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07/07/2022 | CJUE | N°C-377/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Ville de Mons et Zone de secours Hainaut-Centre contre RM., 07/07/2022, C-377/21


 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

7 juillet 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 97/81/CE – Accord-cadre sur le travail à temps partiel – Clause 4 – Principe de non-discrimination – Principe du prorata temporis – Prise en compte, aux fins du calcul de la rémunération d’un pompier professionnel engagé à temps plein, de l’ancienneté acquise par celui-ci en tant que pompier volontaire, selon le principe du prorata temporis »

Dans l’affaire C‑377/21,

ayant pour objet une demande de

décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la cour du travail de Mons (Belgique), par déci...

 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

7 juillet 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 97/81/CE – Accord-cadre sur le travail à temps partiel – Clause 4 – Principe de non-discrimination – Principe du prorata temporis – Prise en compte, aux fins du calcul de la rémunération d’un pompier professionnel engagé à temps plein, de l’ancienneté acquise par celui-ci en tant que pompier volontaire, selon le principe du prorata temporis »

Dans l’affaire C‑377/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la cour du travail de Mons (Belgique), par décision du 15 juin 2021, parvenue à la Cour le 21 juin 2021, dans la procédure

Ville de Mons,

Zone de secours Hainaut-Centre

contre

RM,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. J. Passer, président de chambre, M. N. Wahl et Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour la ville de Mons, par Mes N. Fortemps et O. Vanleemputten, avocats,

– pour RM, par Me P. Joassart, avocat,

– pour la Commission européenne, par M. D. Martin et Mme D. Recchia, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à temps partiel, conclu le 6 juin 1997 (ci-après l’« accord-cadre »), qui figure à l’annexe de la directive 97/81/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant l’accord-cadre sur le travail à temps partiel conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES (JO 1998, L 14, p. 9).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant RM, un pompier professionnel, à la ville de Mons (Belgique) et à la Zone de secours Hainaut-Centre (Belgique) au sujet de la prise en compte de son ancienneté, acquise en tant que pompier volontaire, aux fins du calcul de sa rémunération.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 En vertu de la clause 1, sous a), de l’accord-cadre, celui-ci a pour objet « d’assurer la suppression des discriminations à l’égard des travailleurs à temps partiel et d’améliorer la qualité du travail à temps partiel ».

4 La clause 2 de l’accord-cadre dispose :

« 1. Le présent accord s’applique aux travailleurs à temps partiel ayant un contrat ou une relation de travail définis par la législation, les conventions collectives ou pratiques en vigueur dans chaque État membre.

2. Les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives ou pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux au niveau approprié conformément aux pratiques nationales de relations industrielles peuvent, pour des raisons objectives, exclure totalement ou partiellement des dispositions du présent accord les travailleurs à temps partiel qui travaillent sur une base occasionnelle. Ces exclusions devraient être réexaminées
périodiquement afin d’établir si les raisons objectives qui les sous-tendent demeurent valables. »

5 La clause 3 de l’accord-cadre énonce :

« Aux fins du présent accord, on entend par :

1) “travailleur à temps partiel” : un salarié dont la durée normale de travail, calculée sur une base hebdomadaire ou en moyenne sur une période d’emploi pouvant aller jusqu’à un an, est inférieure à celle d’un travailleur à temps plein comparable ;

2) “travailleur à temps plein comparable” : un salarié à temps plein du même établissement ayant le même type de contrat ou de relation de travail et un travail/emploi identique ou similaire, en tenant compte d’autres considérations pouvant inclure l’ancienneté et les qualifications/compétences.

Lorsqu’il n’existe aucun travailleur à temps plein comparable dans le même établissement, la comparaison s’effectue par référence à la convention collective applicable ou, en l’absence de convention collective applicable, conformément à la législation, aux conventions collectives ou pratiques nationales. »

6 La clause 4 de l’accord-cadre prévoit :

« 1. Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à temps partiel ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à temps plein comparables au seul motif qu’ils travaillent à temps partiel, à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives.

2. Lorsque c’est approprié, le principe du pro rata temporis s’applique.

[...] »

Le droit belge

La loi du 5 mars 2002

7 La directive 97/81 a été transposée dans l’ordre juridique belge par la loi du 5 mars 2002 relative au principe de non-discrimination en faveur des travailleurs à temps partiel (Moniteur belge du 13 mars 2002, p. 10641, ci-après la « loi du 5 mars 2002 »). Cette loi ne s’applique, selon son article 2, qu’au travailleur qui, en vertu d’un contrat de travail, fournit des prestations de travail, contre rémunération et sous l’autorité d’une autre personne, c’est-à-dire au travailleur lié par un
contrat de travail.

L’arrêté royal du 20 mars 2002, tel que modifié par l’arrêté royal du 2 juin 2006

8 Conformément à l’article 1er de l’arrêté royal du 20 mars 2002 fixant les dispositions générales relatives à la valorisation pécuniaire des services antérieurs accomplis par des membres volontaires des services publics d’incendie recrutés en tant que membres professionnels (Moniteur belge du 30 mars 2002, p. 13592), tel que modifié par l’arrêté royal du 2 juin 2006 (Moniteur belge du 22 juin 2006, p. 31874) :

« Les agents volontaires des services publics d’incendie, recrutés en tant que membres professionnels [...], bénéficient de la rémunération correspondant au grade dans lequel ils ont été recrutés.

[...] il est accordé au personnel professionnel des services publics d’incendie recruté à partir du 9 avril 2002, pour le calcul de cette rémunération, une ancienneté équivalente au nombre d’années de service prestées en tant que volontaire dans un service public d’incendie.

[...] une ancienneté équivalente au nombre d’années de service qu’il a prestées en tant que volontaire dans un service public d’incendie peut être accordée, pour le calcul de sa rémunération, au personnel professionnel des services publics d’incendie qui est entré en service avant le 9 avril 2002. Cette valorisation pécuniaire n’est applicable qu’aux prestations effectuées à partir du 1er janvier 2005. »

9 Il ressort des travaux législatifs relatifs à la modification de cet article 1er par l’arrêté royal du 2 juin 2006 que celle-ci « permet aux communes, sans toutefois les y obliger, d’octroyer également aux sapeurs-pompiers devenus professionnels avant l’entrée en vigueur de l’arrêté royal une ancienneté qui tient compte de toutes les années prestées en tant que volontaire. Il s’ensuit que les sapeurs-pompiers ne bénéficieront pas tous automatiquement de cette ancienneté. [...] Compte tenu de ses
possibilités financières, chaque commune peut décider d’appliquer ou non la nouvelle réglementation ».

Les statuts administratif et pécuniaire de la ville de Mons

10 L’article 12 des statuts administratif et pécuniaire du personnel non enseignant de la ville de Mons (ci-après les « statuts administratif et pécuniaire de la ville de Mons ») dispose :

« Les services admissibles accomplis dans une fonction à prestations complètes [...] peuvent être pris en considération dans leur entièreté.

Les services admissibles accomplis dans une fonction à prestations incomplètes [...] peuvent être pris en considération à raison d’un nombre d’années qu’ils représenteraient s’ils avaient été accomplis dans une fonction à prestations complètes, multiplié par une fraction dont le numérateur est le nombre réel de prestations de travail hebdomadaires et dont le dénominateur est le nombre de prestations de travail hebdomadaires correspondant à des prestations de travail complètes. »

11 L’article 13 bis de ces statuts est libellé comme suit :

« À dater du 1er juillet 2007 et en application de [l’arrêté royal du 20 mars 2002, tel que modifié par l’arrêté royal du 2 juin 2006], il est accordé aux membres professionnels du service d’incendie recrutés, [...] pour le calcul de leur rémunération, une ancienneté équivalente au nombre d’années de service prestées en tant que volontaire dans un service public d’incendie, selon les modalités suivantes :

1. pour les agents entrés avant le 09/04/2002 : au prorata des prestations réellement effectuées (nombre d’heures réellement prestées/an, conformément aux dispositions de l’article 12 du statut pécuniaire) ;

2. pour les agents entrés après le 09/04/2002 : sans tenir compte du volume des prestations (Par dérogation aux dispositions stipulant que les services admissibles sont valorisés au prorata du volume des prestations effectuées : article 12 du statut pécuniaire),

[...] »

12 L’article 14, paragraphe 1, desdits statuts prévoit :

« Sont également admissibles, dans les mêmes conditions, à concurrence de six années maximum, pour le calcul du traitement, les services à prestations complètes ou incomplètes accomplis dans le secteur privé belge, d’un autre État membre de l’Union [e]uropéenne ou de l’Espace [é]conomique [e]uropéen, à condition qu’ils puissent être considérés comme directement utiles, c’est-à-dire qu’ils aient procuré à l’agent une expérience profitable à l’exercice de la fonction remplie à Administration
[...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

13 Durant la période allant du 1er janvier 1982 au 31 juillet 2002, RM a été employé en qualité de pompier volontaire par la ville de Mouscron (Belgique).

14 Au cours de cette période, il a exercé, dans le cadre de contrats de travail dans le secteur privé, les fonctions de chauffeur de poids lourds, du 30 juillet 1990 au 11 février 1995 et du 23 mars 1995 au 8 février 1998, ainsi que de gardien, du 9 février 1998 au 30 mars 2001.

15 RM a été nommé sapeur-pompier professionnel chauffeur auprès de la ville de Mons, à titre stagiaire, avec effet au 1er avril 2001, puis à titre définitif, à partir du 1er avril 2002.

16 Aux fins du calcul de la rémunération des pompiers professionnels, il est tenu compte de l’« ancienneté pécuniaire » de ceux-ci, qui est déterminée en fonction de la valorisation, sous certaines conditions, de la durée des services qu’ils ont fournis dans les secteurs public et privé.

17 Conformément aux statuts administratif et pécuniaire de la ville de Mons, cette dernière a reconnu à RM, s’agissant de la période précédant sa nomination en tant que sapeur-pompier professionnel chauffeur, l’ancienneté pécuniaire suivante :

– pour la période allant du 1er janvier 1982 au 29 juillet 1990 : 3 mois et 17 jours, correspondant au prorata des 811 heures effectuées en qualité de pompier volontaire au service d’incendie de Mouscron (conformément à l’article 13 bis de ces statuts), et

– pour la période allant du 30 juillet 1990 au 30 mars 2001 : six années, correspondant à la durée maximale pouvant être comptabilisée pour des services accomplis dans le secteur privé (tel que prévu à l’article 14 desdits statuts).

18 Le 1er janvier 2015, les services d’incendie en Belgique sont passés d’une organisation communale à un système « zonal », comprenant 34 « zones de secours », et les sapeurs-pompiers professionnels en service dans une commune sont devenus membres du personnel opérationnel de la zone de secours dont fait partie cette commune.

19 Ainsi, à partir de cette date, RM est devenu sapeur-pompier au sein de la Zone de secours Hainaut-Centre, qui lui a appliqué la même ancienneté pécuniaire que celle qui lui avait été reconnue précédemment par la ville de Mons.

20 Le 14 juillet 2015, RM a demandé à la Zone de secours Hainaut-Centre de rectifier le montant de sa rémunération, au motif que son ancienneté pécuniaire, acquise en qualité de pompier volontaire, n’avait pas été prise en considération correctement. Il a demandé la prise en compte intégrale de la période durant laquelle il a exercé la fonction de pompier volontaire, soit du 1er janvier 1982 au 31 juillet 2002, ce qui correspond à un total de 20 ans et 7 mois, sans tenir compte du volume exact de
ses prestations. En effet, il considérait que la valorisation de ces prestations selon le principe du prorata temporis revenait à créer une différence de traitement injustifiée entre les travailleurs occupés à temps plein et ceux occupés à temps partiel. Il estimait ainsi avoir droit à la rémunération annuelle correspondant à l’échelon le plus élevé, à savoir celui lié à une ancienneté de 25 ans ou plus, dans la mesure où, en prenant en considération toutes ses années de service en tant que
pompier volontaire, son ancienneté était, à la date du 1er janvier 2015, de 33 ans.

21 Par une décision du 3 février 2016, la Zone de secours Hainaut-Centre a rejeté cette demande de rectification sur le fondement de l’article 13 bis des statuts administratif et pécuniaire de la ville de Mons, en constatant que, dès lors que RM était entré en service avant le 9 avril 2002, son ancienneté pécuniaire acquise en tant que pompier volontaire devait être prise en compte uniquement au prorata des prestations réellement effectuées par celui-ci.

22 Par ailleurs, le 15 avril 2016, RM a réclamé à la ville de Mons des arriérés de rémunération dus à compter de son entrée en service, en invoquant des arguments en substance identiques à ceux invoqués à l’appui de la demande de rectification introduite auprès de la Zone de secours Hainaut-Centre.

23 Le 6 mai 2016, la ville de Mons a rejeté cette réclamation pour des motifs en substance identiques à ceux avancés par la Zone de secours Hainaut-Centre et exposés au point 21 du présent arrêt, à savoir l’obligation, conformément aux statuts administratif et pécuniaire de la ville de Mons, de valoriser les années de service accomplies en qualité de pompier volontaire au prorata des prestations réellement effectuées.

24 Le 23 mai 2016, RM a saisi le tribunal du travail du Hainaut, division de Mons (Belgique), d’un recours contre la ville de Mons et la Zone de secours Hainaut-Centre.

25 Par un jugement du 25 février 2019, cette juridiction a fait droit à la demande de RM et a jugé que les années de service que celui-ci avait accomplies en qualité de pompier volontaire devaient être intégralement valorisées dans le cadre de la détermination de son ancienneté pécuniaire, sans tenir compte du volume des prestations réellement effectuées par RM.

26 La ville de Mons et la Zone de secours Hainaut-Centre ont interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi, la cour du travail de Mons (Belgique).

27 Cette juridiction fait observer qu’il ressort d’un arrêt de la Cour constitutionnelle (Belgique) du 9 juillet 2013 que les pompiers volontaires et les pompiers professionnels accomplissent des missions semblables dans un même corps et que, dès lors, ils constituent des catégories comparables. Aux termes de cet arrêt, « [l]es pompiers volontaires consacrent une partie de leur temps libre à un service d’incendie vis-à-vis duquel ils contractent un engagement [...] ; [i]ls perçoivent une allocation
au prorata du nombre d’heures d’intervention, sur la base minimale de la moyenne horaire des traitements prévus pour le personnel professionnel du même grade [...], qui est soumise à un régime particulier de sécurité sociale ». Il ressort également dudit arrêt que les pompiers volontaires exercent, sur une base volontaire, une activité de manière accessoire à une activité professionnelle ou à un autre statut et sont à ce titre soumis à un régime de travail et de durée du travail qui diffère de
celui des pompiers professionnels.

28 Par ailleurs, les juridictions belges, et notamment le Conseil d’État (Belgique), auraient précisé que l’activité de pompier volontaire est une activité accessoire qui s’inscrit dans une relation de travail de nature statutaire et non contractuelle.

29 Selon la juridiction de renvoi, la détermination de l’ancienneté pécuniaire des travailleurs à temps partiel entre dans le champ d’application de la clause 4 de l’accord-cadre, dès lors que la rémunération fait partie des « conditions d’emploi », au sens de cette clause, ainsi qu’il découlerait de l’arrêt du 10 juin 2010, Bruno e.a. (C‑395/08 et C‑396/08, EU:C:2010:329).

30 Dans ce contexte, cette juridiction fait également observer que, quand bien même la réglementation nationale ayant transposé cet accord-cadre dans l’ordre juridique belge, à savoir la loi du 5 mars 2002, ne s’applique qu’aux travailleurs liés par un contrat de travail, elle estime néanmoins que les pompiers volontaires relèvent dudit accord-cadre, en ce que leur relation de travail est définie par la législation nationale, au sens de la clause 2, point 1, du même accord-cadre.

31 En outre, la circonstance selon laquelle les prestations de RM sont, depuis sa nomination en tant que pompier professionnel, soumises à un régime de travail à temps plein n’empêcherait nullement celui-ci de se prévaloir, s’agissant de la détermination de son ancienneté pécuniaire relative à une période durant laquelle il a travaillé à temps partiel, d’une législation relative aux travailleurs à temps partiel.

32 Cela étant, la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à l’interprétation de la clause 4 de l’accord-cadre, et en particulier quant à la portée du principe du prorata temporis, aux fins de la détermination de l’ancienneté pécuniaire de RM.

33 Dans ces conditions, la cour du travail de Mons a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La clause 4 de l’accord-cadre [...] doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui, pour le calcul du traitement des pompiers professionnels engagés à temps plein, valorise, à titre d’ancienneté pécuniaire, les services prestés à temps partiel en qualité de pompier volontaire, en fonction du volume de travail, c’est-à-dire de la durée des prestations réellement effectuées, selon le principe du “prorata temporis”, et non en fonction de la période
endéans laquelle les prestations ont été effectuées ? »

Sur la question préjudicielle

34 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la clause 4 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui, aux fins du calcul de la rémunération des pompiers professionnels engagés à temps plein, valorise, à titre d’ancienneté pécuniaire, les services que ceux-ci ont préalablement fournis à temps partiel, en qualité de pompiers volontaires, selon le principe du prorata temporis, c’est-à-dire en fonction des prestations
qu’ils ont réellement effectuées, et non en fonction de la période durant laquelle ces prestations ont été effectuées.

35 En premier lieu, il convient de déterminer si le litige au principal relève du champ d’application de l’accord-cadre.

36 À cet égard, il importe de rappeler, premièrement, que le champ d’application ratione personae de l’accord-cadre est défini à la clause 2, point 1, de celui-ci (arrêt du 1er mars 2012, O’Brien, C‑393/10, EU:C:2012:110, point 28). Aux termes de cette disposition, cet accord-cadre s’applique « aux travailleurs à temps partiel ayant un contrat ou une relation de travail définis par la législation, les conventions collectives ou pratiques en vigueur dans chaque État membre ».

37 La Cour a jugé que la notion de « travailleurs à temps partiel ayant un contrat ou une relation de travail » doit être interprétée au sens du droit national (arrêt du 1er mars 2012, O’Brien, C‑393/10, EU:C:2012:110, point 32). Par ailleurs, il ressort du libellé même de la clause 2, point 1, de l’accord-cadre que le champ d’application de celui-ci est conçu de manière large. En outre, la définition de la notion de « travailleur à temps partiel » au sens de cet accord-cadre, énoncée à la clause 3,
point 1, de celui-ci, englobe l’ensemble des travailleurs, sans opérer de distinction selon la qualité publique ou privée de l’employeur auquel ils sont liés (arrêt du 1er mars 2012, O’Brien, C‑393/10, EU:C:2012:110, point 37 et jurisprudence citée).

38 En l’occurrence, la juridiction de renvoi fait observer que la réglementation nationale transposant l’accord-cadre dans l’ordre juridique belge, à savoir la loi du 5 mars 2002, ne s’applique qu’aux travailleurs liés par un contrat de travail. Or, les juridictions belges auraient précisé que l’activité des pompiers volontaires s’inscrit dans le cadre d’une relation de travail de nature statutaire et non contractuelle.

39 Cependant, eu égard à la jurisprudence citée aux points 36 et 37 du présent arrêt, il y a lieu de constater que, comme le relève cette juridiction, les pompiers volontaires relèvent de l’accord-cadre, en ce que leur relation de travail est définie par la législation nationale, au sens de la clause 2, point 1, de cet accord-cadre.

40 Deuxièmement, il convient de rappeler que la clause 4, point 1, de l’accord-cadre prévoit que, pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à temps partiel ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à temps plein comparables au seul motif qu’ils travaillent à temps partiel, à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives.

41 Or, dans le litige au principal, RM conteste la méthode retenue pour calculer la rémunération qui lui est due en tant que pompier professionnel, c’est-à-dire en tant que travailleur à temps plein. Cela étant, il invoque l’existence d’une différence de traitement contraire à la clause 4 de l’accord-cadre, en ce que l’application des règles relatives à la prise en compte de son ancienneté pécuniaire au titre d’une période pendant laquelle il a exercé une activité à temps partiel, en tant que
pompier volontaire, aurait une incidence négative sur le montant de cette rémunération.

42 À cet égard, il importe de relever que la Cour a jugé que l’accord-cadre vise, d’une part, à promouvoir le travail à temps partiel et, d’autre part, à éliminer les discriminations entre les travailleurs à temps partiel et les travailleurs à temps plein (arrêts du 10 juin 2010, Bruno e.a., C‑395/08 et C‑396/08, EU:C:2010:329, point 24, ainsi que du 5 mai 2022, Universiteit Antwerpen e.a., C‑265/20, EU:C:2022:361, point 41).

43 Eu égard à ces objectifs, la clause 4 de l’accord-cadre doit être comprise comme exprimant un principe de droit social de l’Union qui ne saurait être interprété de manière restrictive (arrêt du 10 juin 2010, Bruno e.a., C‑395/08 et C‑396/08, EU:C:2010:329, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

44 Or, le seul fait qu’un travailleur a acquis la qualité de travailleur à temps plein n’exclut pas la possibilité pour lui de se prévaloir, dans certaines circonstances, du principe de non-discrimination énoncé à la clause 4 de l’accord-cadre, lorsque la discrimination alléguée concerne des périodes accomplies en tant que travailleur à temps partiel [voir, par analogie, s’agissant de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999 (ci-après l’« accord-cadre sur le travail à
durée déterminée »), qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43), arrêt du 18 octobre 2012, Valenza e.a., C‑302/11 à C‑305/11, EU:C:2012:646, points 34 et 35 ainsi que jurisprudence citée].

45 En effet, exclure d’emblée l’application de l’accord-cadre dans une situation telle que celle au principal reviendrait à réduire, au mépris de l’objectif assigné à cette clause 4, le champ de la protection accordée aux travailleurs concernés contre les discriminations et aboutirait à une interprétation indûment restrictive de ladite clause contraire à la jurisprudence de la Cour (voir, par analogie, s’agissant de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, arrêt du 18 octobre 2012, Valenza
e.a., C‑302/11 à C‑305/11, EU:C:2012:646, point 37 et jurisprudence citée).

46 Partant, l’accord-cadre est applicable au litige au principal, dès lors que RM, bien qu’étant désormais employé à temps plein, se prévaut de cet accord-cadre en ce qui concerne une période durant laquelle il a travaillé à temps partiel.

47 Troisièmement, dans ses observations écrites, la Commission soutient, en se référant à la clause 2, point 2, de l’accord-cadre, que RM ne relève pas de la notion de « travailleur à temps partiel », au sens de cet accord-cadre, en raison du caractère occasionnel de son activité.

48 À cet égard, il convient de relever que, certes, la clause 2, point 2, de l’accord-cadre permet aux États membres ou aux partenaires sociaux d’exclure totalement ou partiellement des dispositions de celui-ci les travailleurs à temps partiel qui travaillent sur une base occasionnelle. Toutefois, une telle exclusion n’est en aucun cas automatique, dès lors qu’elle est soumise, comme la Commission le reconnaît, à un certain nombre de procédures et de conditions.

49 Or, aucun élément de la décision de renvoi ni des observations écrites soumises à la Cour ne permet de constater que le Royaume de Belgique aurait fait usage de la faculté prévue à cette disposition. En tout état de cause, il appartient non pas à la Cour, mais à la juridiction de renvoi de procéder aux vérifications nécessaires afin d’apprécier si tel est le cas dans le litige au principal (voir, en ce sens, arrêt du 12 octobre 2004, Wippel, C‑313/02, EU:C:2004:607, point 39).

50 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que ce litige relève du champ d’application de l’accord-cadre.

51 En second lieu, aux fins de l’interprétation de la clause 4 de l’accord-cadre, il convient d’examiner, d’abord, si l’ancienneté pécuniaire en cause au principal relève de la notion de « conditions d’emploi », au sens de cette clause 4, point 1.

52 À cet égard, la Cour a déjà jugé que des conditions financières, telles que celles relatives aux rémunérations, relèvent de cette notion (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2010, Bruno e.a., C‑395/08 et C‑396/08, EU:C:2010:329, point 33).

53 En outre, dans la détermination tant des éléments constitutifs de la rémunération que du niveau de ces éléments, les instances nationales compétentes sont tenues d’appliquer aux travailleurs à temps partiel le principe de non-discrimination tel qu’il est consacré par la clause 4 de l’accord-cadre (arrêt du 10 juin 2010, Bruno e.a., C‑395/08 et C‑396/08, EU:C:2010:329, point 40), tout en tenant compte, lorsque cela est approprié, du principe du prorata temporis (arrêt du 10 juin 2010, Bruno e.a.,
C‑395/08 et C‑396/08, EU:C:2010:329, point 38).

54 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que l’ancienneté pécuniaire est prise en compte aux fins du calcul de la rémunération des pompiers professionnels, si bien qu’elle constitue un élément déterminant le niveau de cette rémunération.

55 Partant, l’ancienneté pécuniaire en cause au principal relève de la notion de « conditions d’emploi », au sens de la clause 4 de l’accord-cadre.

56 Ensuite, afin d’apprécier si les modalités de prise en compte de l’ancienneté pécuniaire en cause au principal répondent aux exigences de la clause 4 de l’accord-cadre, il y a lieu de rappeler que l’exigence d’équivalence entre travailleurs à temps plein et travailleurs à temps partiel en ce qui concerne les conditions de travail, découlant du principe de non-discrimination prévu à cette clause 4, point 1, est posée sans préjudice de l’application appropriée, conformément à ladite clause 4,
point 2, du principe du prorata temporis (voir, en ce sens, ordonnance du 3 mars 2021, Fogasa, C‑841/19, EU:C:2021:159, points 41 et 42 ainsi que jurisprudence citée).

57 En effet, la prise en compte de la quantité de travail effectivement accomplie par un travailleur à temps partiel, comparée à celle d’un travailleur à temps plein, constitue une raison objective, au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, justifiant une réduction proportionnée des droits et des conditions de travail d’un travailleur à temps partiel (ordonnance du 3 mars 2021, Fogasa, C‑841/19, EU:C:2021:159, point 43 et jurisprudence citée).

58 Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, la réglementation en cause au principal prévoit que, aux fins du calcul de la rémunération des pompiers professionnels qui, tels que RM, ont été recrutés avant le 9 avril 2002, il est accordé une ancienneté équivalente au nombre d’années de service accomplies par ceux-ci en tant que pompiers volontaires, déterminée au prorata des prestations qu’ils ont réellement effectuées.

59 Or, l’application, en ce qui concerne de tels pompiers professionnels, d’un élément déterminant le niveau de leur rémunération, tel que l’ancienneté pécuniaire, qui correspond au pourcentage du temps de travail qu’ils ont accompli en tant que travailleurs à temps partiel par rapport au temps de travail accompli par les travailleurs à temps plein exerçant la même activité constitue une application appropriée du principe du prorata temporis, au sens de la clause 4, point 2, de l’accord-cadre (voir,
en ce sens, ordonnance du 3 mars 2021, Fogasa, C‑841/19, EU:C:2021:159, point 45).

60 Dans ces conditions, il convient de constater que, en l’occurrence, l’application du principe du prorata temporis, aux fins de la détermination de l’ancienneté pécuniaire des pompiers professionnels ayant fourni des services à temps partiel en tant que pompiers volontaires, constitue une application appropriée de ce principe, au sens de la clause 4, point 2, de l’accord-cadre.

61 Cette constatation n’est pas remise en cause par la circonstance, mise en avant par RM dans ses observations écrites, que, pour les pompiers professionnels recrutés à partir du 9 avril 2002, il est tenu compte d’une ancienneté pécuniaire équivalente au nombre d’années de service accomplies par ceux-ci en tant que pompiers volontaires, sans prendre en considération le volume des prestations qu’ils ont réellement effectuées.

62 En effet, la clause 4, point 2, de l’accord-cadre prévoit que le principe du prorata temporis s’applique « lorsque c’est approprié ». Dès lors, cette disposition n’impose pas l’application de ce principe, pas plus qu’elle n’empêche, a fortiori, de supprimer l’application de celui-ci à un domaine auquel il s’appliquait auparavant. Soutenir le contraire irait à l’encontre des objectifs de l’accord-cadre, qui vise, notamment, ainsi que l’énonce sa clause 1, sous a), à améliorer la qualité du travail
à temps partiel.

63 En tout état de cause, une éventuelle différence de traitement entre deux catégories de travailleurs à temps partiel ne relèverait pas du principe de non-discrimination consacré par l’accord-cadre (voir, par analogie, s’agissant de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, arrêt du 13 janvier 2022, MIUR et Ufficio Scolastico Regionale per la Campania, C‑282/19, EU:C:2022:3, point 72 ainsi que jurisprudence citée).

64 Par ailleurs, concernant le calcul des prestations réellement effectuées par RM lorsqu’il était pompier volontaire, il convient de rappeler que, s’agissant d’un pompier volontaire de la ville de Nivelles (Belgique), la Cour a déjà jugé qu’une situation dans laquelle un travailleur se trouve contraint de passer une période de garde à son domicile, de s’y tenir à la disposition de son employeur et de pouvoir rejoindre son lieu de travail dans un délai de huit minutes doit être considérée comme
relevant de la notion de « temps de travail », au sens de l’article 2 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9). Il en va cependant différemment d’une situation dans laquelle un travailleur effectue une garde selon un système d’astreinte qui veut qu’il soit accessible en permanence sans pour autant être obligé d’être présent sur ce lieu (voir arrêt du 21 février 2018,
Matzak, C‑518/15, EU:C:2018:82, points 60 et 65).

65 Enfin, il convient également de préciser que la constatation figurant au point 60 du présent arrêt, selon laquelle la réglementation en cause au principal constitue une application appropriée du principe du prorata temporis, est soumise à la condition que la détermination de l’ancienneté pécuniaire dépende directement de la quantité de travail effectuée par le travailleur concerné, et non exclusivement de la durée de l’ancienneté acquise par celui-ci. En effet, dans ce dernier cas, le principe du
prorata temporis ne trouverait pas à s’appliquer (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 2010, Bruno e.a., C‑395/08 et C‑396/08, EU:C:2010:329, points 65 et 66).

66 En l’occurrence, il semble ressortir de la décision de renvoi que la détermination de l’ancienneté pécuniaire de RM dépend directement de la quantité de travail effectuée par celui-ci. Toutefois, c’est à la juridiction de renvoi qu’il appartiendra de procéder aux vérifications nécessaires à cet égard.

67 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que la clause 4 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui, aux fins du calcul de la rémunération des pompiers professionnels engagés à temps plein, valorise, à titre d’ancienneté pécuniaire, les services préalablement fournis à temps partiel, en qualité de pompier volontaire, selon le principe du prorata temporis, c’est-à-dire en
fonction des prestations réellement effectuées.

Sur les dépens

68 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

  La clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à temps partiel, conclu le 6 juin 1997, qui figure à l’annexe de la directive 97/81/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant l’accord-cadre sur le travail à temps partiel conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui, aux fins du calcul de la rémunération des pompiers professionnels engagés à temps plein, valorise, à titre d’ancienneté pécuniaire, les services
préalablement fournis à temps partiel, en qualité de pompier volontaire, selon le principe du prorata temporis, c’est-à-dire en fonction des prestations réellement effectuées.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Septième chambre
Numéro d'arrêt : C-377/21
Date de la décision : 07/07/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par la cour du travail de Mons.

Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 97/81/CE – Accord-cadre sur le travail à temps partiel – Clause 4 – Principe de non-discrimination – Principe du prorata temporis – Prise en compte, aux fins du calcul de la rémunération d’un pompier professionnel engagé à temps plein, de l’ancienneté acquise par celui-ci en tant que pompier volontaire, selon le principe du prorata temporis.

Politique sociale


Parties
Demandeurs : Ville de Mons et Zone de secours Hainaut-Centre
Défendeurs : RM.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Arastey Sahún

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:530

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