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10/02/2022 | CJUE | N°C-485/20

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, XXXX contre HR Rail SA., 10/02/2022, C-485/20


 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

10 février 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 2000/78/CE – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Interdiction de discrimination fondée sur le handicap – Licenciement d’un travailleur devenu définitivement incapable d’exercer les fonctions essentielles de son poste – Agent accomplissant un stage dans le cadre de son recrutement – Article 5 – Aménagements raisonnables pour les personnes handicapées – Obligation de réaffectation à un autre

poste – Admission sous réserve de ne
pas constituer une charge disproportionnée pour l’employeur »

Dans...

 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

10 février 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 2000/78/CE – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Interdiction de discrimination fondée sur le handicap – Licenciement d’un travailleur devenu définitivement incapable d’exercer les fonctions essentielles de son poste – Agent accomplissant un stage dans le cadre de son recrutement – Article 5 – Aménagements raisonnables pour les personnes handicapées – Obligation de réaffectation à un autre poste – Admission sous réserve de ne
pas constituer une charge disproportionnée pour l’employeur »

Dans l’affaire C‑485/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (Belgique), par décision du 30 juin 2020, parvenue à la Cour le 29 septembre 2020, dans la procédure

XXXX

contre

HR Rail SA,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, présidente de chambre, MM. N. Jääskinen, M. Safjan (rapporteur), N. Piçarra et M. Gavalec, juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour XXXX, par Mme M. Wilmet, avocate,

– pour HR Rail SA, par MM. C. Van Olmen, V. Vuylsteke et G. Busschaert, avocats,

– pour le gouvernement belge, par Mmes M. Van Regemorter, L. Van den Broeck et C. Pochet, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement hellénique, par Mme M. Tassopoulou, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement portugais, par Mmes M. Pimenta, A. Barros da Costa et M. João Marques, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par M. D. Martin et Mme A. Szmytkowska, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 novembre 2021,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5 de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant XXXX à HR Rail SA au sujet du licenciement du premier en raison de son handicap.

Le cadre juridique

Le droit international

3 La convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, qui a été approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2010/48/CE du Conseil, du 26 novembre 2009 (JO 2010, L 23, p. 35, ci-après la « convention de l’ONU »), énonce, au point e) de son préambule :

« Reconnaissant que la notion de handicap évolue et que le handicap résulte de l’interaction entre des personnes présentant des incapacités et les barrières comportementales et environnementales qui font obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres ».

4 Aux termes de l’article 1er de cette convention, intitulé « Objet » :

« La présente convention a pour objet de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque.

Par personnes handicapées on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres. »

5 L’article 2 de ladite convention, intitulé « Définitions », prévoit :

« Aux fins de la présente convention :

[...]

on entend par “discrimination fondée sur le handicap” toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le handicap qui a pour objet ou pour effet de compromettre ou réduire à néant la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel, civil ou autres. La discrimination fondée sur le handicap comprend toutes les formes de
discrimination, y compris le refus d’aménagement raisonnable ;

on entend par “aménagement raisonnable” les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales ;

[...] »

6 L’article 27, paragraphe 1, de la même convention, intitulé « Travail et emploi », dispose :

« Les États Parties reconnaissent aux personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, le droit au travail, notamment à la possibilité de gagner leur vie en accomplissant un travail librement choisi ou accepté sur un marché du travail et dans un milieu de travail ouverts, favorisant l’inclusion et accessibles aux personnes handicapées. Ils garantissent et favorisent l’exercice du droit au travail, y compris pour ceux qui ont acquis un handicap en cours d’emploi, en prenant des
mesures appropriées, y compris des mesures législatives, pour notamment :

[...]

h) Favoriser l’emploi de personnes handicapées dans le secteur privé en mettant en œuvre des politiques et mesures appropriées, y compris le cas échéant des programmes d’action positive, des incitations et d’autres mesures ;

i) Faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés aux lieux de travail en faveur des personnes handicapées ;

[...]

k) Promouvoir des programmes de réadaptation technique et professionnelle, de maintien dans l’emploi et de retour à l’emploi pour les personnes handicapées. »

Le droit de l’Union

7 Les considérants 16, 17, 20 et 21 de la directive 2000/78 sont ainsi libellés :

« (16) La mise en place de mesures destinées à tenir compte des besoins des personnes handicapées au travail remplit un rôle majeur dans la lutte contre la discrimination fondée sur un handicap.

(17) La présente directive n’exige pas qu’une personne qui n’est pas compétente, ni capable ni disponible pour remplir les fonctions essentielles du poste concerné ou pour suivre une formation donnée soit recrutée, promue ou reste employée ou qu’une formation lui soit dispensée, sans préjudice de l’obligation de prévoir des aménagements raisonnables pour les personnes handicapées.

[...]

(20) Il convient de prévoir des mesures appropriées, c’est-à-dire des mesures efficaces et pratiques destinées à aménager le poste de travail en fonction du handicap, par exemple en procédant à un aménagement des locaux ou à une adaptation des équipements, des rythmes de travail, de la répartition des tâches ou de l’offre de moyens de formation ou d’encadrement.

(21) Afin de déterminer si les mesures en question donnent lieu à une charge disproportionnée, il convient de tenir compte notamment des coûts financiers et autres qu’elles impliquent, de la taille et des ressources financières de l’organisation ou de l’entreprise et de la possibilité d’obtenir des fonds publics ou toute autre aide. »

8 L’article 3 de cette directive, intitulé « Champ d’application », énonce, à son paragraphe 1 :

« Dans les limites des compétences conférées à [l’Union européenne], la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne :

a) les conditions d’accès à l’emploi, aux activités non salariées ou au travail, y compris les critères de sélection et les conditions de recrutement, quelle que soit la branche d’activité et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle, y compris en matière de promotion ;

b) l’accès à tous les types et à tous les niveaux d’orientation professionnelle, de formation professionnelle, de perfectionnement et de formation de reconversion, y compris l’acquisition d’une expérience pratique ;

c) les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération ;

[...] »

9 Aux termes de l’article 5 de ladite directive, intitulé « Aménagements raisonnables pour les personnes handicapées » :

« Afin de garantir le respect du principe de l’égalité de traitement à l’égard des personnes handicapées, des aménagements raisonnables sont prévus. Cela signifie que l’employeur prend les mesures appropriées, en fonction des besoins dans une situation concrète, pour permettre à une personne handicapée d’accéder à un emploi, de l’exercer ou d’y progresser, ou pour qu’une formation lui soit dispensée, sauf si ces mesures imposent à l’employeur une charge disproportionnée. Cette charge n’est pas
disproportionnée lorsqu’elle est compensée de façon suffisante par des mesures existant dans le cadre de la politique menée dans l’État membre concerné en faveur des personnes handicapées. »

Le droit belge

10 La loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discriminations, qui transpose en droit belge la directive 2000/78, interdit les discriminations directes et indirectes fondées sur l’un des critères protégés, énoncés à son article 4, 4°, notamment l’état de santé actuel et futur, ainsi que le handicap.

11 En vertu de l’article 9 de cette loi, une distinction indirecte sur la base d’un handicap constitue une discrimination indirecte, à moins qu’il soit démontré qu’aucun aménagement raisonnable ne peut être mis en place. Conformément à l’article 14 de ladite loi, toute forme de discrimination est interdite, la discrimination s’entendant notamment comme la discrimination directe, la discrimination indirecte et le refus de mettre en place des aménagements raisonnables en faveur d’une personne
handicapée.

12 À cet égard, l’article 4, 12°, de la même loi définit la notion d’« aménagements raisonnables » comme toutes les « mesures appropriées, prises en fonction des besoins dans une situation concrète, pour permettre à une personne handicapée d’accéder, de participer et [de] progresser dans les domaines pour lesquels cette loi est d’application, sauf si ces mesures imposent à l’égard de la personne qui doit les adopter une charge disproportionnée. Cette charge n’est pas disproportionnée lorsqu’elle est
compensée de façon suffisante par des mesures existant dans le cadre de la politique publique menée concernant les personnes handicapées ».

Le litige au principal et la question préjudicielle

13 Le requérant au principal a été recruté en tant qu’agent de maintenance spécialisé sur les voies ferrées, par HR Rail, employeur exclusif du personnel des Chemins de fer belges. Il a débuté, le 21 novembre 2016, un stage au sein d’Infrabel, entité juridique agissant en tant que « gestionnaire d’infrastructure » pour les Chemins de fer belges. Au cours du mois de décembre 2017, le requérant au principal s’est vu diagnostiquer une pathologie cardiaque nécessitant le placement d’un pacemaker, cet
appareil étant sensible aux champs électromagnétiques présents notamment sur les voies ferrées. Ce dispositif médical étant incompatible avec les expositions répétées à des champs électromagnétiques que subit un agent de maintenance sur les voies ferrées, le requérant au principal n’était plus en mesure d’effectuer les tâches pour lesquelles il avait été initialement engagé.

14 Le 12 juin 2018, il a été reconnu comme étant handicapé par le Service public fédéral « Sécurité sociale » (Belgique).

15 Par une décision du 28 juin 2018, le centre régional de la médecine de l’administration (Belgique), chargé d’évaluer l’aptitude médicale des agents statutaires des Chemins de fer belges, a déclaré le requérant au principal inapte à exercer les fonctions pour lesquelles il avait été engagé (ci-après la « décision litigieuse »). Le centre régional de la médecine de l’administration a, toutefois, précisé qu’il pouvait être employé à un poste répondant aux exigences suivantes : « activité moyenne,
absence d’exposition aux champs électromagnétiques, avec interdiction de travailler en altitude ou d’être exposé à des vibrations ».

16 Le requérant au principal a alors été réaffecté à un poste de magasinier au sein de la même entreprise.

17 Le 1er juillet 2018, il a introduit un recours contre la décision litigieuse devant la commission d’appel de la médecine de l’administration (Belgique).

18 Le 19 juillet 2018, HR Rail a informé le requérant au principal qu’il bénéficierait « d’un accompagnement personnalisé afin de trouver avec lui un nouvel emploi » et qu’il serait prochainement convoqué à cet effet pour un entretien.

19 Le 3 septembre 2018, la commission d’appel de la médecine de l’administration a confirmé la décision litigieuse.

20 Le 26 septembre 2018, le conseiller en chef – chef de service a informé le requérant au principal de son licenciement à la date du 30 septembre 2018, assorti d’une interdiction de recrutement de 5 ans dans le grade dans lequel il a été recruté.

21 Le 26 octobre 2018, le directeur général de HR Rail a fait savoir au requérant au principal que, en application du statut et du règlement applicables au personnel des Chemins de fer belges, il était mis fin à son stage en raison de son impossibilité totale et définitive de poursuivre les tâches pour lesquelles il avait été engagé. En effet, contrairement aux agents nommés à titre définitif, les stagiaires qui sont reconnus handicapés et ne sont dès lors plus capables d’exercer leur fonction ne
bénéficient pas d’une réaffectation au sein de l’entreprise. Le directeur général l’a également informé que le courrier offrant un « accompagnement personnalisé » était devenu sans objet.

22 Le requérant au principal a introduit devant le Conseil d’État (Belgique) un recours en annulation contre la décision du 26 septembre 2018 l’informant de son licenciement à la date du 30 septembre 2018.

23 La juridiction de renvoi relève que les conditions de santé du requérant au principal permettent de le qualifier d’« handicapé », au sens de la législation transposant en droit belge la directive 2000/78. Toutefois, elle constate que la question de savoir si, par « aménagements raisonnables », au sens de l’article 5 de cette directive, il y a lieu d’envisager également la possibilité d’affecter à une autre fonction la personne qui, en raison de son handicap, se trouve dans l’incapacité d’exercer
la fonction qu’elle occupait avant la survenance de celui-ci n’est pas appréciée de manière uniforme dans la jurisprudence nationale.

24 Dans ces circonstances, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 5 de la directive 2000/78 doit-il être interprété en ce sens qu’un employeur a l’obligation, à l’égard d’une personne qui, en raison de son handicap, n’est plus capable de remplir les fonctions essentielles du poste auquel elle était affectée, de l’affecter à un autre poste pour lequel elle dispose des compétences, des capacités et des disponibilités requises lorsqu’une telle mesure n’impose pas à l’employeur une charge disproportionnée ? »

Sur la question préjudicielle

25 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5 de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens que la notion d’« aménagements raisonnables pour les personnes handicapées », au sens de cet article, implique qu’un travailleur, y compris celui accomplissant un stage consécutif à son recrutement, qui, en raison de son handicap, a été déclaré inapte à exercer les fonctions essentielles du poste qu’il occupe, soit affecté à un autre poste pour lequel il dispose
des compétences, des capacités et des disponibilités requises.

26 À titre liminaire, il convient de rappeler qu’il ressort tant de l’intitulé et du préambule que du contenu et de la finalité de la directive 2000/78 que celle-ci tend à établir un cadre général pour assurer à toute personne l’égalité de traitement « en matière d’emploi et de travail », en lui offrant une protection efficace contre les discriminations fondées sur l’un des motifs visés à son article 1er, au nombre desquels figure le handicap (arrêt du 15 juillet 2021, Tartu Vangla, C‑795/19,
EU:C:2021:606, point 26 et jurisprudence citée).

27 Cette directive concrétise, dans le domaine qu’elle couvre, le principe général de non-discrimination désormais consacré à l’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). En outre, l’article 26 de la Charte prévoit que l’Union reconnaît et respecte le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle ainsi que leur participation à la vie de la communauté (arrêt du
21 octobre 2021, Komisia za zashtita ot diskriminatsia, C‑824/19, EU:C:2021:862, points 32 et 33 ainsi que jurisprudence citée).

28 Il convient, à titre liminaire, de déterminer si ladite directive peut être invoquée par une personne qui, à l’instar du requérant au principal, a dû se voir poser un pacemaker, alors qu’elle accomplissait un stage consécutif à son recrutement par son employeur, ce qui a rendu impossible la continuation de l’exercice des tâches pour lesquelles elle a été initialement engagée, compte tenu de la sensibilité de cet appareil aux champs électromagnétiques qu’émettent les voies ferrées, et a, par
suite, conduit à son licenciement.

29 À cet égard, premièrement, ainsi que cela découle de son article 3, paragraphe 1, la directive 2000/78 s’applique tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics. Partant, le fait que HR Rail a la qualité de société anonyme de droit public ne fait pas obstacle à ce que le requérant au principal puisse invoquer cette directive à son égard.

30 Deuxièmement, aux termes de son article 3, paragraphe 1, sous a) et b), ladite directive s’applique aux conditions d’accès à l’emploi, aux activités non salariées ou au travail, ainsi qu’à l’accès à tous les types et à tous les niveaux d’orientation professionnelle, de formation professionnelle, de perfectionnement et de formation de reconversion. Il ressort des termes de cette disposition que celle-ci est suffisamment large pour englober la situation d’un travailleur qui effectue un stage de
formation consécutif à son recrutement par son employeur.

31 En outre, la Cour a déjà jugé que la notion de « travailleur », au sens de l’article 45 TFUE, qui est la même que celle visée par la directive 2000/78 (voir, en ce sens, arrêt du 19 juillet 2017, Abercrombie & Fitch Italia, C‑143/16, EU:C:2017:566, point 19), s’étend aux personnes accomplissant un stage préparatoire ou des périodes d’apprentissage dans une profession, lesquelles peuvent être considérées comme constituant une préparation pratique liée à l’exercice même de la profession en cause,
dès lors que lesdites périodes sont effectuées dans les conditions d’une activité salariée réelle et effective en faveur et sous la direction d’un employeur (arrêt du 9 juillet 2015, Balkaya, C‑229/14, EU:C:2015:455, point 50 et jurisprudence citée).

32 Il s’ensuit que le fait que le requérant au principal n’était pas, à la date de son licenciement, un agent définitivement recruté, n’empêche pas sa situation professionnelle de relever du champ d’application de la directive 2000/78.

33 Troisièmement, il n’est pas contesté que le requérant au principal est atteint d’un « handicap », au sens de la législation nationale qui met en œuvre la directive 2000/78.

34 Selon une jurisprudence constante, la notion de « handicap », au sens de cette directive, doit être entendue comme visant une limitation de la capacité, résultant, notamment, d’atteintes physiques, mentales ou psychiques durables, dont l’interaction avec différentes barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs (voir, en ce sens, arrêts du 11 avril 2013, HK Danmark,
C‑335/11 et C‑337/11, EU:C:2013:222, point 38, ainsi que du 11 septembre 2019, Nobel Plastiques Ibérica, C‑397/18, EU:C:2019:703, point 41).

35 En l’occurrence, le requérant au principal souffre en effet d’un problème de santé nécessitant la pose d’un pacemaker, dispositif sensible aux champs électromagnétiques émis, notamment, par les voies ferrées, ce qui ne lui permet pas de remplir les fonctions essentielles du poste auquel il était affecté.

36 Partant, une situation telle que celle en cause au principal relève du champ d’application de la directive 2000/78.

37 En vue de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi, il convient de relever qu’il ressort du libellé de l’article 5 de la directive 2000/78, lu à la lumière des considérants 20 et 21 de celle-ci, que l’employeur est tenu de prendre les mesures appropriées, à savoir des mesures efficaces et pratiques, en prenant en compte chaque situation individuelle, pour permettre à toute personne handicapée d’accéder à un emploi, de l’exercer ou d’y progresser, ou pour qu’une formation lui soit
dispensée sans imposer à l’employeur une charge disproportionnée.

38 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la directive 2000/78 doit faire l’objet, dans la mesure du possible, d’une interprétation conforme à la convention de l’ONU (arrêt du 21 octobre 2021, Komisia za zashtita ot diskriminatsia, C‑824/19, EU:C:2021:862, point 59 et jurisprudence citée). Or, aux termes de l’article 2, troisième alinéa, de la convention de l’ONU, la discrimination fondée sur le handicap comprend toutes les formes de discriminations, y compris le refus d’aménagement raisonnable.

39 Il résulte de l’article 5 de la directive 2000/78 que, afin de garantir le respect du principe de l’égalité de traitement à l’égard des personnes handicapées, des aménagements raisonnables doivent être prévus. Ainsi l’employeur doit-il prendre les mesures appropriées, en fonction des besoins dans une situation concrète, pour permettre à une personne handicapée d’accéder à un emploi, de l’exercer ou d’y progresser, ou pour qu’une formation lui soit dispensée, sauf si ces mesures imposent à
l’employeur une charge disproportionnée.

40 S’agissant spécifiquement du considérant 20 de ladite directive, lequel mentionne, parmi les mesures appropriées, « des mesures efficaces et pratiques destinées à aménager le poste de travail en fonction du handicap, par exemple en procédant à un aménagement des locaux ou à une adaptation des équipements, des rythmes de travail, de la répartition des tâches ou de l’offre de moyens de formation ou d’encadrement », la Cour a déjà jugé que celui-ci procède à une énumération non exhaustive des
mesures appropriées, ces dernières pouvant être d’ordre physique, organisationnel et/ou éducatif, dès lors que l’article 5 de la même directive, lu à la lumière de l’article 2, quatrième alinéa, de la convention de l’ONU, préconise une définition large de la notion d’« aménagement raisonnable » (voir, en ce sens, arrêt du 11 avril 2013, HK Danmark, C‑335/11 et C‑337/11, EU:C:2013:222, points 49 et 53).

41 En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général, au point 59 de ses conclusions, il convient de comprendre la référence faite, au considérant 20 de la directive 2000/78, à l’aménagement du « poste de travail », comme soulignant le caractère prioritaire d’un tel aménagement au regard d’autres mesures permettant d’adapter l’environnement de travail de la personne handicapée afin de lui permettre une pleine et effective participation à la vie professionnelle sur le fondement du principe d’égalité
avec les autres travailleurs. Ces mesures peuvent ainsi comprendre une mise en œuvre par l’employeur de mesures permettant à cette personne de conserver son emploi, telles qu’un transfert à un autre poste de travail.

42 De plus, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, la directive 2000/78 concrétise, dans le domaine qu’elle couvre, le principe général de non‑discrimination désormais consacré à l’article 21 de la Charte. En outre, l’article 26 de la Charte prévoit que l’Union reconnaît et respecte le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle ainsi que leur participation à la vie de la communauté (voir, en ce sens, arrêts du
17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 47, ainsi que du 21 octobre 2021, Komisia za zashtita ot diskriminatsia, C‑824/19, EU:C:2021:862, points 32 et 33).

43 Il y a donc lieu de considérer, à l’instar de M. l’avocat général, au point 69 de ses conclusions, que, lorsqu’un travailleur devient définitivement inapte à occuper son poste en raison de la survenance d’un handicap, sa réaffectation à un autre poste de travail est susceptible de constituer une mesure appropriée dans le cadre des « aménagements raisonnables », au sens de l’article 5 de la directive 2000/78.

44 Une telle interprétation est conforme à cette notion qui doit être entendue comme visant l’élimination des diverses barrières qui entravent la pleine et effective participation des personnes handicapées à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs (voir, en ce sens, arrêt du 11 avril 2013, HK Danmark, C‑335/11 et C‑337/11, EU:C:2013:222, point 54).

45 Cela étant, il convient d’observer que l’article 5 de la directive 2000/78 ne saurait obliger l’employeur à prendre des mesures qui lui imposeraient une « charge disproportionnée ». À cet égard, il découle du considérant 21 de cette directive que, afin de déterminer si les mesures en question donnent lieu à une charge disproportionnée, il convient de tenir compte, notamment, des coûts financiers qu’elles impliquent, de la taille et des ressources financières de l’organisation ou de l’entreprise
et de la possibilité d’obtenir des fonds publics ou toute autre aide.

46 Il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence de la juridiction nationale. Toutefois, afin de donner à celle-ci une réponse utile, la Cour peut, dans un esprit de coopération avec les juridictions nationales, lui fournir toutes les indications qu’elle juge nécessaires (arrêt du 11 avril 2013, HK
Danmark, C‑335/11 et C‑337/11, EU:C:2013:222, point 61 ainsi que jurisprudence citée).

47 Peut constituer un élément pertinent aux fins de cette appréciation la circonstance, relevée par la juridiction de renvoi, que, après avoir été déclaré inapte à exercer les fonctions pour lesquelles il avait été engagé, le requérant au principal a été réaffecté à un poste de magasinier au sein de la même entreprise.

48 Par ailleurs, il y a lieu de préciser que, en tout état de cause, la possibilité d’affecter une personne handicapée à un autre poste de travail n’existe qu’en présence d’au moins un poste vacant que le travailleur concerné est susceptible d’occuper, comme l’a relevé M. l’avocat général, au point 77 de ses conclusions.

49 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 5 de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens que la notion d’« aménagements raisonnables pour les personnes handicapées », au sens de cet article, implique qu’un travailleur, y compris celui accomplissant un stage consécutif à son recrutement, qui, en raison de son handicap, a été déclaré inapte à exercer les fonctions essentielles du poste qu’il occupe, soit affecté à un
autre poste pour lequel il dispose des compétences, des capacités et des disponibilités requises, sous réserve qu’une telle mesure n’impose pas à l’employeur une charge disproportionnée.

Sur les dépens

50 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

  L’article 5 de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprété en ce sens que la notion d’« aménagements raisonnables pour les personnes handicapées », au sens de cet article, implique qu’un travailleur, y compris celui accomplissant un stage consécutif à son recrutement, qui, en raison de son handicap, a été déclaré inapte à exercer les fonctions essentielles
du poste qu’il occupe, soit affecté à un autre poste pour lequel il dispose des compétences, des capacités et des disponibilités requises, sous réserve qu’une telle mesure n’impose pas à l’employeur une charge disproportionnée.

Jürimäe

Jääskinen

Safjan

Piçarra

Gavalec
 
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 février 2022.

Le greffier

A. Calot Escobar

La présidente de la IIIème chambre

K. Jürimäe

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-485/20
Date de la décision : 10/02/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Conseil d'État (Belgique).

Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 2000/78/CE – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Interdiction de discrimination fondée sur le handicap – Licenciement d’un travailleur devenu définitivement incapable d’exercer les fonctions essentielles de son poste – Agent accomplissant un stage dans le cadre de son recrutement – Article 5 – Aménagements raisonnables pour les personnes handicapées – Obligation de réaffectation à un autre poste – Admission sous réserve de ne pas constituer une charge disproportionnée pour l’employeur.

Politique sociale


Parties
Demandeurs : XXXX
Défendeurs : HR Rail SA.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rantos
Rapporteur ?: Safjan

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:85

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