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22/03/2022 | CJUE | N°C-508/19

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, M.F. contre J.M., 22/03/2022, C-508/19


 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

22 mars 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Nécessité de l’interprétation sollicitée pour que la juridiction de renvoi puisse rendre son jugement – Notion – Procédure disciplinaire ouverte contre un juge d’une juridiction de droit commun – Désignation de la juridiction disciplinaire compétente pour connaître de cette procédure par le président de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) – Action civile en constatation de l’inexistence d’une relation

de travail entre le
président de cette chambre disciplinaire et la Cour suprême – Absence de compétence ...

 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

22 mars 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Nécessité de l’interprétation sollicitée pour que la juridiction de renvoi puisse rendre son jugement – Notion – Procédure disciplinaire ouverte contre un juge d’une juridiction de droit commun – Désignation de la juridiction disciplinaire compétente pour connaître de cette procédure par le président de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) – Action civile en constatation de l’inexistence d’une relation de travail entre le
président de cette chambre disciplinaire et la Cour suprême – Absence de compétence de la juridiction de renvoi pour contrôler la validité de la nomination d’un juge de la Cour suprême et irrecevabilité d’une telle action en vertu du droit national – Irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle »

Dans l’affaire C‑508/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Najwyższy (Izba Pracy i Ubezpieczeń Społecznych) [Cour suprême (chambre du travail et des assurances sociales), Pologne], par décision du 12 juin 2019, parvenue à la Cour le 3 juillet 2019, dans la procédure

M. F.

contre

J. M.,

en présence de :

Prokurator Generalny,

Rzecznik Praw Obywatelskich,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice‑président, Mmes A. Prechal (rapporteure), K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, E. Regan, S. Rodin et N. Jääskinen, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, F. Biltgen et A. Kumin, juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : M. M. Aleksejev, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 septembre 2020,

considérant les observations présentées :

– pour M. F., par M. W. Popiołek, radca prawny,

– pour J. M., par lui-même,

– pour le Prokurator Generalny, par Mme M. Słowińska ainsi que par MM. R. Hernand, A. Reczka et S. Bańko,

– pour le Rzecznik Praw Obywatelskich, par MM. M. Taborowski et P. Filipek,

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna ainsi que par Mmes S. Żyrek et A. Dalkowska, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, initialement par Mme K. Herrmann ainsi que par MM. P. Van Nuffel et H. Krämer, puis par Mme K. Herrmann et M. P. Van Nuffel, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 avril 2021,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, de l’article 4, paragraphe 3, de l’article 6, paragraphe 3, et de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de l’article 267 TFUE ainsi que de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. F. à J. M. au sujet d’une demande tendant à ce que soit constatée l’inexistence d’une relation de travail entre ce dernier et le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne).

Le cadre juridique national

La Constitution

3 L’article 144, paragraphes 2 et 3, de la Konstytucja Rzeczypospolitej Polskiej (Constitution de la République de Pologne, ci-après la « Constitution ») est libellé comme suit :

« 2.   Pour être valables, les actes officiels du président de la République doivent être contresignés par le président du Conseil des ministres qui engage ainsi sa responsabilité devant le Sejm [(Diète)].

3.   Les dispositions du paragraphe 2 ne sont pas applicables dans les cas suivants :

[...]

17) la nomination des juges ;

[...] »

4 En vertu de l’article 179 de la Constitution, le président de la République de Pologne (ci-après le « président de la République ») nomme les juges, sur proposition de la Krajowa Rada Sądownictwa (Conseil national de la magistrature, Pologne) (ci-après la « KRS »), pour une durée indéterminée.

Le code de procédure civile

5 L’article 189 du Kodeks postępowania cywilnego (code de procédure civile) énonce :

« Une partie requérante peut introduire devant le tribunal une demande en constatation de l’existence ou de l’inexistence d’un rapport juridique ou d’un droit, pour autant qu’elle ait un intérêt légitime à agir. »

La loi sur la Cour suprême

6 L’ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 5), est entrée en vigueur le 3 avril 2018. Cette loi a été modifiée à diverses reprises.

7 La loi sur la Cour suprême a notamment institué au sein de ladite juridiction une nouvelle chambre dénommée Izba Dyscyplinarna (chambre disciplinaire).

8 L’article 27, paragraphe 1, de cette loi dispose :

« Relèvent de la compétence de la chambre disciplinaire :

1) les affaires disciplinaires :

a) concernant les juges du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)],

b) examinées par le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] en rapport avec des procédures disciplinaires menées en vertu des lois suivantes :

[...]

– loi relative à l’organisation des juridictions de droit commun [...],

[...]

[...]

2) les affaires en matière de droit du travail et des assurances sociales concernant les juges du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] ;

[...] »

9 L’article 31, paragraphe 1, de la loi sur la Cour suprême prévoit :

« Après consultation du premier Président du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], le Président de la République publie au Monitor Polski [(Journal officiel de la République de Pologne)] le nombre de postes de juge vacants à pourvoir dans les différentes chambres du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)]. »

10 Aux termes de l’article 33, paragraphe 1, de ladite loi :

« La relation de travail d’un juge du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] est établie au moment de la remise de l’acte de nomination. [...] »

La loi relative aux juridictions de droit commun

11 L’ustawa – Prawo o ustroju sądów powszechnych (loi sur l’organisation des juridictions de droit commun), du 27 juillet 2001, telle que modifiée (Dz. U. de 2018, position 23, ci-après la « loi relative aux juridictions de droit commun »), prévoit à son article 110 :

« 1.   Dans les affaires disciplinaires relatives à des juges, sont appelées à statuer :

1) en première instance :

a) les juridictions disciplinaires près les juridictions d’appel, en formation de trois juges ;

[...]

3.   Le tribunal disciplinaire dans le ressort duquel le juge faisant l’objet de la procédure disciplinaire exerce sa charge n’est pas admis à connaître des affaires visées au paragraphe 1, point 1), sous a). La juridiction disciplinaire compétente pour connaître de l’affaire est désignée par le président du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] dirigeant les travaux de la chambre disciplinaire à la demande de l’agent disciplinaire. »

La loi sur la KRS

12 La KRS est régie par l’ustawa o Krajowej Radzie Sądownictwa (loi sur le Conseil national de la magistrature), du 12 mai 2011 (Dz. U. de 2011, no 126, position 714), telle que modifiée, notamment, par l’ustawa o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz niektórych innych ustaw (loi portant modifications de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de certaines autres lois), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 3), et par l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów
powszechnych oraz niektórych innych ustaw (loi portant modifications de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun et de certaines autres lois), du 20 juillet 2018 (Dz. U. de 2018, position 1443, ci-après la « loi sur la KRS »).

13 L’article 37, paragraphe 1, de la loi sur la KRS dispose :

« Si plusieurs candidats ont postulé pour un poste de juge, [la KRS] examine et évalue conjointement toutes les candidatures déposées. Dans cette situation, [la KRS] adopte une résolution comprenant ses décisions quant à la présentation d’une proposition de nomination au poste de juge, à l’égard de tous les candidats. »

14 Aux termes de l’article 43, paragraphe 2, de cette loi :

« Si tous les participants à la procédure n’ont pas attaqué la résolution visée à l’article 37, paragraphe 1, celle-ci devient définitive pour la partie comprenant la décision de non-présentation de la proposition de nomination aux fonctions de juge des participants qui n’ont pas introduit de recours, sous réserve des dispositions de l’article 44, paragraphe 1 ter. »

15 L’article 44 de ladite loi énonçait :

« 1.   Un participant à la procédure peut former un recours devant le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] en raison de l’illégalité de la résolution [de la KRS], à moins que des prescriptions distinctes n’en disposent autrement. [...]

1bis.   Dans les affaires individuelles concernant une nomination à la fonction de juge au [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], les recours sont portés devant le [Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne)]. Dans ces affaires, il n’est pas possible de former un recours devant le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)]. Le recours devant le [Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative)] ne peut pas être fondé sur un moyen tiré d’une évaluation inappropriée du respect, par
les candidats, des critères pris en compte lors de la prise de décision quant à la présentation de la proposition de nomination au poste de juge au [Sąd Najwyższy (Cour suprême)].

1ter.   Si tous les participants à la procédure n’ont pas attaqué la résolution visée à l’article 37, paragraphe 1, dans les affaires individuelles concernant la nomination à la fonction de juge au [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], ladite résolution devient définitive, pour la partie comprenant la décision de présentation de la proposition de nomination au poste de juge au [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] ainsi que pour la partie comprenant la décision de non-présentation d’une proposition de
nomination au poste de juge de cette même Cour, s’agissant des participants à la procédure qui n’ont pas formé de recours.

[...]

4.   Dans les affaires individuelles concernant la nomination à la fonction de juge au [Sąd Najwyższy (Cour suprême)], l’annulation, par le [Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative)], de la résolution [de la KRS] portant non-présentation de la proposition de nomination au poste de juge au [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] équivaut à l’admission de la candidature du participant à la procédure qui a introduit le recours, pour un poste vacant de juge au sein du [Sąd Najwyższy (Cour
suprême)], poste pour lequel, à la date du prononcé de la décision du [Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative)], la procédure devant [la KRS] n’a pas pris fin ou, en cas de défaut d’une telle procédure, pour le prochain poste vacant de juge au sein du [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] faisant l’objet d’une publication. »

16 Le paragraphe 1 bis de l’article 44 de la loi sur la KRS a été introduit dans cet article par la loi du 8 décembre 2017 portant modifications de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de certaines autres lois, entrée en vigueur le 17 janvier 2018, et les paragraphes 1 ter et 4 y ont été introduits par la loi du 20 juillet 2018 portant modifications de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun et de certaines autres lois, entrée en vigueur le 27 juillet 2018. Avant
l’introduction de ces modifications, les recours visés audit paragraphe 1 bis devaient être formés devant le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] conformément au paragraphe 1 de ce même article 44.

17 Par un arrêt du 25 mars 2019, le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle, Pologne) a déclaré l’article 44, paragraphe 1 bis, de la loi sur la KRS incompatible avec l’article 184 de la Constitution, aux motifs, en substance, que la compétence conférée au Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) par ledit paragraphe 1 bis n’était justifiée au regard ni de la nature des affaires concernées, ni des caractéristiques organisationnelles de ladite juridiction, ni de la procédure
appliquée par cette dernière. Dans cet arrêt, le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) a également indiqué que cette déclaration d’inconstitutionnalité « entraîne nécessairement la clôture de toutes les procédures juridictionnelles pendantes fondées sur la disposition abrogée ».

18 Par la suite, l’article 44 de la loi sur la KRS a été modifié par l’ustawa o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz ustawy – Prawo o ustroju sądów administracyjnych (loi portant modifications de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de la loi portant organisation du contentieux administratif), du 26 avril 2019 (Dz. U. de 2019, position 914, ci-après la « loi du 26 avril 2019 »), qui est entrée en vigueur le 23 mai 2019. Le paragraphe 1 de cet article 44 est désormais
libellé comme suit :

« Un participant à la procédure peut former un recours devant le [Sąd Najwyższy (Cour suprême)] en invoquant l’illégalité de la résolution [de la KRS], à moins que des prescriptions distinctes n’en disposent autrement. Il n’est pas possible de former un recours dans les affaires individuelles se rapportant à la nomination aux fonctions de juge au [Sąd Najwyższy (Cour suprême)]. »

19 Par ailleurs, l’article 3 de la loi du 26 avril 2019 prévoit que « [l]es recours contestant les résolutions [de la KRS] dans des affaires individuelles relatives à la nomination aux fonctions de juge [au Sąd Najwyższy (Cour suprême)], introduits et non jugés avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi, font l’objet de plein droit d’un non-lieu à statuer ».

Le litige au principal et les questions préjudicielles

20 M. F. exerce la fonction de juge au sein du Sąd Rejonowy w P. (tribunal d’arrondissement de P., Pologne). Le 17 janvier 2019, l’agent disciplinaire adjoint en charge des affaires concernant les juges siégeant dans les juridictions de droit commun a décidé d’engager une procédure disciplinaire à l’encontre de M. F. du fait de prétendues lenteurs dans les procédures diligentées par celle-ci et de prétendus retards dans la rédaction des motifs de ses décisions. En sa qualité de président du Sąd
Najwyższy (Cour suprême) dirigeant les travaux de la chambre disciplinaire de ladite juridiction, J. M. a, le 28 janvier 2019, adopté, sur le fondement de l’article 110, paragraphe 3, de la loi relative aux juridictions de droit commun, une ordonnance désignant le Sąd Dyscyplinarny przy Sądzie Apelacyjnym w [...] (tribunal disciplinaire près la Cour d’appel de [...], Pologne) comme juridiction disciplinaire compétente pour connaître, en première instance, de cette procédure disciplinaire.

21 À la suite de l’adoption de ladite ordonnance, M. F. a saisi le Sąd Najwyższy (Cour suprême) d’un recours fondé sur l’article 189 du code de procédure civile, visant à ce que soit constatée l’inexistence d’une relation de travail entre J. M. et le Sąd Najwyższy (Cour suprême), au sens de l’article 33, paragraphe 1, de la loi sur la Cour suprême, en raison d’irrégularités ayant affecté la nomination de celui‑ci aux fonctions de juge au sein de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour
suprême). M. F. a également demandé que toutes les personnes nommées juges au sein de cette chambre disciplinaire soient récusées et que l’Izba Pracy i Ubezpieczeń Społecznych (chambre du travail et de la sécurité sociale) du Sąd Najwyższy (Cour suprême) soit désignée aux fins de statuer sur ce recours. M. F. a, enfin, demandé que soit ordonnée, à titre conservatoire et pendant toute la durée de la procédure au principal, la suspension de la procédure disciplinaire engagée à son égard.

22 À l’appui de son recours, M. F. a fait valoir que l’ineffectivité de la nomination de J. M. au poste de juge du Sąd Najwyższy (Cour suprême) résulte de ce que la remise à l’intéressé, le 20 septembre 2018, de son acte de nomination par le président de la République est intervenue alors que la résolution de la KRS du 23 août 2018 ayant proposé la nomination de J. M. à ce poste faisait l’objet d’un recours introduit le 17 septembre 2018 devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême
administrative), sur le fondement de l’article 44, paragraphe 1 bis, de la loi sur la KRS, par un candidat non proposé à la nomination en vertu de ladite résolution. En outre, la procédure de sélection en cause aurait été menée à la suite d’une communication du président de la République adoptée sur la base de l’article 31, paragraphe 1, de la loi sur la Cour suprême et publiée le 29 juin 2018, communication qui n’aurait pas été revêtue du contreseing ministériel requis.

23 Par décision du 6 mai 2019, le premier Président du Sąd Najwyższy (Cour suprême) a chargé l’Izba Pracy i Ubezpieczeń Społecznych (chambre du travail et de la sécurité sociale) de ladite juridiction d’examiner la requête de M. F. et, notamment, la demande de mesure conservatoire formulée par celle-ci.

24 À l’occasion de l’examen de cette dernière demande, cette chambre, qui est la juridiction de renvoi dans la présente affaire, éprouve des doutes quant à l’interprétation du droit de l’Union. Ladite juridiction considère, à titre liminaire, que le lien que présente l’affaire au principal avec ce droit découle de ce que le principe de protection juridictionnelle effective consacré par celui-ci n’est pas applicable uniquement aux procédures devant les juridictions nationales dans lesquelles
celles‑ci appliquent le droit matériel de l’Union. En effet, ce principe trouverait également à s’appliquer dans les cas où il y a lieu d’apprécier si un État membre se conforme à son obligation, découlant de l’article 4, paragraphe 3, et de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de veiller à ce que les instances susceptibles, en tant que juridictions au sens du droit de l’Union, de statuer dans des domaines couverts par ce dernier satisfassent aux exigences découlant dudit principe et,
en particulier, à celle voulant que de telles instances constituent des tribunaux indépendants et impartiaux préalablement établis par la loi. Ainsi, une telle exigence devrait être respectée lorsqu’un État membre confère à une instance telle que le défendeur au principal le pouvoir de désigner la juridiction compétente pour connaître de poursuites disciplinaires diligentées contre des juges.

25 À cet égard, la juridiction de renvoi relève, en premier lieu, que, bien que le lien statutaire entre un juge et la juridiction dans laquelle ce dernier se voit confier un mandat puisse être assimilé à une relation de travail dont l’existence peut être constatée dans le cadre de la procédure prévue à l’article 189 du code de procédure civile, il ressort de la jurisprudence du Sąd Najwyższy (Cour suprême) que le mandat de juge, qui confère le droit d’exercer le pouvoir juridictionnel, traduit un
rapport juridique relevant du droit public et non du droit civil. Dans ces conditions, une action ayant, à l’instar de celle au principal, pour objet de voir constater l’inexistence d’un mandat de juge ne serait pas une affaire civile susceptible de relever du champ d’application du code de procédure civile, en particulier de l’article 189 de celui-ci. Toutefois, il n’existerait pas, en droit national, de procédure permettant de contester l’acte par lequel le président de la République a procédé
à la nomination d’un juge.

26 Dans ces conditions, la juridiction de renvoi considère que la recevabilité d’une requête telle que celle au principal dépend du point de savoir si, dans un tel contexte normatif national, le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il lui confère le pouvoir, qu’elle ne détient pas en vertu du droit national, de constater, dans le cadre d’une procédure telle que celle au principal, que le défendeur concerné n’a pas de mandat de juge. La recevabilité de la demande de mesure
conservatoire dont se trouve saisie ladite juridiction et la compétence de cette dernière pour en connaître seraient elles-mêmes subordonnées à la recevabilité de ladite requête au principal.

27 Selon la juridiction de renvoi, cette compétence et cette recevabilité pourraient découler directement du droit de l’Union lorsque l’acte de nomination du juge concerné est, comme en l’occurrence, intervenu en violation du principe de protection juridictionnelle effective, les autorités polonaises ayant en effet œuvré à exclure toute possibilité de contrôle juridictionnel de la compatibilité des règles ou des procédures nationales de nomination des juges avec le droit de l’Union à un stade
antérieur à la remise de l’acte de nomination.

28 À cet égard, ladite juridiction souligne qu’il existait, auparavant, en vertu de l’article 43 et de l’article 44, paragraphe 1, puis de l’article 43 et de l’article 44, paragraphes 1 et 1 bis, de la loi sur la KRS, une possibilité de contrôle juridictionnel de la résolution par laquelle la KRS propose la nomination d’une personne en qualité de juge du Sąd Najwyższy (Cour suprême). Toutefois, alors même qu’avait été lancée la procédure destinée à pourvoir à la nomination des juges appelés à
composer la nouvelle chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et ayant notamment abouti à la nomination du défendeur au principal, et que divers candidats à des postes de juge de cette nouvelle chambre avaient manifesté leur intention d’introduire des recours sur la base de ces dernières dispositions, le législateur polonais aurait délibérément inséré, à l’article 44 de la loi sur la KRS, un paragraphe 1 ter prévoyant que de tels recours n’ont désormais plus pour conséquence
d’empêcher les nominations envisagées.

29 En outre, après que le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a, par décision du 21 novembre 2018, interrogé la Cour à titre préjudiciel, dans l’affaire ayant, entre-temps, donné lieu à l’arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, ci-après l’« arrêt A.B. e.a. , EU:C:2021:153), sur le point de savoir si le droit de l’Union s’oppose à des modifications telles que celles ayant ainsi affecté l’article 44 de la loi sur la KRS, le
législateur polonais aurait, eu égard à l’arrêt du 25 mars 2019 du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle), mentionné au point 17 du présent arrêt, adopté la loi du 26 avril 2019 à l’effet, d’une part, de décréter un non-lieu à statuer dans les affaires pendantes devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) telles que celles ayant donné lieu audit renvoi préjudiciel. D’autre part, la même loi aurait, à nouveau, modifié l’article 44 de la loi sur la KRS afin
d’exclure, à l’avenir, toute possibilité d’introduire un recours juridictionnel à l’encontre d’une résolution de la KRS proposant un candidat à la nomination au poste de juge du Sąd Najwyższy (Cour suprême).

30 En deuxième lieu, la juridiction de renvoi relève que, dans le cadre des affaires jointes ayant, entre-temps, donné lieu à l’arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, ci-après l’« arrêt A. K. e.a. , EU:C:2019:982), la Cour a été saisie, à titre préjudiciel, de questions portant sur la compatibilité avec le droit de l’Union des dispositions nationales relatives à la mise en place et au mode de nomination des
membres de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême). Dans un tel contexte, le pouvoir exécutif aurait été tenu de s’abstenir de procéder à de telles nominations jusqu’à ce que la Cour et la juridiction nationale ayant ainsi interrogé la Cour à titre préjudiciel se soient prononcées.

31 En troisième lieu, la juridiction de renvoi se demande si la circonstance que la nomination de J. M. aux fonctions de juge de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême) est intervenue alors qu’un recours avait été introduit contre la résolution de la KRS ayant proposé cette nomination et le fait que la procédure de nomination a été ouverte par un acte du président de la République dépourvu du contreseing ministériel pourtant requis en vertu de l’article 144, paragraphe 3, de la
Constitution ont pour conséquence une violation du principe de protection juridictionnelle effective et, plus précisément, de l’exigence tenant à un tribunal « préalablement établi par la loi », au sens de l’article 47 de la Charte.

32 En quatrième lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur la possibilité de contester la qualité de juge d’une personne du seul fait que l’instance au sein de laquelle celle-ci a été nommée, à savoir, en l’occurrence, la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême), ne constituerait pas, faute de satisfaire à l’exigence d’indépendance requise, une juridiction au sens du droit de l’Union.

33 En cinquième lieu, et eu égard à des considérations analogues à celles ayant justifié les questions adressées à la Cour dans le cadre des affaires jointes ayant, depuis lors, donné lieu à l’arrêt A. K. e.a., la juridiction de renvoi est d’avis que, dès lors que la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême), à laquelle le droit national attribue la compétence pour connaître d’un litige tel que celui au principal, n’est pas une juridiction au sens du droit de l’Union, il lui appartient
d’assumer elle-même la compétence pour connaître dudit litige.

34 C’est dans ces conditions que l’Izba Pracy i Ubezpieczeń Społecznych (chambre du travail et de la sécurité sociale) du Sąd Najwyższy (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes :

« 1) L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, l’article 2, l’article 4, paragraphe 3, et l’article 6, paragraphe 3, TUE, lus en combinaison avec l’article 47 de la [Charte] et l’article 267, troisième alinéa, TFUE, doivent-ils être interprétés en ce sens que, dans le cadre d’une procédure en constatation d’inexistence d’une relation de travail, une juridiction de dernière instance d’un État membre peut constater que n’a pas la qualité de juge le destinataire d’un acte qui, nommant celui-ci aux
fonctions de juge dans cette juridiction, a été adopté sur la base de dispositions contraires au principe de protection juridictionnelle effective ou d’une manière incompatible avec ledit principe, lorsqu’il est fait intentionnellement obstacle à l’examen de cette question avant la remise dudit acte ?

2) L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, l’article 2, l’article 4, paragraphe 3, TUE et l’article 47 de la [Charte], lus en combinaison avec l’article 267 TFUE, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’il y a violation du principe de protection juridictionnelle effective lorsqu’un acte de nomination aux fonctions de juge est délivré après que la juridiction nationale a adressé une question préjudicielle en interprétation du droit de l’Union, à la réponse de laquelle est subordonnée
l’appréciation de la compatibilité avec le droit de l’Union des dispositions nationales dont l’application ont permis la remise dudit acte ?

3) L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, l’article 2, l’article 4, paragraphe 3, et l’article 6, paragraphe 3, TUE ainsi que l’article 47 de la [Charte] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’il y a violation du principe de protection juridictionnelle effective du fait de l’absence de garantie du droit au juge, lorsqu’un acte de nomination aux fonctions de juge est délivré à la suite d’une procédure de nomination effectuée en violation flagrante des dispositions légales dudit État
régissant la nomination des juges ?

4) L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, l’article 2, l’article 4, paragraphe 3, TUE et l’article 47 de la [Charte], lus en combinaison avec l’article 267, troisième alinéa, TFUE, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’il y a violation du principe de protection juridictionnelle effective lorsque le législateur national crée, dans une juridiction de dernière instance d’un État membre, une entité organisationnelle qui ne constitue pas une juridiction au sens du droit de l’Union ?

5) L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, l’article 2, l’article 4, paragraphe 3, TUE et l’article 47 de la [Charte], lus en combinaison avec l’article 267, troisième alinéa, TFUE, doivent‑ils être interprétés en ce sens que les questions relatives à l’existence d’une relation de travail et à la qualité de juge du destinataire d’un acte le nommant aux fonctions de juge d’une juridiction de dernière instance d’un État membre ne sauraient être jugées par une entité organisationnelle de cette
juridiction de dernière instance, laquelle entité, compétente en vertu du droit national dudit État, est exclusivement composée de personnes dont les actes de nomination sont entachés des vices indiqués dans les questions 2 à 4, de sorte qu’elle n’est pas une juridiction au sens du droit de l’Union, mais [qu’elles doivent l’être par] une autre entité organisationnelle de cette juridiction de dernière instance, laquelle [entité] remplit pour sa part les exigences auxquelles le droit de l’Union
subordonne l’existence d’une juridiction ? »

La procédure devant la Cour

Sur la demande d’application de la procédure accélérée

35 La juridiction de renvoi a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à une procédure accélérée en vertu de l’article 105 du règlement de procédure de la Cour. À l’appui de sa demande, cette juridiction a fait valoir que l’application de cette procédure se justifiait, premièrement, au regard de la nécessité de se prononcer sur la demande de mesure conservatoire dont elle est saisie dans le délai de sept jours prévu par le droit national. Deuxièmement, au-delà de la présente affaire,
les réponses aux questions préjudicielles adressées à la Cour seraient déterminantes quant à la possibilité future d’engager des actions en constatation de l’inexistence d’une relation de travail à l’égard d’un certain nombre de juges récemment affectés aux différentes chambres du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et dont la nomination serait intervenue dans des conditions partiellement ou totalement analogues à celles ayant entouré la nomination du défendeur au principal. Troisièmement, de telles
réponses permettraient, le cas échéant, d’empêcher que de telles nominations puissent encore intervenir à l’avenir.

36 L’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut décider, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais.

37 Il importe de rappeler qu’une telle procédure accélérée constitue un instrument procédural destiné à répondre à une situation d’urgence extraordinaire (arrêt du 21 décembre 2021, Randstad Italia, C‑497/20, EU:C:2021:1037, point 37 et jurisprudence citée).

38 En l’occurrence, le président de la Cour a décidé, le 20 août 2019, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, qu’il n’y avait pas lieu de faire droit à la demande visée au point 35 du présent arrêt.

39 À cet égard, il ressort des énonciations de la décision de renvoi que, par son action civile en constatation de l’inexistence d’une relation de travail entre J. M. et le Sąd Najwyższy (Cour suprême), M. F. vise, en substance, à obtenir que soit, dans un premier temps, suspendue à titre provisoire et, dans un second temps, considérée comme étant dépourvue d’effet la décision par laquelle J. M., agissant en sa qualité de président de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême), a
désigné la juridiction disciplinaire compétente pour connaître de la procédure disciplinaire ouverte à son égard.

40 Or, s’agissant, tout d’abord, de la circonstance que la juridiction de renvoi a ainsi été saisie, notamment, d’une demande de mesures provisoires, il convient de rappeler que le fait qu’une demande de décision préjudicielle soit formulée dans le cadre d’une procédure nationale permettant l’adoption de telles mesures n’est pas, à lui seul, de nature à établir que la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 18 octobre
2017, Weiss e.a., C‑493/17, non publiée, EU:C:2017:792, point 12 ainsi que jurisprudence citée).

41 Ensuite, la clarification du point de savoir si la décision de J. M. désignant la juridiction disciplinaire compétente pour connaître de la procédure disciplinaire ouverte contre M. F. contrevient, le cas échéant, au droit de l’Union n’est pas davantage de nature à engendrer une situation d’urgence extraordinaire propre à justifier le recours à la procédure accélérée.

42 Enfin, la seule perspective éventuelle qu’une réponse de la Cour aux questions qui lui sont adressées dans la présente affaire puisse, au-delà de la solution du litige au principal, ouvrir la voie à d’autres recours en constatation de l’inexistence d’une relation de travail dirigés contre d’autres juges récemment nommés au sein du Sąd Najwyższy (Cour suprême) ou contribuer à prévenir d’autres nominations analogues dans le futur n’apparaît pas non plus de nature à justifier que la présente affaire
soit soumise à une procédure accélérée.

43 Au demeurant, il a, en l’occurrence, également été tenu compte de ce que, ainsi qu’il ressort des points 29, 30 et 33 du présent arrêt, plusieurs interrogations de la juridiction de renvoi sur lesquelles reposent les questions posées dans la présente affaire faisaient, en substance, déjà l’objet, lorsqu’elles ont été adressées à la Cour, d’autres renvois préjudiciels se trouvant à des stades de traitement assez avancés.

Sur la demande de réouverture de la phase orale de la procédure

44 À la suite de la phase écrite de la procédure, les parties intéressées, dont le gouvernement polonais, ont été entendues en leurs arguments oraux à l’occasion d’une audience qui s’est tenue le 22 septembre 2020. M. l’avocat général a présenté ses conclusions le 15 avril 2021, date à laquelle la phase orale de la procédure a, en conséquence, été clôturée.

45 Par acte déposé au greffe de la Cour le 7 mai 2021, le gouvernement polonais a demandé la réouverture de la phase orale de la procédure.

46 À l’appui de cette demande, ledit gouvernement a invoqué le fait que des différences d’orientation existaient entre, d’une part, les conclusions prononcées par M. l’avocat général dans la présente affaire et, d’autre part, les conclusions de l’avocat général Hogan dans l’affaire Repubblika (C‑896/19, EU:C:2020:1055) et l’arrêt du 20 avril 2021, Repubblika (C‑896/19, EU:C:2021:311), en ce qui concerne l’appréciation du processus de nomination des juges nationaux dans les différents États membres à
l’aune du droit de l’Union.

47 Le gouvernement polonais est également d’avis qu’une réouverture de la phase orale de la procédure se justifie, en l’occurrence, en raison de la circonstance que, dans les conclusions présentées dans la présente affaire, avec lesquelles ce gouvernement est en désaccord, M. l’avocat général n’aurait pas suffisamment tenu compte des arguments dudit gouvernement, de sorte que ces conclusions manqueraient d’objectivité.

48 À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le règlement de procédure ne prévoient pas la possibilité, pour les intéressés visés à l’article 23 de ce statut, de présenter des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général (arrêt du 6 mars 2018, Achmea, C‑284/16, EU:C:2018:158, point 26 et jurisprudence citée).

49 D’autre part, en vertu de l’article 252, second alinéa, TFUE, l’avocat général présente publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l’Union européenne, requièrent son intervention. La Cour n’est liée ni par ces conclusions ni par la motivation au terme de laquelle l’avocat général parvient à celles‑ci. Par conséquent, le désaccord d’une partie intéressée avec les conclusions de
l’avocat général, quelles que soient les questions que ce dernier examine dans ses conclusions, ne peut constituer en soi un motif justifiant la réouverture de la procédure orale (arrêt du 6 mars 2018, Achmea, C‑284/16, EU:C:2018:158, point 27 et jurisprudence citée).

50 Quant aux allégations du gouvernement polonais relatives à un prétendu manque d’objectivité des conclusions de M. l’avocat général dans la présente affaire, il suffit de relever que la circonstance que ledit gouvernement estime que ses arguments n’ont pas été suffisamment pris en compte dans ces conclusions ou dans celles, auxquelles renvoient dans une large mesure ces dernières, prononcées par M. l’avocat général dans l’affaire ayant fait l’objet d’un traitement coordonné avec la présente
affaire et ayant donné lieu à l’arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798), n’est, en tout état de cause, pas de nature à établir un tel manque d’objectivité.

51 Conformément à l’article 83 de son règlement de procédure, la Cour peut, certes, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée, ou lorsqu’une partie a soumis, après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour.

52 En l’occurrence, la Cour considère, toutefois, l’avocat général entendu, qu’elle dispose, au terme de la procédure écrite et de l’audience qui s’est tenue devant elle, de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande de décision préjudicielle. Elle relève, par ailleurs, que la demande de réouverture de la phase orale de la procédure introduite par le gouvernement polonais ne révèle aucun fait nouveau de nature à pouvoir exercer une influence sur la décision qu’elle est ainsi
appelée à rendre.

53 Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.

Sur les questions préjudicielles

Sur la compétence de la Cour

54 Selon le Prokurator Generalny (Procureur général, Pologne), une procédure visant à faire constater qu’une personne n’a pas de relation de travail en qualité de juge et qu’elle n’a pu, par conséquent, légalement désigner la juridiction disciplinaire compétente pour connaître d’une procédure disciplinaire ouverte contre un autre juge relève du droit national et de la seule compétence des États membres, de sorte qu’elle échappe au champ d’application du droit de l’Union. Partant, la Cour serait
dépourvue de compétence pour répondre à la présente demande de décision préjudicielle.

55 S’agissant, plus particulièrement, de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, une compétence interprétative n’existerait dans le chef de la Cour que pour autant que la juridiction de renvoi est effectivement appelée à appliquer concrètement le droit de l’Union dans l’affaire dont elle se trouve saisie, ce qui ne serait pas le cas en l’occurrence. En tout état de cause, et quand bien même serait retenue une interprétation plus extensive de ladite disposition, cette dernière demeurerait
dépourvue de pertinence en l’espèce, car, d’une part, lorsqu’il désigne l’organe compétent en tant que juridiction disciplinaire, le président de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême) ne statuerait pas sur le fond d’un litige individuel au terme d’une procédure contradictoire. D’autre part, ce président ne serait pas compétent pour adopter d’autres décisions concernant des questions relevant du droit de l’Union.

56 À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, si l’organisation de la justice dans les États membres relève, certes, de la compétence de ces derniers, il n’en demeure pas moins que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres sont tenus de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union et qu’il peut en aller de la sorte, notamment, s’agissant de règles nationales relatives à l’adoption des décisions de nomination
des juges et, le cas échéant, de règles afférentes au contrôle juridictionnel applicable dans le contexte de telles procédures de nomination ainsi que de règles gouvernant le régime disciplinaire applicable aux juges [voir, en ce sens, arrêts du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, points 56 et 61 ainsi que jurisprudence citée, et du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a., C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931,
point 36 ainsi que jurisprudence citée].

57 Par ailleurs, l’argumentation avancée par le Procureur général a, en substance, trait à la portée même des dispositions du droit de l’Union visées dans les questions posées et, partant, à l’interprétation de ces dispositions. Or, une telle interprétation relève manifestement de la compétence de la Cour au titre de l’article 267 TFUE (voir, par analogie, arrêt du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a., C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931, point 37 ainsi que jurisprudence
citée).

58 Il s’ensuit que la Cour est compétente pour se prononcer sur la présente demande de décision préjudicielle.

Sur la recevabilité

59 Indépendamment des différentes objections formulées par J. M., le Procureur général et le gouvernement polonais quant à la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, il importe de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, il appartient à la Cour elle-même d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national, en vue de vérifier sa propre compétence ou la recevabilité de la demande qui lui est soumise (voir, en ce sens, arrêts du 24 avril 2012,
Kamberaj, C‑571/10, EU:C:2012:233, point 41 et jurisprudence citée, ainsi que ordonnance du 6 septembre 2018, Di Girolamo, C‑472/17, non publiée, EU:C:2018:684, point 25).

60 À cet égard, la Cour a régulièrement souligné que la procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher et que la justification du renvoi préjudiciel tient non pas dans la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou
hypothétiques, mais dans le besoin inhérent à la solution effective d’un litige (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

61 Comme il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

62 La Cour a ainsi itérativement rappelé qu’il ressort à la fois des termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose, notamment, qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt préjudiciel (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 46 ainsi que jurisprudence
citée).

63 Or, en l’occurrence, il convient de souligner d’emblée que, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, le recours de nature civile introduit par la requérante au principal vise, certes, formellement à faire constater l’inexistence d’une relation de travail entre J. M. et le Sąd Najwyższy (Cour suprême). Toutefois, la description du litige au principal figurant dans ladite décision met en évidence que M. F. conteste non pas tant l’existence d’une telle relation contractuelle ou statutaire entre
J. M. et le Sąd Najwyższy (Cour suprême) en leurs qualités respectives d’employé et d’employeur ou celle de droits ou d’obligations qui découleraient d’une telle relation de travail entre les parties à celle-ci, que les conditions dans lesquelles J. M. a été nommé juge au sein de la chambre disciplinaire de ladite juridiction. En effet, ainsi qu’il ressort de ladite description, par l’introduction dudit recours, M. F. entend, en réalité, essentiellement contester la décision par laquelle J. M. a,
en cette qualité de juge et de président de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême), procédé, en vertu de l’article 110, paragraphe 3, de la loi relative aux juridictions de droit commun, à la désignation de la juridiction disciplinaire compétente pour connaître, en première instance, de la procédure disciplinaire ouverte contre M. F.

64 À l’appui de son recours au principal, M. F. soutient ainsi, en substance, que, eu égard aux conditions dans lesquelles est intervenue la nomination de J. M., ladite décision de désignation a été adoptée par une personne n’ayant pas la qualité de juge indépendant et impartial préalablement établi par la loi et, partant, que son droit fondamental à un procès équitable n’est pas garanti dans le cadre de la procédure disciplinaire ouverte contre elle devant ladite juridiction disciplinaire.

65 Au demeurant, il convient de faire observer que, dans le cadre du litige au principal, M. F. sollicite, notamment, que soit ordonnée, à titre conservatoire, la suspension de ladite procédure disciplinaire. Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, c’est d’ailleurs à l’occasion de l’examen portant spécifiquement sur ladite demande de mesure conservatoire que la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et d’adresser à la Cour la présente demande de décision préjudicielle.

66 S’agissant de la circonstance que l’action au principal vise à obtenir une décision à caractère déclaratoire en vue de prévenir la violation d’un droit gravement menacé, il convient, certes, de rappeler que, pour autant qu’un tel type d’action est autorisé par le droit national et qu’une juridiction de renvoi a jugé recevable l’action dont elle se trouve saisie sur le fondement de ce droit, il n’appartient pas à la Cour de remettre en cause cette appréciation, de sorte que les questions posées
par cette juridiction nationale peuvent répondre à un besoin objectif pour la solution du litige dont elle est régulièrement saisie (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 1995, Bosman, C‑415/93, EU:C:1995:463, points 64 et 65).

67 En l’occurrence, toutefois, il y a lieu de relever que, dans sa décision de renvoi, la juridiction de renvoi souligne que, lorsqu’elle se trouve saisie d’une action civile en constatation de l’inexistence d’un rapport juridique telle que celle au principal, elle ne dispose précisément pas, en vertu du droit national applicable, de la compétence qui lui permettrait de se prononcer sur la régularité de l’acte par lequel la personne concernée a été nommée juge, et que la recevabilité de ladite
action ne saurait davantage être établie sur le fondement de ce droit national.

68 Or, à cet égard, il convient de rappeler que, en principe, la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE suppose que la juridiction de renvoi soit compétente pour statuer sur le litige au principal, afin que celui-ci ne soit pas considéré comme purement hypothétique (ordonnance du 6 septembre 2018, Di Girolamo, C‑472/17, non publiée, EU:C:2018:684, point 31).

69 S’il peut en aller différemment dans certaines circonstances exceptionnelles (voir, en ce sens, arrêt A. K. e.a., point 166 ainsi que jurisprudence citée, et arrêt A.B. e.a., point 150), une telle solution ne saurait cependant être retenue dans la présente affaire.

70 En effet, en premier lieu, et ainsi qu’il a été souligné aux points 63 à 65 du présent arrêt, il ressort de la description du litige au principal contenue dans la décision de renvoi que, bien que visant formellement la constatation de l’inexistence d’une relation de travail entre J. M. et le Sąd Najwyższy (Cour suprême), à laquelle la requérante au principal est au demeurant totalement étrangère, l’action introduite par cette dernière vise en définitive à remettre en cause la validité de la
nomination de J. M. à son poste de juge du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et à voir ainsi résolue une question juridique se posant dans le cadre de la procédure disciplinaire actuellement ouverte contre elle devant une autre juridiction, à savoir une procédure juridictionnelle distincte de celle initiée au principal et dont elle demande au demeurant à la juridiction de renvoi d’ordonner la suspension à titre conservatoire.

71 Il s’ensuit que les questions adressées à la Cour dans la présente affaire ont intrinsèquement trait à un litige autre que celui au principal et dont ce dernier ne constitue en réalité que l’accessoire, en ce que, par ces questions, la juridiction de renvoi vise à apprécier si la nomination de J. M. en tant que président de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême) et la désignation par ce juge de la juridiction disciplinaire appelée à connaître de poursuites disciplinaires telles
que celles dont fait l’objet la requérante au principal, sont compatibles avec le droit de l’Union et, en définitive, si la juridiction disciplinaire ainsi désignée par J. M. pour connaître de telles poursuites à l’égard de cette requérante constitue un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, au sens de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte. Dans ces conditions, la Cour serait contrainte, aux fins d’apprécier pleinement la portée desdites questions et d’apporter
à celles-ci une réponse idoine, d’avoir égard aux éléments pertinents caractérisant cet autre litige plutôt que de s’en tenir à la configuration du litige au principal, comme l’exige pourtant l’article 267 TFUE.

72 En deuxième lieu, il apparaît que, à défaut de disposer d’un droit d’action directe contre la nomination de J. M. en tant que président de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême) ou contre l’acte de J. M. désignant la juridiction disciplinaire en charge de l’examen dudit litige, M. F. aurait pu soulever, devant ladite juridiction, une contestation tirée de l’éventuelle méconnaissance, découlant dudit acte, de son droit à ce que ce même litige soit jugé par un tribunal indépendant
et impartial établi préalablement par la loi.

73 À cet égard, il importe de relever que, postérieurement à l’introduction de la présente demande de décision préjudicielle, la Cour a jugé que l’article 110, paragraphe 3, et l’article 114, paragraphe 7, de la loi relative aux juridictions de droit commun, en ce qu’ils confient au président de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême) le pouvoir discrétionnaire de désigner le tribunal disciplinaire territorialement compétent pour connaître des procédures disciplinaires à charge des
juges des juridictions de droit commun, à savoir des juges susceptibles d’être appelés à devoir interpréter et appliquer le droit de l’Union, ne remplissent pas l’exigence découlant de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE selon laquelle de telles affaires doivent pouvoir être examinées par un tribunal « établi par la loi » [arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges), C‑791/19, EU:C:2021:596, point 176].

74 En tant qu’il pose une telle exigence, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit, par ailleurs, être considéré comme pourvu d’un effet direct (voir, par analogie, arrêt A.B. e.a., point 146), de sorte que le principe de primauté du droit de l’Union impose à une juridiction disciplinaire ainsi désignée de laisser inappliquées les dispositions nationales, mentionnées au point précédent, en vertu desquelles est intervenue ladite désignation et, partant, de se déclarer incompétente pour
connaître du litige qui lui est ainsi soumis.

75 En troisième lieu, il ressort des explications contenues dans la décision de renvoi, telles que résumées aux points 27 à 29 du présent arrêt, ainsi que du libellé même de la première question préjudicielle que les interrogations formulées en l’occurrence par la juridiction de renvoi sont notamment liées au fait que l’ordonnancement juridique national aurait été délibérément remanié par le législateur polonais pour empêcher, désormais, que le processus de nomination des juges au Sąd Najwyższy
(Cour suprême) puisse faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi se demande si, compte tenu, précisément, de l’objectif et des effets de ce remaniement législatif, elle peut s’estimer investie, par le droit de l’Union, de la compétence pour exercer un tel contrôle dans le cadre du litige au principal.

76 Or, premièrement, ainsi qu’il ressort du point 22 du présent arrêt, la résolution de la KRS du 23 août 2018 proposant la nomination de J. M. au poste de juge du Sąd Najwyższy (Cour suprême) a fait l’objet d’un recours introduit, sur le fondement de l’article 44, paragraphe 1 bis, de la loi sur la KRS, devant le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative), par un candidat non proposé à la nomination en vertu de ladite résolution.

77 Deuxièmement, s’agissant des modifications législatives, critiquées par la juridiction de renvoi et visées aux points 28 et 29 du présent arrêt, ayant successivement affecté l’article 44 de la loi sur la KRS, il importe de souligner que, depuis qu’a été introduite la présente demande de décision préjudicielle, la Cour a, notamment, jugé, dans le dispositif de l’arrêt A.B. e. a., que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des dispositions
modifiant l’état du droit national en vigueur et en vertu desquelles :

– d’une part, nonobstant l’introduction, par un candidat à un poste de juge à une juridiction telle que le Sąd Najwyższy (Cour suprême), d’un recours contre la décision d’un organe tel que la KRS de ne pas retenir sa candidature, mais de présenter celle d’autres candidats au président de la République, cette décision revêt un caractère définitif en ce qu’elle présente ces autres candidats, de telle sorte que ce recours ne fait pas obstacle à la nomination de ces derniers par le président de la
République et que l’annulation éventuelle de ladite décision en ce qu’elle n’a pas présenté le requérant à la nomination ne peut conduire à une nouvelle appréciation de la situation de ce dernier aux fins de l’attribution éventuelle du poste concerné, et

– d’autre part, un tel recours ne peut pas être fondé sur un moyen tiré d’une évaluation inappropriée du respect, par les candidats, des critères pris en compte lors de la prise de décision quant à la présentation de la proposition de nomination,

lorsqu’il apparaît, ce que la Cour a invité la juridiction de renvoi dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt à apprécier sur la base de l’ensemble des éléments pertinents, que ces dispositions sont de nature à engendrer des doutes légitimes, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité des juges ainsi nommés par le président de la République sur la base des décisions de la KRS, à l’égard d’éléments extérieurs, en particulier, d’influences directes ou indirectes des pouvoirs
législatif et exécutif, et quant à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent et, ainsi, sont susceptibles de conduire à une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ces juges qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit.

78 Dans ce même dispositif, la Cour a, par ailleurs, dit pour droit que, en présence de modifications de l’ordre juridique national qui, premièrement, privent une juridiction nationale de sa compétence pour statuer en premier et dernier ressort sur des recours introduits par des candidats à des postes de juges à une juridiction telle que le Sąd Najwyższy (Cour suprême) contre des décisions d’un organe tel que la KRS de ne pas présenter leur candidature, mais de présenter celle d’autres candidats au
président de la République en vue d’une nomination à ces postes, qui, deuxièmement, décrètent un non-lieu à statuer de plein droit sur de tels recours lorsqu’ils sont encore pendants, en excluant que l’examen de ceux-ci puisse se poursuivre ou qu’ils puissent être réintroduits, et, qui, troisièmement, privent, ce faisant, une telle juridiction nationale de la possibilité d’obtenir une réponse aux questions préjudicielles qu’elle a adressées à la Cour :

– l’article 267 TFUE et l’article 4, paragraphe 3, TUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à de telles modifications lorsqu’il apparaît, ce que la Cour a invité la juridiction de renvoi dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt A.B. e.a. à apprécier sur la base de l’ensemble des éléments pertinents, que ces modifications ont eu pour effets spécifiques d’empêcher la Cour de se prononcer sur des questions préjudicielles telles que celles qui lui ont été posées par cette
juridiction et d’exclure toute possibilité de réitération future, par une juridiction nationale, de questions analogues à celles-ci ;

– l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à de telles modifications lorsqu’il apparaît, ce qu’il appartenait à la même juridiction de renvoi d’apprécier sur la base de l’ensemble des éléments pertinents, que ces modifications sont de nature à engendrer des doutes légitimes, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité des juges nommés, par le président de la République, sur la base desdites décisions de la KRS, à l’égard d’éléments
extérieurs, en particulier, d’influences directes ou indirectes des pouvoirs législatif et exécutif, et quant à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent et, ainsi, sont susceptibles de conduire à une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ces juges qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit.

79 Enfin, la Cour a précisé dans ledit dispositif que, lorsque de telles violations du droit de l’Union sont avérées, le principe de primauté de ce droit doit être interprété en ce sens qu’il impose à la juridiction de renvoi dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt A.B. e.a. d’écarter les dispositions nationales concernées au profit de l’application des dispositions nationales antérieurement en vigueur tout en exerçant elle‑même le contrôle juridictionnel prévu par ces dernières dispositions.

80 Troisièmement, il y a lieu de rappeler que, aux points 129 et 156 de cet arrêt A.B. e.a., la Cour a, en particulier, souligné que de telles violations de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE peuvent survenir dans des circonstances dans lesquelles l’ensemble des éléments pertinents caractérisant un processus de nomination à des postes de juge d’une juridiction suprême nationale, dans un contexte juridico-factuel national donné, et, notamment, les conditions dans lesquelles interviennent
soudainement la suppression des voies de recours juridictionnel existant jusqu’alors en ce qui concerne un tel processus de nomination ou l’anéantissement de l’effectivité de telles voies de recours, apparaissent de nature à pouvoir engendrer, dans l’esprit des justiciables, des doutes de nature systémique en ce qui concerne l’indépendance et l’impartialité des juges nommés au terme de ce processus.

81 Toutefois, la Cour n’en a pas moins également expressément souligné, à ces points 129 et 156, que, en tant que telle, l’absence éventuelle de la possibilité d’exercer un recours juridictionnel dans le contexte d’un tel processus de nomination peut, dans certains cas, ne pas s’avérer problématique au regard des exigences découlant du droit de l’Union, en particulier dudit article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. Or, force est de constater, à cet égard, qu’une action telle que celle au
principal vise, en substance, à obtenir une forme d’invalidation erga omnes de la nomination du défendeur au principal aux fonctions de juge du Sąd Najwyższy (Cour suprême), alors même que le droit national n’autorise pas et n’a jamais autorisé l’ensemble des justiciables à contester la nomination des juges au moyen d’une action directe en annulation ou en invalidation d’une telle nomination.

82 Eu égard à tout ce qui précède et au fait que la fonction confiée à la Cour par l’article 267 TFUE consiste à fournir à toute juridiction de l’Union les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui lui sont nécessaires pour la solution de litiges réels qui lui sont soumis en tenant notamment compte, dans ce contexte, du système de l’ensemble des voies de recours juridictionnelles dont disposent les particuliers, il y a lieu de considérer que les questions adressées à la Cour dans le présent
renvoi préjudiciel excèdent le cadre de la mission juridictionnelle qui incombe à cette dernière en vertu dudit article 267 TFUE (voir, par analogie, arrêt du 11 mars 1980, Foglia, 104/79, EU:C:1980:73, point 12).

83 Dans ces conditions, le présent renvoi préjudiciel doit être déclaré irrecevable.

Sur les dépens

84 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

  La demande de décision préjudicielle présentée par le Sąd Najwyższy (Izba Pracy i Ubezpieczeń Społecznych) [Cour suprême (chambre du travail et des assurances sociales), Pologne] est irrecevable.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-508/19
Date de la décision : 22/03/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Sąd Najwyższy.

Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Nécessité de l’interprétation sollicitée pour que la juridiction de renvoi puisse rendre son jugement – Notion – Procédure disciplinaire ouverte contre un juge d’une juridiction de droit commun – Désignation de la juridiction disciplinaire compétente pour connaître de cette procédure par le président de la chambre disciplinaire du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) – Action civile en constatation de l’inexistence d’une relation de travail entre le président de cette chambre disciplinaire et la Cour suprême – Absence de compétence de la juridiction de renvoi pour contrôler la validité de la nomination d’un juge de la Cour suprême et irrecevabilité d’une telle action en vertu du droit national – Irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle.

Charte des droits fondamentaux

Droits fondamentaux

Principes, objectifs et mission des traités


Parties
Demandeurs : M.F.
Défendeurs : J.M.

Composition du Tribunal
Avocat général : Tanchev
Rapporteur ?: Prechal

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:201

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