La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/05/2022 | CJUE | N°C-525/20

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Association France Nature Environnement contre Premier ministre et Ministre de la Transition écologique et solidaire., 05/05/2022, C-525/20


 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

5 mai 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Directive 2000/60/CE – Cadre pour une politique de l’Union européenne dans le domaine de l’eau – Article 4, paragraphe 1, sous a) – Objectifs environnementaux relatifs aux eaux de surface – Obligation des États membres de ne pas autoriser un programme ou un projet susceptible de provoquer une détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface – Notion de “détérioration” de l’état d’une masse d’eau de surface – Article

 4, paragraphes 6 et 7 – Dérogations à
l’interdiction de détérioration – Conditions – Programme ou projet ayant des imp...

 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

5 mai 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Directive 2000/60/CE – Cadre pour une politique de l’Union européenne dans le domaine de l’eau – Article 4, paragraphe 1, sous a) – Objectifs environnementaux relatifs aux eaux de surface – Obligation des États membres de ne pas autoriser un programme ou un projet susceptible de provoquer une détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface – Notion de “détérioration” de l’état d’une masse d’eau de surface – Article 4, paragraphes 6 et 7 – Dérogations à
l’interdiction de détérioration – Conditions – Programme ou projet ayant des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme sur l’état d’une masse d’eau de surface »

Dans l’affaire C–525/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (France), par décision du 14 octobre 2020, parvenue à la Cour le 19 octobre 2020, dans la procédure

Association France Nature Environnement

contre

Premier ministre,

Ministre de la Transition écologique et solidaire,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. J. Passer (rapporteur), F. Biltgen, N. Wahl et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : Mme M. Ferreira, administratrice principale,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 octobre 2021,

considérant les observations présentées :

– pour l’association France Nature Environnement, par M. B. Hogommat,

– pour le gouvernement français, par MM. T. Stéhelin, W. Zemamta et E. Toutain, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil ainsi que par Mme L. Dvořáková, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et M. A. M. de Ree, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mmes C. Valero et O. Beynet, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 janvier 2022,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4 de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau (JO 2000, L 327, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’association France Nature Environnement au Premier ministre (France) et à la ministre de la Transition écologique et solidaire (France) au sujet de la légalité d’un décret relatif aux schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux et aux schémas d’aménagement et de gestion des eaux.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Aux termes des considérants 11, 25, 26 et 32 de la directive 2000/60 :

« (11) Comme indiqué à l’article 174 du traité, la politique communautaire de l’environnement doit contribuer à la poursuite des objectifs que constituent la préservation, la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement ainsi que l’utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles, et doit être fondée sur les principes de précaution et d’action préventive et sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement ainsi que sur le
principe du pollueur-payeur.

[...]

(25) Il y a lieu d’établir des définitions communes de l’état des eaux en termes qualitatifs et, lorsque cela est important aux fins de la protection de l’environnement, quantitatifs. Il convient de fixer des objectifs environnementaux de manière à garantir le bon état des eaux de surface et des eaux souterraines dans toute la Communauté et à éviter une détérioration de l’état des eaux au niveau communautaire.

(26) Il convient que les États membres se fixent comme objectif de parvenir au minimum à un bon état des eaux en définissant et en mettant en œuvre les mesures nécessaires dans le cadre de programmes de mesures intégrés tenant compte des exigences communautaires existantes. Lorsque le bon état des eaux est déjà assuré, il doit être maintenu. Pour les eaux souterraines, outre les exigences relatives au bon état, il convient de détecter et d’inverser toute tendance à la hausse, significative et
durable, de la concentration de tout polluant.

[...]

(32) Il peut exister des raisons de déroger à l’exigence de prévenir toute dégradation supplémentaire de l’état des eaux ou de parvenir à un bon état dans des conditions spécifiques, si le non-respect de cette exigence résulte de circonstances imprévues ou exceptionnelles, en particulier d’inondations ou de sécheresse, ou, en raison d’un intérêt public supérieur, de nouvelles modifications des caractéristiques physiques d’une masse d’eau de surface ou de changements du niveau des masses d’eau
souterraine, à condition que toutes les mesures réalisables soient prises pour atténuer l’incidence négative sur l’état de la masse d’eau. »

4 L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet », prévoit :

« La présente directive a pour objet d’établir un cadre pour la protection des eaux intérieures de surface, des eaux de transition, des eaux côtières et des eaux souterraines, qui :

a) prévienne toute dégradation supplémentaire, préserve et améliore l’état des écosystèmes aquatiques ainsi que, en ce qui concerne leurs besoins en eau, des écosystèmes terrestres et des zones humides qui en dépendent directement ;

[...] »

5 Aux termes de l’article 2 de ladite directive, intitulé « Définitions » :

« Aux fins de la présente directive, les définitions suivantes s’appliquent :

1) “eaux de surface” : les eaux intérieures, à l’exception des eaux souterraines, les eaux de transition et les eaux côtières, sauf en ce qui concerne leur état chimique, pour lequel les eaux territoriales sont également incluses ;

[...]

10) “masse d’eau de surface” : une partie distincte et significative des eaux de surface telles qu’un lac, un réservoir, une rivière, un fleuve ou un canal, une partie de rivière, de fleuve ou de canal, une eau de transition ou une portion d’eaux côtières ;

[...]

17) “état d’une eau de surface” : l’expression générale de l’état d’une masse d’eau de surface, déterminé par la plus mauvaise valeur de son état écologique et de son état chimique ;

18) “bon état d’une eau de surface” : l’état atteint par une masse d’eau de surface lorsque son état écologique et son état chimique sont au moins “bons” ;

[...] »

6 L’article 4 de la même directive, intitulé « Objectifs environnementaux », dispose, à ses paragraphes 1 et 6 à 8 :

« 1.   En rendant opérationnels les programmes de mesures prévus dans le plan de gestion du district hydrographique :

a) pour ce qui concerne les eaux de surface

i) les États membres mettent en œuvre les mesures nécessaires pour prévenir la détérioration de l’état de toutes les masses d’eau de surface, sous réserve de l’application des paragraphes 6 et 7 et sans préjudice du paragraphe 8 ;

ii) les États membres protègent, améliorent et restaurent toutes les masses d’eau de surface, sous réserve de l’application du point iii) en ce qui concerne les masses d’eau artificielles et fortement modifiées afin de parvenir à un bon état des eaux de surface au plus tard quinze ans après la date d’entrée en vigueur de la présente directive, conformément aux dispositions de l’annexe V, sous réserve de l’application des reports déterminés conformément au paragraphe 4 et de l’application des
paragraphes 5, 6 et 7 et sans préjudice du paragraphe 8 ;

iii) les États membres protègent et améliorent toutes les masses d’eau artificielles et fortement modifiées, en vue d’obtenir un bon potentiel écologique et un bon état chimique des eaux de surface au plus tard quinze ans après la date d’entrée en vigueur de la présente directive, conformément aux dispositions énoncées à l’annexe V, sous réserve de l’application des reports déterminés conformément au paragraphe 4 et de l’application des paragraphes 5, 6 et 7 et sans préjudice du paragraphe 8 ;

[...]

6.   La détérioration temporaire de l’état des masses d’eau n’est pas considérée comme une infraction aux exigences de la présente directive si elle résulte de circonstances dues à des causes naturelles ou de force majeure, qui sont exceptionnelles ou qui n’auraient raisonnablement pas pu être prévues – en particulier les graves inondations et les sécheresses prolongées – ou de circonstances dues à des accidents qui n’auraient raisonnablement pas pu être prévus, lorsque toutes les conditions
suivantes sont réunies :

a) toutes les mesures faisables sont prises pour prévenir toute nouvelle dégradation de l’état et pour ne pas compromettre la réalisation des objectifs de la présente directive dans d’autres masses d’eau non touchées par ces circonstances ;

b) les conditions dans lesquelles de telles circonstances exceptionnelles ou non raisonnablement prévisibles peuvent être déclarées, y compris l’adoption des indicateurs appropriés, sont indiquées dans le plan de gestion de district hydrographique ;

c) les mesures à prendre dans de telles circonstances exceptionnelles sont indiquées dans le programme de mesures et ne compromettront pas la récupération de la qualité de la masse d’eau une fois que les circonstances seront passées ;

d) les effets des circonstances exceptionnelles ou qui n’auraient raisonnablement pas pu être prévues sont revus chaque année et, sous réserve des motifs énoncés au paragraphe 4, point a), toutes les mesures faisables sont prises pour restaurer, dans les meilleurs délais raisonnablement possibles, la masse d’eau dans l’état qui était le sien avant les effets de ces circonstances, et

e) un résumé des effets des circonstances et des mesures prises ou à prendre conformément aux points a) et d) est inclus dans la prochaine mise à jour du plan de gestion de district hydrographique.

7.   Les États membres ne commettent pas une infraction à la présente directive lorsque :

– le fait de ne pas rétablir le bon état d’une eau souterraine, le bon état écologique ou, le cas échéant, le bon potentiel écologique ou de ne pas empêcher la détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface ou d’eau souterraine résulte de nouvelles modifications des caractéristiques physiques d’une masse d’eau de surface ou de changements du niveau des masses d’eau souterraines, ou

– l’échec des mesures visant à prévenir la détérioration d’un très bon état vers un bon état de l’eau de surface résulte de nouvelles activités de développement humain durable

et que toutes les conditions suivantes sont réunies :

a) toutes les mesures pratiques sont prises pour atténuer l’incidence négative sur l’état de la masse d’eau ;

b) les raisons des modifications ou des altérations sont explicitement indiquées et motivées dans le plan de gestion de district hydrographique requis aux termes de l’article 13 et les objectifs sont revus tous les six ans ;

c) ces modifications ou ces altérations répondent à un intérêt général majeur et/ou les bénéfices pour l’environnement et la société qui sont liés à la réalisation des objectifs énoncés au paragraphe 1 sont inférieurs aux bénéfices pour la santé humaine, le maintien de la sécurité pour les personnes ou le développement durable qui résultent des nouvelles modifications ou altérations, et

d) les objectifs bénéfiques poursuivis par ces modifications ou ces altérations de la masse d’eau ne peuvent, pour des raisons de faisabilité technique ou de coûts disproportionnés, être atteints par d’autres moyens qui constituent une option environnementale sensiblement meilleure.

8.   Pour l’application des paragraphes 3, 4, 5, 6 et 7, les États membres veillent à ce que l’application n’empêche pas ou ne compromette pas la réalisation des objectifs de la présente directive dans d’autres masses d’eau du même district hydrographique et qu’elle soit cohérente avec la mise en œuvre des autres dispositions législatives communautaires en matière d’environnement. »

7 L’article 5 de la directive 2000/60, intitulé « Caractéristiques du district hydrographique, étude des incidences de l’activité humaine sur l’environnement et analyse économique de l’utilisation de l’eau », prévoit :

« 1.   Chaque État membre veille à ce que, pour chaque district hydrographique ou pour la portion d’un district hydrographique international situé sur son territoire :

– une analyse de ses caractéristiques,

– une étude des incidences de l’activité humaine sur l’état des eaux de surface et des eaux souterraines, et

– une analyse économique de l’utilisation de l’eau

soient entreprises conformément aux spécifications techniques énoncées aux annexes II et III et qu’elles soient achevées au plus tard quatre ans après la date d’entrée en vigueur de la présente directive.

2.   Les analyses et études visées au paragraphe 1 sont réexaminées et, si nécessaire, mises à jour au plus tard treize ans après la date d’entrée en vigueur de la présente directive et, par la suite, tous les six ans. »

8 L’article 8 de cette directive, intitulé « Surveillance de l’état des eaux de surface, des eaux souterraines et des zones protégées », dispose :

« 1.   Les États membres veillent à ce que soient établis des programmes de surveillance de l’état des eaux afin de dresser un tableau cohérent et complet de l’état des eaux au sein de chaque district hydrographique :

– dans le cas des eaux de surface, les programmes portent sur :

i) le volume et le niveau ou le débit dans la mesure pertinente pour l’état écologique et chimique et le potentiel écologique, et

ii) l’état écologique et chimique et le potentiel écologique ;

[...]

2.   Ces programmes sont opérationnels au plus tard six ans après la date d’entrée en vigueur de la présente directive, sauf disposition contraire dans la législation concernée. La surveillance doit être conforme aux exigences de l’annexe V.

[...] »

9 Aux termes de l’article 11 de ladite directive, intitulé « Programme de mesures » :

« 1.   Chaque État membre veille à ce que soit élaboré, pour chaque district hydrographique ou pour la partie du district hydrographique international située sur son territoire, un programme de mesures qui tienne compte des résultats des analyses prévues à l’article 5, afin de réaliser les objectifs fixés à l’article 4. Ces programmes de mesures peuvent renvoyer aux mesures découlant de la législation adoptée au niveau national et couvrant tout le territoire d’un État membre. Le cas échéant, un
État membre peut adopter des mesures applicables à tous les districts hydrographiques et/ou aux portions de districts hydrographiques internationaux situés sur son territoire.

[...]

8.   Les programmes sont réexaminés et, si nécessaire, mis à jour au plus tard quinze ans après la date d’entrée en vigueur de la présente directive et, par la suite, tous les six ans. Toute mesure nouvelle ou révisée élaborée dans le cadre d’un programme mis à jour est rendue opérationnelle dans les trois ans qui suivent son adoption. »

10 L’article 13 de la même directive, intitulé « Plans de gestion de district hydrographique », prévoit :

« 1.   Les États membres veillent à ce qu’un plan de gestion de district hydrographique soit élaboré pour chaque district hydrographique entièrement situé sur leur territoire.

[...]

4.   Le plan de gestion de district hydrographique comporte les informations détaillées visées à l’annexe VII.

[...]

6.   Les plans de gestion de district hydrographique sont publiés au plus tard neuf ans après la date d’entrée en vigueur de la présente directive.

7.   Les plans de gestion de district hydrographique sont réexaminés et mis à jour au plus tard quinze ans après la date d’entrée en vigueur de la présente directive et, par la suite, tous les six ans. »

11 L’annexe V de la directive 2000/60 énonce, à ses points 1.3 et 1.3.4 :

« 1.3. Surveillance de l’état écologique et de l’état chimique des eaux de surface

Le réseau de surveillance des eaux de surface est établi conformément aux exigences de l’article 8. Il est conçu de manière à fournir une image d’ensemble cohérente de l’état écologique et chimique dans chaque district hydrographique et à permettre la classification des masses d’eau en cinq classes selon les définitions normatives données au point 1.2. Les États membres fournissent, dans le plan de gestion de district hydrographique, une ou plusieurs cartes montrant le réseau de surveillance des
eaux de surface.

[...]

1.3.4. Fréquence des contrôles

Durant la période du contrôle de surveillance, les paramètres indicatifs des éléments de qualité physico-chimique devraient être contrôlés selon les fréquences ci-après, sauf si des intervalles plus longs se justifiaient sur la base des connaissances techniques et des avis d’experts. Pour les éléments de qualité biologique ou hydromorphologique, le contrôle est effectué au moins une fois durant la période du contrôle de surveillance.

Pour les contrôles opérationnels, la fréquence des contrôles requise pour tout paramètre est déterminée par les États membres de manière à apporter des données suffisantes pour une évaluation valable de l’état de l’élément de qualité en question. À titre indicatif, les contrôles devraient avoir lieu à des intervalles ne dépassant pas ceux indiqués dans le tableau ci-dessous, à moins que des intervalles plus longs ne se justifient sur la base des connaissances techniques et des avis d’experts.

Les fréquences sont choisies de manière à parvenir à un niveau de confiance et de précision acceptable. L’évaluation de la confiance et de la précision atteintes par le système de contrôle utilisé est indiquée dans le plan de gestion de district hydrographique.

Sont choisies des fréquences de contrôle qui tiennent compte de la variabilité des paramètres résultant des conditions à la fois naturelles et anthropogéniques. L’époque à laquelle les contrôles sont effectués est déterminée de manière à réduire au minimum l’effet des variations saisonnières sur les résultats, et donc à assurer que les résultats reflètent les modifications subies par la masse d’eau du fait des variations des pressions anthropogéniques. Pour atteindre cet objectif, des contrôles
additionnels seront, le cas échéant, effectués à des saisons différentes de la même année.

Élément de Rivières Lacs Eaux de transition Eaux côtières

qualité
Biologique
Phytoplancton 6 mois 6 mois 6 mois 6 mois
Autre flore 3 ans 3 ans 3 ans 3 ans

aquatique
Macro-invertébrés 3 ans 3 ans 3 ans 3 ans
Poissons 3 ans 3 ans 3 ans  
Hydromorphologique
Continuité 6 ans      
Hydrologie Continu 1 mois    
Morphologie 6 ans 6 ans 6 ans 6 ans
Physico-chimique
Température 3 mois 3 mois 3 mois 3 mois
Bilan d’oxygène 3 mois 3 mois 3 mois 3 mois
Salinité 3 mois 3 mois 3 mois  
Nutriments 3 mois 3 mois 3 mois 3 mois
État d’acidification 3 mois 3 mois    
Autres 3 mois 3 mois 3 mois 3 mois

polluants
Substances prioritaires 1 mois 1 mois 1 mois 1 mois

[...] »

12 Aux termes de l’annexe VII de la directive 2000/60, intitulée « Plan de gestion de district hydrographique » :

« A. Les plans de gestion de district hydrographique portent sur les éléments suivants :

[...]

5. Une liste des objectifs environnementaux fixés au titre de l’article 4 pour les eaux de surface, les eaux souterraines et les zones protégées, y compris, en particulier, l’identification des cas où il a été fait usage de l’article 4, paragraphes 4, 5, 6 et 7, et les informations associées requises par ledit article.

[...] »

Le droit français

13 L’article L. 212-1 du code de l’environnement prévoit :

« [...]

III. – Chaque bassin ou groupement de bassins hydrographiques est doté d’un ou de plusieurs schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux fixant les objectifs visés au IV du présent article [...]

IV. – Les objectifs de qualité et de quantité des eaux que fixent les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux correspondent :

1° Pour les eaux de surface, à l’exception des masses d’eau artificielles ou fortement modifiées par les activités humaines, à un bon état écologique et chimique ;

2° Pour les masses d’eau de surface artificielles ou fortement modifiées par les activités humaines, à un bon potentiel écologique et à un bon état chimique ;

[...]

4° À la prévention de la détérioration de la qualité des eaux ;

[...]

VII. – Des modifications dans les caractéristiques physiques des eaux ou l’exercice de nouvelles activités humaines peuvent justifier, dans des conditions définies par le décret prévu au XIII, des dérogations motivées au respect des objectifs mentionnés aux 1° à 4° du IV [...]

[...]

XI. – Les programmes et les décisions administratives dans le domaine de l’eau doivent être compatibles ou rendus compatibles avec les dispositions des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux.

[...]

XIII. – Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. »

14 L’article R. 212-13 du code de l’environnement, tel que modifié par le décret no 2018-847 du 4 octobre 2018 relatif aux schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux et schémas d’aménagement et de gestion des eaux (JORF du 6 octobre 2018, texte no 11), dispose :

« Pour l’application du 4° du IV de l’article L. 212-1, la prévention de la détérioration de la qualité des eaux consiste à faire en sorte que :

– pour l’état écologique et le potentiel écologique des eaux de surface, aucun des éléments de qualité caractérisant cet état ou ce potentiel ne soit dans un état correspondant à une classe inférieure à celle qui le caractérisait antérieurement ;

– pour l’état chimique des eaux de surface, les concentrations en polluants ne dépassent pas les normes de qualité environnementale lorsqu’elles ne les dépassaient pas antérieurement ;

[...]

Pour apprécier la compatibilité des programmes et décisions administratives mentionnées au XI de l’article L. 212-1 avec l’objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux mentionné au 4° du IV du même article, il est tenu compte des mesures d’évitement et de réduction et il n’est pas tenu compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme. »

15 Aux termes de l’article R. 212-16 du code de l’environnement :

« [...]

I bis. - Les dérogations prévues au VII de l’article L. 212-1 ne peuvent être accordées pour un projet entraînant des modifications dans les caractéristiques physiques des eaux ou l’exercice de nouvelles activités humaines que lorsque toutes les conditions suivantes sont remplies :

1° Toutes les mesures pratiques sont prises pour atténuer l’incidence négative du projet sur l’état des masses d’eau concernées ;

2° Les modifications ou altérations des masses d’eau répondent à un intérêt général majeur ou les bénéfices escomptés du projet en matière de santé humaine, de maintien de la sécurité pour les personnes ou de développement durable l’emportent sur les bénéfices pour l’environnement et la société qui sont liés à la réalisation des objectifs définis au IV de l’article L. 212-1 ;

3° Les objectifs bénéfiques poursuivis par le projet ne peuvent, pour des raisons de faisabilité technique ou de coûts disproportionnés, être atteints par d’autres moyens constituant une option environnementale sensiblement meilleure.

Le préfet coordonnateur de bassin arrête la liste des projets répondant ou susceptibles de répondre à ces conditions, prévue au VII de l’article L. 212-1.

Les raisons des modifications ou des altérations des masses d’eau sous ces conditions sont expressément indiquées et motivées dans le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux lors de sa mise à jour.

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

16 Par une requête et un autre mémoire, enregistrés respectivement le 1er avril 2019 et le 22 septembre 2020, l’association France Nature Environnement a saisi le Conseil d’État (France) d’un recours tendant à l’annulation du décret no 2018-847 en tant qu’il prévoit qu’est ajouté à l’article R. 212-13 du code de l’environnement un dernier alinéa aux termes duquel, pour apprécier la compatibilité des programmes et des décisions administratives adoptés dans le domaine de l’eau avec l’objectif de
prévention de la détérioration de la qualité des eaux, « il n’est pas tenu compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme », ainsi que de la décision implicite née du refus opposé par le Premier ministre de faire droit à sa demande de retrait de cette disposition.

17 À l’appui de son recours, cette association a fait valoir que ladite disposition méconnaît la directive 2000/60, notamment l’article 4, paragraphe 1, de celle-ci, qui interdit toute détérioration, qu’elle soit temporaire ou de long terme, de l’état des masses d’eau.

18 La juridiction de renvoi relève que, dans son arrêt du 1er juillet 2015, Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland (C-461/13, EU:C:2015:433), la Cour a, notamment, dit pour droit que l’article 4, paragraphe 1, sous a), i) à iii), de la directive 2000/60 doit être interprété en ce sens que les États membres sont tenus, sous réserve des dérogations prévues aux paragraphes 6 et 7 dudit article, de refuser l’autorisation d’un projet particulier lorsqu’il est susceptible de provoquer une
détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface ou lorsqu’il compromet l’obtention d’un bon état des eaux de surface ou d’un bon potentiel écologique et d’un bon état chimique de telles eaux à la date prévue par cette directive.

19 Devant cette juridiction, la ministre de la Transition écologique et solidaire soutient que la disposition en cause au principal relève non pas de la dérogation prévue à l’article 4, paragraphe 6, de la directive 2000/60, qui doit résulter de circonstances dues à des causes naturelles ou de force majeure, mais de celle visée au paragraphe 7 de cet article, laquelle exclut du champ des infractions à cette directive les détériorations de l’état d’une masse d’eau résultant de nouvelles activités de
développement humain durable dès lors que les quatre conditions mentionnées à ce paragraphe sont cumulativement remplies. Ladite ministre a produit, à cet égard, le document d’orientation no 36 consacré aux « dérogations aux objectifs environnementaux selon l’article 4 paragraphe 7 » élaboré, dans le cadre du processus appelé « Stratégie commune de mise en œuvre de la directive-cadre sur l’eau et la directive inondations », par les administrations concernées des États membres et de la Commission
européenne, au cours du mois de décembre 2017, selon lequel lorsque de telles activités n’ont sur l’état d’une masse d’eau qu’un impact temporaire de courte durée et sans conséquences de long terme, elles peuvent faire l’objet d’une autorisation sans que celle-ci soit subordonnée au respect des conditions mentionnées à l’article 4, paragraphe 7, de ladite directive.

20 Selon la juridiction de renvoi, la réponse au moyen soulevé par l’association requérante dépend dès lors de la question de savoir si, compte tenu de l’objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux de surface, l’autorité administrative peut ne pas tenir compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme des programmes et des projets soumis à son autorisation et, dans l’affirmative, dans quelles conditions et limites.

21 C’est dans ces conditions que le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 4 de la directive [2000/60] doit-il être interprété comme permettant aux États membres, lorsqu’ils autorisent un programme ou un projet, de ne pas prendre en compte leurs impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme sur l’état de l’eau de surface ?

2) Dans l’affirmative, quelles conditions ces programmes et projets devraient-ils remplir au sens de l’article 4 de [cette] directive et en particulier de ses paragraphes 6 et 7 ? »

Sur les questions préjudicielles

22 Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4 de la directive 2000/60 doit être interprété en ce sens qu’il permet aux États membres, lorsqu’ils apprécient la compatibilité d’un programme ou d’un projet particulier avec l’objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux, de ne pas tenir compte d’impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme sur celles-ci et, le cas échéant, dans
quelles conditions.

23 Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, sous a), i), de la directive 2000/60, en rendant opérationnels les programmes de mesures prévus dans le plan de gestion du district hydrographique, les États membres mettent en œuvre les mesures nécessaires pour prévenir la détérioration de l’état de toutes les masses d’eau de surface, sous réserve de l’application des paragraphes 6 et 7 de cet article et sans préjudice du paragraphe 8 de celui-ci.

24 À cet égard, la Cour a jugé que l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/60 ne se limite pas à énoncer, selon une formulation programmatique, de simples objectifs de planification de gestion, mais déploie des effets contraignants, une fois déterminé l’état écologique de la masse d’eau concernée, à chaque étape de la procédure prescrite par cette directive. Cette disposition ne contient donc pas uniquement des obligations de principe, mais elle concerne également des projets
particuliers (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2015, Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland, C–461/13, EU:C:2015:433, points 43 et 47).

25 Ainsi, sous réserve de l’octroi d’une dérogation, toute détérioration de l’état d’une masse d’eau doit être évitée, indépendamment des planifications à plus long terme prévues par des plans de gestion et des programmes de mesures. L’obligation de prévenir la détérioration de l’état des masses d’eau de surface reste contraignante à chaque stade de la mise en œuvre de la directive 2000/60 et est applicable à tout type et à tout état de masse d’eau de surface pour lequel un plan de gestion a été ou
aurait dû être adopté. L’État membre concerné est, par conséquent, tenu de refuser l’autorisation d’un projet lorsque ce dernier est de nature à détériorer l’état de la masse d’eau concernée ou à compromettre l’obtention d’un bon état des masses d’eau de surface, sauf à considérer que ledit projet relève d’une dérogation en vertu de l’article 4, paragraphe 7, de cette directive (arrêt du 1er juillet 2015, Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland, C–461/13, EU:C:2015:433, point 50).

26 Cela implique que, au cours de la procédure d’autorisation d’un projet, et donc avant la prise de décision, les autorités compétentes sont tenues, en vertu de l’article 4 de la directive 2000/60, de contrôler si ce projet peut entraîner des effets négatifs sur l’eau qui seraient contraires aux obligations de prévenir la détérioration et d’améliorer l’état des masses d’eau de surface et souterraine (arrêt du 28 mai 2020, Land Nordrhein-Westfalen, C–535/18, EU:C:2020:391, point 76).

27 S’agissant de la notion de « détérioration de l’état » d’une masse d’eau de surface, non définie dans la directive 2000/60, la Cour a précisé qu’il convient de considérer qu’il y a détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface, au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a), i), de cette directive, dès que l’état d’au moins l’un des éléments de qualité, au sens de l’annexe V de ladite directive, se dégrade d’une classe, même si cette dégradation ne se traduit pas par une dégradation de
classement, dans son ensemble, de la masse d’eau de surface. Cependant, si l’élément de qualité concerné, au sens de cette annexe, figure déjà dans la classe la plus basse, toute dégradation de cet élément constitue une détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface (arrêt du 4 mai 2016, Commission/Autriche, C–346/14, EU:C:2016:322, point 59 et jurisprudence citée).

28 En l’occurrence, la disposition nationale en cause au principal dispose que, aux fins du contrôle relatif à la prévention de la détérioration de l’état des masses d’eau de surface, visé au point 26 du présent arrêt, « il n’est pas tenu compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme ».

29 Ainsi, il découle du libellé même de cette disposition ainsi que de la demande de décision préjudicielle que ladite disposition vise notamment à permettre l’autorisation d’un programme ou d’un projet qui n’aura qu’un tel impact temporaire sur l’état d’une masse d’eau de surface, sans qu’il faille, en ce cas, vérifier qu’il est satisfait aux conditions cumulatives prévues à l’article 4, paragraphe 7, de la directive 2000/60 et reprises, en substance, à l’article R. 212-16 du code de
l’environnement.

30 À cet égard, les gouvernements qui sont intervenus ainsi que la Commission soutiennent, en substance, que, même lorsqu’ils provoquent une détérioration au sens indiqué au point 27 du présent arrêt, des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme sur l’état d’une masse d’eau de surface ne constituent pas nécessairement une détérioration interdite par l’article 4, paragraphe 1, sous a), i), de la directive 2000/60, ainsi qu’il ressortirait notamment des développements
contenus dans le document d’orientation visé au point 19 du présent arrêt. Dans ce contexte, ils se réfèrent, en particulier, à la périodicité établie, pour l’étude des incidences de l’activité humaine sur l’état des eaux de surface, à l’article 5 de cette directive et, pour la mise à jour des programmes de mesures, à l’article 11 de celle-ci, ainsi qu’aux intervalles de contrôle qui sont indiqués, aux fins des programmes de surveillance de l’état des eaux visés à l’article 8 de ladite directive,
dans le tableau figurant à l’annexe V, point 1.3.4, de celle-ci. Or, en l’absence d’une détérioration interdite, il n’y aurait pas davantage matière à dérogation au sens de l’article 4, paragraphe 7, de la même directive.

31 Toutefois, une telle interprétation, telle qu’ainsi véhiculée notamment par ledit document d’orientation dont M. l’avocat général a souligné le caractère juridiquement non contraignant au point 75 de ses conclusions, ne découle pas des dispositions de la directive 2000/60 et est, par ailleurs, contredite par l’économie générale de cette directive ainsi que les objectifs qu’elle poursuit. En effet, alors que l’obligation de prévenir la détérioration de l’état des masses d’eau de surface n’implique
pas que les États membres soient tenus, lorsqu’ils apprécient la compatibilité d’un programme ou d’un projet particulier avec l’objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux, de prendre en compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme dès lors qu’il est établi que de tels impacts n’ont, par nature, que peu d’incidence sur l’état des masses d’eau et qu’ils ne sont, par conséquent, pas à même d’entraîner des détériorations de celles-ci, il en
est autrement lorsqu’il est établi que de tels impacts sont susceptibles de provoquer une détérioration au sens indiqué au point 27 du présent arrêt, quand bien même celle-ci revêtirait un caractère temporaire.

32 Tout d’abord, il découle de la lecture combinée des paragraphes 1 et 6 de l’article 4 de la directive 2000/60 que l’obligation de prévenir la détérioration de l’état des masses d’eau de surface inclut celle de prévenir une détérioration temporaire de l’état desdites masses. En effet, le fait de prévoir, à l’article 4, paragraphe 6, de cette directive, une dérogation pour une telle détérioration confirme que l’article 4, paragraphe 1, sous a), i), de ladite directive oblige les États membres à
prévenir également cette détérioration.

33 Ensuite, il convient de relever que, aux termes de l’article 1er, sous a), de la directive 2000/60, celle-ci a pour objet d’établir un cadre pour la protection des eaux intérieures de surface, des eaux de transition, des eaux côtières et des eaux souterraines, qui prévienne « toute » dégradation supplémentaire, préserve et améliore l’état des écosystèmes aquatiques ainsi que, en ce qui concerne leurs besoins en eau, des écosystèmes terrestres et des zones humides qui en dépendent directement. De
même, le considérant 32 de cette directive se réfère à l’« exigence » de prévenir « toute » dégradation supplémentaire de l’état des eaux.

34 Par ailleurs, la Cour a jugé que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/60 impose deux objectifs distincts, quoique intrinsèquement liés. D’une part, conformément à l’article 4, paragraphe 1, sous a), i), de cette directive, les États membres mettent en œuvre les mesures nécessaires pour prévenir la détérioration de l’état de toutes les masses d’eau de surface (obligation de prévenir la détérioration). D’autre part, en application de cet article 4, paragraphe 1, sous a), ii) et iii), les
États membres protègent, améliorent et restaurent toutes les masses d’eau de surface afin de parvenir à un bon état au plus tard à la fin de l’année 2015 (obligation d’amélioration) (arrêt du 28 mai 2020, Land Nordrhein-Westfalen, C–535/18, EU:C:2020:391, point 68 et jurisprudence citée).

35 Ainsi, l’obligation de prévenir la détérioration de l’état des masses d’eau s’est vu conférer par le législateur de l’Union un statut autonome et ne se limite pas à un instrument mis au service de l’obligation d’amélioration de l’état des masses d’eau (arrêt du 1er juillet 2015, Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland, C–461/13, EU:C:2015:433, point 49).

36 S’agissant de l’obligation de prévenir la détérioration, la Cour a d’ailleurs souligné que, sous réserve de l’octroi d’une dérogation, toute détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface doit être évitée (arrêt du 4 mai 2016, Commission/Autriche, C–346/14, EU:C:2016:322, point 64 et jurisprudence citée).

37 Plus particulièrement, la Cour a itérativement jugé que, s’agissant des critères permettant de conclure à une détérioration de l’état d’une masse d’eau, il ressort de l’économie de l’article 4 de la directive 2000/60, et notamment des paragraphes 6 et 7 de celui-ci, que les détériorations de l’état d’une masse d’eau, même transitoires, ne sont autorisées qu’à de très strictes conditions et que, par conséquent, le seuil au-delà duquel est constatée une violation de l’obligation de prévenir la
détérioration de l’état d’une masse d’eau doit être aussi bas que possible [voir, en ce sens, arrêts du 1er juillet 2015, Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland, C–461/13, EU:C:2015:433, point 67, ainsi que du 24 juin 2021, Commission/Espagne (Détérioration de l’espace naturel de Doñana), C–559/19, EU:C:2021:512, point 48].

38 Enfin, il y a lieu de rappeler, dans ce contexte, que la directive 2000/60 a été adoptée sur le fondement de l’article 175, paragraphe 1, CE (devenu article 192, paragraphe 1, TFUE). À cet égard, le considérant 11 de cette directive rappelle que, comme indiqué à l’article 174 CE (devenu article 191 TFUE), la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement doit contribuer à la poursuite des objectifs que constituent la préservation, la protection et l’amélioration de la qualité de
l’environnement ainsi que l’utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles, et doit être fondée sur les principes de précaution et d’action préventive et sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement.

39 Or, tant les objectifs et les principes ainsi rappelés que l’objectif ultime de la directive 2000/60 consistant à parvenir au minimum à un « bon état » de toutes les eaux de surface de l’Union et à maintenir cet état, ainsi que l’énonce le considérant 26 de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2015, Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland, C–461/13, EU:C:2015:433, point 37), confirment à leur tour l’interprétation selon laquelle, sous réserve de l’application de
l’article 4, paragraphes 6 et 7, de ladite directive et sans préjudice du paragraphe 8 de cet article, toute détérioration de l’état d’une masse d’eau, même temporaire ou transitoire et de courte durée, doit être évitée, eu égard aux effets néfastes sur l’environnement ou la santé humaine susceptibles d’en résulter.

40 Certes, en pratique, eu égard aux fréquences des contrôles prévues à l’annexe V, point 1.3.4, de la directive 2000/60, il peut arriver que, dans le cadre de la surveillance de l’état des eaux de surface exigée à l’article 8 de cette directive, une dégradation temporaire d’un élément de qualité au sens rappelé au point 27 du présent arrêt ne soit pas détectée.

41 Toutefois, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 51 de ses conclusions, de telles fréquences des contrôles menés à des fins d’analyse, de surveillance et de détection éventuelle, lesquelles peuvent, selon les cas, s’étendre d’un mois à six ans, ne sauraient être considérées comme un critère pertinent pour évaluer une détérioration potentielle de l’état d’une masse d’eau de surface dans le cadre du contrôle ex ante visé au point 26 du présent arrêt. Accepter une interprétation selon
laquelle une détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface d’une durée prévisible se comptant ainsi en mois ou en années n’est pas contraire à l’obligation de prévenir la détérioration, visée à l’article 4, paragraphe 1, de cette directive, et que, dès lors, un projet susceptible de provoquer une telle détérioration peut être autorisé sans que les conditions prévues à l’article 4, paragraphe 7, de ladite directive soient remplies, à savoir donc hors de tout contrôle, serait manifestement
incompatible avec ce qui a été relevé, notamment, aux points 38 et 39 du présent arrêt.

42 En revanche, contrairement à ce que fait valoir le gouvernement français, une interprétation selon laquelle l’obligation de prévenir une détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface vise également une détérioration temporaire de courte durée et sans conséquences de long terme ne prive pas de cohérence les dispositions de l’article 4 de la directive 2000/60. En effet, comme tout autre projet susceptible de provoquer une détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface, un projet
susceptible de provoquer une détérioration temporaire de courte durée et sans conséquences de long terme peut, en principe, se voir octroyer une autorisation sur le fondement de l’article 4, paragraphe 7, de cette directive.

43 Dans ce contexte, et s’agissant, notamment, des projets visant à protéger voire à améliorer l’état des masses d’eau de surface, tels que les projets dits de « renaturation », évoqués par le gouvernement français, il apparaît ainsi, notamment, que, a priori, de tels projets répondront à un intérêt général majeur ou que les bénéfices pour l’environnement et la société qui sont liés à la réalisation des objectifs énoncés à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/60 seront, dans le cas de
tels projets, inférieurs aux bénéfices pour la santé humaine, le maintien de la sécurité pour les personnes ou le développement durable qui en résulteront, comme il est exigé à l’article 4, paragraphe 7, sous c), de cette directive.

44 Quant à la condition prévue à l’article 4, paragraphe 7, sous b), de la directive 2000/60 selon laquelle « les raisons des modifications ou des altérations [doivent être] explicitement indiquées et motivées dans le plan de gestion de district hydrographique requis aux termes de l’article 13 [de cette directive] et les objectifs sont revus tous les six ans », il ressort de la jurisprudence de la Cour (arrêt du 4 mai 2016, Commission/Autriche, C–346/14, EU:C:2016:322, points 66 et 68 ainsi que
jurisprudence citée) et des termes de la partie A, point 5, de l’annexe VII de ladite directive qu’elle peut être considérée comme remplie lorsque les raisons à l’origine du projet concerné ne sont contenues, à la date de l’autorisation dudit projet, que dans la décision d’autorisation de celui-ci.

45 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux deux questions posées que l’article 4 de la directive 2000/60 doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas aux États membres, lorsqu’ils apprécient la compatibilité d’un programme ou d’un projet particulier avec l’objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux, de ne pas tenir compte d’impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme sur celles-ci, à moins qu’il ne
soit manifeste que de tels impacts n’ont, par nature, que peu d’incidence sur l’état des masses d’eau concernées et qu’ils ne peuvent entraîner de « détérioration » de celui-ci, au sens de ladite disposition. Lorsque, dans le cadre de la procédure d’autorisation d’un programme ou d’un projet, les autorités nationales compétentes déterminent que celui-ci est susceptible de provoquer une telle détérioration, ce programme ou ce projet ne peut, même si cette détérioration est de caractère temporaire,
être autorisé que si les conditions prévues à l’article 4, paragraphe 7, de ladite directive sont remplies.

Sur les dépens

46 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

L’article 4 de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau, doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas aux États membres, lorsqu’ils apprécient la compatibilité d’un programme ou d’un projet particulier avec l’objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux, de ne pas tenir compte d’impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme sur
  celles-ci, à moins qu’il ne soit manifeste que de tels impacts n’ont, par nature, que peu d’incidence sur l’état des masses d’eau concernées et qu’ils ne peuvent entraîner de « détérioration » de celui-ci, au sens de ladite disposition. Lorsque, dans le cadre de la procédure d’autorisation d’un programme ou d’un projet, les autorités nationales compétentes déterminent que celui-ci est susceptible de provoquer une telle détérioration, ce programme ou ce projet ne peut, même si cette détérioration
est de caractère temporaire, être autorisé que si les

  conditions prévues à l’article 4, paragraphe 7, de ladite directive sont remplies.

Prechal

Passer

Biltgen

Wahl

Arastey Sahún
 
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 mai 2022.

Le greffier

A. Calot Escobar

La présidente de la IIème chambre

A. Prechal

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-525/20
Date de la décision : 05/05/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Conseil d'État (France).

Renvoi préjudiciel – Environnement – Directive 2000/60/CE – Cadre pour une politique de l’Union européenne dans le domaine de l’eau – Article 4, paragraphe 1, sous a) – Objectifs environnementaux relatifs aux eaux de surface – Obligation des États membres de ne pas autoriser un programme ou un projet susceptible de provoquer une détérioration de l’état d’une masse d’eau de surface – Notion de “détérioration” de l’état d’une masse d’eau de surface – Article 4, paragraphes 6 et 7 – Dérogations à l’interdiction de détérioration – Conditions �� Programme ou projet ayant des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme sur l’état d’une masse d’eau de surface.

Rapprochement des législations

Environnement


Parties
Demandeurs : Association France Nature Environnement
Défendeurs : Premier ministre et Ministre de la Transition écologique et solidaire.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rantos
Rapporteur ?: Passer

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:350

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award