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22/09/2022 | CJUE | N°C-518/20

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, XP contre Fraport AG Frankfurt Airport Services Worldwide et AR contre St. Vincenz-Krankenhaus GmbH., 22/09/2022, C-518/20


ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

22 septembre 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Aménagement du temps de travail – Article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Directive 2003/88/CE – Article 7, paragraphe 1 – Droit au congé annuel payé – Invalidité totale ou incapacité de travail en raison d’une maladie survenue pendant une période de référence – Réglementation nationale prévoyant la perte des droits

à congé annuel payé à l’expiration
d’une certaine période – Obligation de l’employeur de mettre le travailleur...

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

22 septembre 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Aménagement du temps de travail – Article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Directive 2003/88/CE – Article 7, paragraphe 1 – Droit au congé annuel payé – Invalidité totale ou incapacité de travail en raison d’une maladie survenue pendant une période de référence – Réglementation nationale prévoyant la perte des droits à congé annuel payé à l’expiration
d’une certaine période – Obligation de l’employeur de mettre le travailleur en mesure d’exercer son droit au congé annuel payé »

Dans les affaires jointes C‑518/20 et C‑727/20,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne), par décisions du 7 juillet 2020, parvenues à la Cour le 16 octobre 2020, dans les procédures

XP

contre

Fraport AG Frankfurt Airport Services Worldwide (C‑518/20),

et

AR

contre

St. Vincenz-Krankenhaus GmbH (C‑727/20),

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, M^me I. Ziemele (rapporteure) et M. P. G. Xuereb, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour XP, par M^e J. Rehberg, Rechtsanwalt,

–        pour AR, par M^e U. Happe, Rechtsanwältin,

–        pour Fraport AG Frankfurt Airport Services Worldwide, par M^e M. A. J. Strömer, Rechtsanwältin,

–        pour St. Vincenz-Krankenhaus GmbH, par M^e N. Gehling,

–        pour la Commission européenne, par M. B.-R. Killmann et M^me D. Recchia, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 mars 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9), et de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, d’une part, XP à Fraport AG Frankfurt Airport Services Worldwide (ci‑après « Fraport ») (affaire C-518/20) et, d’autre part, AR à St. Vincenz-Krankenhaus GmbH (affaire C-727/20) au sujet du droit au congé annuel payé de XP et de AR au titre de l’année de référence au cours de laquelle ces travailleurs se sont trouvés, respectivement, en situation d’invalidité totale et d’incapacité de travail pour cause de maladie.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 7 de la directive 2003/88, intitulé « Congé annuel », dispose :

« 1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.

2.      La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. »

 Le droit allemand

4        L’article 7 du Bundesurlaubsgesetz (loi fédérale relative aux congés), du 8 janvier 1963 (BGBl. 1963, p. 2), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « BUrlG »), dispose :

« (1)      Lors de la détermination des dates du congé, il y a lieu de tenir compte des souhaits du travailleur en la matière, à moins que cette prise en compte ne s’oppose aux intérêts impérieux de l’entreprise ou aux souhaits d’autres travailleurs qui, en raison de considérations sociales, méritent la priorité. Le congé doit être accordé lorsque le travailleur le demande à la suite d’une mesure de médecine préventive ou de réadaptation.

(2)      Le congé doit être accordé en une seule période, à moins que des raisons impérieuses tenant à l’entreprise ou des raisons tenant à la personne du travailleur ne rendent nécessaire un fractionnement du congé. Si, pour de telles raisons, le congé ne peut être accordé en une seule période et si le travailleur a droit à un congé de plus de douze jours ouvrables, l’une des fractions du congé doit alors comprendre au moins douze jours ouvrables consécutifs.

(3)      Le congé doit être octroyé et pris dans l’année civile en cours. Un report du congé à l’année civile suivante est uniquement permis si des raisons impérieuses tenant à l’entreprise ou des raisons tenant à la personne du travailleur le justifient. En cas de report, le congé doit être octroyé et pris au cours des trois premiers mois de l’année civile suivante. À la demande du travailleur, le congé partiel acquis conformément à l’article 5, paragraphe 1, sous a), est cependant reporté à
l’année civile suivante.

(4)      Si, en raison de la cessation de la relation de travail, le congé ne peut plus être octroyé en tout ou en partie, il donne droit à une indemnité compensatrice. »

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 L’affaire C‑518/20

5        XP est employé depuis l’année 2000 par Fraport en qualité de chauffeur pour le transport de marchandises. En raison d’un grave handicap, il perçoit depuis le 1^er décembre 2014, au titre d’une invalidité totale, mais non permanente, une pension dont le terme a été fixé en dernier lieu au 31 août 2022.

6        XP a assigné Fraport afin de faire constater qu’il avait droit à 34 jours de congé annuel payé au titre de l’année 2014. Il n’aurait pas pu bénéficier de ces jours de congé en raison de son état de santé, Fraport ne s’étant, par ailleurs, pas acquittée de son obligation de contribuer à l’octroi et à la prise des congés.

7        Fraport a fait valoir que le droit au congé annuel payé de XP pour l’année 2014 s’est éteint le 31 mars 2016, au terme de la période de report prévue à l’article 7, paragraphe 3, du BUrlG. En effet, un travailleur qui, pour des raisons de santé, se trouve dans l’incapacité de prendre ses congés pendant une longue période perdrait son droit au congé quinze mois après la fin de l’année de référence, et ce indépendamment de l’accomplissement par l’employeur des obligations qui lui incombent en
vue de permettre à ce travailleur de prendre ce congé.

8        Les juridictions du fond ayant rejeté ses prétentions, XP a formé un recours en Revision devant le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne).

9        Cette juridiction s’interroge sur la compatibilité, au regard de l’article 7 de la directive 2003/88, de la règle prévue à l’article 7 du BUrlG selon laquelle un congé non pris peut être considéré comme perdu, en cas d’incapacité de travail de longue durée pour des raisons de santé, alors même que l’employeur n’a pas effectivement mis le travailleur en mesure d’exercer son droit au congé pendant la période de travail précédant son invalidité totale.

10      La juridiction de renvoi rappelle avoir, à la suite de l’arrêt du 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften (C‑684/16, EU:C:2018:874), interprété l’article 7 du BUrlG d’une manière conforme à l’article 7 de la directive 2003/88 dans la mesure où elle a jugé que le droit au congé annuel payé minimal ne s’éteint au terme de la période de référence ou de la période de report que si l’employeur a, auparavant, mis le travailleur en mesure d’exercer son droit au
congé et que, malgré cela, le travailleur n’a, volontairement, pas pris ce congé.

11      Par ailleurs, en application des arrêts du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff e.a. (C‑350/06 et C‑520/06, EU:C:2009:18), et du 22 novembre 2011, KHS (C‑214/10, EU:C:2011:761), la juridiction de renvoi indique avoir jugé que le droit au congé annuel payé n’est pas perdu en vertu de l’article 7, paragraphe 3, du BUrlG si le travailleur est dans l’incapacité de travailler pour cause de maladie jusqu’à la fin de la période de référence et/ou de la période de report. Toutefois, si cette incapacité de
travail persiste, le droit à ce congé s’éteint quinze mois après la fin de l’année de référence.

12      La juridiction de renvoi ne s’est pas encore prononcée sur la question de savoir si le droit à congé annuel payé d’un travailleur présentant une invalidité totale s’éteint quinze mois après l’année de référence, lorsque cette incapacité perdure.

13      Selon une première interprétation envisageable, une telle extinction, en raison de son caractère exceptionnel, serait exclue, lorsque l’employeur ne s’est pas acquitté de son obligation de mettre le travailleur en droit d’exercer son droit au congé. En effet, cette obligation conserverait son utilité même, lorsque le travailleur se trouve dans l’incapacité de travailler, puisque la durée de la maladie ne peut être connue d’avance. Toute pratique ou omission d’un employeur ayant un effet
potentiellement dissuasif sur la prise du congé annuel payé serait incompatible avec la finalité de ce droit (arrêt du 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, C‑684/16, EU:C:2018:874, point 42). Si l’employeur s’était acquitté de son obligation en temps utile, le travailleur aurait pu prendre son congé annuel avant le début de son invalidité totale.

14      Selon une seconde interprétation, si, en raison d’une invalidité totale au cours de la période de référence et de la période de report, il est objectivement impossible pour l’employeur de mettre le travailleur en mesure d’exercer son droit au congé annuel payé, il pourrait être considéré que l’employeur peut se prévaloir de l’extinction du droit à congé, même s’il ne s’est pas acquitté de son obligation de mettre le travailleur en mesure d’exercer son droit. Dans une telle situation, le
congé annuel payé serait dépourvu de son effet positif pour le travailleur en sa qualité de temps de repos, justifiant ainsi, en cas de maladie de longue durée, une période de report limitée à quinze mois à l’expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s’éteint (arrêt du 22 novembre 2011, KHS, C‑214/10, EU:C:2011:761, points 43 et 44).

15      Dans ces conditions, le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 7 de la directive [2003/88] et l’article 31, paragraphe 2, de la [Charte] s’opposent-ils à l’interprétation d’une disposition nationale, telle que l’article 7, paragraphe 3, du [BUrlG], en vertu de laquelle le droit au congé annuel payé, non encore consommé, d’un travailleur qui est frappé, au cours de l’année de référence pour le congé, d’une incapacité de travail totale pour des raisons de santé (invalidité), mais qui aurait encore pu prendre – tout au moins partiellement – ce
congé avant le début de son invalidité au cours de l’année de référence, s’éteint quinze mois après la fin de l’année de référence en cas de persistance, sans interruption, de l’invalidité, y compris lorsque l’employeur n’a pas effectivement mis le travailleur en mesure d’exercer son droit à congé en l’incitant à le faire et en lui fournissant des informations à cet égard ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question :

Dans ces conditions, l’extinction à une date ultérieure est-elle également exclue en cas de persistance d’une invalidité totale ? »

 L’affaire C‑727/20

16      AR, qui est une salariée de la St. Vincenz-Krankenhaus, est dans l’incapacité de travailler depuis qu’elle est tombée malade au cours de l’année 2017.

17      AR n’a pas pris l’ensemble des jours de congé annuel payé auxquels elle avait droit au titre de l’année 2017. Son employeur ne l’a pas incitée à prendre ses congés et ne l’a pas non plus informée du fait que les congés non demandés pouvaient être perdus à la fin de l’année civil ou de la période de report visée à l’article 7, paragraphe 3, du BUrlG. AR a saisi les juridictions du travail d’une action visant à faire constater qu’elle dispose de quatorze jours de congés payés au titre de
l’année 2017. Elle soutient que, en raison de son incapacité de travail continue, son droit au congé annuel payé ne s’est pas éteint le 31 mars 2019, son employeur ayant omis de la prévenir en temps utile du risque de perte des jours de congé.

18      St. Vincenz-Krankenhaus fait valoir que, conformément à l’article 7, paragraphe 3, du BUrlG, le droit au congé annuel payé de AR pour l’année 2017 s’est éteint le 31 mars 2019.

19      Les juridictions du fond ayant rejeté sa demande, AR a saisi le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail) d’un recours en Revision.

20      La juridiction de renvoi a adopté une motivation analogue à celle exposée dans le cadre de l’affaire C‑518/20 reproduite aux points 9 à 14 du présent arrêt, en ce qui concerne les raisons l’ayant amené à poser les questions sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 2003/88 et de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte.

21      Dans ces conditions, le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 7 de la directive [2003/88] et l’article 31, paragraphe 2, de la [Charte] s’opposent-ils à l’interprétation d’une disposition nationale, telle que l’article 7, paragraphe 3, du [BUrlG], en vertu de laquelle le droit au congé annuel payé, non encore consommé, d’un travailleur qui a contracté, au cours de l’année de référence pour le congé, une maladie entraînant une incapacité de travail et qui aurait encore pu prendre – tout au moins partiellement – ce congé avant le début de sa
maladie au cours de l’année de référence, s’éteint quinze mois après la fin de l’année de référence en cas de persistance, sans interruption, de l’incapacité de travail, y compris lorsque l’employeur n’a pas effectivement mis le travailleur en mesure d’exercer son droit à congé en l’incitant à le faire et en lui fournissant des informations à cet égard ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question :

Dans ces conditions, l’extinction à une date ultérieure est-elle également exclue en cas de persistance de l’incapacité de travail ? »

 La procédure devant la Cour

22      Par décision de la Cour du 30 novembre 2021, les affaires C‑518/20 et C‑727/20 ont été jointes aux fins de la phase orale de la procédure et de l’arrêt, eu égard à leur connexité.

 Sur les questions préjudicielles

23      Par ses questions posées dans chacune des affaires C‑518/20 et C‑727/20, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7 de la directive 2003/88 et l’article 31, paragraphe 2, de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en application de laquelle le droit au congé annuel payé d’un travailleur acquis au titre d’une période de référence au cours de laquelle est survenue une invalidité
totale ou une incapacité de travail en raison d’une maladie qui perdure depuis lors peut s’éteindre, que ce soit au terme d’une période de report autorisée par le droit national ou ultérieurement, alors que l’employeur n’a pas mis le travailleur en mesure d’exercer ce droit en temps utile.

24      En premier lieu, il convient de rappeler, ainsi qu’il ressort du libellé même de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines. Ce droit au congé annuel payé doit être considéré comme un principe du droit social de l’Union revêtant une importance particulière, dont la mise en œuvre par les autorités nationales compétentes ne peut être effectuée que dans les limites expressément énoncées par la
directive 2003/88 elle-même (arrêt du 6 novembre 2018, Max‑Planck‑Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, C‑684/16, EU:C:2018:874, point 19 et jurisprudence citée).

25      Par ailleurs, il y a lieu de noter que le droit au congé annuel payé revêt, en sa qualité de principe du droit social de l’Union, non seulement une importance particulière, mais qu’il est aussi expressément consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, à laquelle l’article 6, paragraphe 1, TUE reconnaît la même valeur juridique que les traités (arrêt du 22 novembre 2011, KHS, C‑214/10, EU:C:2011:761, point 37).

26      Ainsi, l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 reflète et concrétise le droit fondamental à une période annuelle de congés payés, consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte. En effet, tandis que cette dernière disposition garantit le droit de tout travailleur à une période annuelle de congés payés, la première disposition met en œuvre ce principe en fixant la durée de ladite période (arrêt du 13 janvier 2022, Koch Personaldienstleistungen, C‑514/20, EU:C:2022:19,
point 25).

27      En deuxième lieu, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le droit au congé annuel a une double finalité, à savoir permettre au travailleur de se reposer par rapport à l’exécution des tâches lui incombant selon son contrat de travail, d’une part, et disposer d’une période de détente et de loisirs, d’autre part (arrêts du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff e.a., C‑350/06 et C‑520/06, EU:C:2009:18, point 25, ainsi que du 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na
Republika Bulgaria et Iccrea Banca, C‑762/18 et C‑37/19, EU:C:2020:504, point 57 ainsi que jurisprudence citée).

28      Cette finalité, qui distingue le droit au congé annuel payé d’autres types de congés poursuivant des finalités différentes, est basée sur la prémisse que le travailleur a effectivement travaillé au cours de la période de référence. En effet, l’objectif de permettre au travailleur de se reposer suppose que ce travailleur ait exercé une activité justifiant, pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé visée par la directive 2003/88, le bénéfice d’une période de repos, de détente et
de loisirs. Partant, les droits au congé annuel payé doivent en principe être déterminés en fonction des périodes de travail effectif accomplies en vertu du contrat de travail (arrêt du 4 octobre 2018, Dicu, C‑12/17, EU:C:2018:799, point 28 et jurisprudence citée).

29      Cela étant, dans certaines situations dans lesquelles le travailleur est incapable de remplir ses fonctions, le droit au congé annuel payé ne peut être subordonné par un État membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé. Il en est ainsi, notamment, en ce qui concerne les travailleurs qui sont absents du travail à cause d’un congé de maladie au cours de la période de référence. En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, au regard du droit au congé annuel payé, ces
travailleurs sont assimilés à ceux qui ont effectivement travaillé au cours de cette période [arrêt du 9 décembre 2021, Staatssecretaris van Financiën (Rémunération pendant le congé annuel payé), C‑217/20, EU:C:2021:987, points 29 et 30 ainsi que jurisprudence citée].

30      La Cour a, à cet égard, considéré que la survenance d’une incapacité de travail pour cause de maladie est, en principe, imprévisible et indépendante de la volonté du travailleur. En effet, les absences dues à une maladie doivent être considérées comme étant des absences du travail pour des motifs indépendants de la volonté de la personne employée intéressée, qui doivent être comptées dans la période de service [voir, en ce sens, arrêt du 9 décembre 2021, Staatssecretaris van Financiën
(Rémunération pendant le congé annuel payé), C‑217/20, EU:C:2021:987, point 31 et jurisprudence citée].

31      Dans ce contexte, la Cour a jugé que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 devait être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des dispositions ou à des pratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé s’éteint à l’expiration de la période de référence et/ou d’une période de report fixée par le droit national, lorsque le travailleur a été en congé de maladie, durant tout ou partie de la période de référence, et que, partant, il n’a pas effectivement eu la
possibilité d’exercer ledit droit (arrêt du 30 juin 2016, Sobczyszyn, C‑178/15, EU:C:2016:502, point 24 et jurisprudence citée).

32      Aux termes de la jurisprudence ainsi rappelée, il est, dès lors, exclu que le droit d’un travailleur au congé annuel payé minimal, garanti par le droit de l’Union, soit diminué dans une situation caractérisée par le fait que le travailleur n’a pu répondre à son obligation de travailler en raison d’une maladie durant la période de référence [voir, en ce sens, arrêt du 9 décembre 2021, Staatssecretaris van Financiën (Rémunération pendant le congé annuel payé), C‑217/20, EU:C:2021:987, point 32
et jurisprudence citée].

33      En troisième lieu, il convient de rappeler que des limitations ne peuvent être apportées au droit fondamental au congé annuel payé consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte que dans le respect des conditions strictes prévues à l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci, et notamment du contenu essentiel dudit droit.

34      Ainsi, dans le contexte particulier où les travailleurs concernés avaient été empêchés d’exercer leur droit au congé annuel payé en raison de leur absence du travail pour cause de maladie, la Cour a jugé que, bien qu’un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives serait en droit d’accumuler, de manière illimitée, tous les droits à congé annuel payé acquis durant la période de son absence du travail, un tel cumul illimité ne répondrait plus à la
finalité même du droit au congé annuel payé (arrêt du 29 novembre 2017, King, C‑214/16, EU:C:2017:914, points 53 et 54 ainsi que jurisprudence citée).

35      La Cour a déjà reconnu l’existence de « circonstances spécifiques » justifiant, afin d’éviter les conséquences négatives d’un cumul illimité des droits au congé annuel payé acquis durant une période d’absence pour cause de maladie de longue durée, qu’il soit dérogé à la règle selon laquelle des droits au congé annuel payé ne peuvent pas s’éteindre. Une telle dérogation repose sur la finalité même du droit au congé annuel payé ainsi que sur la nécessité de protéger l’employeur d’un risque de
cumul trop important de périodes d’absence du travailleur et des difficultés que celles-ci pourraient impliquer pour l’organisation du travail (arrêt du 22 novembre 2011, KHS, C‑214/10, EU:C:2011:761, points 34 et 39).

36      Partant, dans des circonstances spécifiques dans lesquelles se trouve un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives, la Cour a jugé que, au regard non seulement de la protection du travailleur à laquelle tend la directive 2003/88, mais aussi de celle de l’employeur, confronté au risque d’un cumul trop important de périodes d’absence du travailleur et aux difficultés que celles-ci pourraient impliquer pour l’organisation du travail, l’article 7
de cette directive doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à des dispositions ou à des pratiques nationales limitant, par une période de report de quinze mois à l’expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s’éteint, le cumul des droits à un tel congé d’un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives (arrêts du 22 novembre 2011, KHS, C‑214/10, EU:C:2011:761, points 29 et 30, ainsi que du 29 novembre 2017, King, C‑214/16,
EU:C:2017:914, point 55).

37      Il convient, par conséquent, d’examiner, sous réserve des vérifications qui incombent à la juridiction de renvoi, si des circonstances telles que celles en cause dans les litiges au principal sont « spécifiques », au sens de la jurisprudence citée au point précédent, de sorte qu’elles justifieraient une dérogation au droit consacré à l’article 7 de la directive 2003/88 ainsi qu’à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, qui a été interprété par la Cour en ce sens que ce droit ne peut
s’éteindre à l’expiration de la période de référence et/ou d’une période de report fixée par le droit national, lorsque le travailleur n’a pas été mis en mesure de prendre ses congés.

38      En l’occurrence, il convient de déterminer si les employeurs en cause au principal peuvent revendiquer l’application de la limitation temporelle du droit au congé annuel payé acquis par un travailleur pendant la période de référence au cours de laquelle il a effectivement travaillé avant de se trouver en situation d’invalidité totale ou d’incapacité de travail, découlant de la jurisprudence rappelée aux points 34 à 36 du présent arrêt.

39      La Cour a déjà jugé que la perte automatique du droit au congé annuel payé, qui n’est pas subordonnée à la vérification préalable que le travailleur a été effectivement mis en mesure d’exercer ce droit, méconnaît les limites, rappelées au point 33 du présent arrêt, s’imposant impérativement aux États membres lorsqu’ils précisent les modalités d’exercice dudit droit (voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2018, Max‑Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, C‑684/16, EU:C:2018:874,
point 40).

40      Il convient de rappeler qu’il incombe à l’employeur de veiller à mettre le travailleur en mesure d’exercer le droit au congé annuel (voir, en ce sens, arrêts du 6 novembre 2018, Kreuziger, C‑619/16, EU:C:2018:872, point 51 et jurisprudence citée, ainsi que du 6 novembre 2018, Max‑Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, C‑684/16, EU:C:2018:874, point 44 et jurisprudence citée). À cet égard, contrairement à une situation de cumul de droits au congé annuel payé d’un travailleur
empêché de prendre lesdits congés pour raison de maladie, l’employeur qui ne met pas un travailleur en mesure d’exercer son droit au congé annuel payé doit en assumer les conséquences (arrêt du 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria et Iccrea Banca, C‑762/18 et C‑37/19, EU:C:2020:504, point 77 ainsi que jurisprudence citée).

41      Partant, les États membres ne peuvent déroger au droit consacré à l’article 7 de la directive 2003/88 et à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, selon lequel un droit au congé annuel payé acquis ne peut s’éteindre à l’expiration de la période de référence et/ou d’une période de report fixée par le droit national, lorsque le travailleur n’a pas été mis en mesure de prendre ses congés (voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften,
C‑684/16, EU:C:2018:874, point 54 et jurisprudence citée).

42      Ainsi qu’il peut être déduit du point 65 des conclusions de M. l’avocat général, il incombe à la juridiction nationale de vérifier si l’employeur s’est acquitté, en temps utile, de ses obligations d’incitation et d’information quant à la prise des congés annuels payés.

43      En outre, il importe de constater que, dans les litiges au principal, les travailleurs concernés se bornent à revendiquer les droits au congé annuel payé qui ont été acquis au titre de la période de référence durant laquelle ils ont été pour partie au travail et pour partie en situation d’invalidité totale ou d’incapacité de travail pour cause de maladie.

44      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 52 de ses conclusions, dans des circonstances telles que celles des litiges au principal, le risque de conséquences négatives d’un cumul illimité des droits au congé annuel payé ne se présente pas. Dès lors, une protection des intérêts de l’employeur telle que celle évoquée aux points 35 et 36 du présent arrêt ne paraît pas strictement nécessaire et, partant, ne serait pas, a priori, de nature à justifier une dérogation au droit au congé
annuel payé du travailleur.

45      Ainsi, si la limitation temporelle admise par la Cour dans son arrêt du 22 novembre 2011, KHS (C‑214/10, EU:C:2011:761), empêche assurément les travailleurs de revendiquer la conservation de tous les droits au congé annuel payé acquis durant leur absence prolongée du travail au titre de plusieurs périodes de référence consécutives, une telle limitation ne saurait s’appliquer au droit au congé annuel payé acquis pendant la période de référence au cours de laquelle un travailleur a
effectivement travaillé avant de se trouver en situation d’invalidité totale ou d’incapacité de travail, sans que soit examinée la question de savoir si l’employeur a, en temps utile, mis le travailleur en mesure d’exercer ce droit, car une telle situation reviendrait à vider de son contenu le droit consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte et concrétisé par l’article 7 de la directive 2003/88.

46      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées dans chacune des affaires C‑518/20 et C‑727/20 que l’article 7 de la directive 2003/88 et l’article 31, paragraphe 2, de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en application de laquelle le droit au congé annuel payé d’un travailleur acquis au titre d’une période de référence au cours de laquelle ce travailleur a effectivement travaillé avant de se
trouver en situation d’invalidité totale ou d’incapacité de travail en raison d’une maladie qui perdure depuis lors peut s’éteindre, que ce soit au terme d’une période de report autorisée par le droit national ou bien ultérieurement, alors que l’employeur n’a pas, en temps utile, mis le travailleur en mesure d’exercer ce droit.

 Sur les dépens

47      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, et l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

doivent être interprétés en ce sens que :

ils s’opposent à une réglementation nationale en application de laquelle le droit au congé annuel payé d’un travailleur acquis au titre d’une période de référence au cours de laquelle ce travailleur a effectivement travaillé avant de se trouver en situation d’invalidité totale ou d’incapacité de travail en raison d’une maladie qui perdure depuis lors peut s’éteindre, que ce soit au terme d’une période de report autorisée par le droit national ou bien ultérieurement, alors que l’employeur n’a pas, en
temps utile, mis le travailleur en mesure d’exercer ce droit.

Signatures

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*      Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-518/20
Date de la décision : 22/09/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle, introduites par le Bundesarbeitsgericht.

Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Aménagement du temps de travail – Article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Directive 2003/88/CE – Article 7, paragraphe 1 – Droit au congé annuel payé – Invalidité totale ou incapacité de travail en raison d’une maladie survenue pendant une période de référence – Réglementation nationale prévoyant la perte des droits à congé annuel payé à l’expiration d’une certaine période – Obligation de l’employeur de mettre le travailleur en mesure d’exercer son droit au congé annuel payé.

Politique sociale

Libre circulation des travailleurs

Charte des droits fondamentaux

Rapprochement des législations

Droits fondamentaux


Parties
Demandeurs : XP
Défendeurs : Fraport AG Frankfurt Airport Services Worldwide et AR

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Ziemele

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:707

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