivent le même objectif, ces textes, tout en étant complémentaires, ont une portée différente. La décision-cadre 2004/757 fixe les éléments constitutifs des infractions pénales dans le domaine du trafic de drogue, qui concerne de ce fait les précurseurs de drogues et donc les substances classifiées, alors que le champ d’application des règlements nos 273/2004 et 111/2005 est
circonscrit au commerce légal de telles substances.

54 Cette distinction résulte d’ailleurs des bases juridiques de ces différents actes. En effet, la décision-cadre 2004/757 est fondée sur l’article 31, sous e), et l’article 34, paragraphe 2, sous b), TUE, remplacés par les articles 82, 83 et 85 TFUE, qui relèvent du titre V dudit traité, intitulé « Espace de liberté, de sécurité et de justice », et, plus particulièrement, de son chapitre 4, relatif à la coopération judiciaire en matière pénale. En revanche, le règlement no 273/2004 a pour base
juridique l’article 95 CE, remplacé par l’article 114 TFUE, qui relève du titre VII dudit traité, intitulé « les règles communes sur la concurrence, la fiscalité et le rapprochement des législations ». De même, le règlement no 111/2005 est fondé sur l’article 133 CE, remplacé par l’article 207 TFUE. Or, ce dernier article relève de la cinquième partie du traité FUE, intitulée « Action extérieure de l’Union », et, plus particulièrement, de son titre II, intitulé « La politique commerciale
commune ».

55 Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de constater qu’une situation dans laquelle une personne participe, dans le cadre d’une activité illégale, à la mise sur le marché de substances classifiées dans l’Union ne relève pas du champ d’application du règlement no 273/2004.

56 Par conséquent, il convient de répondre à la première question que l’article 2, sous d), du règlement no 273/2004 doit être interprété en ce sens qu’une personne qui participe, dans le cadre d’une activité illégale, à la mise sur le marché de substances classifiées dans l’Union ne constitue pas un « opérateur », au sens de cette disposition.

Sur la seconde question

57 Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

Sur les dépens

58 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

  L’article 2, sous d), du règlement (CE) no 273/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, relatif aux précurseurs de drogues, tel que modifié par le règlement (UE) no 1258/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 20 novembre 2013,

  doit être interprété en ce sens que :

  une personne qui participe, dans le cadre d’une activité illégale, à la mise sur le marché de substances classifiées dans l’Union européenne ne constitue pas un « opérateur », au sens de cette disposition.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.


Synthèse
Formation : Septième chambre
Numéro d'arrêt : C-806/21
Date de la décision : 02/02/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Hoge Raad der Nederlanden.

Renvoi préjudiciel – Précurseurs de drogues – Décision-cadre 2004/757/JAI – Article 2, paragraphe 1, sous d) – Personne impliquée dans le transport et la distribution de précurseurs utilisés pour la production ou la fabrication illicites de drogues – Règlement (CE) no 273/2004 – Substances classifiées – Article 2 – Notion d’“opérateur” – Article 8, paragraphe 1 – Éléments donnant à penser que des substances classifiées peuvent être détournées pour la fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes – Obligation de notification de ces éléments – Notion d’“élément” – Portée.

Coopération policière

Espace de liberté, de sécurité et de justice

Rapprochement des législations

Coopération judiciaire en matière pénale


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : TF.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pikamäe
Rapporteur ?: Biltgen

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:61

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