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29/09/2022 | CJUE | N°C-3/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, FS contre The Chief Appeals Officer e.a., 29/09/2022, C-3/21


ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

29 septembre 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale des travailleurs migrants – Règlement (CE) no 883/2004 – Coordination des systèmes de sécurité sociale – Prestations familiales – Paiement rétroactif – Déménagement du bénéficiaire dans un autre État membre – Article 81 – Notion de “demande” – Article 76, paragraphe 4 – Obligation mutuelle d’information et de coopération – Non-respect – Délai de prescription de douze mois – Principe d’effectivité »
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ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Hig...

ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

29 septembre 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale des travailleurs migrants – Règlement (CE) no 883/2004 – Coordination des systèmes de sécurité sociale – Prestations familiales – Paiement rétroactif – Déménagement du bénéficiaire dans un autre État membre – Article 81 – Notion de “demande” – Article 76, paragraphe 4 – Obligation mutuelle d’information et de coopération – Non-respect – Délai de prescription de douze mois – Principe d’effectivité »

Dans l’affaire C‑3/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la High Court (Haute Cour, Irlande), par décision du 30 novembre 2020, parvenue à la Cour le 4 janvier 2021, dans la procédure

FS

contre

The Chief Appeals Officer,

The Social Welfare Appeals Office,

The Minister for Employment Affairs,

The Minister for Social Protection,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. J. Passer, président de chambre, MM. F. Biltgen (rapporteur) et N. Wahl, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour FS, par M. S. Kirwan, solicitor, M^me A. McMahon, BL, et M. D. Shortall, SC,

–        pour The Chief Appeals Officer, The Social Welfare Appeals Office, The Minister for Employment Affairs et The Minister for Social Protection, par M^me M. Browne, M. A. Joyce, M^me J. Quaney, en qualité d’agents, assistés de M^me K. Binchy, barrister, et M^me C. Donnelly, SC,

–        pour le gouvernement tchèque, par MM. J. Pavliš, M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. B.-R. Killmann et D. Martin, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 76, paragraphe 4, et de l’article 81 du règlement (CE) n^o 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la requérante au principal, FS, au Chief Appeals Officer (directeur de l’office des recours en matière de protection sociale, Irlande), au Social Welfare Appeals Office (office des recours en matière de protection sociale, Irlande), au Minister for Employment Affairs (ministre de l’Emploi) et au Minister for Social Protection (ministre de la Protection sociale) au sujet du rejet d’une demande de paiement rétroactif
d’allocations familiales introduite par FS.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 76, paragraphes 4 et 5, du règlement n^o 883/2004, intitulé « Coopération », dispose :

« 4.      Les institutions et les personnes couvertes par le présent règlement sont tenues à une obligation mutuelle d’information et de coopération pour assurer la bonne application du présent règlement.

Les institutions, conformément au principe de bonne administration, répondent à toutes les demandes dans un délai raisonnable et communiquent, à cet égard, aux personnes concernées toute information nécessaire pour faire valoir les droits qui leur sont conférés par le présent règlement.

Les personnes concernées sont tenues d’informer dans les meilleurs délais les institutions de l’État membre compétent et de l’État membre de résidence de tout changement dans leur situation personnelle ou familiale ayant une incidence sur leurs droits aux prestations prévues par le présent règlement.

5.      Le non-respect de l’obligation d’information prévue au paragraphe 4, troisième alinéa, peut faire l’objet de mesures proportionnées conformément au droit national. Toutefois, ces mesures doivent être équivalentes à celles applicables à des situations similaires relevant de l’ordre juridique interne et ne doivent pas dans la pratique rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux intéressés par le présent règlement. »

4        L’article 81 de ce règlement, intitulé « Demandes, déclarations ou recours », prévoit :

« Les demandes, déclarations ou recours qui auraient dû être introduits, en application de la législation d’un État membre, dans un délai déterminé auprès d’une autorité, d’une institution ou d’une juridiction de cet État membre sont recevables s’ils sont introduits dans le même délai auprès d’une autorité, d’une institution ou d’une juridiction correspondante d’un autre État membre. Dans ce cas, l’autorité, l’institution ou la juridiction ainsi saisie transmet sans délai ces demandes, déclarations
ou recours à l’autorité, à l’institution ou à la juridiction compétente du premier État membre, soit directement, soit par l’intermédiaire des autorités compétentes des États membres concernés. La date à laquelle ces demandes, déclarations ou recours ont été introduits auprès d’une autorité, d’une institution ou d’une juridiction du second État membre est considérée comme la date d’introduction auprès de l’autorité, de l’institution ou de la juridiction compétente pour en connaître. »

 Le droit irlandais

5        L’article 220 du Social Welfare Consolidation Act 2005 (loi consolidée de 2005 sur la protection sociale), du 27 novembre 2005, dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi de 2005 »), prévoit que la personne avec laquelle un enfant à charge réside normalement a droit aux allocations familiales pour cet enfant et est désignée par l’expression « personne qualifiée ».

6        L’article 241, paragraphe 1, de cette loi énonce que le droit à prestation est subordonné à la présentation d’une demande en bonne et due forme.

7        En vertu de l’article 182, sous k), du Social Welfare (Consolidated Claims, Payment and Control) Regulations 2007 (S. I. N^o 142 of 2007) – Prescribed time for making claim [Règlement de 2007 portant dispositions consolidées relatives aux demandes, paiements et contrôles en matière de protection sociale (Acte de législation dérivée n^o 142 de 2007) – Prescription du délai d’introduction des demandes], dans sa version applicable au litige au principal, s’agissant des demandes d’allocations
familiales, le délai prescrit est de douze mois à compter de la date à laquelle l’intéressé remplit les conditions d’éligibilité fixées à l’article 220 et devient personne qualifiée.

8        L’article 241, paragraphe 4, de la loi de 2005 précise, en substance, que quiconque n’a pas introduit de demande d’allocations familiales dans le délai prescrit perd tout droit au paiement rétroactif de prestations dues antérieurement à la date d’introduction de la demande, à moins que l’agent compétent pour l’examen initial de la demande ou l’examen d’un recours relatif à cette demande ne constate que l’introduction tardive de la demande est justifiée par des raisons valables. Dans ce
dernier cas, les allocations familiales sont dues à partir du premier jour du mois suivant celui au cours duquel le demandeur est devenu une personne qualifiée, au sens de l’article 220 de cette loi.

9        L’article 301 de ladite loi dispose, notamment, qu’un agent compétent pour l’examen initial d’une demande peut, à tout moment, réviser une décision d’un autre agent compétent, lorsqu’un changement de circonstances pertinent intervient après cette décision.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

10      La requérante au principal, ressortissante roumaine, s’est mariée au cours de l’année 2012 en Roumanie, où elle a donné naissance à un enfant au mois de décembre 2015.

11      Elle a présenté une demande en vue de l’obtention d’allocations familiales dans cet État membre, lesquelles lui ont été accordées à partir du mois de décembre 2015 ou de celui de janvier 2016.

12      Au mois d’octobre 2016, l’époux de la requérante au principal a déménagé en Irlande pour y travailler en tant qu’agent dans un établissement de santé. Il n’a pas introduit de demande visant à obtenir des allocations familiales dans cet État membre. Lorsque, à la fin de l’année 2016, la requérante au principal et leur enfant l’ont rejoint en Irlande, celle-ci n’a pas non plus présenté de demande en ce sens dans cet État membre, mais a continué à percevoir les allocations familiales roumaines.

13      Le 10 janvier 2018, la requérante au principal a introduit, auprès des autorités compétentes irlandaises, une demande en vue d’obtenir des allocations familiales irlandaises.

14      Conformément au droit social irlandais, cette demande a été qualifiée de tardive, étant donné qu’elle avait été introduite plus de douze mois après la date à laquelle la requérante au principal ou son époux s’étaient installés en Irlande. Selon ce droit, une telle demande ne peut donner lieu à un paiement rétroactif d’allocations familiales que si le demandeur fait état de motifs justifiant l’introduction tardive de sa demande. Selon une pratique constante, ne constitue toutefois pas un tel
motif la méconnaissance, par un demandeur, du droit de demander des allocations familiales.

15      En l’occurrence, comme la requérante au principal n’avait indiqué aucun motif de justification, les autorités compétentes irlandaises ont estimé qu’elle n’avait pas demandé spécifiquement un paiement rétroactif et que, partant, il n’y avait pas lieu de lui accorder un tel paiement.

16      Ainsi, la demande d’allocations familiales introduite par la requérante au principal auprès de ces autorités a été acceptée par ces dernières au mois de février 2018 et le versement des allocations familiales roumaines a cessé approximativement au même moment.

17      Le 13 août 2018, la requérante au principal a demandé le réexamen de la décision desdites autorités sur le fondement de l’article 301 de la loi de 2005, en faisant valoir qu’un paiement rétroactif aurait dû être envisagé dans son cas. Cette demande de réexamen a été rejetée le 22 août 2018.

18      Le recours introduit le 29 août 2018 par la requérante au principal devant l’office des recours en matière de protection sociale ayant été rejeté le 12 février 2019, celle-ci a introduit, le 10 mai 2019, un recours contre cette décision de rejet devant la juridiction de renvoi.

19      Tout d’abord, cette juridiction relève, sans toutefois souscrire à cette approche, que, selon la requérante au principal, le fait d’être bénéficiaire d’allocations familiales roumaines constituait une demande au sens de l’article 81 du règlement n^o 883/2004, au motif que la demande « active » en Roumanie aurait dû être considérée comme étant une demande aux fins de l’obtention d’allocations familiales irlandaises en application de cet article 81, à compter du moment où l’Irlande est devenue
l’État membre compétent.

20      Ensuite, ladite juridiction s’interroge sur l’applicabilité de l’article 76 du règlement n^o 883/2004 au litige dont elle est saisie, la requérante au principal faisant valoir que le non-respect de l’obligation prévue à cet article n’a pas pour effet d’écarter les dispositions de l’article 81 de ce règlement. L’obligation de traiter une demande serait indépendante de cette obligation, dès lors que la Cour aurait jugé qu’un défaut d’information n’était pas nécessairement de nature à
compromettre la continuité de la couverture d’assurance sociale.

21      La juridiction de renvoi estime, enfin, que, dans la mesure où la requérante au principal a manqué à son obligation de notifier les changements pertinents de sa situation, il y a lieu d’appliquer des mesures proportionnées en vertu du droit national, qui ne rendent pas, en pratique, impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux intéressés par ledit règlement.

22      C’est dans ces conditions que la High Court (Haute Cour, Irlande) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La notion de “demande” au sens de l’article 81 du règlement n^o 883/2004 inclut-elle le fait de bénéficier de façon continue d’une prestation versée périodiquement par un premier État membre (alors que cette prestation serait normalement due par un second État membre), à chaque fois que cette prestation est versée, même après la demande initiale et la décision initiale d’octroi de la prestation par le premier État membre ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, dans l’hypothèse où une prestation de sécurité sociale est demandée erronément dans l’État membre d’origine alors qu’elle aurait dû l’être dans un second État membre, l’obligation qui incombe au second État membre en application de l’article 81 du règlement n^o 883/2004 (et plus spécialement l’obligation de considérer comme recevable, dans ce second État membre, une demande présentée dans l’État membre d’origine) doit-elle être
interprétée comme une obligation totalement indépendante de l’obligation de l’auteure de la demande de fournir des informations correctes quant à son lieu de résidence, en application de l’article 76, paragraphe 4, du règlement n^o 883/2004, de sorte qu’une demande présentée erronément à l’État membre d’origine doit être admise par le second État membre comme étant recevable aux fins dudit article 81, indépendamment du fait que l’intéressée n’a pas fourni les informations correctes quant à son lieu
de résidence, conformément à l’article 76, paragraphe 4, [de ce règlement] dans le délai légal prescrit dans le second État membre pour présenter une demande ?

3)      Résulte-t-il du principe général d’effectivité du droit de l’Union que, dans des circonstances telles que celles de la présente procédure (en particulier lorsque la ressortissante d’un pays de l’Union [européenne] exerçant ses droits de libre circulation n’a pas respecté son obligation, découlant de l’article 76, paragraphe 4, de notifier aux autorités de sécurité sociale de l’État membre d’origine son changement de pays de résidence), l’accès aux droits conférés par le droit de l’Union est
privé d’effet par l’application d’une disposition du droit national de l’État membre dans lequel le droit de libre circulation est exercé, selon laquelle, pour bénéficier de l’effet rétroactif des demandes d’allocations familiales, un ressortissant de l’Union est tenu de présenter une telle demande d’allocation, dans le second État membre, dans le délai de douze mois prescrit par le droit interne de cet État membre ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

23      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 81 du règlement n^o 883/2004 doit être interprété en ce sens que la notion de « demande », au sens de cet article, vise uniquement la demande initiale introduite en application de la législation d’un État membre par une personne ayant, par la suite, fait usage de son droit à la libre circulation, ou s’il vise également une demande « continue », intervenant lors du versement périodique, par les autorités
compétentes de cet État membre, d’une prestation normalement due, au moment de ce versement, par un autre État membre.

24      S’agissant de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie, la genèse de cette disposition pouvant également revêtir des éléments pertinents pour son interprétation (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, Inspecteur van de Belastingdienst, C‑631/17,
EU:C:2019:381, point 29 et jurisprudence citée).

25      En l’occurrence, la Cour a déjà jugé, s’agissant de l’article 83 du règlement n^o 4 du Conseil, du 3 décembre 1958, fixant les modalités d’application et complétant les dispositions du règlement n^o 3 concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants (JO 1958, 30, p. 597), dont le contenu est, en substance, équivalent à celui de l’article 81 du règlement n^o 883/2004, qu’il ressort du libellé de cet article 83 qu’il concerne le dépôt des demandes présentées par les travailleurs
migrants (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 1982, Camera, 92/81, EU:C:1982:219, point 7).

26      En effet, l’article 81 du règlement n^o 883/2004 a pour objectif de faciliter la circulation des travailleurs migrants, en simplifiant, d’un point de vue administratif, leurs démarches, étant donné la complexité des procédures administratives existant dans les différents États membres, et d’éviter que, pour des raisons de pur formalisme, les intéressés puissent être privés de leurs droits. Ainsi, en vertu de cet article, le dépôt d’une demande auprès d’une autorité, d’une institution ou
d’une juridiction d’un État membre autre que l’État membre appelé à servir la prestation a les mêmes effets que si cette demande avait été directement présentée à l’autorité compétente de ce dernier État membre [voir, en ce sens, s’agissant de l’article 83 du règlement n^o 4, arrêt du 10 juin 1982, Camera, 92/81, EU:C:1982:219, point 7, et, s’agissant de l’article 86 du règlement (CEE) n^o 1408/71, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et
à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (JO 1971, L 149, p. 2), arrêt du 27 mai 1982, Aubin, 227/81, EU:C:1982:209, point 23].

27      Il en découle que l’article 81 du règlement n^o 883/2004 est appelé à s’appliquer lorsqu’une demande en vue de l’obtention d’allocations familiales est introduite par un travailleur migrant auprès des autorités d’un État membre qui n’est pas compétent pour en connaître en vertu des règles de conflit prévues par ce règlement.

28      En revanche, lorsqu’une demande visant à obtenir des allocations familiales est introduite auprès des autorités d’un État membre en vertu du seul droit national de ce dernier et que la situation du bénéficiaire se cantonne à l’intérieur de cet État membre, cette demande ne relève pas du champ d’application du règlement n^o 883/2004 et ne peut donc pas être considérée comme constituant une « demande », au sens de l’article 81 de ce règlement.

29      En l’occurrence, force est de constater que, au moment de l’introduction de la demande initiale d’allocations familiales en Roumanie, la situation familiale de la requérante au principal ne présentait aucun élément d’extranéité et les autorités roumaines étaient seules compétentes pour connaître de cette demande.

30      Ce n’est qu’à partir du moment où la requérante au principal a transféré son domicile en Irlande que celle-ci a relevé du champ d’application personnel du règlement n^o 883/2004 et que, par conséquent, les règles de conflit prévues par ce dernier sont devenues applicables à son égard.

31      Cependant, il ne saurait être admis que, en l’absence de toute démarche administrative de la personne intéressée, le fait de continuer à percevoir une prestation périodique de la part des autorités d’un État membre puisse être assimilé à une « demande », au sens de l’article 81 du règlement n^o 883/2004.

32      En effet, une telle interprétation ne serait pas cohérente avec l’objectif de l’article 81 du règlement n^o 883/2004, qui consiste précisément, ainsi qu’il ressort du point 26 du présent arrêt, à simplifier les démarches administratives des intéressés au regard de la complexité des procédures existant dans les différents États membres.

33      À cet égard, il importe de relever que le système de transmission des demandes, déclarations ou recours instauré par l’article 81 du règlement n^o 883/2004, en vertu duquel les autorités d’un État membre qui n’est pas compétent en vertu des règles de conflit prévues par ce règlement transmettent sans délai les demandes, déclarations ou recours dont elles sont saisies aux autorités de l’État membre compétent, est subordonné au respect, par les institutions et les personnes concernées, de
l’obligation mutuelle d’information et de coopération leur incombant.

34      Il ressort, en particulier, de l’article 76, paragraphe 4, du règlement n^o 883/2004 que, si les autorités sont tenues de répondre à toutes les demandes dans un délai raisonnable et de fournir aux personnes concernées toute information nécessaire pour faire valoir les droits qui leur sont conférés par ce règlement, ces personnes sont, quant à elles, tenues d’informer dans les meilleurs délais les institutions de l’État membre compétent et de l’État membre de résidence de tout changement dans
leur situation personnelle ou familiale ayant une incidence sur leurs droits aux prestations prévues par ledit règlement.

35      Par ailleurs, une interprétation de la notion de « demande » qui ferait abstraction de toute démarche administrative de la personne intéressée mettrait les autorités saisies dans l’impossibilité de se conformer aux obligations découlant tant de l’article 76 que de l’article 81 du règlement n^o 883/2004, dès lors qu’elles ne pourraient déterminer ni le moment auquel il convient de transmettre les informations, demandes, déclarations ou recours concernés, ni les autorités auxquelles ceux-ci
doivent être transmis.

36      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 81 du règlement n^o 883/2004 doit être interprété en ce sens que la notion de « demande », au sens de cet article, vise uniquement la demande introduite, par une personne ayant fait usage de son droit à la libre circulation, auprès des autorités d’un État membre qui n’est pas compétent en vertu des règles de conflit prévues par ce règlement. Dès lors, cette notion n’inclut ni la demande initiale
introduite en application de la législation d’un État membre par une personne n’ayant pas encore fait usage de son droit à la libre circulation, ni le versement périodique, par les autorités de cet État membre, d’une prestation normalement due, au moment de ce versement, par un autre État membre.

 Sur la deuxième question

37      Eu égard à la réponse donnée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question.

 Sur la troisième question

38      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union, et plus particulièrement le principe d’effectivité, s’oppose à l’application d’une réglementation nationale qui soumet l’effet rétroactif d’une demande d’allocations familiales à un délai de prescription de douze mois.

39      À cet égard, il convient de rappeler que le droit de l’Union ne porte pas atteinte à la compétence dont disposent les États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale et qu’il appartient à la législation de chaque État membre de déterminer les conditions d’octroi des prestations de sécurité sociale, le montant et la durée d’octroi de celles-ci ainsi que les délais pour introduire les demandes en vue de l’obtention de ces prestations (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2010,
Xhymshiti, C‑247/09, EU:C:2010:698, point 43). Ces conditions doivent néanmoins respecter le droit de l’Union et ne peuvent avoir pour effet d’exclure du champ d’application d’une législation nationale les personnes auxquelles, en vertu du règlement n^o 883/2004, cette même législation est applicable (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2015, Fischer-Lintjens, C‑543/13, EU:C:2015:359, point 49).

40      En l’occurrence, il importe de relever que le délai de prescription prévu par la législation irlandaise n’a pas pour effet d’exclure les intéressés du bénéfice des allocations familiales, mais réduit uniquement leur droit à un paiement rétroactif lorsqu’ils n’en font pas la demande dans un délai de douze mois à compter de la date à laquelle les conditions d’éligibilité à l’obtention de ces allocations sont remplies.

41      Ainsi, il n’est pas exclu que, dans l’hypothèse où la requérante au principal aurait déclaré aux autorités roumaines ou aux autorités irlandaises son changement de domicile dans les meilleurs délais, elle aurait pu bénéficier d’un paiement rétroactif des allocations familiales irlandaises.

42      En effet, ainsi qu’il ressort du point 34 du présent arrêt, conformément à l’article 76, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement n^o 883/2004, toute personne bénéficiaire d’une prestation sociale doit informer les institutions de l’État membre compétent et celles de l’État membre de résidence dans les meilleurs délais de tout changement dans sa situation personnelle ou familiale susceptible d’avoir une incidence sur ses droits aux prestations prévues par ce règlement.

43      À cet égard, la Cour a déjà jugé que le non-respect de l’obligation d’information prévue à cette disposition peut uniquement entraîner, conformément à l’article 76, paragraphe 5, de ce règlement, l’application de mesures proportionnées conformément au droit national qui doivent, d’une part, être équivalentes à celles applicables à des situations similaires relevant de l’ordre juridique interne (principe d’équivalence) et, d’autre part, ne pas rendre en pratique impossible ou excessivement
difficile l’exercice des droits conférés aux intéressés par ledit règlement (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2015, Fischer-Lintjens, C‑543/13, EU:C:2015:359, point 57).

44      Ainsi que la juridiction de renvoi le souligne, dès lors que la partie requérante au principal n’a pas invoqué une violation du principe d’équivalence, la Cour n’est pas appelée à analyser ce dernier dans le cadre de la présente affaire.

45      En ce qui concerne le principe d’effectivité, il est de jurisprudence constante que la fixation de délais raisonnables à peine de forclusion satisfait, en principe, à l’exigence d’effectivité, en ce qu’elle constitue une application du principe fondamental de la sécurité juridique, qui protège à la fois l’intéressé et l’administration concernée. En effet, de tels délais ne sont pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par
l’ordre juridique de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 15 avril 2010, Barth, C‑542/08, EU:C:2010:193, point 28, et du 8 juillet 2010, Bulicke, C‑246/09, EU:C:2010:418, point 36).

46      En outre, la Cour a jugé qu’une disposition nationale limitant à six mois l’effet rétroactif des demandes d’allocations familiales ne rend pas impossible l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union aux travailleurs migrants (voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 1995, Alonso-Pérez, C‑394/93, EU:C:1995:400, points 30 et 32), tout comme elle a reconnu que la fixation d’un délai national de forclusion de trois ans est raisonnable (voir, en ce sens, arrêt du 15 avril 2010, Barth,
C‑542/08, EU:C:2010:193, point 28).

47      Il en découle qu’un délai de prescription de douze mois n’apparaît pas, en soi, comme rendant pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le règlement n^o 883/2004.

48      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que le droit de l’Union, et plus particulièrement le principe d’effectivité, ne s’oppose pas à l’application d’une réglementation nationale qui soumet l’effet rétroactif d’une demande d’allocations familiales à un délai de prescription de douze mois, dès lors que ce délai ne rend pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice, par les travailleurs migrants concernés, des droits
conférés par le règlement n^o 883/2004.

 Sur les dépens

49      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 81 du règlement (CE) n^o 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale,

doit être interprété en ce sens que :

la notion de « demande », au sens de cet article, vise uniquement la demande introduite, par une personne ayant fait usage de son droit à la libre circulation, auprès des autorités d’un État membre qui n’est pas compétent en vertu des règles de conflit prévues par ce règlement. Dès lors, cette notion n’inclut ni la demande initiale introduite en application de la législation d’un État membre par une personne n’ayant pas encore fait usage de son droit à la libre circulation, ni le versement
périodique, par les autorités de cet État membre, d’une prestation normalement due, au moment de ce versement, par un autre État membre.

2)      Le droit de l’Union, et plus particulièrement le principe d’effectivité, ne s’oppose pas à l’application d’une réglementation nationale qui soumet l’effet rétroactif d’une demande d’allocations familiales à un délai de prescription de douze mois, dès lors que ce délai ne rend pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice, par les travailleurs migrants concernés, des droits conférés par le règlement n^o 883/2004.

Signatures

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*      Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Formation : Septième chambre
Numéro d'arrêt : C-3/21
Date de la décision : 29/09/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par la High Court (Irlande).

Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale des travailleurs migrants – Règlement (CE) no 883/2004 – Coordination des systèmes de sécurité sociale – Prestations familiales – Paiement rétroactif – Déménagement du bénéficiaire dans un autre État membre – Article 81 – Notion de “demande” – Article 76, paragraphe 4 – Obligation mutuelle d’information et de coopération – Non-respect – Délai de prescription de douze mois – Principe d’effectivité.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : FS
Défendeurs : The Chief Appeals Officer e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pikamäe
Rapporteur ?: Biltgen

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:737

Source

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