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24/11/2022 | CJUE | N°C-259/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Parlement européen contre Conseil de l'Union européenne., 24/11/2022, C-259/21


 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

24 novembre 2022 ( *1 )

« Recours en annulation – Politique commune de la pêche – Règlement (UE) 2021/92 – Établissement, pour 2021, des possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’Union européenne et, pour les navires de pêche de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union – Conservation des ressources halieutiques et protection des écosystèmes marins par des mesures techniques – Articles 15 à 17 et 2

0 ainsi que article 59, second
alinéa – Article 43, paragraphe 3, TFUE –Détournement de pouvoir – Prin...

 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

24 novembre 2022 ( *1 )

« Recours en annulation – Politique commune de la pêche – Règlement (UE) 2021/92 – Établissement, pour 2021, des possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’Union européenne et, pour les navires de pêche de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union – Conservation des ressources halieutiques et protection des écosystèmes marins par des mesures techniques – Articles 15 à 17 et 20 ainsi que article 59, second
alinéa – Article 43, paragraphe 3, TFUE –Détournement de pouvoir – Principe de coopération loyale »

Dans l’affaire C‑259/21,

ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduit le 22 avril 2021,

Parlement européen, représenté par MM. I. Liukkonen et I. Terwinghe, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Falek, M. F. Naert et Mme A. Nowak-Salles, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par :

Commission européenne, représentée par M. A. Dawes, Mmes A. Stobiecka-Kuik et K. Walkerová, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, présidente de chambre, MM. M. Safjan, N. Piçarra, N. Jääskinen (rapporteur) et M. Gavalec, juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 juin 2022,

rend le présent

Arrêt

1 Par sa requête, le Parlement européen demande à la Cour d’annuler les articles 15 à 17 et 20 ainsi que l’article 59, second alinéa, du règlement (UE) 2021/92 du Conseil, du 28 janvier 2021, établissant, pour 2021, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’Union et, pour les navires de pêche de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union (JO 2021, L 31, p. 31) (ci-après les « dispositions
litigieuses »).

Le cadre juridique

Le traité FUE

2 L’article 43, paragraphes 2 et 3, TFUE est rédigé comme suit :

« 2.   Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social, établissent l’organisation commune des marchés agricoles prévue à l’article 40, paragraphe 1, ainsi que les autres dispositions nécessaires à la poursuite des objectifs de la politique commune de l’agriculture et de la pêche.

3.   Le Conseil, sur proposition de la Commission, adopte les mesures relatives à la fixation des prix, des prélèvements, des aides et des limitations quantitatives, ainsi qu’à la fixation et à la répartition des possibilités de pêche. »

Les règlements de base

3 Le règlement (UE) no 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2013, relatif à la politique commune de la pêche, modifiant les règlements (CE) no 1954/2003 et (CE) no 1224/2009 du Conseil et abrogeant les règlements (CE) no 2371/2002 et (CE) no 639/2004 du Conseil et la décision 2004/585/CE du Conseil (JO 2013, L 354, p. 22), le règlement (UE) 2019/472 du Parlement européen et du Conseil, du 19 mars 2019, établissant un plan pluriannuel pour les stocks pêchés dans les eaux
occidentales et les eaux adjacentes ainsi que pour les pêcheries exploitant ces stocks, modifiant les règlements (UE) 2016/1139 et (UE) 2018/973 et abrogeant les règlements (CE) no 811/2004, (CE) no 2166/2005, (CE) no°388/2006, (CE) no 509/2007 et (CE) no 1300/2008 du Conseil (JO 2019, L 83, p. 1), et le règlement (UE) 2019/1241 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, relatif à la conservation des ressources halieutiques et à la protection des écosystèmes marins par des mesures
techniques, modifiant les règlements (CE) no 1967/2006 et (CE) no 1224/2009 du Conseil et les règlements (UE) no 1380/2013, (UE) 2016/1139, (UE) 2018/973, (UE) 2019/472 et (UE) 2019/1022 du Parlement européen et du Conseil, et abrogeant les règlements (CE) no 894/97, (CE) no 850/98, (CE) no 2549/2000, (CE) no 254/2002, (CE) no 812/2004 et (CE) no 2187/2005 du Conseil (JO 2019, L 198, p. 105) (ci-après, ensemble, les « règlements de base »), ont été adoptés sur le fondement de l’article 43,
paragraphe 2, TFUE.

Le règlement no 1380/2013

4 L’article 2 du règlement no 1380/2013 énonce les objectifs de la politique commune de la pêche (ci-après la « PCP »).

5 L’article 12 de ce règlement, intitulé « Mesures de la Commission en cas de menace grave pour les ressources biologiques de la mer », est ainsi libellé :

« 1.   Pour des raisons d’urgence impérieuses dûment justifiées relatives à une menace grave pour la conservation des ressources biologiques de la mer ou pour l’écosystème marin, basée sur des preuves, la Commission peut, sur demande motivée d’un État membre ou de sa propre initiative, afin d’atténuer la menace, adopter des actes d’exécution immédiatement applicables pour une durée maximale de six mois, en conformité avec la procédure visée à l’article 47, paragraphe 3.

[...]

3.   Avant l’expiration de la période initiale d’application d’actes d’exécution immédiatement applicables visés au paragraphe 1, la Commission peut, si les conditions visées au paragraphe 1 sont remplies, adopter des actes d’exécution immédiatement applicables prolongeant l’application de cette mesure d’urgence pour une durée maximale de six mois avec effet immédiat. [...] »

6 L’article 13 dudit règlement, intitulé « Mesures d’urgence adoptées par les États membres », permet aux États membres d’adopter des mesures d’urgence afin de parer à une menace grave pour la conservation des ressources biologiques de la mer ou pour l’écosystème marin liée aux activités de pêche dans les eaux relevant de la souveraineté ou de la juridiction d’un État membre qui nécessite une intervention immédiate.

Le règlement 2019/472

7 Le règlement 2019/472, tel que modifié par le règlement 2019/1241 (ci-après le « règlement 2019/472 »), établit un plan pluriannuel pour les stocks pêchés dans les eaux occidentales et les eaux adjacentes ainsi que pour les pêcheries exploitant ces stocks.

8 Conformément à l’article 8, paragraphe 2, de ce règlement, lorsque les avis scientifiques indiquent que la biomasse du stock reproducteur et, dans le cas des stocks de langoustine, l’abondance de l’un des stocks visés à l’article 1er, paragraphe 1, sont inférieures à certaines valeurs, d’autres mesures correctives sont adoptées pour assurer le retour rapide du stock concerné ou de l’unité fonctionnelle concernée à des niveaux supérieurs à ceux permettant d’obtenir un rendement maximal durable. Il
ressort, en outre, de cette disposition que ces mesures correctives peuvent inclure la suspension de la pêche ciblée pour le stock concerné ou l’unité fonctionnelle concernée et la réduction adéquate des possibilités de pêche.

9 Selon l’article 8, paragraphe 3, dudit règlement, les mesures correctives visées à cet article peuvent comprendre des mesures d’urgence adoptées conformément aux articles 12 et 13 du règlement no 1380/2013 ainsi que des mesures au titre de l’article 9 du règlement 2019/472.

10 Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, du règlement 2019/472 :

« La Commission est habilitée à adopter des actes délégués conformément à l’article 18 du présent règlement et à l’article 18 du règlement [no 1380/2013] afin de compléter le présent règlement en ce qui concerne les mesures techniques suivantes, dans la mesure où elles ne sont pas couvertes par le règlement [2019/1241] :

a) les spécifications concernant les caractéristiques des engins de pêche et les règles régissant leur utilisation afin d’assurer ou d’améliorer la sélectivité, de réduire les captures indésirées ou de réduire au minimum les incidences négatives sur l’écosystème ;

b) les spécifications concernant les modifications ou des dispositifs additionnels pour les engins de pêche afin d’assurer ou d’améliorer la sélectivité, de réduire les captures indésirées ou de réduire au minimum les incidences négatives sur l’écosystème ;

c) les limitations ou les interdictions applicables à l’utilisation de certains engins de pêche et aux activités de pêche dans certaines zones ou durant certaines périodes afin de protéger les reproducteurs, les poissons dont la taille est inférieure à la taille minimale de référence de conservation ou les espèces de poissons non ciblées, ou de réduire au minimum les incidences négatives sur l’écosystème ; et

d) la fixation de tailles minimales de référence de conservation pour tout stock auquel le présent règlement s’applique afin de veiller à la protection des juvéniles d’organismes marins. »

Le règlement 2019/1241

11 Le règlement 2019/1241 a pour objet, conformément à son article 1er, d’établir des mesures techniques concernant la capture et le débarquement des ressources biologiques de la mer, l’exploitation d’engins de pêche et l’interaction entre les activités de pêche et les écosystèmes marins.

12 L’article 10 de ce règlement, intitulé « Espèces de poissons et de crustacés dont la pêche est interdite », dispose :

« 1.   Il est interdit de capturer, de détenir à bord, de transborder ou de débarquer les espèces de poissons et de crustacés visées à l’annexe IV de la directive [92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7)], sauf lorsque des dérogations sont accordées au titre de l’article 16 de ladite directive.

2.   En plus des espèces visées au paragraphe 1, il est interdit aux navires de l’Union de pêcher, de détenir à bord, de transborder, de débarquer, de stocker, de vendre, d’exposer ou de mettre en vente les espèces figurant à l’annexe I ou les espèces dont la pêche est interdite en vertu d’autres actes juridiques de l’Union.

[...]

4.   La Commission est habilitée à adopter des actes délégués conformément à l’article 29 afin de modifier la liste énoncée à l’annexe I, lorsque les meilleurs avis scientifiques disponibles indiquent qu’il est nécessaire de modifier cette liste.

[...] »

13 L’article 15 dudit règlement, intitulé « Mesures techniques régionales », prévoit, à son paragraphe 2 :

« Afin que les spécificités régionales des pêcheries concernées soient prises en compte, la Commission est habilitée à adopter des actes délégués conformément à l’article 29 du présent règlement et à l’article 18 du règlement [no 1380/2013] en vue de modifier, de compléter ou d’abroger les mesures techniques figurant dans les annexes [V à XI et XIII], ou d’y déroger, y compris dans le cadre de la mise en œuvre de l’obligation de débarquement visée à l’article 15, paragraphes 5 et 6, du règlement
[no 1380/2013]. La Commission adopte de tels actes délégués sur la base d’une recommandation commune présentée conformément à l’article 18 du règlement [no 1380/2013] et aux articles pertinents du présent chapitre. »

14 L’article 29 du règlement 2019/1241, intitulé « Exercice de la délégation », énonce, à son paragraphe 6 :

« Un acte délégué adopté en vertu de l’article 2, paragraphe 2, de l’article 8, paragraphe 3, de l’article 10, paragraphe 4, de l’article 12, paragraphe 2, de l’article 15, paragraphe 2, de l’article 23, paragraphes 1 et 5, de l’article 27, paragraphe 7, et de l’article 31, paragraphe 4, n’entre en vigueur que si le Parlement européen ou le Conseil n’a pas exprimé d’objections dans un délai de deux mois à compter de la notification de cet acte au Parlement européen et au Conseil ou si, avant
l’expiration de ce délai, le Parlement européen et le Conseil ont tous deux informé la Commission de leur intention de ne pas exprimer d’objection. Ce délai est prolongé de deux mois à l’initiative du Parlement européen ou du Conseil. »

15 La liste des espèces dont la pêche est interdite, visées à l’article 10, paragraphe 2, du règlement 2019/1241, figure à l’annexe I de celui-ci.

16 L’annexe VI de ce règlement énumère les mesures techniques applicables aux eaux occidentales septentrionales.

Le règlement 2021/92

17 Le règlement 2021/92 a été adopté par le Conseil sur le fondement de l’article 43, paragraphe 3, TFUE.

18 Les considérants 55 à 59 de ce règlement sont libellés comme suit :

« (55) Les avis du [Conseil international pour l’exploitation de la mer (CIEM)] pour 2021 indiquent que les stocks de cabillaud et de merlan de la mer Celtique sont en dessous de la [biomasse limite (Blim)]. Des mesures correctives spécifiques ont déjà été prises pour ces stocks en vertu du règlement (UE) 2020/123 [du Conseil, du 27 janvier 2020, établissant, pour 2020, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de
l’Union et, pour les navires de pêche de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union (JO 2020, L 25, p. 1)]. Ces mesures avaient pour objet de contribuer à la reconstitution des stocks concernés. Les mesures applicables au cabillaud visent à améliorer la sélectivité en rendant obligatoire, dans les zones où les captures de cabillaud sont importantes, l’utilisation d’engins garantissant des niveaux de prises accessoires de cabillaud moins élevés, ce qui réduirait la mortalité
par pêche de ce stock dans les pêcheries mixtes. Les mesures applicables au merlan consistent en des modifications techniques des caractéristiques des engins afin de réduire les prises accessoires de merlan. Aux termes de l’article 8 du plan pluriannuel relatif aux eaux occidentales [établi par le règlement 2019/472], lorsque les avis scientifiques indiquent que la biomasse du stock reproducteur de l’un des stocks visés à l’article 1er, paragraphe 1, dudit plan est inférieure à la (Blim),
d’autres mesures correctives doivent être adoptées pour assurer le retour rapide du stock concerné à des niveaux supérieurs à ceux permettant d’obtenir le [rendement maximal durable]. En particulier, ces mesures correctives peuvent inclure la suspension de la pêche ciblée pour le stock concerné et la réduction adéquate des possibilités de pêche pour ces stocks ou d’autres stocks dans les pêcheries ayant des prises accessoires de cabillaud ou de merlan.

(56) Les mesures visant à réduire les prises accessoires de gadidés sont liées sur le plan fonctionnel aux [totaux admissibles des captures (TAC)] des espèces capturées dans des pêcheries mixtes avec des gadidés (comme l’églefin, les cardines, la baudroie et la langoustine), étant donné qu’en l’absence de ces mesures, les niveaux de TAC des espèces cibles devraient être réduits afin d’assurer la reconstitution des stocks de gadidés. Par conséquent, il est proposé d’adopter ces mesures également
pour 2021 en tenant compte de leur évaluation ultérieure et des travaux entrepris par les États membres des eaux occidentales septentrionales.

(57) Conformément au processus de régionalisation de la PCP, les États membres des eaux occidentales septentrionales ont présenté une recommandation commune concernant un plus large éventail de mesures spécifiques visant à réduire les prises accessoires de cabillaud et de merlan en mer Celtique et dans les zones adjacentes sur la base des mesures correctives mises en place en 2020. Des mesures de sélectivité supplémentaires visant à réduire les prises accessoires de gadidés en mer d’Irlande et à
l’ouest de l’Écosse sont également incluses dans cette recommandation commune, sur la base de mesures similaires mises en place en 2020.

(58) Le [Comité scientifique, technique et économique de la pêche (CSTEP)] estime que, dans l’ensemble, les mesures proposées sont plus sélectives ou au moins aussi sélectives que les mesures techniques prévues par le règlement [2019/1241] et la Commission envisage actuellement d’inclure ces mesures dans un acte délégué fondé sur la recommandation commune soumise par les États membres ayant un intérêt direct en matière de gestion dans les eaux occidentales septentrionales.

(59) Étant donné que ces mesures sont plus complètes et s’appliqueront de manière plus stable, les mesures techniques liées sur le plan fonctionnel ne devraient s’appliquer qu’en l’absence d’acte délégué adopté conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement [2019/1241] et modifiant l’annexe VI dudit règlement par l’introduction des mesures techniques correspondantes pour les eaux occidentales septentrionales. »

19 L’article 15 du règlement 2021/92, intitulé « Mesures techniques applicables au cabillaud et au merlan de la mer Celtique », prévoit un certain nombre de mesures relatives au maillage, qui s’appliquent aux navires de l’Union opérant avec des chaluts de fond ou des sennes dans la mer Celtique.

20 L’article 16 de ce règlement, intitulé « Mesures techniques applicables en mer d’Irlande », fixe des obligations en ce qui concerne les navires de pêche de l’Union opérant avec des chaluts de fond ou des sennes dans la mer d’Irlande.

21 L’article 17 dudit règlement, intitulé « Mesures techniques applicables à l’ouest de l’Écosse », prévoit également des mesures concernant le maillage et qui s’appliquent aux navires de pêche de l’Union opérant avec des chaluts de fond ou des sennes à l’ouest de l’Écosse.

22 En vertu de l’article 20 du règlement 2021/92, intitulé « Espèces dont la pêche est interdite », il est interdit aux navires de pêche de l’Union de pêcher, de détenir à bord, de transborder ou de débarquer certaines espèces dans certaines divisions CIEM et sous-zones des eaux de l’Union de l’époque. Cette disposition indique également que, lorsque les espèces visées sont capturées accidentellement, elles ne doivent pas être blessées et les spécimens capturés doivent être rapidement remis à la
mer.

23 Aux termes de l’article 59 de ce règlement, intitulé « Dispositions transitoires » :

« Les articles 11, 19, 20, 27, 33, 34, 41, 42, 43, 48, 50 et 57 continuent de s’appliquer mutatis mutandis en 2022 jusqu’à l’entrée en vigueur du règlement fixant les possibilités de pêche pour 2022.

Les articles 15, 16 et 17 s’appliquent jusqu’à la date à laquelle un acte délégué adopté conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement [2019/1241] et modifiant l’annexe VI dudit règlement par l’introduction de mesures techniques correspondantes pour les eaux occidentales septentrionales devient applicable ».

L’accord interinstitutionnel

24 Le point 2 de l’accord interinstitutionnel entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne « Mieux légiférer », du 13 avril 2016 (JO 2016, L 123, p. 1, ci-après l’« accord interinstitutionnel »), est ainsi libellé :

« Dans l’exercice de leurs pouvoirs et le respect des procédures prévus par les traités, et en rappelant l’importance qu’elles attachent à la méthode communautaire, les trois institutions conviennent de respecter les principes généraux du droit de l’Union, tels que la légitimité démocratique, la subsidiarité et la proportionnalité ainsi que la sécurité juridique. Elles conviennent également de promouvoir la simplicité, la clarté et la cohérence dans la rédaction de la législation de l’Union,
ainsi que la plus grande transparence du processus législatif. »

25 Aux termes du point 25, troisième et quatrième alinéas, de cet accord :

« S’il est envisagé de procéder à une modification de la base juridique entraînant le passage de la procédure législative ordinaire à une procédure législative spéciale ou à une procédure non législative, les trois institutions procéderont à un échange de vues sur la question.

Les trois institutions conviennent que le choix de la base juridique est une appréciation juridique qui doit se fonder sur des motifs objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel. »

Les antécédents du litige

26 Le 27 octobre 2020, la Commission a émis la proposition de règlement du Conseil établissant, pour l’année 2021, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’Union et, pour les navires de pêche de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union [COM(2020) 668 final].

27 Le 14 décembre 2020, la Commission a mis à jour cette proposition en intégrant des dispositions identiques aux dispositions litigieuses.

28 Le 28 janvier 2021, le Conseil de l’Union européenne a adopté le règlement 2021/92. Conformément à son article 60, ce règlement est entré en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne, soit le 29 janvier 2021.

29 Par requête déposée au greffe de la Cour le 22 avril 2021, le Parlement a introduit, en vertu de l’article 263, deuxième alinéa, TFUE, le présent recours, tendant à l’annulation des dispositions litigieuses.

Les faits postérieurs à l’introduction du recours

30 Le 23 août 2021, la Commission a adopté le règlement délégué (UE) 2021/2324 modifiant le règlement (UE) 2019/1241 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les mesures techniques applicables à certaines pêcheries démersales et pélagiques en mer Celtique, en mer d’Irlande et à l’ouest de l’Écosse (JO 2021, L 465, p. 1). Ce règlement a été adopté sur la base, notamment, de l’article 10, paragraphe 4, et de l’article 15, paragraphe 2, du règlement 2019/1241.

31 Il ressort, premièrement, du considérant 2 de ce règlement délégué que le Royaume de Belgique, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française et le Royaume des Pays-Bas ont présenté une première recommandation commune en mai 2020. À la suite de l’invitation de la Commission, ces États membres ont présenté une recommandation commune révisée le 14 décembre 2020.

32 Deuxièmement, le considérant 3 dudit règlement délégué précise que, dans l’attente de l’adoption des mesures proposées dans cette recommandation commune au moyen d’un acte délégué, des mesures correctives au sens du règlement 2019/472, visant à réduire les prises accessoires de cabillaud et de merlan en mer Celtique et dans les zones adjacentes, ainsi que des mesures techniques supplémentaires visant à réduire les prises accessoires de gadidés en mer d’Irlande et à l’Ouest de l’Écosse ont été
établies aux articles 15 à 17 du règlement 2021/92. Selon ce considérant, ces mesures étaient liées sur le plan fonctionnel aux niveaux de TAC des espèces cibles capturées dans les pêcheries mixtes, étant donné que, en l’absence de celles-ci, ces niveaux de TAC auraient dû être réduits pour permettre aux stocks de prises accessoires de se reconstituer.

33 Troisièmement, selon le considérant 6 du même règlement délégué, celui-ci vise à intégrer dans un acte unique les dispositions existantes concernant, notamment, les mesures techniques correspondant aux mesures établies aux articles 15 à 17 du règlement 2021/92.

34 Le 27 janvier 2022, le Conseil a adopté le règlement (UE) 2022/109 établissant, pour 2022, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’Union et, pour les navires de pêche de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union (JO 2022, L 21, p. 1). Conformément à son article 60, ce règlement est entré en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne, soit le 31 janvier 2022.

Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

35 Le Parlement demande à la Cour :

– d’annuler les dispositions litigieuses et

– de condamner le Conseil aux dépens.

36 Le Conseil demande à la Cour :

– de rejeter le recours comme étant non fondé ;

– en cas d’annulation des dispositions litigieuses, de maintenir leurs effets, et

– de condamner le Parlement aux dépens.

37 Par décision du président de la Cour du 19 août 2021, la Commission a été admise à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

38 En application de l’article 62 du règlement de la procédure de la Cour, M. l’avocat général et M. le juge rapporteur ont, par lettre du 13 mai 2022, invité les parties à se prononcer sur l’incidence de l’adoption du règlement 2022/109 sur le recours du Parlement. Les parties ont déféré à cette demande.

Sur le recours

Sur la recevabilité

Argumentation des parties

39 Dans le cadre d’une observation préliminaire d’ordre procédural exposée dans son mémoire en réplique, le Conseil soutient, en premier lieu, que l’adoption, par la Commission, du règlement délégué 2021/2324 après l’introduction du présent recours a mis fin à l’application des mesures prévues par les articles 15 à 17 du règlement 2021/92, de telle sorte que le recours est devenu sans objet s’agissant de ces articles ainsi que de l’article 59, second alinéa de ce règlement.

40 En second lieu, et en toute hypothèse, ledit recours aurait perdu son objet le 31 décembre 2021 en ce qui concerne les articles 15 à 17 du règlement 2021/92, puisque l’application dans le temps de ces dispositions aurait été limitée à la seule année 2021. Quant à l’article 20 de ce règlement, celui-ci aurait continué à produire ses effets seulement jusqu’à l’entrée en vigueur du règlement 2022/109, soit le 31 janvier 2022.

41 À l’inverse, le Parlement considère que l’adoption du règlement délégué 2021/2324 ne fait pas obstacle à ce que la Cour se prononce sur la validité des articles 15 à 17 du règlement 2021/92. En effet, bien que certaines dispositions de ce règlement délégué correspondent au contenu des articles 15 à 17 du règlement 2021/92, ces dernières dispositions existeraient toujours dans l’ordre juridique de l’Union et devraient être abrogées dans l’intérêt de la sécurité juridique.

42 Quant à l’entrée en vigueur du règlement 2022/109, le Parlement, à l’instar de la Commission, fait valoir que l’adoption de ce règlement est sans incidence sur le présent recours.

43 Le Parlement souligne qu’il est de pratique normale qu’un règlement établissant les possibilités de pêche pour une année déterminée n’abroge pas celui concernant l’année précédente. Cette manière de procéder permettrait notamment d’opposer les dispositions de ce dernier aux États membres et aux opérateurs même après la clôture de la campagne de pêche en cause, notamment en vue d’une vérification a posteriori de la compatibilité des activités de pêche menées avec les possibilités de pêche prévues.

44 En outre, le Parlement estime que la Cour doit statuer sur le présent recours dès lors que le Conseil pourrait à l’avenir adopter des mesures techniques telles que celles qui figurent dans les dispositions litigieuses.

Appréciation de la Cour

45 La Cour a déjà conclu à la recevabilité de recours tendant à l’annulation d’un acte qui avait déjà été exécuté ou qui n’était plus applicable au moment de l’introduction du recours (arrêt du 1er octobre 2009, Commission/Conseil, C‑370/07, EU:C:2009:590, point 17 et jurisprudence citée).

46 Cette solution se justifie, notamment, par la nécessité de pouvoir assurer que l’illégalité alléguée ne se reproduise pas (voir, en ce sens, arrêts du 24 juin 1986, AKZO Chemie et AKZO Chemie UK/Commission, 53/85, EU:C:1986:256, point 21, ainsi que du 26 avril 1988, Apesco/Commission, 207/86, EU:C:1988:200, point 16). Tel est le cas lorsque, comme en l’espèce, la législation adoptée dans le domaine de la pêche à une portée limitée dans le temps et que de nouvelles règles sont adoptées chaque
année.

47 Il en découle que ni l’adoption du règlement délégué 2021/2324 par la Commission ni l’entrée en vigueur du règlement 2022/109 ne sauraient mettre en cause la persistance de l’objet du présent recours et ainsi affecter la recevabilité de celui-ci.

48 En tout état de cause, le Parlement n’étant pas tenu de démontrer un intérêt à agir pour introduire un recours en annulation contre les décisions prises par le Conseil (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2009, Commission/Conseil, C‑370/07, EU:C:2009:590, point 16 et jurisprudence citée), il ne lui appartient pas non plus d’établir qu’un tel intérêt perdure au cours de la procédure.

49 Par conséquent, le recours est recevable.

Sur le fond

50 À l’appui de son recours, le Parlement soulève deux moyens, le premier tiré d’un détournement de la procédure prévue par les règlements de base, le second de la violation du principe de coopération loyale visé à l’article 13, paragraphe 2, TUE.

Sur le premier moyen, tiré d’un détournement de la procédure prévue par les règlements de base

– Argumentation des parties

51 Le Parlement fait valoir que le Conseil, en adoptant les dispositions litigieuses sur le fondement de l’article 43, paragraphe 3, TFUE, a détourné le pouvoir qu’il détient au titre de cette disposition et a ainsi contourné la procédure prévue dans les règlements de base pour l’adoption des mesures techniques, procédure qui conférait à la seule Commission et, en cas d’urgence aux États membres, la compétence pour adopter de telles mesures.

52 Plus précisément, le Parlement soutient que le non-respect par le Conseil de la procédure d’adoption des mesures techniques, telle que prévue par les règlements de base, en particulier par l’article 9 du règlement 2019/472 ainsi que par l’article 10, paragraphe 4, et l’article 15 du règlement 2019/1241, constitue un détournement de pouvoir au sens de la jurisprudence de la Cour issue des arrêts du 13 novembre 1990, Fedesa e.a. (C‑331/88, EU:C:1990:391, point 24), ainsi que du 16 avril 2013,
Espagne et Italie/Conseil (C‑274/11 et C‑295/11, EU:C:2013:240, point 33 et jurisprudence citée).

53 En effet, dès lors que ces dispositions des règlements de base, adoptées sur le fondement de l’article 43, paragraphe 2, TFUE, conféraient à la Commission le pouvoir de prendre des mesures techniques, le Conseil ne pouvait pas adopter les dispositions litigieuses en se fondant sur le pouvoir qu’il détient au titre de l’article 43, paragraphe 3, TFUE.

54 Le pouvoir du Conseil d’adopter des mesures techniques en vertu de l’article 43, paragraphe 3, TFUE serait donc limité puisque le Parlement et le Conseil auraient convenu, dans des actes législatifs adoptés en vertu de l’article 43, paragraphe 2, TFUE, d’habiliter la Commission plutôt que le Conseil à adopter de telles mesures en tant qu’actes délégués au titre de l’article 290 TFUE.

55 En se référant notamment à la jurisprudence de la Cour issue de l’arrêt du 1er décembre 2015, Parlement et Commission/Conseil (C‑124/13 et C‑125/13, EU:C:2015:790), le Parlement estime que le Conseil doit respecter et suivre le cadre préétabli dans les actes législatifs pris sur la base de l’article 43, paragraphe 2, TFUE, lorsqu’il entend adopter, en exécution de ces actes législatifs, des mesures en application de l’article 43, paragraphe 3, TFUE.

56 Plus précisément, le Parlement estime que les articles 15 à 17 et 20 du règlement 2021/92 ont eu pour effet de modifier les règles établies à l’annexe VI, partie B, point 1, et partie C, ainsi qu’à l’annexe I du règlement 2019/1241, ce en violation de l’article 10, paragraphe 4, et de l’article 15, paragraphe 2, de ce dernier règlement, puisque la modification de ces règles incombait à la Commission et non au Conseil.

57 Du reste, le Parlement rappelle que le Conseil a expressément reconnu, au considérant 59 et à l’article 59, second alinéa, du règlement 2021/92, que la Commission aurait dû adopter les mesures techniques prévues aux articles 15 à 17 de ce règlement. Or, le Conseil n’aurait nullement justifié les raisons pour lesquelles il a lui-même adopté les dispositions litigieuses, en lieu et place de la Commission.

58 Le Parlement soutient en outre que, si l’adoption des mesures techniques contenues dans les dispositions litigieuses avait été justifiée par une situation d’urgence, la base juridique appropriée pour ce faire aurait été les articles 12 et 13 du règlement no 1380/2013, en vertu desquels des mesures d’urgence peuvent être adoptées soit par la Commission, soit par les États membres, mais non par le Conseil.

59 Or, le Parlement souligne que, en l’absence d’une situation d’urgence, l’article 8, paragraphes 2 et 3, du règlement 2019/472 prévoit que des mesures correctives ne peuvent être adoptées que par la Commission dans des actes délégués.

60 Le Conseil, soutenu par la Commission, estime que le premier moyen n’est pas fondé.

– Appréciation de la Cour

61 Selon une jurisprudence constante, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, qu’il a été pris exclusivement, ou à tout le moins de manière déterminante, à des fins autres que celles pour lesquelles le pouvoir en cause a été conféré ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par les traités pour parer aux circonstances de l’espèce (arrêt du 5 mai 2015, Espagne/Parlement et Conseil, C‑146/13,
EU:C:2015:298, point 56 ainsi que jurisprudence citée).

62 En l’occurrence, il convient d’examiner si, comme le soutient le Parlement, les dispositions litigieuses ont été adoptées à des fins autres que celles pour lesquelles le pouvoir en cause a été conféré ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité FUE pour parer aux circonstances de l’espèce.

63 S’agissant, en premier lieu, de la question de savoir si les dispositions litigieuses relèvent de la compétence du Conseil au titre de l’article 43 TFUE, il importe d’abord de rappeler que les paragraphes 2 et 3 de celui-ci poursuivent des finalités différentes et ont chacun un champ d’application spécifique, de telle sorte qu’ils peuvent être utilisés séparément pour fonder l’adoption de mesures déterminées dans le cadre de la PCP (arrêt du 1er décembre 2015, Parlement et Commission/Conseil,
C‑124/13 et C‑125/13, EU:C:2015:790, point 58).

64 Or, lorsqu’il adopte des actes sur le fondement de l’article 43, paragraphe 3, TFUE, le Conseil doit agir en respectant les limites de ses compétences ainsi que, le cas échéant, le cadre juridique déjà établi en application de l’article 43, paragraphe 2, TFUE (arrêt du 1er décembre 2015, Parlement et Commission/Conseil, C‑124/13 et C‑125/13, EU:C:2015:790, point 58).

65 Il convient ensuite de relever que l’article 43, paragraphe 3, TFUE prévoit que le Conseil, sur proposition de la Commission, adopte les mesures relatives à la fixation des prix, des prélèvements, des aides et des limitations quantitatives, ainsi qu’à la fixation et à la répartition des possibilités de pêche.

66 La Cour a précisé que cette disposition est susceptible de couvrir des mesures qui ne se limitent pas à la fixation et à la répartition des possibilités de pêche, pour autant que ces mesures n’impliquent pas un choix politique réservé au législateur de l’Union en raison de leur caractère nécessaire pour poursuivre des objectifs afférents à la politique commune de l’agriculture et de la pêche (arrêt du 1er décembre 2015, Parlement et Commission/Conseil, C‑124/13 et C‑125/13, EU:C:2015:790,
point 59).

67 En l’occurrence, s’agissant, d’une part, des articles 15 à 17 du règlement 2021/92, il ressort des considérants 55 à 58 de ce règlement que les mesures techniques prévues par ces dispositions ont pour objet, par l’amélioration de la sélectivité des engins de pêche, de contribuer à la reconstitution des stocks concernés, à l’instar des mesures correctives spécifiques antérieurement adoptées par le règlement 2020/123.

68 En outre, il découle du considérant 56 du règlement 2021/92, tout comme du considérant 3 du règlement délégué 2021/2324, tel que rappelé au point 32 du présent arrêt, que les mesures techniques prévues par les articles 15 à 17 du règlement 2021/92 sont liées sur le plan fonctionnel aux niveaux de TAC des espèces cibles capturées dans les pêcheries mixtes dès lors que, en l’absence de telles mesures, les niveaux de TAC auraient dû être réduits pour permettre aux stocks de prises accessoires de se
reconstituer.

69 S’agissant, d’autre part, de l’article 20 du règlement 2021/92, il y a lieu de relever, à l’instar de la Commission, que les interdictions de pêche qu’il prévoit constituent des absences de possibilités de pêche, qui peuvent, le cas échéant, être modifiées ultérieurement en des possibilités de pêche limitées, en fonction de l’évolution des stocks des espèces concernées.

70 En outre, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 79 de ses conclusions, à la différence des modifications qui avaient été apportées par le Conseil sur la base de l’article 43, paragraphe 3, TFUE au regard des règles concernant la fixation des possibilités de pêche, qui étaient en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 1er décembre 2015, Parlement et Commission/Conseil (C‑124/13 et C‑125/13, EU:C:2015:790), l’adoption des dispositions litigieuses ne vise pas à adapter le
mécanisme général de fixation des TAC et des limitations de l’effort de pêche afin d’éliminer les défauts découlant de l’application des règles antérieures ni à définir le cadre juridique dans lequel ces TAC et les limitations de l’effort de pêche sont établis.

71 Au contraire, les articles 15 à 17 et 20 du règlement 2021/92 se singularisent par leur portée limitée à des circonstances particulières, à savoir que les mesures qu’ils prévoient sont destinées à s’appliquer à certains types de navires, opérant dans certaines zones seulement, et à ne concerner que certains types d’espèces, et par le fait qu’elles ont vocation à s’appliquer de manière temporaire. En conséquence, elles n’impliquent pas un choix politique réservé au législateur de l’Union, au sens
de la jurisprudence citée au point 66 du présent arrêt.

72 Par conséquent, les dispositions litigieuses relèvent, en principe, de la compétence du Conseil au titre de l’article 43, paragraphe 3, TFUE.

73 En second lieu, s’agissant de l’incidence des règlements de base sur cette compétence, il convient d’observer que ces règlements, plus précisément l’article 9 du règlement 2019/472 ainsi que l’article 10, paragraphe 4, et l’article 15 du règlement 2019/1241, prévoient une procédure spécifique pour l’adoption de mesures techniques par la Commission, à savoir l’adoption d’actes délégués au titre de l’article 290 TFUE.

74 Toutefois, ce pouvoir conféré à la Commission n’empêche pas le Conseil d’adopter, au titre de la compétence qu’il tire de l’article 43, paragraphe 3, TFUE, des mesures techniques concernant des questions similaires à celles visées par ces dispositions des règlements de base dans des circonstances telles que celles de la présente affaire, à savoir lorsque la Commission n’est pas intervenue pour adopter elle-même des actes délégués sur le fondement desdites dispositions des règlements de base.

75 En effet, il ressort de l’article 59, second alinéa, du règlement 2021/92 que les articles 15 à 17 de celui-ci devaient cesser de s’appliquer dès que la Commission adopterait un ou plusieurs actes délégués portant sur les mêmes mesures techniques.

76 Dans ces conditions, à l’instar de ce que M. l’avocat général a relevé au point 83 de ses conclusions, il convient de considérer que les dispositions litigieuses revêtent un caractère temporaire et que le Conseil n’a pas empiété sur le pouvoir de la Commission d’adopter des actes délégués mais a expressément entendu le préserver.

77 Ce pouvoir de la Commission est reconnu non seulement à l’article 59, second alinéa, mais également au considérant 59 du règlement 2021/92, ce considérant indiquant que les mesures techniques adoptées par la Commission sur la base du règlement 2019/1241 seraient plus complètes et s’appliqueraient de manière plus stable que les mesures techniques figurant dans les dispositions litigieuses.

78 En ce qui concerne l’interdiction de pêche contenue à l’article 20 du règlement 2021/92, il convient d’observer que, si l’article 10, paragraphe 2, du règlement 2019/1241 contient une interdiction de pêche similaire, cette interdiction vise cependant d’autres espèces de poissons et de crustacés.

79 Il est vrai que l’article 10 du règlement 2019/1241 énonce, à son paragraphe 4, que la Commission est habilitée à adopter des actes délégués afin de modifier la liste des espèces figurant à l’annexe I de ce règlement, lorsque les meilleurs avis scientifiques disponibles indiquent qu’il est nécessaire de procéder de cette manière.

80 Toutefois, ce même article 10 du règlement 2019/1241 indique, à son paragraphe 2, que, en plus des espèces visées au paragraphe 1, il est interdit aux navires de l’Union de pêcher, de détenir à bord, de transborder, de débarquer, de stocker, de vendre, d’exposer ou de mettre en vente les espèces figurant à l’annexe I ou les espèces dont la pêche est interdite « en vertu d’autres actes juridiques de l’Union ».

81 Or, il y a lieu de considérer, à l’instar du Conseil et de la Commission, que les « autres actes juridiques de l’Union » visés à l’article 10, paragraphe 2, du règlement 2019/1241 comprennent, entre autres, les règlements du Conseil établissant les possibilités de pêche, adoptés en vertu de l’article 43, paragraphe 3, TFUE.

82 Ainsi, en adoptant les dispositions litigieuses, le Conseil a agi dans les limites des pouvoirs qu’il tient de l’article 43, paragraphe 3, TFUE et a respecté le cadre juridique spécifique établi au titre de l’article 43, paragraphe 2, TFUE.

83 Dans ces conditions, les éléments du dossier soumis à la Cour ne permettent pas de considérer, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, comme l’exige la jurisprudence visée au point 61 du présent arrêt, que les dispositions litigieuses seraient entachées d’un détournement de pouvoir, tel qu’allégué par le Parlement.

84 Cette conclusion n’est pas infirmée par l’argument du Parlement selon lequel les mesures contenues dans les dispositions litigieuses auraient dû être adoptées soit en tant que mesures d’urgence de la Commission ou des États membres visant à répondre à une menace grave pour la conservation des ressources biologiques de la mer ou pour l’écosystème marin, au sens des articles 12 et 13 du règlement no 1380/2013, soit, en l’absence d’urgence, en tant qu’actes délégués de la Commission, l’article 8,
paragraphes 2 et 3, du règlement 2019/472 n’envisageant que ces deux possibilités.

85 En effet, d’une part, ainsi qu’en a également convenu le Parlement, les dispositions litigieuses ne constituent pas, eu égard à leur objet et à leur finalité, des mesures d’urgence visant à répondre à une menace grave pour la conservation des ressources biologiques de la mer, au sens des articles 12 et 13 du règlement no 1380/2013. D’autre part, le Conseil est intervenu et a adopté les dispositions litigieuses pour la période intermédiaire pendant laquelle la Commission n’avait pas encore fait
usage de l’autre possibilité expressément prévue à l’article 8, paragraphes 2 et 3, du règlement 2019/472 et adopté un ou plusieurs actes délégués en vertu de ces dispositions.

86 Ainsi que l’a justement fait valoir la Commission dans son mémoire en intervention, les mesures correctives antérieures contenues à l’article 13 du règlement 2020/123 n’étaient destinées à rester en vigueur que jusqu’au 31 décembre 2020. De même, d’autres mesures antérieures, notamment les interdictions de pêche de certaines espèces vulnérables, continuaient, conformément à l’article 54 de ce règlement, de s’appliquer mutatis mutandis au cours de l’année 2021 jusqu’à l’entrée en vigueur du
règlement fixant les possibilités de pêche pour l’année 2021, à savoir le règlement 2021/92.

87 En outre, s’agissant spécifiquement des articles 15 à 17 du règlement 2021/92, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 88 de ses conclusions, étant donné que les efforts se concentraient sur la conclusion d’un accord entre l’Union et le Royaume-Uni sur l’adoption de mesures techniques en raison du retrait du Royaume-Uni de l’Union, aucune recommandation commune, telle qu’exigée par l’article 9, paragraphe 1, du règlement 2019/472 et l’article 15, paragraphe 2, du règlement 2019/1241,
n’avait été présentée suffisamment tôt pour que la Commission adopte un acte délégué au début de l’année 2021. Cette circonstance est, du reste, confirmée par le considérant 2 du règlement délégué 2021/2324, selon lequel, bien que le Royaume de Belgique, l’Irlande, le Royaume d’Espagne, la République française et le Royaume des Pays-Bas aient présenté une première recommandation commune au mois de mai 2020, ce n’est que le 14 décembre 2020 que ces États membres ont présenté une recommandation
commune révisée.

88 Ainsi, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 89 de ses conclusions, l’adoption des dispositions litigieuses par le Conseil a eu pour objet de combler une lacune qui aurait autrement perduré pendant une partie, voire la totalité, de l’année 2021.

89 Par conséquent, il y a lieu de rejeter le premier moyen.

Sur le second moyen

– Argumentation des parties

90 Le Parlement soutient que, en ne se conformant pas aux procédures prévues dans les règlements de base pour l’adoption des mesures contenues dans les dispositions litigieuses, le Conseil a manqué à son obligation de coopération loyale à l’égard du Parlement, en violation de l’article 13, paragraphe 2, TUE.

91 En particulier, le Parlement fait valoir que le Conseil a enfreint le point 2 de l’accord interinstitutionnel qui explicite l’obligation de coopération loyale dans le cadre des procédures de préparation et d’adoption des textes législatifs et des actes délégués et qui revêt un caractère contraignant pour les parties, notamment pour le Conseil et le Parlement, conformément à l’article 295 TFUE.

92 L’adoption des mesures techniques sur la base de l’article 43, paragraphe 3, TFUE, en lieu et place de l’adoption d’un acte délégué conformément aux règlements de base, aurait empêché le Parlement d’exercer son contrôle des mesures prises sur le fondement de l’article 290, paragraphe 2, point b), TFUE et, ainsi, aurait ôté au Parlement tout rôle dans le processus législatif.

93 En outre, le Parlement souligne que le Conseil ne l’a pas averti de son intention de modifier la procédure aux fins de l’adoption des dispositions litigieuses. Il rappelle que le point 25 de l’accord interinstitutionnel consacre l’obligation de consulter les autres institutions sur un changement de base juridique de nature à considérablement altérer la répartition des pouvoirs quant à l’adoption d’un acte par rapport à ce qui est prévu conformément au droit de l’Union.

94 Le Conseil, soutenu par la Commission, conclut au rejet du second moyen.

– Appréciation de la Cour

95 En vertu de l’article 13, paragraphe 2, TUE, les institutions pratiquent entre elles une coopération loyale. Cette coopération loyale doit toutefois s’exercer dans le respect des limites des pouvoirs conférés dans les traités à chaque institution, de telle sorte que l’obligation résultant de cette disposition n’est pas de nature à modifier lesdits pouvoirs (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2015, Parlement/Conseil, C‑48/14, EU:C:2015:91, points 57 et 58).

96 Pour faire valoir, dans le cadre de son second moyen, que le Conseil a violé le principe de coopération loyale en adoptant les dispositions litigieuses, le Parlement s’appuie, en substance, sur un raisonnement fondé sur la prémisse selon laquelle le Conseil aurait adopté les dispositions litigieuses en méconnaissant les règlements de base et, partant, en outrepassant ses pouvoirs conférés par les traités.

97 Toutefois, il ressort des points 82 et 83 du présent arrêt que, en adoptant les dispositions litigieuses, le Conseil a agi dans les limites des pouvoirs qu’il tire de l’article 43, paragraphe 3, TFUE et n’a pas commis de détournement de pouvoir.

98 Il en découle que le Parlement n’est pas fondé à soutenir que le Conseil a méconnu le principe de coopération loyale consacré à l’article 13, paragraphe 2, TUE.

99 Cette conclusion n’est pas infirmée par les arguments du Parlement tirés du point 25 de l’accord interinstitutionnel, puisque, ainsi que l’a fait justement valoir le Conseil, le règlement 2021/92 a été adopté sur la même base juridique que celle proposée par la Commission, à savoir l’article 43, paragraphe 3, TFUE, de telle sorte qu’il n’y a pas eu de modification de la base juridique au sens de ce point 25.

100 Par conséquent, le second moyen doit être écarté.

101 Aucun des moyens du recours n’ayant été accueilli, celui-ci doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

102 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant conclu à la condamnation du Parlement aux dépens et ce dernier ayant succombé, il convient de condamner le Parlement aux dépens.

103 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, la Commission supporte ses propres dépens.

  Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête :

  1) Le recours est rejeté.

  2) Le Parlement européen supporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

  3) La Commission européenne supporte ses propres dépens.

Jürimäe

Safjan

Piçarra

Jääskinen

Gavalec
 
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 novembre 2022.

Le greffier

A. Calot Escobar

La présidente de chambre

K. Jürimäe

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-259/21
Date de la décision : 24/11/2022
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Recours en annulation – Politique commune de la pêche – Règlement (UE) 2021/92 – Établissement, pour 2021, des possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’Union européenne et, pour les navires de pêche de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union – Conservation des ressources halieutiques et protection des écosystèmes marins par des mesures techniques – Articles 15 à 17 et 20 ainsi que article 59, second alinéa – Article 43, paragraphe 3, TFUE – Détournement de pouvoir – Principe de coopération loyale.

Politique de la pêche

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Parlement européen
Défendeurs : Conseil de l'Union européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Emiliou
Rapporteur ?: Jääskinen

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:917

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