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10/11/2022 | CJUE | N°C-203/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Procédure pénale contre DELTA STROY 2003., 10/11/2022, C-203/21


 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

10 novembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2005/212/JAI – Applicabilité – Infliction d’une sanction pécuniaire à une personne morale pour le non-paiement de dettes fiscales – Notion de “confiscation” – Articles 48, 49 et 52 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Sanctions à caractère pénal – Principes de présomption d’innocence, de légalité et de proportionnalité des délits et des peines – Dr

oits de la défense – Infliction d’une sanction
pénale à une personne morale pour une infraction commise par le représen...

 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

10 novembre 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2005/212/JAI – Applicabilité – Infliction d’une sanction pécuniaire à une personne morale pour le non-paiement de dettes fiscales – Notion de “confiscation” – Articles 48, 49 et 52 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Sanctions à caractère pénal – Principes de présomption d’innocence, de légalité et de proportionnalité des délits et des peines – Droits de la défense – Infliction d’une sanction
pénale à une personne morale pour une infraction commise par le représentant de cette personne morale – Procédure pénale parallèle non clôturée contre ce représentant – Proportionnalité »

Dans l’affaire C‑203/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Okrazhen sad – Burgas (tribunal régional de Burgas, Bulgarie), par décision du 12 mars 2021, parvenue à la Cour le 31 mars 2021, dans la procédure pénale contre

DELTA STROY 2003,

en présence de :

Okrazhna prokuratura – Burgas,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos (rapporteur), président de chambre, Mmes L. S. Rossi, MM. J.–C. Bonichot, S. Rodin et Mme O. Spineanu–Matei, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées pour la Commission européenne par MM. M. Wasmeier et I. Zaloguin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 9 juin 2022,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 4 et 5 de la décision-cadre 2005/212/JAI du Conseil, du 24 février 2005, relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime (JO 2005, L 68, p. 49), ainsi que de l’article 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure engagée contre DELTA STROY 2003 EOOD (ci-après « Delta Stroy ») aux fins de l’imposition d’une sanction pécuniaire à cette société en raison d’une infraction pénale relative à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) reprochée à sa gérante et représentante.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La décision-cadre 2005/212

3 L’article 1er de la décision-cadre 2005/212, intitulé « Définitions », prévoit :

« Aux fins de la présente décision-cadre, on entend par :

– “produit” tout avantage économique tiré d’infractions pénales. Cet avantage peut consister en tout type de bien, comme défini au tiret suivant,

– “bien” un bien de toute nature, qu’il soit corporel ou incorporel, meuble ou immeuble, ainsi que les actes juridiques ou documents attestant d’un titre ou d’un droit sur le bien,

– “instrument” tous objets employés ou destinés à être employés, de quelque façon que ce soit, en tout ou partie, pour commettre une ou des infractions pénales,

– “confiscation” une peine ou une mesure ordonnée par un tribunal à la suite d’une procédure portant sur une ou des infractions pénales, aboutissant à la privation permanente du bien,

[...] »

4 L’article 2 de cette décision-cadre, intitulé « Confiscation », dispose :

« 1.   Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de tout ou partie des instruments et des produits provenant d’infractions pénales passibles d’une peine privative de liberté d’une durée supérieure à un an, ou de biens dont la valeur correspond à ces produits.

2.   En ce qui concerne les infractions fiscales, les États membres peuvent recourir à des procédures autres que des procédures pénales pour priver l’auteur des produits de l’infraction. »

5 L’article 4 de ladite décision-cadre, intitulé « Voies de recours », énonce :

« Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour faire en sorte que les personnes affectées par les mesures prévues aux articles 2 et 3 disposent de voies de recours effectives pour préserver leurs droits. »

6 L’article 5 de la même décision-cadre, intitulé « Garanties », dispose :

« La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes fondamentaux, y compris notamment la présomption d’innocence, tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 du traité sur l’Union européenne. »

La décision-cadre 2005/214/JAI

7 L’article 1er de la décision-cadre 2005/214/JAI du Conseil, du 24 février 2005, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires (JO 2005, L 76, p. 16), intitulé « Définitions », dispose :

« Aux fins de la présente décision-cadre, on entend par :

[...]

b) “sanction pécuniaire”, toute obligation de payer :

i) une somme d’argent après la condamnation pour une infraction, imposée dans le cadre d’une décision ;

[...]

Une sanction pécuniaire ne couvre pas :

– les décisions de confiscation des instruments ou des produits du crime,

[...] »

La directive 2014/42/UE

8 L’article 2 de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne (JO 2014, L 127, p. 39), dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1) “produit” : tout avantage économique tiré, directement ou indirectement, d’infractions pénales ; il peut consister en tout type de bien et comprend tout réinvestissement ou toute transformation ultérieurs des produits directs et tout autre gain de valeur ;

2) “bien”, un bien de toute nature, qu’il soit corporel ou incorporel, meuble ou immeuble, ainsi que les actes juridiques ou documents attestant d’un titre ou d’un droit sur ce bien ;

[...]

4) “confiscation”, une privation permanente d’un bien ordonnée par une juridiction en lien avec une infraction pénale ;

[...] »

9 L’article 14, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« L’action commune 98/699/JAI[, du 3 décembre 1998, adoptée par le Conseil sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, concernant l’identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime (JO 1998, L 333, p. 1)], l’article 1er, point a), et les articles 3 et 4 de la décision–cadre 2001/500/JAI [du Conseil, du 26 juin 2001, concernant le blanchiment d’argent, l’identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la
confiscation des instruments et des produits du crime (JO 2001, L 182, p. 1)], ainsi que les quatre premiers tirets de l’article 1er et l’article 3 de la décision-cadre 2005/212/JAI sont remplacés par la présente directive pour les États membres liés par la présente directive, sans préjudice des obligations de ces États membres relatives aux délais de transposition de ces décisions-cadres en droit national. »

Le droit bulgare

Le Zann

10 Le zakon za administrativnite narushenia i nakazania (loi sur les infractions et sanctions administratives) (DV no 92, du 28 novembre 1969), dans sa version applicable aux faits au principal (ci–après le « Zann »), comprend un chapitre 4, intitulé « Sanctions administratives à caractère pénal à l’encontre des personnes morales et des entrepreneurs individuels », comprenant lui-même des articles 83, 83a, 83b, et 83d à 83g de cette loi.

11 L’article 83 de cette loi dispose :

« (1)   Dans les cas prévus par la loi, le décret, l’arrêté du conseil des ministres ou l’arrêté municipal pertinents, une sanction pécuniaire peut être infligée aux personnes morales et aux entrepreneurs individuels pour avoir manqué à leurs obligations envers l’État ou la municipalité dans l’exercice de leur activité.

(2)   La sanction visée au paragraphe précédent est infligée suivant les modalités prévues par la présente loi, lorsque l’acte normatif correspondant n’en dispose pas autrement.

12 L’article 83a de la même loi prévoit :

« (1)   Toute personne morale qui s’est enrichie ou qui est susceptible de s’enrichir à la suite d’une infraction au titre des articles 255 [...] du code pénal ainsi que de toute infraction commise, pour le compte ou à l’initiative d’un groupe criminel organisé, par :

1. une personne ayant le pouvoir d’engager la personne morale ;

2. une personne représentant la personne morale ;

3. une personne élue à un organe de contrôle ou de surveillance de la personne morale, ou

4. un travailleur ou un employé à qui la personne morale a attribué une tâche particulière, lorsque l’infraction a été commise dans l’exercice ou à l’occasion de cette tâche,

est punie d’une sanction pécuniaire au moins égale à la valeur de l’avantage, jusqu’à un maximum de 1000000 [leva bulgares (BGN), environ 511000 euros], lorsqu’il s’agit d’un avantage patrimonial [...].

(2)   La sanction pécuniaire est infligée également à toute personne morale n’ayant pas son siège sur le territoire de la République de Bulgarie, lorsque l’infraction visée au paragraphe 1 a été commise sur le territoire de la République de Bulgarie.

(3)   La sanction pécuniaire est infligée à la personne morale même lorsque les personnes visées au paragraphe 1, points 1, 2 et 3 ont incité aux infractions indiquées ou bien en ont été complices, ainsi que lorsque l’infraction n’a pas dépassé le stade de la tentative.

(4)   La sanction pécuniaire est infligée, indépendamment de l’engagement effectif de la responsabilité pénale des personnes ayant participé à l’infraction visée au paragraphe 1.

(5)   L’avantage direct ou indirect que la personne morale a tiré de l’infraction visée au paragraphe 1 est saisi au profit de l’État s’il ne doit pas être restitué ou remboursé, ou bien il est saisi conformément au code pénal. Lorsque le bien ou l’actif qui est l’objet de l’infraction a disparu ou a été cédé, c’est un montant correspondant à sa valeur en Leva (BGN) qui est octroyé.

[...] »

13 Aux termes de l’article 83b du Zann :

« (1)   La procédure visée à l’article 83а est engagée, sur proposition motivée du procureur compétent pour examiner l’affaire ou le dossier relatif à l’infraction en cause, devant l’Okrazhen sad [(tribunal régional)] du lieu du siège de la personne morale, et, dans les cas visés à l’article 83а, paragraphe 2, devant le Sofiyski gradski sad [(tribunal de la ville de Sofia)] :

1. après le dépôt devant le tribunal de l’acte d’accusation, de l’ordonnance proposant d’exonérer l’auteur de l’infraction de la responsabilité pénale et de lui infliger une sanction administrative, ou de l’accord de négociation de peine ;

[...]

(2)   La proposition doit :

1. contenir une description de l’infraction, indiquer les circonstances dans lesquelles elle a été commise et faire apparaître l’existence d’un lien de causalité entre l’infraction et l’avantage pour la personne morale ;

2. indiquer la nature et la valeur de l’avantage ;

3. indiquer le nom, l’objet de l’activité, le siège et l’adresse de la direction de la personne morale ;

4. indiquer les données personnelles du représentant de la personne morale ;

5. indiquer les données personnelles des personnes accusées de l’infraction ou condamnées pour cette dernière ;

6. contenir une liste des documents écrits établissant les circonstances visées aux points 1 et 2, ou des copies certifiées de ces documents ;

7. contenir une liste des personnes à convoquer ;

8. indiquer la date et le lieu de sa rédaction ainsi que le nom, la fonction et la signature du procureur.

[...] »

14 L’article 83d de cette loi énonce :

« [...]

(2)   Le tribunal, siégeant en formation à juge unique, examine la proposition en audience publique à laquelle le ministère public prend part et la personne morale est convoquée.

(3)   La non comparution du représentant de la personne morale, lorsque la convocation a été régulière, ne fait pas obstacle à ce que le tribunal connaisse de l’affaire.

(4)   Le tribunal recueille les éléments de preuve d’office ou à la demande des parties.

(5)   Le tribunal examine l’affaire et, sur la base des éléments de preuve recueillis, apprécie :

1. si la personne morale en cause a obtenu un avantage illicite ;

2. s’il existe un lien entre l’auteur de l’infraction et la personne morale ;

3. s’il existe un lien entre l’infraction et l’avantage obtenu par la personne morale ;

4. quelles sont la nature et la valeur de l’avantage, si ce dernier est patrimonial.

(6)   le tribunal statue au moyen d’une décision par laquelle :

1. il inflige une sanction pécuniaire ; [ou]

2. il refuse d’infliger une sanction pécuniaire.

(7)   La décision visée au paragraphe 6, point 1, contient :

1. les données relatives à la personne morale ;

2. les données relatives à l’origine, à la nature, et à la valeur de l’avantage ;

3. le montant de la sanction pécuniaire infligée ;

4. la description du bien qui, le cas échéant, est confisqué au profit de l’État ;

5. la taxation des dépens.

[...] »

15 Selon l’article 83e de ladite loi :

« [...]

(1)   La décision de l’Okrazhen sad [(tribunal régional)] au titre de l’article 83d, paragraphe 6, peut être contestée par un recours [de la personne sanctionnée] ou par une réclamation (“protest”) [du ministère public] devant l’Apelativen sad [(cour d’appel)], dans un délai de 14 jours à compter de sa notification aux parties.

(2)   L’affaire est examinée en audience publique à laquelle le ministère public prend part. La personne morale est également convoquée à l’audience.

(3)   Sont seules admises dans la procédure [...], les preuves écrites.

(4)   L’Apelativen sad [(cour d’appel)] statue au moyen d’une décision par laquelle il peut :

1. annuler la décision de l’Okrazhen sad [(tribunal régional)] et renvoyer l’affaire pour qu’elle soit examinée de nouveau, lorsque des violations substantielles des règles de procédure ont été commises au cours de la procédure en première instance ;

2. annuler la décision de l’Okrazhen sad [(tribunal régional)] et infliger une sanction pécuniaire ;

3. annuler la décision de l’Okrazhen sad [(tribunal régional)] et refuser d’infliger une sanction pécuniaire ;

4. modifier la décision de l’Okrazhen sad [(tribunal régional)] ;

5. confirmer la décision de l’Okrazhen sad [(tribunal régional)].

(5)   La décision de l’Apelativen sad [(cour d’appel)] est définitive. »

16 L’article 83f du Zann est ainsi libellé :

« [...]

(1)   La procédure par laquelle l’Okrazhen sad [(tribunal régional)] ou l’Apelativen sad [(cour d’appel)] ont rendu une décision définitive peut être rouverte lorsque :

1. il est établi par une sentence ou un jugement revêtant l’autorité de la chose jugée que certaines des preuves écrites sur la base desquelles la décision avait été rendue sont des faux ou contiennent de fausses informations ;

2. il est établi par une sentence ou un jugement revêtant l’autorité de la chose jugée que le juge, le ministère public, une partie ou un intervenant dans la procédure a commis une infraction en rapport avec sa participation à la procédure ;

3. après l’entrée en vigueur de la décision d’infliger à la personne morale une sanction pécuniaire, la personne visée à l’article 83а, paragraphe 1, points 1 à 4, a été acquittée par une décision juridictionnelle ayant acquis l’autorité de la chose jugée, ou bien le ministère public a mis fin à la procédure préliminaire suspendue dans les cas visés à l’article 24, paragraphe 1, point 1, du code de procédure pénale ;

4. sont révélées postérieurement à l’entrée en vigueur de la décision des circonstances ou preuves lesquelles n’étaient pas connues de la partie et du tribunal et qui revêtent une importance significative aux fins de l’affaire ;

5. une décision de la Cour européenne des droits de l’homme a constaté une violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui revêt une importance significative aux fins de l’affaire ;

6. une violation substantielle des règles de procédure a été commise au cours de la procédure.

(2)   La demande de réouverture peut être introduite dans un délai de six mois à compter de la connaissance du fait générateur, et, dans les cas visés au paragraphe 1, point 6, à compter de l’entrée en vigueur de la décision de l’Okrazhen sad [(tribunal régional)] ou de l’Apelativen sad [(cour d’appel)].

(3)   La demande de réouverture ne suspend pas l’exécution de la décision entrée en vigueur, sauf si le tribunal en décide autrement.

(4)   Peuvent introduire une demande de réouverture de la procédure :

1. le procureur du parquet régional ;

2. la personne morale à laquelle une sanction pécuniaire a été infligée.

(5)   La demande de réouverture est examinée par l’Apelativen sad [(cour d’appel)] de l’arrondissement judiciaire dans lequel se trouve l’autorité qui a rendu la décision entrée en vigueur.

(6)   L’Apelativen sad [(cour d’appel)] examine la demande dans une formation à trois juges. Lorsqu’elle vise une décision de l’Apelativen sad [(cour d’appel)], la demande de réouverture est examinée par une chambre différente de cet Apelativen sad [(cour d’appel)].

(7)   L’affaire est examinée en audience publique avec la participation du ministère public. La personne morale est également convoquée à l’audience.

(8)   Lorsqu’il estime que la demande est fondée, l’Apelativen sad [(cour d’appel)] annule la décision et renvoie l’affaire pour qu’elle soit examinée de nouveau, en indiquant l’acte procédural à partir duquel l’examen doit être repris. »

17 L’article 83g de cette loi dispose :

« Pour les questions qui ne sont pas réglées par les articles 83b et 83d à 83f, les dispositions du code de procédure pénale sont applicables. »

Le code pénal

18 L’article 255, paragraphe 1, du Nakazatelen kodeks (code pénal) dispose :

« Quiconque évite la fixation ou le paiement de dettes fiscales de montants élevés, en ce qu’il :

[...]

2. fournit des informations mensongères ou dissimule la vérité dans la déclaration qu’il a introduite,

3. omet d’émettre une facture ou un autre document comptable,

[...]

est puni d’une peine d’emprisonnement d’un à six ans et d’une amende allant jusqu’à 2000 [BGN] ».

Le litige au principal et les questions préjudicielles

19 ZK est la gérante et représentante de Delta Stroy, qui est établie à Burgas (Bulgarie). En cette qualité, le 5 août 2019, ZK a été inculpée pour avoir, dans des conditions d’infraction continue, évité le paiement de dettes fiscales pour un total de 11388,98 BGN (environ 5800 euros), correspondant à la TVA due pour les périodes fiscales de mars, avril et juillet 2009, infraction prévue et réprimée par l’article 255, paragraphe 1, points 2 et 3, du code pénal. Cette procédure pénale était pendante
devant l’Okrazhen sad – Burgas (tribunal régional de Burgas, Bulgarie) à la date d’introduction de la présente demande de décision préjudicielle.

20 Le 9 décembre 2020, le procureur de l’okrazhna prokuratura – Burgas (parquet régional de Burgas, Bulgarie) a proposé à cette dernière juridiction, dans le cadre d’une procédure distincte, que soit infligée une sanction pécuniaire à Delta Stroy, sur le fondement des articles 83a et suivants du Zann, au motif que cette société avait perçu un avantage patrimonial tiré de l’infraction commise par ZK. À cette proposition était joint l’acte d’accusation concernant cette dernière.

21 L’Okrazhen sad – Burgas (tribunal régional de Burgas) nourrit des doutes quant à la conformité à la décision-cadre 2005/212 ainsi qu’au principe de légalité des délits et des peines, consacré à l’article 49 de la Charte, des articles 83a et suivants du Zann, en ce qu’ils permettent au juge pénal d’infliger à une personne morale une sanction pécuniaire en raison d’une infraction faisant l’objet d’une procédure pénale parallèle qui n’a pas encore été définitivement clôturée.

22 Cette juridiction rappelle, tout d’abord, qu’une version antérieure des dispositions pertinentes du Zann prévoyait qu’une sanction pécuniaire ne pouvait être infligée à une personne morale en raison d’une infraction commise par une personne physique en lien avec l’activité de cette personne morale qu’après que la décision de justice condamnant ladite personne physique a acquis force de chose jugée. Or, à la suite de la modification de ces dispositions, une telle exigence aurait été abandonnée.

23 Ladite juridiction explique que, dans la présente affaire, ont été engagées deux procédures parallèles, l’une contre ZK, fondée sur l’article 255, paragraphe 1, du code pénal, pour une infraction fiscale que celle-ci aurait commise, et l’autre contre Delta Stroy, fondée sur les articles 83a et suivants du Zann, et tendant à ce que soit infligée à cette société une sanction pécuniaire d’un montant équivalent à l’avantage patrimonial tiré de cette infraction. Cette même juridiction relève que le
Zann ne prévoit pas la possibilité de suspendre la procédure engagée au titre de ses articles 83a et suivants jusqu’à ce que la procédure pénale engagée contre ZK soit achevée.

24 Ensuite, la juridiction de renvoi considère que le fait d’infliger à une personne morale, en raison de la commission d’une infraction par une personne physique, une sanction pécuniaire correspondant à l’avantage que cette personne morale a tiré ou pourrait tirer de cette infraction, constitue une confiscation de tout ou partie des produits de l’infraction, au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la décision-cadre 2005/212.

25 Enfin, la juridiction de renvoi rappelle que l’article 49 de la Charte consacre le principe de légalité des délits et des peines, lequel interdirait d’infliger une sanction avant que la réalité de l’infraction ait été établie. Or, s’agissant du Zann, la question de savoir si une infraction a été effectivement commise par la personne physique ne figurerait pas au nombre des éléments que le juge pénal doit apprécier, en vertu de l’article 83d, paragraphe 5, de cette loi, aux fins d’infliger une
éventuelle sanction pénale pécuniaire à la personne morale.

26 Ainsi, la procédure au titre des articles 83a et suivants du Zann permettrait, en pratique, d’infliger à une personne morale une sanction, fondée uniquement sur les éléments de l’accusation portée à l’égard du représentant et gérant de cette personne morale à propos d’une infraction particulière dont la réalité n’a pas encore été établie au moyen d’une décision de justice passée en force de chose jugée.

27 Dans ces conditions, l’Okrazhen sad – Burgas (tribunal régional de Burgas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Convient-il d’interpréter les articles 4 et 5 de la décision-cadre [2005/212] ainsi que l’article 49 de la [Charte] en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre, en vertu de laquelle le juge national peut, dans une procédure comme celle au principal, infliger à une personne morale une sanction pour une infraction concrète, dont la commission n’a pas encore été établie puisqu’elle fait l’objet d’une procédure pénale parallèle non encore définitivement clôturée ?

2) Convient-il d’interpréter les articles 4 et 5 de la décision–cadre [2005/212] ainsi que l’article 49 de la [Charte] en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre, en vertu de laquelle le juge national peut, dans une procédure comme celle au principal, infliger à une personne morale une sanction en fixant comme montant de cette sanction la valeur de l’avantage qui pourrait être tiré d’une infraction concrète, dont la commission n’a pas encore été établie puisqu’elle
fait l’objet d’une procédure pénale parallèle non encore définitivement clôturée ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

Observations liminaires

28 Selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. En effet, la Cour a pour mission d’interpréter toutes les dispositions du droit de l’Union dont les
juridictions nationales ont besoin pour statuer sur les litiges qui leur sont soumis, même si ces dispositions ne sont pas mentionnées expressément dans les questions qui lui sont adressées [voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2022, Pensionsversicherungsanstalt (Périodes d’éducation d’enfants à l’étranger), C‑576/20, EU:C:2022:525, point 35 et jurisprudence citée].

29 À cet égard, en premier lieu, il convient de relever que, si, par sa première question, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’interprétation des articles 4 et 5 de la décision-cadre 2005/212, qui est relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime, la procédure au principal ne se rapporte pas à une telle procédure de confiscation.

30 En effet, s’agissant, tout d’abord, de la notion de « confiscation », il convient de se référer non pas à la définition figurant à l’article 1er, quatrième tiret, de la décision-cadre 2005/212, mais à celle figurant à l’article 2, point 4, de la directive 2014/42, puisque cette directive a, en vertu de son article 14, paragraphe 1, remplacé, notamment, les quatre premiers tirets de l’article 1er de cette décision-cadre. Or, selon cette dernière définition, constitue une confiscation la
« privation permanente d’un bien ordonnée par une juridiction en lien avec une infraction pénale ».

31 Ensuite, l’article 2, paragraphe 1, de la décision-cadre 2005/212 exige que chaque État membre prenne les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de tout ou partie des instruments et des produits provenant d’infractions pénales passibles d’une peine privative de liberté d’une durée supérieure à un an, ou de biens dont la valeur correspond à ces produits.

32 Enfin, il ressort de l’article 2, point 1, de la directive 2014/42 qu’un « produit » correspond à tout avantage économique tiré d’infractions pénales et peut consister en tout type de bien.

33 Dans ce cadre, si une somme d’argent constitue un « bien », susceptible d’être confisqué (voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2021, Okrazhna prokuratura – Varna, C‑845/19 et C‑863/19, EU:C:2021:864, point 58), un tel bien ne peut faire l’objet d’une mesure de confiscation, en application de l’article 2, paragraphe 1, de la décision-cadre 2005/212, que s’il correspond à l’avantage provenant d’une infraction pénale, à savoir le produit de cette infraction, ou à l’instrument de cette infraction, à
savoir l’objet employé ou destiné à être employé pour commettre ladite infraction.

34 En revanche, la notion de « sanction pécuniaire », telle que définie à l’article 1er, sous b), i), de la décision-cadre 2005/214, désigne toute obligation de payer une somme d’argent après la condamnation pour une infraction, imposée dans le cadre d’une décision en matière pénale. Cette disposition précise que cette notion ne couvre pas, notamment, les décisions de confiscation des instruments ou des produits du crime.

35 À cet égard, il y a lieu de relever que le montant de la sanction pécuniaire ne correspondra pas nécessairement à la valeur de l’avantage économique tiré de l’infraction que cette sanction réprime. Une telle sanction peut en effet être fixée à un montant inférieur, égal ou supérieur à la valeur de cet avantage et peut même être imposée en l’absence d’un tel avantage ou de manière concomitante à la confiscation des produits provenant de l’infraction pénale. Par ailleurs, une telle sanction
pécuniaire n’est pas davantage assimilable à la confiscation de l’instrument par lequel l’infraction considérée a été commise.

36 Il apparaît ainsi que le législateur de l’Union, en adoptant les décisions–cadres 2005/212 et 2005/214, a entendu distinguer les mesures relatives à la confiscation de biens, constituant le produit ou l’instrument d’infractions pénales, de celles relatives à la sanction pécuniaire liée à de telles infractions.

37 En l’occurrence, la juridiction de renvoi considère que le fait d’infliger à une personne morale, en raison de la commission d’une infraction par une personne physique, une sanction pécuniaire correspondant à l’avantage que la personne morale a tiré ou pourrait tirer de cette infraction, constitue une confiscation de tout ou partie des produits de l’infraction, au sens de la décision-cadre 2005/212. Elle précise, cependant, que le droit bulgare autorise l’infliction d’une telle sanction
pécuniaire même lorsqu’aucun avantage n’a été effectivement obtenu ou encore lorsque l’avantage n’est pas de nature patrimoniale, et ajoute que la procédure visée aux articles 83a et suivants du Zann ne se concentre pas exclusivement sur les biens acquis illégalement. En outre, il ressort de cet article 83a, paragraphe 1, que le montant de la sanction pécuniaire qui peut être imposée peut dépasser la valeur de l’avantage obtenu.

38 Eu égard à ce qui précède, une sanction pécuniaire, telle que celle prévue à l’article 83a, paragraphe 1, du Zann, ne constitue pas une mesure de confiscation au sens de la décision-cadre 2005/212 et de la directive 2014/42, même lorsque le montant de cette sanction correspond à la valeur de l’avantage patrimonial tiré de l’infraction.

39 Il s’ensuit que cette décision-cadre n’est pas applicable au litige au principal et que, partant, il n’y a pas lieu d’interpréter les articles 4 et 5 de celle-ci dans le cadre du présent renvoi préjudiciel.

40 S’agissant, en deuxième lieu, des doutes que nourrit la juridiction de renvoi quant à la conformité à l’article 49 de la Charte des articles 83a et suivants du Zann, il importe, premièrement, de constater que l’affaire au principal a pour objet l’imposition d’une sanction pécuniaire à une société au motif d’un avantage patrimonial illicite obtenu par celle-ci en raison d’une infraction pénale qu’aurait commise sa représentante et gérante en matière de déclaration de TVA.

41 La Cour a déjà jugé que, dès lors qu’elles visent à assurer l’exacte perception de la TVA et à combattre la fraude, des sanctions administratives infligées par les autorités fiscales nationales et des procédures pénales ouvertes pour des infractions en matière de TVA constituent une mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, points 26 et 27, ainsi que du 5 mai
2022, BV, C‑570/20, EU:C:2022:348, point 26). Il en va de même des sanctions infligées par une juridiction dans le contexte de telles procédures pénales. Il s’ensuit que la Charte est applicable à l’affaire au principal.

42 Deuxièmement, il est constant que le régime de sanctions en cause au principal revêt une nature pénale. La juridiction de renvoi indique, en particulier, que la procédure des articles 83a et suivants du Zann présente toutes les caractéristiques d’une procédure pénale.

43 Troisièmement, l’article 49 de la Charte consacre, notamment, le principe de légalité des délits et des peines et correspond, ainsi qu’il ressort des explications afférentes à la Charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 17), à l’article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »).

44 En vertu de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, dans la mesure où cette dernière contient des droits correspondant à ceux garantis par la CEDH, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère cette convention. La Cour doit, dès lors, veiller à ce que l’interprétation qu’elle effectue de l’article 49 de la Charte assure un niveau de protection qui ne méconnaît pas celui garanti à l’article 7 de la CEDH, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme [voir,
en ce sens, arrêt du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, point 101 et jurisprudence citée].

45 Or, comme la juridiction de renvoi l’a elle-même relevé, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’article 7 de la CEDH s’oppose à ce qu’une sanction de nature pénale puisse être imposée à un individu sans que soit établie et déclarée au préalable sa responsabilité pénale personnelle, sous peine de méconnaître également la présomption d’innocence garantie à l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH (Cour EDH, 28 juin 2018, G.I.E.M s.r.l et autres c. Italie, CE:ECHR:2018:0628JUD000182806,
§ 251).

46 Dans la mesure où l’article 49 de la Charte doit être interprété comme contenant les mêmes prescriptions que celles qui découlent de l’article 7 de la CEDH et qui sont mentionnées au point précédent, cet article 49 présente une pertinence au regard de la réponse à apporter à la première question préjudicielle.

47 Cela étant, ainsi que le confirme la jurisprudence rappelée au point 45 du présent arrêt, de telles prescriptions équivalent également à celles découlant du principe de présomption d’innocence prévu à l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH, lequel est expressément consacré à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte.

48 Ainsi, eu égard à l’objet de la présente demande de décision préjudicielle, qui concerne, en substance, l’attribution, par présomption, d’une responsabilité pénale à une personne morale en raison des agissements de son représentant et gérant, il suffit, dans le cadre de la réponse à apporter à cette question, de se référer non à l’article 49 mais à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte, lequel, à l’instar de la jurisprudence citée au point 44 du présent arrêt, doit être interprété en assurant
un niveau de protection qui ne méconnaît pas celui garanti à l’article 6 de la CEDH.

49 Quant à l’article 48, paragraphe 2, de la Charte, qui consacre le principe du respect des droits de la défense, il apparaît également pertinent aux fins de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi.

50 Partant, il convient de reformuler la première question comme visant, en substance, à déterminer si l’article 48 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le juge national peut infliger à une personne morale une sanction pénale pour une infraction dont serait responsable une personne physique qui a le pouvoir d’engager ou de représenter cette personne morale, dans le cas où cette responsabilité n’a pas encore été définitivement
établie.

Sur le fond

51 Aux termes de l’article 48, paragraphe 1, de la Charte, tout accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. Ce principe trouve à s’appliquer lorsqu’il s’agit de déterminer les éléments objectifs constitutifs d’une infraction susceptible de conduire à l’infliction de sanctions administratives revêtant un caractère pénal (arrêt du 9 septembre 2021, Adler Real Estate e.a., C‑546/18, EU:C:2021:711, point 46 ainsi que jurisprudence citée), comme c’est le cas en
l’occurrence, ainsi qu’il a été constaté au point 42 du présent arrêt.

52 Par ailleurs, l’article 48, paragraphe 2, de la Charte énonce que le respect des droits de la défense est garanti à tout accusé. La Cour a déjà jugé que le respect des droits de la défense constitue, dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, un principe fondamental du droit de l’Union [arrêts du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission e.a., C‑550/07 P, EU:C:2010:512, point 92, ainsi que du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire
des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 204].

53 Selon la juridiction de renvoi, il ressort des dispositions combinées de l’article 83a, paragraphe 1, ainsi que des articles 83b et 83f du Zann qu’une sanction pénale peut être infligée à une personne morale dans le cas où elle s’est enrichie ou est susceptible de s’enrichir à la suite d’une infraction imputée à une personne physique qui a le pouvoir de l’engager ou qui la représente, avant même que cette personne physique ait été définitivement condamnée au titre de cette infraction.

54 Par ailleurs, il ressort de la décision de renvoi que la juridiction saisie d’une proposition du procureur compétent d’imposer une sanction pécuniaire à une personne morale, en application de l’article 83a, paragraphe 1, du Zann, doit, conformément à l’article 83d, paragraphe 5, de cette loi, examiner l’affaire sur la base des seuls éléments visés à cette dernière disposition, à savoir, l’obtention d’un avantage illicite par la personne morale en cause, l’existence d’un lien entre l’auteur de
l’infraction et la personne morale, l’existence d’un lien entre l’infraction et l’avantage obtenu, ainsi que la nature et la valeur de l’avantage, si ce dernier est patrimonial. La juridiction de renvoi souligne que tous ces éléments sont fondés sur la prémisse qu’une infraction pénale a été commise et elle ajoute que la juridiction saisie de la proposition du procureur compétent n’est pas autorisée à contester le bien-fondé de cette prémisse, puisque ce n’est que dans le cadre de la procédure
pénale ouverte contre la personne physique que la question de savoir si une infraction pénale a été commise peut être traitée.

55 Enfin, il ne ressort nullement du dossier dont dispose la Cour que la personne morale disposerait d’un recours de pleine juridiction lui permettant de contester, à un stade ultérieur de la procédure ouverte contre elle, la réalité de l’existence d’une infraction.

56 En effet, si cette personne morale peut interjeter appel de sa condamnation, en vertu de l’article 83e du Zann, la juridiction statuant en appel n’apparaît pas non plus en mesure d’apprécier la réalité de ladite prémisse.

57 De même, ce n’est que dans certaines circonstances très particulières que la procédure ayant abouti à sanctionner pénalement la personne morale est susceptible d’être rouverte, conformément à l’article 83f de cette loi. Dès lors, sans même avoir à se prononcer sur le point de savoir si ces causes de réouverture confèrent à la juridiction saisie de l’affaire des compétences plus étendues que celles dont elle disposait lorsqu’elle a statué, en première instance ou en appel, il suffit de constater
qu’il s’agit d’une voie de recours exceptionnelle qui ne peut être exercée de plein droit par la personne morale condamnée pénalement en vertu des articles 83a et suivants de ladite loi.

58 Il s’ensuit que, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général aux points 50 et 52 de ses conclusions, la personne morale peut être sanctionnée pénalement, de manière définitive, en conséquence d’une infraction imputée à la personne physique qui a le pouvoir de l’engager ou de la représenter, sans que la juridiction compétente puisse apprécier la réalité de cette infraction et sans que la personne morale puisse faire valoir utilement ses observations à cet égard.

59 Une telle situation est de nature à porter une atteinte manifestement disproportionnée au principe de présomption d’innocence ainsi qu’aux droits de la défense, qui sont garantis à cette personne morale en vertu de l’article 48 de la Charte.

60 En effet, s’il est vrai que l’article 48 de la Charte ne s’oppose pas à ce qu’un État membre institue des présomptions de fait ou de droit, il appartient à cet État membre d’enserrer les présomptions qui figurent dans ses lois répressives dans des limites raisonnables, en prenant en compte la gravité de l’enjeu et en préservant les droits de la défense, sous peine de porter une atteinte disproportionnée au principe de présomption d’innocence consacré au paragraphe 1 de cet article (voir, en ce
sens, arrêt du 9 septembre 2021, Adler Real Estate e.a., C‑546/18, EU:C:2021:711, point 47).

61 De même, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que les États contractants peuvent notamment, sous certaines conditions, rendre punissable un fait matériel ou objectif considéré en soi. Toutefois, en matière pénale, la CEDH oblige ceux-ci à respecter un certain seuil. Ce seuil se trouve dépassé quand une présomption a pour effet de priver une personne de toute possibilité de se disculper par rapport aux faits mis à sa charge, la privant ainsi du bénéfice de l’article 6, paragraphe 2, de
la CEDH (voir, en ce sens, Cour EDH, 28 juin 2018, G.I.E.M s.r.l et autres c. Italie, CE:ECHR:2018:0628JUD000182806, § 243 et jurisprudence citée).

62 Or, comme il a été souligné au point 54 du présent arrêt, la juridiction appelée à sanctionner la personne morale n’est habilitée qu’à statuer sur certains éléments précis, sans pouvoir apprécier la réalité de l’infraction susceptible de fonder une telle sanction. Il s’ensuit que cette personne morale n’est pas en mesure d’exercer utilement ses droits de la défense, puisqu’elle ne peut contester la réalité de cette infraction et doit, en définitive, subir les conséquences de l’existence d’une
procédure distincte engagée contre la personne physique qui a le pouvoir de l’engager ou de la représenter.

63 Il importe, à cet égard, de rappeler que les droits de la défense ont un caractère subjectif, si bien que ce sont les parties concernées elles-mêmes qui doivent être en mesure de les exercer effectivement (arrêt du 9 septembre 2021, Adler Real Estate e.a., C‑546/18, EU:C:2021:711, point 59 ainsi que jurisprudence citée). D’ailleurs, une divergence d’intérêts entre la personne morale et la personne physique qui a le pouvoir de l’engager ou de la représenter ne peut nullement être exclue.

64 Une telle conclusion ne saurait être remise en cause par la possibilité, pour la personne morale, en vertu de l’article 83f du Zann, de demander la réouverture de la procédure en vue d’obtenir la décharge de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée, notamment, dans le cas où la personne physique qui a le pouvoir de l’engager ou de la représenter est disculpée des charges qui pesaient contre elle. En effet, ainsi qu’il a été relevé au point 55 du présent arrêt, une telle voie de recours ne
saurait être assimilée à un recours de pleine juridiction qui pourrait être exercé de plein droit par cette personne morale.

65 Par ailleurs, s’il est vrai que la procédure instaurée par les articles 83a et suivants du Zann permet de protéger les intérêts financiers de l’Union en assurant une correcte perception de la TVA, il n’en demeure pas moins qu’un tel objectif ne saurait justifier qu’il soit porté une atteinte disproportionnée aux garanties contenues à l’article 48 de la Charte (voir, par analogie, Cour EDH, du 23 novembre 2006, Jussila c. Finlande, CE:ECHR:2006:1123JUD007305301, § 36). Au demeurant, il n’est pas
établi qu’une procédure telle que celle en cause au principal serait nécessaire pour éviter un risque systémique d’impunité.

66 Il s’ensuit qu’une procédure telle que celle prévue aux articles 83a et suivants du Zann porte une atteinte manifestement disproportionnée aux droits consacrés à l’article 48 de la Charte.

67 Il résulte des considérations qui précèdent que l’article 48 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le juge national peut infliger à une personne morale une sanction pénale pour une infraction dont serait responsable une personne physique qui a le pouvoir d’engager ou de représenter cette personne morale, dans le cas où cette dernière n’a pas été mise en mesure de contester la réalité de cette infraction.

Sur la seconde question

68 Eu égard à la réponse à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

Sur les dépens

69 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

  L’article 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le juge national peut infliger à une personne morale une sanction pénale pour une infraction dont serait responsable une personne physique qui a le pouvoir d’engager ou de représenter cette personne morale, dans le cas où cette dernière n’a pas été mise en mesure de contester la réalité de cette infraction.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-203/21
Date de la décision : 10/11/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Okrazhen sad - Burgas.

Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2005/212/JAI – Applicabilité – Infliction d’une sanction pécuniaire à une personne morale pour le non-paiement de dettes fiscales – Notion de “confiscation” – Articles 48, 49 et 52 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Sanctions à caractère pénal – Principes de présomption d’innocence, de légalité et de proportionnalité des délits et des peines – Droits de la défense – Infliction d’une sanction pénale à une personne morale pour une infraction commise par le représentant de cette personne morale – Procédure pénale parallèle non clôturée contre ce représentant – Proportionnalité.

Coopération judiciaire en matière pénale

Droits fondamentaux

Relations extérieures

Charte des droits fondamentaux

Espace de liberté, de sécurité et de justice

Politique étrangère et de sécurité commune

Coopération policière


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : DELTA STROY 2003.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pikamäe
Rapporteur ?: Lycourgos

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:865

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