La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/01/2023 | CJUE | N°C-682/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, « HSC Baltic » UAB e.a. contre Vilniaus miesto savivaldybės administracija., 26/01/2023, C-682/21


 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

26 janvier 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2014/24/UE – Article 57, paragraphe 4, sous g) – Motif d’exclusion facultatif lié aux défaillances dans le cadre d’un marché antérieur – Marché attribué à un groupement d’opérateurs économiques – Résiliation de ce marché – Inscription automatique de l’ensemble des membres du groupement sur une liste de fournisseurs non fiables – Principe de proportionnalité – Directive 89/665/CEE – Article 1er, paragra

phes 1 et 3 – Droit à un recours effectif »

Dans l’affaire C‑682/21,

ayant pour objet une demande de décision préj...

 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

26 janvier 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2014/24/UE – Article 57, paragraphe 4, sous g) – Motif d’exclusion facultatif lié aux défaillances dans le cadre d’un marché antérieur – Marché attribué à un groupement d’opérateurs économiques – Résiliation de ce marché – Inscription automatique de l’ensemble des membres du groupement sur une liste de fournisseurs non fiables – Principe de proportionnalité – Directive 89/665/CEE – Article 1er, paragraphes 1 et 3 – Droit à un recours effectif »

Dans l’affaire C‑682/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie), par décision du 11 novembre 2021, parvenue à la Cour le même jour, dans la procédure

« HSC Baltic » UAB,

« Mitnija » UAB,

« Montuotojas » UAB

contre

Vilniaus miesto savivaldybės administracija,

en présence de :

« Active Construction Management » UAB, en faillite,

« Vilniaus vystymo kompanija » UAB,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos (rapporteur), président de chambre, Mme L. S. Rossi, MM. J.-C. Bonichot, S. Rodin et Mme O. Spineanu-Matei, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour le gouvernement lituanien, par M. K. Dieninis, Mmes V. Kazlauskaitė-Švenčionienė et E. Kurelaitytė, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement tchèque, par Mme L. Halajová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par M. P. Ondrůšek, Mme A. Steiblytė et M. G. Wils, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 18, paragraphe 1, et de l’article 57, paragraphe 4, sous g), et paragraphe 6, de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65), ainsi que de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives,
réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO 1989, L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014 (JO 2017, L 94, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre de litiges opposant « HSC Baltic » UAB, « Mitnija » UAB et « Montuotojas » UAB à la Vilniaus miesto savivaldybės administracija (administration communale de la ville de Vilnius, Lituanie) (ci-après la « ville de Vilnius »), soutenue par « Active Construction Management » UAB, en faillite, et « Vilniaus vystymo kompanija » UAB, au sujet des conséquences, pour HSC Baltic, Mitnija et Montuotojas, de la résiliation d’un marché public attribué à un groupement
d’opérateurs économiques dont elles faisaient partie.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 89/665

3 L’article 1er de la directive 89/665, intitulé « Champ d’application et accessibilité des procédures de recours », dispose :

« 1.   La présente directive s’applique aux marchés visés par la directive [2014/24] [...]

[...]

Les États membres prennent [...] les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles 2 à 2 septies de la présente directive, au motif que ces décisions ont violé le droit de l’Union en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.

[...]

3.   Les États membres s’assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée.

[...] »

La directive 2014/24

4 Les considérants 101 et 102 de la directive 2014/24 énoncent :

« (101) Les pouvoirs adjudicateurs devraient [...] pouvoir exclure des opérateurs économiques qui se seraient avérés non fiables, par exemple pour manquement à des obligations environnementales ou sociales, [...] ou pour d’autres fautes professionnelles graves telles que la violation de règles de concurrence ou de droits de propriété intellectuelle. [...]

[...] [Les pouvoirs adjudicateurs] devraient également pouvoir exclure des candidats ou des soumissionnaires lorsque des défaillances importantes dans l’exécution d’obligations essentielles ont été constatées lors de l’exécution de marchés publics antérieurs, par exemple un défaut de fourniture ou d’exécution, des carences notables du produit ou du service fourni qui le rendent impropre aux fins prévues, ou un comportement fautif jetant sérieusement le doute quant à la fiabilité de
l’opérateur économique. La législation nationale devrait prévoir une durée maximale pour ces exclusions.

Lorsqu’ils appliquent des motifs facultatifs d’exclusion, les pouvoirs adjudicateurs devraient accorder une attention particulière au principe de proportionnalité. [...]

(102) Il convient cependant de laisser aux opérateurs économiques la possibilité de prendre des mesures de mise en conformité visant à remédier aux conséquences de toute infraction pénale ou faute et à empêcher effectivement que celles-ci ne se reproduisent. Il pourrait notamment s’agir de mesures concernant leur organisation et leur personnel, comme la rupture de toute relation avec des personnes ou des organisations impliquées dans ces agissements, des mesures appropriées de réorganisation du
personnel, la mise en œuvre de systèmes de déclaration et de contrôle, la création d’une structure d’audit interne pour assurer le suivi de la conformité et l’adoption de règles internes de responsabilité et de réparation. Lorsque ces mesures offrent des garanties suffisantes, l’opérateur économique concerné ne devrait plus être exclu pour ces seuls motifs. [...] »

5 L’article 18 de cette directive, intitulé « Principes de la passation de marchés », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination et agissent d’une manière transparente et proportionnée.

[...] »

6 L’article 57 de ladite directive, intitulé « Motifs d’exclusion », prévoit :

« [...]

4.   Les pouvoirs adjudicateurs peuvent exclure ou être obligés par les États membres à exclure tout opérateur économique de la participation à une procédure de passation de marché dans l’un des cas suivants :

[...]

g) des défaillances importantes ou persistantes de l’opérateur économique ont été constatées lors de l’exécution d’une obligation essentielle qui lui incombait dans le cadre d’un marché public antérieur, d’un marché antérieur passé avec une entité adjudicatrice ou d’une concession antérieure, lorsque ces défaillances ont donné lieu à la résiliation dudit marché ou de la concession, à des dommages et intérêts ou à une autre sanction comparable ;

[...]

6.   Tout opérateur économique qui se trouve dans l’une des situations visées aux paragraphes 1 et 4 peut fournir des preuves afin d’attester que les mesures qu’il a prises suffisent à démontrer sa fiabilité malgré l’existence d’un motif d’exclusion pertinent. Si ces preuves sont jugées suffisantes, l’opérateur économique concerné n’est pas exclu de la procédure de passation de marché.

À cette fin, l’opérateur économique prouve qu’il a versé ou entrepris de verser une indemnité en réparation de tout préjudice causé par l’infraction pénale ou la faute, clarifié totalement les faits et circonstances en collaborant activement avec les autorités chargées de l’enquête et pris des mesures concrètes de nature technique et organisationnelle et en matière de personnel propres à prévenir une nouvelle infraction pénale ou une nouvelle faute.

[...]

7.   Par disposition législative, réglementaire ou administrative et dans le respect du droit de l’Union, les États membres arrêtent les conditions d’application du présent article. Ils déterminent notamment la durée maximale de la période d’exclusion si aucune des mesures visées au paragraphe 6 n’a été prise par l’opérateur économique pour démontrer sa fiabilité. Lorsque la durée de la période d’exclusion n’a pas été fixée par jugement définitif, elle ne peut dépasser [...] trois ans à compter de
la date de l’événement concerné dans les cas visés au paragraphe 4. »

7 L’article 90 de la même directive énonce, à son paragraphe 1 :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 18 avril 2016. [...] »

8 Aux termes de l’article 91 de la directive 2014/24 :

« La directive 2004/18/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services ( JO 2004, L 134, p. 114 ),] est abrogée avec effet au 18 avril 2016.

[...] »

Le droit lituanien

La loi sur les marchés publics

9 Le Lietuvos Respublikos viešųjų pirkimų įstatymas (loi de la République de Lituanie sur les marchés publics), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur les marchés publics ») énonce, à son article 2, point 36 :

« On entend par “fournisseur” – opérateur économique – une personne physique ou personne morale de droit privé ou de droit public, une autre organisation et ses membres ou un groupe formé de telles personnes, y compris une association temporaire d’opérateurs économiques, qui offre sur le marché de réaliser des travaux, fournir des biens ou prester des services. »

10 L’article 46 de cette loi dispose :

« [...]

4.   Le pouvoir adjudicateur exclut le fournisseur de la procédure de passation de marché lorsque :

[...]

6) le fournisseur n’a pas exécuté un marché passé en application de la présente loi, [...] ou un contrat de concession, ou l’a mal exécuté et que cela constituait une violation substantielle du contrat, telle que définie par le code civil [...], ayant entraîné la résiliation du contrat au cours des trois années précédentes, ou un jugement définitif rendu au cours des trois années précédentes qui a fait droit à la demande en réparation du pouvoir adjudicateur, de l’entité adjudicatrice ou de
l’autorité contractante au titre du préjudice subi en raison de défaillances importantes ou persistantes dans l’exécution par le fournisseur d’un terme essentiel du marché, ou l’adoption par le pouvoir adjudicateur, au cours des trois années précédentes, d’une décision constatant que l’exécution par le fournisseur d’un terme essentiel du marché a été entachée de défaillances importantes ou persistantes donnant lieu, de ce fait, à l’application d’une pénalité contractuelle. [...]

[...]

8.   Lorsqu’un fournisseur ne répond pas aux exigences énoncées aux paragraphes 1, 4 et 6 du présent article, le pouvoir adjudicateur ne l’exclut pas de la procédure de passation de marché lorsque les deux conditions suivantes sont remplies :

1) le fournisseur a présenté au pouvoir adjudicateur des informations montrant qu’il a adopté les mesures suivantes :

a) il a spontanément payé ou pris l’engagement de payer une compensation pour le préjudice causé par l’infraction ou la violation visée aux paragraphes 1, 4 ou 6 du présent article, le cas échéant ;

b) il a coopéré, apporté une aide active ou pris d’autres mesures qui contribuent à élucider ou à préciser l’infraction ou la violation perpétrée par lui, le cas échéant ;

c) il a pris des mesures techniques, organisationnelles ou de gestion du personnel destinées à prévenir d’autres infractions ou violations ;

2) le pouvoir adjudicateur a évalué les informations présentées par le fournisseur en vertu du point 1 du présent paragraphe et adopté une décision motivée aux termes de laquelle les mesures adoptées par le fournisseur pour démontrer sa fiabilité sont suffisantes. [...]

11 Aux termes de l’article 91, paragraphe 1, de ladite loi, dans sa version citée par la juridiction de renvoi :

« Le pouvoir adjudicateur publie, au plus tard dans les dix jours, dans le portail central des marchés publics, selon les modalités définies par l’autorité des marchés publics, les informations relatives aux fournisseurs (en cas de groupement de fournisseurs, relatives à tous les membres de ce groupement) qui n’ont pas exécuté ou ont mal exécuté le marché, ainsi que, lorsque le manquement concerne la partie du marché qui leur avait été sous-traitée, celles relatives aux opérateurs économiques aux
capacités desquels le fournisseur a eu recours et qui s’étaient engagés à répondre solidairement avec le fournisseur de la bonne exécution du marché [...] »

Le code civil

12 L’article 6.6 du Lietuvos Respublikos civilinis kodeksas (code civil de la République de Lituanie) dispose :

« 1.   La solidarité entre les débiteurs ne se présume pas, sauf exception prévue par la loi. Elle apparaît uniquement dans les cas prévus par la loi ou convenus par les parties, ainsi que lorsque l’objet de l’obligation est indivisible.

[...]

3.   La solidarité entre les débiteurs est présumée lorsque l’obligation concerne la prestation de services, une activité commune ou la réparation d’un dommage causé par les actes de plusieurs personnes.

[...] »

13 L’article 6.15 de ce code énonce, à son paragraphe 1 :

« Si l’exécution de l’obligation est impossible par la faute de l’un des codébiteurs, les autres codébiteurs ne sont pas libérés de la responsabilité pour inexécution de l’obligation. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14 Le 7 décembre 2016, la ville de Vilnius a publié un avis de marché public, d’une valeur de 21793166,72 euros, hors taxe sur la valeur ajoutée, pour les travaux de construction d’un centre de santé polyvalent (ci-après le « marché litigieux »).

15 Un contrat d’activité commune conclu le 30 janvier 2017 entre Active Construction Management, HSC Baltic, Mitnija, Montuotojas et « Axis Power » UAB a désigné, aux fins de la participation à la procédure de passation du marché litigieux et de l’exécution des travaux en cas d’attribution, Active Construction Management en tant que chef de file de ce groupement d’opérateurs économiques. Il a également été convenu que les parts respectives, en valeur, des apports à l’activité commune seraient
distribuées comme suit : Active Construction Management 65 %, HSC Baltic 15 %, Axis Power 10 %, Mitnija 5 % et Montuotojas 5 %.

16 Le 5 juin 2017, la ville de Vilnius a attribué le marché litigieux audit groupement. Le délai de réalisation des travaux étant fixé à 18 mois, ce marché devait être exécuté le 5 décembre 2018 au plus tard.

17 Les travaux n’ayant pas été achevés dans ce délai, le terme a été reporté au 28 mai 2020. Au cours de cette période additionnelle, les travaux n’ont pas progressé selon le calendrier prévu.

18 Par ordonnance du 28 octobre 2019, le Vilniaus apygardos teismas (tribunal régional de Vilnius, Lituanie) a, sur demande du gérant d’Active Construction Management, soumis cette société à une procédure de faillite. Le 6 décembre 2019, le syndic de faillite a informé HSC Baltic, Mitnija, Montuotojas et Axis Power, ainsi que la ville de Vilnius, de cette procédure de faillite et de ce que le chef de file ne poursuivrait pas l’exécution du marché litigieux.

19 Le 22 janvier 2020, la ville de Vilnius a informé HSC Baltic, Mitnija, Montuotojas et Axis Power qu’elle résiliait le marché litigieux en raison d’un manquement substantiel, consistant à avoir abandonné et laissé sans surveillance le chantier, à ne pas avoir fourni de nouvelle garantie, à ne pas avoir respecté le calendrier des travaux et à ne pas avoir souscrit d’assurance de responsabilité civile.

20 Ces sociétés ont saisi le Vilniaus apygardos teismas (tribunal régional de Vilnius) d’un recours visant à faire déclarer illégales la résiliation du marché litigieux par la ville de Vilnius et leur inscription sur la liste des fournisseurs non fiables contenue dans le portail central des marchés publics.

21 Par jugement du 27 août 2020, cette juridiction a rejeté ce recours, en constatant que la ville de Vilnius avait, à juste titre, fait état des problèmes d’exécution des travaux au chef de file et aux autres membres du groupement. Ces sociétés étant solidairement responsables de la bonne exécution du marché litigieux et celui-ci ayant été résilié, le pouvoir adjudicateur n’avait aucun pouvoir d’appréciation lui permettant de ne pas faire inscrire tous les membres du groupement sur la liste des
fournisseurs non fiables. Cette inscription n’empêchait pas lesdites sociétés de se réhabiliter et de participer ainsi à d’autres procédures de passation de marchés publics.

22 HSC Baltic, Mitnija, Montuotojas et Axis Power ont interjeté appel de ce jugement devant le Lietuvos apeliacinis teismas (Cour d’appel de Lituanie). Celui-ci a rejeté cet appel par arrêt du 21 janvier 2021, en souscrivant au raisonnement de la juridiction de première instance.

23 Le 22 janvier 2021, la Viešųjų pirkimų tarnyba (Autorité des marchés publics, Lituanie) a, à l’initiative de la ville de Vilnius, inscrit les membres du groupement sur la liste des fournisseurs non fiables.

24 HSC Baltic, Mitnija et Montuotojas ont formé, contre l’arrêt du 21 janvier 2021 du Lietuvos apeliacinis teismas (Cour d’appel de Lituanie), un pourvoi en cassation devant le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie), la juridiction de renvoi.

25 Le 15 mars 2021, HSC Baltic, Mitnija et Montuotojas ont demandé à la juridiction de renvoi d’ordonner, à titre de mesure provisoire, de retirer leurs noms de la liste des fournisseurs non fiables. Par décision du 31 mars 2021, cette juridiction a fait droit à cette demande.

26 Le 11 novembre 2021, ladite juridiction a prononcé un arrêt par lequel elle a partiellement statué sur le pourvoi, en rejetant les moyens de HSC Baltic, de Mitnija et de Montuotojas pris de l’illégalité de la résiliation du marché litigieux.

27 Afin de statuer sur l’inscription de ces sociétés sur la liste des fournisseurs non fiables, la juridiction de renvoi estime que certaines clarifications sur la portée du droit de l’Union sont nécessaires.

28 À cet égard, cette juridiction indique, à titre liminaire, que le législateur lituanien a transposé tardivement la directive 2014/24, avec effet au 1er juillet 2017, postérieurement au 18 avril 2016, date d’expiration du délai de transposition de cette directive. Elle estime, néanmoins, que ladite directive pourrait s’appliquer au litige au principal.

29 Ladite juridiction se demande si l’inscription automatique, sur une liste de fournisseurs non fiables, de tout opérateur économique juridiquement responsable du manquement ayant conduit à la résiliation d’un marché public, est compatible avec l’exigence d’une appréciation individualisée dans le cadre de l’application des motifs d’exclusion prévus par la directive 2014/24.

30 Elle fait observer que, au regard de la portée des termes « décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs » à l’article 1er de la directive 89/665, l’inscription d’un opérateur économique sur une liste de fournisseurs non fiables pourrait constituer un acte susceptible de recours. Or, le droit lituanien ne permettrait pas de contester cette inscription, celle-ci étant considérée comme un simple effet juridique de la résiliation du marché. En l’occurrence, le Vilniaus apygardos teismas (tribunal
régional de Vilnius) aurait certes été saisi d’un recours par lequel étaient contestées tant cette résiliation que ladite inscription. Toutefois, cette inscription ayant eu lieu après que la décision du Lietuvos apeliacinis teismas (Cour d’appel de Lituanie) est devenue définitive, les juridictions de première d’instance et d’appel n’ont, selon la juridiction de renvoi, pas pu trancher la partie du recours relative à cette inscription.

31 Dans ces conditions, le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Convient-il d’interpréter l’article 18, paragraphe 1, l’article 57, paragraphe 4, sous g), et paragraphe 6, de la directive [2014/24] ainsi que l’article 1er, paragraphe 1, quatrième alinéa, et paragraphe 3, de la directive 89/665 (conjointement ou séparément, mais sans se limiter à ces dispositions) en ce sens que constitue un acte attaquable la décision du pouvoir adjudicateur d’inscrire un opérateur économique sur la liste des fournisseurs non fiables, restreignant ainsi pendant un
certain temps les possibilités de cet opérateur de participer à des procédures d’appel d’offres ultérieures, en raison d’un manquement substantiel de l’opérateur économique concerné à un marché conclu avec le pouvoir adjudicateur ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, convient-il d’interpréter les dispositions du droit de l’Union précitées (conjointement ou séparément, mais sans se limiter à ces dispositions) en ce sens qu’elles font obstacle à une réglementation et [à] une pratique administrative nationales en vertu desquelles, a) lorsqu’il résilie un marché en raison d’un manquement substantiel, le pouvoir adjudicateur ne prend pas de décision formelle (distincte) concernant l’inscription d’opérateurs
économiques sur la liste des fournisseurs non fiables ; b) l’opérateur économique n’est pas informé à l’avance de son inscription future sur la liste des fournisseurs non fiables et ne peut donc pas fournir d’explications pertinentes à cet égard, ni effectivement contester son inscription par la suite ; c) le pouvoir adjudicateur n’effectue aucune enquête individualisée sur les circonstances de la mauvaise exécution du marché et l’opérateur économique juridiquement responsable du manquement
est de ce fait automatiquement inscrit sur la liste des fournisseurs non fiables dès lors que le marché public a été légalement résilié pour manquement substantiel ?

3) En cas de réponse affirmative aux deux premières questions, convient-il d’interpréter les dispositions du droit de l’Union précitées (conjointement ou séparément, mais sans se limiter à ces dispositions) en ce sens que les partenaires d’une activité commune (opérateurs qui avaient constitué un fournisseur commun) qui ont exécuté le marché public résilié pour manquement substantiel peuvent établir leur fiabilité et échapper ainsi à l’inscription sur la liste des fournisseurs non fiables, par
exemple en invoquant l’importance de la part (de la valeur) exécutée du marché, l’insolvabilité du chef de file, le comportement du chef de file et la contribution du pouvoir adjudicateur à l’inexécution du marché ? »

Sur les questions préjudicielles

Observations liminaires

32 Les deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner avant la première question, concernent les modalités selon lesquelles des opérateurs économiques sont, à l’issue de la résiliation d’un marché public qui leur avait été attribué, inscrits sur une liste de fournisseurs non fiables, aux fins de leur exclusion de la participation aux procédures de passation de marchés publics.

33 La résiliation du marché litigieux par la ville de Vilnius a eu pour conséquence d’empêcher temporairement les requérantes au principal de participer à d’autres procédures de passation de marchés. Cette résiliation, qui leur a été communiquée le 22 janvier 2020, a été suivie, le 22 janvier 2021, de leur inscription sur une liste de fournisseurs non fiables. Partant, les deuxième et troisième questions doivent être examinées au regard de la directive 2014/24, qui était en vigueur à ces dates, sans
qu’il soit besoin d’examiner si cette directive était applicable au cours de la période comprise entre le 18 avril 2016, date d’expiration de son délai de transposition, et le 1er juillet 2017, date de sa transposition en Lituanie.

Sur la deuxième question

34 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 18, paragraphe 1, et l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle, lorsque le pouvoir adjudicateur résilie un marché public attribué à un groupement d’opérateurs économiques en raison de défaillances importantes ou persistantes ayant causé l’inexécution d’une obligation
essentielle dans le cadre de ce marché, tout membre de ce groupement est automatiquement inscrit sur une liste de fournisseurs non fiables et ainsi temporairement empêché, en principe, de participer à de nouvelles procédures de passation de marchés publics.

35 À cet égard, il convient de relever d’emblée que l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24 permet d’exclure de la participation aux procédures de passation de marchés publics tout opérateur économique par rapport auquel des défaillances importantes ou persistantes ont été constatées lors de l’exécution d’une obligation essentielle qui lui incombait dans le cadre d’un marché public antérieur, et cela, notamment, lorsque ces défaillances ont donné lieu à la résiliation de ce
marché.

36 Ainsi qu’il ressort du considérant 101 de cette directive, l’objet et la finalité de ce motif facultatif consistent à exclure les opérateurs économiques dont la fiabilité est sérieusement compromise en raison d’un comportement fautif ou négligent.

37 Lorsqu’un État membre fixe, dans sa réglementation nationale, les conditions d’application de ce motif d’exclusion facultatif, il doit en respecter les caractéristiques essentielles telles qu’elles sont exprimées à l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24 (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2019, Meca, C‑41/18, EU:C:2019:507, point 33).

38 En outre, l’application dudit motif d’exclusion facultatif doit être conforme au principe de proportionnalité, principe général du droit de l’Union rappelé, en matière de passation de marchés publics, à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24. Le respect de ce principe mérite une attention particulière lors de l’application des motifs d’exclusion facultatifs visés à l’article 57 de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Tim, C‑395/18, EU:C:2020:58, points 45
et 48 ainsi que jurisprudence citée).

39 À cet égard, cette exclusion doit, premièrement, être temporaire. En effet, il découle du considérant 101 de la directive 2014/24 que tout acte de droit national fixant les conditions d’application de l’article 57, paragraphe 4, sous g), de cette directive doit prévoir une durée maximale d’exclusion. L’article 57, paragraphe 7, de ladite directive précise que, lorsqu’elle n’a pas été fixée par jugement définitif, cette durée ne peut dépasser trois ans.

40 Deuxièmement, pendant cette période d’exclusion, l’opérateur économique concerné doit, à moins qu’il n’ait été exclu de toute participation à une procédure de passation de marché public par un jugement définitif, être admis à participer à une telle procédure s’il fournit, conformément à l’article 57, paragraphe 6, de la directive 2014/24, des preuves afin d’attester que les mesures qu’il a prises suffisent à démontrer sa fiabilité. Les opérateurs économiques sont ainsi incités à adopter des
mesures correctives (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2019, Meca, C‑41/18, EU:C:2019:507, point 40).

41 Troisièmement, le principe de proportionnalité exige une appréciation concrète et individualisée de l’attitude de l’opérateur concerné, sur la base de tous les éléments pertinents (arrêt du 3 juin 2021, Rad Service e.a., C‑210/20, EU:C:2021:445, point 40 et jurisprudence citée).

42 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que, en cas de résiliation d’un marché public en raison de défaillances importantes ou persistantes de l’adjudicataire lors de l’exécution d’une obligation essentielle, cette résiliation conduit, en vertu de la réglementation nationale applicable, à inscrire chaque opérateur économique qui était juridiquement responsable de la bonne exécution dudit marché sur une liste visant à permettre aux pouvoirs adjudicateurs de connaître
les noms des opérateurs qui, n’ayant pas, ou mal, exécuté un marché public, sont considérés, de ce fait, comme n’étant pas des fournisseurs fiables. L’inscription sur cette liste entraîne l’exclusion de toute procédure de passation de marché pendant une durée de trois ans, à moins que l’opérateur économique concerné ne démontre avoir adopté des mesures correctives adéquates.

43 La juridiction de renvoi expose que, en pratique, dès le prononcé d’une décision juridictionnelle confirmant la légalité de la résiliation du marché concerné, tous les opérateurs économiques juridiquement responsables de l’exécution de ce marché sont automatiquement inscrits sur cette liste, sans qu’une décision soit formellement adoptée à cet effet.

44 S’agissant du point de savoir si une telle réglementation ou pratique respecte les caractéristiques essentielles du motif d’exclusion facultatif prévu à l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24 et le principe de proportionnalité énoncé à l’article 18, paragraphe 1, de cette directive, il y a lieu de relever que ces dispositions ne s’opposent pas à l’enregistrement temporaire, dans un portail dédié à faciliter la gestion des procédures de passation de marchés publics, des noms
des opérateurs à l’égard desquels ont été constatées des défaillances importantes ou persistantes lors de l’exécution d’une obligation essentielle dans le cadre d’un marché public antérieur.

45 En effet, ainsi qu’il a été exposé aux points 35 et 36 du présent arrêt, ce motif d’exclusion facultatif vise à permettre que l’accès de tels opérateurs aux procédures de passation de marchés publics soit restreint par une interdiction de principe de participer à ces procédures. Une telle restriction est, en l’occurrence, énoncée à l’article 46 de la loi sur les marchés publics. L’inscription, prévue à l’article 91 de cette loi, des opérateurs concernés sur une liste électronique accessible aux
pouvoirs adjudicateurs et aux autres entités compétentes en matière de marchés publics, paraît, sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, avoir pour objet de faciliter l’application de cette restriction.

46 Cela étant, afin de respecter les caractéristiques essentielles du motif d’exclusion facultatif prévu à l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24 et le principe de proportionnalité, un tel régime doit être aménagé de manière à ce que, préalablement à l’inscription, sur la liste des fournisseurs non fiables, d’un opérateur économique qui est membre d’un groupement auquel un marché public résilié avait été attribué, doivent faire l’objet d’une appréciation concrète tous les
éléments pertinents apportés par cet opérateur pour établir que son inscription sur cette liste serait injustifiée au regard de son comportement individuel.

47 Il ne saurait, dès lors, être admis qu’un tel opérateur économique soit, en cas de résiliation de ce marché en raison de défaillances importantes ou persistantes lors de l’exécution de celui-ci, automatiquement qualifié de non fiable et fasse l’objet d’une exclusion temporaire sans que son comportement ait, au préalable, été évalué, de manière concrète et individualisée, à la lumière de tous les éléments pertinents.

48 Il est, certes, loisible à un État membre de prévoir, en cas de fixation des conditions d’application du motif d’exclusion facultatif prévu à l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24, une présomption selon laquelle tout opérateur économique juridiquement responsable de la bonne exécution d’un marché public est censé avoir contribué, lors de l’exécution de ce marché, au développement ou au maintien des défaillances importantes ou persistantes ayant conduit à la résiliation
dudit marché. Toutefois, lorsque ce marché a été attribué à un groupement d’opérateurs économiques, dont les contributions individuelles à ces défaillances et aux éventuels efforts faits pour y remédier ne sont pas nécessairement identiques, une telle présomption doit, sous peine de porter atteinte aux caractéristiques essentielles de ce motif d’exclusion facultatif et au principe de proportionnalité rappelé à l’article 18, paragraphe 1, de cette directive, être réfragable.

49 En effet, indépendamment de la responsabilité juridique solidaire des membres d’un tel groupement, l’application du motif d’exclusion facultatif prévu à l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24 doit se fonder sur le caractère fautif ou négligent de ce comportement individuel.

50 Partant, dans une situation telle que celle en cause au principal, chaque membre du groupement, juridiquement responsable de la bonne exécution d’un marché public, doit, avant qu’il ne soit inscrit sur la liste des fournisseurs non fiables et, de ce fait, soumis au régime d’exclusion temporaire des procédures de passation de marchés publics, avoir la possibilité d’établir que les défaillances qui ont conduit à la résiliation de ce marché étaient sans rapport avec son comportement individuel.
Lorsqu’il s’avère, à la suite d’une appréciation concrète et individualisée du comportement de l’opérateur concerné à la lumière de tous les éléments pertinents, que celui-ci n’était pas à l’origine des défaillances constatées et qu’il ne pouvait pas raisonnablement être exigé de lui qu’il fasse plus que ce qu’il a fait pour remédier à ces défaillances, la directive 2014/24 s’oppose à ce qu’il soit inscrit sur la liste des fournisseurs non fiables (voir, par analogie, arrêt du 7 septembre 2021,
Klaipėdos regiono atliekų tvarkymo centras, C‑927/19, EU:C:2021:700, points 157 et 158).

51 Cette interprétation n’est pas infirmée par la possibilité, pour l’opérateur concerné, d’échapper à l’exclusion de la participation à des procédures de passation de marchés publics en démontrant, conformément à l’article 57, paragraphe 6, de la directive 2014/24, qu’il a adopté des mesures correctives, telles que celles énumérées de manière illustrative au considérant 102 de cette directive. En effet, il ne saurait être exigé de la part d’un tel opérateur qu’il démontre avoir adopté des mesures
correctives alors même que son comportement individuel est étranger aux défaillances ayant conduit à la résiliation du marché.

52 Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 18, paragraphe 1, et l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle, lorsque le pouvoir adjudicateur résilie un marché public attribué à un groupement d’opérateurs économiques en raison de défaillances importantes ou persistantes ayant causé
l’inexécution d’une obligation essentielle dans le cadre de ce marché, tout membre de ce groupement est automatiquement inscrit sur une liste de fournisseurs non fiables et ainsi temporairement empêché, en principe, de participer à de nouvelles procédures de passation de marchés publics.

Sur la troisième question

53 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 18, paragraphe 1, et l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24 doivent être interprétés en ce sens qu’un opérateur économique qui est membre d’un groupement adjudicataire d’un marché public peut, en cas de résiliation de ce marché pour non-respect d’une obligation essentielle, invoquer, aux fins d’établir que son inscription sur une liste de fournisseurs non fiables est injustifiée, tant des
éléments qui concernent sa propre situation que des éléments qui concernent la situation de tiers, tels que le chef de file de ce groupement.

54 Ainsi qu’il a été relevé au point 50 du présent arrêt, chaque membre du groupement adjudicataire doit, en cas de résiliation du marché en raison de défaillances importantes ou persistantes, avoir la possibilité, avant d’être inscrit sur une liste de fournisseurs non fiables et être, de ce fait, soumis au régime d’exclusion temporaire des procédures de passation de marchés publics, d’établir que son comportement individuel lors de l’exécution de ce marché était sans rapport avec ces défaillances.

55 Afin d’établir que son comportement individuel n’est pas à l’origine desdites défaillances et qu’il ne pouvait, par ailleurs, pas raisonnablement être exigé de lui qu’il fasse plus que ce qu’il a fait pour remédier à celles-ci, l’opérateur économique concerné doit être mis en mesure d’invoquer tout élément qu’il considère pertinent.

56 En effet, les termes figurant à l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24 ne précisent pas dans quelles circonstances un membre d’un groupement d’opérateurs économiques doit être considéré comme étant ou non impliqué dans les défaillances ayant conduit à la résiliation du marché. Partant, cette disposition permet à chaque membre d’un groupement adjudicataire d’invoquer tout élément, propre à sa situation ou à celle d’un tiers, susceptible de démontrer que ce motif d’exclusion
ne peut lui être appliqué.

57 Il appartient au pouvoir adjudicateur du marché résilié et, le cas échéant, à la juridiction saisie d’un recours, de déterminer, dans le cadre de l’appréciation concrète et individualisée qui s’impose en vertu du principe de proportionnalité rappelé à l’article 18, paragraphe 1, de ladite directive, le poids qu’il convient d’accorder à chaque élément invoqué.

58 Au regard de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 18, paragraphe 1, et l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24 doivent être interprétés en ce sens qu’un opérateur économique qui est membre d’un groupement adjudicataire d’un marché public peut, en cas de résiliation de ce marché pour non-respect d’une obligation essentielle, invoquer, aux fins d’établir que son inscription sur une liste de fournisseurs non fiables est injustifiée, tout
élément, y compris concernant des tiers, tels que le chef de file de ce groupement, susceptible de démontrer qu’il n’est pas à l’origine des défaillances ayant conduit à la résiliation dudit marché et qu’il ne pouvait pas raisonnablement être exigé de lui qu’il fasse plus que ce qu’il a fait pour remédier à ces défaillances.

Sur la première question

59 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive 89/665 doit être interprété en ce sens qu’un État membre qui prévoit, dans le cadre de la fixation de conditions d’application du motif d’exclusion facultatif prévu à l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24, que les opérateurs économiques auxquels un marché public a été attribué sont, en cas de résiliation de ce marché pour non-respect d’une
obligation essentielle, inscrits sur une liste de fournisseurs non fiables et ainsi temporairement exclus, en principe, de la participation à de nouvelles procédures de passation de marchés publics, doit garantir le droit d’introduire un recours contre l’inscription sur cette liste de fournisseurs non fiables.

60 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665, les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, au motif que ces décisions ont violé le droit de l’Union en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit. Conformément à l’article 1er, paragraphe 3, de cette directive, ces procédures de
recours doivent être accessibles au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée.

61 Par ces dispositions, la directive 89/665 vise à assurer, dans le domaine des marchés publics relevant du droit de l’Union, le plein respect du droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, consacré à l’article 47, premier et deuxième alinéas, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (arrêt du 7 septembre 2021, Klaipėdos regiono atliekų tvarkymo centras, C‑927/19, EU:C:2021:700, point 128 et jurisprudence citée).

62 Dans cette perspective, la notion de « décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs », figurant à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665, doit recevoir une interprétation large. Toute décision d’un pouvoir adjudicateur qui relève des règles de l’Union en matière de marchés publics et qui est susceptible de les enfreindre doit pouvoir être soumise au contrôle juridictionnel prévu par cette directive. Cette notion se réfère donc de manière générale aux décisions d’un pouvoir
adjudicateur sans opérer de distinction en fonction de leur contenu ou du moment de leur adoption et ne prévoit aucune restriction en ce qui concerne la nature et le contenu des décisions visées (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2021, Klaipėdos regiono atliekų tvarkymo centras, C‑927/19, EU:C:2021:700, point 105).

63 Les termes « toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée », figurant à l’article 1er, paragraphe 3, de cette directive, doivent également recevoir une interprétation large, de manière à ce que les règles contenues dans ladite directive s’appliquent à l’ensemble des personnes dont l’intérêt à obtenir un tel marché est affecté par une décision prise par un pouvoir adjudicateur.

64 Lorsque, comme en l’occurrence, les membres d’un groupement d’opérateurs économiques sont, en raison de la résiliation du marché public qui leur avait été attribué, inscrits, par ou à l’initiative d’un pouvoir adjudicateur, sur une liste de fournisseurs non fiables et ainsi temporairement exclus, en principe, de la participation à de futures procédures de passation de marchés publics, cette inscription, qui affecte l’intérêt de chacun de ces opérateurs à obtenir des marchés publics relevant du
droit de l’Union, constitue une décision prise par un pouvoir adjudicateur, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665. Cette décision doit, ainsi qu’il ressort de l’examen des deuxième et troisième questions, respecter les caractéristiques essentielles du motif d’exclusion facultatif prévu à l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24 et être conforme au principe de proportionnalité énoncé à l’article 18, paragraphe 1, de celle-ci. En cas de violation
alléguée de ces dispositions ou de toute autre norme du droit de l’Union, la personne prétendument lésée doit, en vertu de l’article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive 89/665, disposer d’une voie de recours effective.

65 Or, la possibilité d’introduire un recours contre la résiliation du marché public dont découle leur inscription sur la liste des fournisseurs non fiables ne constitue pas, pour les membres du groupement adjudicataire, une voie de recours effective contre la décision de les inscrire sur cette liste et de les exclure ainsi, en principe, de procédures de passation de marchés publics futures. En effet, la légalité au regard du droit de l’Union de cette résiliation, d’une part, et de ces inscription
et exclusion, d’autre part, peut dépendre, ainsi qu’il ressort de l’analyse relative à la deuxième question, d’éléments différents.

66 Partant, lorsque le marché résilié avait été attribué à un groupement d’opérateurs économiques, chaque membre de ce groupement doit être en mesure d’introduire un recours contre son inscription sur la liste de fournisseurs non fiables, dont découle son exclusion, en principe, de procédures de passation de marchés publics futures.

67 Au regard de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive 89/665 doit être interprété en ce sens qu’un État membre qui prévoit, dans le cadre de la fixation de conditions d’application du motif d’exclusion facultatif prévu à l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24, que les membres d’un groupement d’opérateurs économiques adjudicataire d’un marché public sont, en cas de résiliation de ce marché pour
non-respect d’une obligation essentielle, inscrits sur une liste de fournisseurs non fiables et ainsi temporairement exclus, en principe, de la participation à de nouvelles procédures de passation de marchés publics, doit garantir le droit de ces opérateurs d’introduire un recours effectif contre leur inscription sur cette liste.

Sur les dépens

68 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 18, paragraphe 1, et l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils s’opposent à une réglementation ou à une pratique nationale selon laquelle, lorsque le pouvoir adjudicateur résilie un marché public attribué à un groupement d’opérateurs économiques en raison de défaillances importantes ou persistantes ayant causé l’inexécution d’une obligation essentielle dans le cadre de ce marché, tout membre de ce groupement est automatiquement inscrit sur une liste de fournisseurs non fiables et ainsi temporairement empêché, en principe, de participer à de nouvelles
procédures de passation de marchés publics.

  2) L’article 18, paragraphe 1, et l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24

doivent être interprétés en ce sens que :

un opérateur économique qui est membre d’un groupement adjudicataire d’un marché public peut, en cas de résiliation de ce marché pour non-respect d’une obligation essentielle, invoquer, aux fins d’établir que son inscription sur une liste de fournisseurs non fiables est injustifiée, tout élément, y compris concernant des tiers, tels que le chef de file de ce groupement, susceptible de démontrer qu’il n’est pas à l’origine des défaillances ayant conduit à la résiliation dudit marché et qu’il ne
pouvait pas raisonnablement être exigé de lui qu’il fasse plus que ce qu’il a fait pour remédier à ces défaillances.

  3) L’article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014,

doit être interprété en ce sens que :

un État membre qui prévoit, dans le cadre de la fixation de conditions d’application du motif d’exclusion facultatif prévu à l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24, que les membres d’un groupement d’opérateurs économiques adjudicataire d’un marché public sont, en cas de résiliation de ce marché pour non-respect d’une obligation essentielle, inscrits sur une liste de fournisseurs non fiables et ainsi temporairement exclus, en principe, de la participation à de nouvelles
procédures de passation de marchés publics, doit garantir le droit de ces opérateurs d’introduire un recours effectif contre leur inscription sur cette liste.

  Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure : le lituanien.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-682/21
Date de la décision : 26/01/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas.

Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2014/24/UE – Article 57, paragraphe 4, sous g) – Motif d’exclusion facultatif lié aux défaillances dans le cadre d’un marché antérieur – Marché attribué à un groupement d’opérateurs économiques – Résiliation de ce marché – Inscription automatique de l’ensemble des membres du groupement sur une liste de fournisseurs non fiables – Principe de proportionnalité – Directive 89/665/CEE – Article 1er, paragraphes 1 et 3 – Droit à un recours effectif.

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : « HSC Baltic » UAB e.a.
Défendeurs : Vilniaus miesto savivaldybės administracija.

Composition du Tribunal
Avocat général : Campos Sánchez-Bordona
Rapporteur ?: Lycourgos

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:48

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award