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13/01/2022 | CJUE | N°C-326/20

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, « MONO » SIA contre Valsts ieņēmumu dienests., 13/01/2022, C-326/20


 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

13 janvier 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Droits d’accise – Directive 2008/118/CE – Exonération de l’accise harmonisée – Produits destinés à être utilisés dans le cadre de relations diplomatiques ou consulaires – Conditions d’application de l’exonération fixées par l’État membre d’accueil – Paiement par des moyens autres que les espèces »

Dans l’affaire C‑326/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, intro

duite par l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale, Lettonie), par décision du 10 juillet 2020, parvenue à la C...

 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

13 janvier 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Droits d’accise – Directive 2008/118/CE – Exonération de l’accise harmonisée – Produits destinés à être utilisés dans le cadre de relations diplomatiques ou consulaires – Conditions d’application de l’exonération fixées par l’État membre d’accueil – Paiement par des moyens autres que les espèces »

Dans l’affaire C‑326/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale, Lettonie), par décision du 10 juillet 2020, parvenue à la Cour le 22 juillet 2020, dans la procédure

« MONO » SIA

contre

Valsts ieņēmumu dienests,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. J. Passer (rapporteur) et F. Biltgen, Mme L. S. Rossi et M. N. Wahl, juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour « MONO » SIA, par M. M. Uļmans,

– pour le gouvernement letton, initialement par Mmes K. Pommere et V. Soņeca ainsi que par M. E. Bārdiņš, puis par Mme K. Pommere et M. E. Bārdiņš, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement espagnol, par Mme M. J. Ruiz Sánchez, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par Mme C. Perrin et M. A. Sauka, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 septembre 2021,

rend le présent

Arrêt

1 La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 12 de la directive 2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE (JO 2009, L 9, p. 12).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant « MONO » SIA au Valsts ieņēmumu dienests (administration fiscale lettone, ci-après le « VID ») au sujet de l’exonération des droits d’accise pour des produits livrés à des ambassades et à des services consulaires de divers États ainsi qu’à la représentation de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en Lettonie.

Le cadre juridique

Le droit international

La convention de Vienne sur les relations diplomatiques

3 L’article 34 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, du 18 avril 1961 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 500, p. 95, ci-après la « CVRD »), énonce :

« L’agent diplomatique est exempt de tous impôts et taxes, personnels ou réels, nationaux, régionaux ou communaux, à l’exception :

a) des impôts indirects d’une nature telle qu’ils sont normalement incorporés dans le prix des marchandises ou des services ;

[...] »

4 L’article 36, paragraphe 1, de la CVRD dispose :

« Suivant les dispositions législatives et réglementaires qu’il peut adopter, l’État accréditaire accorde l’entrée et l’exemption de droits de douane, taxes et autres redevances connexes autres que frais d’entreposage, de transport et frais afférents à des services analogues sur :

a) les objets destinés à l’usage officiel de la mission ;

b) les objets destinés à l’usage personnel de l’agent diplomatique ou des membres de sa famille qui font partie de son ménage, y compris les effets destinés à son installation. »

La convention de Vienne sur les relations consulaires

5 L’article 49 de la convention de Vienne sur les relations consulaires, du 24 avril 1963 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 596, p. 261, ci-après la « CVRC »), intitulé « Exemption fiscale », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les fonctionnaires consulaires et les employés consulaires ainsi que les membres de leur famille vivant à leur foyer sont exempts de tous impôts et taxes, personnels ou réels, nationaux, régionaux et communaux, à l’exception :

a) des impôts indirects d’une nature telle qu’ils sont normalement incorporés dans le prix des marchandises ou des services ;

[...] »

6 L’article 50 de la CVRC, intitulé « Exemption des droits de douane et de la visite douanière », dispose, à son paragraphe 1 :

« Suivant les dispositions législatives et réglementaires qu’il peut adopter, l’État de résidence autorise l’entrée et accorde l’exemption de tous droits de douane, taxes et autres redevances connexes autres que frais d’entrepôt, de transport et frais afférents à des services analogues, pour :

a) les objets destinés à l’usage officiel du poste consulaire ;

b) les objets destinés à l’usage personnel du fonctionnaire consulaire et des membres de sa famille vivant à son foyer, y compris les effets destinés à son établissement. Les articles de consommation ne doivent pas dépasser les quantités nécessaires pour leur utilisation directe par les intéressés. »

Le droit de l’Union

La directive 2008/118

7 Les considérants 2, 8, 10 et 13 de la directive 2008/118 sont libellés comme suit :

« (2) Les conditions relatives à la perception de l’accise sur les produits relevant de la directive 92/12/CEE [du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO 1992, L 76, p. 1)], ci-après dénommés “produits soumis à accise”, doivent rester harmonisées afin de garantir le bon fonctionnement du marché intérieur.

[...]

(8) Étant donné qu’il reste nécessaire, pour le bon fonctionnement du marché intérieur, que la notion d’exigibilité de l’accise et les conditions y afférentes soient identiques dans tous les États membres, il importe de préciser au niveau [de l’Union] à quel moment les produits soumis à accise sont mis à la consommation et qui est le redevable de la taxe.

[...]

(10) Les modalités de perception et de remboursement des droits ayant une incidence sur le bon fonctionnement du marché intérieur, il convient qu’elles répondent à des critères non discriminatoires.

[...]

(13) Il convient que les règles et dispositions régissant les livraisons exonérées de droits d’accise restent harmonisées. Pour les livraisons exonérées réalisées à destination d’organisations situées dans d’autres États membres, il y a lieu de recourir à un certificat d’exonération. »

8 L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2008/118 énonce :

« La présente directive établit le régime général des droits d’accise frappant directement ou indirectement la consommation des produits suivants, ci-après dénommés “produits soumis à accise” :

[...]

b) l’alcool et les boissons alcoolisées relevant des directives 92/83/CEE [du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accise sur l’alcool et les boissons alcooliques (JO 1992, L 316, p. 21)] et 92/84/CEE [du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taux d’accise sur l’alcool et les boissons alcoolisées (JO 1992, L 316, p. 29)] ;

c) les tabacs manufacturés relevant des directives 95/59/CE [du Conseil, du 27 novembre 1995, concernant les impôts autres que les taxes sur le chiffre d’affaires frappant la consommation des tabacs manufacturés (JO 1995, L 291, p. 40)], 92/79/CEE [du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taxes frappant les cigarettes (JO 1992, L 316, p. 8)] et 92/80/CEE [du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taxes frappant les tabacs manufacturés autres que les
cigarettes (JO 1992, L 316, p. 10)]. »

9 L’article 12 de la directive 2008/118 énonce :

« 1.   Les produits soumis à accise sont exonérés du paiement de l’accise lorsqu’ils sont destinés à être utilisés :

a) dans le cadre de relations diplomatiques ou consulaires ;

b) par les organismes internationaux reconnus comme tels par les autorités publiques de l’État membre d’accueil ainsi [que par les] membres de ces organismes, dans les limites et sous les conditions fixées par les conventions internationales instituant ces organismes ou par les accords de siège ;

c) par les forces armées de tout État partie au traité de l’Atlantique Nord [signé à Washington (États-Unis) le 4 avril 1949] autre que l’État membre à l’intérieur duquel l’accise est exigible, pour l’usage de ces forces ou du personnel civil qui les accompagne ou pour l’approvisionnement de leurs mess ou cantines ;

[...]

2.   Les exonérations susvisées sont applicables dans les conditions et limites fixées par l’État membre d’accueil. Les États membres peuvent accorder l’exonération par un remboursement de l’accise. »

10 L’article 13 de cette directive énonce :

« 1.   Sans préjudice de l’article 21, paragraphe 1, les produits soumis à accise circulant sous un régime de suspension de droits en vue d’être livrés à un destinataire visé à l’article 12, paragraphe 1, sont accompagnés d’un certificat d’exonération.

2.   La Commission [européenne] arrête, selon la procédure visée à l’article 43, paragraphe 2, la forme et le contenu du certificat d’exonération.

[...] »

Le règlement d’exécution (UE) no 282/2011

11 L’article 51 du règlement d’exécution (UE) no 282/2011 du Conseil, du 15 mars 2011, portant mesures d’exécution de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2011, L 77, p. 1), prévoit :

« 1.   [...] le certificat d’exonération de la [taxe sur la valeur ajoutée (TVA)] et/ou des droits d’accise prévu à l’annexe II du présent règlement sert à confirmer que l’opération peut bénéficier de ladite exonération en vertu de l’article 151 de la directive 2006/112/CE [du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1)], sous réserve des notes explicatives figurant à l’annexe dudit certificat.

[...]

2.   Le certificat visé au paragraphe 1 est revêtu du cachet des autorités compétentes de l’État membre d’accueil. Toutefois, si les biens ou services sont destinés à un usage officiel, les États membres peuvent, dans les conditions qu’ils fixent, dispenser le destinataire de l’obligation de faire apposer le cachet sur le certificat. Cette dispense peut être retirée en cas d’abus.

Les États membres communiquent à la Commission quel est le point de contact désigné pour identifier les services chargés d’apposer le cachet sur le certificat et dans quelle mesure ils ont accordé une exemption de l’obligation de faire apposer le cachet sur le certificat. La Commission en informe les autres États membres.

3.   Lorsqu’une exonération directe est appliquée dans l’État membre où la livraison de biens ou la prestation de services a lieu, le fournisseur ou le prestataire obtient le certificat visé au paragraphe 1 du présent article auprès du destinataire des biens ou des services et conserve ce certificat dans ses livres. Si l’exonération est accordée sous forme d’un remboursement de la TVA, conformément à l’article 151, paragraphe 2, de la directive [2006/112], le certificat est joint à la demande de
remboursement adressée à l’État membre concerné. »

Le droit letton

12 Le likums « Par akcīzes nodokli » (loi relative aux droits d’accise), du 30 octobre 2003 (Latvijas Vēstnesis, 2003, no 161, ci-après la « loi relative aux droits d’accise ») énonce, à son article 7 :

« Les droits d’accise sont dus par :

1) l’importateur ;

[...] »

13 L’article 20, paragraphe 1, de la loi relative aux droits d’accise énonce :

« Sont exonérés de droits d’accise, sous réserve des dispositions des paragraphes 2, [...] 5, [...] du présent article, les produits soumis à accise livrés :

1) à des représentations diplomatiques et consulaires ;

2) aux agents diplomatiques et consulaires des représentations diplomatiques et consulaires, au personnel administratif et technique et aux membres de la famille des personnes visées au présent point, pour autant que ces personnes ne sont pas des ressortissants lettons et qu’elles ne résident pas de manière permanente en Lettonie. [...]

3) aux organismes internationaux reconnus comme tels par la République de Lettonie ainsi qu’à leurs représentations, dans les limites et sous les conditions fixées par les conventions internationales instituant ces organismes ou par les accords de siège ;

4) aux membres du personnel des organismes internationaux ou de leurs représentations bénéficiant du statut diplomatique en République de Lettonie, pour autant que ces personnes ne sont pas des ressortissants lettons et qu’elles ne résident pas de manière permanente en Lettonie ;

[...]

6) aux forces armées de tout État partie au traité de l’Atlantique Nord autre que l’État membre à l’intérieur duquel l’accise est exigible, pour l’usage de ces forces ou du personnel civil qui les accompagne ou pour l’approvisionnement de leurs mess ou cantines ;

[...]

9) [...]

a) aux quartiers généraux alliés reconnus en République de Lettonie [...]

b) aux membres d’un quartier général allié ou aux personnes à charge de ces derniers, pour autant que ces personnes ne sont pas des ressortissants lettons et qu’elles ne résident pas de manière permanente en Lettonie. »

14 L’article 20, paragraphe 2, de la loi relative aux droits d’accise énonce :

« Les personnes visées au paragraphe 1 du présent article peuvent recevoir en République de Lettonie des produits soumis à accises provenant :

[...]

2) d’entrepôts fiscaux situés en République de Lettonie, conformément aux conditions suivantes :

a) l’expéditeur des produits soumis à accises utilise le document établi à l’annexe II du règlement [d’exécution no] 282/2011, certifiant que ces produits sont exonérés de droits d’accise,

b) l’expéditeur des produits soumis à accises établit un document justificatif conformément à la réglementation relative à la circulation des produits soumis à accise,

c) le prix d’acquisition des produits soumis à accise est acquitté par des moyens de paiement autres que les espèces,

[...] »

15 L’article 20, paragraphe 5, de la loi relative aux droits d’accise dispose :

« Les biens soumis à accises destinés à répondre aux besoins des personnes visées au paragraphe 1, importés en République de Lettonie en vue de leur mise en libre pratique, [...] et provenant d’un pays étranger autre qu’un État membre ou d’un territoire visé à l’article 2, paragraphe 31, de la présente loi, sont exonérés de droits d’accise dans les conditions suivantes :

1) l’expéditeur des produits soumis à accises utilise le document établi à l’annexe II du règlement [d’exécution] no 282/2011, certifiant que ces produits sont exonérés de droits d’accise ;

2) le prix d’acquisition des produits soumis à accises est acquitté par des moyens de paiement autres que les espèces ;

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

16 MONO, partie requérante au principal, a déclaré auprès de l’administration des douanes lettone, sous le régime de suspension des droits d’accise et en vue de leur mise en libre pratique auprès d’ambassades et de services consulaires de divers États ainsi que de la représentation de l’OTAN en Lettonie, des produits soumis à accise (alcool et cigarettes) acquis par elle auprès d’une société britannique et de sa succursale lettone (ci-après la « société britannique »).

17 En vertu d’un contrat de cession de créances conclu entre MONO et la société britannique, portant cession à cette société des créances de MONO sur ses clients, ladite société a perçu les paiements desdits clients et en a reversé le montant à MONO, après déduction de son propre prix de vente des produits à MONO.

18 À l’issue d’un contrôle, le VID a adopté, le 2 novembre 2018, une décision imposant à MONO de payer des droits d’accise pour la mise en libre pratique desdits produits, majorés d’amendes et d’intérêts de retard. Cette décision indiquait que, dès lors que les représentations diplomatiques n’avaient pas payé les produits soumis à accise à MONO par des moyens de paiement autres que les espèces, la condition d’application de l’exonération établie à l’article 20, paragraphe 5, point 2, de la loi
relative aux droits d’accise n’était pas remplie.

19 MONO a saisi l’administratīvā rajona tiesa (tribunal administratif de district, Lettonie) d’un recours en annulation dirigé contre ladite décision. Elle a fait valoir, notamment, que la condition d’application de l’exonération établie à l’article 20, paragraphe 5, point 2, de la loi relative aux droits d’accise n’était pas déterminante et n’était par ailleurs pas érigée en condition de l’exonération des droits d’accise dans les instruments internationaux liant la République de Lettonie.

20 Par jugement du 10 juin 2019, cette juridiction a rejeté ce recours en ce qui concerne l’obligation de verser les droits d’accise.

21 MONO a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi. Cette juridiction relève qu’il n’est pas contesté que MONO a déclaré en entrepôt douanier, sous le régime de suspension des droits d’accise et en vue de leur mise en libre pratique auprès d’agents diplomatiques, des produits soumis à accise, qu’elle a utilisé le certificat prévu à l’annexe II du règlement d’exécution no 282/2011 (ci-après le « certificat d’exonération »), qu’elle a délivré les justificatifs relatifs aux
livraisons de ces produits à des agents diplomatiques de divers États ainsi qu’à la représentation de l’OTAN en Lettonie, et, enfin, que le paiement qui lui était dû pour ces produits a été effectué par la société britannique en vertu d’un contrat de cession de créances.

22 Cependant, selon le VID, l’exonération de droits d’accise est inapplicable, dès lors que l’article 20, paragraphe 5, point 2, de la loi relative aux droits d’accise requiert que les produits soumis à accise soient payés par des moyens de paiement autres que les espèces par le destinataire desdits produits.

23 En outre, selon la juridiction de renvoi, il résulterait de la position adoptée par le VID qu’il est non seulement nécessaire de prouver qu’un paiement par des moyens de paiement autres que les espèces est prévu entre les parties à l’opération, mais également que ces produits ont effectivement été payés par de tels moyens et que ce paiement a été concrètement effectué par les personnes auxquelles les produits ont été livrés. Dès lors que le paiement dû à MONO pour les produits soumis à accise
livrés aux ambassades et aux services consulaires aurait été effectué, en vertu d’un contrat de cession de créances, par la société britannique, et non par les ambassades et les services consulaires auxquels ces produits ont été livrés, le VID estimerait qu’il est impossible de vérifier si les ambassades et les services consulaires en question ont procédé effectivement au paiement par des moyens de paiement autres que les espèces lors de la réception desdits produits.

24 La juridiction de renvoi observe, toutefois, que la directive 2008/118 ne subordonne pas l’application de l’exonération de droits d’accise pour les produits livrés à des services diplomatiques et consulaires à un paiement par des moyens de paiement autres que les espèces. Cette condition ne serait prévue que par le droit letton.

25 Ladite juridiction s’interroge dès lors sur l’interprétation de l’article 12, paragraphes 1 et 2, de la directive 2008/118. À cet égard, elle souligne, d’une part, que l’article 12, paragraphe 2, de cette directive prévoit, certes, que les exonérations sont applicables dans les conditions et limites fixées par l’État membre d’accueil. Cependant, d’autre part, le fait que l’article 20, paragraphe 5, point 2, de la loi relative aux droits d’accise impose le paiement par des moyens de paiement
autres que les espèces pour les produits livrés à des ambassades et services consulaires et le fait que ces produits soient exclus de l’exonération des droits d’accise en vertu de cette disposition ne seraient pas conformes à l’article 12, paragraphe 1, de ladite directive en ce que ladite disposition exonère d’accise les produits concernés lorsque ceux‑ci sont livrés à des ambassades et services consulaires. À cet égard, il conviendrait de tenir compte du fait que le VID ne met en cause ni le
respect des autres conditions prévues par la directive 2008/118 et par la loi relative aux droits d’accise ni la livraison effective des produits en cause aux ambassades et services consulaires concernés.

26 C’est dans ces conditions que l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale, Lettonie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 12, paragraphe 1, de la directive [2008/118] doit-il être interprété en ce sens que les produits soumis à accise destinés à être utilisés dans le cadre de relations diplomatiques ou consulaires sont exonérés de droits d’accise à condition qu’il soit prévu de payer ces produits par des moyens de paiement autres que les espèces, que le paiement au fournisseur ait effectivement eu lieu et qu’il ait été effectué par les destinataires réels desdits produits ?

2) L’article 12, paragraphe 2, de la directive [2008/118] doit-il être interprété en ce sens que les États membres peuvent fixer des conditions et des limites qui, dans le cadre de relations diplomatiques ou consulaires, subordonnent l’exonération de droits d’accise pour les produits soumis à accise à la condition que l’acheteur de ces produits les ait effectivement payés par des moyens de paiement autres que les espèces ? »

Sur les questions préjudicielles

27 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12 de la directive 2008/118 doit être interprété en ce sens qu’il autorise l’État membre d’accueil, lorsqu’il fixe les conditions et limites à l’application de l’exonération de droits d’accise sur des produits utilisés dans le cadre des relations diplomatiques et consulaires, à subordonner l’application de cette exonération à la condition que le destinataire effectif de ces produits
les ait directement payés auprès des fournisseurs par des moyens de paiement autres que les espèces.

28 Il ressort des considérants 2, 8 et 10 de la directive 2008/118 que celle‑ci a pour objet d’établir un régime général harmonisé des droits d’accise afin de garantir la libre circulation des produits concernés et ainsi le bon fonctionnement du marché intérieur. Si tous les produits visés par cette directive sont, en principe, soumis au paiement des droits d’accise, elle prévoit certaines exonérations à cet égard, en particulier, à son article 12, au profit, notamment, des missions diplomatiques et
consulaires.

29 S’agissant du régime d’exonération ainsi prévu à l’article 12 de la directive 2008/118, il convient, premièrement, de souligner que l’objectif principal de celui-ci est d’assurer que les destinataires des produits qui relèvent de l’une des catégories identifiées au paragraphe 1 de cette disposition puissent effectivement bénéficier d’une telle exonération. Ainsi, les produits soumis à accise se trouvent, notamment, exonérés du paiement des droits correspondants lorsqu’ils sont destinés à être
utilisés dans le cadre de relations diplomatiques ou consulaires comme il ressort de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de cette directive.

30 Dans ce contexte, il convient de préciser que si cette dernière disposition ne se réfère pas expressément à une exonération des droits d’accise pour les produits destinés à l’usage personnel des agents diplomatiques ou consulaires, l’applicabilité de ladite disposition à l’égard des produits destinés à de telles personnes pour un tel usage ne fait toutefois aucun doute. Cette interprétation est, en effet, conforme à l’article 36, paragraphe 1, sous b), de la CVRD et à l’article 50, paragraphe 1,
sous b), de la CVRC. Elle est, en outre, confirmée tant par l’article 12, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/118, qui mentionne, s’agissant des organismes internationaux, les « membres » desdits organismes, que par l’annexe II du règlement d’exécution no 282/2011, qui comporte un modèle de certificat d’exonération dont les termes prévoient expressément le cas des produits destinés à l’usage privé des membres des missions diplomatiques et consulaires ainsi que des membres du personnel des
organismes internationaux.

31 Deuxièmement, quand bien même les États membres disposent d’une marge d’appréciation dans l’application du régime d’exonération des droits d’accise, ainsi qu’il ressort de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2008/118, leur permettant de fixer des conditions et des limites à l’application de l’exonération des droits d’accise, force est de constater que cette marge d’appréciation se trouve notamment limitée du fait de l’instauration, à l’article 13 de cette directive, d’un certificat
d’exonération ayant pour fonctions d’encadrer l’exécution de l’exonération et d’assurer que l’objectif visé à l’article 12 de ladite directive soit rempli, tout en garantissant l’usage effectif des produits en cause par leurs destinataires.

32 Troisièmement, il importe de rappeler que, d’une manière générale, la prévention de la fraude et des abus constitue un objectif commun tant du droit de l’Union que des droits des États membres. S’agissant, plus particulièrement de la directive 2008/118, il a déjà été jugé que les États membres ont un intérêt légitime à prendre les mesures appropriées pour protéger leurs intérêts financiers et que la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif poursuivi par
cette directive (arrêt du 29 juin 2017, Commission/Portugal, C‑126/15, EU:C:2017:504, point 59 et jurisprudence citée).

33 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi et des observations du gouvernement letton que l’exigence prévue à l’article 20, paragraphe 5, point 2, de la loi relative aux droits d’accise, selon laquelle le paiement doit s’effectuer par des moyens autres que les espèces, c’est-à-dire un paiement bancaire, procède de la volonté d’assurer que l’exonération est effectivement octroyée aux seuls titulaires du droit à l’exonération et, ainsi, de lutter contre la fraude et les abus.

34 Si, ainsi qu’il a été rappelé au point 32 du présent arrêt, un tel but est légitime, les États membres doivent toutefois respecter, dans l’exercice des pouvoirs qui leur sont conférés par le droit de l’Union, les principes généraux de droit parmi lesquels figure, notamment, le principe de proportionnalité (arrêt du 29 juin 2017, Commission/Portugal, C‑126/15, EU:C:2017:504, point 62).

35 Le principe de proportionnalité impose aux États membres d’avoir recours à des moyens qui, tout en permettant d’atteindre efficacement l’objectif poursuivi par le droit interne, ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire et portent le moins atteinte aux autres objectifs et aux principes posés par la législation de l’Union en cause. La jurisprudence de la Cour précise à cet égard que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins
contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêt du 29 juin 2017, Commission/Portugal, C‑126/15, EU:C:2017:504, point 64 et jurisprudence citée).

36 S’agissant de l’exigence rappelée au point 33 du présent arrêt, il apparaît, certes, qu’une telle exigence, dont le respect permet de procurer des éléments d’identification de l’auteur du paiement ainsi que la preuve de la réalité de ce paiement, est, en principe, de nature à permettre un contrôle du respect de la condition d’exonération tenant à l’appartenance de l’acheteur au cercle des bénéficiaires de l’exonération des droits d’accise défini à l’article 12 de la directive 2008/118.

37 Toutefois, il convient de relever, s’agissant du contrôle du respect des conditions à remplir pour bénéficier de ladite exonération, que l’article 13 de la directive 2008/118 prévoit déjà que les produits soumis à accise circulant sous un régime de suspension de droit en vue d’être livrés à un destinataire visé à l’article 12, paragraphe 1, de cette directive doivent être accompagnés d’un certificat d’exonération des droits d’accise.

38 Ce certificat, décrit à l’annexe II du règlement d’exécution no 282/2011, contient l’identité et les coordonnées du bénéficiaire de l’exonération (organisme ou particulier exonérable), la description détaillée des biens ou des services concernés (leur nature, leur quantité ou leur nombre), leurs valeurs unitaires et totales et la devise utilisée, la déclaration expresse du bénéficiaire de l’exonération que lesdits biens ou services sont destinés à l’un des usages officiels prévus à l’article 12
de la directive 2008/118 ou à son usage privé en tant que membre d’une mission diplomatique ou consulaire, ou en tant que membre du personnel d’un organisme international, le cachet daté et signé de l’organisme en cas de demande d’exonération pour un tel usage privé, ainsi que le cachet daté et signé des autorités compétentes de l’État membre d’accueil certifiant que l’opération respecte, en tout ou à concurrence d’une quantité précisée, les conditions d’exonération des droits d’accise.

39 Il est précisé dans les notes explicatives relatives au certificat d’exonération, figurant également à l’annexe II du règlement d’exécution no 282/2011, que ce certificat, établi en double exemplaire dont l’un est conservé, en tant qu’attestation pour l’exonération, par l’assujetti ou l’entrepositaire, conformément aux dispositions nationales applicables dans son État membre, doit être renseigné de manière lisible, indélébile, sans possibilité de rajout, et sans effacement ou rature. Une
traduction des informations relatives aux biens ou aux services concernés et de l’éventuel bon de commande y afférent, dans une langue reconnue dans l’État membre de l’assujetti ou de l’entrepositaire doit, le cas échéant, être fournie. Il ressort également du point 4 de ces notes que, par l’apposition sur le certificat de son cachet mentionné au point précédent, la mission diplomatique ou consulaire ou l’organisme international concerné certifie que le particulier exonérable fait partie de son
personnel et que les biens ou services concernés sont destinés à l’usage privé de celui-ci.

40 Le certificat d’exonération ainsi que lesdites notes explicatives décrivent donc précisément les étapes à suivre et les règles à respecter par les différentes parties impliquées dans la procédure d’exonération, à savoir l’assujetti, l’État membre d’accueil, les autorités de la mission diplomatique ou consulaire ou de l’organisme international concerné et, en cas d’achat en vue d’un usage privé, le membre de ceux-ci acheteur des produits faisant l’objet de l’exonération.

41 Il ressort de cette description du certificat d’exonération que, par ses différentes mentions, la description détaillée des biens et des services concernés, la qualité de ses signataires et la certification fournie par l’organisme diplomatique, consulaire ou international concerné et les autorités compétentes de l’État membre d’accueil, ce certificat est, en lui-même, de nature à permettre le contrôle effectif du respect des conditions d’exonération définies à l’article 12 de la directive
2008/118.

42 S’agissant de la position des gouvernements letton et espagnol selon laquelle un paiement par des moyens autres que les espèces permettrait à l’administration fiscale, par les informations bancaires qu’il recèle, de vérifier le respect des conditions d’exonération ainsi que la réalité de l’opération de paiement, il convient d’observer, d’une part, s’agissant des conditions d’exonération, que les données relatives à l’acheteur bénéficiaire de l’exonération ainsi que les informations détaillées
relatives aux produits et aux services et au prix figurent dans le certificat d’exonération. Un moyen de paiement autre que les espèces, à savoir un paiement bancaire, ne fournit donc pas d’élément relatif au respect des conditions d’exonération que ne comporte pas déjà le certificat d’exonération.

43 D’autre part, s’agissant du point de savoir si l’exigence d’un paiement par des moyens autres que les espèces peut être justifiée aux fins de permettre la vérification de la réalité de la transaction commerciale pour laquelle l’exonération de droits d’accise est sollicitée, il convient d’observer que la réalité d’une vente est, en principe, suffisamment prouvée par la facture acquittée, ou par le ticket de caisse, établis à cette occasion, documents comptables dont l’État membre d’accueil peut
exiger la communication ensemble avec le certificat d’exonération.

44 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de considérer que, sous réserve de vérifications par la juridiction de renvoi, l’exigence d’un paiement par des moyens autres que les espèces, aux fins d’un contrôle de la réalité de la transaction concernée, n’apparaît pas, s’agissant des transactions visées à l’article 12 de la directive 2008/118, conforme au principe de proportionnalité.

45 S’agissant, enfin, de la référence opérée par la juridiction de renvoi, dans ses questions préjudicielles, aux conditions selon lesquelles le paiement au fournisseur doit effectivement avoir eu lieu et doit avoir été effectué par les destinataires réels des produits faisant l’objet de l’exonération, il convient de relever que, s’il n’est pas douteux que seuls sont susceptibles de relever de l’exonération des droits d’accise les produits réellement vendus à des acheteurs titulaires du droit à
l’exonération, ce qu’établissent suffisamment le certificat d’exonération et une facture acquittée ou un ticket de caisse, il ne ressort ni du dossier dont dispose la Cour ni de l’article 20, paragraphe 5, de la loi relative aux droits d’accise que la législation lettone exige que le paiement soit effectué par le client directement auprès du fournisseur.

46 Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre aux questions posées que l’article 12 de la directive 2008/118 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que l’État membre d’accueil, lorsqu’il fixe des conditions et des limites à l’application de l’exonération de droits d’accise sur des produits utilisés dans le cadre des relations diplomatiques et consulaires, subordonne l’application de cette exonération à la condition que le prix d’acquisition
desdits produits soit acquitté par des moyens de paiement autres que les espèces.

Sur les dépens

47 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

  L’article 12 de la directive 2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que l’État membre d’accueil, lorsqu’il fixe des conditions et des limites à l’application de l’exonération de droits d’accise sur des produits utilisés dans le cadre des relations diplomatiques et consulaires, subordonne l’application de cette exonération à la condition que le prix d’acquisition
desdits produits soit acquitté par des moyens de paiement autres que les espèces.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le letton.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-326/20
Date de la décision : 13/01/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Administratīvā apgabaltiesa.

Renvoi préjudiciel – Droits d’accise – Directive 2008/118/CE – Exonération de l’accise harmonisée – Produits destinés à être utilisés dans le cadre de relations diplomatiques ou consulaires – Conditions d’application de l’exonération fixées par l’État membre d’accueil – Paiement par des moyens autres que les espèces.

Union douanière

Libre circulation des marchandises

Droits d'accise

Fiscalité


Parties
Demandeurs : « MONO » SIA
Défendeurs : Valsts ieņēmumu dienests.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rantos
Rapporteur ?: Passer

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:7

Source

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