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14/10/2021 | CJUE | N°C-373/20

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, A.M. contre Dyrektor Z. Oddziału Regionalnego Agencji Restrukturyzacji i Modernizacji Rolnictwa., 14/10/2021, C-373/20


 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

14 octobre 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Agriculture – Politique agricole commune – Régimes de soutien direct – Règles communes – Régime de paiement unique – Règlement (CE) no 1120/2009 – Article 2, sous c) – Notion de “pâturages permanents” – Rotation des cultures – Inondations naturelles et périodiques des prairies et pâturages situés dans une zone spéciale de protection de la nature »

Dans l’affaire C‑373/20,

ayant pour objet une demande de décision

préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Szczecinie (tribunal administratif ...

 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

14 octobre 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Agriculture – Politique agricole commune – Régimes de soutien direct – Règles communes – Régime de paiement unique – Règlement (CE) no 1120/2009 – Article 2, sous c) – Notion de “pâturages permanents” – Rotation des cultures – Inondations naturelles et périodiques des prairies et pâturages situés dans une zone spéciale de protection de la nature »

Dans l’affaire C‑373/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Szczecinie (tribunal administratif de la voïvodie de Szczecin, Pologne), par décision du 18 juin 2020, parvenue à la Cour le 6 août 2020, dans la procédure

A.M.

contre

Dyrektor Z. Oddziału Regionalnego Agencji Restrukturyzacji i Modernizacji Rolnictwa,

LA COUR (septième chambre),

composée de Mme I. Ziemele (rapporteure), présidente de la sixième chambre, faisant fonction de présidente de la septième chambre, MM. P. G. Xuereb et A. Kumin, juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour A.M., par lui-même,

– pour le Dyrektor Z. Oddziału Regionalnego Agencji Restrukturyzacji i Modernizacji Rolnictwa, par Mme J. Goc-Celuch, radca prawny,

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par MM. M. Kaduczak et A. Sauka, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, sous c), du règlement (CE) no 1120/2009 de la Commission, du 29 octobre 2009, portant modalités d’application du régime de paiement unique prévu par le titre III du règlement (CE) no 73/2009 du Conseil établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs (JO 2009,
L 316, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant A.M., agriculteur, au Dyrektor Z. Oddziału Regionalnego Agencji Restrukturyzacji i Modernizacji Rolnictwa (directeur du département régional de l’Agence pour la restructuration et la modernisation de l’agriculture), au sujet de la décision de ce dernier de refuser à A.M. le bénéfice de certains paiements agroenvironnementaux et de lui enjoindre de rembourser des sommes déjà versées à ce titre, au motif que cet agriculteur aurait
pratiqué une rotation des cultures à la suite de l’inondation ou de la submersion de terres classées comme « pâturages permanents », au sens de l’article 2, sous c), du règlement no 1120/2009.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement no 1698/2005

3 L’article 50 bis du règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil, du 20 septembre 2005, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO 2005, L 277, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 74/2009 du Conseil, du 19 janvier 2009 (JO 2009, L 30, p. 100) (ci-après le « règlement no 1698/2005), intitulé « Exigences principales », disposait, à son paragraphe 1 :

« Tout bénéficiaire recevant des paiements au titre de l’article 36, point a) i) à v), et de l’article 36, point b) i), iv) et v), est tenu de respecter, sur l’ensemble de l’exploitation, les exigences réglementaires en matière de gestion et les bonnes conditions agricoles et environnementales prévues aux articles 5 et 6 et aux annexes II et III du règlement (CE) no 73/2009[, du 19 janvier 2009, établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs dans le
cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs, modifiant les règlements (CE) no 1290/2005, (CE) no 247/2006 et (CE) no 378/2007, et abrogeant le règlement (CE) no 1782/2003 (JO 2009, L 30, p. 16)]. »

4 Le règlement no 1698/2005 a été abrogé par le règlement (UE) no 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO 2013, L 347, p. 487).

Le règlement no 73/2009

5 Le considérant 7 du règlement no 73/2009 énonçait :

« Le règlement (CE) no 1782/2003 [du Conseil, du 29 septembre 2003, établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs et modifiant les règlements (CEE) no 2019/93, (CE) no 1452/2001, (CE) no 1453/2001, (CE) no 1454/2001, (CE) no 1868/94, (CE) no 1251/1999, (CE) no 1254/1999, (CE) no 1673/2000, (CEE) no 2358/71 et (CE) no 2529/2001 (JO 2003, L 270, p. 1),] reconnaît
l’effet positif sur l’environnement des pâturages permanents. Il y a lieu de conserver les mesures dudit règlement destinées à encourager le maintien des pâturages permanents existants, afin de prévenir leur transformation généralisée en terres arables. »

6 Les articles 4 à 6 du règlement no 73/2009 figuraient dans le chapitre 1, intitulé « Conditionnalité », du titre II de celui-ci, intitulé « Dispositions générales applicables aux paiements directs », et portaient sur les exigences que tout agriculteur percevant des paiements directs était tenu de respecter.

7 L’annexe II du règlement no 73/2009, intitulée « Exigences réglementaires en matière de gestion visées aux articles 4 et 5 », mentionnait notamment la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7).

8 L’annexe III de ce règlement, intitulée « Bonnes conditions agricoles et environnementales visées à l’article 6 », prévoyait notamment, s’agissant du niveau minimal d’entretien, la nécessité de maintenir les particularités topographiques, y compris, le cas échéant, les haies, les étangs, les fossés, les alignements d’arbre, en groupe ou isolés, et les bordures de champs.

9 Le règlement no 73/2009 a été abrogé par le règlement (UE) no 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune (JO 2013, L 347, p. 608).

Le règlement no 1120/2009

10 L’article 2 du règlement no 1120/2009, intitulé « Définitions », disposait :

« Aux fins du titre III du règlement [no 73/2009] et aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

c) “pâturages permanents” : les terres consacrées à la production d’herbe et d’autres plantes fourragères herbacées (ensemencées ou naturelles) qui ne font pas partie du système de rotation des cultures de l’exploitation depuis cinq ans ou davantage, à l’exclusion des superficies mises en jachère [...] ; à cette fin, on entend par “herbe et autres plantes fourragères herbacées”, toutes les plantes herbacées se trouvant traditionnellement dans les pâturages naturels ou normalement comprises dans
les mélanges de semences pour pâturages ou prairies dans l’État membre (qu’ils soient ou non utilisés pour faire paître les animaux). Les États membres peuvent inclure les grandes cultures figurant à l’annexe I ;

[...] »

11 Le règlement no 1120/2009 a été abrogé par le règlement délégué (UE) no 639/2014 de la Commission, du 11 mars 2014, complétant le règlement no 1307/2013 et modifiant l’annexe X dudit règlement (JO 2014, L 181, p. 1).

Le droit polonais

12 L’article 5 de l’Ustawa o wspieraniu rozwoju obszarów wiejskich z udziałem środków Europejskiego Funduszu Rolnego na rzecz Rozwoju Obszarów Wiejskich w ramach Programu Rozwoju Obszarów Wiejskich na lata 2007-2013 (loi sur le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural dans le cadre du programme de développement rural pour la période 2007-2013), du 7 mars 2007 dispose :

« 1.   Le programme est mis en œuvre sur le territoire polonais et comprend les mesures suivantes :

[...]

14) un programme agroenvironnemental ;

[...] »

13 L’article 18a de cette loi prévoit :

« Lorsque l’octroi de l’aide est soumis aux règles et critères de conditionnalité visés dans le règlement [no 73/2009] [...], et dans les dispositions du droit de l’Union adoptées en application de ce règlement, on entend par “règles et critères” ceux définis dans les dispositions relatives aux paiements au titre des régimes de soutien direct. »

14 L’article 1er du Rozporządzenie Ministra Rolnictwa i Rozwoju Wsi w sprawie szczegółowych warunków i trybu przyznawania pomocy finansowej w ramach działania „Program rolnośrodowiskowy” objętego Programem Rozwoju Obszarów Wiejskich na lata 2007-2013 (règlement du ministre de l’Agriculture et du Développement rural relatif aux modalités et aux procédures d’octroi d’un concours financier dans le cadre de la mesure « Programme agroenvironnemental » relevant du programme de développement rural pour la
période 2007-2013), du 13 mars 2013 (ci-après le « règlement agroenvironnemental »), se lit comme suit :

« Le présent règlement définit les modalités et les procédures d’octroi, de versement et de remboursement de l’aide financière (ci-après dénommée “paiement agroenvironnemental”), accordée au titre de la mesure “programme agroenvironnemental” relevant du programme de développement rural pour la période 2007 2013 (ci-après le “programme”), et en particulier :

[...]

5) la façon dont est évaluée l’importance des cas de non-conformité visés à l’article 54, paragraphe 1, sous c), du règlement (CE) no 1122/2009 [de la Commission, du 30 novembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement no 73/2009 en ce qui concerne la conditionnalité, la modulation et le système intégré de gestion et de contrôle dans le cadre des régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs prévus par ce règlement ainsi que les modalités d’application du règlement (CE)
no 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne la conditionnalité dans le cadre du régime d’aide prévu pour le secteur vitivinicole (JO 2009, L 316, p. 65)], [...], en cas de non-respect des exigences minimales relatives à l’utilisation d’engrais et de produits phytosanitaires ;

6) le pourcentage de réduction du paiement agroenvironnemental en fonction de l’évaluation de l’importance du non-respect constaté, ainsi que les cas de non-respect considérés comme mineurs, visés à l’article 24, paragraphe 2, du règlement [no 73/2009] ;

[...] »

15 L’article 2 de ce règlement se lit comme suit :

« 1.   Un paiement agroenvironnemental est accordé à un agriculteur, au sens de l’article 2, sous a), du règlement no 73/2009 (ci-après l’“agriculteur”), si :

[...]

3) il met en œuvre un engagement en faveur de l’agroenvironnement d’une durée de cinq ans, prévu à l’article 39 du règlement [no 1698/2005] (ci-après l’“engagement agroenvironnemental”), qui comporte des exigences allant au-delà des prescriptions de base, dans le cadre de paquets spécifiques et de leurs variantes, conformément au plan d’action agroenvironnemental ;

[...] »

16 L’article 4 dudit règlement dispose :

« 1.   L’engagement agroenvironnemental est mis en œuvre dans le cadre d’un ou de plusieurs des paquets suivants :

[...]

2) Paquet 2. Agriculture biologique ;

3) Paquet 3. Pâturages permanents extensifs ;

[...]

2.   Un agriculteur qui met en œuvre un engagement agroenvironnemental :

1) conserve sur l’exploitation agricole les pâturages permanents – au sens de l’article 2, sous c), du règlement [no 1120/2009] (ci-après les “pâturages permanents”) – existants sur ladite exploitation et identifiés dans le plan d’activité agroenvironnemental, ainsi que les éléments du paysage agricole non utilisés à des fins agricoles qui constituent des refuges pour la faune sauvage, existants sur ladite exploitation et identifiés dans ledit plan ;

[...] »

17 L’article 38, paragraphe 6, du même règlement prévoit :

« Si l’agriculteur n’a conservé aucun pâturage permanent ou élément du paysage agricole non utilisé à des fins agricoles existant sur l’exploitation et identifié dans le plan d’activité agroenvironnemental, au sens de l’article 4, paragraphe 2, point 1, le paiement agroenvironnemental est dû à cet agriculteur à concurrence d’un montant réduit de 20 % l’année où ce manquement a été constaté. »

18 L’annexe 3 du règlement agroenvironnemental, intitulée « Exigences pour les paquets individuels et leurs variantes », comporte les précisions suivantes :

« [...]

II. Paquet 2. Agriculture biologique.

[...]

2) en cas de mise en œuvre simultanée sur les mêmes terres agricoles :

Paquet 3. Pâturages permanents extensifs – fauchage dans un délai approprié fixé en partie III.

[...]

III. Paquet 3. Pâturages permanents extensifs.

[...]

2. Exigences supplémentaires pour le paquet en cas de fauche de pâturages permanents :

[...] »

19 Le Rozporządzenie nr 14/2005 Wojewody Zachodniopomorskiego w sprawie Ińskiego Parku Krajobrazowego (règlement no 14/2005 du voïvode de Poméranie occidentale relatif au parc paysager d’Ińsko), du 27 juillet 2005, dispose, à son article 3, paragraphe1 :

« Le parc fait l’objet des interdictions suivantes :

[...]

8) le comblement, le remblayage et la transformation des masses d’eau et des zones humides ;

[...] »

20 Le Rozporządzenie nr 36/2005 Wojewody Zachodniopomorskiego w sprawie planu ochrony Ińskiego Parku Krajobrazowego (règlement no 36/2005 du voïvode de Poméranie occidentale relatif au plan de protection du parc paysager d’Ińsko), du 10 novembre 2005, prévoit, à son article 2, paragraphe 1 :

« La protection du parc a pour but de préserver, de diffuser et de promouvoir ses atouts naturels, historiques et culturels ainsi que ses caractéristiques paysagères dans des conditions de développement durable, et en particulier :

[...]

3) de conserver les populations d’espèces rares et protégées de champignons, de plantes et d’animaux ainsi que leurs habitats, et notamment les oiseaux sauvages et leurs habitats dans la zone de protection spéciale des oiseaux Natura 2000 Ostoja Ińska PLB 320008 ;

[...]

2.   Les objectifs visés au paragraphe 1 sont réalisés par :

1) la conservation et, s’agissant des éléments naturels éteints ou dégradés, la restauration :

[...]

c) des peuplements forestiers situés dans des champs, en bord de route et au bord de l’eau, ainsi que des étangs situés dans des champs ou des forêts,

[...] »

21 L’article 3, paragraphe 1, de ce règlement se lit comme suit :

« Il y a lieu d’identifier les conditions naturelles suivantes aux fins de la mise en œuvre des objectifs de protection du parc :

[...]

4) la zone du parc est traversée par la ligne de partage des eaux entre le bassin hydrographique du fleuve Rega et le bassin hydrographique de la rivière Ina, et la quasi-totalité de la zone du parc se trouve dans le bassin versant de la rivière Ina ;

[...]

6) le parc abrite des habitats naturels énumérés dans quatorze catégories de l’annexe I de la directive [92/43] ;

[...] »

22 L’article 4 dudit règlement énonce :

« L’identification et la définition des moyens permettant d’éliminer ou de réduire les menaces existantes et potentielles, intérieures et extérieures, ainsi que leurs effets, sont présentés dans le tableau ci-dessous :

[...]

“Moyens permettant d’éliminer ou de réduire les menaces ainsi que leurs effets” :

[...]

13   – Mise en œuvre de programmes agroenvironnementaux et du code de bonnes pratiques agricoles [...] Protection des peuplements forestiers situés dans des champs, étangs et autres friches naturelles. Création ou extension de zones “tampons” dans le voisinage :

masses d’eau d’une largeur minimale de 20 m

[...]

21   – Exclusion de nouvelles installations de protection contre les inondations utilisées exclusivement à des fins de drainage. Amélioration de la rétention des eaux par le ralentissement de leur écoulement au moyen de seuils limitant l’écoulement de l’eau, abandon de l’entretien des fossés de drainage, [...] blocage de l’écoulement des eaux favorisé par des dispositifs de drainage sur les friches situées dans des champs (étangs, tourbières et zones humides). »

Le litige au principal et la question préjudicielle

23 En 2009, A.M., agriculteur, a commencé à mettre en œuvre un engagement en faveur de l’agroenvironnement d’une durée de cinq ans pour la période 2009-2013 dans le cadre des paquets 2 (agriculture biologique) et 3 (pâturages permanents extensifs) de l’annexe 2 du règlement agroenvironnemental. Au cours de la période 2009-2011, cet agriculteur a reçu, à ce titre, des paiements pour les surfaces déclarées.

24 En 2012, l’autorité administrative de première instance, à la demande de cet agriculteur, qui avait réduit la superficie déclarée aux fins du paiement en raison d’inondations et de submersions de longue durée de cette zone ayant empêché le fauchage des prairies et des pâturages dans les délais prescrits, a, de ce fait, octroyé audit agriculteur un paiement réduit.

25 En 2013, année de référence dans le cadre du litige au principal, A.M. a introduit une demande de paiements agroenvironnementaux en déclarant, dans le cadre de ces paquets, des superficies identiques à celles déclarées au cours de la période 2009-2011, faisant valoir que la réduction de la superficie déclarée en 2012 ne saurait avoir une incidence sur la superficie déclarée en 2013, puisque, d’une part, il n’était pas responsable des inondations et submersions concernées et, d’autre part, il
avait fauché les prairies et les pâturages à une date ultérieure à celle prescrite. En effet, ce fauchage serait intervenu au mois d’octobre 2012, ce qui aurait été confirmé par l’inspection effectuée par l’autorité administrative de première instance le 15 octobre 2012.

26 L’autorité administrative de première instance a toutefois estimé, dans la sixième décision rendue sur les faits à l’origine du litige au principal, que, s’agissant de la superficie qui avait été sujette aux inondations et aux submersions, l’utilisation continue des terres en tant que pâturages permanents avait été interrompue et que, même s’il était possible de les réaffecter à la production agricole dans un laps de temps relativement court, ces terres ne pouvaient toutefois être considérées
comme des pâturages permanents, dès lors que A.M. aurait pratiqué une rotation des cultures, à la suite de l’inondation ou de la submersion des terres classées comme pâturages permanents.

27 À la suite de recours infructueux introduits devant l’autorité administrative de deuxième instance, A.M. a saisi la juridiction de renvoi, le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Szczecinie (tribunal administratif de la voïvodie de Szczecin, Pologne), invoquant notamment une violation de l’article 2, sous c), du règlement no 1120/2009.

28 Cette juridiction relève que la question de savoir si les pâturages permanents perdent leurs caractéristiques et leur finalité lorsqu’ils sont soumis à une rotation des cultures, telle qu’interprétée par les autorités nationales, c’est‑à-dire lorsqu’ils sont soumis à des inondations ou à des submersions, n’est pas dénuée d’incertitude.

29 Dans ces conditions, le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Szczecinie (tribunal administratif de la voïvodie de Szczecin) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les autorités nationales sont-elles fondées à interpréter la notion de “pâturages permanents” – telle que définie à l’article 2, sous c), du règlement [no 1120/2009] – en ce sens que les inondations ou submersions naturelles et périodiques des prairies et pâturages situés dans une zone de protection spéciale (site Natura 2000 ; parc paysager d’Ińsko) induisent une “rotation des cultures” sur ces terres et entraînent l’interruption de la période de cinq ans (ou plus) pendant laquelle lesdites
terres ne font pas partie du système de “rotation des cultures”, ce qui constitue également, par voie de conséquence, un motif d’exclusion ou de limitation du paiement agroenvironnemental au profit de l’agriculteur et produit d’autres conséquences financières liées à l’interruption de la période de cinq ans de mise en œuvre du programme agroenvironnemental ? »

Sur la question préjudicielle

30 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, sous c), du règlement no 1120/2009 doit être interprété en ce sens que sont exclus de la notion de « pâturages permanents », au sens de cette disposition, des prairies ou des pâturages situés dans une zone de protection spéciale et qui sont soumis à des inondations ou à des submersions naturelles et périodiques, au motif que de telles inondations ou submersions induiraient une « rotation des cultures » sur les terres
concernées, au sens de ladite disposition.

31 Aux termes de l’article 2, sous c), du règlement no 1120/2009, les « pâturages permanents » sont définis comme étant « les terres consacrées à la production d’herbe et d’autres plantes fourragères herbacées (ensemencées ou naturelles) qui ne font pas partie du système de rotation des cultures de l’exploitation depuis cinq ans ou davantage, à l’exclusion des superficies mises en jachère ».

32 Ainsi qu’il ressort du libellé de cette définition, deux conditions doivent être réunies pour que des terres puissent relever de la notion de « pâturages permanents », au sens de cette disposition : d’une part, ces terres doivent être consacrées à la production de plantes fourragères herbacées ; d’autre part, lesdites terres ne doivent pas faire partie du système de rotation des cultures depuis au moins cinq ans.

33 En l’occurrence, s’agissant de la première condition, il est constant que les terres concernées sont consacrées à la production de plantes fourragères herbacées et que, partant, cette condition est satisfaite.

34 S’agissant de la seconde condition, la juridiction de renvoi cherche à savoir s’il est possible de considérer qu’une rotation des cultures est induite par des inondations ou des submersions naturelles et périodiques de prairies et de pâturages situés dans une zone de protection spéciale. En effet, si tel devait être le cas, il y aurait lieu de considérer que ces prairies et ces pâturages sont exclus de la notion de « pâturages permanents », visée à l’article 2, sous c), du règlement no 1120/2009.

35 Il y a lieu de relever que la notion de « rotation des cultures » n’est définie ni dans le règlement no 1120/2009, qui détermine les modalités d’application du régime de paiement unique prévu par le titre III du règlement no 73/2009, ni dans ce dernier règlement.

36 Conformément à une jurisprudence constante, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il importe de tenir compte non seulement des termes de celle-ci conformément à leur sens habituel dans le langage courant, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, en ce sens, arrêts du 24 juin 2010, Pontini e.a., C‑375/08, EU:C:2010:365, point 58, et du 29 juillet 2019, Pelham e.a., C‑476/17, EU:C:2019:624, point 28 ainsi
que jurisprudence citée).

37 En premier lieu, pour ce qui concerne le libellé de l’article 2, sous c), du règlement no 1120/2009, il y a lieu de relever que la notion de « rotation des cultures », dans son sens courant, désigne une pratique agricole par laquelle différentes cultures se succèdent sur la même parcelle de terre au cours d’une certaine période afin de maintenir la fertilité des sols et de réduire les effets causés par les organismes nuisibles.

38 Or, il ne saurait être considéré que des inondations ou des submersions naturelles et périodiques de prairies et de pâturages, a fortiori lorsqu’elles sont, ainsi que la juridiction de renvoi le relève, d’une durée limitée, puissent être considérées comme une telle « pratique agricole », dès lors qu’elles sont indépendantes de la volonté de l’agriculteur concerné et sont le résultat de phénomènes naturels et périodiques, souvent peu prévisibles. En outre, de tels phénomènes n’entraînent pas une
succession de différentes « cultures » sur une même parcelle de terre, la notion de « culture » impliquant elle-même, dans son sens courant, l’action de cultiver la terre aux fins de produire des végétaux.

39 À cet égard, la Cour a d’ailleurs jugé, dans l’arrêt du 2 octobre 2014, Grund (C‑47/13, EU:C:2014:2248, point 33), qu’il ne saurait y avoir de « rotation des cultures », au sens de l’article 2, sous c), du règlement no 1120/2009, qu’en cas de production d’une culture autre qu’une plante fourragère herbacée.

40 Ainsi que la Cour l’a également rappelé dans cet arrêt, ce qui importe pour la qualification de « pâturages permanents », au sens de l’article 2, sous c), du règlement no 1120/2009, c’est l’utilisation ou l’affectation effective des terres concernées. Sont, en revanche, dénués de pertinence aux fins de cette qualification le changement de variété d’herbe ou encore le procédé technique utilisé, tel que le labourage ou la scarification avec sursemis, comme le type de végétation couvrant la surface
agricole concernée [voir, en ce sens, arrêts du 2 octobre 2014, Grund, C‑47/13, EU:C:2014:2248, point 35, et du 30 avril 2020, Grèce/Commission (Pâturages permanents), C‑797/18 P, EU:C:2020:340, point 63 ainsi que jurisprudence citée].

41 Or, ainsi que le gouvernement polonais et la Commission européenne le soulignent, en substance, des inondations ou submersions naturelles et périodiques de terres se trouvant dans une zone de protection spéciale n’ont pas, en elles-mêmes, d’incidence sur la classification des terres concernées en tant que pâturage permanent, au sens de ladite disposition. En effet, si de tels phénomènes sont susceptibles d’avoir une incidence sur le moment du fauchage, ils ne modifient pas l’affectation de ces
terres ni n’induisent une « rotation des cultures », au sens de l’article 2, sous c), du règlement no 1120/2009. En particulier, ils n’entraînent aucunement la production, par un quelconque procédé technique, d’une « autre culture ».

42 En second lieu, une telle interprétation est corroborée par les objectifs poursuivis par la réglementation concernée, et par le contexte dans lequel cette dernière s’inscrit.

43 À ce titre, d’une part, le considérant 7 du règlement no 73/2009 énonce que, en raison de l’effet positif sur l’environnement des pâturages permanents, il y a lieu d’adopter des mesures visant à encourager le maintien des pâturages permanents existants, afin de prévenir leur transformation généralisée en terres arables (voir également, en ce sens, arrêts du 2 octobre 2014, Grund, C‑47/13, EU:C:2014:2248, point 36, et du 9 juin 2016, Planes Bresco, C‑333/15 et C‑334/15, EU:C:2016:426, point 45).

44 Or, exclure la qualification de « pâturages permanents », au sens de l’article 2, sous c), du règlement no 1120/2009, de telles terres au seul motif qu’elles subissent, de manière périodique, des inondations ou submersions naturelles irait à l’encontre de l’objectif d’un tel maintien (voir, par analogie, arrêt du 2 octobre 2014, Grund, C‑47/13, EU:C:2014:2248, point 38).

45 D’autre part, la Cour a eu l’occasion de rappeler que la protection de l’environnement, qui constitue l’un des objectifs essentiels de l’Union, doit être considérée comme un objectif faisant partie de la politique commune dans le domaine de l’agriculture et qu’elle fait, plus précisément, partie des objectifs du régime de paiement unique (arrêt du 9 juin 2016, Planes Bresco, C‑333/15 et C‑334/15, EU:C:2016:426, point 46 ainsi que jurisprudence citée).

46 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi a souligné que les prairies et les pâturages concernés sont situés dans une zone de protection spéciale (site Natura 2000 ; parc paysager d’Ińsko ; habitats naturels énumérés dans quatorze catégories de l’annexe I de la directive 92/43). Il s’ensuit que, ainsi que le gouvernement polonais le souligne, les terres concernées sont, de ce fait, soumises à une série de restrictions qui découlent d’exigences réglementaires.

47 En l’occurrence, figuraient parmi ces restrictions celles prévues à l’article 50 bis, paragraphe 1, du règlement no 1698/2005, aux termes duquel tout bénéficiaire recevant notamment des paiements « Natura 2000 » est tenu de respecter, sur l’ensemble de l’exploitation, certaines exigences réglementaires en matière de gestion et les bonnes conditions agricoles et environnementales visées notamment aux annexes II et III du règlement no 73/2009. À cet égard, tandis que l’annexe II du règlement
no 73/2009 prévoyait, s’agissant des exigences réglementaires de gestion visées aux articles 4 et 5 de celui-ci, l’obligation de respecter les exigences de la directive 92/43, l’annexe III du règlement no 73/2009, portant sur les bonnes conditions agricoles et environnementales visées à l’article 6 de celui-ci, imposait le maintien des particularités topographiques, y compris le cas échéant, des haies, des étangs, des fossés, des alignements d’arbre, en groupe ou isolés, et des bordures de
champs.

48 De telles exigences résultent également du règlement no 36/2005 du voïvode de Poméranie occidentale relatif au plan de protection du parc paysager d’Ińsko, qui exclut les nouvelles installations de protection contre les inondations utilisées exclusivement à des fins de drainage et prévoit notamment l’amélioration de la rétention des eaux, l’abandon de l’entretien des fossés de drainage ou encore le blocage de l’écoulement des eaux.

49 Or, une interprétation de la notion de « rotation des cultures », telle que celle défendue par le directeur du département régional de l’Agence pour la restructuration et la modernisation de l’agriculture, qui couvrirait des inondations ou des submersions naturelles et périodiques de terres se trouvant dans une zone de protection spéciale, excluant de ce fait, les terres concernées de la notion de « pâturages permanents » et privant par voie de conséquence les agriculteurs de paiements directs,
alors même qu’ils se sont conformés aux exigences réglementaires environnementales applicables, irait à l’encontre de l’objectif rappelé au point 45 du présent arrêt et risquerait de dissuader ces agriculteurs d’utiliser, comme pâturages permanents, des terres se trouvant dans une zone de protection spéciale, alors même que les sites concernés abritent plusieurs types d’habitats naturels énumérés à l’annexe I de la directive 92/43, qui permettent de maintenir les populations d’espèces de la faune
et de la flore sauvages.

50 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 2, sous c), du règlement no 1120/2009 doit être interprété en ce sens que ne sont pas exclus de la notion de « pâturages permanents », au sens de cette disposition, des prairies ou des pâturages situés dans une zone de protection spéciale et qui sont soumis à des inondations ou à des submersions naturelles et périodiques, dès lors que de telles inondations ou submersions ne sauraient,
en elles-mêmes, induire une « rotation des cultures » sur les terres concernées, au sens de ladite disposition.

Sur les dépens

51 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

  L’article 2, sous c), du règlement (CE) no 1120/2009 de la Commission, du 29 octobre 2009, portant modalités d’application du régime de paiement unique prévu par le titre III du règlement (CE) no 73/2009 du Conseil établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs, doit être interprété en ce sens que ne sont pas exclus de la notion de
« pâturages permanents », au sens de cette disposition, des prairies ou des pâturages situés dans une zone de protection spéciale et qui sont soumis à des inondations ou à des submersions naturelles et périodiques, dès lors que de telles inondations ou submersions ne sauraient, en elles-mêmes, induire une « rotation des cultures » sur les terres concernées, au sens de ladite disposition.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.


Synthèse
Formation : Septième chambre
Numéro d'arrêt : C-373/20
Date de la décision : 14/10/2021
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Szczecinie.

Renvoi préjudiciel – Agriculture – Politique agricole commune – Régimes de soutien direct – Règles communes – Régime de paiement unique – Règlement (CE) no 1120/2009 – Article 2, sous c) – Notion de “pâturages permanents” – Rotation des cultures – Inondations naturelles et périodiques des prairies et pâturages situés dans une zone spéciale de protection de la nature.

Agriculture et Pêche

Environnement

Structures agricoles


Parties
Demandeurs : A.M.
Défendeurs : Dyrektor Z. Oddziału Regionalnego Agencji Restrukturyzacji i Modernizacji Rolnictwa.

Composition du Tribunal
Avocat général : Tanchev
Rapporteur ?: Ziemele

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2021:850

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