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29/09/2022 | CJUE | N°C-597/20

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Polskie Linie Lotnicze « LOT » SA contre Budapest Főváros Kormányhivatala., 29/09/2022, C-597/20


ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

29 septembre 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Transports aériens – Règlement (CE) no 261/2004 – Article 16 – Indemnisation et assistance des passagers – Mission de l’organisme national chargé de l’application dudit règlement – Réglementation nationale conférant à cet organisme le pouvoir d’enjoindre à un transporteur aérien le versement de l’indemnisation due à un passager – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 – Droit de recours devant un tribunal »<

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Dans l’affaire C‑597/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE,...

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

29 septembre 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Transports aériens – Règlement (CE) no 261/2004 – Article 16 – Indemnisation et assistance des passagers – Mission de l’organisme national chargé de l’application dudit règlement – Réglementation nationale conférant à cet organisme le pouvoir d’enjoindre à un transporteur aérien le versement de l’indemnisation due à un passager – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 – Droit de recours devant un tribunal »

Dans l’affaire C‑597/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), par décision du 27 octobre 2020, parvenue à la Cour le 12 novembre 2020, dans la procédure

Polskie Linie Lotnicze « LOT » S.A.

contre

Budapest Főváros Kormányhivatala,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M^me K. Jürimäe (rapporteure), présidente de chambre, MM. N. Jääskinen, M. Safjan, N. Piçarra et M. Gavalec, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. I. Illéssy, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 février 2022,

considérant les observations présentées :

–        pour Polskie Linie Lotnicze « LOT » S.A., par M^es S. Berecz et A. Csehó, ügyvédek,

–        pour la Budapest Főváros Kormányhivatala, par MM. G. Cziráky, conseiller juridique et G. Tóth, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement hongrois, par M^me Zs. Biró-Tóth et M. M. Z. Fehér, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement néerlandais, par M^me M. K. Bulterman et M. J. Hoogveld, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement polonais, par MM. B. Majczyna et J. Lachowicz, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. V. Bottka, L. Havas et K. Simonsson, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 28 avril 2022,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 16, paragraphes 1 et 2, du règlement (CE) n^o 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) n^o 295/91 (JO 2004, L 46, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le transporteur aérien Polskie Linie Lotnicze « LOT » S.A. (ci-après « LOT ») à la Budapest Főváros Kormányhivatala (division de la protection des consommateurs au sein de la préfecture de Budapest‑Capitale, Hongrie) (ci-après la « division de la protection des consommateurs ») au sujet de la décision par laquelle cette dernière a imposé à LOT le paiement de l’indemnisation prévue à l’article 7 du règlement n^o 261/2004.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les considérants 1, 2, 4, 21 et 22 du règlement n^o 261/2004 énoncent :

« (1)      L’action de la Communauté dans le domaine des transports aériens devrait notamment viser à garantir un niveau élevé de protection des passagers. Il convient en outre de tenir pleinement compte des exigences de protection des consommateurs en général.

(2)      Le refus d’embarquement et l’annulation ou le retard important d’un vol entraînent des difficultés et des désagréments sérieux pour les passagers.

[...]

(4)      La Communauté devrait, par conséquent, relever les normes de protection fixées par ledit règlement, à la fois pour renforcer les droits des passagers et pour faire en sorte que les transporteurs aériens puissent exercer leurs activités dans des conditions équivalentes sur un marché libéralisé.

[...]

(21)      Les États membres devraient définir le régime des sanctions applicables en cas de violation du présent règlement et veiller à ce qu’elles soient appliquées. Ces sanctions doivent être efficaces, proportionnées et dissuasives.

(22)      Les États membres devraient veiller à l’application générale par leurs transporteurs aériens du présent règlement, contrôler son application et désigner un organisme approprié chargé de le faire appliquer. Le contrôle ne devrait pas porter atteinte aux droits des passagers et des transporteurs de demander réparation auprès des tribunaux conformément aux procédures prévues par le droit national. »

4        L’article 5 de ce règlement, intitulé « Annulations », prévoit, à ses paragraphes 1 et 3 :

« 1.      En cas d’annulation d’un vol, les passagers concernés :

[...]

c)      ont droit à une indemnisation du transporteur aérien effectif conformément à l’article 7, à moins qu’ils soient informés de l’annulation du vol :

[...]

iii)      moins de sept jours avant l’heure de départ prévue si on leur offre un réacheminement leur permettant de partir au plus tôt une heure avant l’heure de départ prévue et d’atteindre leur destination finale moins de deux heures après l’heure d’arrivée prévue.

[...]

3.      Un transporteur aérien effectif n’est pas tenu de verser l’indemnisation prévue à l’article 7 s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. »

5        L’article 7 dudit règlement, intitulé « Droit à indemnisation », dispose, à son paragraphe 1 :

« Lorsqu’il est fait référence au présent article, les passagers reçoivent une indemnisation dont le montant est fixé à :

a)      250 euros pour tous les vols de 1 500 kilomètres ou moins ;

b)      400 euros pour tous les vols intracommunautaires de plus de 1 500 kilomètres et pour tous les autres vols de 1 500 à 3 500 kilomètres ;

c)      600 euros pour tous les vols qui ne relèvent pas des points a) ou b).

Pour déterminer la distance à prendre en considération, il est tenu compte de la dernière destination où le passager arrivera après l’heure prévue du fait du refus d’embarquement ou de l’annulation. »

6        L’article 12 du même règlement, intitulé « Indemnisation complémentaire », énonce, à son paragraphe 1 :

« Le présent règlement s’applique sans préjudice du droit d’un passager à une indemnisation complémentaire. L’indemnisation accordée en vertu du présent règlement peut être déduite d’une telle indemnisation. »

7        L’article 16 du règlement n^o 261/2004, intitulé « Violations », est ainsi libellé :

« 1.      Chaque État membre désigne un organisme chargé de l’application du présent règlement en ce qui concerne les vols au départ d’aéroports situés sur son territoire ainsi que les vols à destination de ces mêmes aéroports et provenant d’un pays tiers. Le cas échéant, cet organisme prend les mesures nécessaires au respect des droits des passagers. Les États membres notifient à la Commission l’organisme qui a été désigné en application du présent paragraphe.

2.      Sans préjudice de l’article 12, tout passager peut saisir tout organisme désigné en application du paragraphe 1, ou tout autre organisme compétent désigné par un État membre, d’une plainte concernant une violation du présent règlement survenue dans tout aéroport situé sur le territoire d’un État membre ou concernant tout vol à destination d’un aéroport situé sur ce territoire et provenant d’un pays tiers.

3.      Les sanctions établies par les États membres pour les violations du présent règlement sont efficaces, proportionnées et dissuasives. »

 Le droit hongrois

8        Aux termes de l’article 43/A, paragraphe 2, de l’a fogyasztóvédelemről szóló 1997. évi CLV. törvény (loi n^o CLV de 1997, relative à la protection des consommateurs), du 15 décembre 1997 (Magyar Közlöny 1997/119., p. 9558, ci-après la « loi sur la protection des consommateurs ») :

« L’autorité de protection des consommateurs est chargée de l’application – au besoin après consultation de l’autorité de l’aviation civile – du [règlement (UE) 2017/2394 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2017, sur la coopération entre les autorités nationales chargées de veiller à l’application de la législation en matière de protection des consommateurs et abrogeant le règlement (CE) n^o 2006/2004 (JO 2017, L 345, p. 1),] en cas d’infractions commises dans l’Union européenne aux
dispositions du règlement n^o 261/2004 ».

9        En vertu de l’article 47, paragraphe 1, points c) et i), de la loi sur la protection des consommateurs, l’autorité de protection des consommateurs dispose de la faculté d’obliger l’entreprise concernée à mettre fin dans un délai déterminé aux défaillances ou aux lacunes constatées ainsi que du pouvoir d’infliger une amende, dite de « protection des consommateurs ».

 Le litige au principal et la question préjudicielle

10      À la suite d’un retard de plus de trois heures de leur vol au départ de New-York (États-Unis d’Amérique) et à destination de Budapest (Hongrie), des passagers se sont adressés à la division de la protection des consommateurs afin que celle-ci impose à LOT, à titre de réparation pour la violation de l’article 5, paragraphe 1, sous c), du règlement n^o 261/2004, le paiement de l’indemnisation prévue à l’article 7 de ce règlement.

11      Par une décision du 20 avril 2020, cette division a constaté une violation, notamment, de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement n^o 261/2004 et a imposé à LOT le paiement d’une indemnisation d’un montant de 600 euros à chaque passager concerné.

12      Estimant que la division de la protection des consommateurs n’a pas la compétence d’imposer le paiement d’une telle indemnisation, LOT a contesté cette décision devant la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), à savoir la juridiction de renvoi dans la présente affaire.

13      En s’appuyant sur les conclusions de M. l’avocat général dans les affaires jointes Ruijssenaars e.a. (C‑145/15 et C‑146/15, EU:C:2016:12), LOT fait valoir que la relation entre un transporteur aérien et un passager est de nature civile. Dans ces circonstances, la pratique hongroise permettant à la division de la protection des consommateurs d’imposer aux transporteurs aériens le paiement d’une indemnisation sur le fondement du règlement n^o 261/2004 priverait les juridictions civiles
hongroises de leur compétence.

14      La division de la protection des consommateurs s’estime, en revanche, compétente en vertu de l’article 16, paragraphes 1 et 2, de ce règlement. Selon cette division, la loi sur la protection des consommateurs prévoit que c’est elle qui est chargée de l’application du règlement 2017/2394 en cas de violation des dispositions du règlement n^o 261/2004. Or, dans ce cadre, elle disposerait du pouvoir d’infliger une amende, dite de « protection des consommateurs ».

15      La juridiction de renvoi éprouve des doutes quant à la question de savoir si la division de la protection des consommateurs peut imposer à un transporteur aérien le paiement d’une indemnisation, au sens de l’article 7 du règlement n^o 261/2004, pour la violation des dispositions de celui-ci.

16      Selon cette juridiction, le dispositif de l’arrêt du 17 mars 2016, Ruijssenaars e.a. (C‑145/15 et C‑146/15, EU:C:2016:187), ne permet pas de déterminer si la Cour s’est écartée de l’interprétation de l’article 16 du règlement n^o 261/2004 proposée par M. l’avocat général dans ses conclusions dans les affaires ayant donné lieu à cet arrêt. Selon cette interprétation, un organisme national saisi d’une plainte individuelle d’un passager aérien ne pourrait pas adopter de mesures coercitives à
l’égard du transporteur aérien concerné afin de le contraindre à verser l’indemnisation qui serait due à ce passager en vertu de ce règlement.

17      Elle estime, par ailleurs, que cet arrêt n’est pas directement transposable dans le cadre de l’affaire au principal. En effet, en Hongrie, à la différence de la situation en cause dans ledit arrêt, la division de la protection des consommateurs impose systématiquement aux transporteurs aériens de verser l’indemnisation prévue par le règlement n^o 261/2004, même s’il est possible de saisir également les juridictions civiles.

18      Toutefois, la juridiction de renvoi précise que si la division de la protection des consommateurs dispose d’une compétence générale pour connaître des infractions aux dispositions du règlement n^o 261/2004, il n’existerait pas de disposition spécifique dans la réglementation hongroise permettant à cette division d’adopter des mesures coercitives visant à l’indemnisation des passagers en cas de non-respect de ce règlement.

19      C’est dans ces conditions que la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 16, paragraphes 1 et 2, du règlement [n^o 261/2004] doit-il être interprété en ce sens qu’un organisme national chargé de l’application [de ce] règlement qui a été saisi de plaintes individuelles de la part de passagers ne peut pas obliger le transporteur aérien concerné à accorder l’indemnisation due aux passagers en vertu [dudit] règlement ? »

 Sur la question préjudicielle

20      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 16 du règlement n^o 261/2004 doit être interprété en ce sens qu’un organisme national chargé de l’application de ce règlement peut obliger un transporteur aérien à verser l’indemnisation, au sens de l’article 7 dudit règlement, due aux passagers en vertu du même règlement, lorsque cet organisme national a été saisi d’une plainte individuelle d’un passager.

21      Selon une jurisprudence constante de la Cour, aux fins de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie.

22      En ce qui concerne, en premier lieu, le libellé de l’article 16 du règlement n^o 261/2004, il ressort des termes du paragraphe 1 de cet article que chaque État membre est tenu de désigner un organisme chargé de l’application dudit règlement en ce qui concerne les vols au départ d’aéroports situés sur son territoire ainsi que les vols à destination des mêmes aéroports et provenant d’un pays tiers, cet organisme prenant, le cas échéant, les mesures nécessaires au respect des droits des
passagers.

23      L’article 16, paragraphe 2, du règlement n^o 261/2004 précise, quant à lui, que tout passager peut saisir tout organisme désigné en application du paragraphe 1 de cet article, ou tout autre organisme compétent désigné par un État membre, d’une plainte concernant une violation de ce règlement survenue dans tout aéroport situé sur le territoire d’un État membre ou concernant tout vol à destination d’un aéroport situé sur ce territoire et provenant d’un pays tiers.

24      Eu égard au libellé de ces dispositions, la Cour a jugé que les plaintes visées à l’article 16, paragraphe 2, du règlement n^o 261/2004 doivent être considérées plutôt comme des signalements censés contribuer à la bonne application de ce règlement en général, sans qu’il soit imposé à l’organisme désigné d’agir à la suite de telles plaintes afin de garantir le droit de chaque passager individuel à obtenir une indemnisation (arrêt du 17 mars 2016, Ruijssenaars e.a., C‑145/15 et C‑146/15,
EU:C:2016:187, point 31).

25      De même, s’agissant de la notion de « sanctions » contenue à l’article 16, paragraphe 3, dudit règlement, la Cour a estimé, à la lumière du considérant 21 du même règlement, qu’elle désignait les mesures prises en réaction aux violations que l’organisme relève dans l’exercice de sa surveillance de caractère général prévue à l’article 16, paragraphe 1, du règlement n^o 261/2004, et non les mesures coercitives administratives devant être prises dans chaque cas individuel (arrêt du 17 mars
2016, Ruijssenaars e.a., C‑145/15 et C‑146/15, EU:C:2016:187, point 32).

26      Toutefois, il convient de constater que rien dans le libellé de l’article 16 du règlement n^o 261/2004 ne fait interdiction à un État membre d’attribuer une telle compétence coercitive à un organisme chargé de l’application de ce règlement. En revanche, comme le relève M. l’avocat général au point 36 de ses conclusions, il découle des termes de cet article que les États membres disposent d’une marge de manœuvre concernant les compétences qu’ils souhaitent conférer à leurs organismes
nationaux aux fins de la défense des droits des passagers.

27      Au demeurant, la Cour a indiqué que, compte tenu, notamment, de la marge de manœuvre dont disposent les États membres dans l’attribution des compétences qu’ils souhaitent conférer aux organismes visés à l’article 16, paragraphe 1, du règlement n^o 261/2004, les États membres ont la faculté, afin de pallier une insuffisance de protection des droits des passagers aériens, d’habiliter de tels organismes à adopter des mesures à la suite de plaintes individuelles (voir, en ce sens, arrêt du
17 mars 2016, Ruijssenaars e.a., C‑145/15 et C‑146/15, EU:C:2016:187, point 36).

28      En deuxième lieu, le contexte dans lequel s’inscrit l’article 16 du règlement n^o 261/2004 milite également en faveur d’une telle interprétation.

29      À cet égard, il ressort de l’article 12 et de l’article 16, paragraphe 2, de ce règlement, lus à la lumière du considérant 22 dudit règlement, que la seule limite à la compétence des organismes désignés pour assurer l’application du même règlement est le droit des passagers aériens de solliciter devant un tribunal une indemnisation complémentaire à l’indemnisation forfaitaire prévue à l’article 7 du règlement n^o 261/2004.

30      Si les montants forfaitaires fixés à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n^o 261/2004 constituent une indemnisation standardisée et immédiate de nature à éviter les inconvénients inhérents à la mise en œuvre d’actions en dommages et intérêts devant les juridictions compétentes, l’indemnisation complémentaire envisagée à l’article 12 de ce règlement vise un préjudice propre au passager aérien concerné et qui a vocation à être apprécié individuellement et a posteriori (voir, en ce sens,
arrêt du 29 juillet 2019, Rusu, C‑354/18, EU:C:2019:637, points 28 et 36).

31      En revanche, les montants forfaitaires énoncés à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n^o 261/2004 ne visent à indemniser que des préjudices quasiment identiques pour tous les passagers concernés (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2019, Rusu, C‑354/18, EU:C:2019:637, point 30 et jurisprudence citée).

32      La détermination de ces montants ne nécessite pas d’appréciation individuelle de l’ampleur des dommages causés dans la mesure où, d’une part, le montant de l’indemnisation forfaitaire prévue à l’article 7 du règlement no 261/2004 est calculé en fonction de la distance couverte par le vol concerné, compte tenu de la dernière destination du passager (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2017, Bossen e.a., C‑559/16, EU:C:2017:644, point 17) et où, d’autre part, la durée du retard effectif à
l’arrivée au-delà de trois heures n’est pas prise en compte pour le calcul de ce montant (voir, en sens, arrêt du 23 octobre 2012, Nelson e.a., C‑581/10 et C‑629/10, EU:C:2012:657, point 54).

33      Ainsi, comme l’a souligné M. l’avocat général au point 46 de ses conclusions, tant les passagers que les transporteurs peuvent aisément identifier le montant de l’indemnisation due. Il en va de même, a fortiori, pour les organismes désignés sur le fondement de l’article 16, paragraphe 1, du règlement n^o 261/2004.

34      Par ailleurs, si réserver le contentieux lié à l’indemnisation au titre de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n^o 261/2004 aux seules juridictions permet de parer, s’agissant de l’appréciation d’une même situation individuelle, à toute divergence d’appréciation préjudiciable aux droits des passagers aériens entre, d’une part, les organismes visés à l’article 16, paragraphe 1, du règlement n^o 261/2004 et, d’autre part, les juridictions nationales saisies de recours individuels (voir, en
ce sens, arrêt du 17 mars 2016, Ruijssenaars e.a., C‑145/15 et C‑146/15, EU:C:2016:187, point 34), un tel risque peut également être pallié grâce à une articulation adéquate des procédures administratives et judiciaires.

35      Comme M. l’avocat général l’a souligné au point 51 de ses conclusions, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, c’est à l’ordre juridique interne de chaque État membre qu’il appartient de régler les modalités procédurales nécessaires à cette fin.

36      Cela étant, la reconnaissance d’une compétence coercitive dans le chef de l’organisme national visé à l’article 16, paragraphe 1, du règlement n^o 261/2004 ne saurait, en tout état de cause, priver ni les passagers ni les transporteurs aériens de la possibilité d’introduire un recours juridictionnel devant le juge national compétent (voir, en ce sens, pour les passagers, arrêt du 22 novembre 2012, Cuadrench Moré, C‑139/11, EU:C:2012:741, point 23).

37      La demande d’indemnisation d’un passager aérien au titre de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n^o 261/2004 étant la mise en œuvre d’un droit garanti par le droit de l’Union, l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne reconnaît à un tel passager le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal, lequel a la possibilité, le cas échéant, d’interroger la Cour à titre préjudiciel sur le fondement de l’article 267 TFUE. De même, un transporteur aérien
doit pouvoir introduire un recours en justice contre la décision par laquelle l’organisme national visé à l’article 16, paragraphe 1, du règlement n^o 261/2004, qui a été saisi d’une plainte individuelle de la part d’un passager, l’a obligé à verser l’indemnisation due audit passager en vertu de ce règlement.

38      En troisième lieu, l’interprétation de l’article 16 du règlement n^o 261/2004, figurant aux points précédents, est confortée par les objectifs poursuivis par ce règlement, tels qu’ils sont énoncés à ses considérants 1, 2 et 4. Il s’agit, d’une part, de l’objectif qui consiste à garantir un niveau élevé de protection des passagers tout en tenant pleinement compte des exigences de protection des consommateurs en général et, d’autre part, de celui qui vise à renforcer les droits des passagers
en atténuant les difficultés et les désagréments occasionnés par les retards importants ou les annulations de vols.

39      Or, l’objectif spécifique de l’indemnisation forfaitaire accordée en vertu du règlement n^o 261/2004 vise précisément à remédier, de manière immédiate et standardisée, au préjudice consistant en une perte de temps égale ou supérieure à trois heures sous-jacente à un tel retard, qui constitue un « désagrément » au sens de ce règlement, sans que les passagers concernés aient à supporter les inconvénients inhérents à la mise en œuvre d’actions juridictionnelles en dommages et intérêts (voir, en
ce sens, arrêt du 29 juillet 2019, Rusu, C‑354/18, EU:C:2019:637, point 28).

40      Conférer une compétence coercitive à un organisme national désigné sur le fondement de l’article 16, paragraphe 1, dudit règlement concourt assurément à ce que les passagers n’aient pas à supporter les inconvénients inhérents à la mise en œuvre d’actions juridictionnelles. Une telle compétence permet, pour les raisons de simplicité, de rapidité et d’efficacité, mentionnées par M. l’avocat général au point 48 de ses conclusions, de garantir un niveau élevé de protection des passagers aériens,
tout en évitant l’engorgement des tribunaux au regard du nombre potentiellement élevé de demandes d’indemnisation.

41      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 16 du règlement n^o 261/2004 doit être interprété en ce sens que les États membres ont la faculté d’habiliter l’organisme national chargé de l’application de ce règlement à obliger un transporteur aérien à verser l’indemnisation, au sens de l’article 7 dudit règlement, due aux passagers en vertu du même règlement, lorsque cet organisme national a été saisi d’une plainte
individuelle d’un passager, sous réserve qu’une possibilité de recours juridictionnel soit ouverte à ce passager et audit transporteur aérien.

 Sur les dépens

42      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

L’article 16 du règlement (CE) n^o 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) n^o 295/91,

doit être interprété en ce sens que :

les États membres ont la faculté d’habiliter l’organisme national chargé de l’application de ce règlement à obliger un transporteur aérien à verser l’indemnisation, au sens de l’article 7 dudit règlement, due aux passagers en vertu du même règlement, lorsque cet organisme national a été saisi d’une plainte individuelle d’un passager, sous réserve qu’une possibilité de recours juridictionnel soit ouverte à ce passager et audit transporteur aérien.

Signatures

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*      Langue de procédure : le hongrois.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-597/20
Date de la décision : 29/09/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par la Fővárosi Törvényszék.

Renvoi préjudiciel – Transports aériens – Règlement (CE) no 261/2004 – Article 16 – Indemnisation et assistance des passagers – Mission de l’organisme national chargé de l’application dudit règlement – Réglementation nationale conférant à cet organisme le pouvoir d’enjoindre à un transporteur aérien le versement de l’indemnisation due à un passager – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 – Droit de recours devant un tribunal.

Transports


Parties
Demandeurs : Polskie Linie Lotnicze « LOT » SA
Défendeurs : Budapest Főváros Kormányhivatala.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Jürimäe

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:735

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