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14/07/2022 | CJUE | N°C-207/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Commission européenne contre République de Pologne., 14/07/2022, C-207/21


 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

14 juillet 2022 ( *1 )

« Pourvoi – Annulation de la décision d’exécution (UE) 2017/1442 – Article 16, paragraphes 4 et 5, TUE – Article 3, paragraphes 2 et 3, du protocole (no 36) sur les dispositions transitoires – Application ratione temporis – Règles de vote du Conseil – Majorité qualifiée »

Dans l’affaire C‑207/21 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 2 avril 2021,

C

ommission européenne, représentée par M. Ł. Habiak, Mme K. Herrmann, M. R. Tricot et Mme C. Valero, en qualité d’agents,

parti...

 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

14 juillet 2022 ( *1 )

« Pourvoi – Annulation de la décision d’exécution (UE) 2017/1442 – Article 16, paragraphes 4 et 5, TUE – Article 3, paragraphes 2 et 3, du protocole (no 36) sur les dispositions transitoires – Application ratione temporis – Règles de vote du Conseil – Majorité qualifiée »

Dans l’affaire C‑207/21 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 2 avril 2021,

Commission européenne, représentée par M. Ł. Habiak, Mme K. Herrmann, M. R. Tricot et Mme C. Valero, en qualité d’agents,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

partie demanderesse en première instance,

Royaume de Belgique,

République de Bulgarie,

République française,

Hongrie,

Royaume de Suède, représenté initialement par Mme H. Eklinder, M. J. Lundberg, Mmes C. Meyer-Seitz, A. Runeskjöld, M. Salborn Hodgson, R. Shahsavan Eriksson, H. Shev et M. O. Simonsson, puis par Mmes H. Eklinder, C. Meyer-Seitz, A. Runeskjöld, M. Salborn Hodgson, R. Shahsavan Eriksson, H. Shev et M. O. Simonsson en qualité d’agents,

parties intervenantes en première instance,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, MM. S. Rodin (rapporteur), J.-C. Bonichot, Mmes L. S. Rossi et O. Spineanu-Matei, juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 mars 2022,

rend le présent

Arrêt

1 Par le présent pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 27 janvier 2021, Pologne/Commission (T‑699/17, ci-après l’ arrêt attaqué , EU:T:2021:44), par lequel le Tribunal a annulé la décision d’exécution (UE) 2017/1442 de la Commission, du 31 juillet 2017, établissant les conclusions sur les meilleures techniques disponibles (MTD), au titre de la directive 2010/75/UE du Parlement européen et du Conseil, pour les grandes installations de
combustion (JO 2017, L 212, p. 1, ci-après la « décision litigieuse »).

Le cadre juridique

Le traite UE et le protocole no 36

2 L’article 16, paragraphes 4 et 5, TUE énonce :

« 4.   À partir du 1er novembre 2014, la majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 55 % des membres du Conseil [de l’Union européenne], comprenant au moins quinze d’entre eux et représentant des États membres réunissant au moins 65 % de la population de l’Union [européenne].

Une minorité de blocage doit inclure au moins quatre membres du Conseil, faute de quoi la majorité qualifiée est réputée acquise.

Les autres modalités régissant le vote à la majorité qualifiée sont fixées à l’article 238, paragraphe 2[, TFUE].

5.   Les dispositions transitoires relatives à la définition de la majorité qualifiée qui sont applicables jusqu’au 31 octobre 2014, ainsi que celles qui seront applicables entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017, sont fixées par le protocole sur les dispositions transitoires. »

3 Le protocole (no 36) sur les dispositions transitoires (ci-après le « protocole no 36 ») contient, à son titre II, intitulé « Dispositions concernant la majorité qualifiée », un article 3, qui est libellé comme suit :

« 1.   Conformément à l’article 16, paragraphe 4, [TUE], les dispositions de ce paragraphe et les dispositions de l’article 238, paragraphe 2, [TFUE], relatives à la définition de la majorité qualifiée au Conseil européen et au Conseil, prennent effet le 1er novembre 2014.

2.   Entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017, lorsqu’une délibération doit être prise à la majorité qualifiée, un membre du Conseil peut demander que cette délibération soit prise à la majorité qualifiée telle que définie au paragraphe 3. Dans ce cas, les paragraphes 3 et 4 s’appliquent.

3.   Jusqu’au 31 octobre 2014, les dispositions suivantes sont en vigueur, sans préjudice de l’article 235, paragraphe 1, deuxième alinéa, [TFUE].

Pour les délibérations du Conseil européen et du Conseil qui requièrent une majorité qualifiée, les voix des membres sont affectées de la pondération suivante :

[...] »

La directive 2010/75/UE

4 L’article 13 de la directive 2010/75/UE du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, relative aux émissions industrielles (prévention et réduction intégrées de la pollution) (JO 2010, L 334, p. 17), intitulé « Documents de référence MTD et échange d’informations », énonce, à ses paragraphes 1, 5 et 6 :

« 1.   Afin d’élaborer, de réviser et, le cas échéant, de mettre à jour les documents de référence MTD, la Commission organise un échange d’informations entre les États membres, les secteurs industriels concernés, les organisations non gouvernementales œuvrant pour la protection de l’environnement et la Commission.

[...]

5.   Des décisions concernant les conclusions sur les [meilleures techniques disponibles (MTD)] sont adoptées en conformité avec la procédure de réglementation visée à l’article 75, paragraphe 2.

6.   Après l’adoption d’une décision en application du paragraphe 5, la Commission rend public, sans tarder, le document de référence MTD et veille à ce que les conclusions sur les MTD soient rendues publiques dans toutes les langues officielles de l’Union. »

5 L’article 14 de cette directive, intitulé « Conditions d’autorisation », dispose, à son paragraphe 3 :

« Les conclusions sur les MTD servent de référence pour la fixation des conditions d’autorisation. »

6 L’article 75 de ladite directive, intitulé « Comité », est ainsi libellé :

« 1.   La Commission est assistée par un comité.

2.   Dans le cas où il est fait référence au présent paragraphe, les articles 5 et 7 de la décision 1999/468/CE [du Conseil, du 28 juin 1999, fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission (JO 1999, L 184, p. 23),] s’appliquent, dans le respect des dispositions de l’article 8 de celle-ci.

La période prévue à l’article 5, paragraphe 6, de la décision 1999/468/CE est fixée à trois mois. »

Le règlement (UE) no 182/2011

7 L’article 5 du règlement (UE) no 182/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l’exercice des compétences d’exécution par la Commission (JO 2011, L 55, p. 13), intitulé « Procédure d’examen », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Lorsque la procédure d’examen s’applique, le comité émet son avis à la majorité définie à l’article 16, paragraphes 4 et 5, [TUE] et, le cas échéant, à l’article 238, paragraphe 3, [TFUE], pour les actes à adopter sur proposition de la Commission. Les votes des représentants des États membres au sein du comité sont pondérés de la manière définie auxdits articles.

2.   Lorsque le comité émet un avis favorable, la Commission adopte le projet d’acte d’exécution. »

8 Aux termes de l’article 12, premier alinéa, de ce règlement, « la décision 1999/468/CE est abrogée ».

9 L’article 13, paragraphe 1, dudit règlement précise :

« Lorsque des actes de base adoptés avant l’entrée en vigueur du présent règlement prévoient l’exercice de compétences d’exécution par la Commission conformément à la décision 1999/468/CE, les règles suivantes s’appliquent :

[...]

c) lorsque l’acte de base fait référence à l’article 5 de la décision 1999/468/CE, la procédure d’examen visée à l’article 5 du présent règlement s’applique [...] ;

[...]

e) lorsque l’acte de base fait référence aux articles 7 et 8 de la décision 1999/468/CE, les articles 10 et 11 du présent règlement s’appliquent. »

Les antécédents du litige

10 Les antécédents du litige figurent aux points 8 à 15 de l’arrêt attaqué et peuvent être résumés comme suit.

11 Le 9 mars 2017, la Commission a, en sa qualité de président du comité institué à l’article 75 de la directive 2010/75 (ci-après le « comité »), présenté à celui-ci un projet de décision d’exécution établissant les conclusions sur les MTD, au titre de cette directive, pour les grandes installations de combustion et a invité, le 23 mars 2017, les membres de ce comité à une réunion devant avoir lieu le 28 avril 2017, dont l’objet était de procéder à un vote sur l’avis relatif à ce projet de décision
d’exécution.

12 Le 30 mars 2017, la République de Pologne a demandé que le comité vote sur cet avis selon les règles de vote énoncées à l’article 3, paragraphe 3, du protocole no 36.

13 Le 4 avril 2017, le service juridique du Conseil a adressé au comité des représentants permanents des États membres un avis selon lequel, en substance, pour qu’un vote sur un projet d’acte soit émis selon les règles applicables avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, il fallait que deux conditions soient réunies, à savoir, d’une part, que l’État membre présente une demande en ce sens au plus tard le 31 mars 2017 et, d’autre part, que le vote faisant l’objet de cette demande intervienne
également avant cette date.

14 Le 10 avril 2017, la direction générale de l’environnement de la Commission a rejeté la demande de la République de Pologne du 30 mars 2017, au motif que le vote sur l’avis était prévu pour le 28 avril 2017, soit après le 31 mars 2017, date prévue à l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36.

15 Le 28 avril 2017, les membres du comité ont voté afin d’adopter un avis sur un projet modifié de décision d’exécution. Le vote a eu lieu en application des règles de vote établies à l’article 16, paragraphe 4, TUE et non de celles établies à l’article 3, paragraphe 3, du protocole no 36. Il a abouti à un avis favorable du comité à l’égard de ce projet à la suite du vote positif de 20 États membres représentant 65,14 % de la population de l’Union et 71,43 % des membres dudit comité. Huit États
membres, dont la République de Pologne, ont émis un vote négatif.

16 Le 31 juillet 2017, la Commission a adopté la décision litigieuse, qui établit les conclusions sur les MTD pour les grandes installations de combustion et impose, notamment, les niveaux d’émissions associés à ces MTD en ce qui concerne les émissions d’oxydes d’azote (NOx), de mercure (Hg) et de chlorure d’hydrogène (HCl).

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

17 Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 11 octobre 2017, la République de Pologne a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

18 Par actes déposés au greffe du Tribunal les 4 et 15 janvier 2018, la Hongrie et la République de Bulgarie ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la République de Pologne. Par actes déposés au greffe du Tribunal les 16 et 25 janvier 2018, le Royaume de Belgique, la République française et le Royaume de Suède ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Par décisions des 19 et 21 février 2018, le président de la troisième chambre du Tribunal (ancienne
formation) a fait droit à ces demandes.

19 À l’appui de son recours, la République de Pologne a invoqué cinq moyens.

20 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli le premier moyen, tiré d’une violation des dispositions applicables en matière de majorité qualifiée, et a annulé la décision litigieuse, sans examiner les autres moyens invoqués par la République de Pologne.

21 Plus précisément, dans le cadre de l’analyse du premier moyen, le Tribunal a examiné la portée de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 et la question de savoir si, pour pouvoir bénéficier de l’application des règles de la majorité qualifiée prévues à cet article 3, paragraphe 3, qui correspondent à celles prévues par le traité de Nice, il suffisait, pour un État membre, d’en faire la demande entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017 ou s’il était nécessaire que la décision concernée
soit également adoptée au cours de cette période.

22 À cet égard, le Tribunal a, en premier lieu, aux points 35 et 36 de l’arrêt attaqué, examiné le libellé de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 et conclu qu’aucune version linguistique de cette disposition ne permettait de lever le doute quant à la portée exacte de celle-ci.

23 En deuxième lieu, au point 37 de cet arrêt, le Tribunal a analysé l’historique de cet article 3, paragraphe 2, en examinant si le mandat donné à la conférence intergouvernementale, convoquée dans le but d’élaborer un projet de traité modifiant le traité UE et le traité CE, fournissait des indications permettant d’éclaircir le libellé de cette disposition. Il a conclu que la formulation figurant dans ce mandat était très proche de celle de ladite disposition, de telle sorte qu’elle ne permettait
pas non plus de surmonter l’ambiguïté quant à la portée exacte de cette dernière.

24 En troisième lieu, le Tribunal a, aux points 38 à 42 de l’arrêt attaqué, examiné si une interprétation téléologique permettait de déterminer cette portée. À cet égard, le Tribunal a d’abord rappelé que l’objectif du protocole no 36 était, selon son considérant unique, « d’organiser la transition entre les dispositions institutionnelles des traités applicables avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et celles prévues par ledit traité ».

25 Ensuite, le Tribunal a, d’une part, également rappelé que l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 attribuait à un État membre le droit de demander, durant la période allant du 1er novembre 2014 au 31 mars 2017, l’application des règles relatives à la définition de la majorité qualifiée prévues à l’article 3, paragraphe 3, de ce protocole, correspondant à celles du traité de Nice. D’autre part, il a constaté que ce droit impliquait nécessairement que, à la suite de l’introduction d’une
demande en ce sens par un État membre, le vote soit organisé selon ces règles, et ce même lorsque ce vote avait lieu après le 31 mars 2017. Le Tribunal a estimé que seule une telle interprétation était susceptible d’assurer qu’un État membre puisse utilement exercer, durant toute cette période, et ce jusqu’au dernier jour du délai prévu, ledit droit.

26 Enfin, le Tribunal a conclu que toute interprétation contraire viderait de son effet utile la fixation expresse d’une période allant du 1er novembre 2014 au 31 mars 2017 pour exercer le droit en cause, et réduirait significativement le délai dans lequel un vote conformément aux règles du traité de Nice pourrait effectivement être demandé par un État membre. Celui-ci a considéré qu’une telle interprétation aurait pour résultat qu’une demande introduite à la fin de cette période serait, en
pratique, tardive pour déclencher l’application de ces règles. Les États membres seraient, dès lors, forcés à introduire, le cas échéant, leur demande beaucoup plus tôt, en fonction de la date – non prévisible – du vote, privant ainsi les États membres de la possibilité de demander un vote conformément auxdites règles jusqu’au dernier jour de la période prévue à l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36.

27 Partant, le Tribunal a jugé qu’il découlait d’une interprétation téléologique de cet article 3, paragraphe 2, que les dispositions prévues audit article 3, paragraphe 3, pouvaient être appliquées à un vote se tenant même après le 31 mars 2017, à la condition que leur application ait été demandée par un État membre avant cette date.

28 En quatrième lieu, le Tribunal a considéré, aux points 43 à 52 de l’arrêt attaqué, que cette interprétation était également confortée par une interprétation contextuelle de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36. À cet égard, le Tribunal a identifié puis analysé les trois périodes relatives à l’entrée en vigueur des règles relatives à la définition de la majorité qualifiée prévues à l’article 16, paragraphe 4, TUE.

29 D’abord, le Tribunal a observé que, durant la période allant du 1er décembre 2009 au 31 octobre 2014, les règles relatives à la définition de la majorité qualifiée prévues à l’article 3, paragraphe 3, du protocole no 36, correspondant à celles du traité de Nice, s’appliquaient. Ensuite, il a relevé que, durant la période allant du 1er novembre 2014 au 31 mars 2017, un membre du Conseil pouvait demander, au titre de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36, qu’une délibération soit prise
selon ces règles du traité de Nice, faute de quoi la définition de la majorité qualifiée prévue à l’article 16, paragraphe 4, TUE s’appliquait. Enfin, le Tribunal a indiqué que, durant la période courant à partir du 1er avril 2017, la majorité qualifiée se définit comme prévue à l’article 16, paragraphe 4, TUE, sans possibilité de demander un mode de calcul des voix différent.

30 Le Tribunal a rejeté l’argument de la Commission selon lequel l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 constituait une exception à la règle fixée à l’article 16, paragraphe 4, TUE. Il a conclu que cet article 3, paragraphe 2, constituait une disposition transitoire, comme cela était confirmé par le considérant unique du protocole no 36 ainsi que par le libellé de l’intitulé de ce dernier et par celui de l’article 16, paragraphe 5, TUE. À cet égard, le Tribunal a observé que son
interprétation dudit article 3, paragraphe 2, énoncée au point 27 du présent arrêt, était, d’une part, conforme à l’exigence, résultant d’une jurisprudence constante, selon laquelle une disposition transitoire est d’interprétation stricte et, d’autre part, indispensable afin qu’un État membre pût utilement et effectivement exercer le droit visé au point 25 du présent arrêt jusqu’au dernier jour du délai prévu au même article 3, paragraphe 2.

31 En cinquième et dernier lieu, le Tribunal a, aux points 53 à 56 de l’arrêt attaqué, relevé que cette interprétation était corroborée par le principe de sécurité juridique et que celle préconisée par la Commission non seulement donnerait lieu à un manque de prévisibilité, dès lors qu’elle entraînerait, à la fin de la période transitoire, une incertitude quant à l’application dans le temps de la majorité qualifiée telle que définie à l’article 3, paragraphe 3, du protocole no 36, mais pourrait
également conduire à un contournement de l’article 3, paragraphe 2, de ce protocole, en fixant la date du vote à une date postérieure au 31 mars 2017.

32 Considérant que les règles relatives à la définition de la majorité qualifiée prévues à l’article 3, paragraphe 3, du protocole no 36 auraient dû être appliquées lors du vote, le 28 avril 2017, sur le projet de la décision litigieuse et que le non-respect des modalités de votes constitue une violation des formes substantielles au sens de l’article 263 TFUE, le Tribunal a annulé la décision litigieuse. Par ailleurs, pour des motifs de sécurité juridique et afin d’éviter une discontinuité ou une
régression dans la mise en œuvre de politiques conduites ou soutenues par l’Union, le Tribunal a décidé de maintenir les effets de la décision litigieuse jusqu’à l’entrée en vigueur, dans un délai raisonnable qui ne saurait excéder douze mois à compter de la date du prononcé de l’arrêt attaqué, d’un nouvel acte appelé à remplacer cette décision et adopté selon les règles de la majorité qualifiée prévues à cet article 3, paragraphe 3.

Les conclusions des parties

33 La Commission demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– de rejeter le premier moyen du recours visé au point 17 du présent arrêt ;

– de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur les deuxième à cinquième moyens de ce recours, qui n’ont pas été examinés en première instance, et

– de réserver les dépens afférents au recours en première instance et au pourvoi.

34 La République de Pologne demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi, et

– de condamner la Commission aux dépens de la procédure de pourvoi.

35 À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour ferait droit au pourvoi et annulerait l’arrêt attaqué, la République de Pologne demande à la Cour de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin que celui-ci statue sur les deuxième à cinquième moyens du recours visé au point 17 du présent arrêt.

La procédure devant la Cour

36 Par acte séparé présenté au greffe de la Cour lors du dépôt de son pourvoi, la Commission a demandé que la présente affaire soit soumise à la procédure accélérée prévue aux articles 133 à 136 du règlement de procédure de la Cour, applicables aux pourvois en vertu de l’article 190, paragraphe 1, de ce règlement.

37 À l’appui de cette demande, la Commission a observé que, en raison de la décision du Tribunal de maintenir les effets de la décision litigieuse jusqu’à l’entrée en vigueur d’un nouvel acte dans un délai qui ne saurait excéder douze mois à compter de la date de prononcé de l’arrêt attaqué, les MTD définies par la décision litigieuse ne pouvaient s’appliquer que jusqu’au 27 janvier 2022. Au regard de l’insécurité juridique ainsi créée quant aux conditions d’exploitation de grandes installations de
combustion et compte tenu du nombre d’opérateurs concernés et des sommes investies, il était, selon la Commission, nécessaire de connaître rapidement l’issue du présent pourvoi et de savoir, ainsi, s’il était effectivement nécessaire d’adopter un nouvel acte avant le 27 janvier 2022. En effet, si la Cour devait accueillir le pourvoi, il n’y aurait pas besoin d’adopter une nouvelle décision d’exécution sur les MTD pour ces installations.

38 Il résulte de l’article 133 du règlement de procédure que, à la demande soit de la partie requérante, soit de la partie défenderesse, le président de la Cour peut, lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais, l’autre partie, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, décider de soumettre une affaire à la procédure accélérée visée par ce règlement.

39 Or, il découle, tout d’abord, d’une jurisprudence constante que ni l’insécurité juridique entourant la légalité ou l’interprétation d’un acte ni le nombre important de personnes ou de situations juridiques potentiellement concernées ne sont susceptibles, en tant que tels, de constituer des circonstances exceptionnelles de nature à justifier qu’une affaire soit soumise à cette procédure (ordonnance du président de la Cour du 7 avril 2016, Conseil/Front Polisario, C‑104/16 P, non publiée,
EU:C:2016:232, point 7 et jurisprudence citée).

40 En ce qui concerne, ensuite, le fait que la nécessité de l’adoption d’un nouvel acte dépend de l’issue de la procédure de pourvoi, il y a lieu de rappeler que le simple intérêt des justiciables, certes légitime, à déterminer le plus rapidement possible la portée des droits qu’ils tirent du droit de l’Union n’est pas non plus de nature à établir l’existence d’une circonstance exceptionnelle de nature à justifier qu’une affaire soit soumise à ladite procédure (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril
2022, Caruter, C‑642/20, EU:C:2022:308, point 23 et jurisprudence citée).

41 Enfin, il est de jurisprudence constante que des intérêts économiques, aussi importants et légitimes soient-ils, ne sont pas de nature à justifier à eux seuls le recours à la même procédure (ordonnance du président de la Cour du 16 mars 2017, Abanca Corporación Bancaria, C‑70/17, non publiée, EU:C:2017:227, point 13 et jurisprudence citée).

42 Dans ces conditions, le 7 juillet 2021, le président de la Cour a décidé, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de ne pas faire droit à la demande de procédure accélérée.

Sur le pourvoi

43 À l’appui de son pourvoi, la Commission invoque un moyen unique, divisé en deux branches, tirées, la première, d’une violation de l’article 16, paragraphe 5, TUE et, la seconde, d’une violation de cet article 16, paragraphe 4.

Sur la première branche du moyen unique

Argumentation des parties

44 La Commission fait valoir que l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 retenue par le Tribunal aux points 42, 56 et 57 de l’arrêt attaqué enfreint l’article 16, paragraphe 5, TUE.

45 À cet égard, la Commission avance que, contrairement à ce que le Tribunal a constaté au point 49 de l’arrêt attaqué, le libellé de l’article 16, paragraphe 5, TUE ne soulève aucun doute quant à son interprétation. Elle soutient que cette disposition ne prévoit aucune période transitoire après le 31 mars 2017, de telle sorte que, après cette date, il n’est plus possible d’appliquer les dispositions du protocole no 36 relatives à la définition de la majorité qualifiée. Or, l’interprétation retenue
par le Tribunal l’obligerait à appliquer ces dispositions après ladite date.

46 La Commission fait valoir que, indépendamment du fait que tant les dispositions de l’article 16 TUE que celles du protocole no 36 constituent des dispositions du droit primaire de l’Union, l’article 16 TUE revêt un caractère fondamental, dès lors qu’il définit l’objet des règles énoncées dans ce protocole et sa période d’application. Elle considère que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qu’il n’a pas retenu une interprétation de l’article 3, paragraphe 2, dudit protocole permettant
d’assurer la cohérence de cette dernière disposition avec l’article 16, paragraphe 5, TUE.

47 En outre, la Commission estime qu’une interprétation stricte des dispositions transitoires et le principe général de sécurité juridique confirment que le Tribunal a commis une erreur de droit. À cet égard, elle rappelle que les règles de procédure sont applicables à la date à laquelle elles entrent en vigueur et qu’il n’en va autrement que si la nouvelle règle est accompagnée de dispositions particulières qui déterminent spécialement ses conditions d’application dans le temps. Ainsi, la période
d’application des dispositions transitoires devrait être interprétée de manière stricte afin de réduire le retard dans l’application des nouvelles dispositions.

48 La Commission considère que la question de savoir quelle majorité qualifiée trouve à s’appliquer à un vote ne saurait être artificiellement dissociée de la date de ce vote, dès lors que le mode de calcul de cette majorité constitue l’un des éléments des modalités de vote. Selon elle, le Tribunal s’est contenté d’analyser, au point 48 de l’arrêt attaqué, l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36, en se fondant uniquement sur le fait que l’État membre concerné avait soumis une demande au titre
de cette disposition avant le 31 mars 2017. Cependant, le Tribunal a omis, selon la Commission, de tenir compte des effets de cette demande, à savoir une application de l’article 3, paragraphe 3, de ce protocole après le 31 mars 2017, c’est-à-dire après la date expressément prévue à l’article 16, paragraphe 5, TUE. Partant, la Commission considère que le Tribunal a adopté une interprétation extensive d’une disposition transitoire, en l’espèce l’article 3, paragraphe 2, dudit protocole, et de la
période de validité de l’article 3, paragraphe 3, du même protocole, auquel cette disposition transitoire renvoie.

49 S’agissant du principe général de sécurité juridique, la Commission avance que le Tribunal n’a pas tenu compte du point de vue de tous les intéressés lorsqu’il a interprété l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36. Outre tous les États membres participant à un vote du comité, la Commission, qui est l’auteur du projet d’acte soumis au vote, ferait également partie des intéressés, dont les droits et les obligations découlent d’une définition correcte de la majorité qualifiée lors de ce vote.
La Commission rappelle, d’une part, qu’elle exerce la présidence du comité et est, à ce titre, responsable de l’organisation et du déroulement d’un tel vote, et, d’autre part, qu’elle est destinataire de l’avis du comité, auquel est subordonnée l’adoption d’un projet d’acte d’exécution ou des autres mesures visées à l’article 5 du règlement no 182/2011.

50 Or, selon la Commission, le Tribunal a commis une erreur de droit en ne tenant compte, aux points 53 à 55 de l’arrêt attaqué, que des intérêts d’un État membre présentant une demande au titre de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36. À cet égard, elle fait valoir que, au point 55 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a omis de tenir compte de l’intérêt de la Commission et des autres États membres participant au vote en cause à pouvoir se baser sur un calendrier clairement défini quant à
l’application des dispositions transitoires. La Commission conclut que l’inconfort résultant de la nécessité, pour un État membre, de prendre des mesures concrètes en temps utile pour garantir l’effet utile d’une demande présentée en vertu de cette disposition ne devrait pas prévaloir sur les intérêts des autres parties à la procédure de comité et des autres justiciables.

51 La Commission considère que l’interprétation retenue par le Tribunal porte atteinte au principe général de sécurité juridique en ce qu’elle implique que, depuis l’adoption du traité de Lisbonne et du protocole no 36, les justiciables n’ont pas été en mesure de prévoir la période d’application de la majorité qualifiée définie selon les règles du traité de Nice. Or, selon elle, contrairement à cette interprétation, celle selon laquelle le dernier vote à cette majorité qualifiée pouvait avoir lieu
le 31 mars 2017, est fondée sur une date précise, mentionnée à l’article 16, paragraphe 5, TUE, et répond à l’exigence de prévisibilité permettant à cette institution d’élaborer un projet d’acte en vue d’atteindre cette majorité.

52 En outre, la Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 54 de l’arrêt attaqué, qu’une interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 faisant dépendre l’application de cette disposition de la date de la demande visée à cette dernière était limitée dans le temps, au motif que les délibérations aboutissant au vote mettaient un terme à cette application. Selon elle, cette interprétation porte atteinte à la sécurité juridique dans la mesure
où, en se limitant à définir la période d’application de ladite disposition, le Tribunal n’a pas tenu compte de la validité prolongée pour une durée indéterminée de l’article 3, paragraphe 3, de ce protocole. Or, la durée de la procédure précédant la date du vote définitif dépendrait de nombreux facteurs externes et imprévisibles.

53 La Commission observe que, bien que l’arrêt attaqué porte sur la procédure de vote au sein du comité, l’interprétation retenue par le Tribunal de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 concerne également la procédure de vote au sein du Conseil dans le cadre de la procédure législative. Or, cette interprétation conduirait à ce qu’une demande de vote à la majorité qualifiée telle que définie par le traité de Nice dès l’ouverture d’une procédure législative par la Commission lierait le
Conseil pour l’ensemble des votes sur le projet relevant de cette procédure, indépendamment du nombre effectif de votes au Conseil au titre de l’article 294 TFUE et de la durée effective de ladite procédure, qui s’étend parfois sur plusieurs années.

54 La Commission considère qu’une telle interprétation pose également des problèmes pratiques, au motif que le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union influence le calcul de la majorité qualifiée telle que définie à l’article 3, paragraphe 3, du protocole no 36.

55 Elle ajoute que le raisonnement du Tribunal, figurant au point 55 de l’arrêt attaqué, selon lequel l’interprétation soutenue par la Commission pourrait amener à un contournement de l’article 3, paragraphe 2, de ce protocole en fixant la date d’un vote après le 31 mars 2017 est purement spéculatif.

56 La République de Pologne conteste l’argumentation de la Commission.

Appréciation de la Cour

57 Aux termes de l’article 16, paragraphe 5, TUE, les dispositions transitoires relatives à la définition de la majorité qualifiée qui sont applicables jusqu’au 31 octobre 2014, ainsi que celles qui seront applicables entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017, sont fixées par le protocole no 36. L’article 3, paragraphe 2, de ce protocole prévoit que, entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017, lorsqu’une délibération doit être prise à la majorité qualifiée, un membre du Conseil peut demander
que cette délibération soit prise à la majorité qualifiée telle que définie à l’article 3, paragraphe 3, dudit protocole, c’est-à-dire celle définie dans le traité UE avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

58 Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 devait être interprété en ce sens que, pour voir un projet d’acte adopté selon les règles de la majorité qualifiée définies à l’article 3, paragraphe 3, de ce protocole, il suffisait que l’application de ces règles soit demandée par un État membre entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017, sans qu’il soit nécessaire que le vote du projet d’acte en question intervienne également entre ces dates.

59 Ce faisant, l’interprétation retenue par le Tribunal n’a pas enfreint l’article 16, paragraphe 5, TUE.

60 Cette disposition renvoie, en ce qui concerne, notamment, la définition de la majorité qualifiée applicable entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017, au protocole no 36. Or, il ressort du libellé de l’article 3, paragraphe 2, de ce protocole que tout membre du Conseil pouvait, pendant la totalité de cette période, et donc jusqu’au 31 mars 2017 inclus, demander l’application de la majorité qualifiée telle que définie à l’article 3, paragraphe 3, dudit protocole.

61 Rien dans le libellé de l’article 16, paragraphe 5, TUE, ni dans celui de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36, n’exclut qu’un vote à la majorité qualifiée telle que définie à cet article 3, paragraphe 3, puisse avoir lieu après le 31 mars 2017, pour autant qu’une demande en ce sens ait été présentée entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017. À cet égard, il y a lieu de souligner que la fixation de la date d’un tel vote échappe, dans une très large mesure, au contrôle des membres du
Conseil pris individuellement.

62 Certes, ainsi que l’a observé la Commission, il importe que l’article 16, paragraphe 5, TUE et le protocole auquel celui-ci renvoie soient appliqués d’une manière qui respecte les principes généraux du droit de l’Union, dont le principe de sécurité juridique, et qui assure, par une interprétation stricte du régime transitoire établi par l’article 3, paragraphe 2, de ce protocole, que l’applicabilité de ce régime ne soit pas prolongée au-delà de la période allant du 1er novembre 2014 au 31 mars
2017.

63 Toutefois, contrairement à ce que fait valoir la Commission, la portée conférée par le Tribunal à ces dispositions est conforme à ces exigences.

64 S’agissant, d’une part, du principe général de sécurité juridique, il y a lieu de rappeler que celui-ci exige que les règles de droit soient claires et précises et que leur application soit prévisible pour les justiciables (arrêt du 16 février 2022, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑156/21, EU:C:2022:97, point 223 ainsi que jurisprudence citée).

65 À cet égard, force est de constater que, ainsi que M. l’avocat général l’a considéré au point 56 de ses conclusions, l’appréciation du Tribunal sur la portée de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 clarifie cette disposition d’une manière qui assure la prévisibilité des modalités de vote applicables. En effet, selon cette appréciation, lorsqu’une demande au titre de cet article 3, paragraphe 2, était introduite entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017, tous les intéressés étaient en
mesure de connaître, dès la présentation de cette demande, les modalités de vote. En revanche, l’interprétation soutenue par la Commission reviendrait à vider ledit article 3, paragraphe 2, d’une partie de son effet utile dans la mesure où, même une demande présentée durant la période visée à cette disposition ne garantirait pas qu’un vote au sein du comité soit organisé conformément aux règles du traité de Nice. Par conséquent, les intéressés ne seraient pas en mesure de connaître les modalités
de vote applicables jusqu’à la fixation d’une date de vote par la présidence du comité, ce qui soumettrait, en violation du principe de sécurité juridique, l’application de ces règles à la volonté discrétionnaire de cette présidence.

66 D’autre part, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 54 de ses conclusions, l’appréciation du Tribunal n’a pas pour effet de prolonger indéfiniment la période transitoire allant du 1er novembre 2014 au 31 mars 2017, prévue à l’article 16, paragraphe 5, TUE et à l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36. En effet, selon cette appréciation, seules les demandes présentées au plus tard le 31 mars 2017 et portant sur un projet d’acte de l’Union déjà proposé mais non encore approuvé,
pouvaient déclencher l’application des règles de vote définies à l’article 3, paragraphe 3, de ce protocole. La possibilité que le vote sur un tel projet d’acte puisse avoir lieu après le 31 mars 2017 est inhérente au régime transitoire prévu à l’article 3, paragraphe 2, dudit protocole, qui se fonde sur la date de l’introduction de la demande de l’application de ces règles de vote et non sur la date à laquelle ce vote a lieu. Il s’avère ainsi que le Tribunal a suivi une interprétation stricte de
ce régime transitoire, en se tenant à une lecture fidèle au libellé du protocole no 36, auquel l’article 16, paragraphe 5, TUE se réfère. Il ne saurait, dès lors, être reproché au Tribunal d’avoir prolongé la durée dudit régime au-delà de celle qui découle intrinsèquement de ce qui a été énoncé, par les auteurs du traité de Lisbonne, dans ce protocole.

67 Ces considérations ne sauraient, comme M. l’avocat général l’a souligné aux points 58 et 59 de ses conclusions, être remises en cause par l’argument de la Commission relatif aux conséquences du retrait du Royaume-Uni de l’Union. Il suffit, à cet égard, de constater que ni un événement postérieur tant à l’adoption et à l’entrée en vigueur du protocole no 36 qu’au vote ayant abouti à l’adoption de la décision litigieuse ni les conséquences pratiques de ce retrait ne constituent des circonstances
pertinentes aux fins de l’interprétation des dispositions de ce protocole.

68 Il résulte de ce qui précède que l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36, retenue par le Tribunal aux points 42, 56 et 57 de l’arrêt attaqué, ne viole pas l’article 16, paragraphe 5, TUE.

69 Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que la première branche du moyen unique doit être rejetée comme étant non fondée.

Sur la seconde branche du moyen unique

Argumentation des parties

70 La Commission fait valoir que l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 retenue par le Tribunal aux points 42, 56 et 57 de l’arrêt attaqué porte atteinte à l’effet utile de l’article 16, paragraphe 4, TUE.

71 À cet égard, la Commission rappelle que cette disposition établit une règle générale, à savoir la définition de la majorité qualifiée applicable depuis le 1er novembre 2014, et que ce n’est que dans les cas visés à cet article 16, paragraphe 4, troisième alinéa, que s’appliquent, par dérogation à cette règle générale, à compter de cette date, les « autres modalités » fixées à l’article 238, paragraphe 2, TFUE. Selon elle, les dispositions transitoires du protocole no 36 sont applicables jusqu’au
31 mars 2017. S’il en avait été autrement, ledit article 16, paragraphe 4, aurait explicitement qualifié ces dispositions transitoires d’« autres modalités ».

72 En outre, la Commission fait valoir que, conformément à l’article 3, paragraphe 1, du protocole no 36, l’article 16, paragraphe 4, TUE a pris effet le 1er novembre 2014. Par ailleurs, elle relève que l’article 3, paragraphe 3, de ce protocole indique que la majorité qualifiée définie par le traité de Nice s’applique jusqu’au 31 octobre 2014, sans préjudice de l’article 235, paragraphe 1, deuxième alinéa, TFUE, qui renvoie à l’article 16, paragraphe 4, TUE. Partant, selon la Commission, il découle
du libellé de l’article 3, paragraphes 1 et 3, dudit protocole que la non-application de la majorité qualifiée définie à l’article 16, paragraphe 4, TUE après le 1er novembre 2014, sur le fondement de l’article 3, paragraphe 2, du même protocole, ne saurait porter atteinte à l’effet utile de cet article 16, paragraphe 4. Or, la Commission estime que l’interprétation de cet article 3, paragraphe 2, retenue par le Tribunal porte atteinte à l’article 16, paragraphe 4, TUE en ce qu’elle a pour effet
d’étendre l’applicabilité de l’article 3, paragraphe 3, du protocole no 36 même après le 31 mars 2017.

73 La Commission avance qu’une interprétation de l’article 3, paragraphes 2 et 3, du protocole no 36 permettant l’application de la majorité qualifiée définie par le traité de Nice après le 31 mars 2017 porte également atteinte à l’effet utile de l’article 16, paragraphe 4, TUE en ce qu’elle est contraire aux objectifs de cette dernière disposition.

74 À cet égard, la Commission fait valoir que la finalité de l’article 16, paragraphe 4, TUE était de mettre en place un nouveau régime de vote à la majorité qualifiée au Conseil, requérant l’obtention de la majorité des États membres et de la population de l’Union. Ainsi, elle estime que le système de majorité qualifiée prévu par le traité de Nice était beaucoup plus complexe et moins démocratique, de telle sorte que, en introduisant un critère tenant directement compte de la population des États
membres, la nouvelle définition de la majorité qualifiée énoncée à l’article 16, paragraphe 4, TUE a eu pour effet d’accroître la légitimité démocratique des décisions prises par le Conseil. La Commission avance que cette nouvelle définition a permis de réaliser l’objectif de l’Union consistant à fonder le fonctionnement de celle-ci sur la démocratie représentative.

75 La Commission considère que la limitation de l’effet utile de l’article 16, paragraphe 4, TUE entraîne une restriction du principe de démocratie, qui, selon une jurisprudence constante, figure parmi les valeurs fondamentales sur lesquelles repose l’Union. Or, selon la Commission, le Tribunal a opposé à cet objectif l’intérêt particulier d’un seul État membre à bénéficier, après le 31 mars 2017, à la suite d’une demande formulée le 30 mars 2017, d’une majorité qualifiée qui lui est plus favorable,
fondée sur des voix pondérées ne reflétant pas la représentation démocratique des citoyens de l’Union.

76 En outre, la Commission fait valoir que la finalité spécifique des dispositions combinées de l’article 16, paragraphe 5, TUE et de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 était non pas de maintenir les règles relatives à la définition de la majorité qualifiée applicables avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne pendant une période pratiquement indéterminée, mais de retarder, jusqu’au 31 mars 2017, l’application intégrale de celles relatives à la nouvelle définition de cette majorité,
énoncées à l’article 16, paragraphe 4, TUE, afin de protéger l’intérêt d’États membres dont le poids relatif lors des votes a été réduit par les règles du traité de Lisbonne.

77 La Commission estime que les trois périodes visées au point 45 de l’arrêt attaqué s’inscrivent également dans une telle logique d’application différée de ces règles relatives à la nouvelle définition générale de la majorité qualifiée figurant à l’article 16, paragraphe 4, TUE, la première période étant caractérisée par une inapplicabilité totale de ces règles, la deuxième période par une applicabilité de celles‑ci sous réserve de la possibilité d’y déroger en cas de demande préalable d’un État
membre, et la troisième période, qui, à la différence des deux premières périodes, ne saurait être qualifiée de « transitoire », par une applicabilité automatique, systématique et sans exception desdites règles.

78 Partant, la Commission considère que l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 retenue par le Tribunal aux points 42, 56 et 57 de l’arrêt attaqué perturbe ces trois périodes en introduisant, de facto, après le 31 mars 2017, une troisième période transitoire d’une durée indéterminée. Cette institution conclut que, compte tenu de l’objectif de l’article 16, paragraphe 4, TUE, qui consistait à établir une définition de la majorité qualifiée en tant que règle générale, toute
interprétation restrictive de la portée temporelle de cette règle, telle que celle retenue par le Tribunal aux points 40 et 41 de l’arrêt attaqué, doit être considérée comme constituant une limitation de son plein effet utile.

79 La République de Pologne conteste l’argumentation de la Commission.

Appréciation de la Cour

80 À titre liminaire, il y a lieu d’écarter l’argumentation de la Commission selon laquelle l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36, retenue par le Tribunal porte atteinte à l’effet utile de l’article 16, paragraphe 4, TUE, dans la mesure où cette argumentation repose sur la thèse, rejetée dans le cadre de l’examen de la première branche du moyen unique de la Commission, selon laquelle cette interprétation a pour effet de prolonger l’applicabilité de l’article 3,
paragraphe 3, du protocole no 36 après le 31 mars 2017.

81 En ce qui concerne l’argumentation de la Commission relative au principe de démocratie, il est vrai que, aux termes de l’article 10, paragraphe 1, TUE, le fonctionnement de l’Union est fondé sur le principe de démocratie représentative, qui concrétise la valeur de démocratie mentionnée à l’article 2 TUE (arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies, C‑502/19, EU:C:2019:1115, point 63 et jurisprudence citée).

82 Toutefois, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 63 et 64 de ses conclusions, l’argumentation de la Commission relative à l’importance de l’article 16, paragraphe 4, TUE pour la légitimité démocratique des actes de l’Union n’a, en soi, aucune pertinence aux fins de l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36. L’adoption de ce protocole reflète l’intention clairement exprimée par les rédacteurs du traité de Lisbonne d’assurer une transition flexible vers les
règles relatives à la définition de la majorité qualifiée énoncées à cet article 16, paragraphe 4. Il ne peut pas être reproché au Tribunal d’avoir méconnu, dans son appréciation de la portée de cet article 3, paragraphe 2, le principe de démocratie représentative alors même que, par cette appréciation, le Tribunal a assuré, par une interprétation stricte des règles transitoires et conformément au principe de sécurité juridique, que tout membre du Conseil avait le droit d’introduire, pendant la
totalité de la période allant du 1er novembre 2014 au 31 mars 2017, la demande visée audit article 3, paragraphe 2.

83 Il résulte de ce qui précède que l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36, retenue par le Tribunal aux points 42, 56 et 57 de l’arrêt attaqué, ne viole pas l’article 16, paragraphe 4, TUE.

84 Il s’ensuit que la seconde branche du moyen unique doit être rejetée comme étant non fondée.

85 Les deux branches du moyen unique ayant été écartées comme étant non fondées, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son intégralité.

Sur les dépens

86 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

87 En l’espèce, la République de Pologne ayant conclu à la condamnation de la Commission aux dépens et celle-ci ayant succombé en son moyen unique, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par cet État membre.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

  1) Le pourvoi est rejeté.

  2) La Commission européenne supporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par la République de Pologne.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-207/21
Date de la décision : 14/07/2022
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Annulation de la décision d’exécution (UE) 2017/1442 – Article 16, paragraphes 4 et 5, TUE – Article 3, paragraphes 2 et 3, du protocole (no 36) sur les dispositions transitoires – Application ratione temporis – Règles de vote du Conseil – Majorité qualifiée.

Environnement


Parties
Demandeurs : Commission européenne
Défendeurs : République de Pologne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Emiliou
Rapporteur ?: Rodin

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:560

Source

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