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24/11/2022 | CJUE | N°C-658/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, VZW Belgisch-Luxemburgse vereniging van de industrie van plantenbescherming (Belplant), anciennement VZW Belgische Vereniging van de Industrie van Plantenbeschermingsmiddelen (PHYTOFAR) contre Vlaams Gewest., 24/11/2022, C-658/21


 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

24 novembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information – Directive (UE) 2015/1535 – Notion de “règle technique” – Article 1er, paragraphe 1 – Réglementation nationale interdisant l’utilisation de pesticides contenant du glyphosate par des particuliers sur des terrains à usage privé – Article 5, paragraphe 1 – Obligation des États membres de communiquer à l

a Commission européenne tout projet de
règle technique »

Dans l’affaire C‑658/21,

ayant pour objet une...

 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

24 novembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information – Directive (UE) 2015/1535 – Notion de “règle technique” – Article 1er, paragraphe 1 – Réglementation nationale interdisant l’utilisation de pesticides contenant du glyphosate par des particuliers sur des terrains à usage privé – Article 5, paragraphe 1 – Obligation des États membres de communiquer à la Commission européenne tout projet de
règle technique »

Dans l’affaire C‑658/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Raad van State (Conseil d’État, Belgique), par décision du 21 octobre 2021, parvenue à la Cour le 29 octobre 2021, dans la procédure

Belgisch-Luxemburgse vereniging van de industrie van plantenbescherming VZW (Belplant), anciennement Belgische Vereniging van de Industrie van Plantenbeschermingsmiddelen VZW (Phytofar),

contre

Vlaams Gewest,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Piçarra, faisant fonction de président de chambre, MM. N. Jääskinen et M. Gavalec (rapporteur), juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Belgisch-Luxemburgse vereniging van de industrie van plantenbescherming VZW (Belplant), anciennement Belgische Vereniging van de Industrie van Plantenbeschermingsmiddelen VZW (Phytofar), par Me B. Deltour, advocaat,

– pour le Vlaams Gewest, par Mes E. Cloots, T. Roes et J. Roets, advocaten,

– pour la Commission européenne, par Mmes F. Castilla Contreras, M. Escobar Gómez et M. M. ter Haar, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 5, paragraphe 1, de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO 2015, L 241, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Belgisch-Luxemburgse vereniging van de industrie van plantenbescherming VZW (Belplant) (association belgo‑luxembourgeoise de l’industrie des produits de protection de plantes ASBL), anciennement Belgische Vereniging van de Industrie van Plantenbeschermingsmiddelen VZW (Phytofar) (association belge de l’industrie des produits de protection de plantes ASBL) (ci-après « Belplant »), au Vlaams Gewest (Région flamande, Belgique) au sujet
de la validité d’un arrêté du gouvernement flamand interdisant l’utilisation, par des particuliers, sur des terrains à usage privé situés sur le territoire de la Région flamande, de pesticides contenant du glyphosate.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 2, 3, 7 et 11 de la directive 2015/1535 énoncent :

« (2) Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée. Dès lors, l’interdiction des restrictions quantitatives ainsi que des mesures d’effet équivalant à des restrictions quantitatives aux échanges de marchandises est un des fondements de l’Union.

(3) En vue du bon fonctionnement du marché intérieur, il est opportun d’assurer la plus grande transparence des initiatives nationales visant l’établissement de règlements techniques.

[...]

(7) Le marché intérieur a pour but d’assurer un environnement favorable à la compétitivité des entreprises. Une meilleure exploitation par les entreprises des avantages inhérents à ce marché passe notamment par une information accrue. Il importe, par conséquent, de prévoir la possibilité pour les opérateurs économiques de faire connaître leur appréciation sur l’impact des réglementations techniques nationales projetées par d’autres États membres, grâce à la publication régulière des titres des
projets notifiés ainsi qu’au moyen des dispositions concernant la confidentialité de ces projets.

[...]

(11) Les exigences, autres que les spécifications techniques, visant le cycle de vie d’un produit après sa mise sur le marché sont susceptibles d’affecter la libre circulation de ce produit ou de créer des obstacles au bon fonctionnement du marché intérieur. »

4 L’article 1er, paragraphe 1, sous b) à f), de cette directive dispose :

« Au sens de la présente directive, on entend par :

[...]

b) “service”, tout service de la société de l’information, c’est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services.

[...]

c) “spécification technique”, une spécification qui figure dans un document définissant les caractéristiques requises d’un produit, telles que les niveaux de qualité ou de propriété d’emploi, la sécurité, les dimensions, y compris les exigences applicables au produit en ce qui concerne la dénomination de vente, la terminologie, les symboles, les essais et les méthodes d’essai, l’emballage, le marquage et l’étiquetage, ainsi que les procédures d’évaluation de la conformité.

Les termes “spécification technique” recouvrent également les méthodes et les procédés de production relatifs aux produits agricoles visés à l’article 38, paragraphe 1, deuxième alinéa, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, aux produits destinés à l’alimentation humaine et animale, ainsi qu’aux médicaments tels que définis à l’article 1er de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil[, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments
à usage humain (JO 2001, L 311, p. 67)], de même que les méthodes et procédés de production relatifs aux autres produits, dès lors qu’ils ont une incidence sur les caractéristiques de ces derniers ;

d) “autre exigence”, une exigence, autre qu’une spécification technique, imposée à l’égard d’un produit pour des motifs de protection, notamment des consommateurs ou de l’environnement, et visant son cycle de vie après mise sur le marché, telle que ses conditions d’utilisation, de recyclage, de réemploi ou d’élimination lorsque ces conditions peuvent influencer de manière significative la composition ou la nature du produit ou sa commercialisation ;

e) “règle relative aux services”, une exigence de nature générale relative à l’accès aux activités de services au sens du point b) et à leur exercice, notamment les dispositions relatives au prestataire de services, aux services et au destinataire de services, à l’exclusion des règles qui ne visent pas spécifiquement les services définis audit point.

[...]

f) “règle technique”, une spécification technique ou autre exigence ou une règle relative aux services, y compris les dispositions administratives qui s’y appliquent, dont l’observation est obligatoire de jure ou de facto, pour la commercialisation, la prestation de services, l’établissement d’un opérateur de services ou l’utilisation dans un État membre ou dans une partie importante de cet État, de même que, sous réserve de celles visées à l’article 7, les dispositions législatives,
réglementaires et administratives des États membres interdisant la fabrication, l’importation, la commercialisation ou l’utilisation d’un produit ou interdisant de fournir ou d’utiliser un service ou de s’établir comme prestataire de services.

[...] »

5 L’article 5, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :

« Sous réserve de l’article 7, les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s’il s’agit d’une simple transposition intégrale d’une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit ; ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l’établissement d’une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet.

Le cas échéant, et à moins qu’il n’ait été transmis en liaison avec une communication antérieure, les États membres communiquent à la Commission en même temps le texte des dispositions législatives et réglementaires de base principalement et directement concernées, si la connaissance de ce texte est nécessaire pour l’appréciation de la portée du projet de règle technique.

[...]

Lorsque le projet de règle technique vise en particulier la limitation de la commercialisation ou de l’utilisation d’une substance, d’une préparation ou d’un produit chimique, pour des motifs de santé publique ou de protection des consommateurs ou de l’environnement, les États membres communiquent également soit un résumé, soit les références de toutes les données pertinentes relatives à la substance, à la préparation ou au produit visé et celles relatives aux produits de substitution connus et
disponibles, dans la mesure où ces renseignements sont disponibles, ainsi que les effets attendus de la mesure au regard de la santé publique ou de la protection du consommateur et de l’environnement, avec une analyse des risques effectuée, dans des cas appropriés, selon les principes prévus dans la partie concernée de l’annexe XV, section II.3, du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil[, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des
substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1)].

[...] »

Le droit belge

Le décret du 8 février 2013

6 L’article 6 du decreet houdende duurzaam gebruik van pesticiden in het Vlaamse Gewest (décret relatif à une utilisation durable des pesticides dans la Région flamande), du 8 février 2013 (Belgisch Staatsblad, 22 mars 2013, p. 11685), dans sa version applicable à la date des faits relatifs au litige au principal, prévoit :

« L’usage de pesticides peut être réglementé par une interdiction ou une limitation d’utilisation. À cet effet, une distinction peut être établie selon le type de substance active, les terrains dans des zones spécifiques, l’activité ou le groupe-cible.

Le gouvernement flamand arrête des règles plus précises à cet effet. »

L’arrêté du 15 mars 2013

7 Le gouvernement flamand a mis en œuvre le décret du 8 février 2013 relatif à une utilisation durable des pesticides dans la Région flamande au moyen du besluit houdende nadere regels inzake duurzaam gebruik van pesticiden in het Vlaamse Gewest voor niet-land- en tuinbouwactiviteiten en de opmaak van het Vlaams Actieplan Duurzaam Pesticidengebruik (arrêté portant les modalités relatives à l’utilisation durable des pesticides en Région flamande pour les activités non agricoles et non horticoles et à
l’établissement du plan d’action flamand pour l’utilisation durable des pesticides), du 15 mars 2013 (Belgisch Staatsblad, 18 avril 2013, p. 23751, ci-après l’« arrêté du 15 mars 2013 »).

L’arrêté du 14 juillet 2017

8 Le préambule du besluit van de Vlaamse Regering tot wijziging van het besluit van de Vlaamse Regering van 15 maart 2013 houdende nadere regels inzake duurzaam gebruik van pesticiden in het Vlaamse Gewest voor niet-land‑ en tuinbouwactiviteiten en de opmaak van het Vlaams Actieplan Duurzaam Pesticidengebruik (arrêté du gouvernement flamand modifiant l’arrêté du 15 mars 2013 portant les modalités relatives à l’utilisation durable des pesticides en Région flamande pour les activités non agricoles et
non horticoles et à l’établissement du plan d’action flamand pour l’utilisation durable des pesticides), du 14 juillet 2017 (Belgisch Staatsblad, 18 juillet 2017, p. 73320, ci-après l’« arrêté du 14 juillet 2017 »), énonce :

« [...]

Considérant que la recherche scientifique ne fournit pas de réponse définitive sur les effets nocifs ou non de l’utilisation des pesticides contenant du glyphosate tant sur la santé publique que sur l’environnement ; que la recherche sur les effets cancérigènes ou toxiques de l’utilisation des pesticides contenant du glyphosate s’avère être influencée par les entreprises intéressées ; qu’il convient dès lors, sur la base du principe de précaution, d’interdire immédiatement l’utilisation des
pesticides contenant du glyphosate sur les terrains à usage privé par les utilisateurs ne disposant pas d’une phytolicence ; que l’absence de base juridique d’une telle interdiction a été constatée ; que le Vlaams Parlement (Parlement flamand) a approuvé le 28 juin 2017 en urgence le projet de décret contenant diverses dispositions en matière d’environnement, de nature et d’agriculture en vue de prévoir de manière explicite la base juridique de cette interdiction ; que le gouvernement flamand a
sanctionné et promulgué le 30 juin 2017 le [decreet houdende diverse bepalingen inzake omgeving, natuur en landbouw (décret portant diverses dispositions relatives à l’environnement, à la nature et à l’agriculture)] ; qu’à défaut de traitement urgent, une telle interdiction risque de ne prendre effet qu’après que les utilisateurs visés ont déjà appliqué les pesticides contenant du glyphosate sur les terrains visés ;

[...]

Considérant qu’à défaut de consensus scientifique sur les effets du glyphosate et des herbicides à base de glyphosate sur la santé humaine, l’environnement et la nature, le principe de précaution doit être respecté ;

[...] »

9 L’article 2 de l’arrêté du 14 juillet 2017 a inséré, dans l’arrêté du 15 mars 2013, un article 3/1, rédigé comme suit :

« Le chapitre 4/1 s’applique aux zones utilisées par des particuliers. »

10 Ce chapitre 4/1, intitulé « Utilisation des pesticides contenant du glyphosate », a été ajouté à l’arrêté du 15 mars 2013 par l’article 5 de l’arrêté du 14 juillet 2017. Ledit chapitre est constitué du seul article 8/1, libellé comme suit :

« Seuls les utilisateurs professionnels titulaires d’une phytolicence P1, P2 ou P3 sont autorisés à utiliser les pesticides à base de glyphosate.

Au sens du premier alinéa, il y a lieu d’entendre par utilisateur professionnel quiconque, dans le secteur agricole ou un autre secteur, utilise des produits dans le contexte de ses activités professionnelles, en ce compris les personnes manipulant des appareils d’application, les techniciens, les employeurs et les travailleurs indépendants.

[...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

11 Belplant a saisi la juridiction de renvoi, le Raad van State (Conseil d’État, Belgique), d’un recours visant l’annulation de l’arrêté du 14 juillet 2017.

12 Cette juridiction relève que, à l’appui de son recours, Belplant soulève, notamment, un moyen tiré de la violation de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2015/1535, lu en combinaison avec le principe de loyauté énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TFUE.

13 Ladite juridiction expose que, par ce moyen, Belplant fait valoir que l’arrêté du 14 juillet 2017 aurait dû être notifié à la Commission, conformément à l’article 5, paragraphe 1, de cette directive, étant donné qu’il prévoit une interdiction d’utilisation, sur des terrains à usage privé, de pesticides contenant du glyphosate par des utilisateurs non titulaires d’une autorisation délivrée par l’autorité régionale compétente et dénommée « phytolicence ».

14 En effet, selon Belplant, cette interdiction est constitutive d’une règle technique, et plus précisément d’une « autre exigence », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous d) et f), de la directive 2015/1535. Une telle règle serait soumise à l’obligation de communication préalable à la Commission prévue à l’article 5, paragraphe 1, de cette directive, de sorte que, le gouvernement flamand n’ayant pas satisfait à cette obligation, la disposition de l’arrêté du 14 juillet 2017 comportant la
règle technique concernée serait invalide et, partant, inapplicable.

15 La juridiction de renvoi souligne, à cet égard, qu’un pesticide contenant du glyphosate n’est pas différent selon qu’il est appliqué par un utilisateur ordinaire ou par un utilisateur professionnel titulaire d’une phytolicence. Elle considère, dès lors, que la mesure instituée par l’arrêté du 14 juillet 2017 consiste à imposer une interdiction d’utilisation des pesticides contenant du glyphosate par les utilisateurs non titulaires d’une phytolicence sur des terrains à usage privé.

16 Cette juridiction se pose dès lors la question de savoir si cette mesure devait effectivement faire l’objet d’une communication à la Commission en tant que règle technique, comme le soutient Belplant.

17 C’est dans ces conditions que le Raad van State (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 5, paragraphe 1, de la directive [2015/1535] doit-il être interprété en ce sens qu’une interdiction d’utilisation des pesticides contenant du glyphosate par des utilisateurs non titulaires d’une phytolicence sur des terrains à usage privé est considérée comme une réglementation technique qui, aux termes de cet article, doit être notifiée à la Commission ? »

Sur la question préjudicielle

18 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2015/1535, lu en combinaison avec l’article 5 de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’une réglementation nationale interdisant aux personnes qui ne sont pas titulaires d’une autorisation nationale destinée aux professionnels d’utiliser, sur des terrains à usage privé, des pesticides contenant du glyphosate constitue une « règle technique », au sens de la première de ces
dispositions, devant faire l’objet d’une communication à la Commission au titre de la seconde disposition.

19 À titre liminaire, s’agissant de l’argument avancé par la Région flamande dans ses observations écrites, selon lequel la mesure instituée par l’arrêté du 14 juillet 2017 ne relève pas du champ d’application de la directive 2015/1535, dans la mesure où cet arrêté réglemente les activités des opérateurs économiques, et non pas les caractéristiques d’un produit, il y a lieu de rappeler que, certes, les dispositions nationales qui se limitent à prévoir les conditions pour l’établissement des
entreprises ou la prestation de services par celles-ci, telles que des dispositions qui soumettent l’exercice d’une activité professionnelle à un agrément préalable, ne constituent pas des « règles techniques », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2015/1535 (voir, en ce sens, arrêt du 13 octobre 2016, M. et S., C‑303/15, EU:C:2016:771, point 30 et jurisprudence citée).

20 Toutefois, la mesure instituée par l’arrêté du 14 juillet 2017 doit être examinée au regard non pas de l’obligation d’être titulaire d’une phytolicence dans le chef des utilisateurs professionnels, mais de l’interdiction qu’elle établit à charge des utilisateurs non titulaires d’une telle licence d’utiliser des pesticides contenant du glyphosate sur des terrains à usage privé.

21 Or, une telle interdiction, prévue par une réglementation nationale, est susceptible de relever du champ d’application de la directive 2015/1535.

22 L’article 1er, paragraphe 1, sous f), de la directive 2015/1535 distingue quatre catégories de mesures susceptibles d’être considérées comme des « règles techniques », au sens de cette directive, à savoir, premièrement, la « spécification technique », deuxièmement, l’« autre exigence », troisièmement, la « règle relative aux services » et, quatrièmement, les « dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres interdisant la fabrication, l’importation, la
commercialisation ou l’utilisation d’un produit ». Les trois premières catégories de mesures sont définies, respectivement, aux points c) à e) de cet article 1er, paragraphe 1.

23 Afin de répondre à la question posée, il convient d’examiner si l’interdiction, établie par une réglementation nationale telle que l’arrêté du 14 juillet 2017, d’utilisation, par des personnes non titulaires d’une autorisation nationale destinée aux professionnels, en l’occurrence une phytolicence, de pesticides contenant du glyphosate sur des terrains à usage privé relève de l’une de ces quatre catégories de règles techniques.

24 Il importe de préciser, en premier lieu, que, pour qu’une mesure nationale relève de la première catégorie de règles techniques, visée à l’article 1er, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/1535, à savoir de la notion de « spécification technique », cette mesure doit se référer nécessairement au produit ou à son emballage en tant que tels et fixer, dès lors, l’une des caractéristiques requises d’un produit (arrêt du 8 octobre 2020, Admiral Sportwetten e.a., C‑711/19, EU:C:2020:812, point 26
ainsi que jurisprudence citée).

25 Or, en l’occurrence, il est constant que la mesure instituée par l’arrêté du 14 juillet 2017 ne se réfère pas aux pesticides contenant du glyphosate ou à leur emballage en tant que tels, de telle sorte que cette mesure ne détermine pas l’une des caractéristiques requises de ces produits.

26 Partant, ladite mesure ne constitue pas une règle technique prenant la forme d’une « spécification technique », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/1535.

27 En deuxième lieu, quant à la catégorie de règles techniques constituée des « règles relatives aux services », il suffit de constater que la mesure instituée par l’arrêté du 14 juillet 2017 ne saurait relever de cette catégorie, étant donné qu’il ressort des définitions figurant à l’article 1er, paragraphe 1, sous b) et e), de la directive 2015/1535 que la notion de « règle relative aux services » désigne une exigence relative aux services de la société de l’information, c’est-à-dire aux services
prestés à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire.

28 Or, cette mesure concerne non pas de tels services de la société de l’information, mais des produits spécifiques et leur utilisation.

29 En troisième lieu, il convient de vérifier si la mesure instituée par l’arrêté du 14 juillet 2017 est susceptible de relever de la catégorie de règles techniques constituée des « dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres interdisant la fabrication, l’importation, la commercialisation ou l’utilisation d’un produit », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous f), de la directive 2015/1535.

30 À cet égard, il importe de relever, d’une part, qu’il est constant que la mesure instituée par l’arrêté du 14 juillet 2017 n’interdit ni la fabrication, ni l’importation, ni la commercialisation des pesticides contenant du glyphosate.

31 D’autre part, s’agissant des interdictions d’utilisation, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà jugé que ces interdictions comprennent des mesures qui ont une portée qui va clairement au-delà d’une limitation à certains usages possibles du produit en cause et ne se limitent donc pas à une simple restriction de l’utilisation de celui-ci (arrêt du 8 octobre 2020, Admiral Sportwetten e.a., C‑711/19, EU:C:2020:812, point 36 ainsi que jurisprudence citée).

32 En effet, cette catégorie de règles techniques vise plus particulièrement des mesures nationales qui ne laissent place à aucune utilisation autre que purement marginale pouvant raisonnablement être attendue du produit concerné (arrêt du 28 mai 2020, ECO-WIND Construction, C‑727/17, EU:C:2020:393, point 46 et jurisprudence citée).

33 Il en découle, ainsi que le souligne la Région flamande dans ses observations écrites, que seule une interdiction quasi absolue de l’utilisation normale d’un produit est susceptible de relever de ladite catégorie, ce qui exclut la simple imposition de conditions ou de restrictions à son utilisation, comme, en l’occurrence, l’interdiction faite aux utilisateurs privés non pas d’acheter des pesticides contenant du glyphosate, mais de faire usage eux-mêmes de tels produits, ce qui contraint ces
utilisateurs de recourir, à cet effet, aux services de professionnels titulaires d’une phytolicence.

34 Par conséquent, la mesure instituée par l’arrêté du 14 juillet 2017 ne saurait relever de la catégorie des « dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres interdisant la fabrication, l’importation, la commercialisation ou l’utilisation d’un produit », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous f), de la directive 2015/1535.

35 En quatrième et dernier lieu, s’agissant de la catégorie de règles techniques constituée des « autres exigences », définie à l’article 1er, paragraphe 1, sous d), de la directive 2015/1535, celle-ci couvre une exigence, autre qu’une spécification technique, imposée à l’égard d’un produit pour des motifs de protection, notamment des consommateurs ou de l’environnement, et visant son cycle de vie après mise sur le marché, telle que ses conditions d’utilisation, de recyclage, de réemploi ou
d’élimination lorsque ces conditions peuvent influencer de manière significative la composition ou la nature du produit ou sa commercialisation.

36 En l’occurrence, il ressort, tout d’abord, du préambule de l’arrêté du 14 juillet 2017 que l’interdiction qu’il établit est imposée pour protéger la santé humaine et l’environnement.

37 Ensuite, il y a lieu de relever que cette interdiction concerne le cycle de vie des pesticides contenant du glyphosate après leur mise sur le marché, par la fixation d’une condition liée à l’utilisation de ces produits, en ce que, sur des terrains à usage privé, seuls les professionnels titulaires d’une phytolicence sont autorisés à les utiliser.

38 Enfin, force est de constater qu’une telle mesure d’interdiction est susceptible d’influencer la commercialisation des produits concernés.

39 En effet, cette mesure entraîne la disparition d’une catégorie d’acheteurs potentiels de pesticides contenant du glyphosate, à savoir les particuliers souhaitant utiliser eux-mêmes de tels pesticides, sans recourir aux services de professionnels titulaires de la phytolicence requise. Une telle restriction de la possibilité d’utilisation des pesticides contenant du glyphosate affecte donc leur commercialisation (voir, par analogie, arrêt du 13 octobre 2016, M. et S., C‑303/15, EU:C:2016:771,
point 26 et jurisprudence citée).

40 Toutefois, ainsi que l’indique la Commission dans ses observations écrites, pour que la mesure instituée par l’arrêté du 14 juillet 2017 puisse être qualifiée de « règle technique », relevant de la catégorie des « autres exigences », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous d) et f), de la directive 2015/1535, il est nécessaire que la commercialisation de pesticides contenant du glyphosate soit influencée « de manière significative » par cette mesure.

41 Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est bien le cas en l’occurrence.

42 Lors de cette appréciation, la juridiction de renvoi pourra tenir compte, notamment, du volume global des ventes de pesticides contenant du glyphosate sur le territoire de la Région flamande et de la modification des habitudes d’achat de chaque catégorie d’acheteurs, sur la base de la fréquence de leurs achats et de la quantité de produit achetée, ainsi que du changement quant aux lieux d’achat et aux canaux de distribution. Dans ce contexte, cette juridiction pourra prendre en considération la
mesure dans laquelle, d’une part, la demande des utilisateurs professionnels se substitue à celle des particuliers qui recourent aux services des premiers et, d’autre part, des utilisateurs particuliers se procurent désormais des pesticides sans glyphosate en lieu et place de ceux contenant cette substance.

43 Si la juridiction de renvoi devait constater que la mesure instituée par l’arrêté du 14 juillet 2017 a pour effet d’influencer de manière significative la commercialisation des produits concernés, il en découlerait que préalablement à l’adoption de cet arrêté, le gouvernement flamand était tenu de se conformer à l’obligation de communication prévue à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2015/1535.

44 Il convient d’ajouter que l’article 5, paragraphe 1, quatrième alinéa, de cette directive prévoit que, lorsque le projet de règle technique vise en particulier la limitation de la commercialisation ou de l’utilisation d’une substance, d’une préparation ou d’un produit chimique, pour des motifs de santé publique ou de protection des consommateurs ou de l’environnement, les États membres communiquent également à la Commission soit un résumé, soit les références de toutes les données pertinentes
relatives à la substance, à la préparation ou au produit visé et celles relatives aux produits de substitution connus et disponibles, dans la mesure où ces renseignements sont disponibles, ainsi que les effets attendus de la mesure au regard de la santé publique ou de la protection du consommateur et de l’environnement, avec une analyse des risques effectuée, dans des cas appropriés, selon les principes prévus dans la partie concernée de l’annexe XV, section II.3, du règlement no 1907/2006.

45 Eu égard à l’ensemble des motifs qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2015/1535, lu en combinaison avec l’article 5 de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’une réglementation nationale interdisant aux personnes qui ne sont pas titulaires d’une autorisation nationale destinée aux professionnels d’utiliser, sur des terrains à usage privé, des pesticides contenant du glyphosate est susceptible de constituer une « règle
technique », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous d) et f), de cette directive, devant faire l’objet d’une communication à la Commission au titre de l’article 5 de ladite directive, pour autant que l’application de cette réglementation nationale soit de nature à influencer de manière significative la commercialisation des produits concernés, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur les dépens

46 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

  L’article 1er, paragraphe 1, de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, lu en combinaison avec l’article 5 de celle-ci,

  doit être interprété en ce sens que :

  une réglementation nationale interdisant aux personnes qui ne sont pas titulaires d’une autorisation nationale destinée aux professionnels d’utiliser, sur des terrains à usage privé, des pesticides contenant du glyphosate est susceptible de constituer une « règle technique », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous d) et f), de cette directive, devant faire l’objet d’une communication à la Commission européenne au titre de l’article 5 de ladite directive, pour autant que l’application de
cette réglementation nationale soit de nature à influencer de manière significative la commercialisation des produits concernés, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.


Synthèse
Formation : Huitième chambre
Numéro d'arrêt : C-658/21
Date de la décision : 24/11/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Renvoi préjudiciel – Procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information – Directive (UE) 2015/1535 – Notion de “règle technique” – Article 1er, paragraphe 1 – Réglementation nationale interdisant l’utilisation de pesticides contenant du glyphosate par des particuliers sur des terrains à usage privé – Article 5, paragraphe 1 – Obligation des États membres de communiquer à la Commission européenne tout projet de règle technique.

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : VZW Belgisch-Luxemburgse vereniging van de industrie van plantenbescherming (Belplant), anciennement VZW Belgische Vereniging van de Industrie van Plantenbeschermingsmiddelen (PHYTOFAR)
Défendeurs : Vlaams Gewest.

Composition du Tribunal
Avocat général : Collins
Rapporteur ?: Gavalec

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:925

Source

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