ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
13 janvier 2022 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Énergie – Directive 94/22/CE – Conditions d’octroi et d’exercice des autorisations de prospecter, d’exploiter et d’extraire des hydrocarbures – Autorisation de prospecter des hydrocarbures dans une aire géographique spécifique pour une durée déterminée – Aires contiguës – Octroi de plusieurs autorisations au même opérateur – Directive 2011/92/UE – Article 4, paragraphes 2 et 3 – Évaluation des incidences sur l’environnement »
Dans l’affaire C‑110/20,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), par décision du 23 janvier 2020, parvenue à la Cour le 27 février 2020, dans la procédure
Regione Puglia
contre
Ministero dell’Ambiente e della Tutela del Territorio e del Mare,
Ministero dei Beni e delle Attività culturali e del Turismo,
Ministero dello Sviluppo economico,
Presidenza del Consiglio dei Ministri,
Commissione tecnica di verifica dell’impatto ambientale,
en présence de :
Global Petroleum Ltd,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de la première chambre, faisant fonction de président de la deuxième chambre, Mme I. Ziemele, MM. T. von Danwitz, P. G. Xuereb et A. Kumin, juges,
avocat général : M. G. Hogan,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour la Regione Puglia, par Mes F. Amato et A. Bucci, avvocati,
– pour Global Petroleum Ltd, par Me E. Turco, avvocato,
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. G. Aiello, avvocato dello Stato,
– pour le gouvernement chypriote, par Mmes D. Kalli et N. Ioannou, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par MM. G. Gattinara, M. Noll‑Ehlers et B. De Meester, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 24 juin 2021,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 94/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 1994, sur les conditions d’octroi et d’exercice des autorisations de prospecter, d’exploiter et d’extraire des hydrocarbures (JO 1994, L 164, p. 3).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Regione Puglia (Région des Pouilles, Italie) au ministero dell’Ambiente e della Tutela del Territorio e del Mare (ministère de l’Environnement et de la Protection du Territoire et de la Mer, Italie) (ci-après le « ministère de l’Environnement »), au ministero dei Beni e delle Attività culturali e del Turismo (ministère du Patrimoine, des Activités culturelles et du Tourisme, Italie), au ministero dello Sviluppo economico
(ministère du Développement économique, Italie), à la Presidenza del Consiglio dei Ministri (présidence du Conseil des ministres, Italie) ainsi qu’à la Commissione tecnica di verifica dell’impatto ambientale (Commission technique de vérification de l’impact sur l’environnement, Italie), au sujet de demandes déposées par Global Petroleum Ltd en vue d’obtenir des permis d’effectuer des recherches dans des aires contiguës se trouvant au large de la côte des Pouilles.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 94/22
3 Les quatrième, sixième, septième et neuvième considérants de la directive 94/22 énoncent :
« considérant que les États membres possèdent la souveraineté et des droits souverains sur les ressources en hydrocarbures situées sur leur territoire ;
[...]
considérant qu’il y a lieu d’assurer l’accès non discriminatoire aux activités de prospection, d’exploration et d’extraction des hydrocarbures, et leur exercice, dans des conditions qui favorisent une plus grande concurrence dans ce secteur et, par là, de favoriser les meilleures méthodes possibles pour prospecter, exploiter et extraire les ressources des États membres et de renforcer l’intégration du marché intérieur de l’énergie ;
considérant que, à cette fin, il est nécessaire d’instaurer des règles communes assurant que les procédures d’octroi des autorisations de prospecter, d’explorer et d’extraire des hydrocarbures soient ouvertes à toutes les entités possédant les capacités nécessaires ; que l’octroi des autorisations doit être basé sur des critères objectifs et publiés ; que, par ailleurs, toutes les entités participant à la procédure doivent avoir préalablement connaissance des conditions d’octroi ;
[...]
considérant que l’étendue des aires couvertes par une autorisation et la durée de celle-ci doivent être limitées de façon à éviter de réserver à une seule entité un droit exclusif sur une aire dont la prospection, l’exploration et l’exploitation peuvent être assurées plus efficacement par plusieurs entités ».
4 L’article 1er de la directive 94/22 dispose :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
3) “autorisation” : toute disposition législative, réglementaire, administrative ou contractuelle ou tout instrument qui en découle, par lesquels les autorités compétentes d’un État membre habilitent une entité à exercer, pour son compte et à ses risques, le droit exclusif de prospecter, d’explorer ou d’extraire des hydrocarbures dans une aire géographique. Une autorisation peut être délivrée pour chacune ou plusieurs de ces activités ou simultanément pour plusieurs d’entre elles ;
[...] »
5 Aux termes de l’article 2 de cette directive :
« 1. Les États membres conservent le droit de désigner les aires de leur territoire où pourront être exercées les activités de prospection, d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures.
2. Chaque fois qu’une aire est ouverte à l’exercice des activités visées au paragraphe 1, l’État membre veille à ce qu’aucune discrimination ne soit pratiquée entre les entités quant à l’accès à ces activités et à leur exercice.
[...] »
6 L’article 3 de ladite directive prévoit :
« 1. Les États membres prennent les dispositions nécessaires pour garantir que les autorisations sont octroyées à l’issue d’une procédure dans laquelle toutes les entités intéressées peuvent présenter des demandes soit conformément au paragraphe 2, soit conformément au paragraphe 3.
2. Cette procédure est ouverte :
a) soit à l’initiative des autorités compétentes, par un avis invitant à présenter les demandes, qui est publié au Journal officiel des Communautés européennes au moins quatre-vingt-dix jours avant la date limite du dépôt des demandes ;
b) soit par un avis invitant à présenter les demandes, qui est publié au Journal officiel des Communautés européennes, à la suite de la présentation d’une demande par une entité, sans préjudice de l’article 2 paragraphe 1. Les autres entités intéressées disposent d’un délai d’au moins quatre-vingt-dix jours après la date de la publication pour présenter une demande.
Les avis spécifient le type d’autorisation, la ou les aires géographiques ayant fait ou pouvant faire, en tout ou en partie, l’objet d’une demande ainsi que la date ou la date limite envisagée pour l’octroi de l’autorisation.
[...]
4. Un État membre peut décider de ne pas appliquer les dispositions du paragraphe 1 si et dans la mesure où des considérations géologiques ou d’exploitation justifient qu’une autorisation pour une aire donnée soit accordée au détenteur d’une autorisation pour une aire contiguë. L’État membre concerné fait en sorte que les détenteurs d’une autorisation pour toute autre aire contiguë puissent dans ce cas présenter des demandes et disposent de suffisamment de temps pour le faire.
[...] »
7 L’article 4 de la même directive est libellé comme suit :
« Les États membres prennent les dispositions nécessaires pour que :
a) si la délimitation des aires géographiques ne résulte pas d’une division géométrique préalable du territoire, la superficie de chaque aire soit déterminée de telle façon qu’elle n’excède pas ce qui est justifié par le meilleur exercice possible des activités du point de vue technique et économique. Si des autorisations sont octroyées selon la procédure fixée à l’article 3 paragraphe 2, des critères objectifs sont établis à cette fin et communiqués aux entités avant le dépôt des demandes ;
b) la durée de l’autorisation n’excède pas la période nécessaire pour mener à bien les activités pour lesquelles elle est octroyée. Toutefois, les autorités compétentes peuvent prolonger la durée de l’autorisation lorsque le délai prévu est insuffisant pour mener à bien l’activité en question et que celle-ci s’est déroulée conformément aux termes de l’autorisation ;
c) les entités ne conservent pas de droits exclusifs dans l’aire géographique pour laquelle elles ont reçu une autorisation plus longtemps qu’il n’est nécessaire pour réaliser correctement les activités autorisées. »
La directive 2011/92/UE
8 L’article 4 de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 2012, L 26, p. 1, ci-après la « directive EIE »), énonce :
« 1. Sous réserve de l’article 2, paragraphe 4, les projets énumérés à l’annexe I sont soumis à une évaluation, conformément aux articles 5 à 10.
2. Sous réserve de l’article 2, paragraphe 4, pour les projets énumérés à l’annexe II, les États membres déterminent si le projet doit être soumis à une évaluation conformément aux articles 5 à 10. Les États membres procèdent à cette détermination :
a) sur la base d’un examen au cas par cas ;
ou
b) sur la base des seuils ou critères fixés par l’État membre.
[...]
3. Pour l’examen cas par cas ou la fixation des seuils ou critères en application du paragraphe 2, il est tenu compte des critères de sélection pertinents fixés à l’annexe III.
[...] »
Le droit italien
9 L’article 6 de la legge n. 9, Norme per l’attuazione del nuovo Piano energetico nazionale: aspetti istituzionali, centrali idroelettriche ed elettrodotti, idrocarburi e geotermia, autoproduzione e disposizioni fiscali (loi no 9, portant dispositions de mise en œuvre du nouveau plan énergétique national : aspects institutionnels, centrales hydroélectriques et lignes électriques, hydrocarbures et énergie géothermique, autoproduction et dispositions fiscales), du 9 janvier 1991, dans sa version
applicable au litige au principal (supplément ordinaire à la GURI no 13, du 16 janvier 1991, ci-après la « loi no 9/1991 »), prévoit :
« 1. Le permis de recherche est accordé par décret du ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat, après consultation du comité technique pour les hydrocarbures et la géothermie, [...], en accord, pour leurs domaines de compétence respectifs, avec le ministre de l’Environnement et le ministre de la Marine marchande en ce qui concerne les exigences relatives à l’activité à exercer dans le domaine maritime, les eaux territoriales et le plateau continental.
2. L’aire couverte par le permis de recherche doit être de nature à permettre la conduite rationnelle du programme de recherche et ne peut, en tout état de cause, excéder l’étendue de 750 km2 ; l’aire couverte par le permis peut comprendre des zones adjacentes terrestres et maritimes.
3. Le ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat, s’il estime que l’aire demandée ne présente pas une taille suffisante ni une configuration rationnelle au regard des objectifs de recherche optimale, a la faculté de ne pas accorder le permis de recherche tant que l’aire n’aura pu être incorporée à des aires limitrophes.
4. La durée du permis est de six ans.
5. Le titulaire du permis a droit à deux prorogations successives, de trois ans chacune, s’il a respecté les obligations découlant du permis.
6. Le titulaire du permis peut se voir accorder une prorogation supplémentaire si, à l’échéance définitive du permis, des travaux de perforation ou des tests de production sont encore en cours pour des motifs non imputables à son inertie, à sa négligence ou à sa maladresse. La prorogation est accordée pour le temps nécessaire à l’achèvement des travaux et, en tout état de cause, pour une durée non supérieure à un an. Le programme technique et financier détaillé de la nouvelle période de travaux
est approuvé avec le décret de prorogation. »
10 Le décret directorial du ministère du Développement économique, du 15 juillet 2015, instituant les procédures d’application du décret ministériel du 25 mars 2015, les modalités de déroulement de l’activité afin de prospecter, d’exploiter et d’extraire des hydrocarbures liquides et gazeux, ainsi que des contrôles relatifs au sens de l’article 19, paragraphe 6, du même décret ministériel (GURI no 204, du 3 septembre 2015), régit la procédure de publication des demandes de permis de recherche et
celle de sélection des opérateurs. L’article 9, paragraphe 4, de ce décret directorial prévoit notamment que, dans les 90 jours à compter de la communication, par le ministère, du résultat motivé de l’appel à la concurrence à chacun des auteurs de telles demandes ou, dans les cas où aucune demande concurrente n’a été présentée, dans les 90 jours à compter de la date de clôture de la période d’appel à la concurrence, l’auteur de la demande soumet à l’autorité compétente une demande d’évaluation de
l’impact sur l’environnement.
11 L’article 14, paragraphe 1, dudit décret prévoit que plusieurs permis de recherche ou titres de concession uniques dans la phase de recherche peuvent être octroyés à un seul et même opérateur, directement ou par l’intermédiaire d’entités qui exercent sur lui un contrôle, ou qu’il contrôle ou faisant partie du même groupe de sociétés que cet opérateur, à la condition que l’aire totale ne soit pas supérieure à 10000 km2.
Le litige au principal et la question préjudicielle
12 Le 27 août 2013, Global Petroleum, société australienne exerçant son activité dans le secteur des hydrocarbures offshore, a déposé auprès du ministère du Développement économique quatre demandes en vue d’obtenir autant de permis d’effectuer des recherches dans des aires contiguës, situées au large de la côte des Pouilles, d’une superficie légèrement inférieure à 750 km2 chacune.
13 Le 30 mai 2014, Global Petroleum, étant tenue d’obtenir des décisions constatant la compatibilité avec l’environnement des projets d’études sismiques qu’elle entendait réaliser selon la technique dite « air gun » dans les aires concernées, a déposé auprès du ministère de l’Environnement quatre demandes tendant à l’obtention d’une évaluation des incidences sur l’environnement de ces projets.
14 Par quatre décrets (ci-après, ensemble, les « décrets attaqués »), le ministère de l’Environnement et le ministère du Patrimoine, des Activités culturelles et du Tourisme ont déclaré les projets en cause compatibles avec l’environnement.
15 La Région des Pouilles a formé contre chacun des décrets attaqués un recours devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie) tendant à l’annulation de ceux-ci, en soutenant que ces décrets méconnaissent l’article 6, paragraphe 2, de la loi no 9/1991, qui prévoit que l’aire couverte par le permis de recherche ne peut excéder 750 km2. Elle estime que cette limite de superficie s’applique non pas à chaque permis pris
individuellement, mais à l’opérateur, de sorte que celui-ci ne saurait se voir attribuer plusieurs permis portant, ensemble, sur une aire d’une superficie totale supérieure à cette limite.
16 Cette juridiction a, par quatre jugements des 26 novembre 2018 et 14 janvier 2019, rejeté les recours formés par la Région des Pouilles. Elle a estimé que Global Petroleum pouvait obtenir plusieurs permis de recherche, y compris pour des aires contiguës, sous réserve que chaque demande de permis porte sur une zone d’une superficie inférieure à 750 km2 et que chaque permis soit délivré à l’issue d’une procédure distincte.
17 La Région des Pouilles a interjeté appel de ces jugements devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), la juridiction de renvoi, en s’appuyant, en substance, sur la même argumentation que celle qu’elle avait développée en première instance.
18 Cette juridiction s’interroge, notamment, sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, et de l’article 4 de la directive 94/22, dans la mesure où cette dernière viserait à promouvoir non pas une simple concurrence « en vue du marché », consistant à sélectionner des opérateurs au moyen de mécanismes concurrentiels, mais une concurrence « sur le marché », reposant sur la participation du plus grand nombre d’opérateurs concurrents. Selon elle, cet article 4 doit être interprété comme imposant
aux États membres de fixer une seule dimension optimale dans l’espace et dans le temps aux fins de l’octroi des autorisations visées audit article, de manière à éviter que ces autorisations ne soient octroyées à des opérateurs peu nombreux, voire à un opérateur unique.
19 Selon la juridiction de renvoi, la suppression, par la loi no 9/1991, de la limite de l’étendue maximale globale de 1000000 ha pour les permis pouvant être délivrés à un seul opérateur est contraire à l’objectif de promotion de la concurrence poursuivi par la directive 94/22. Elle considère qu’est sans incidence sur cette appréciation le fait que les décrets directoriaux des 22 mars 2011 et 15 juillet 2015 aient maintenu la limite maximale de 10000 km2 par opérateur.
20 Dans ces conditions, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« La directive [94/22] doit-elle être interprétée comme faisant obstacle à une législation nationale telle que celle décrite qui, d’un côté, définit comme optimale aux fins de l’octroi d’un permis de recherche d’hydrocarbures une aire d’une certaine étendue, accordée pour une période de temps déterminé – en l’espèce une aire de 750 km2 pour six ans –, et, de l’autre, permet le dépassement de telles limites avec l’octroi de plusieurs permis de recherche pour des zones contiguës au profit d’un même
opérateur, à la condition qu’ils soient délivrés à l’issue de procédures administratives distinctes ? »
Sur la question préjudicielle
Sur la recevabilité
21 Dans ses observations écrites, le gouvernement italien excipe de l’irrecevabilité de la question posée.
22 Il soutient, premièrement, que le litige porté devant la juridiction de renvoi est relatif à la légalité d’actes qui concernent l’évaluation des incidences des projets en cause au principal sur l’environnement, laquelle repose sur l’application des règles en matière d’environnement, tandis que la question posée concerne l’interprétation de la directive 94/22. Deuxièmement, ce gouvernement considère que la Région des Pouilles ne dispose pas d’un intérêt actuel et concret à agir, dès lors que les
demandes de permis en cause au principal concernent des aires adjacentes à la côte faisant partie des eaux territoriales et relèveraient donc de la compétence exclusive de l’État. Troisièmement, le gouvernement italien fait valoir que ces permis n’ont pas encore été accordés, leur octroi, comme celui de tout autre permis de recherche, étant suspendu jusqu’à l’approbation préalable d’un instrument de planification générale des activités minières sur le territoire national.
23 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il
pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 15 juillet 2021, The Department for Communities in Northern Ireland, C‑709/20, EU:C:2021:602, point 54 et jurisprudence citée).
24 Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 15 juillet 2021, The
Department for Communities in Northern Ireland, C‑709/20, EU:C:2021:602, point 55 et jurisprudence citée).
25 En l’occurrence, la circonstance que la demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 94/22, alors que le litige au principal concerne des recours formés contre les décrets attaqués, qui ont été adoptés sur le fondement de la réglementation nationale transposant l’article 4, paragraphe 2, de la directive EIE, n’est pas de nature à rendre cette question irrecevable.
26 En effet, la juridiction de renvoi a précisé que ces décrets sont intervenus dans le cadre de la procédure relative aux demandes de permis de recherche d’hydrocarbures, régie par les dispositions nationales transposant la directive 94/22. En particulier, en droit italien, la procédure d’évaluation environnementale réalisée sur le fondement de la réglementation nationale transposant la directive EIE fait partie intégrante de la procédure d’octroi de tels permis. Ces deux procédures ne s’excluent
donc pas mutuellement, mais sont, au contraire, complémentaires.
27 La juridiction de renvoi a également indiqué que la résolution du litige pendant devant elle dépend de la réponse que la Cour apportera à la question posée. Cette juridiction souligne que, si la Cour était amenée à répondre à la question posée en ce sens que la directive 94/22 s’oppose à une législation nationale telle que celle en cause principal, les projets faisant l’objet des demandes de permis de recherche destinés à couvrir une superficie totale supérieure à 750 km2 ne pourraient être
autorisés et les décrets attaqués, adoptés dans le cadre de la procédure d’évaluation de leurs incidences sur l’environnement, devraient être annulés.
28 S’agissant de l’argument, avancé par le gouvernement italien, selon lequel, les activités d’exploration et de production dans les eaux territoriales relevant de la compétence exclusive de l’État italien, la Région des Pouilles ne justifie pas d’un intérêt pour contester la légalité des décrets attaqués, il y a lieu de relever que celui-ci concerne la question de l’intérêt à agir devant les juridictions italiennes, laquelle est dénuée de pertinence aux fins d’apprécier la recevabilité de la
question posée (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2009, Acoset, C‑196/08, EU:C:2009:628, points 33 et 34).
29 De même, les conséquences éventuelles de la prétendue suspension de toutes les procédures en cours visant à la délivrance de nouveaux permis de recherche sur la procédure au principal doivent être appréciées par la juridiction de renvoi. En outre, il convient de constater, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 27 de ses conclusions, que, dès lors que cette procédure est pendante, la présente question préjudicielle n’est pas de nature hypothétique.
30 Dès lors, cette question est recevable.
Sur le fond
31 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 94/22 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit une limite maximale à l’étendue de l’aire couverte par un permis de recherche d’hydrocarbures, mais n’interdit pas d’octroyer à un même opérateur plusieurs permis pour des zones contiguës et couvrant, ensemble, une superficie supérieure à cette limite.
32 Cette juridiction demande, en particulier, s’il incombe aux États membres de délimiter de façon optimale, dans le temps et dans l’espace, les aires faisant l’objet des permis de recherche, cela afin d’empêcher la concentration de ces permis entre les mains d’opérateurs peu nombreux, voire d’un seul opérateur.
33 La Région des Pouilles souligne, à cet égard, que quatre demandes de permis d’exploration ont été déposées quasi simultanément par la même société, à savoir Global Petroleum, portant sur des aires contiguës. Cette région fait valoir que la possibilité, pour un même opérateur, de soumettre de telles demandes permet le fractionnement d’un permis correspondant en réalité à un seul et même projet d’exploration. Une telle situation entraînerait un détournement de la réglementation de l’Union ainsi que
des conséquences dommageables non seulement sur le plan de la concurrence, mais également sur celui de l’environnement, en raison des techniques d’exploration utilisées.
34 Il y a lieu de rappeler que la directive 94/22 vise en particulier, ainsi que l’énonce son septième considérant, à instaurer des règles communes assurant que les procédures d’octroi des autorisations de prospecter, d’explorer et d’extraire des hydrocarbures soient ouvertes à toutes les entités possédant les capacités nécessaires et que l’octroi des autorisations soit fondé sur des critères objectifs et publiés. Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 51 et 52 de ses conclusions, les
règles énoncées dans la directive 94/22 relèvent du droit des marchés publics.
35 S’agissant, en premier lieu, de l’étendue des aires géographiques couvertes par les permis de recherche d’hydrocarbures octroyés sur le fondement de la directive 94/22, il résulte du quatrième considérant de cette dernière que « les États membres possèdent la souveraineté et des droits souverains sur les ressources en hydrocarbures situées sur leur territoire ». Ainsi, aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, « [l]es États membres conservent le droit de désigner les aires de
leur territoire où pourront être exercées les activités de prospection, d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures ».
36 Dans ce cadre, l’article 4, sous a), de ladite directive exige, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 43 de ses conclusions, la détermination d’une aire qui « n’excède pas ce qui est justifié par le meilleur exercice possible des activités du point de vue technique et économique » si la délimitation des aires géographiques ne résulte pas d’une division géométrique préalable du territoire.
37 L’article 4, sous c), de la directive 94/22 prévoit, en outre, que les entités ne conservent pas de droits exclusifs dans l’aire géographique pour laquelle elles ont reçu une autorisation plus longtemps qu’il n’est nécessaire pour réaliser correctement les activités autorisées. En particulier, ainsi qu’il est énoncé au neuvième considérant de cette directive, l’étendue des aires couvertes par une autorisation et la durée de celle-ci doivent être limitées de façon à éviter de réserver à une seule
entité un droit exclusif sur une aire dont la prospection, l’exploration et l’exploitation peuvent être assurées plus efficacement par plusieurs entités.
38 Il découle de ce qui précède que la directive 94/22 ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui délimite l’aire géographique et la durée pour lesquelles une autorisation peut être octroyée, ces délimitations devant toutefois être de nature à garantir le meilleur exercice possible des activités du point de vue tant technique qu’économique.
39 En second lieu, s’agissant du nombre d’autorisations susceptibles d’être demandées ou détenues par une entité, il convient de rappeler que, conformément à l’article 1er de la directive 94/22, chaque autorisation confère un droit exclusif de prospecter, d’explorer ou d’extraire des hydrocarbures dans une aire géographique, pour une durée limitée.
40 En outre, il ressort du sixième considérant de la directive 94/22 que les États membres doivent assurer l’accès non discriminatoire aux activités de prospection, d’exploration et d’extraction d’hydrocarbures, afin de favoriser une plus grande concurrence dans ce secteur et, par là, favoriser les meilleures méthodes possibles pour exercer ces activités et renforcer l’intégration du marché intérieur de l’énergie.
41 De même, l’article 2, paragraphe 2, de cette directive impose aux États membres de veiller à ce qu’aucune discrimination ne soit pratiquée entre les entités économiques intéressées quant à l’accès à ces activités et à leur exercice (arrêt du 7 novembre 2019, Eni et Shell Italia E & P, C‑364/18 et C‑365/18, EU:C:2019:938, point 23 et jurisprudence citée).
42 Il résulte de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 94/22 qu’il appartient aux États membres de prendre les dispositions nécessaires pour garantir que les autorisations soient octroyées à l’issue de procédures transparentes, permettant à toutes les entités intéressées de présenter des demandes en vue d’avoir accès, dans des conditions identiques, auxdites activités et à leur exercice.
43 C’est par dérogation à ce principe que, s’agissant des aires contiguës, l’article 3, paragraphe 4, de cette directive dispense les États membres d’avoir recours auxdites procédures « si et dans la mesure où des considérations géologiques ou d’exploitation justifient qu’une autorisation pour une aire donnée soit accordée au détenteur d’une autorisation pour une aire contiguë ». Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 37 de ses conclusions, il en ressort que plusieurs autorisations
peuvent être octroyées, pour des aires contiguës, à un seul et même opérateur.
44 Il convient en outre de constater, s’agissant de la question de savoir si la directive 94/22 impose que l’exercice des activités de prospection, d’exploration et d’extraction d’hydrocarbures soit limité à une seule aire par opérateur, que cette directive ne prévoit aucune limitation en ce qui concerne le nombre d’autorisations et/ou le nombre d’entités auxquelles les autorisations peuvent être délivrées.
45 Il incombe néanmoins à l’État membre de veiller à ce que toute demande d’autorisation d’exploitation soit soumise aux procédures et aux exigences imposées par l’article 3 de la directive 94/22, sous réserve de la dérogation prévue au paragraphe 4 de cet article, et à ce que, dans ce cadre, les impératifs de transparence et de non-discrimination soient respectés, ces principes revêtant une importance particulière pour atteindre l’objectif, poursuivi par les règles de passation des marchés publics,
consistant à assurer un accès égal au marché à toutes les entités intéressées, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 51 de ses conclusions.
46 Partant, il convient de s’assurer que la délimitation des aires géographiques ainsi que les règles afférentes aux procédures et aux modalités d’octroi des autorisations de prospecter, d’explorer et d’extraire des hydrocarbures soient de nature à garantir la transparence ainsi que l’accès non discriminatoire aux activités de prospection, d’exploration et d’extraction des hydrocarbures, et leur exercice, dans des conditions qui favorisent une plus grande concurrence dans ce secteur et, par là, à
favoriser les meilleures méthodes possibles pour prospecter, exploiter et extraire les ressources des États membres et à renforcer l’intégration du marché intérieur de l’énergie.
47 En l’occurrence, il convient de relever que, lorsque la réglementation italienne prévoit que la zone couverte par une autorisation de recherche d’hydrocarbures doit être de nature à permettre la conduite rationnelle du programme de recherche sans pouvoir excéder une superficie de 750 km2, cette étendue doit être considérée comme étant de nature à garantir le meilleur exercice possible des activités du point de vue tant technique qu’économique, ainsi que l’exige l’article 4, sous a), de la
directive 94/22.
48 Toutefois, si la réglementation de cet État membre admet qu’un même opérateur sollicite plusieurs autorisations, sans en limiter le nombre, il convient alors de s’assurer que la superficie couverte par ces autorisations, considérées ensemble, permette également de garantir le meilleur exercice possible des activités du point de vue tant technique qu’économique, et ne soit pas susceptible, compte tenu des droits exclusifs attachés à de telles autorisations, de mettre en péril la réalisation des
objectifs poursuivis par la directive 94/22, rappelés au point 46 du présent arrêt.
49 Il importe encore d’ajouter, ainsi qu’il a été relevé au point 27 du présent arrêt, que les décrets attaqués ont été adoptés dans le cadre de la procédure d’évaluation de l’incidence sur l’environnement des projets faisant l’objet des demandes de permis de recherche. Il ressort à cet égard du dossier dont dispose la Cour que la délimitation des aires géographiques ouvertes à la prospection, à l’exploration et à l’exploitation, prévue à l’article 6, paragraphe 2, de la loi no 9/1991, concerne tant
la procédure d’octroi d’un permis de recherche que la procédure d’évaluation des impacts environnementaux des projets de recherche, et que la procédure administrative en cause au principal vise, notamment, à protéger des intérêts relatifs à la protection de l’environnement.
50 Sur ce point, la juridiction de renvoi a précisé que la technique utilisée par Global Petroleum pour rechercher des hydrocarbures, qui consiste à utiliser un générateur d’air comprimé à haute pression, dénommé « air gun », pour générer des ondes sismiques entrant en contact avec le fond marin, pouvait être dommageable pour la faune marine et que, pour cette raison, il convenait de soumettre ces projets à une évaluation des incidences sur l’environnement au titre de la directive EIE.
51 Aussi, bien que la question préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 94/22, convient-il, afin de donner une réponse complète à la juridiction de renvoi, d’examiner également si la faculté d’octroyer à un même opérateur plusieurs permis pour des zones contiguës et couvrant, ensemble, une superficie supérieure à celle considérée par le législateur national comme étant de nature à permettre la conduite rationnelle du programme de recherche est conforme aux exigences découlant de la
directive EIE.
52 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à la jurisprudence de la Cour relative à cette dernière directive, la prise en compte des effets cumulés de projets tels que ceux en cause au principal peut s’avérer nécessaire afin d’éviter un détournement de la réglementation de l’Union par un fractionnement de projets qui, pris ensemble, sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement (voir, en ce sens, arrêts du 21 mars 2013, Salzburger Flughafen, C‑244/12,
EU:C:2013:203, point 37 et jurisprudence citée, ainsi que du 14 janvier 2016, Commission/Bulgarie, C-141/14, EU:C:2016:8, point 95).
53 En l’occurrence, ainsi que l’a relevé la Commission européenne, il appartient aux autorités nationales compétentes de tenir compte de toutes les conséquences environnementales qui découlent des délimitations dans le temps et dans l’espace des aires couvertes par les permis de recherche des hydrocarbures.
54 Partant, il y a lieu de considérer que, si la réglementation italienne admet qu’un même opérateur sollicite plusieurs permis de recherche d’hydrocarbures, sans en limiter le nombre, il convient, dans le cadre de l’évaluation des incidences sur l’environnement effectuée conformément à l’article 4, paragraphes 2 et 3, de la directive EIE, d’apprécier également l’incidence cumulée des projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement.
55 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que la directive 94/22 et l’article 4, paragraphes 2 et 3, de la directive EIE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit une limite maximale à l’étendue de l’aire couverte par un permis de recherche d’hydrocarbures, mais n’interdit pas expressément d’octroyer à un même opérateur plusieurs permis pour des zones contiguës et couvrant, ensemble, une
superficie supérieure à cette limite, à condition qu’un tel octroi soit de nature à garantir le meilleur exercice possible de l’activité de recherche concernée d’un point de vue tant technique qu’économique, ainsi que la réalisation des objectifs poursuivis par la directive 94/22. Il convient également, dans le cadre de l’évaluation des incidences sur l’environnement, d’apprécier l’effet cumulé des projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, présentés par cet
opérateur dans ses demandes de permis de recherche d’hydrocarbures.
Sur les dépens
56 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :
La directive 94/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 1994, sur les conditions d’octroi et d’exercice des autorisations de prospecter, d’exploiter et d’extraire des hydrocarbures, et l’article 4, paragraphes 2 et 3, de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation
nationale qui prévoit une limite maximale à l’étendue de l’aire couverte par un permis de recherche d’hydrocarbures, mais n’interdit pas expressément d’octroyer à un même opérateur plusieurs permis pour des zones contiguës et couvrant, ensemble, une superficie supérieure à cette limite, à condition qu’un tel octroi soit de nature à garantir le meilleur exercice possible de l’activité de recherche concernée d’un point de vue tant technique qu’économique, ainsi que la réalisation des objectifs
poursuivis par la directive 94/22. Il convient également, dans le cadre de l’évaluation des incidences sur l’environnement, d’apprécier l’effet cumulé des projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, présentés par cet opérateur dans ses demandes de permis de recherche d’hydrocarbures.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.