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14/07/2022 | CJUE | N°C-168/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, KL., 14/07/2022, C-168/21


 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

14 juillet 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2002/584/JAI – Article 2, paragraphe 4 – Condition de la double incrimination du fait – Article 4, point 1 – Motif de non‑exécution facultative du mandat d’arrêt européen – Contrôle par l’autorité judiciaire d’exécution – Faits en partie constitutifs d’une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution – Article 49, paragraphe 3, de la charte des droits fo

ndamentaux de l’Union européenne – Principe de
proportionnalité des délits et des peines »

Dans l’affaire C‑168/21,

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 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

14 juillet 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2002/584/JAI – Article 2, paragraphe 4 – Condition de la double incrimination du fait – Article 4, point 1 – Motif de non‑exécution facultative du mandat d’arrêt européen – Contrôle par l’autorité judiciaire d’exécution – Faits en partie constitutifs d’une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution – Article 49, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Principe de
proportionnalité des délits et des peines »

Dans l’affaire C‑168/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 26 janvier 2021, parvenue à la Cour le 16 mars 2021, dans la procédure relative à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis contre

KL

en présence de :

Procureur général près la cour d’appel d’Angers ,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe (rapporteure), présidente de chambre, MM. N. Jääskinen, M. Safjan, N. Piçarra et M. Gavalec, juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : Mme M. Ferreira, administratrice principale,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 janvier 2022,

considérant les observations présentées :

– pour KL, par Me A. Barletta, avvocato, Mes C. Glon et P. Mathonnet, avocats,

– pour le gouvernement français, par Mmes A. Daniel et A. L. Desjonquères, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme W. Ferrante, avvocato dello Stato,

– pour la Commission européenne, par Mmes A. Azéma et S. Grünheid, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 31 mars 2022,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 4, et de l’article 4, point 1, de la décision‑cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision‑cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre 2002/584 »), ainsi que de l’article 49, paragraphe 3, de la charte des
droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre de l’exécution, en France, d’un mandat d’arrêt européen émis par les autorités judiciaires italiennes contre KL aux fins de l’exécution d’une peine de douze ans et six mois d’emprisonnement pour des faits qualifiés de vol avec arme en réunion, de dévastation et pillage, de port d’armes et d’explosion d’engins commis à Gênes (Italie) en 2001.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 6 et 12 de la décision-cadre 2002/584 sont libellés comme suit :

« (6) Le mandat d’arrêt européen prévu par la présente décision-cadre constitue la première concrétisation, dans le domaine du droit pénal, du principe de reconnaissance mutuelle que le Conseil européen a qualifié de “pierre angulaire” de la coopération judiciaire.

[...]

(12) La présente décision-cadre respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par l’article 6 [TUE] et reflétés dans la [Charte] [...], notamment son chapitre VI. [...] »

4 L’article 1er de cette décision-cadre, intitulé « Définition du mandat d’arrêt européen et obligation de l’exécuter », dispose :

« 1.   Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.

2.   Les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre.

3.   La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 [TUE]. »

5 L’article 2 de ladite décision-cadre, intitulé « Champ d’application du mandat d’arrêt européen », prévoit, à ses paragraphes 1, 2 et 4 :

« 1.   Un mandat d’arrêt européen peut être émis pour des faits punis par la loi de l’État membre d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté d’un maximum d’au moins douze mois ou, lorsqu’une condamnation à une peine est intervenue ou qu’une mesure de sûreté a été infligée, pour des condamnations prononcées d’une durée d’au moins quatre mois.

2.   Les infractions suivantes, si elles sont punies dans l’État membre d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté d’un maximum d’au moins trois ans telles qu’elles sont définies par le droit de l’État membre d’émission, donnent lieu à remise sur la base d’un mandat d’arrêt européen, aux conditions de la présente décision‑cadre et sans contrôle de la double incrimination du fait :

[...]

4.   Pour les infractions autres que celles visées au paragraphe 2, la remise peut être subordonnée à la condition que les faits pour lesquels le mandat d’arrêt européen a été émis constituent une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution, quels que soient les éléments constitutifs ou la qualification de celle-ci. »

6 Les articles 3, 4 et 4 bis de la même décision-cadre énumèrent les motifs de non-exécution obligatoire et facultative du mandat d’arrêt européen. En particulier, l’article 4 de la décision-cadre 2002/584, intitulé « Motifs de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen », dispose, à son point 1 :

« L’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen :

1) si, dans l’un des cas visés à l’article 2, paragraphe 4, le fait qui est à la base du mandat d’arrêt européen ne constitue pas une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution ; [...] »

7 L’article 5 de la décision-cadre 2002/584 prévoit les garanties à fournir par l’État membre d’émission dans des cas particuliers.

Le droit français

8 L’article 695-23 du code de procédure pénale prévoit :

« L’exécution d’un mandat d’arrêt européen est également refusée si le fait faisant l’objet dudit mandat d’arrêt ne constitue pas une infraction au regard de la loi française.

Par dérogation au premier alinéa, un mandat d’arrêt européen est exécuté sans contrôle de la double incrimination des faits reprochés lorsque les agissements considérés sont, aux termes de la loi de l’État membre d’émission, punis d’une peine privative de liberté d’une durée égale ou supérieure à trois ans d’emprisonnement ou d’une mesure de sûreté privative de liberté d’une durée similaire et entrent dans l’une des catégories d’infractions prévues par l’article 694-32.

Lorsque les dispositions de l’alinéa précédent sont applicables, la qualification juridique des faits et la détermination de la peine encourue relèvent de l’appréciation exclusive de l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission. [...] »

Le droit italien

9 L’article 419 du codice penale (code pénal), dans sa version applicable aux faits du litige au principal, dispose :

« Quiconque commet, en dehors des cas prévus à l’article 285, des actes de dévastation ou de pillage est puni d’une peine d’emprisonnement de huit à quinze ans. Cette peine est aggravée si l’infraction est commise sur des armes, des munitions ou des denrées alimentaires dans un lieu de vente ou de stockage. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

10 Le 6 juin 2016, les autorités judiciaires italiennes ont émis contre KL un mandat d’arrêt européen aux fins de l’exécution d’une peine de douze ans et six mois d’emprisonnement, prononcée par l’arrêt de la Corte d’appello di Genova (cour d’appel de Gênes, Italie) du 9 octobre 2009 et devenue exécutoire, le 13 juillet 2012, à la suite du rejet du pourvoi de l’intéressé par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), prononcé à la même date.

11 Cette peine correspond au cumul de quatre peines infligées pour quatre infractions, à savoir la première, le vol avec arme en réunion, punie d’une peine d’un an d’emprisonnement, la deuxième, la dévastation et le pillage, punie d’une peine de dix ans d’emprisonnement, la troisième, le port d’armes, punie d’une peine de neuf mois d’emprisonnement et la quatrième, l’explosion d’engins, punie d’une peine de neuf mois d’emprisonnement.

12 S’agissant spécifiquement de l’infraction qualifiée de « dévastation et pillage », le mandat d’arrêt européen décrit les circonstances de commission de cette infraction de la manière suivante :

« [E]n réunion avec d’autres, étant plus de cinq personnes, en prenant partie à la manifestation contre le sommet G 8, [KL] a commis [des] actions de dévastation et de pillage dans un contexte, d’un point de vue du lieu et du temps, dans lequel il y a eu un danger objectif pour l’ordre public ; plusieurs cas d’endommagement de l’ameublement urbain et de propriétés publiques avec dommage conséquent qui n’a pu être quantifié avec précision, mais pas inférieur à des centaines de millions de lires ;
endommagement, pillage, destruction à l’aide d’incendie aussi d’[une] institution de crédit, de voitures et d’autres commerces, avec la circonstance aggravante d’avoir causé un préjudice patrimonial de gravité considérable aux personnes impliquées ».

13 Selon les indications fournies à la Cour, il résulte de l’arrêt de la Corte d’appello di Genova (cour d’appel de Gênes) du 9 octobre 2009 que, sous la qualification de « dévastation et pillage », prévue à l’article 419 du code pénal, sept actes, réprimés comme formant une seule et même infraction, ont été imputés à KL, à savoir l’endommagement d’aménagements urbains et de propriétés publiques, l’endommagement et le pillage d’un chantier de construction, l’endommagement total des locaux de Credito
Italiano SpA, l’endommagement total par un incendie d’un véhicule de type Fiat Uno, l’endommagement total par un incendie des locaux de Banca Carige SpA, l’endommagement total par un incendie d’un véhicule de type Fiat Brava ainsi que l’endommagement total et le pillage d’un supermarché.

14 KL n’a pas consenti à sa remise en exécution du mandat d’arrêt européen mentionné au point 10 du présent arrêt.

15 Par un arrêt en date du 23 août 2019, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes (France) a ordonné un complément d’informations tendant notamment à la production de l’arrêt de la Corte d’appello di Genova (cour d’appel de Gênes) du 9 octobre 2009 et de l’arrêt de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) du 13 juillet 2012, visé au point 10 du présent arrêt.

16 Par un arrêt en date du 15 novembre 2019, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes a refusé la remise de KL pour un motif procédural. Cet arrêt a été cassé par la Cour de cassation (France) et l’affaire a été renvoyée devant la cour d’appel d’Angers (France).

17 Par un arrêt du 4 novembre 2020, la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Angers a, d’une part, refusé la remise de KL aux autorités italiennes en vertu du mandat d’arrêt européen en tant que ce dernier avait été émis pour l’exécution de la peine de dix ans d’emprisonnement prononcée pour les faits qualifiés de « dévastation et pillage » et, d’autre part, ordonné un supplément d’informations tendant à demander à l’autorité judiciaire italienne si elle souhaitait que soit exécutée en
France la condamnation à deux ans et six mois d’emprisonnement prononcée au titre des trois autres peines visées dans ce mandat.

18 Le procureur général près la cour d’appel d’Angers et KL se sont pourvus en cassation contre cet arrêt devant la Cour de cassation, qui est la juridiction de renvoi.

19 Celle-ci estime que l’affaire portée devant elle soulève des questions d’interprétation de la condition de la double incrimination du fait, prévue à l’article 2, paragraphe 4, et à l’article 4, point 1, de la décision‑cadre 2002/584 (ci-après la « condition de la double incrimination du fait »).

20 À cet égard, la juridiction de renvoi souligne que, pour refuser la remise de KL au titre de l’exécution de la peine de dix ans d’emprisonnement prononcée pour les faits qualifiés de « dévastation et pillage », la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Angers a relevé que deux des agissements sous-jacents à cette infraction n’étaient pas susceptibles de constituer une infraction en France, à savoir, d’une part, l’endommagement des locaux du Credito Italiano et, d’autre part,
l’endommagement par incendie du véhicule du type Fiat Brava. Cette chambre de l’instruction en a déduit que la Corte d’appello di Genova (cour d’appel de Gênes) et la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation), ayant « exprimé la volonté non équivoque » d’analyser les sept faits poursuivis sous la qualification de « dévastation et pillage » comme formant un ensemble indissociable, la condition de la double incrimination du fait imposait d’écarter l’ensemble des faits indissociables
sanctionnés sous cette qualification.

21 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi indique que, à la lumière de la jurisprudence de la Cour issue de l’arrêt du 11 janvier 2017, Grundza (C‑289/15, EU:C:2017:4), lors de l’appréciation de la condition de la double incrimination du fait, il incombe à l’autorité judiciaire d’exécution de vérifier si les faits à la base de l’infraction concernée, tels que ceux-ci sont exposés dans le jugement prononcé par l’autorité compétente de l’État membre d’émission, seraient également, en tant que
tels, passibles d’une sanction pénale sur le territoire de l’État membre d’exécution, dans l’hypothèse où ces faits se seraient produits sur ce territoire. Une correspondance parfaite ne serait requise ni entre les éléments constitutifs de cette infraction, telle que qualifiée respectivement dans le droit de l’État membre d’émission et dans celui de l’État membre d’exécution, ni dans la dénomination ou dans la classification de ladite infraction, selon les droits nationaux concernés.

22 Ladite juridiction fait valoir que, bien qu’ayant été dégagée dans le cadre de l’interprétation de la décision-cadre 2008/909/JAI du Conseil, du 27 novembre 2008, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne (JO 2008, L 327, p. 27), cette jurisprudence apparaît transposable aux conditions dans lesquelles doit s’effectuer le contrôle de la
double incrimination du fait en matière de mandat d’arrêt européen en raison de la similitude dans les deux décisions-cadre des dispositions relatives à la double incrimination.

23 La même juridiction indique que, dans le droit italien, l’infraction de « dévastation et pillage » vise des actes de destruction et de dégradation multiples, massifs, occasionnant non seulement un préjudice aux propriétaires de biens, mais également une atteinte à la paix publique, mettant en danger le déroulement normal de la vie civile. Dans le droit pénal français, le fait de mettre en danger la paix publique par des destructions de masse de biens meubles ou immeubles ne serait pas
spécifiquement incriminé. Seuls le sont les destructions, les dégradations, le vol avec dégradations commis, le cas échéant, en réunion, de nature à causer un préjudice aux propriétaires de tels biens.

24 Si une correspondance parfaite n’est pas requise entre les éléments constitutifs de l’infraction concernée dans le droit italien et ceux de l’infraction correspondante dans le droit français, l’atteinte à la paix publique apparaîtrait néanmoins comme un élément essentiel aux fins de la qualification de l’infraction de « dévastation et pillage », de telle sorte que, de l’avis de la juridiction de renvoi, l’application de la condition de la double incrimination du fait ne paraît pas s’imposer avec
une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable.

25 Dans l’hypothèse où la condition de la double incrimination du fait ne ferait pas obstacle à la remise de KL, cette juridiction estime que se poserait alors la question de la proportionnalité de la peine pour laquelle cette remise est sollicitée au regard des seuls faits pour lesquels cette condition est satisfaite.

26 À cet égard, en premier lieu, la juridiction de renvoi fait observer que la décision-cadre 2002/584 ne contient aucune disposition permettant à l’autorité judiciaire d’exécution de refuser la remise de l’intéressé au motif que la peine prononcée dans l’État membre d’émission apparaîtrait disproportionnée au regard des faits pour lesquels la remise est encourue.

27 En second lieu, si l’article 5 de cette décision-cadre énonçait que l’exécution du mandat d’arrêt européen peut être subordonnée par le droit de l’État membre d’exécution à la condition que le système juridique de l’État membre d’émission prévoie des dispositions permettant une révision de la peine infligée, ce serait dans le seul cas où l’infraction qui est à la base de l’émission du mandat d’arrêt européen est punie par une peine ou une mesure de sûreté privatives de liberté à caractère
perpétuel.

28 Dès lors, même si l’autorité judiciaire d’exécution estimait que de sérieuses difficultés existent quant à la proportionnalité du mandat d’arrêt européen, elle ne pourrait refuser, pour ce motif, d’ordonner la remise de la personne recherchée en vue de l’exécution de la peine prononcée dans l’État membre d’émission. En outre, dès lors qu’il revient, en principe, à l’autorité judiciaire d’émission de vérifier la proportionnalité d’un mandat d’arrêt européen préalablement à son émission, dans
l’hypothèse où un tel mandat est délivré pour l’exécution d’une peine en répression d’une infraction unique caractérisée par plusieurs agissements, mais dont seuls certains constituent une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution, il se pourrait que ce mandat ne soit plus proportionné au stade de son exécution alors qu’il l’était au stade de son émission.

29 Dans ces conditions, au vu des droits et des principes juridiques fondamentaux qui doivent être respectés dans le cadre du mandat d’arrêt européen, conformément à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision‑cadre 2002/584, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si l’article 49, paragraphe 3, de la Charte, qui pose le principe selon lequel l’intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l’infraction concernée, impose à l’autorité judiciaire d’exécution
de refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen, lorsque, d’une part, celui-ci a été émis aux fins de l’exécution d’une peine unique en répression d’une infraction unique et que, d’autre part, une partie des faits pour lesquels cette peine a été prononcée ne constitue pas une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution.

30 Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 2, paragraphe 4, et l’article 4, [point] 1, de la décision‑cadre 2002/584 doivent-ils être interprétés en ce sens que la condition de la double incrimination [du fait] est satisfaite dans une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle la remise est demandée pour des actes qui ont été qualifiés, dans l’État [membre] d’émission, de dévastation et [de] pillage consistant en des faits de dévastation et de pillage de nature à porter atteinte à la paix publique
lorsqu’existent dans l’État [membre] d’exécution les incriminations de vol avec dégradation, destruction, dégradation qui n’exigent pas cet élément d’atteinte à la paix publique ?

2) Pour le cas où la première question appellerait une réponse positive, convient-il d’interpréter l’article 2, paragraphe 4, et l’article 4, [point] 1, de la décision-cadre 2002/584 en ce sens que la juridiction de l’État [membre] d’exécution peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen délivré pour l’exécution d’une peine lorsqu’elle constate que la personne concernée a été condamnée par les autorités judiciaires de l’État [membre] d’émission à cette peine pour la commission d’une
infraction unique dont la prévention visait différents agissements et que seule une partie de ces agissements constitue une infraction pénale au regard de l’État [membre] d’exécution ? Convient-il de distinguer selon que les autorités de jugement de l’État [membre] d’émission ont considéré ces différents agissements comme étant divisibles ou non ?

3) L’article 49, paragraphe 3, de la [Charte] impose-t-il à l’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution de refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen, lorsque, d’une part, celui-ci a été délivré aux fins d’exécution d’une peine unique en répression d’une infraction unique et que, d’autre part, certains des faits pour lesquels cette peine a été prononcée ne constituant pas une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution, la remise ne peut être accordée que pour une partie
de ces faits ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

31 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 4, et l’article 4, point 1, de la décision-cadre 2002/584 doivent être interprétés en ce sens que la condition de la double incrimination du fait est satisfaite dans la situation où un mandat d’arrêt européen est émis aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté prononcée pour des faits qui relèvent, dans l’État membre d’émission, d’une infraction nécessitant que ces faits portent
atteinte à un intérêt juridique protégé dans cet État membre, lorsque de tels faits font également l’objet d’une infraction pénale au regard du droit de l’État membre d’exécution pour laquelle l’atteinte à cet intérêt juridique protégé n’est pas un élément constitutif.

32 Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, afin de déterminer la portée de la condition de la double incrimination du fait, il convient de tenir compte non seulement des termes de l’article 2, paragraphe 4, et de l’article 4, point 1, de la décision-cadre 2002/584, mais également de leur contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ces dispositions font partie [voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2021, Spetsializirana prokuratura (Déclaration des droits),
C‑649/19, EU:C:2021:75, point 42 et jurisprudence citée].

33 En premier lieu, il ressort des termes de l’article 2, paragraphe 4, de la décision-cadre 2002/584 que l’appréciation de la condition de la double incrimination du fait exige de vérifier si les faits pour lesquels le mandat d’arrêt européen a été émis constituent une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution, et ce « quels que soient les éléments constitutifs ou la qualification de celle-ci ». Corrélativement, l’article 4 de cette décision-cadre, relatif aux motifs de
non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen, énonce, à son point 1, que l’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen si, dans l’un des cas visés à l’article 2, paragraphe 4, de ladite décision-cadre, le fait qui est à la base du mandat d’arrêt européen ne constitue pas une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution.

34 Ainsi, afin de déterminer si la condition de la double incrimination du fait est satisfaite, il est nécessaire et suffisant que les faits qui ont donné lieu à l’émission du mandat d’arrêt européen constituent également une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution. Il s’ensuit qu’il n’est pas exigé que les infractions soient identiques dans les deux États membres concernés (voir par analogie, à propos de l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en
matière pénale, arrêt du 11 janvier 2017, Grundza, C‑289/15, EU:C:2017:4, point 34).

35 En effet, il ressort clairement des termes « quels que soient les éléments constitutifs ou la qualification » de l’infraction telle que prévue dans l’État membre d’exécution que le législateur de l’Union n’a pas exigé une correspondance parfaite ni entre les éléments constitutifs de l’infraction, telle que qualifiée respectivement dans le droit de l’État membre d’émission et dans celui de l’État membre d’exécution, ni dans la dénomination ou dans la classification de cette infraction selon ces
droits nationaux (voir, par analogie, arrêt du 11 janvier 2017, Grundza, C‑289/15, EU:C:2017:4, point 35).

36 Il en résulte que, lors de l’appréciation de la condition de la double incrimination du fait, afin de déterminer s’il existe un motif de non‑exécution du mandat d’arrêt européen au titre de l’article 4, point 1, de la décision-cadre 2002/584, il incombe à l’autorité judiciaire d’exécution de vérifier si les éléments factuels de l’infraction ayant donné lieu à l’émission de ce mandat d’arrêt européen seraient également, en tant que tels, constitutifs d’une infraction au regard du droit de l’État
membre d’exécution dans l’hypothèse où ils se seraient produits sur le territoire de ce dernier (voir, par analogie, arrêt du 11 janvier 2017, Grundza, C‑289/15, EU:C:2017:4, point 38).

37 En second lieu, le contexte dans lequel s’inscrivent l’article 2, paragraphe 4, et l’article 4, point 1, de la décision-cadre 2002/584 ainsi que les objectifs de cette décision-cadre militent également en faveur d’une telle interprétation.

38 À cet égard, il convient de rappeler que ladite décision-cadre tend, par l’instauration d’un système simplifié et efficace de remise des personnes condamnées ou soupçonnées d’avoir enfreint la loi pénale, à faciliter et à accélérer la coopération judiciaire en vue de contribuer à réaliser l’objectif assigné à l’Union européenne de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice en se fondant sur le degré de confiance élevé qui doit exister entre les États membres [arrêt du 22 février
2022, Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission), C‑562/21 PPU et C‑563/21 PPU, EU:C:2022:100, point 42 ainsi que jurisprudence citée].

39 Le principe de reconnaissance mutuelle, qui constitue, selon le considérant 6 de la décision-cadre 2002/584, la « pierre angulaire » de la coopération judiciaire en matière pénale, trouve son expression à l’article 1er, paragraphe 2, de cette décision-cadre, qui consacre la règle selon laquelle les États membres sont tenus d’exécuter tout mandat d’arrêt européen sur la base de ce principe et conformément aux dispositions de ladite décision-cadre [arrêt du 22 février 2022, Openbaar Ministerie
(Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission), C‑562/21 PPU et C‑563/21 PPU, EU:C:2022:100, point 43 ainsi que jurisprudence citée].

40 Il s’ensuit que les autorités judiciaires d’exécution ne peuvent, en principe, refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen que pour les motifs, exhaustivement énumérés, de non-exécution prévus par la décision-cadre 2002/584 et que l’exécution de celui-ci ne saurait être subordonnée qu’à l’une des conditions limitativement prévues à l’article 5 de cette décision-cadre. Par conséquent, alors que l’exécution du mandat d’arrêt européen constitue le principe, le refus d’exécution est conçu comme une
exception qui doit faire l’objet d’une interprétation stricte [arrêt du 22 février 2022, Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission), C‑562/21 PPU et C‑563/21 PPU, EU:C:2022:100, point 44 ainsi que jurisprudence citée].

41 Le principe de reconnaissance mutuelle, qui sous-tend le mécanisme de remise mis en place par la décision-cadre 2002/584, a conduit, notamment, à l’établissement, à l’article 2, paragraphe 2, de cette décision-cadre, d’une liste d’infractions pénales qui donnent lieu à la remise de la personne concernée sur la base d’un mandat européen sans contrôle de la double incrimination du fait.

42 Pour les infractions qui ne figurent pas sur cette liste, l’article 2, paragraphe 4, de ladite décision-cadre prévoit la faculté pour l’État membre d’exécution de subordonner l’exécution du mandat d’arrêt européen à la circonstance que la condition de la double incrimination du fait soit satisfaite.

43 Cette condition constitue, en vertu de l’article 4, point 1, de la même décision-cadre, un motif de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen et, ainsi, une exception à la règle selon laquelle le mandat d’arrêt européen doit être exécuté, de telle sorte que le champ d’application de ce motif de non-exécution du mandat d’arrêt européen doit être interprété de manière stricte afin de limiter les cas de non‑exécution de ce mandat d’arrêt (voir, par analogie, arrêt du 11 janvier 2017,
Grundza, C‑289/15, EU:C:2017:4, point 46).

44 Partant, si l’article 4, point 1, de la décision-cadre 2002/584 confère le pouvoir à l’autorité judiciaire d’exécution de refuser l’exécution du mandat d’arrêt européen lorsque la condition de la double incrimination du fait n’est pas satisfaite, cette disposition, dès lors qu’elle édicte une règle dérogatoire par rapport au principe de reconnaissance mutuelle énoncé à l’article 1er, paragraphe 2, de cette décision-cadre, ne saurait être interprétée d’une manière qui aboutirait à neutraliser
l’objectif rappelé aux points 38 à 40 du présent arrêt consistant à faciliter et à accélérer les remises entre les autorités judiciaires des États membres eu égard à la confiance mutuelle qui doit exister entre ceux-ci [voir, par analogie, arrêt du 24 septembre 2020, Generalbundesanwalt beim Bundesgerichtshof (Principe de spécialité), C‑195/20 PPU, EU:C:2020:749, point 35 et jurisprudence citée].

45 Or, une interprétation de la condition de la double incrimination du fait en ce sens que cette condition exigerait qu’il existe une correspondance parfaite entre les éléments constitutifs de l’infraction telle que qualifiée dans le droit de l’État membre d’émission et ceux de l’infraction prévue dans le droit de l’État membre d’exécution, ainsi qu’en ce qui concerne l’intérêt juridique protégé dans les droits de ces deux États membres, porterait atteinte à l’effectivité de la procédure de remise.

46 En effet, eu égard à l’harmonisation minimale dans le domaine du droit pénal au niveau de l’Union, une telle correspondance parfaite est susceptible de faire défaut pour un grand nombre d’infractions. L’interprétation envisagée au point précédent limiterait par conséquent considérablement les situations dans lesquelles la condition de la double incrimination du fait pourrait être satisfaite, mettant ainsi en péril l’objectif poursuivi par la décision-cadre 2002/584.

47 En outre, et par voie de conséquence, cette interprétation méconnaîtrait également l’objectif consistant à lutter contre l’impunité d’une personne recherchée qui se trouve sur un territoire autre que celui sur lequel elle a commis une infraction, lequel constitue aussi un objectif de la décision‑cadre 2002/584 [voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2020, Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission), C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU, EU:C:2020:1033, point 62 ainsi que
jurisprudence citée].

48 En effet, une interprétation de la condition de la double incrimination du fait en ce sens que cette condition exigerait que l’intérêt juridique protégé dont la violation est un élément constitutif de l’infraction au regard du droit de l’État membre d’émission doive être un élément constitutif de l’infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution pourrait conduire au refus de la remise de la personne concernée en exécution du mandat d’arrêt européen, alors même que cette personne a fait
l’objet d’une condamnation dans l’État membre d’émission et que les faits pour lesquels ce mandat d’arrêt européen a été émis constituent une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution.

49 Partant, l’application de la condition de la double incrimination du fait ne saurait exiger que l’autorité judiciaire d’exécution vérifie que l’atteinte à l’intérêt juridique protégé par le droit de l’État membre d’émission soit également un élément constitutif de l’infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution.

50 Par conséquent, il est sans pertinence que les faits qui ont donné lieu à l’émission du mandat d’arrêt européen relèvent, dans l’État membre d’émission, d’une infraction exigeant que ces faits soient de nature à porter atteinte à un intérêt juridique protégé en vertu du droit de cet État membre, tel que, en l’occurrence, l’atteinte à la paix publique, alors que cet élément n’est pas requis dans le droit de l’État membre d’exécution pour que les mêmes faits puissent faire l’objet d’une infraction.

51 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 2, paragraphe 4, et l’article 4, point 1, de la décision‑cadre 2002/584 doivent être interprétés en ce sens que la condition de la double incrimination du fait est satisfaite dans la situation où un mandat d’arrêt européen est émis aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté prononcée pour des faits qui relèvent, dans l’État membre d’émission, d’une infraction nécessitant que ces faits portent
atteinte à un intérêt juridique protégé dans cet État membre, lorsque de tels faits font également l’objet d’une infraction pénale au regard du droit de l’État membre d’exécution pour laquelle l’atteinte à cet intérêt juridique protégé n’est pas un élément constitutif.

Sur les deuxième et troisième questions

52 Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 4, et l’article 4, point 1, de la décision-cadre 2002/584, lus à la lumière de l’article 49, paragraphe 3, de la Charte, doivent être interprétés en ce sens que l’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen émis pour l’exécution d’une peine privative de liberté, lorsque cette peine a été infligée, dans l’État
membre d’émission, pour la commission, par la personne recherchée, d’une infraction unique composée de plusieurs faits dont seule une partie constitue une infraction pénale dans l’État membre d’exécution.

53 À titre liminaire, il y a lieu de constater que l’article 2, paragraphe 4, et l’article 4, point 1, de la décision-cadre 2002/584 n’envisagent pas expressément l’hypothèse selon laquelle l’exécution d’un mandat d’arrêt européen pourrait être refusée, au motif que seule une partie des faits ayant donné lieu à l’infraction unique dans l’État membre d’émission sur laquelle se fonde ce mandat d’arrêt européen constitue une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution.

54 Dans ces conditions, il convient d’avoir égard au contexte dans lequel ces dispositions s’inscrivent ainsi qu’aux objectifs poursuivis par la décision-cadre 2002/584.

55 En premier lieu, il découle de la réponse à la première question qu’il n’est pas pertinent, aux fins de l’appréciation de la condition de la double incrimination du fait, que les faits pour lesquels le mandat d’arrêt européen a été émis ont été qualifiés d’infraction unique au regard du droit de l’État membre d’émission.

56 En effet, ainsi qu’il ressort du point 51 du présent arrêt, cette appréciation se limite à déterminer si, dans l’hypothèse où les faits concernés s’étaient produits sur le territoire de l’État membre d’exécution, ces faits auraient également constitué une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution, indépendamment des éléments constitutifs de cette infraction et de la qualification retenus dans l’État membre d’émission.

57 En second lieu, s’agissant du point de savoir si l’autorité judiciaire d’exécution est susceptible de trouver un motif de non-exécution du mandat d’arrêt européen dans la circonstance que seule une partie desdits faits constitue une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution, il y a lieu de rappeler, ainsi qu’il est indiqué au point 43 du présent arrêt, que la condition de la double incrimination du fait compte parmi les motifs de non-exécution facultative du mandat d’arrêt
européen, énumérés à l’article 4 de cette décision-cadre, lesquels doivent être interprétés de manière stricte, afin de limiter les cas de non‑exécution du mandat d’arrêt européen.

58 Par conséquent, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 55 de ses conclusions, sauf à étendre le motif de non-exécution visé à l’article 4, point 1, de la décision-cadre 2002/584 à la partie des faits qui constitue une infraction selon le droit de l’État membre d’exécution et qui ne relève ainsi pas du champ d’application de ce motif, la circonstance que seule une partie des faits composant une infraction dans l’État membre d’émission constitue également une infraction au
regard du droit de l’État membre d’exécution ne saurait permettre à l’autorité judiciaire d’exécution de refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen.

59 Cette interprétation est corroborée par l’économie de cette décision‑cadre.

60 En effet, à supposer que, dans la circonstance visée au point 58 du présent arrêt, la remise soit subordonnée à la condition que la personne concernée ne subisse pas la peine dans l’État membre d’émission pour la partie des faits qui ne constitue pas une infraction dans l’État membre d’exécution, il convient de relever qu’une telle condition ne figure pas à l’article 5 de la décision-cadre 2002/584. Or, la Cour a itérativement jugé que l’exécution du mandat d’arrêt européen ne saurait être
subordonnée qu’à l’une des conditions limitativement prévues à cet article 5 [voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2020, X (Mandat d’arrêt européen – Double incrimination), C‑717/18, EU:C:2020:142, point 41 et jurisprudence citée].

61 L’interprétation de l’article 2, paragraphe 4, et de l’article 4, point 1, de la décision-cadre 2002/584, figurant aux points précédents du présent arrêt, est par ailleurs confortée par l’analyse des objectifs poursuivis par la décision-cadre 2002/584, rappelés aux points 38 à 40 et 47 de cet arrêt, à savoir, d’une part, l’objectif consistant à faciliter et à accélérer les remises entre les autorités judiciaires des États membres eu égard à la confiance mutuelle qui doit exister entre ceux-ci et,
d’autre part, celui consistant à lutter contre l’impunité d’une personne recherchée qui se trouve sur un territoire autre que celui sur lequel elle a prétendument commis une infraction.

62 Ainsi que le gouvernement français le fait valoir, en substance, dans ses observations écrites, l’interprétation de la condition de la double incrimination du fait en ce sens que l’exécution du mandat d’arrêt européen pourrait être refusée au motif qu’une partie des faits incriminés dans l’État membre d’émission ne constitue pas une infraction dans l’État membre d’exécution créerait des obstacles à la remise effective de la personne concernée et conduirait à l’impunité de celle-ci pour l’ensemble
des faits concernés. En effet, cette interprétation conduirait à refuser la remise alors même qu’une partie de ces faits satisfait à cette condition.

63 Partant, il y a lieu de considérer que la condition de la double incrimination du fait est satisfaite lorsque le mandat d’arrêt européen est émis pour l’exécution d’une peine privative de liberté, quand bien même cette peine a été infligée, dans l’État membre d’émission, pour la commission par la personne recherchée d’une infraction unique composée de plusieurs faits dont seule une partie constitue une infraction pénale dans l’État membre d’exécution.

64 Une telle interprétation est également conforme au principe de proportionnalité des délits et des peines, prévu à l’article 49, paragraphe 3, de la Charte, sur lequel portent les interrogations de la juridiction de renvoi.

65 En effet, d’une part, dans le système mis en place par la décision‑cadre 2002/584, le respect du principe de proportionnalité des délits et des peines est assuré par les autorités judiciaires de l’État membre d’émission. La Cour a jugé que la garantie du respect des droits de la personne dont la remise est demandée relève au premier chef de la responsabilité de l’État membre d’émission [arrêts du 23 janvier 2018, Piotrowski, C‑367/16, EU:C:2018:27, point 50, et du 6 décembre 2018, IK (Exécution
d’une peine complémentaire), C‑551/18 PPU, EU:C:2018:991, point 66].

66 D’autre part, ainsi que M. l’avocat l’a relevé au point 63 de ses conclusions, le caractère éventuellement disproportionné de la peine prononcée dans l’État membre d’émission ne figure pas parmi les motifs de non-exécution obligatoire et facultative d’un mandat d’arrêt européen figurant aux articles 3, 4 et 4 bis de la décision‑cadre 2002/584.

67 En outre, il ressort du point 36 du présent arrêt que la condition de la double incrimination du fait implique uniquement de vérifier si les éléments factuels de l’infraction ayant donné lieu à l’émission de ce mandat d’arrêt européen seraient également, en tant que tels, constitutifs d’une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution dans l’hypothèse où ils se seraient produits sur le territoire de ce dernier.

68 Il ne revient dès lors pas à l’autorité judiciaire d’exécution, dans le cadre de l’appréciation de cette condition, d’évaluer la peine prononcée dans l’État membre d’émission au regard de l’article 49, paragraphe 3, de la Charte.

69 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux deuxième et troisième questions que l’article 2, paragraphe 4, et l’article 4, point 1, de la décision-cadre 2002/584, lus à la lumière de l’article 49, paragraphe 3, de la Charte, doivent être interprétés en ce sens que l’autorité judiciaire d’exécution ne peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen émis pour l’exécution d’une peine privative de liberté, lorsque cette peine a été infligée, dans l’État
membre d’émission, pour la commission, par la personne recherchée, d’une infraction unique composée de plusieurs faits dont seule une partie constitue une infraction pénale dans l’État membre d’exécution.

Sur les dépens

70 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 2, paragraphe 4, et l’article 4, point 1, de la décision‑cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, doivent être interprétés en ce sens que la condition de la double incrimination du fait, prévue à ces dispositions, est satisfaite dans la situation où un mandat d’arrêt européen est émis aux fins de l’exécution
d’une peine privative de liberté prononcée pour des faits qui relèvent, dans l’État membre d’émission, d’une infraction nécessitant que ces faits portent atteinte à un intérêt juridique protégé dans cet État membre, lorsque de tels faits font également l’objet d’une infraction pénale au regard du droit de l’État membre d’exécution pour laquelle l’atteinte à cet intérêt juridique protégé n’est pas un élément constitutif.

  2) L’article 2, paragraphe 4, et l’article 4, point 1, de la décision-cadre 2002/584, telle que modifiée par la décision‑cadre 2009/299, lus à la lumière de l’article 49, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens que l’autorité judiciaire d’exécution ne peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen émis pour l’exécution d’une peine privative de liberté, lorsque cette peine a été infligée, dans l’État membre d’émission, pour
la commission, par la personne recherchée, d’une infraction unique composée de plusieurs faits dont seule une partie constitue une infraction pénale dans l’État membre d’exécution.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-168/21
Date de la décision : 14/07/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par la Cour de cassation (France).

Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2002/584/JAI – Article 2, paragraphe 4 – Condition de la double incrimination du fait – Article 4, point 1 – Motif de non‑exécution facultative du mandat d’arrêt européen – Contrôle par l’autorité judiciaire d’exécution – Faits en partie constitutifs d’une infraction au regard du droit de l’État membre d’exécution – Article 49, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Principe de proportionnalité des délits et des peines.

Espace de liberté, de sécurité et de justice

Charte des droits fondamentaux

Droits fondamentaux

Coopération judiciaire en matière pénale


Parties
Demandeurs : KL.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rantos
Rapporteur ?: Jürimäe

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:558

Source

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