La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/06/2022 | CJUE | N°C-587/20

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Ligebehandlingsnævnet agissant pour A contre HK/Danmark et HK/Privat., 02/06/2022, C-587/20


 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

2 juin 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Interdiction de discrimination fondée sur l’âge – Directive 2000/78/CE – Article 3, paragraphe 1, sous a) et d) – Champ d’application – Poste de président élu d’une organisation de travailleurs – Statuts de cette organisation prévoyant l’éligibilité à la présidence des seuls membres n’ayant pas, au jour de l’élection, atteint l’âge de 60 ans ou de 61 ans »
<

br> Dans l’affaire C‑587/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, int...

 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

2 juin 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Interdiction de discrimination fondée sur l’âge – Directive 2000/78/CE – Article 3, paragraphe 1, sous a) et d) – Champ d’application – Poste de président élu d’une organisation de travailleurs – Statuts de cette organisation prévoyant l’éligibilité à la présidence des seuls membres n’ayant pas, au jour de l’élection, atteint l’âge de 60 ans ou de 61 ans »

Dans l’affaire C‑587/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark), par décision du 6 novembre 2020, parvenue à la Cour le 9 novembre 2020, dans la procédure

Ligebehandlingsnævnet, agissant pour A

contre

HK/Danmark,

HK/Privat,

en présence de :

Fagbevægelsens Hovedorganisation,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. J. Passer, F. Biltgen (rapporteur), N. Wahl et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : Mme C. Strömholm, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 octobre 2021,

considérant les observations présentées :

– pour le Ligebehandlingsnævnet, agissant pour A, par Mes P. Ahlberg et R. Holdgaard, advokater,

– pour HK/Privat et HK/Danmark, par Me J. Goldschmidt, advokat,

– pour la Fagbevægelsens Hovedorganisation, par Me R. Asmussen, advokat,

– pour le gouvernement hellénique, par Mmes N. Dafniou, I. Kotsoni, O. Patsopoulou et E. Skandalou, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme L. Grønfeldt et M. D. Martin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 janvier 2022,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Ligebehandlingsnævnet (Commission pour l’égalité de traitement, Danemark), agissant pour A, à la confédération HK/Danmark et à la fédération HK/Privat (ci-après, ensemble, « HK »), des organisations de travailleurs, au sujet d’une disposition statutaire de cette fédération instituant une limite d’âge pour les candidats à la présidence de celle-ci.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 4, 5, 9 et 11 de la directive 2000/78 énoncent :

« 4) Le droit de toute personne à l’égalité devant la loi et la protection contre la discrimination constitue un droit universel reconnu par la Déclaration universelle des droits de l’homme, par la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, par les pactes des Nations unies relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales signés par tous les États membres. La Convention no 111 de l’Organisation internationale du travail interdit la discrimination en matière d’emploi et de travail.

5) Il est important de respecter ces droits fondamentaux et ces libertés fondamentales. La présente directive ne porte pas atteinte à la liberté d’association, dont le droit de toute personne de fonder avec d’autres des syndicats et de s’y affilier pour la défense de ses intérêts.

[...]

9) L’emploi et le travail constituent des éléments essentiels pour garantir l’égalité des chances pour tous et contribuent dans une large mesure à la pleine participation des citoyens à la vie économique, culturelle et sociale, ainsi qu’à l’épanouissement personnel.

[...]

11) La discrimination fondée sur la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle peut compromettre la réalisation des objectifs du traité CE, notamment un niveau d’emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de la vie, la cohésion économique et sociale, la solidarité et la libre circulation des personnes. »

4 Aux termes de l’article 1er de cette directive, intitulé « Objet » :

« La présente directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement. »

5 L’article 3 de ladite directive, intitulé « Champ d’application », prévoit, à ses paragraphes 1 et 4 :

« 1.   Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne :

a) les conditions d’accès à l’emploi, aux activités non salariées ou au travail, y compris les critères de sélection et les conditions de recrutement, quelle que soit la branche d’activité et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle, y compris en matière de promotion ;

[...]

d) l’affiliation à, et l’engagement dans, une organisation de travailleurs ou d’employeurs, ou toute organisation dont les membres exercent une profession donnée, y compris les avantages procurés par ce type d’organisations.

[...]

4.   Les États membres peuvent prévoir que la présente directive ne s’applique pas aux forces armées pour ce qui concerne les discriminations fondées sur [le] handicap et l’âge. »

Le droit danois

6 L’article 1er de la lov om forbud mod forskelsbehandling på arbejdsmarkedet m.v. (forskelsbehandlingsloven) [loi relative au principe de non-discrimination sur le marché du travail (loi anti-discrimination)], telle que modifiée par la lov nr. 253 (loi no 253), du 7 avril 2004, et la lov nr. 1417 (loi no 1417), du 22 décembre 2004, visant la transposition de la directive 2000/78 (ci-après la « loi anti-discrimination »), énonce, à son paragraphe 1, que la notion de « discrimination », au sens de
cette loi, s’entend comme tout acte de discrimination directe ou indirecte fondée, notamment, sur l’âge.

7 L’article 2, paragraphe 1, de la loi anti-discrimination prévoit :

« Il est fait défense à un employeur de pratiquer une discrimination dans l’embauche, le licenciement, la mutation, la promotion de salariés ou de candidats à un emploi, ou dans les conditions de rémunération et de travail. »

8 L’article 3, paragraphes 3 et 4, de la loi anti-discrimination dispose :

« 3.   L’interdiction de toute discrimination s’applique également à quiconque fixe des règles et décide de l’accès au travail indépendant.

4.   L’interdiction de toute discrimination s’applique également à quiconque décide des conditions d’affiliation à, et d’engagement dans, une organisation de travailleurs ou d’employeurs, y compris les avantages procurés par ce type d’organisations. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

9 A, née en 1948, a été recrutée en 1978 en tant que permanente syndicale par une section locale de l’organisation de travailleurs HK. En 1980, elle a été transférée à la confédération nationale. Le congrès de la fédération HK/Service, devenue HK/Privat, l’a élue vice‑présidente en 1992, puis présidente en 1993. Elle a ensuite été réélue tous les quatre ans et a exercé les fonctions de présidente de cette fédération jusqu’au 8 novembre 2011, date à laquelle, âgée de 63 ans, elle avait dépassé la
limite d’âge prévue à l’article 9 des statuts de HK/Privat pour se représenter à l’élection présidentielle devant se tenir cette même année. Cet article prévoit, en effet, que ne peuvent être élus à la fonction de président que les membres qui, au jour de l’élection, n’ont pas atteint l’âge de 60 ans, cette limite d’âge étant reportée à 61 ans pour les membres réélus après le congrès de 2005.

10 A a saisi la Commission pour l’égalité de traitement d’une plainte, en faisant valoir qu’elle avait fait l’objet d’une discrimination fondée sur l’âge. Par sa décision du 22 juin 2016, cette commission a considéré que le fait d’interdire à A, en raison de son âge, de se représenter à l’élection à la présidence de HK/Privat lors du congrès de 2011 était contraire à la loi anti-discrimination et a ordonné à HK de verser à A la somme de 25000 couronnes danoises (DKK) (environ 3400 euros) à titre de
réparation, majorée d’intérêts.

11 Cette décision n’ayant pas été exécutée, la Commission pour l’égalité de traitement, agissant pour A, a saisi le Københavns byret (tribunal municipal de Copenhague, Danemark) d’un recours dirigé contre HK. Dans la mesure où ce recours soulevait des questions de principe, il a été renvoyé devant l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark).

12 La juridiction de renvoi considère que la solution du litige dont elle est saisie dépend de la question de savoir si, en tant que présidente élue de HK/Privat et membre de son personnel politique, A relève du champ d’application de la directive 2000/78 dès lors que, dans l’affirmative, il n’est pas contesté que, en vertu de l’article 9 des statuts de cette fédération, elle serait la victime d’une discrimination directe fondée sur l’âge contraire à cette directive.

13 La juridiction de renvoi souligne que A, en tant que présidente élue d’une fédération, n’avait pas le statut d’employée au sens de la lov om retsforholdet mellem arbejdsgivere og funktionærer (funktionærloven) (loi relative aux rapports juridiques entre les employeurs et les employés), fonction dans laquelle elle aurait été soumise au pouvoir de direction d’un supérieur, mais occupait une fonction politique fondée sur la confiance, en étant responsable devant le congrès de HK/Privat, qui l’avait
élue. Cette fonction impliquait également qu’elle était tenue par une obligation de confidentialité. Néanmoins, ses fonctions de présidente comportaient certains éléments caractéristiques d’un travail.

14 À cet égard, la juridiction de renvoi relève que les fonctions exercées par A en tant que présidente de HK/Privat consistaient à assurer la direction générale de cette fédération, à déterminer son action politique dans ses branches professionnelles, à conclure et à renouveler des accords collectifs ainsi qu’à veiller au respect de ces derniers. En outre, elle mettait en œuvre les décisions du congrès et du bureau directeur de la fédération ainsi que celles du bureau directeur de HK/Danmark, où
elle siégeait également.

15 Quant aux conditions d’engagement de A, la juridiction de renvoi indique que, conformément à la « convention d’élu(e) » du 27 octobre 2009, signée par A, celle-ci était employée au sein de HK/Privat à temps plein et n’exerçait aucune autre activité. Elle percevait un traitement mensuel correspondant à un échelon salarial particulier de l’État. Elle était soumise non pas à un accord collectif mais aux statuts de HK. En outre, la loi sur les congés payés lui était applicable.

16 La juridiction de renvoi considère que la Cour n’a pas défini de manière précise les notions d’« emploi », d’« activités non salariées » et de « travail » figurant à l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78, ni ne s’est prononcée sur le point de savoir si des élus d’une organisation de travailleurs, membres de son personnel politique, relèvent du champ d’application de cette directive.

17 Dans ces conditions, l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les dispositions de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78 doivent‑elles être interprétées en ce sens que, dans les circonstances du litige au principal, une personne élue à la présidence d’une fédération d’une organisation de travailleurs et membre de son personnel politique relève du champ d’application de ladite directive ? »

Sur la question préjudicielle

18 À titre liminaire, il convient de rappeler que, même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi a limité ses questions à l’interprétation de certaines dispositions du droit de l’Union, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou non dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard,
à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction de renvoi, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments dudit droit qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige au principal (arrêt du 12 mars 2020, Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail d’Alsace-Moselle, C‑769/18, EU:C:2020:203, point 40 et jurisprudence citée).

19 En l’occurrence, la question préjudicielle porte sur le champ d’application de la directive 2000/78 tel que visé à l’article 3, paragraphe 1, sous a), de celle-ci. Toutefois, dès lors que le litige au principal concerne les conditions d’éligibilité à la présidence d’une organisation de travailleurs, il ne saurait être exclu que l’article 3, paragraphe 1, sous d), de cette directive, qui concerne, notamment, l’engagement de personnes dans une organisation de travailleurs, soit également applicable
aux fins de ce litige.

20 Partant, il y a lieu de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens qu’une limite d’âge prévue par les statuts d’une organisation de travailleurs pour être éligible au poste de président de celle-ci relève du champ d’application de cette directive.

Sur l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78

21 Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78, celle-ci s’applique, dans les limites des compétences conférées à l’Union européenne, à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne les conditions d’accès à l’emploi, aux activités non salariées ou au travail, y compris les critères de sélection et les conditions de recrutement, quelle que soit la branche d’activité et à tous les niveaux
de la hiérarchie professionnelle, y compris en matière de promotion.

22 Est en cause dans le litige au principal, ainsi qu’il ressort du point 9 du présent arrêt, une disposition des statuts de HK/Privat stipulant que seuls les membres de cette fédération de travailleurs qui, au jour de l’élection du président de celle-ci, n’ont pas atteint l’âge de 60 ans ou, dans certains cas, de 61 ans sont éligibles à ce poste.

23 Il est constant que la fixation d’une telle limite d’âge constitue une « condition d’accès », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78, audit poste de président. À cet égard, la Cour a déjà eu l’occasion de juger qu’une réglementation nationale fixant un âge maximum pour le recrutement à un emploi affecte les conditions de recrutement des intéressés et doit, par conséquent, être considérée comme établissant des règles en matière d’accès à l’emploi, au sens de cette
disposition (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2016, Salaberria Sorondo, C‑258/15, EU:C:2016:873, point 25 et jurisprudence citée).

24 En revanche, HK et la Fagbevægelsens Hovedorganisation, une confédération regroupant 79 organisations de travailleurs (ci-après la « FH ») qui est intervenue dans la procédure devant la juridiction de renvoi, estiment qu’un tel poste ne relève pas des notions d’« emploi », d’« activités non salariées » ou de « travail » figurant également à l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78. Plus particulièrement, elles soutiennent que, en dehors des activités non salariées, dont il
n’est en tout état de cause pas question en ce qui concerne le poste de président litigieux, le champ d’application de cette disposition est limité aux postes occupés par des « travailleurs », au sens de l’article 45 TFUE, et que le titulaire d’un poste de président ne saurait être ainsi qualifié.

25 À cet égard, il convient de constater que la directive 2000/78 ne renvoie pas au droit des États membres pour définir la notion de « conditions d’accès à l’emploi, aux activités non salariées ou au travail ». Or, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver,
dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme (arrêt du 23 avril 2020, Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI, C‑507/18, EU:C:2020:289, point 31 et jurisprudence citée).

26 En outre, dès lors que ladite directive ne définit pas les termes « conditions d’accès à l’emploi, aux activités non salariées ou au travail », ceux-ci doivent être interprétés conformément à leur sens habituel dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (arrêt du 23 avril 2020, Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI, C‑507/18, EU:C:2020:289, point 32 et jurisprudence citée).

27 Comme M. l’avocat général l’a relevé au point 32 de ses conclusions, il découle de l’utilisation conjointe des termes « emploi », « activités non salariées » et « travail » que l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78 couvre les conditions d’accès à toute activité professionnelle, quelles que soient la nature et les caractéristiques de celle-ci. Lesdits termes doivent en effet être entendus au sens large, ainsi qu’il ressort d’une comparaison des différentes versions
linguistiques de cette disposition et de l’emploi dans celles-ci d’expressions générales, telles que « erhvervsmæssig beskæftigelse », « ejercicio profesional », « Erwerbstätigkeit », « occupation » et « beroep » respectivement en langues danoise, espagnole, allemande, anglaise et néerlandaise, notamment pour le terme « travail ».

28 Ainsi, outre le fait que ladite disposition vise expressément les activités non salariées, il découle également des termes « emploi » et « travail », compris dans leur sens habituel, que le législateur de l’Union n’a pas entendu limiter le champ d’application de la directive 2000/78 aux postes occupés par un « travailleur », au sens de l’article 45 TFUE, qui, selon une jurisprudence constante de la Cour, est une personne qui accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la
direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, Ministrstvo za obrambo, C‑742/19, EU:C:2021:597, point 49 et jurisprudence citée).

29 Il résulte d’ailleurs d’autres éléments du libellé de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78 que le champ d’application de celle-ci n’est pas limité aux seules conditions d’accès aux postes occupés par des « travailleurs », au sens de l’article 45 TFUE. Ainsi, conformément au libellé de cette première disposition, ladite directive s’applique à « toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics [...] quelle que soit
la branche d’activité et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle ».

30 L’interprétation textuelle de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78 est confirmée par les objectifs de celle-ci, dont il résulte que la notion de « conditions d’accès à l’emploi [...] ou au travail », qui définit le champ d’application de cette directive, ne saurait faire l’objet d’une interprétation restrictive (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2020, Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI, C‑507/18, EU:C:2020:289, point 39).

31 En effet, conformément à l’article 1er de la directive 2000/78, et ainsi qu’il ressort tant de l’intitulé et du préambule que du contenu et de la finalité de celle-ci, cette directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée, notamment, sur l’âge en ce qui concerne « l’emploi et le travail », en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement, en offrant à toute personne une protection efficace contre la
discrimination fondée, notamment, sur ce motif (arrêt du 23 avril 2020, Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI, C‑507/18, EU:C:2020:289, point 36 et jurisprudence citée).

32 En particulier, le considérant 9 de cette directive souligne que l’emploi et le travail constituent des éléments essentiels pour garantir l’égalité des chances pour tous et contribuent dans une large mesure à la pleine participation des citoyens à la vie économique, culturelle et sociale, ainsi qu’à l’épanouissement personnel. En ce sens également, le considérant 11 de ladite directive énonce que la discrimination fondée notamment sur l’âge peut compromettre la réalisation des objectifs du traité
FUE, notamment un niveau d’emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de la vie, la cohésion économique et sociale, la solidarité et la libre circulation des personnes.

33 À cet égard, il convient de rappeler que la directive 2000/78 a été adoptée sur le fondement de l’article 13 CE, devenu, après modification, l’article 19, paragraphe 1, TFUE, lequel confère à l’Union une compétence pour prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée, notamment, sur l’âge. Cette directive concrétise ainsi, dans le domaine qu’elle couvre, le principe général de non-discrimination désormais consacré à l’article 21 de la charte des droits fondamentaux
de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (arrêt du 23 avril 2020, Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI, C‑507/18, EU:C:2020:289, points 35 et 38 ainsi que jurisprudence citée).

34 Dès lors, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 37 de ses conclusions, la directive 2000/78 n’est pas un acte du droit dérivé de l’Union tel que ceux, notamment fondés sur l’article 153, paragraphe 2, TFUE, qui visent la protection des seuls travailleurs en tant que partie la plus faible d’une relation de travail, mais a pour objet l’élimination, pour des raisons d’intérêts social et public, de tous les obstacles fondés sur des motifs discriminatoires à l’accès aux moyens de
subsistance et à la capacité de contribuer à la société par le travail, quelle que soit la forme juridique en vertu de laquelle ce dernier est fourni.

35 Par conséquent, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi telle que relatée au point 15 du présent arrêt, le poste de président de la fédération HK/Privat constitue une activité professionnelle réelle et effective, notamment en ce qu’il s’agit d’une activité à temps plein qui est rémunérée par un traitement mensuel, la question de savoir si les conditions d’accès à un tel poste relèvent de la directive 2000/78 ne dépend pas de la qualification ou non d’un tel président en
tant que travailleur, au sens de la jurisprudence rappelée au point 28 du présent arrêt.

36 Dans leurs observations soumises à la Cour, HK et la FH soutiennent, par ailleurs, que lesdites conditions d’accès sont exclues du champ d’application de cette directive dès lors que la présidence d’une organisation de travailleurs, telle que la fédération HK/Privat, est un poste de nature politique dont le titulaire est élu par les membres de cette organisation.

37 Cependant, cette argumentation ne saurait être accueillie.

38 En effet, d’une part, la directive 2000/78 n’exclut pas de son champ d’application les conditions d’accès à un emploi ou à un travail lorsque le titulaire du poste concerné a été élu à celui-ci. À cet égard, la Cour a considéré que la méthode de recrutement à un poste n’a aucune incidence aux fins de l’application de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 25 avril 2013, Asociația Accept, C‑81/12, EU:C:2013:275, point 45).

39 D’autre part, il ne résulte pas de la directive 2000/78 que des postes de nature politique seraient exclus de son champ d’application. Au contraire, aux termes de son article 3, paragraphe 1, sous a), celle-ci s’applique tant au secteur privé qu’au secteur public et « quelle que soit la branche d’activité ». En outre, lorsque cette directive autorise les États membres à ne pas faire application du régime qu’elle fixe à certaines activités professionnelles, elle précise les activités en cause.
Ainsi, l’article 3, paragraphe 4, de ladite directive dispose que celle-ci peut ne pas être appliquée aux forces armées pour ce qui concerne les discriminations fondées sur le handicap et l’âge.

40 Au demeurant, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 48 de ses conclusions, l’objectif poursuivi par la directive 2000/78, tel que rappelé aux points 31 à 34 du présent arrêt, ne serait pas atteint si la protection qu’elle garantit contre les discriminations en matière d’emploi et de travail dépendait de la nature des fonctions exercées dans le cadre d’un emploi particulier.

41 Les appréciations qui précèdent ne sont pas remises en cause par l’argument avancé par la FH lors de l’audience, selon lequel l’application de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78 à l’élection à un poste de président d’une organisation de travailleurs serait contraire à l’article 3, paragraphe 1, de la convention no 87 de l’organisation internationale du travail (OIT), du 9 juillet 1948, sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, qui stipule que les
organisations de travailleurs et d’employeurs ont le droit, notamment, d’élire librement leurs représentants.

42 Le droit pour les organisations de travailleurs d’élire librement leurs représentants participe d’ailleurs de la liberté d’association consacrée à l’article 12 de la Charte à laquelle, ainsi qu’il ressort du considérant 5 de la directive 2000/78, cette dernière ne porte pas atteinte.

43 Toutefois, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 59 de ses conclusions, la liberté des organisations syndicales d’élire leurs représentants doit être conciliée avec l’interdiction des discriminations en matière d’emploi et de travail qui fait l’objet de cette directive, en tant que concrétisation du principe général de non-discrimination consacré à l’article 21 de la Charte, et qui est, au demeurant, visée par la convention no 111 de l’OIT, du 25 juin 1958, concernant la
discrimination (emploi et profession), telle que mentionnée au considérant 4 de ladite directive.

44 En effet, il résulte de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte que la liberté d’association n’est pas absolue et que son exercice peut comporter des limitations, à condition qu’elles soient prévues par la loi et qu’elles respectent le contenu essentiel de cette liberté ainsi que le principe de proportionnalité, à savoir si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

45 Or, tel est le cas en l’occurrence. En particulier, les limitations à l’exercice de la liberté d’association susceptibles de découler de la directive 2000/78 sont prévues par la loi, dès lors qu’elles résultent directement de cette directive. Elles respectent par ailleurs le contenu essentiel de la liberté d’association, puisqu’elles s’appliquent uniquement afin d’atteindre les objectifs de la directive 2000/78, à savoir garantir le principe de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de
travail et la réalisation d’un niveau d’emploi et de protection sociale élevé. Elles sont ainsi justifiées par ces objectifs (voir, par analogie, arrêt du 23 avril 2020, Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI, C‑507/18, EU:C:2020:289, points 50 et 51).

46 De telles limitations respectent également le principe de proportionnalité dans la mesure où les motifs de discrimination prohibés sont énumérés à l’article 1er de la directive 2000/78, dont le champ d’application, tant matériel que personnel, est délimité à l’article 3 de cette directive, et l’ingérence dans l’exercice de la liberté d’association ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser les objectifs de ladite directive, en n’interdisant que des statuts d’une organisation de
travailleurs qui constituent une discrimination en matière d’emploi ou de travail (voir, par analogie, arrêt du 23 avril 2020, Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI, C‑507/18, EU:C:2020:289, point 52).

47 En outre, les limitations à l’exercice de la liberté d’association découlant de la directive 2000/78 sont nécessaires pour garantir les droits en matière d’emploi et de travail dont disposent les personnes appartenant aux groupes de personnes caractérisés par l’un des motifs énumérés à l’article 1er de cette directive (voir, par analogie, arrêt du 23 avril 2020, Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI, C‑507/18, EU:C:2020:289, point 53).

48 Il résulte de ce qui précède que les « conditions d’accès », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/78, au poste de président d’une organisation de travailleurs relèvent du champ d’application de cette directive.

Sur l’article 3, paragraphe 1, sous d), de la directive 2000/78

49 L’article 3, paragraphe 1, sous d), de la directive 2000/78 prévoit que celle-ci est applicable en ce qui concerne, notamment, l’engagement dans une organisation de travailleurs.

50 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 52 de ses conclusions, le fait de présenter sa candidature à l’élection de président d’une organisation de travailleurs constitue, tout comme l’exercice de la fonction de président une fois élu, une modalité d’« engagement », au sens habituel de ce terme, dans une telle organisation.

51 Une telle interprétation répond à l’objectif de la directive 2000/78 qui consiste à établir un cadre général pour lutter contre des discriminations fondées notamment sur l’âge en matière d’emploi et de travail, de sorte que les notions qui, à l’article 3 de celle-ci, précisent le champ d’application de cette directive ne sauraient faire l’objet d’une interprétation restrictive.

52 En outre, il convient de rappeler que, dans le contexte de la libre circulation des travailleurs garantie à l’article 45 TFUE, le législateur de l’Union a considéré que cette liberté fondamentale inclut le droit de ces travailleurs d’être élus en tant que représentants des organisations syndicales de leur État d’emploi. Ainsi, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 53 de ses conclusions, le domaine d’application de la directive 2000/78 visé à l’article 3, paragraphe 1, sous d), de celle-ci
est repris du règlement (CEE) no 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté (JO 1968, L 257, p. 2), qui prévoyait, à son article 8, paragraphe 1, qu’un travailleur bénéficie du droit d’éligibilité aux organes de représentation des travailleurs dans l’entreprise concernée, alors que l’article 8, premier alinéa, du règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre
circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (JO 2011, L 141, p. 1), ayant remplacé le règlement no 1612/68, prévoit que l’égalité de traitement dont bénéficie le travailleur en matière d’affiliation aux organisations syndicales et d’exercice des droits syndicaux comprend l’accès aux postes d’administration ou de direction d’une organisation syndicale.

53 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l’exercice de l’activité de président d’une organisation de travailleurs, telle que celle en cause au principal, relève également de l’article 3, paragraphe 1, sous d), de la directive 2000/78.

54 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 3, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens qu’une limite d’âge prévue par les statuts d’une organisation de travailleurs pour être éligible au poste de président de celle-ci relève du champ d’application de cette directive.

Sur les dépens

55 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

  L’article 3, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprété en ce sens qu’une limite d’âge prévue par les statuts d’une organisation de travailleurs pour être éligible au poste de président de celle-ci relève du champ d’application de cette directive.

  Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure : le danois.


Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Østre Landsret.

Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Interdiction de discrimination fondée sur l’âge – Directive 2000/78/CE – Article 3, paragraphe 1, sous a) et d) – Champ d’application – Poste de président élu d’une organisation de travailleurs – Statuts de cette organisation prévoyant l’éligibilité à la présidence des seuls membres n’ayant pas, au jour de l’élection, atteint l’âge de 60 ans ou de 61 ans.

Politique sociale

Principes, objectifs et mission des traités


Parties
Demandeurs : Ligebehandlingsnævnet agissant pour A
Défendeurs : HK/Danmark et HK/Privat.

Références :

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Biltgen

Origine de la décision
Formation : Deuxième chambre
Date de la décision : 02/06/2022
Date de l'import : 23/06/2022

Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu


Numérotation
Numéro d'arrêt : C-587/20
Numéro NOR : 62020CJ0587 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award