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21/12/2021 | CJUE | N°C-428/20

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, A.K. contre Skarb Państwa., 21/12/2021, C-428/20


 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

21 décembre 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs – Deuxième directive 84/5/CEE – Article 1er, paragraphe 2 – Directive 2005/14/CE – Directive 2009/103/CE – Article 9, paragraphe 1 – Obligation d’augmenter les montants minimaux couverts par l’assurance obligatoire – Période transitoire – Règle nouvelle s’appliquant immédiatement aux effets futurs d’une situation née sous l’empire d

e la règle ancienne – Situation acquise
antérieurement à l’entrée en vigueur d’une règle de l’Union de droit matér...

 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

21 décembre 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs – Deuxième directive 84/5/CEE – Article 1er, paragraphe 2 – Directive 2005/14/CE – Directive 2009/103/CE – Article 9, paragraphe 1 – Obligation d’augmenter les montants minimaux couverts par l’assurance obligatoire – Période transitoire – Règle nouvelle s’appliquant immédiatement aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la règle ancienne – Situation acquise
antérieurement à l’entrée en vigueur d’une règle de l’Union de droit matériel – Réglementation nationale excluant les contrats d’assurance conclus avant le 11 décembre 2009 de l’obligation d’augmenter les montants minimaux couverts par l’assurance obligatoire »

Dans l’affaire C‑428/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie, Pologne), par décision du 28 août 2020, parvenue à la Cour le 11 septembre 2020, dans la procédure

A.K.

contre

Skarb Państwa,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de la première chambre, faisant fonction de président de la deuxième chambre, Mme I. Ziemele, MM. T. von Danwitz, P. G. Xuereb et A. Kumin, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour A.K., par Me I. Kwiecień, adwokat,

– pour Skarb Państwa, par MM. J. Zasada et L. Jurek,

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller, M. Hellmann et E. Lankenau, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mmes H. Tserepa-Lacombe et B. Sasinowska ainsi que par M. S. L. Kalėda, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, de la deuxième directive 84/5/CEE du Conseil, du 30 décembre 1983, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (JO 1984, L 8, p. 17), telle que modifiée par la directive 2005/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005 (JO 2005, L 149, p. 14) (ci-après la « deuxième
directive 84/5 »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant A.K. au Skarb Państwa (Trésor public, Pologne) au sujet d’une demande d’indemnisation au titre de la réparation du préjudice prétendument causé par la transposition incorrecte de la directive 2005/14 dans l’ordre juridique polonais.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La deuxième directive 84/5

3 L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la deuxième directive 84/5 prévoyait :

« 1.   L’assurance visée à l’article 3, paragraphe 1, de la [directive 72/166/CEE du Conseil, du 24 avril 1972, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, et au contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité (JO 1972, L 103, p. 1)] couvre obligatoirement les dommages matériels et les dommages corporels.

2.   Sans préjudice de montants de garantie supérieurs éventuellement prescrits par les États membres, chaque État membre exige que les montants pour lesquels cette assurance est obligatoire s’élèvent au minimum :

a) pour les dommages corporels, à un montant minimal de couverture de 1 million EUR par victime ou de 5 millions EUR par sinistre, quel que soit le nombre de victimes ;

b) pour les dommages matériels, à 1 million EUR par sinistre, quel que soit le nombre de victimes.

Si nécessaire, les États membres peuvent établir une période transitoire d’un maximum de cinq ans à compter de la date de mise en œuvre de la directive [2005/14], au cours de laquelle les montants minimaux de couverture sont adaptés aux montants prévus dans le présent paragraphe.

Les États membres qui établissent une telle période transitoire en informent la Commission et indiquent la durée de cette période.

Dans les trente mois de la date de mise en œuvre de la directive [2005/14], les États membres augmentent les montants de garantie afin qu’ils atteignent au moins la moitié des niveaux prévus dans le présent paragraphe. »

La directive 2005/14

4 Les considérants 1 et 10 de la directive 2005/14 énonçaient :

« (1) L’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (l’assurance automobile) revêt une importance particulière pour les citoyens européens, qu’ils soient preneurs d’assurance ou victimes d’un accident. Elle présente aussi une importance majeure pour les entreprises d’assurances, puisqu’elle représente une grande partie des contrats d’assurance non-vie conclus dans la Communauté. L’assurance automobile a, par ailleurs, une incidence sur la libre
circulation des personnes et des véhicules. Le renforcement et la consolidation du marché unique de l’assurance en ce qui concerne l’assurance automobile devraient donc représenter un objectif fondamental de l’action communautaire dans le domaine des services financiers.

[...]

(10) L’obligation faite aux États membres de veiller à ce que la couverture d’assurance ne tombe pas sous certains montants minimaux constitue un élément majeur pour la protection des victimes. Les montants minimaux prévus dans la directive 84/5/CEE devraient être non seulement ajustés pour tenir compte de l’inflation, mais aussi relevés en termes réels pour renforcer la protection des victimes. Le montant minimal de couverture en cas de dommages corporels devrait être calculé de manière à
indemniser totalement et équitablement toutes les victimes ayant subi des blessures très graves, tout en tenant compte de la faible fréquence d’accidents impliquant des victimes multiples et du petit nombre d’accidents où plusieurs victimes subissent des blessures très graves au cours d’un seul et même accident. Un montant minimal de couverture de 1 million EUR par victime ou de 5 millions EUR par sinistre, indépendamment du nombre de victimes, représente un montant raisonnable et adéquat.
Afin de faciliter l’introduction de ces montants minimaux, il convient de fixer une période transitoire de cinq ans à partir de la date de mise en œuvre de la présente directive. Dans les trente mois suivant la date de mise en œuvre, les États membres devraient accroître les montants minimaux pour qu’ils atteignent au moins la moitié des niveaux prévus. »

5 L’article 6, intitulé « Mise en œuvre », de la directive 2005/14 disposait, à son paragraphe 1 :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 11 juin 2007. Ils en informent immédiatement la Commission.

[...] »

La directive 2009/103

6 La directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité (JO 2009, L 263, p. 11), a codifié les directives préexistantes en matière d’assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs (ci-après l’« assurance automobile »), y compris la deuxième directive
84/5, et a, par conséquent, abrogé celles-ci avec effet au 27 octobre 2009. Selon le tableau de correspondance figurant à l’annexe II de la directive 2009/103, les paragraphes 1 et 2 de l’article 1er de la deuxième directive 84/5 correspondent respectivement à l’article 3, quatrième alinéa, et à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2009/103.

Le droit polonais

7 L’article 5 de l’Ustawa z dnia 24 maja 2007 r. o zmianie ustawy o ubezpieczeniach obowiązkowych, Ubezpieczeniowym Funduszu Gwarancyjnym i Polskim Biurze Ubezpieczycieli Komunikacyjnych oraz ustawy o działalności ubezpieczeniowej (loi du 24 mai 2007 modifiant la loi sur l’assurance obligatoire, le Fonds de garantie des assurances et le Bureau polonais des assureurs des risques de circulation automobile ainsi que la loi réglementant l’assurance, Dz. U. no 102, position 691, ci-après la « loi du
24 mai 2007 ») dispose :

« Dans le cas des contrats d’[assurance automobile] et des contrats d’assurance de la responsabilité civile des agriculteurs, le montant minimal de garantie est égal à l’équivalent en zlotys polonais des montants suivants :

1) en ce qui concerne les contrats conclus jusqu’au 10 décembre 2009 inclus :

a) pour les dommages corporels, 1500000 euros par sinistre provoquant des dommages couverts par l’assurance, indépendamment du nombre de victimes,

b) pour les dommages aux biens, 300000 euros par sinistre provoquant des dommages couverts par l’assurance, indépendamment du nombre de victimes,

– déterminé à partir du taux moyen annoncé par la Banque nationale de Pologne en vigueur à la date du sinistre.

2) en ce qui concerne les contrats conclus entre le 11 décembre 2009 et le 10 juin 2012 :

a) pour les dommages corporels, 2500000 euros par sinistre provoquant des dommages couverts par l’assurance, indépendamment du nombre de victimes,

b) pour les dommages aux biens, 500000 euros par sinistre provoquant des dommages couverts par l’assurance, indépendamment du nombre de victimes,

– déterminé à partir du taux moyen annoncé par la Banque nationale de Pologne en vigueur à la date du sinistre. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

8 Le 12 octobre 2010, un accident de la route est survenu en Pologne, faisant seize morts, dont G.M. ainsi que le conducteur responsable de l’accident. Ce dernier avait souscrit une assurance automobile en vertu d’un contrat couvrant la période allant du 8 décembre 2009 au 7 décembre 2010.

9 À la suite du décès de G.M., sa fille, A.K., a introduit une demande d’indemnisation, le 2 mars 2011, auprès de la compagnie d’assurances du conducteur responsable de l’accident, en lui réclamant la réparation du préjudice immatériel et matériel qu’elle estimait avoir subi en raison du décès de sa mère. Dans le cadre du règlement du sinistre, A.K. a été définitivement indemnisée par ladite compagnie à hauteur de 47000 zlotys polonais (PLN) (environ 10175 euros), au titre de la réparation du
préjudice immatériel, et de 5000 PLN (environ 1000 euros), au titre de la détérioration importante de sa situation. La compagnie d’assurances a informé A.K. que le montant maximal de couverture prévu par la police d’assurance automobile qu’avait souscrit le conducteur responsable de l’accident avait été atteint.

10 A.K. a saisi le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne) d’un recours contre le Trésor public tendant au paiement d’un montant de 78000 PLN (environ 17000 euros), majoré des intérêts de retard, au titre de la réparation du préjudice causé par la transposition incomplète de la directive 2005/14 dans l’ordre juridique polonais.

11 Elle a fait valoir que, si cette directive avait été correctement transposée dans l’ordre juridique polonais, la compagnie d’assurances aurait dû augmenter le montant minimal de la garantie prévue par le contrat d’assurance automobile en cause et, partant, lui verser une indemnisation supplémentaire de 78000 PLN au titre du préjudice subi en raison du décès de G.M. Cette transposition incorrecte par la République de Pologne l’aurait ainsi privée de la possibilité d’obtenir cette somme, de sorte
qu’elle aurait subi un préjudice matériel à hauteur de celle-ci et dont le Trésor public lui serait redevable.

12 Selon A.K., la République de Pologne était tenue de transposer la directive 2005/14 de manière à ce que, à partir du 11 décembre 2009, le montant de couverture de l’ensemble des contrats d’assurance automobile atteigne, pour les dommages corporels, au moins 2500000 euros par sinistre. Or, dans le cadre de la loi du 24 mai 2007, le législateur national aurait fait varier l’étendue de la protection des victimes d’accidents de la circulation survenus entre le 11 décembre 2009 et le mois de décembre
2010 en fonction de la date à laquelle le contrat d’assurance a été conclu. En effet, au cours de cette période, des contrats conclus tant avant qu’après le 11 décembre 2009 auraient coexisté, ces derniers contrats prévoyant un montant minimal de couverture de 2500000 euros, tandis que, pour les premiers, ce montant minimal ne s’élevait qu’à 1500000 euros.

13 Le Trésor public a fait valoir que la directive 2005/14 a été correctement transposée dans l’ordre juridique polonais et que cette différence de traitement était inhérente au principe de non-rétroactivité de la loi. Il a également souligné le fait que la Commission européenne avait entamé une procédure en manquement contre la République de Pologne en ce qui concerne la transposition de la directive 2005/14, mais que, le 28 avril 2016, ladite institution avait décidé de clore cette procédure. Ce
faisant, la Commission aurait considéré que le droit de l’Union n’avait pas été violé.

14 Par jugement du 20 mars 2019, le Sąd Okręgowy (tribunal régional) a rejeté le recours de A.K. en considérant que, en prévoyant des périodes transitoires autorisées par la deuxième directive 84/5 pour augmenter progressivement les montants minimaux de garantie afin qu’ils atteignent, dans un premier temps, la moitié des montants visés à l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive, puis, dans un second temps, la totalité de ces montants, le législateur national a correctement transposé
celle-ci. Cette juridiction a jugé, en outre, que l’obligation mise à charge des États membres d’augmenter les montants minimaux de garantie, prévue par la directive 2005/14, ne s’appliquait qu’aux contrats conclus après l’expiration de ces périodes transitoires et que le droit de l’Union n’exigeait pas d’augmenter le montant minimal de garantie prévue dans les contrats d’assurance automobile conclus avant l’expiration de celles-ci, même en ce qui concerne les contrats dont la date d’échéance se
situait après l’expiration desdites périodes transitoires. Cette position serait conforme aux principes de sécurité juridique, de non-rétroactivité de la loi et de liberté contractuelle.

15 A.K. a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi, le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie, Pologne), en soutenant, notamment, que c’est à tort que le Sąd Okręgowy (tribunal régional) a considéré que la République de Pologne avait correctement transposé la directive 2005/14 dans son ordre juridique.

16 Selon la juridiction de renvoi, il résulte de l’arrêt du 24 octobre 2013, Haasová (C‑22/12, EU:C:2013:692), que l’assurance automobile doit couvrir l’indemnisation des préjudices immatériels subis par les proches de victimes décédées dans un accident de la circulation, dans la mesure où cette indemnisation est prévue au titre de la responsabilité civile de l’assuré par le droit national applicable. Or, le droit polonais prévoirait une telle indemnisation et celle-ci relèverait de l’assurance
automobile.

17 Cette juridiction considère que le fait que A.K. n’a pas été totalement indemnisée de son préjudice par la compagnie d’assurances en raison de ce que le plafond de garantie contractuel avait été atteint lui a causé un préjudice correspondant à la différence entre le montant versé et celui auquel elle aurait pu en principe prétendre si ce plafond avait été augmenté au regard des montants minimaux de garantie insérés dans la deuxième directive 84/5 par la directive 2005/14. Dès lors, en vertu du
droit polonais, le Trésor public devrait être tenu à la réparation de ce préjudice s’il devait s’avérer que la République de Pologne a transposé la directive 2005/14 de manière incorrecte dans son ordre juridique.

18 À cet égard, il ressortirait du considérant 10 de cette dernière directive que celle-ci vise à assurer la protection des victimes d’accidents de la circulation. Elle ne contiendrait aucune disposition qui limiterait l’obligation d’augmenter le montant minimal de garantie aux seuls contrats d’assurance conclus à compter du 11 décembre 2009, en excluant une adaptation dans le même sens, à partir de cette date, des contrats d’assurance automobile conclus avant celle-ci mais qui sont restés en
vigueur après ladite date.

19 La juridiction de renvoi estime que cette différence de traitement, en fonction de la date de conclusion du contrat d’assurance, entre ces deux catégories de personnes qui ont subi, au cours d’une même période, un préjudice résultant d’un accident de la circulation n’est pas justifiée.

20 En effet, le principe de non-rétroactivité de la loi ne s’opposerait pas à ce que des relations contractuelles qui étaient en cours le 11 décembre 2009 soient modifiées à compter de cette date. En outre, le respect du principe de sécurité juridique aurait été assuré par la longue période de transposition de la directive 2005/14 laissée aux États membres et par la possibilité pour ces derniers d’établir des périodes transitoires. Les compagnies d’assurances auraient ainsi été en mesure d’adapter
le niveau de la prime d’assurance aux nouveaux montants minimaux de garantie.

21 Selon la juridiction de renvoi, s’il devait s’avérer que la République de Pologne a transposé la directive 2005/14 de manière incomplète et donc incorrecte, la première condition de l’engagement de la responsabilité de cet État membre, énoncée dans l’arrêt du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C‑6/90 et C‑9/90, EU:C:1991:428), serait remplie. Il appartiendrait alors à cette juridiction d’examiner, dans un second temps, si et, le cas échéant, à hauteur de quel montant, A.K. a subi un dommage
présentant un lien de causalité avec la violation de l’obligation incombant à la République de Pologne.

22 Dans ces conditions, le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Conformément à l’article 2 de la directive 2005/14, un État membre ayant établi une période transitoire pour adapter les montants minimaux de couverture était-il tenu de prévoir que l’obligation d’augmenter les montants de garantie afin qu’ils atteignent au moins la moitié des niveaux prévus à l’article 1er, paragraphe 2, de la [deuxième directive 84/5], dans les 30 mois suivant la date de mise en œuvre de la directive 2005/14, s’appliquerait :

– à tous les contrats d’assurance automobile en vigueur après l’expiration de ces 30 mois, y compris à ceux conclus avant le 11 décembre 2009, mais restés en vigueur après cette date, pour des sinistres survenus après le 11 décembre 2009,

– ou uniquement aux nouveaux contrats d’assurance automobile conclus après le 11 décembre 2009 ? »

Sur la question préjudicielle

23 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 2, de la deuxième directive 84/5 doit être interprété en ce sens que les États membres ayant usé de la faculté, prévue par cette disposition, d’aménager une période transitoire étaient tenus d’exiger que, à compter du 11 décembre 2009, les montants minimaux de garantie prévus dans les contrats d’assurance automobile conclus avant cette date, mais qui étaient encore en vigueur à ladite date, soient
conformes à la règle établie au quatrième alinéa de cet article 1er, paragraphe 2.

24 Dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. En effet, la Cour a pour mission d’interpréter toutes les dispositions du droit de l’Union dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis, même si ces dispositions ne sont pas indiquées expressément
dans les questions qui lui sont adressées par ces juridictions [voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2019, Instituto Nacional de la Seguridad Social (Complément de pension pour les mères), C‑450/18, EU:C:2019:1075, point 25].

25 À cet égard, il résulte de l’article 1er, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la deuxième directive 84/5 que les États membres pouvaient établir une période transitoire d’un maximum de cinq ans à compter de la date de mise en œuvre de la directive 2005/14 dans leur ordre juridique interne, à savoir, ainsi qu’il ressort de l’article 6, paragraphe 1, de cette dernière directive, le 11 juin 2007, au cours de laquelle les montants minimaux de couverture de l’assurance automobile devaient être adaptés
aux montants prévus à l’article 1er, paragraphe 2, premier alinéa, de la deuxième directive 84/5.

26 Conformément à l’article 1er, paragraphe 2, quatrième alinéa, de cette directive, les États membres devaient toutefois augmenter ces montants minimaux afin qu’ils atteignent au moins la moitié des niveaux prévus à l’article 1er, paragraphe 2, premier alinéa, de ladite directive dans les trente mois de cette date, c’est-à-dire au plus tard le 11 décembre 2009.

27 La directive 2009/103 a toutefois codifié et abrogé la deuxième directive 84/5 avec effet au 27 octobre 2009, c’est-à-dire avant le 11 décembre 2009, et l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2009/103 correspond, ainsi qu’il ressort du tableau de correspondance figurant à l’annexe II de celle-ci, à l’article 1er, paragraphe 2, de la deuxième directive 84/5.

28 Dans ces conditions, il y a lieu de fournir à la juridiction de renvoi tant l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, de la deuxième directive 84/5 que celle de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2009/103.

29 Il ressort des informations fournies par la juridiction de renvoi que la République de Pologne a usé de la faculté d’établir une période transitoire, prévue à l’article 1er, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la deuxième directive 84/5 et à l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2009/103. Dans ce contexte, la loi du 24 mai 2007 prévoit que l’obligation de procéder à l’augmentation visée au point 26 du présent arrêt concerne les contrats d’assurance automobile conclus entre le
11 décembre 2009 et le 10 juin 2012, à l’exclusion, partant, des contrats conclus avant le 11 décembre 2009 et qui étaient encore en vigueur au-delà de cette dernière date.

30 À cet égard, il convient de relever que ni l’article 1er, paragraphe 2, de la deuxième directive 84/5 ni l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2009/103 ne précisent expressément si l’obligation mentionnée au point 26 du présent arrêt vise ou non les effets futurs des contrats conclus avant le 11 décembre 2009 et qui étaient encore en vigueur à cette date.

31 Dans ces conditions, il convient de rappeler que, en principe, une règle de droit nouvelle s’applique à compter de l’entrée en vigueur de l’acte qui l’instaure. Si elle ne s’applique pas aux situations juridiques nées et définitivement acquises sous l’empire de la loi ancienne, elle s’applique aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la règle ancienne, ainsi qu’aux situations juridiques nouvelles. Il n’en va autrement, et sous réserve du principe de non-rétroactivité des actes
juridiques, que si la règle nouvelle est accompagnée de dispositions particulières qui déterminent spécialement ses conditions d’application dans le temps (voir, en ce sens, arrêts du 7 novembre 2013, Gemeinde Altrip e.a., C‑72/12, EU:C:2013:712, point 22 et jurisprudence citée ; du 17 octobre 2018, Klohn, C‑167/17, EU:C:2018:833, points 38 et 39, ainsi que du 15 janvier 2019, E.B., C‑258/17, EU:C:2019:17, point 50).

32 Ainsi, les actes pris pour la transposition d’une directive doivent s’appliquer aux effets futurs des situations nées sous l’empire de la loi ancienne, dès la date d’expiration du délai de transposition, sauf si cette directive en dispose autrement (arrêt du 17 octobre 2018, Klohn, C‑167/17, EU:C:2018:833, point 40).

33 En outre, les règles de l’Union de droit matériel doivent être interprétées, en vue de garantir le respect des principes de sécurité juridique et de confiance légitime, comme ne visant des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur que dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, de leur finalité ou de leur économie qu’un tel effet doit leur être attribué (arrêt du 6 octobre 2015, Commission/Andersen, C‑303/13 P, EU:C:2015:647, point 50 et jurisprudence citée).

34 Il résulte de la jurisprudence de la Cour rappelée aux points 31 à 33 du présent arrêt que, afin de vérifier l’applicabilité temporelle d’une nouvelle règle de l’Union à une situation née sous l’empire de l’ancienne règle qu’elle remplace, il convient de déterminer si cette situation a épuisé ses effets avant l’entrée en vigueur de la nouvelle règle, auquel cas il conviendrait de la qualifier de situation acquise antérieurement à cette entrée en vigueur, ou si ladite situation continue à produire
ses effets après celle-ci.

35 Il convient, dès lors, de déterminer si la situation dans laquelle un contrat d’assurance automobile est conclu avant le 11 décembre 2009, mais était encore en vigueur à cette date, constitue une situation acquise antérieurement à ladite date, à laquelle l’obligation mentionnée au point 26 du présent arrêt ne pourrait donc s’appliquer rétroactivement qu’à la condition, d’une part, que la deuxième directive 84/5 et la directive 2009/103 aient clairement prévu que tel devrait être le cas et,
d’autre part, que, dans les faits, les principes de sécurité juridique et de confiance légitime soient respectés (voir, par analogie, arrêt du 9 mars 2006, Beemsterboer Coldstore Services, C‑293/04, EU:C:2006:162, point 24), ou s’il s’agit au contraire d’une situation née avant cette même date, mais dont les effets futurs sont régis par l’article 1er, paragraphe 2, quatrième alinéa, de la deuxième directive 84/5 et par l’article 9, paragraphe 1, quatrième alinéa, de la directive 2009/103 à
compter du 11 décembre 2009, conformément au principe selon lequel les règles nouvelles s’appliquent immédiatement aux situations en cours.

36 À cet égard, la Cour a déjà jugé que la conclusion d’un contrat de travail à durée déterminée n’épuise pas ses effets juridiques à la date de la signature de celui-ci, mais continue au contraire à produire régulièrement ses effets pendant toute la durée de ce contrat et que, dès lors, l’application d’une règle nouvelle, à compter de l’entrée en vigueur de celle-ci, à un contrat de travail conclu antérieurement à cette entrée en vigueur ne saurait être considérée comme affectant une situation
acquise antérieurement à ladite entrée en vigueur (voir, en ce sens, arrêt du 29 janvier 2002, Pokrzeptowicz-Meyer, C‑162/00, EU:C:2002:57, point 52).

37 Il en va a fortiori de même des situations dans lesquelles un contrat d’assurance automobile a été conclu avant le 11 décembre 2009 et était encore en vigueur à cette date.

38 En effet, les contrats d’assurance étant avant tout des contrats aléatoires, caractérisés par le fait que la prestation de l’une des parties dépend d’un événement incertain, qui peut se réaliser ou non pendant la durée du contrat, leurs effets juridiques persistent jusqu’au terme de cette durée. Ainsi, les rapports de droit créés par de tels contrats ne sont pas épuisés au moment de leur conclusion. Ce moment marque seulement le début de l’exécution du contrat, qui, s’agissant de la prestation de
l’assuré, est souvent échelonnée dans le temps et, s’agissant de celle de l’assureur, n’est pas non plus immédiate puisqu’elle consiste à indemniser les personnes ayant subi un préjudice si un sinistre couvert survient en cours de contrat.

39 Or, l’article 1er, paragraphe 2, quatrième alinéa, de la deuxième directive 84/5 et l’article 9, paragraphe 1, quatrième alinéa, de la directive 2009/103 ont vocation à régir les effets futurs des contrats conclus avant le 11 décembre 2009 et qui étaient encore en vigueur à cette date.

40 En effet, ces dispositions, lorsqu’elles imposent aux États membres d’augmenter les montants minimaux de garantie de l’assurance automobile, n’excluent pas de cette augmentation les montants de garantie tels que prévus dans ces contrats. Ainsi, la date de conclusion du contrat d’assurance ne constitue pas un élément déterminant à cet égard. Il ne ressort donc pas du libellé desdites dispositions que le législateur de l’Union aurait entendu déroger au principe selon lequel les règles nouvelles
s’appliquent immédiatement aux situations en cours.

41 Au demeurant, ainsi que l’ont souligné, en substance, A.K. et le gouvernement allemand dans leurs observations écrites, l’objectif de protection des victimes d’accidents de la circulation, poursuivi par la réglementation de l’Union relative à l’assurance automobile, qui vise à garantir, notamment, que les victimes des accidents causés par les véhicules automoteurs bénéficieront d’un traitement comparable, quel que soit le point du territoire de l’Union où l’accident s’est produit et qui a été
constamment poursuivi et renforcé par le législateur de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 2017, Rodrigues de Andrade, C‑514/16, EU:C:2017:908, points 32 et 33), ainsi que le principe général d’égalité de traitement exigent que des victimes d’accidents survenus à compter du 11 décembre 2009 ne reçoivent pas une indemnité limitée au seul motif que le contrat d’assurance a été conclu avant cette date. En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 10 de la directive 2005/14, l’obligation
faite aux États membres de veiller à ce que la couverture d’assurance ne tombe pas sous certains montants minimaux constitue un élément majeur pour la protection des victimes.

42 Contrairement à ce que soutiennent le Trésor public et le gouvernement polonais dans leurs observations écrites, les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ne s’opposent pas à une telle interprétation.

43 À cet égard, il convient d’observer que le premier de ces principes exige, notamment, que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables [arrêt du 30 avril 2019, Italie/Conseil (Quota de pêche de l’espadon méditerranéen), C‑611/17, EU:C:2019:332, point 111 et jurisprudence citée].

44 Corollaire du principe de sécurité juridique, le droit de réclamer la protection de la confiance légitime s’étend à tout particulier se trouvant dans une situation de laquelle il ressort que l’administration de l’Union a fait naître dans son chef des espérances fondées [arrêt du 30 avril 2019, Italie/Conseil (Quota de pêche de l’espadon méditerranéen), C‑611/17, EU:C:2019:332, point 112 et jurisprudence citée].

45 En l’occurrence, d’une part, il ne saurait être soutenu que la règle établie par l’article 1er, paragraphe 2, de la deuxième directive 84/5 et l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2009/103 manquait de clarté, de précision ou de prévisibilité dans ses effets. D’autre part, il convient de rappeler que le champ d’application du principe de la protection de la confiance légitime ne saurait être étendu jusqu’à empêcher, de façon générale, une réglementation nouvelle de s’appliquer aux effets
futurs de situations nées sous l’empire de la réglementation antérieure (arrêt du 29 janvier 2002, Pokrzeptowicz-Meyer, C‑162/00, EU:C:2002:57, point 55 et jurisprudence citée).

46 Par ailleurs, ainsi que l’a relevé, en substance, la juridiction de renvoi et comme l’a également indiqué le gouvernement allemand dans ses observations écrites, le principe de non-rétroactivité de la loi ne s’oppose pas à l’application des nouveaux montants minimaux de couverture aux contrats d’assurance automobile conclus avant le 11 décembre 2009 et qui étaient encore en vigueur à cette date, dès lors que ces montants et les éventuelles nouvelles primes qui leur correspondraient ne
s’appliqueraient, conformément au principe d’application immédiate, que pour la période à compter du 11 décembre 2009.

47 Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 1er, paragraphe 2, de la deuxième directive 84/5 et l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2009/103 doivent être interprétés en ce sens que les États membres ayant usé de la faculté, prévue par ces dispositions, d’aménager une période transitoire étaient tenus d’exiger que, à compter du 11 décembre 2009, les montants minimaux de garantie prévus dans les contrats d’assurance automobile conclus
avant cette date, mais qui étaient encore en vigueur à ladite date, soient conformes à la règle établie au quatrième alinéa desdites dispositions.

Sur les dépens

48 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

L’article 1er, paragraphe 2, de la deuxième directive 84/5/CEE du Conseil, du 30 décembre 1983, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, telle que modifiée par la directive 2005/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, et l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant
  l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité, doivent être interprétés en ce sens que les États membres ayant usé de la faculté, prévue par ces dispositions, d’aménager une période transitoire étaient tenus d’exiger que, à compter du 11 décembre 2009, les montants minimaux de garantie prévus dans les contrats d’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules
automoteurs conclus avant cette date, mais qui étaient encore en vigueur à ladite date, soient conformes à la règle établie au quatrième alinéa desdites dispositions.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-428/20
Date de la décision : 21/12/2021
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Sąd Apelacyjny w Warszawie.

Renvoi préjudiciel – Assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs – Deuxième directive 84/5/CEE – Article 1er, paragraphe 2 – Directive 2005/14/CE – Directive 2009/103/CE – Article 9, paragraphe 1 – Obligation d’augmenter les montants minimaux couverts par l’assurance obligatoire – Période transitoire – Règle nouvelle s’appliquant immédiatement aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la règle ancienne – Situation acquise antérieurement à l’entrée en vigueur d’une règle de l’Union de droit matériel – Réglementation nationale excluant les contrats d’assurance conclus avant le 11 décembre 2009 de l’obligation d’augmenter les montants minimaux couverts par l’assurance obligatoire.

Rapprochement des législations

Droit d'établissement

Libre prestation des services


Parties
Demandeurs : A.K.
Défendeurs : Skarb Państwa.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Arabadjiev

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2021:1043

Source

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