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22/12/2022 | CJUE | N°C-68/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Banque européenne d'investissement (BEI) contre KL., 22/12/2022, C-68/22


 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

22 décembre 2022 ( *1 )

« Pourvoi – Fonction publique – Personnel de la Banque européenne d’investissement (BEI) – Notion d’“invalidité” – Déclaration d’aptitude au travail – Absence injustifiée – Recours en annulation et en indemnité »

Dans l’affaire C‑68/22 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 2 février 2022,

Banque européenne d’investissement (BEI), représenté

e par Mmes G. Faedo et I. Zanin, en qualité d’agents, assistées de Me A. Duron, avocate,

partie requérante,

l’autre partie à la pr...

 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

22 décembre 2022 ( *1 )

« Pourvoi – Fonction publique – Personnel de la Banque européenne d’investissement (BEI) – Notion d’“invalidité” – Déclaration d’aptitude au travail – Absence injustifiée – Recours en annulation et en indemnité »

Dans l’affaire C‑68/22 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 2 février 2022,

Banque européenne d’investissement (BEI), représentée par Mmes G. Faedo et I. Zanin, en qualité d’agents, assistées de Me A. Duron, avocate,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

KL, représenté par Mes A. Champetier et L. Levi, avocates,

partie demanderesse en première instance,

LA COUR (septième chambre),

composée de Mme M. L. Arastey Sahún, présidente de chambre, MM. F. Biltgen (rapporteur) et J. Passer, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 Par son pourvoi, la Banque européenne d’investissement (BEI) demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 24 novembre 2021, KL/BEI (T‑370/20, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:822), par lequel celui-ci a, d’une part, annulé les décisions de la BEI, du 8 février et du 8 mars 2019, déclarant KL apte à travailler et en position d’absence injustifiée depuis le 18 février 2019, ainsi que la décision du président de la BEI, du 16 mars 2020, confirmant ces décisions
(ci-après, ensemble, les « décisions litigieuses »), et, d’autre part, condamné la BEI à payer à KL une pension d’invalidité à compter du 1er février 2019 et les intérêts de retard sur cette pension, déduction faite des sommes versées à KL à titre de rémunération dont il apparaîtrait que, du fait du paiement de la pension d’invalidité, elles ne lui étaient pas dues.

Le cadre juridique

Le RTRP

2 L’article 46-1 du règlement transitoire du régime de pension applicable aux membres du personnel de la BEI (ci-après le « RTRP ») prévoit :

« Pour l’application du présent Règlement, est invalide l’affilié qui, par suite d’une maladie, d’un accident ou d’une infirmité, se trouve dans l’incapacité physique ou mentale de remplir de manière permanente sa fonction ou une autre fonction de niveau équivalent et dont l’invalidité est reconnue conformément à l’article 48 ci-après. »

3 L’article 48-1 du RTRP prévoit que l’invalidité doit être reconnue par un médecin choisi par la BEI ou, en cas de contestation, par la commission d’invalidité prévue à l’article 13-1 de ce règlement.

4 Aux termes de l’article 51-1 du RTRP :

« Si l’invalide exerce une activité lucrative, la pension d’invalidité est réduite dans la mesure où la somme de la pension d’invalidité, des pensions d’enfants et du gain provenant de cette activité dépasse le montant de la rémunération nette correspondant à l’échelon et à la fonction qui étaient ceux de l’assuré sur une même base familiale qu’au moment où il a été déclaré invalide. »

Le statut

5 L’article 78, premier alinéa, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, dans sa version en vigueur à l’époque des faits ayant donné lieu au présent litige (ci-après le « statut »), dispose :

« Dans les conditions prévues aux articles 13 à 16 de l’annexe VIII, le fonctionnaire a droit à une allocation d’invalidité lorsqu’il est atteint d’une invalidité permanente considérée comme totale le mettant dans l’impossibilité d’exercer des fonctions correspondant à un emploi de son groupe de fonctions. »

Les antécédents du litige

6 Les antécédents du litige, tels qu’ils figurent aux points 1 à 39 de l’arrêt attaqué, peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés de la manière suivante.

7 KL a été employé par la BEI à partir du 1er septembre 2001.

8 Après plusieurs périodes pendant lesquelles KL était absent de la BEI, celle-ci l’a informé, le 22 mai 2017, que le médecin-conseil de cet organisme avait recommandé qu’il soit placé en incapacité temporaire partielle (équivalant à 50 % de son temps de travail) pendant une période de six mois à compter du 1er juin 2017.

9 Le 1er juin 2017, KL a contesté la recommandation du médecin-conseil de la BEI, en estimant qu’il aurait dû être placé en incapacité temporaire totale de reprendre ses fonctions. Il a, par conséquent, demandé la mise en œuvre de la procédure d’arbitrage médical prévue à l’article 4 de l’annexe X des dispositions administratives applicables au personnel de la BEI, adoptées en exécution du règlement du personnel de la BEI (ci-après les « dispositions administratives »).

10 Le 18 octobre 2017, KL a été examiné par le médecin indépendant désigné par la BEI, qui a confirmé l’avis du médecin-conseil de celle-ci. Cette conclusion a été communiquée à la BEI et à KL.

11 Le 14 décembre 2017, la BEI a informé KL que des discussions étaient en cours pour permettre son retour au travail à temps partiel pendant une période de trois mois dans un autre poste que celui qu’il occupait auparavant, étant entendu que, entre le 1er janvier 2018 et sa réintégration, il serait dispensé de se présenter sur son lieu de travail.

12 Le 28 décembre 2017, le conseil de KL a contesté les conséquences que la BEI entendait tirer de l’arbitrage médical, en soutenant que la procédure qui aurait dû être mise en œuvre était celle de la commission d’invalidité prévue à l’article 13-1 du RTRP.

13 La BEI ayant accepté d’engager une procédure devant la commission d’invalidité, cette dernière a, le 9 novembre 2018, émis une conclusion (ci-après la « conclusion de la commission d’invalidité du 9 novembre 2018 ») qui était libellée comme suit :

« En raison de son trouble psychique, [KL] est inapte à retourner à son dernier poste de travail et chez son ancien employeur. Il est donc invalide par rapport à la BEI, mais non invalide par rapport au marché général du travail. [La commission d’invalidité] a été unanime à ce sujet. »

14 La même conclusion figure dans un rapport du médecin désigné, conformément à l’article 13-1 du RTRP, d’un commun accord par les deux autres médecins composant la commission d’invalidité, intitulé « Expertise médicale dans le cadre de la commission d’invalidité du 9 novembre 2018 ».

15 Le 23 janvier 2019, sur le fondement de trois formulaires soumis par les médecins composant la commission d’invalidité, dans lesquels la case « not invalid » (non invalide) avait été cochée (ci-après les « formulaires des 16 et 23 janvier 2019 »), cette commission a communiqué à la BEI sa décision, adoptée à l’unanimité, selon laquelle KL n’était pas invalide.

16 Par décisions des 8 février et 8 mars 2019, la BEI a déclaré KL apte à travailler et en position d’absence injustifiée depuis le 18 février 2019, date à partir de laquelle elle considérait que ce dernier aurait dû reprendre le travail.

17 Le 16 mars 2020, à la suite de l’échec de la procédure de conciliation déclenchée à la demande de KL, le président de la BEI a acté les conclusions en ce sens de la commission de conciliation. Par conséquent, les décisions des 8 février et 8 mars 2019 ont été confirmées par ce dernier.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

18 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 juin 2020, KL a introduit un recours tendant à l’annulation des décisions litigieuses. À l’appui de son recours, il a soulevé deux moyens tirés, le premier, de la violation des articles 46-1 et 48-1 du RTRP, des articles 11.1 et 11.3 des dispositions administratives ainsi que d’une erreur manifeste d’appréciation et, le second, de la violation du devoir de sollicitude. Seul le premier moyen est pertinent aux fins du présent pourvoi.

19 Par ce moyen, KL reprochait à la BEI d’avoir considéré, dans les décisions litigieuses, qu’il était apte à travailler et en position d’absence injustifiée depuis le 18 février 2019. À cet égard, KL a relevé que, selon la conclusion de la commission d’invalidité du 9 novembre 2018 et l’expertise médicale effectuée dans le cadre de ladite commission, il avait été considéré comme invalide par rapport à la BEI. Il a fait valoir que cette conclusion suffisait à le déclarer invalide au sens de
l’article 46-1 du RTRP. La BEI a, en revanche, affirmé que le RTRP ne reconnaissait qu’un seul type d’invalidité, à savoir celle par rapport au marché général du travail, et que l’avis de la commission d’invalidité avait été exprimé dans les formulaires des 16 et 23 janvier 2019 déclarant que KL n’était pas invalide.

20 S’agissant, en premier lieu, des documents constituant l’avis de la commission d’invalidité, le Tribunal a, aux points 58 à 73 de l’arrêt attaqué, jugé que l’appréciation de la légalité des décisions litigieuses devait être effectuée non seulement au regard des formulaires des 16 et 23 janvier 2019, mais aussi de la conclusion de la commission d’invalidité du 9 novembre 2018, laquelle avait été confirmée par l’expertise médicale effectuée dans le cadre de ladite commission.

21 En deuxième lieu, le Tribunal a, aux points 74 à 81 de l’arrêt attaqué, considéré que, selon l’avis de la commission d’invalidité, tel qu’il ressortait des documents mentionnés au point 20 du présent arrêt, KL ne pouvait plus exercer de fonctions au sein de la BEI, mais était encore capable d’exercer une activité professionnelle sur le marché général du travail.

22 En troisième lieu, le Tribunal a, aux points 83 à 85 de l’arrêt attaqué, jugé que la notion d’« invalidité » d’un agent de la BEI, au sens de l’article 46-1 du RTRP et de l’article 11.1 des dispositions administratives, doit être appréciée au regard de la capacité de cet agent de reprendre « sa fonction ou une autre fonction de niveau équivalent », cette autre fonction devant également être interne à la BEI.

23 Aux fins de parvenir à cette appréciation, le Tribunal a, premièrement, aux points 86 à 89 de l’arrêt attaqué, considéré que, par analogie avec l’article 78 du statut, lesdites dispositions de la réglementation de la BEI renvoyaient au classement des fonctions au sein de cet organisme. Deuxièmement, le Tribunal a, aux points 90 à 93 de cet arrêt, souligné que les commissions d’invalidité mises en place par la BEI constituent des organes de celle-ci et ne disposent dès lors pas, sur le plan
juridique, de la compétence pour apprécier la capacité du personnel de la BEI d’exercer des fonctions professionnelles en dehors de cet organisme. Troisièmement, aux points 94 à 99 dudit arrêt, le Tribunal a rejeté l’interprétation de la BEI de l’article 51-1 du RTRP, selon laquelle cette disposition viserait uniquement les rares situations dans lesquelles une personne déclarée invalide au sein de la BEI exercerait en dehors de celle-ci une activité différente de celle qu’elle a exercée en son
sein.

24 Aux points 100 et 101 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que, dès lors que la commission d’invalidité avait déclaré que KL était dans l’incapacité d’exercer des fonctions à la BEI et que la notion d’« invalidité », au sens de l’article 46-1 du RTRP et de l’article 11.1 des dispositions administratives, devait uniquement être appréciée par rapport à cet organisme, la BEI était tenue de déclarer KL invalide, de sorte qu’il y avait lieu de considérer que, en le déclarant apte à travailler et en
position d’absence injustifiée depuis le 18 février 2019 dans les décisions litigieuses, la BEI avait violé ces dispositions. Par conséquent, le Tribunal a accueilli le premier moyen du recours de KL et a annulé ces décisions.

Les conclusions des parties devant la Cour

25 Par son pourvoi, la BEI demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– dans l’hypothèse où elle estime que le litige est en état d’être jugé, de lui accorder le bénéfice de ses conclusions en première instance, et

– de condamner KL aux dépens des deux instances.

26 KL demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner la BEI aux dépens.

Sur le pourvoi

27 La BEI invoque deux moyens à l’appui de son pourvoi. Le premier moyen, tiré d’une interprétation erronée de la notion d’« invalidité », comporte quatre branches, dont la première et la quatrième doivent être examinées ensemble. Le second moyen, divisé en deux branches, qu’il convient d’examiner ensemble, est tiré d’une dénaturation des faits tels qu’exposés aux points 58 à 81 de l’arrêt attaqué.

Sur les première et quatrième branches du premier moyen

Argumentation des parties

28 Par la première branche du premier moyen, la BEI fait valoir que le Tribunal, en jugeant, aux points 83 à 85 de l’arrêt attaqué, que les « autres fonctions de niveau équivalent » qu’un agent doit être incapable d’exercer pour être considéré comme invalide, au sens de l’article 46-1 du RTRP et de l’article 11.1 des dispositions administratives, doivent être exercées au sein de la BEI, a interprété la notion d’« invalidité » d’une manière contraire à la réglementation interne de cet organisme.

29 En premier lieu, la BEI considère que, par l’emploi des termes « sa fonction ou une autre fonction de niveau équivalent », l’article 46-1 du RTRP n’opère pas de distinction entre des fonctions exercées au sein de la BEI et celles exercées en dehors de celle-ci ni de renvoi au classement des fonctions internes de cette dernière. Le formulaire que la commission d’invalidité doit remplir ne ferait pas non plus de distinction quant au point de savoir si l’invalidité serait spécifique à la BEI ou
devrait être appréciée par rapport au marché général du travail, si bien que, en introduisant une telle distinction, le Tribunal aurait modifié la lettre de ladite réglementation interne.

30 En deuxième lieu, l’interprétation retenue par le Tribunal reviendrait à confondre la notion d’« invalidité », qui reconnaîtrait la protection due à une personne qui est devenue incapable de travailler en général, avec celle d’« inaptitude au travail », telle qu’envisagée dans la plupart des ordres juridiques nationaux, relative à la protection due à une personne qui est devenue incapable de travailler pour un employeur particulier.

31 En troisième lieu, ladite interprétation méconnaîtrait l’objectif de la pension d’invalidité consistant, dans la mesure où celle-ci constitue une mesure de protection sociale, à compenser la perte de rémunération subie par un employé en raison de son incapacité permanente d’exercer ses fonctions. Juger qu’un agent pourrait être considéré invalide pour exercer un travail au sein de la BEI mais capable d’exercer un travail équivalent en dehors de celle-ci serait en contradiction manifeste avec cet
objectif. De plus, cette interprétation engendrerait des conséquences graves pour l’équilibre financier du système des pensions de la BEI et soulèverait des problèmes d’utilisation et de gestion des fonds publics.

32 Par la quatrième branche du premier moyen, la BEI soutient que le Tribunal a, à tort, aux points 98 à 100 de l’arrêt attaqué, interprété l’article 51-1 du RTRP, qui prévoit une réduction du montant de la pension d’invalidité dans le cas où la personne déclarée invalide exerce une activité lucrative, comme visant les situations dans lesquelles une personne déclarée invalide au sein de la BEI exerce une activité professionnelle quelle qu’elle soit. Lors de l’audience devant le Tribunal, la BEI a
soutenu que cette disposition visait uniquement les rares situations dans lesquelles une personne déclarée invalide exercerait en dehors de la BEI une activité différente de celle qu’elle a exercé en son sein.

33 Tout d’abord, la BEI affirme que l’interprétation du Tribunal est contradictoire dans la mesure où celui-ci a souligné le caractère général de la rédaction de l’article 51-1 du RTRP, sans distinction quant à la nature de l’activité extérieure exercée, tout en estimant que l’article 46‑1 de celui-ci, également rédigé en termes généraux, concerne une notion d’« invalidité » définie par rapport à des fonctions exercées au sein de la BEI.

34 Ensuite, cet organisme fait valoir que la notion d’« invalidité », au sens de l’article 51-1 du RTRP et de l’article 46-1 de ce règlement, doit faire l’objet d’une interprétation identique. Or, cette dernière disposition se référerait non seulement aux fonctions exercées au sein de la BEI mais aussi à celles exercées en dehors de celle-ci. Il serait, dès lors, contradictoire d’interpréter l’article 51-1 du RTRP comme faisant référence à une personne déclarée invalide exerçant en dehors de la BEI
un travail de nature et d’intensité équivalentes à celles du travail qu’elle exerçait à l’intérieur de cet organisme, de sorte que ledit article devrait se référer à un autre type de travail.

35 Enfin, et à titre surabondant, la BEI estime que l’interprétation de l’article 51-1 du RTRP retenue par le Tribunal conduirait à créer des situations d’enrichissement sans cause. En effet, lorsque l’agent invalide perçoit une pension d’invalidité de la BEI tout en travaillant à temps plein en dehors de cet organisme à un poste tout aussi exigeant, la capacité de travail réelle de cette personne susciterait des interrogations.

36 KL conteste l’argumentation de la BEI.

Appréciation de la Cour

37 Par les première et quatrième branches de son premier moyen, la BEI soutient, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en interprétant la notion d’« invalidité » telle qu’elle figure, notamment, à l’article 46-1 du RTRP, eu égard au libellé de celui-ci, au contexte dans lequel cette disposition s’insère ainsi qu’à la finalité de l’octroi d’une pension d’invalidité. En particulier, elle estime que le Tribunal a considéré à tort que les termes « autre fonction de niveau
équivalent », au sens de cette disposition, visaient uniquement les fonctions exercées au sein de la BEI.

38 Tout d’abord, il ne ressort certes pas du libellé de l’article 46-1 du RTRP qu’il vise expressément d’autres fonctions de niveau équivalent exercées au sein de la BEI. Il n’en demeure pas moins que, en faisant mention de l’incapacité de l’affilié de remplir « sa fonction ou une autre fonction de niveau équivalent », cet article peut être interprété, en raison de la répétition du terme « fonction », comme visant, outre la fonction en cause de l’agent concerné, une autre fonction interne à la BEI.

39 Cette interprétation est corroborée par le fait que le terme « fonction », utilisé par l’article 46-1 du RTRP, constitue une notion juridique d’ordre réglementaire. Par ailleurs, il y a lieu de constater que l’article 46-1 du RTRP ne recourt pas à une locution de portée plus large, telle que celle d’« activité lucrative », employée à l’article 51-1 du RTRP, qui, elle, renvoie à un emploi relevant du marché général du travail.

40 Ensuite, s’agissant du contexte dans lequel l’article 46-1 du RTRP s’insère, en premier lieu, c’est à juste titre que la BEI considère que la notion d’« invalidité », au sens des articles 46-1 et 51-1 du RTRP, doit être interprétée de manière identique. Il ne saurait, pour autant, en être déduit que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 96 à 98 de l’arrêt attaqué, que ce dernier article, eu égard à la formulation en des termes généraux de son libellé, ne saurait être
compris comme visant uniquement une activité exercée en dehors de la BEI qui soit différente de celle que la personne déclarée invalide a exercée au sein de cet organisme, mais qu’il doit être interprété comme visant l’exercice de toute activité, quelle qu’elle soit, y compris une activité de niveau équivalent à celle que cette personne a exercée au sein de la BEI.

41 À cet égard, d’une part, il convient d’écarter l’allégation de la BEI selon laquelle l’interprétation par le Tribunal des articles 46-1 et 51-1 du RTRP serait contradictoire au motif que, selon cet organisme, ces dispositions sont toutes deux rédigées en termes généraux alors que le Tribunal se serait fondé uniquement sur le caractère général de la seconde disposition. En effet, ainsi qu’il ressort du point 39 du présent arrêt, l’article 51-1 du RTRP utilise la notion générale d’« activité
lucrative », alors que l’article 46-1 de celui-ci emploie le terme « fonction », qui, ainsi qu’il ressort de ce même point 39, renvoie aux dispositions réglementaires applicables au personnel d’une institution ou d’un organisme spécifique.

42 D’autre part, l’interprétation de l’article 51-1 du RTRP retenue par le Tribunal est conforme à l’interprétation de l’article 46-1 de ce règlement selon laquelle les termes « autre fonction de niveau équivalent » visent une autre fonction au sein de la BEI. En effet, il serait contradictoire de considérer que, en application de l’article 46-1 du RTRP, une personne est déclarée comme étant invalide au motif qu’elle se trouve dans l’incapacité de remplir sa fonction ou une activité de niveau
équivalent dans le marché général du travail tout en admettant que, en application de l’article 51-1 de ce règlement, cette personne puisse exercer une telle activité.

43 En second lieu, il convient de rejeter l’argument de la BEI selon lequel l’interprétation de la notion d’« invalidité » correspond à l’acception de ce terme dans différents ordres juridiques nationaux, alors que celle retenue par le Tribunal correspondrait à la notion d’« inaptitude au travail » dans ces derniers. À cet égard, il suffit de relever, à l’instar de la BEI dans son pourvoi, que le RTRP ainsi que les dispositions administratives font partie du cadre réglementaire de la BEI, propre à
celle-ci et distinct des règles de droit national.

44 Enfin, si, certes, l’octroi d’une pension d’invalidité répond à un objectif de nature sociale, en ce qu’il vise à assurer qu’une personne se trouvant dans l’incapacité physique ou mentale de remplir de manière permanente sa fonction ou une autre fonction de niveau équivalent puisse subvenir à ses besoins, l’interprétation de l’article 46-1 du RTRP selon laquelle cette autre fonction doit être interne à la BEI est, compte tenu de l’économie de ce règlement, conforme audit objectif.

45 En effet, le mécanisme prévu à l’article 51-1 du RTRP, par lequel la pension d’invalidité est réduite dans la mesure où la somme de celle-ci, des pensions d’enfants et du gain provenant d’une activité lucrative exercée par la personne déclarée invalide dépasse le montant de la rémunération nette que cette dernière percevait au moment de la déclaration de son invalidité, a pour effet de faire cesser le paiement de cette pension d’invalidité lorsque l’intéressé reprend une activité dont le gain est
au moins équivalent à la rémunération qu’il a perçue lorsqu’il exerçait des fonctions au sein de la BEI.

46 Aussi ce mécanisme vise-t-il à éviter des situations d’enrichissement sans cause de la personne déclarée invalide ainsi que des conséquences négatives pour l’équilibre financier du système des pensions de la BEI que cet organisme évoque.

47 Il s’ensuit que les arguments invoqués par la BEI dans le cadre des première et quatrième branches du premier moyen ne sont pas de nature à démontrer que l’interprétation que le Tribunal a retenue, dans l’arrêt attaqué, de la notion d’« invalidité » figurant à l’article 46-1 du RTRP est entachée d’une erreur de droit. Les première et quatrième branches de ce moyen doivent, dès lors, être écartées comme étant non fondées.

Sur la deuxième branche du premier moyen

Argumentation des parties

48 Par la deuxième branche du premier moyen, la BEI fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 90 à 93 de l’arrêt attaqué, que les commissions d’invalidité mises en place par cet organisme ne sont compétentes que pour se prononcer sur la capacité du personnel de la BEI de travailler au sein de celle-ci. À cet égard, elle soutient qu’une telle commission d’invalidité effectue des constatations médicales qui doivent être tenues pour définitives dès lors qu’elles
sont intervenues dans des conditions régulières. La mission des médecins membres de cette commission consisterait uniquement à formuler un avis médical et non pas à se prononcer sur l’environnement de travail.

49 La BEI affirme que l’article 46-1 du RTRP ne distingue pas l’invalidité déclarée au regard de fonctions exercées au sein de la BEI de l’invalidité déclarée au regard du marché général du travail, ni ne fixe de stricte limite de compétence des commissions d’invalidité chargées de l’examen de l’état de santé des personnes susceptibles d’être reconnues comme invalides.

50 Le risque, évoqué par le Tribunal, d’une contradiction entre l’appréciation d’une commission d’invalidité de la BEI et celle que pourraient émettre des commissions d’invalidité mises en place par d’autres institutions de l’Union ou des autorités nationales serait hypothétique. Une évaluation médicale, par sa nature technique, aurait vocation, à défaut de nouveaux éléments, à être partagée par d’autres professionnels de la santé. La compétence de la commission d’invalidité ne saurait être limitée
par la possibilité que d’autres médecins parviennent à des conclusions différentes.

51 KL estime que l’argumentation de la BEI n’est pas fondée.

Appréciation de la Cour

52 Ainsi qu’il découle des points 37 à 47 du présent arrêt, c’est à juste titre que le Tribunal a, au point 100 de l’arrêt attaqué, jugé que la notion d’« invalidité », au sens de l’article 46-1 du RTRP et de l’article 11.1 des dispositions administratives, doit être interprétée en ce qu’elle vise un agent de la BEI qui est déclaré par une commission d’invalidité établie par celle-ci comme étant incapable de reprendre sa fonction ou une autre fonction de niveau équivalent au sein de cet organisme.

53 Il s’ensuit nécessairement que les commissions d’invalidité mises en place par ledit organisme, qui, conformément à l’article 48-1 du RTRP, sont compétentes pour établir l’invalidité en cas de contestation, n’exercent leurs compétences qu’à l’égard de la capacité de la personne concernée de remplir sa fonction ou une autre fonction de niveau équivalent au sein de la BEI.

54 Il convient d’ajouter que, si, certes, l’avis d’une telle commission est d’ordre médical, il n’en demeure pas moins que l’appréciation effectuée par celle-ci doit, comme le soutient KL dans son mémoire en réponse, tenir compte de l’environnement de travail dont les tâches que l’intéressé est chargé d’accomplir ne sauraient être isolées. Il en va d’autant plus ainsi lorsque, comme en l’occurrence, des troubles psychiques sont à l’origine de l’invalidité.

55 Par conséquent, il y a lieu d’écarter la deuxième branche du premier moyen comme étant non fondée.

Sur la troisième branche du premier moyen

Argumentation des parties

56 Par la troisième branche du premier moyen, la BEI considère que le Tribunal a, aux points 86 à 89 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit en interprétant l’article 46-1 du RTRP et l’article 11.1 des dispositions administratives par analogie avec l’article 78 du statut. À cet égard, la BEI fait valoir qu’une telle interprétation par analogie présuppose l’existence, d’une part, d’un lien étroit entre les deux régimes juridiques en cause et, d’autre part, d’une lacune dans le premier régime
qui soit incompatible avec un principe général du droit de l’Union. Or, le Tribunal ne ferait pas état de l’existence de tels éléments.

57 Par ailleurs, le libellé de l’article 46-1 du RTRP ne distinguerait pas entre les fonctions exercées au sein de la BEI et celles exercées à l’extérieur de celle-ci, ni ne procèderait, à la différence de l’article 78 du statut, à un renvoi au classement des fonctions internes à cet organisme. En se fondant sur des similarités entre ces deux dispositions, le Tribunal aurait ainsi fait abstraction de ces différences.

58 La BEI ajoute, d’une part, que le fait de lui appliquer par analogie l’article 78 du statut remet en cause l’autonomie de son « système juridique » par rapport aux autres organes de l’Union. D’autre part, la situation de la BEI serait différente de celle des institutions de l’Union, en raison de sa taille mais également de la diversité d’emplois disponibles en son sein.

59 KL conteste l’argumentation de la BEI.

Appréciation de la Cour

60 Ainsi qu’il résulte des points 37 à 47 et 52 du présent arrêt, c’est à juste titre que le Tribunal a, au point 100 de l’arrêt attaqué, jugé que la notion d’« invalidité », au sens de l’article 46-1 du RTRP et de l’article 11.1 des dispositions administratives, doit être interprétée en ce qu’elle vise un agent de la BEI qui est déclaré par une commission d’invalidité établie par celle-ci comme étant incapable de reprendre sa fonction ou une autre fonction de niveau équivalent au sein de cet
organisme.

61 Par conséquent, même à supposer que le Tribunal ait erronément fondé cette conclusion en partie sur une interprétation de ladite disposition par analogie avec l’article 78 du statut, comme le fait valoir la BEI dans le cadre de la troisième branche du premier moyen, celle-ci doit être qualifiée d’inopérante.

62 En effet, selon une jurisprudence constante, dès lors que l’un des motifs retenus par le Tribunal est suffisant pour justifier le dispositif de l’arrêt, les vices dont pourrait être entaché un autre motif, dont il est également fait état dans l’arrêt en question, sont, en tout état de cause, sans influence sur ledit dispositif, de telle sorte que le moyen par lequel ils sont invoqués est inopérant et doit être écarté (arrêt du 17 octobre 2019, Alcogroup et Alcodis/Commission, C‑403/18 P,
EU:C:2019:870, point 53 et jurisprudence citée).

63 Dans ces conditions, il y a lieu d’écarter la troisième branche du premier moyen comme étant inopérante et, partant, ce moyen dans son intégralité.

Sur le second moyen

Argumentation des parties

64 Par son second moyen, la BEI allègue que le Tribunal a dénaturé les faits aux points 58 à 81 de l’arrêt attaqué en considérant que la conclusion de la commission d’invalidité du 9 novembre 2018, l’expertise médicale effectuée dans le cadre de cette commission ainsi que les formulaires des 16 et 23 janvier 2019 constituaient, ensemble, l’avis de ladite commission.

65 Par la première branche de ce moyen, la BEI soutient que, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, la conclusion de la commission d’invalidité du 9 novembre 2018 et l’expertise médicale effectuée dans le cadre de cette commission ne sauraient être des éléments dudit avis, faute d’avoir été contresignées par tous les membres de la commission d’invalidité, alors que les travaux d’une telle commission seraient collégiaux et nécessiteraient en principe que, au regard de l’issue de la procédure,
chaque membre contresigne le même document.

66 La BEI allègue qu’il existe une contradiction au point 72 de l’arrêt attaqué, aux termes duquel la commission d’invalidité, sans avoir examiné KL, aurait pu parvenir à une conclusion le 9 novembre 2018, laquelle aurait été ensuite confirmée par le président de cette commission, le 21 novembre 2018, après avoir examiné celui-ci. Selon la BEI, outre le fait que cette constatation est spéculative, le président d’une telle commission ne devrait pas être en mesure de remplacer les autres membres de
celle-ci dans la formulation de leur appréciation.

67 S’agissant de l’appréciation du Tribunal figurant au point 66 de l’arrêt attaqué, selon laquelle le contenu des documents susmentionnés n’a pas été contesté par les autres membres de la commission d’invalidité, la BEI souligne que seuls les formulaires des 16 et 23 janvier 2019 ont été signés par tous les membres de cette commission et, partant, en constituent l’avis formel.

68 En ce qui concerne la seconde branche de ce moyen, la BEI relève que la constatation faite au point 81 de l’arrêt attaqué, selon laquelle l’avis de la commission d’invalidité a consisté à considérer que KL ne pouvait plus exercer de fonctions au sein de la BEI, mais était capable d’exercer une activité professionnelle sur le marché général du travail, ne ressort pas des formulaires signés par tous les membres de cette commission en janvier 2019.

69 KL conteste l’argumentation de la BEI.

Appréciation de la Cour

70 Si la BEI invoque une dénaturation des faits par le Tribunal, il ressort de son argumentation que, par son second moyen, elle cherche en réalité à contester la qualification juridique donnée par le Tribunal à la conclusion de la commission d’invalidité du 9 novembre 2018 et à l’expertise médicale effectuée dans le cadre de cette commission. Selon elle, il ne s’agirait pas, comme le Tribunal l’a jugé, de documents à prendre en compte pour déterminer le contenu de l’avis de la commission
d’invalidité, seuls les formulaires des 16 et 23 janvier 2019 constituant l’avis de cette commission.

71 À cet égard, la BEI se fonde, pour l’essentiel, sur l’argument selon lequel les premiers documents n’ont pas été signés par tous les membres de la commission d’invalidité. Ce faisant, elle se limite à répéter l’argumentation qu’elle a soulevée devant le Tribunal, sans préciser en quoi la réponse du Tribunal à celle-ci, telle qu’elle figure, en particulier, au point 67 de l’arrêt attaqué, serait entachée d’une erreur de droit.

72 Or, il y a lieu de rappeler qu’un pourvoi qui, sans même comporter une argumentation visant spécifiquement à identifier l’erreur de droit dont serait entaché l’arrêt attaqué, se limite à répéter ou à reproduire les moyens et les arguments qui ont déjà été présentés devant le Tribunal constitue en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour (arrêt du 28 janvier 2021, Qualcomm et Qualcomm
Europe/Commission, C‑466/19 P, EU:C:2021:76, point 45 et jurisprudence citée).

73 Par conséquent, le deuxième moyen doit être écarté comme étant irrecevable.

74 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précédent que le pourvoi doit être rejeté.

Sur les dépens

75 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

76 En l’espèce, KL ayant conclu à la condamnation de la BEI aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens afférents au pourvoi, ceux exposés par KL.

  Par ces motifs, la Cour (septième chambre) déclare et arrête :

  1) Le pourvoi est rejeté.

  2) La Banque européenne d’investissement (BEI) est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par KL.

Arastey Sahún

Biltgen

Passer

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 décembre 2022.
 
Le greffier

A. Calot Escobar

La présidente de chambre

M. L. Arastey Sahún

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Septième chambre
Numéro d'arrêt : C-68/22
Date de la décision : 22/12/2022
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours de fonctionnaires

Analyses

Pourvoi – Fonction publique – Personnel de la Banque européenne d’investissement (BEI) – Notion d’“invalidité” – Déclaration d’aptitude au travail – Absence injustifiée – Recours en annulation et en indemnité.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Banque européenne d'investissement (BEI)
Défendeurs : KL.

Composition du Tribunal
Avocat général : Collins
Rapporteur ?: Biltgen

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:1029

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