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22/12/2022 | CJUE | N°C-237/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, S.M., 22/12/2022, C-237/21


 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

22 décembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union européenne – Articles 18 et 21 TFUE – Demande adressée à un État membre par un État tiers, tendant à l’extradition d’un citoyen de l’Union, ressortissant d’un autre État membre, ayant exercé son droit de libre circulation dans le premier de ces États membres – Demande présentée à des fins d’exécution d’une peine privative de liberté – Interdiction d’extrader appliquée aux seuls ressortissants nationaux – Restric

tion à la libre circulation – Justification
fondée sur la prévention de l’impunité – Proportionnalité »

Dans l’a...

 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

22 décembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union européenne – Articles 18 et 21 TFUE – Demande adressée à un État membre par un État tiers, tendant à l’extradition d’un citoyen de l’Union, ressortissant d’un autre État membre, ayant exercé son droit de libre circulation dans le premier de ces États membres – Demande présentée à des fins d’exécution d’une peine privative de liberté – Interdiction d’extrader appliquée aux seuls ressortissants nationaux – Restriction à la libre circulation – Justification
fondée sur la prévention de l’impunité – Proportionnalité »

Dans l’affaire C‑237/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberlandesgericht München (tribunal régional supérieur de Munich, Allemagne), par décision du 9 avril 2021, parvenue à la Cour le 13 avril 2021, dans la procédure relative à l’extradition de

S.M.

en présence de :

Generalstaatsanwaltschaft München ,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice-président, M. A. Arabadjiev, Mme K. Jürimäe (rapporteure), MM. E. Regan, P. G. Xuereb, Mme L. S. Rossi, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, I. Jarukaitis, A. Kumin, N. Jääskinen, N. Wahl, Mme I. Ziemele, M. J. Passer et Mme O. Spineanu-Matei, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 avril 2022,

considérant les observations présentées :

– pour la Generalstaatsanwaltschaft München, par MM. J. Ettenhofer, et F. Halabi, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et M. Hellmann, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement tchèque, par Mme A. Edelmannová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement espagnol, par M. L. Aguilera Ruiz, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement croate, par Mme G. Vidović Mesarek, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement lituanien, par MM. K. Dieninis et R. Dzikovič, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par M. L. Baumgart, Mme S. Grünheid et M. H. Leupold, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 juillet 2022,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 18 et 21 TFUE.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une demande d’extradition adressée par les autorités de Bosnie-Herzégovine aux autorités de la République fédérale d’Allemagne, concernant S.M., qui a les nationalités croate, bosnienne et serbe, aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté.

Le cadre juridique

La convention européenne d’extradition

3 L’article 1er de la convention européenne d’extradition, signée à Paris le 13 décembre 1957 (ci-après la « convention européenne d’extradition »), stipule :

« Les Parties contractantes s’engagent à se livrer réciproquement, selon les règles et sous les conditions déterminées par les articles suivants, les individus qui sont poursuivis pour une infraction ou recherchés aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté par les autorités judiciaires de la Partie requérante. »

4 L’article 6 de cette convention, intitulé « Extradition des nationaux », prévoit :

« 1   

a Toute Partie contractante aura la faculté de refuser l’extradition de ses ressortissants.

b Chaque Partie contractante pourra, par une déclaration faite au moment de la signature ou du dépôt de son instrument de ratification ou d’adhésion, définir, en ce qui la concerne, le terme “ressortissants” au sens de la présente Convention.

c La qualité de ressortissant sera appréciée au moment de la décision sur l’extradition. [...]

2   Si la Partie requise n’extrade pas son ressortissant, elle devra, sur la demande de la Partie requérante, soumettre l’affaire aux autorités compétentes afin que des poursuites judiciaires puissent être exercées s’il y a lieu. À cet effet, les dossiers, informations et objets relatifs à l’infraction seront adressés gratuitement par la voie prévue au paragraphe 1 de l’article 12. La Partie requérante sera informée de la suite qui aura été donnée à sa demande. »

5 La République fédérale d’Allemagne a fait une déclaration, au sens de l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la convention européenne d’extradition, lors du dépôt de l’instrument de ratification, le 2 octobre 1976, dans les termes suivants :

« L’extradition de ressortissants allemands, de la République fédérale d’Allemagne vers un pays étranger, est interdite par l’article 16, paragraphe 2, 1re phrase, [du Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland (loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne), du 23 mai 1949 (BGBl. 1949 I, p. 1)] et devra en conséquence être refusée dans tous les cas.

Le terme “ressortissants”, au sens de l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la Convention européenne d’extradition, englobe tous les Allemands au sens de l’article 116, paragraphe 1, de la loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne. »

La convention sur le transfèrement des personnes condamnées

6 En application de l’article 2 de la convention du Conseil de l’Europe, du 21 mars 1983, sur le transfèrement des personnes condamnées (ci-après la « convention sur le transfèrement des personnes condamnées »), les personnes condamnées sur le territoire d’un État signataire de cette convention (l’État de condamnation) peuvent être transférées vers le territoire de leur pays d’origine (l’État d’exécution) pour y subir la condamnation qui leur a été infligée. Ce faisant, en vertu de l’article 9,
paragraphe 1, sous b), de ladite convention, il peut être substitué à la sanction infligée dans l’État de condamnation une sanction prévue par la législation de l’État d’exécution pour la même infraction.

7 Selon les considérants de la même convention, l’objectif d’un tel transfèrement est notamment de favoriser la réinsertion sociale des personnes condamnées, en permettant aux étrangers qui sont privés de leur liberté à la suite d’une infraction pénale de subir leur condamnation dans leur milieu social d’origine.

8 Depuis le 1er novembre 1995, la convention sur le transfèrement des personnes condamnées lie tous les États membres de l’Union européenne. Cette convention, qui lie également la Bosnie-Herzégovine, est entrée vigueur en Allemagne le 1er février 1992.

Le droit allemand

9 L’article 16, paragraphe 2, de la loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne dispose :

« Aucun Allemand ne peut être extradé vers l’étranger. Une réglementation dérogatoire peut être prise par la loi pour l’extradition vers un État membre de [l’Union] ou vers une Cour internationale à condition que les principes de l’État de droit soient garantis. »

10 L’article 116, paragraphe 1, de la loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne énonce :

« L’on entend par “Allemand” au sens de la présente [l]oi fondamentale, sous réserve de toute disposition légale contraire, quiconque possède la nationalité allemande ou qui, en tant que réfugié ou personne déplacée appartenant au peuple allemand ou en tant que conjoint ou descendant de ce dernier, a été admis sur le territoire du Reich allemand selon ses frontières du 31 décembre 1937. »

11 L’article 48 du Gesetz über die internationale Rechtshilfe in Strafsachen (loi sur l’entraide judiciaire internationale en matière pénale), du 23 décembre 1982 (BGBl. 1982 I, p. 2071), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après l’« IRG »), prévoit :

« L’entraide judiciaire peut être fournie dans le cadre d’une procédure pénale sous la forme de l’exécution d’une peine ou de toute autre sanction infligée à l’étranger par un jugement définitif. [...] »

12 Conformément aux articles 54 et 55 de l’IRG, dans la mesure où l’exécution de la décision étrangère en Allemagne est autorisée, la sanction prononcée est convertie en la sanction la plus proche en droit allemand et la décision étrangère est déclarée exécutoire. En vertu de l’article 57, paragraphe 1, de l’IRG, l’exécution de la sanction est réalisée par le parquet allemand « pour autant que l’État étranger consent à l’exécution ».

Le litige au principal et la question préjudicielle

13 Le 5 novembre 2020, les autorités de Bosnie-Herzégovine ont demandé à la République fédérale d’Allemagne d’extrader S.M., ayant les nationalités croate, bosnienne et serbe, aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté de six mois prononcée à son égard pour des faits de corruption par un jugement du tribunal municipal de Bosanska Krupa (Bosnie-Herzégovine) du 24 mars 2017. S.M. vit en Allemagne avec son épouse depuis le milieu de l’année 2017. Il y travaille depuis le 22 mai 2020 et a
été remis en liberté après avoir été placé temporairement sous le régime de l’écrou extraditionnel.

14 Les autorités allemandes ont informé les autorités croates de la demande d’extradition visant S.M., sans aucune réaction de leur part.

15 La Generalstaatsanwaltschaft München (parquet général de Munich, Allemagne) a demandé, en se référant à l’arrêt du 13 novembre 2018, Raugevicius (C‑247/17, ci-après l’« arrêt Raugevicius , EU:C:2018:898), que l’extradition de S.M. soit déclarée irrecevable.

16 Selon l’Oberlandesgericht München (tribunal régional supérieur de Munich, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi dans la présente affaire, le bien-fondé de la demande du parquet général de Munich dépend du point de savoir si les articles 18 et 21 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils prévoient la non-extradition d’un citoyen de l’Union même si, au regard des traités internationaux, l’État membre requis est tenu de procéder à son extradition.

17 Elle estime que cette question n’a pas reçu de réponse dans l’arrêt Raugevicius, dans la mesure où, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la République de Finlande était, au regard des traités internationaux applicables, autorisée à ne pas extrader le ressortissant lituanien en cause vers la Fédération de Russie.

18 De même, selon la juridiction de renvoi, les accords d’extradition spécifiques ou la convention européenne d’extradition en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630), du 10 avril 2018, Pisciotti (C‑191/16, EU:C:2018:222), ainsi que du 17 décembre 2020, Generalstaatsanwaltschaft Berlin (Extradition vers l’Ukraine) (C‑398/19, EU:C:2020:1032), laissaient à l’État membre requis le choix de décider vers lequel des États requérants la
personne poursuivie devait être extradée. Une remise vers l’État membre d’origine du citoyen de l’Union faisant l’objet de poursuites pénales aurait été possible dans lesdites affaires sans que les États membres concernés ne violent leurs obligations découlant des traités internationaux à l’égard des pays tiers concernés.

19 En revanche, dans la présente affaire, la République fédérale d’Allemagne serait tenue à l’égard de la Bosnie-Herzégovine d’extrader S.M., en application de l’article 1er de la convention européenne d’extradition.

20 Conformément à cette disposition, la République fédérale d’Allemagne et la Bosnie-Herzégovine seraient réciproquement tenues de se livrer les personnes recherchées par les autorités judiciaires de l’État requérant aux fins de l’exécution d’une peine, pour autant que les conditions prévues par cette convention soient remplies et qu’aucune autre disposition de ladite convention ne prévoie d’exception.

21 En l’occurrence, les conditions prévues par la même convention aux fins de l’extradition de S.M. seraient réunies et il n’existerait pas d’obstacle à cette extradition au titre des dispositions pertinentes de la convention européenne d’extradition. En particulier, ladite extradition et les actes sur lesquels elle se fonde respecteraient les normes minimales du droit international applicables en République fédérale d’Allemagne et ne violeraient pas les principes constitutionnels impératifs ou le
niveau impératif de protection des droits fondamentaux.

22 De l’avis de la juridiction de renvoi, il existe donc des doutes sur le point de savoir si la jurisprudence issue de l’arrêt Raugevicius s’applique à un cas tel que celui de l’affaire au principal.

23 À cet égard, elle souligne que, selon la jurisprudence de la Cour, l’absence d’égalité de traitement résultant de ce qu’un citoyen de l’Union ayant la nationalité d’un État membre autre que l’État membre requis puisse être extradé, contrairement à un ressortissant de l’État membre requis, constitue une restriction au droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, prévu à l’article 21 TFUE.

24 Une telle restriction ne serait justifiée que si elle est fondée sur des considérations objectives et que si elle est proportionnée au but légitime poursuivi par l’État membre requis. La Cour aurait reconnu à cet égard que l’objectif d’éviter le risque d’impunité des personnes ayant commis une infraction doit être considéré comme étant un but légitime qui peut, en principe, justifier une mesure restrictive telle que l’extradition.

25 Or, la question de savoir si la nécessité d’envisager des mesures moins restrictives que l’extradition peut impliquer que l’État membre requis viole ses obligations découlant du droit international n’aurait pas été abordée dans la jurisprudence de la Cour.

26 Enfin, la juridiction de renvoi précise qu’une exécution en Allemagne de la peine privative de liberté prononcée par le tribunal municipal de Bosanska Krupa serait possible. Dans la mesure où S.M. se trouve déjà sur le territoire allemand, la convention sur le transfèrement des personnes condamnées, qui a été ratifiée tant par la République fédérale d’Allemagne que par la Bosnie-Herzégovine, ne serait pas pertinente. L’exécution de la peine serait ainsi régie par le droit allemand, lequel ne
requiert pas que la personne poursuivie ait la nationalité allemande ni qu’elle donne son consentement. Cette exécution ne serait toutefois possible que si et dans la mesure où l’État de condamnation y consent. En l’occurrence, tel ne serait pas le cas, les autorités bosniennes ayant demandé l’extradition de S.M. et non la prise en charge de l’exécution de ladite peine par les autorités allemandes.

27 C’est dans ces conditions que l’Oberlandesgericht München (tribunal régional supérieur de Munich) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les principes énoncés dans [l’arrêt Raugevicius] concernant l’application des articles 18 et 21 TFUE imposent-ils de rejeter une demande présentée par un État tiers, fondée sur la [convention européenne d’extradition] et tendant à l’extradition d’un citoyen de l’Union aux fins de l’exécution d’une peine, même si l’État membre requis est tenu au regard des traités internationaux d’extrader le citoyen de l’Union en vertu de cette convention, car il a défini le terme de “ressortissants” visé à
l’article 6, paragraphe 1, sous b), de [ladite] convention en ce sens que seuls ses propres ressortissants et non également d’autres citoyens de l’Union sont couverts par celui-ci ? »

Sur la question préjudicielle

28 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 18 et 21 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’un État membre, en présence d’une demande d’extradition formée par un État tiers aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté d’un ressortissant d’un autre État membre résidant de manière permanente dans le premier État membre, dont le droit national interdit seulement l’extradition de ses propres ressortissants hors de l’Union et
prévoit la possibilité que cette peine soit exécutée sur son territoire à condition que l’État tiers y consente, procède à l’extradition de ce citoyen de l’Union, conformément aux obligations qui pèsent sur lui en application d’une convention internationale, dès lors qu’il ne peut pas prendre en charge effectivement l’exécution de cette peine en l’absence d’un tel consentement.

29 En premier lieu, il convient de rappeler que l’arrêt Raugevicius concernait, comme l’affaire au principal, une demande d’extradition émanant d’un État tiers avec lequel l’Union n’a pas conclu d’accord d’extradition. La Cour a jugé, au point 45 de cet arrêt, que, si, en l’absence de règles du droit de l’Union régissant l’extradition de ressortissants des États membres vers des États tiers, les États membres sont compétents pour adopter de telles règles, ces mêmes États membres sont tenus d’exercer
cette compétence dans le respect du droit de l’Union, notamment de l’interdiction de discrimination prévue à l’article 18 TFUE ainsi que du droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres garanti à l’article 21, paragraphe 1, TFUE.

30 Or, en raison de sa qualité de citoyen de l’Union, un ressortissant d’un État membre qui séjourne légalement sur le territoire d’un autre État membre a le droit de se prévaloir de l’article 21, paragraphe 1, TFUE et relève du domaine d’application des traités, au sens de l’article 18 TFUE, qui contient le principe de non-discrimination en fonction de la nationalité [arrêt du 17 décembre 2020, Generalstaatsanwaltschaft Berlin (Extradition vers l’Ukraine), C‑398/19, EU:C:2020:1032, point 30 et
jurisprudence citée].

31 La circonstance qu’un tel ressortissant d’un État membre, autre que l’État membre saisi d’une demande d’extradition, possède également la nationalité du pays tiers auteur de cette demande ne saurait empêcher ce ressortissant de faire valoir les droits et libertés conférés par le statut de citoyen de l’Union, notamment ceux garantis par les articles 18 et 21 TFUE. En effet, la Cour a itérativement jugé que la double nationalité d’un État membre et d’un pays tiers ne saurait priver l’intéressé de
ces droits et libertés [voir, en ce sens, arrêts Raugevicius, point 29, et du 17 décembre 2020, Generalstaatsanwaltschaft Berlin (Extradition vers l’Ukraine), C‑398/19, EU:C:2020:1032, point 32].

32 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que S.M., qui dispose notamment de la nationalité croate, a exercé, en sa qualité de citoyen de l’Union, son droit, prévu à l’article 21, paragraphe 1, TFUE, de circuler et de séjourner librement dans un autre État membre, en l’espèce la République fédérale d’Allemagne, de telle sorte que sa situation relève du domaine d’application des traités, au sens de l’article 18 TFUE, en dépit du fait qu’il est également ressortissant du pays tiers
auteur de la demande d’extradition dont il fait l’objet.

33 En deuxième lieu, selon la jurisprudence de la Cour, les règles d’un État membre portant sur l’extradition qui introduisent, comme dans l’affaire au principal, une différence de traitement selon que la personne réclamée est un ressortissant de cet État membre ou un ressortissant d’un autre État membre, en ce qu’elles conduisent à ne pas accorder aux ressortissants d’autres États membres qui séjournent légalement sur le territoire de l’État requis la protection contre l’extradition dont jouissent
les ressortissants de ce dernier État membre, sont susceptibles d’affecter la liberté des premiers de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres [voir, en ce sens, arrêts Raugevicius, point 28, et du 17 décembre 2020, Generalstaatsanwaltschaft Berlin (Extradition vers l’Ukraine), C‑398/19, EU:C:2020:1032, point 39 et jurisprudence citée].

34 Il s’ensuit que, dans une situation telle que celle au principal, l’inégalité de traitement consistant à permettre l’extradition d’un citoyen de l’Union, ressortissant d’un État membre autre que l’État membre requis, se traduit par une restriction à la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres, au sens de l’article 21 TFUE [arrêts Raugevicius, point 30, et du 17 décembre 2020, Generalstaatsanwaltschaft Berlin (Extradition vers l’Ukraine), C‑398/19, EU:C:2020:1032,
point 40 et jurisprudence citée].

35 Une telle restriction ne peut être justifiée que si elle se fonde sur des considérations objectives et est proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national [arrêts Raugevicius, point 31, et du 17 décembre 2020, Generalstaatsanwaltschaft Berlin (Extradition vers l’Ukraine), C‑398/19, EU:C:2020:1032, point 41 et jurisprudence citée].

36 Dans ce contexte, la Cour a reconnu que l’objectif d’éviter le risque d’impunité des personnes ayant commis une infraction doit être considéré comme légitime et permet de justifier une mesure restrictive d’une liberté fondamentale, telle que celle prévue à l’article 21 TFUE, sous réserve que cette mesure soit nécessaire pour la protection des intérêts qu’elle vise à garantir et seulement dans la mesure où ces objectifs ne peuvent être atteints par des mesures moins restrictives [arrêts
Raugevicius, point 32, et du 17 décembre 2020, Generalstaatsanwaltschaft Berlin (Extradition vers l’Ukraine), C‑398/19, EU:C:2020:1032, point 42 et jurisprudence citée].

37 À cet égard, si le principe ne bis in idem, tel qu’il est garanti par le droit national, peut constituer un obstacle à la poursuite, par un État membre, de personnes visées par une demande d’extradition aux fins de l’exécution d’une peine, il n’en demeure pas moins que, afin d’éviter le risque de voir de telles personnes impunies, des mécanismes existent dans le droit national et/ou dans le droit international, permettant que ces personnes purgent leurs peines, notamment, dans l’État membre dont
elles sont les ressortissantes et qui, ce faisant, augmentent leurs chances de réinsertion sociale après l’accomplissement de leurs peines (voir, en ce sens, arrêt Raugevicius, point 36).

38 Il en va ainsi, notamment, de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées, à laquelle l’ensemble des États membres, de même que la Bosnie-Herzégovine, sont parties. En effet, cette convention permet à une personne qui a été condamnée sur le territoire d’un État signataire de ladite convention, conformément à l’article 2 de cette dernière, de demander à être transférée vers le territoire de son pays d’origine pour y subir la condamnation qui lui a été infligée, les considérants de
cette même convention indiquant que l’objectif d’un tel transfèrement est notamment de favoriser la réinsertion sociale des personnes condamnées, en permettant aux étrangers qui sont privés de leur liberté à la suite d’une infraction pénale d’effectuer leur condamnation dans leur milieu social d’origine (voir, en ce sens, arrêt Raugevicius, point 37 et jurisprudence citée).

39 En outre, certains États membres, tels que la République fédérale d’Allemagne, prévoient la possibilité que l’entraide judiciaire dans le cadre d’une procédure pénale soit fournie sous la forme de l’exécution d’une peine prononcée à l’étranger.

40 Or, ainsi que M. l’avocat général l’a souligné au point 50 de ses conclusions, dans le cas d’une demande d’extradition aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté, la mesure alternative à l’extradition, moins attentatoire à l’exercice du droit à la libre circulation et au séjour d’un citoyen de l’Union qui réside de manière permanente dans l’État membre requis, consiste précisément dans la possibilité, lorsque celle-ci existe dans le droit de l’État membre requis, que cette peine
soit exécutée sur le territoire de cet État membre.

41 De surcroît, lorsque cette possibilité existe, la Cour a jugé que, au regard de l’objectif consistant à éviter l’impunité, les ressortissants de l’État membre requis, d’une part, et les ressortissants d’autres États membres qui résident de manière permanente dans cet État membre requis et démontrent ainsi un degré d’intégration certain dans la société de celui-ci, d’autre part, se trouvent dans une situation comparable (voir, en ce sens, arrêt Raugevicius, point 46 et jurisprudence citée).

42 Dans ces conditions, les articles 18 et 21 TFUE requièrent que les ressortissants d’autres États membres qui résident de manière permanente dans l’État membre requis et font l’objet d’une demande d’extradition d’un État tiers, aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté, puissent purger leur peine sur le territoire de cet État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de ce dernier.

43 En l’occurrence, la juridiction de renvoi part de la prémisse que S.M., qui vit sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne, avec son épouse, depuis l’année 2017 et qui y travaille depuis l’année 2020, doit être considéré comme étant un citoyen de l’Union résidant de manière permanente dans cet État membre.

44 En outre, selon les indications fournies à la Cour par la juridiction de renvoi, l’exécution sur le territoire allemand de la peine prononcée en Bosnie-Herzégovine à l’égard de S.M. est possible. En effet, conformément à l’article 48 et à l’article 57, paragraphe 1, de l’IRG, l’exécution sur le territoire allemand d’une peine prononcée dans un État tiers est permise pour autant que cet État tiers y consente.

45 La juridiction de renvoi fait toutefois valoir que, en l’occurrence, l’exécution de cette peine sur le territoire allemand conduirait la République fédérale d’Allemagne à méconnaître l’obligation d’extradition qui incombe à l’État membre requis en vertu de la convention européenne d’extradition.

46 À cet égard, elle indique que le terme « ressortissants », au sens de la convention européenne d’extradition, couvre, pour ce qui concerne la République fédérale d’Allemagne, les seules personnes qui possèdent la nationalité de cet État membre, conformément à la déclaration faite par ce dernier, au titre de l’article 6, paragraphe 1, sous b), de cette convention. Dans ces conditions, à la différence de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Raugevicius, un éventuel refus de la République fédérale
d’Allemagne d’extrader S.M. vers la Bosnie-Herzégovine serait en contradiction avec les obligations que la même convention fait peser sur cet État membre.

47 Au regard de ces considérations, il convient de préciser, en troisième lieu, que, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 32 de ses conclusions, la jurisprudence de la Cour issue de l’arrêt Raugevicius n’a pas consacré un droit automatique et absolu, pour les citoyens de l’Union, à ne pas être extradés en dehors du territoire de l’Union.

48 En effet, ainsi qu’il ressort des points 35 à 42 du présent arrêt, en présence d’une règle nationale qui introduit, comme dans l’affaire au principal, une différence de traitement entre les ressortissants de l’État membre requis et les citoyens de l’Union qui y résident de manière permanente en interdisant seulement l’extradition des premiers, il pèse sur cet État membre une obligation de rechercher activement l’existence d’une mesure alternative à l’extradition, moins attentatoire à l’exercice
des droits et libertés que de tels citoyens de l’Union tirent des articles 18 et 21 TFUE, lorsqu’ils sont visés par une demande d’extradition émise par un État tiers.

49 Ainsi, lorsque l’application d’une telle mesure alternative à l’extradition consiste, comme en l’occurrence, en ce que les citoyens de l’Union qui résident de manière permanente dans l’État membre requis puissent purger leur peine dans cet État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants dudit État membre, mais que cette application est conditionnée par l’obtention du consentement de l’État tiers auteur de la demande d’extradition, les articles 18 et 21 TFUE imposent à l’État membre
requis de rechercher activement le consentement de cet État tiers. À cette fin, l’État membre requis est tenu d’utiliser tous les mécanismes de coopération et d’assistance en matière pénale dont il dispose dans le cadre de ses relations avec ledit État tiers.

50 Si l’État tiers auteur de la demande d’extradition consent à ce que la peine privative de liberté soit exécutée sur le territoire de l’État membre requis, cet État membre est en mesure de permettre aux citoyens de l’Union qui font l’objet de cette demande et qui résident de manière permanente sur ce territoire d’y purger leur peine et ainsi d’assurer un traitement identique à celui qu’il réserve à ses propres ressortissants en matière d’extradition.

51 Dans un tel cas de figure, il ressort des éléments fournis à la Cour que l’application de cette mesure alternative à l’extradition pourrait également permettre à l’État membre requis d’exercer ses compétences en conformité avec les obligations conventionnelles qui le lient à l’État tiers auteur de la demande d’extradition. En effet, sous réserve des vérifications à effectuer par la juridiction de renvoi, le consentement de cet État tiers à l’exécution de la totalité de la peine visée par la
demande d’extradition sur le territoire de l’État membre requis est, en principe, de nature à rendre superflue l’exécution de cette demande.

52 Partant, dans l’hypothèse où, en l’occurrence, la République fédérale d’Allemagne parvenait à obtenir le consentement de la Bosnie-Herzégovine à ce que S.M. purge la peine qui a été prononcée dans cet État tiers sur le territoire dudit État membre, l’application d’une telle mesure alternative à l’extradition requise par les articles 18 et 21 TFUE n’aboutirait pas nécessairement à ce que ce dernier méconnaisse les obligations que la convention européenne d’extradition fait peser sur lui à l’égard
dudit État tiers, ce qu’il convient à la juridiction de renvoi de vérifier.

53 Si, en revanche, malgré la mise en œuvre des mécanismes visés au point 49 du présent arrêt, cet État tiers ne consent pas à ce que la peine privative de liberté en cause soit purgée sur le territoire de l’État membre requis, la mesure alternative à l’extradition requise par les articles 18 et 21 TFUE ne pourrait pas être appliquée. Dans cette hypothèse, cet État membre peut procéder à l’extradition de la personne concernée, conformément aux obligations qui pèsent sur lui en application de cette
convention, dès lors que le refus d’une telle extradition ne permettrait pas, dans ce cas, d’éviter le risque d’impunité de cette personne.

54 Dans cette même hypothèse, l’extradition de la personne concernée constitue, au regard de cet objectif, une mesure nécessaire et proportionnée pour atteindre ledit objectif, de sorte que la restriction au droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, au sens de l’article 21 TFUE, qui est en cause au principal, apparaît comme justifiée, eu égard à la jurisprudence citée aux points 35 et 36 du présent arrêt.

55 Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, l’État membre requis doit néanmoins vérifier que cette extradition ne portera pas atteinte aux droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment à son article 19 (arrêt Raugevicius, point 49 ; voir, également, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, Ruska Federacija, C‑897/19 PPU, EU:C:2020:262, point 64 et jurisprudence citée).

56 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que les articles 18 et 21 TFUE doivent être interprétés en ce sens que :

– ils imposent à un État membre, auquel est présentée une demande d’extradition formée par un État tiers aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté d’un ressortissant d’un autre État membre résidant de manière permanente dans le premier l’État membre, dont le droit national interdit seulement l’extradition de ses propres ressortissants hors de l’Union et prévoit la possibilité que cette peine soit exécutée sur son territoire à la condition que l’État tiers y consente, de rechercher
activement ce consentement de l’État tiers auteur de la demande d’extradition en utilisant tous les mécanismes de coopération et d’assistance en matière pénale dont il dispose dans le cadre de ses relations avec cet État tiers ;

– si un tel consentement n’est pas obtenu, ils ne s’opposent pas à ce que, dans de telles circonstances, ledit premier État membre procède à l’extradition de ce citoyen de l’Union, conformément aux obligations qui pèsent sur lui en application d’une convention internationale, pour autant que cette extradition ne porte pas atteinte aux droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Sur les dépens

57 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

  Les articles 18 et 21 TFUE doivent être interprétés en ce sens que :

– ils imposent à un État membre, auquel est présentée une demande d’extradition formée par un État tiers aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté d’un ressortissant d’un autre État membre résidant de manière permanente dans le premier État membre, dont le droit national interdit seulement l’extradition de ses propres ressortissants hors de l’Union européenne et prévoit la possibilité que cette peine soit exécutée sur son territoire à la condition que l’État tiers y consente, de
  rechercher activement ce consentement de l’État tiers auteur de la demande d’extradition en utilisant tous les mécanismes de coopération et d’assistance en matière pénale dont il dispose dans le cadre de ses relations avec cet État tiers ;

– si un tel consentement n’est pas obtenu, ils ne s’opposent pas à ce que, dans de telles circonstances, ledit premier État membre procède à l’extradition de ce citoyen de l’Union, conformément aux obligations qui pèsent sur lui en application d’une convention internationale, pour autant que cette extradition ne porte pas atteinte aux droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-237/21
Date de la décision : 22/12/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Oberlandesgericht München.

Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union européenne – Articles 18 et 21 TFUE – Demande adressée à un État membre par un État tiers, tendant à l’extradition d’un citoyen de l’Union, ressortissant d’un autre État membre, ayant exercé son droit de libre circulation dans le premier de ces États membres – Demande présentée à des fins d’exécution d’une peine privative de liberté – Interdiction d’extrader appliquée aux seuls ressortissants nationaux – Restriction à la libre circulation – Justification fondée sur la prévention de l’impunité – Proportionnalité.

Non-discrimination en raison de la nationalité

Non-discrimination

Citoyenneté de l'Union

Droit d'entrée et de séjour


Parties
Demandeurs : S.M.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Jürimäe

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:1017

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