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03/03/2022 | CJUE | N°C-172/20

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, WV contre Service européen pour l'action extérieure (SEAE)., 03/03/2022, C-172/20


ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

3 mars 2022 (*)

« Pourvoi – Fonction publique – Demande d’assistance – Statut des fonctionnaires de l’Union européenne – Article 90, paragraphes 1 et 2 – Jour de l’introduction de la demande – Décision implicite de rejet de la demande – Réclamation – Introduction – Délai – Erreur excusable »

Dans l’affaire C‑172/20 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 8 avril 2020,

WV, représentée par M^e É. Boigelot, avocat,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Service européen pour ...

ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

3 mars 2022 (*)

« Pourvoi – Fonction publique – Demande d’assistance – Statut des fonctionnaires de l’Union européenne – Article 90, paragraphes 1 et 2 – Jour de l’introduction de la demande – Décision implicite de rejet de la demande – Réclamation – Introduction – Délai – Erreur excusable »

Dans l’affaire C‑172/20 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 8 avril 2020,

WV, représentée par M^e É. Boigelot, avocat,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Service européen pour l’action extérieure (SEAE), représenté par MM. S. Marquardt et R. Spáč, en qualité d’agents, assistés de M^es M. Troncoso Ferrer, abogado, et F.-M. Hislaire, avocat,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (septième chambre),

composée de M^me I. Ziemele (rapporteure), présidente de la sixième chambre, faisant fonction de président de la septième chambre, MM. T. von Danwitz et A. Kumin, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, WV demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 29 janvier 2020, WV/SEAE (T‑388/18, non publiée, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2020:27), par laquelle celui-ci a rejeté sa demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant à l’annulation, d’une part, d’une décision implicite du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), prétendument intervenue le 4 septembre 2017, rejetant sa demande d’assistance, et, d’autre part, de la décision
du SEAE du 28 mars 2018 rejetant sa réclamation du 29 novembre 2017 contre la décision implicite de rejet de cette demande (ci-après la « décision de rejet de la réclamation »).

 Le cadre juridique

2        L’article 12 bis, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, dans sa version applicable au litige ayant donné lieu au présent pourvoi (ci-après le « statut »), prévoit que tout fonctionnaire s’abstient de toute forme de harcèlement moral et sexuel. Cet article 12 bis définit, à ses paragraphes 3 et 4, respectivement, le harcèlement moral et le harcèlement sexuel.

3        L’article 24 du statut énonce :

« L’Union [européenne] assiste le fonctionnaire, notamment dans toute poursuite contre les auteurs de menaces, outrages, injures, diffamations ou attentats contre la personne et les biens, dont il est, ou dont les membres de sa famille sont l’objet, en raison de sa qualité et de ses fonctions.

Elle répare solidairement les dommages subis de ce fait par le fonctionnaire dans la mesure où celui-ci ne se trouve pas, intentionnellement ou par négligence grave, à l’origine de ces dommages et n’a pu obtenir réparation de leur auteur. »

4        Aux termes de l’article 90 du statut :

« 1.      Toute personne visée au présent statut peut saisir l’autorité investie du pouvoir de nomination [(AIPN)] d’une demande l’invitant à prendre à son égard une décision. L’autorité notifie sa décision motivée à l’intéressé dans un délai de quatre mois à partir du jour de l’introduction de la demande. À l’expiration de ce délai, le défaut de réponse à la demande vaut décision implicite de rejet susceptible de faire l’objet d’une réclamation au sens du paragraphe suivant.

2.      Toute personne visée au présent statut peut saisir [l’AIPN] d’une réclamation dirigée contre un acte lui faisant grief, soit que ladite autorité ait pris une décision, soit qu’elle se soit abstenue de prendre une mesure imposée par le statut. La réclamation doit être introduite dans un délai de trois mois. Ce délai court :

–        du jour de la publication de l’acte s’il s’agit d’une mesure de caractère général ;

–        du jour de la notification de la décision au destinataire et en tous cas au plus tard du jour où l’intéressé en a connaissance s’il s’agit d’une mesure de caractère individuel ; toutefois, si un acte de caractère individuel est de nature à faire grief à une personne autre que le destinataire, ce délai court à l’égard de ladite personne du jour où elle en a connaissance et en tous cas au plus tard du jour de la publication ;

–        à compter de la date d’expiration du délai de réponse lorsque la réclamation porte sur une décision implicite de rejet au sens du paragraphe 1.

L’autorité notifie sa décision motivée à l’intéressé dans un délai de quatre mois à partir du jour de l’introduction de la réclamation. À l’expiration de ce délai, le défaut de réponse à la réclamation vaut décision implicite de rejet susceptible de faire l’objet d’un recours au sens de l’article 91. »

5        L’article 91 du statut prévoit :

« 1.      La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer sur tout litige entre l’Union et l’une des personnes visées au présent statut et portant sur la légalité d’un acte faisant grief à cette personne au sens de l’article 90 paragraphe 2. Dans les litiges de caractère pécuniaire, la Cour de justice a une compétence de pleine juridiction.

2.      Un recours à la Cour de justice de l’Union européenne n’est recevable que :

–        si [l’AIPN] a été préalablement saisie d’une réclamation au sens de l’article 90 paragraphe 2 et dans le délai y prévu, et

–        si cette réclamation a fait l’objet d’une décision explicite ou implicite de rejet.

3.      Le recours visé au paragraphe 2 doit être formé dans un délai de trois mois. Ce délai court :

–        du jour de la notification de la décision prise en réponse à la réclamation ;

–        à compter de la date d’expiration du délai de réponse, lorsque le recours porte sur une décision implicite de rejet d’une réclamation présentée en application de l’article 90 paragraphe 2 ; néanmoins, lorsqu’une décision explicite de rejet d’une réclamation intervient après la décision implicite de rejet mais dans le délai de recours, elle fait à nouveau courir le délai de recours.

[...] »

 Les antécédents du litige

6        Aux fins du présent pourvoi, les antécédents du litige, tels qu’exposés aux points 1 à 42 de l’ordonnance attaquée, peuvent être résumés de la manière suivante.

7        La requérante, WV, est fonctionnaire de l’Union. Elle est affectée au SEAE depuis le 1^er janvier 2011 et a exercé, depuis cette date, ses fonctions auprès de plusieurs divisions du SEAE. En particulier, du 1^er février 2015 au 30 septembre 2016, la requérante a exercé ses fonctions auprès de la division EURCA West3 du SEAE. Selon la requérante, au cours du printemps de l’année 2016, puis le 18 juillet 2016, elle a été exclue des activités de cette division et a reçu oralement l’instruction
de quitter le service sans motivation.

8        Du 1^er octobre au 15 novembre 2016, la requérante a été transférée dans l’intérêt du service vers la division Americas.2, puis, le 16 novembre 2016, vers la division PRISM du SEAE. La requérante indique avoir saisi l’administration à de multiples reprises pour connaître la motivation de son exclusion de la division EURCA West3.

9        Le 20 janvier 2017, la requérante a reçu la contribution de A, son ancien supérieur hiérarchique et chef de la division EURCA West3, au rapport d’évaluation de l’année 2016. Le même jour, la requérante a informé B du caractère irrégulier de cette contribution.

10      Le 24 janvier 2017, l’administration a procédé à la réouverture de ce rapport d’évaluation et A a introduit sa nouvelle contribution audit rapport.

11      Par courriel du 2 février 2017, la requérante a fait parvenir à B, en vue de leur réunion du 8 février 2017, ses observations quant à la nouvelle contribution de A.

12      Dans la partie « Commentaire » de son rapport d’évaluation, la requérante a notamment indiqué que, « [a]vec l’apport de cette contribution, il convient de considérer que l’AIPN dispose à ce stade de tous les éléments nécessaires à l’établissement et qualification, sans ambiguïté, des faits et actes survenus en juillet 2016, à la lumière des dispositions de l’article 12 bis du statut, ainsi qu’à la réparation du dommage subi de ce fait au titre de l’article 24 du statut ».

13      Le 8 février 2017, la requérante a transmis à B, par courriel et en main propre, sa prétendue demande d’assistance contenue dans le courriel du 2 février 2017 (ci-après la « demande du 2 février 2017 »).

14      Le 10 février 2017, la requérante s’est rendue à l’Office d’investigation et de discipline de la Commission européenne (IDOC) et a transmis une copie de sa demande du 2 février 2017.

15      Le 11 mars 2017, la requérante a transmis cette demande au secrétariat général du SEAE, lequel l’a transmise au département des ressources humaines.

16      Le 19 avril 2017, B a communiqué à la requérante une note datée du 12 avril 2017, l’informant des raisons ayant motivé son transfert dans l’intérêt du service du 30 septembre 2016 et son exclusion de la division EURCA West3 au mois de juillet 2016.

17      Par lettre du 30 mai 2017, adressée à B, la requérante a indiqué, notamment, que sa demande du 2 février 2017, explicitement formulée dans le cadre de son rapport d’évaluation de l’année 2016, n’avait donné lieu à aucun suivi.

18      Par lettre du 8 juin 2017, B a notamment indiqué, en ce qui concerne cette demande, que, « faute [...] d’avoir utilisé le canal approprié pour formuler une telle demande, [lui-même] ainsi que l’AIPN [n’]en ont pris connaissance que lorsque la [requérante] l’a mentionnée dans sa réponse du 4 mai à [sa] note du 19 avril ».

19      Par courriel du 29 juin 2017, la requérante a introduit une plainte auprès du Médiateur européen afin notamment d’obtenir l’accès aux documents demandés au SEAE et de « contester la décision implicite de rejet de [sa] demande d’assistance du 2 février 2017 introduite sur la base de l’article 24 du statut intervenue [le] 2 juin 2017 ».

20      Par lettre du 20 juillet 2017, le Médiateur a, s’agissant de la demande du 2 février 2017, écrit ce qui suit :

« [...] il semble raisonnable que [la demande d’assistance] n’a pas été considérée comme telle par l’AIPN, puisqu’elle n’a pas été introduite formellement mais a seulement été mentionnée dans [les commentaires de la requérante] sur [son] rapport d’évaluation. Le SEAE a confirmé qu’il a pris connaissance de [la demande d’assistance] le 4 mai 2017 et aura désormais 4 mois pour la traiter sur la base de l’article 90 du statut [...]

Le pouvoir du Médiateur [...] en matière de traitement des plaintes est régi par certaines règles.

L’une de ces règles limite les cas dans lesquels le Médiateur peut traiter les plaintes liées à l’emploi déposées par des fonctionnaires de l’Union. Le Médiateur ne peut être saisi d’une plainte que si le fonctionnaire ou l’agent a épuisé toutes les possibilités de réclamations internes disponibles. En particulier, l’intéressé est tenu d’avoir achevé la procédure de réclamation visée à l’article 90 du statut [...]

Puisque le délai pour répondre à votre demande d’assistance n’a pas encore expiré, le Médiateur n’est pas en mesure de traiter cette partie de votre plainte à ce stade. »

21      Le 27 octobre 2017, la requérante a introduit une nouvelle plainte auprès du Médiateur en raison de l’absence de réponse du SEAE à sa demande du 2 février 2017 à l’expiration du délai de réponse que le Médiateur européen avait mentionné dans la lettre du 20 juillet 2017, en l’occurrence le 4 septembre 2017.

22      Par lettre du 22 novembre 2017, le Médiateur a fait savoir à la requérante que cette plainte ne pouvait pas être traitée à ce stade au motif, en substance, que la requérante n’avait pas épuisé la procédure de réclamation visée à l’article 90 du statut, en dirigeant une réclamation contre la décision implicite de rejet de ladite demande.

23      Le 29 novembre 2017, la requérante a introduit auprès de l’AIPN du SEAE, d’une part, une demande au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut, tendant à l’octroi de l’assistance en vue de la réparation des préjudices allégués du fait des fautes commises par sa hiérarchie à son égard et, d’autre part, une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, contre la décision implicite de rejet de sa demande du 2 février 2017.

24      Le 28 mars 2018, l’AIPN a notamment adopté la décision de rejet de la réclamation.

 La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

25      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 juin 2018, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation, d’une part, de la décision implicite du SEAE, prétendument intervenue le 4 septembre 2017, rejetant sa demande du 2 février 2017 et, d’autre part, de la décision de rejet de la réclamation.

26      En outre, la requérante a, en application de l’article 89, paragraphe 3, sous d), du règlement de procédure du Tribunal, demandé à ce dernier d’ordonner au SEAE de produire divers documents.

27      Le SEAE ayant soulevé une exception d’irrecevabilité, le Tribunal a estimé opportun d’examiner d’abord l’argument du SEAE selon lequel, à supposer que le commentaire de la requérante dans son rapport de notation pour l’année 2016 doive être considéré comme une demande d’assistance, la requérante n’a pas introduit de réclamation contre l’absence de réponse à cette prétendue demande dans les délais prévus à l’article 90 du statut.

28      Le Tribunal a tout d’abord jugé que, conformément à l’article 90, paragraphe 1, du statut, la date à retenir pour la computation du délai de quatre mois à l’expiration duquel le défaut de réponse à la demande du 2 février 2017 vaut décision implicite de rejet correspond au jour de l’introduction de cette demande, à savoir le 2 février 2017. Partant, compte tenu du silence observé par le SEAE, une décision implicite de rejet de ladite demande serait intervenue le 2 juin 2017, ce dont la
requérante aurait eu connaissance ainsi que cela ressortirait notamment de sa plainte déposée le 29 juin 2017 auprès du Médiateur. Le délai de trois mois pour présenter une réclamation auprès de l’AIPN contre cette décision implicite de rejet, prévu à l’article 90, paragraphe 2, du statut, aurait expiré le lundi 4 septembre 2017, sans qu’aucune réclamation n’ait été introduite.

29      Ensuite, le Tribunal a rejeté l’argument de la requérante selon lequel la date pertinente pour le calcul du délai de quatre mois fixé à l’article 90, paragraphe 1, du statut est celle de la prise de connaissance de sa demande du 2 février 2017 par l’AIPN, à savoir le 4 mai 2017, tel que cela a été confirmé par le Médiateur dans sa lettre du 20 juillet 2017, par laquelle ce dernier répondait à ladite plainte.

30      À titre surabondant, le Tribunal a ajouté que, quand bien même le SEAE aurait pris connaissance de cette demande le 4 mai 2017, cela ne pouvait pas être interprété en ce sens que le SEAE a été formellement saisi de celle-ci à cette date et que le délai de quatre mois pour y répondre est à calculer à partir de ladite date, puisque, conformément à l’article 90, paragraphe 1, du statut, ce délai court à compter du jour de l’introduction de la demande.

31      Enfin, selon le Tribunal, à supposer que la requérante puisse être regardée comme se prévalant d’une erreur excusable permettant d’accueillir son recours malgré l’introduction tardive d’une réclamation, en raison de la mention, par le Médiateur, de la date du 4 mai 2017, la requérante n’a pas démontré que les conditions requises par la jurisprudence pour constater l’existence d’une telle erreur étaient réunies.

32      Le Tribunal a, dès lors, rejeté les conclusions de la requérante tendant à l’annulation de la décision implicite de rejet prétendument intervenue le 4 septembre 2017 et de la décision de rejet de la réclamation comme étant irrecevables, au motif que la requérante n’avait pas respecté les délais prévus aux articles 90 et 91 du statut.

33      Compte tenu du rejet de ces conclusions en annulation comme étant irrecevables, le Tribunal a également rejeté la demande tendant à ce que le Tribunal adopte une mesure d’organisation de la procédure en application de l’article 89, paragraphe 3, sous d), de son règlement de procédure. À cet égard, le Tribunal a relevé, à titre surabondant, que, contrairement à l’obligation qui incombait à la requérante, celle-ci n’avait pas identifié les documents sollicités de manière précise et ne lui
avait pas fourni au moins un minimum d’éléments justifiant l’utilité de ces documents pour les besoins de l’instance.

 Les conclusions des parties

34      WV demande à la Cour :

–        d’annuler l’ordonnance attaquée ;

–        de condamner le SEAE aux entiers dépens, y compris ceux exposés devant le Tribunal, et

–        de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin qu’il statue sur le recours.

35      Le SEAE demande à la Cour :

–        de déclarer le pourvoi irrecevable, ou à tout le moins non fondé, et

–        de condamner WV à supporter les frais et dépens de l’instance.

 Sur le pourvoi

36      Au soutien de son pourvoi, la requérante invoque un moyen unique tiré de la dénaturation des faits et d’erreurs manifestes d’appréciation ayant entraîné une motivation inexacte en droit quant aux conditions d’application de l’article 90, paragraphe 1, du statut, de la méconnaissance du principe de la libre administration de la preuve et de la notion de faisceau d’indices concordants et, partant, de la méconnaissance des règles relatives à la charge de la preuve ainsi que d’une
discrimination. Ce moyen se divise en trois branches.

 Sur la première branche du moyen unique

 Argumentation des parties

37      Par la première branche de son moyen unique, la requérante fait valoir que, en jugeant que la date à retenir pour la computation du délai de quatre mois à l’expiration duquel le défaut de réponse à sa demande du 2 février 2017 vaut décision implicite de rejet était celle non pas de la prise de connaissance effective de cette demande par l’AIPN, à savoir le 4 mai 2017, mais de l’« introduction » de ladite demande, soit le 2 février 2017, le Tribunal a commis une erreur de droit et a violé les
conditions d’application de l’article 90, paragraphe 1, du statut.

38      Tout d’abord, le Tribunal s’en serait, à tort, tenu au sens littéral de la notion d’« introduction », figurant à cette disposition. Selon la requérante, ledit délai ne peut courir que si l’AIPN a connaissance de la demande l’invitant à prendre une décision.

39      Ensuite, dans la mesure où l’objet de la procédure prévue aux articles 90 et 91 du statut est de donner aux parties la possibilité de trouver une solution amiable au litige et où, sous réserve du respect d’un délai raisonnable, l’article 90, paragraphe 1, du statut ne fixe aucun délai aux fins de l’introduction d’une demande sur le fondement de cette disposition, la date d’introduction d’une telle demande ne constituerait pas le point de départ d’un délai d’ordre public, de telle sorte que
rien n’empêcherait de considérer que le délai de réponse de l’AIPN doive commencer à courir à partir du jour de la réception effective de la demande concernée ou de celui de la prise de connaissance de celle-ci.

40      Enfin, la position de la requérante serait confirmée par la jurisprudence relative à l’introduction d’une réclamation, au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut.

41      Le SEAE considère que la première branche du moyen unique est non fondée. L’interprétation de l’article 90, paragraphe 1, du statut, préconisée par la requérante, ne serait confirmée ni par les termes de cette disposition ni par la jurisprudence et serait contra legem, en ce qu’elle procéderait à une réécriture des conditions clairement requises par le statut et y ajouterait une condition supplémentaire.

 Appréciation de la Cour

42      Il importe de rappeler, à titre liminaire, que les articles 90 et 91 du statut régissent, de manière générale, la procédure administrative préalable à toute saisine de la Cour d’un recours contre une décision de l’AIPN (arrêt du 20 mars 1984, Razzouk et Beydoun/Commission, 75/82 et 117/82, EU:C:1984:116, point 13).

43      Les délais de réclamation et de recours prévus, respectivement, aux articles 90 et 91 du statut sont d’ordre public et ne constituent pas un moyen à la discrétion des parties ou du juge, dès lors qu’ils ont été institués en vue d’assurer la clarté et la sécurité des relations juridiques (voir, en ce sens, arrêts du 12 juillet 1984, Moussis/Commission, 227/83, EU:C:1984:276, point 12, et du 20 mai 2021, Dickmanns/EUIPO, C‑63/20 P, non publié, EU:C:2021:406, point 54 et jurisprudence citée).

44      En effet, la Cour a jugé qu’un fonctionnaire ou un agent temporaire ne peut se ménager une nouvelle ouverture des délais en introduisant auprès de l’AIPN, au lieu d’une réclamation contre la décision faisant grief, une demande au sens de l’article 90, paragraphe 1, du statut (arrêts du 7 mai 1986, Barcella e.a./Commission, 191/84, EU:C:1986:197, point 12, ainsi que du 4 février 1987, Pressler-Hoeft/Cour des comptes, 302/85, EU:C:1987:58, point 5).

45      Conformément à la jurisprudence constante, l’application stricte de la réglementation de l’Union concernant les délais de procédure répond à l’exigence de sécurité juridique et à la nécessité d’éviter toute discrimination ou tout traitement arbitraire dans l’administration de la justice (arrêt du 20 mai 2021, Dickmanns/EUIPO, C‑63/20 P, non publié, EU:C:2021:406, point 53).

46      En vertu de l’article 90, paragraphe 1, du statut, le jour de l’introduction d’une demande constitue le point de départ du délai de quatre mois dans lequel l’AIPN doit notifier sa décision motivée à l’intéressé et à l’expiration duquel le défaut de réponse à la demande de ce dernier vaut décision implicite de rejet susceptible de faire l’objet d’une réclamation, au sens de cet article 90, paragraphe 2.

47      Conformément à cette dernière disposition, lorsqu’une réclamation porte sur une décision implicite de rejet, au sens dudit article 90, paragraphe 1, le délai de trois mois dans lequel cette réclamation doit être introduite court à compter de la date d’expiration du délai visé au point précédent du présent arrêt.

48      Il s’ensuit que le « jour de l’introduction de la demande », visé à l’article 90, paragraphe 1, du statut, constitue tant le point de départ du délai dont dispose l’AIPN pour répondre à la demande en cause que celui du délai à l’expiration duquel commence à courir le délai dans lequel une réclamation contre une décision implicite de rejet de cette demande doit être introduite.

49      Dès lors, le jour de l’introduction de la demande, visé à ladite disposition, doit, en vertu du principe de sécurité juridique, être clairement déterminé et respecté de manière rigoureuse.

50      À cet égard, il découle du sens commun des termes « jour de l’introduction de la demande » ainsi que d’une interprétation téléologique de l’article 90, paragraphes 1 et 2, du statut que, afin que l’AIPN puisse soit notifier sa décision motivée à l’intéressé soit décider de ne pas lui répondre, ce qui équivaudrait à une décision implicite de rejet, cette autorité doit, d’une part, avoir été saisie d’une demande et, d’autre part, avoir été mise en mesure d’en prendre connaissance.

51      La date à laquelle l’AIPN est mise en mesure de prendre connaissance de la demande d’un fonctionnaire peut, en principe, être objectivement constatée au moyen, notamment, d’un accusé de réception d’un courrier postal ou d’un courriel.

52      Il résulte des considérations qui précèdent que, par « jour de l’introduction de la demande », au sens de l’article 90, paragraphe 1, du statut, il faut entendre le jour où l’AIPN a été mise en mesure d’en prendre connaissance.

53      En outre, il convient de relever que la date à laquelle l’AIPN est mise en mesure de prendre connaissance d’une demande doit être distinguée de celle à laquelle elle en prend connaissance effective. En effet, la détermination du jour de l’introduction d’une demande, visé à l’article 90, paragraphe 1, du statut, n’est nullement subordonnée à la prise de connaissance effective de cette demande par l’AIPN. Par ailleurs, toute interprétation contraire irait à l’encontre de l’objectif de sécurité
juridique poursuivi par cette disposition, tel que rappelé au point 45 du présent arrêt.

54      Par conséquent, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a, aux points 84 et 91 de l’ordonnance attaquée, jugé que la date à retenir pour la computation du délai de quatre mois à l’expiration duquel le défaut de réponse à la prétendue demande d’assistance vaut décision implicite de rejet correspond au jour de l’introduction de cette demande, à savoir le 2 février 2017, et cela quand bien même l’AIPN aurait effectivement pris connaissance de cette prétendue demande d’assistance
seulement le 4 mai 2017.

55      La première branche du moyen unique doit, dès lors, être rejetée comme étant non fondée.

 Sur la deuxième branche du moyen unique

56      Par la deuxième branche de son moyen unique, présentée à titre subsidiaire, la requérante fait valoir que le Tribunal a violé la notion d’« erreur excusable » et dénaturé les faits qui lui ont été soumis.

57      Tout d’abord, dès lors que l’AIPN elle-même aurait reconnu n’avoir eu connaissance de la demande que le 4 mai 2017, il ne saurait être reproché à la requérante d’avoir considéré que cette date constituait le point de départ du délai de quatre mois dont l’AIPN disposait pour répondre à cette demande.

58      Ensuite, la requérante fait valoir que, au regard de la lettre du Médiateur du 20 juillet 2017, le fait qu’elle ait retenu la date du 4 mai 2017 aux fins du calcul de ce délai est excusable. Selon elle, le Tribunal a commis une erreur en minimisant l’intervention et la portée de l’appréciation du Médiateur, dont les avis font autorité.

59      Enfin, le Tribunal aurait dénaturé les faits en tirant des conclusions erronées des éléments de preuve portés à sa connaissance.

60      Le SEAE conteste cette argumentation. Il estime que la deuxième branche du moyen unique est non fondée.

 Appréciation de la Cour

61      En premier lieu, s’agissant du grief relatif à une dénaturation des faits par le Tribunal, il suffit de relever que la requérante n’indique pas précisément quels faits auraient été dénaturés et se limite à affirmer que le Tribunal a tiré des conséquences erronées des éléments portés à sa connaissance.

62      Or, il résulte de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt ou de l’ordonnance dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande, sous peine d’irrecevabilité du pourvoi ou
du moyen concerné (voir arrêt du 2 mars 2021, Commission/Italie e.a., C‑425/19 P, EU:C:2021:154, point 55 ainsi que jurisprudence citée).

63      Ne répond notamment pas à ces exigences et doit être déclaré irrecevable un moyen dont l’argumentation n’est pas suffisamment claire et précise pour permettre à la Cour d’exercer son contrôle de légalité, notamment parce que les éléments essentiels sur lesquels le moyen s’appuie ne ressortent pas de façon suffisamment cohérente et compréhensible du texte de ce pourvoi, qui est formulé de manière obscure et ambiguë à cet égard. La Cour a également jugé que devait être rejeté comme étant
manifestement irrecevable un pourvoi dépourvu de structure cohérente, se limitant à des affirmations générales et ne comportant pas d’indications précises relatives aux points de la décision attaquée qui seraient éventuellement entachés d’une erreur de droit (arrêt du 4 octobre 2018, Staelen/Médiateur, C‑45/18 P, non publié, EU:C:2018:814, point 15 et jurisprudence citée).

64      Le grief tiré d’une dénaturation des faits doit donc être rejeté comme étant manifestement irrecevable.

65      En deuxième lieu, s’agissant du grief relatif à une violation de la notion d’« erreur excusable », il convient de rappeler que, dans le cadre de la réglementation de l’Union relative aux délais de recours, cette notion, permettant d’y déroger, ne vise que des circonstances exceptionnelles dans lesquelles, notamment, l’institution concernée a adopté un comportement de nature, à lui seul ou dans une mesure déterminante, à provoquer une confusion admissible dans l’esprit d’un justiciable de
bonne foi et faisant preuve de toute la diligence requise d’un opérateur normalement averti. En effet, l’application stricte de ces règles répond à l’exigence de sécurité juridique et à la nécessité d’éviter toute discrimination ou tout traitement arbitraire dans l’administration de la justice (arrêt du 26 février 2015, H/Cour de justice, C‑221/14 P, non publié, EU:C:2015:126, point 48 et jurisprudence citée).

66      À cet égard, le Tribunal a d’abord indiqué, au point 92 de l’ordonnance attaquée, que, à supposer que la requérante puisse être regardée comme se prévalant d’une erreur excusable permettant d’accueillir son recours malgré l’introduction tardive d’une réclamation, en raison de la mention par le Médiateur de la date du 4 mai 2017, la requérante n’avait pas démontré que les conditions pour constater l’existence d’une telle erreur étaient réunies.

67      Ensuite, au point 95 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a relevé que la requérante n’avait nullement démontré que l’institution concernée, en l’occurrence le SEAE, avait adopté un comportement de nature, à lui seul ou dans une mesure déterminante, à provoquer une confusion admissible dans son esprit. Enfin, à ce même point 95, le Tribunal a conclu que, en tout état de cause, la requérante n’avait pas fait preuve de toute la diligence requise ainsi que l’exige la jurisprudence. En effet,
selon le Tribunal, compte tenu du libellé clair et explicite de l’article 90, paragraphes 1 et 2, du statut, la requérante, au regard de sa formation de juriste, de son ancienneté et de son grade AD 11, ne pouvait pas raisonnablement ignorer, d’une part, que le délai de quatre mois visé à cet article 90, paragraphe 1, commençait à courir à partir du jour de l’introduction de la demande, à savoir le 2 février 2017, et que, restée sans réponse explicite de l’AIPN, sa demande du 2 février 2017 avait
donné lieu à un rejet implicite le 2 juin 2017 et, d’autre part, qu’elle était tenue d’introduire une réclamation auprès de l’autorité qui avait pris la décision litigieuse ou s’était abstenue de prendre une mesure imposée par le statut, en l’occurrence l’AIPN, et non auprès du Médiateur.

68      À cet égard, il importe de relever que la requérante se limite à faire valoir que, compte tenu de la confusion que pouvaient provoquer dans son esprit les communications du SEAE et du Médiateur, le Tribunal aurait dû conclure à l’existence d’une erreur excusable, sans démontrer que le Tribunal a commis une erreur de droit en constatant qu’elle n’avait pas, ainsi que l’exige la jurisprudence, fait preuve de toute la diligence requise.

69      Or, l’appréciation effectuée par le Tribunal, selon laquelle la requérante n’avait pas, pour les motifs énoncés au point 67 du présent arrêt, fait preuve de toute la diligence requise, suffisait pour que l’existence d’une erreur excusable ne soit pas retenue.

70      Dès lors, le grief de la requérante relatif à une violation de la notion d’erreur excusable par le Tribunal, en raison de la confusion prétendument provoquée dans son esprit par les communications du SEAE et du Médiateur, est inopérant.

71      La deuxième branche du moyen unique doit, par conséquent, être rejetée comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, inopérante.

 Sur la troisième branche du moyen unique

 Argumentation des parties

72      Par la troisième branche de son moyen unique, la requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en rejetant sa demande tendant à ce que le Tribunal adopte une mesure d’organisation de la procédure en application de l’article 89, paragraphe 3, sous d), de son règlement de procédure. D’une part, l’appréciation du Tribunal selon laquelle, compte tenu du rejet des conclusions en annulation comme étant irrecevables, la mesure d’organisation de procédure sollicitée devait être
rejetée manquerait en droit, dès lors que le recours n’était pas irrecevable. D’autre part, contrairement à la position retenue par le Tribunal, la requérante aurait identifié les documents sollicités de manière aussi précise que possible et ceux-ci seraient non seulement utiles, mais ils apparaîtraient comme étant essentiels à la compréhension du litige.

73      Le SEAE relève que le recours devant le Tribunal ayant été rejeté comme étant irrecevable et la requérante ne pouvant pas se prévaloir d’une erreur excusable, la mesure d’organisation de la procédure demandée serait manifestement irrecevable.

74      En tout état de cause, cette demande ne remplirait ni les conditions prévues par le règlement de procédure du Tribunal ni celles résultant de la jurisprudence, de telle sorte que la troisième branche du moyen unique devrait être rejetée comme étant dépourvue de tout fondement.

 Appréciation de la Cour

75      Ainsi qu’il résulte de l’analyse des première et deuxième branches du moyen unique, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en rejetant les conclusions en annulation de la décision implicite de rejet de la demande du 2 février 2017 comme étant irrecevables au motif que la requérante n’avait pas respecté les délais prévus aux articles 90 et 91, du statut.

76      Or, dans la mesure où la requérante ne démontre pas que la production des documents sollicités aurait pu avoir une quelconque pertinence sur l’appréciation de la recevabilité de ces conclusions en annulation, il n’y a pas lieu d’examiner si, en rejetant sa demande tendant à ce qu’il ordonne au SEAE de produire ces documents, le Tribunal a commis une erreur de droit.

77      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu d’écarter la troisième branche du moyen unique et, partant, de rejeter le pourvoi dans sa totalité.

 Sur les dépens

78      Conformément à l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

79      Le SEAE ayant conclu à la condamnation de WV aux dépens et celle-ci ayant succombé en son moyen unique, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      WV est condamnée aux dépens.

Ziemele von Danwitz Kumin

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 3 mars 2022.

Le greffier   Le président

A. Calot Escobar   K. Lenaerts

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*      Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Septième chambre
Numéro d'arrêt : C-172/20
Date de la décision : 03/03/2022
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours de fonctionnaires

Analyses

Pourvoi – Fonction publique – Demande d’assistance – Statut des fonctionnaires de l’Union européenne – Article 90, paragraphes 1 et 2 – Jour de l’introduction de la demande – Décision implicite de rejet de la demande – Réclamation – Introduction – Délai – Erreur excusable.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : WV
Défendeurs : Service européen pour l'action extérieure (SEAE).

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Ziemele

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:155

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