La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/10/2021 | CJUE | N°C-431/20

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Carlo Tognoli e.a. contre Parlement européen., 06/10/2021, C-431/20


 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

6 octobre 2021 ( *1 )

« Pourvoi – Droit institutionnel – Statut unique du député européen – Députés européens élus dans des circonscriptions italiennes – Modification des droits à pension – Acte faisant grief – Position provisoire – Effets juridiques autonomes »

Dans l’affaire C‑431/20 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 12 septembre 2020,

Carlo Tognoli, demeurant à Milan (Itali

e),

Emma Allione, demeurant à Milan,

Luigi Alberto Colajanni, demeurant à Palerme (Italie),

Claudio Martelli,...

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

6 octobre 2021 ( *1 )

« Pourvoi – Droit institutionnel – Statut unique du député européen – Députés européens élus dans des circonscriptions italiennes – Modification des droits à pension – Acte faisant grief – Position provisoire – Effets juridiques autonomes »

Dans l’affaire C‑431/20 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 12 septembre 2020,

Carlo Tognoli, demeurant à Milan (Italie),

Emma Allione, demeurant à Milan,

Luigi Alberto Colajanni, demeurant à Palerme (Italie),

Claudio Martelli, demeurant à Rome (Italie),

Luciana Sbarbati, demeurant à Chiaravalle (Italie),

Carla Dimatore, en qualité d’héritière de Mario Rigo, demeurant à Noale (Italie),

Roberto Speciale, demeurant à Bogliasco (Italie),

Loris Torbesi, en qualité d’héritière d’Eugenio Melandri, demeurant à Rome,

Luciano Pettinari, demeurant à Rome,

Pietro Di Prima, demeurant à Palerme,

Carla Barbarella, demeurant à Magione (Italie),

Carlo Alberto Graziani, demeurant à Fiesole (Italie),

Giorgio Rossetti, demeurant à Trieste (Italie),

Giacomo Porrazzini, demeurant à Terni (Italie),

Guido Podestà, demeurant à Vila Real de Santo António (Portugal),

Roberto Barzanti, demeurant à Sienne (Italie),

Rita Medici, demeurant à Bologne (Italie),

représentés par Me M. Merola, avvocato,

Aldo Arroni, demeurant à Milan,

Franco Malerba, demeurant à Issy-les-Moulineaux (France),

Roberto Mezzaroma, demeurant à Rome,

représentés par Mes M. Merola et L. Florio, avvocati,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant :

Parlement européen, représenté par Mmes S. Alves et S. Seyr, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, M. L. Bay Larsen (rapporteur), Mme C. Toader, MM. M. Safjan et N. Jääskinen, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 juillet 2021,

rend le présent

Arrêt

1 Par leur pourvoi, M. Carlo Tognoli e.a. demandent l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 3 juillet 2020, Tognoli e.a./Parlement (T‑395/19, T‑396/19, T‑405/19, T‑408/19, T‑419/19, T‑423/19, T‑424/19, T‑428/19, T‑433/19, T‑437/19, T‑443/19, T‑455/19, T‑458/19 à T‑462/19, T‑464/19, T‑469/19 et T‑477/19, non publiée, ci-après l’ ordonnance attaquée , EU:T:2020:302), par laquelle celui-ci a rejeté comme étant manifestement irrecevables leur recours tendant à l’annulation des
notes du 11 avril 2019 établies par le chef de l’unité « Rémunération et droits sociaux des députés » de la direction générale des finances du Parlement européen et concernant l’adaptation du montant des pensions dont ils bénéficient à la suite de l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2019, de la décision no 14/2018 de l’Ufficio di Presidenza della Camera dei deputati (office de la présidence de la Chambre des députés, Italie) (ci-après les « notes litigieuses »).

Les antécédents du litige

2 Les requérants sont soit d’anciens membres du Parlement européen, élus en Italie, soit des conjoints survivants d’anciens membres de cette institution. Chacun d’eux bénéficie, à ce titre, d’une pension de retraite ou d’une pension de survie.

3 Le 12 juillet 2018, l’office de la présidence de la Chambre des députés a décidé de recalculer, selon le système de la contribution, le montant des pensions des anciens membres de cette chambre relatives aux années de mandat accomplies jusqu’au 31 décembre 2011 (ci-après la « décision no 14/2018 »).

4 Par l’ajout d’un commentaire sur les bulletins de pension des requérants du mois de janvier 2019, le Parlement les a avertis du fait que le montant de leurs pensions pourrait être révisé, en exécution de la décision no 14/2018, et que ce nouveau calcul pourrait éventuellement donner lieu à un recouvrement des sommes indûment versées.

5 Par une note non datée du chef de l’unité « Rémunération et droits sociaux des députés » de la direction générale des finances du Parlement, annexée aux bulletins de pension des requérants du mois de février 2019, le Parlement les a informés, tout d’abord, que son service juridique avait confirmé l’applicabilité automatique de la décision no 14/2018 à leur situation. Cette note précisait, ensuite, que, dès que le Parlement aurait reçu les informations nécessaires de la Camera dei deputati (Chambre
des députés, Italie), il notifierait aux requérants la nouvelle fixation de leurs droits à pension et procéderait au recouvrement de l’éventuel trop-perçu sur les douze prochains mois. Enfin, cette note informait les requérants que la fixation définitive de leurs droits à pension serait arrêtée par un acte formel contre lequel il serait possible d’introduire une réclamation ou un recours en annulation sur le fondement de l’article 263 TFUE.

6 Par la suite, par les notes litigieuses, ce chef d’unité a communiqué aux requérants que le montant de leurs pensions serait adapté à concurrence de la réduction du montant des pensions analogues versées en Italie aux anciens députés nationaux en application de la décision no 14/2018. Ces notes précisaient également que le montant des pensions des requérants serait adapté à partir du mois d’avril 2019 en application des projets de fixation des nouveaux droits à pension transmis en annexe desdites
notes. Par ailleurs, les mêmes notes accordaient aux requérants un délai de 30 jours, courant dès la réception de celles-ci, pour faire valoir leurs observations. À défaut d’un dépôt de telles observations dans le délai imparti, les notes litigieuses seraient considérées comme produisant des effets définitifs qui impliqueraient, notamment, la répétition des montants indûment perçus pour les mois de janvier à mars 2019.

7 Par des courriers électroniques envoyés entre le 13 mai et le 4 juin 2019, les requérants ont transmis leurs observations au service compétent du Parlement. Par des courriers électroniques envoyés entre le 22 mai et le 24 juin 2019, le Parlement a accusé réception de ces observations et a indiqué aux requérants qu’une réponse leur serait donnée après examen de leurs arguments.

8 Postérieurement à l’introduction du recours devant le Tribunal, par des courriers du 20 juin (affaire T‑396/19), du 8 juillet (affaires T‑405/19, T‑408/19, T‑443/19 et T‑464/19), du 15 juillet (affaires T‑419/19, T‑433/19, T‑455/19, T‑458/19 à T‑462/19, T‑469/19 et T‑477/19) et du 23 juillet 2019 (affaires T‑395/19, T‑423/19, T‑424/19 et T‑428/19), le chef de l’unité « Rémunération et droits sociaux des députés » de la direction générale des finances du Parlement a indiqué que les observations
transmises par les requérants ne contenaient pas d’éléments de nature à justifier une révision de la position du Parlement, telle qu’exprimée dans les notes litigieuses, et que, par conséquent, les droits à pension ainsi que le plan de recouvrement de l’indu, tels que recalculés et communiqués en annexe de ces notes, étaient devenus définitifs.

9 En raison des spécificités de la situation de M. Eugenio Melandri, lequel avait sollicité l’application d’une dérogation fondée sur le niveau de ses revenus, le Parlement n’avait pas statué définitivement sur sa situation à la date de l’ordonnance attaquée.

Les recours devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

10 Par requêtes déposées au greffe du Tribunal entre le 28 juin et le 8 juillet 2019, les requérants ont introduit des recours tendant à l’annulation des notes litigieuses.

11 Les 16, 19 et 24 septembre 2019, le Parlement a, par actes séparés, excipé de l’irrecevabilité de ces recours.

12 Entre le 19 septembre et le 4 octobre 2019, les requérants, à l’exception de Mme Emma Allione et de M. Melandri, ont déposé des mémoires en adaptation de leurs requêtes respectives.

13 Le 15 janvier 2020, le Tribunal a décidé de joindre l’examen des recours en annulation introduits respectivement par les requérants.

14 Par l’ordonnance attaquée, adoptée en application de l’article 126 du règlement de procédure du Tribunal, celui-ci a rejeté les recours introduits par les requérants comme étant manifestement irrecevables.

15 Le Tribunal a, tout d’abord, estimé, au point 57 de l’ordonnance attaquée, que les notes litigieuses ne constituaient pas des actes faisant grief et, partant, n’étaient pas susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 263 TFUE. En conséquence, il a, au point 63 de l’ordonnance attaquée, écarté comme étant manifestement irrecevable le chef des conclusions des requérants tendant à l’annulation de ces notes.

16 Afin de justifier cette appréciation, il a, en premier lieu, précisé, aux points 51 à 53 de l’ordonnance attaquée, que la circonstance que le nouveau mode de calcul des pensions était applicable depuis le mois d’avril 2019 ne suffisait pas à établir que le Parlement avait pris une position définitive à ce sujet. D’une part, les notes litigieuses se présentaient explicitement comme des projets. D’autre part, elles précisaient qu’elles ne deviendraient définitives qu’en l’absence d’observations
formulées par leurs destinataires dans un délai de 30 jours à compter de leur réception. Or, les requérants avaient présenté de telles observations dans ce délai.

17 Le Tribunal a, en deuxième lieu, considéré, aux points 56 et 60 de l’ordonnance attaquée, que les courriers ultérieurs du Parlement, visés au point 8 du présent arrêt, constituaient des prises de position définitives de cette institution à l’égard des requérants et ne pouvaient pas être analysés comme des actes purement confirmatifs des notes litigieuses.

18 Il a, en troisième lieu, jugé, aux points 61 et 62 de l’ordonnance attaquée, que la circonstance que les notes litigieuses ne précisaient pas le délai dans lequel le Parlement répondrait aux observations des requérants était dénuée de pertinence, tout comme les griefs tirés d’un défaut de motivation et d’une violation du principe de proportionnalité.

19 Ensuite, aux points 66 et 67 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a écarté le chef de conclusions des requérants tendant à l’annulation des décisions exprimées dans les courriers visés au point 8 du présent arrêt. À cet égard, il a considéré que les mémoires en adaptation déposés par les requérants étaient manifestement irrecevables, au motif qu’une partie ne peut adapter les conclusions et les moyens de son recours initial que lorsque ce dernier était lui-même recevable à la date de son
introduction.

20 Enfin, au point 74 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a rejeté le chef de conclusions des requérants tendant à faire condamner le Parlement à payer les sommes qu’il a indûment retenues, en tant que ce chef de conclusions était manifestement irrecevable.

Les conclusions des parties

21 Par leur pourvoi, les requérants demandent à la Cour :

– d’annuler l’ordonnance attaquée ;

– de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

– de condamner le Parlement aux dépens afférents au pourvoi ainsi que de réserver les dépens de la procédure devant le Tribunal.

22 Le Parlement demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner les requérants aux dépens afférents au pourvoi.

Sur le pourvoi

Argumentation des parties

23 Les requérants invoquent trois moyens au soutien de leur pourvoi, tirés, respectivement, d’une erreur de droit commise par le Tribunal quant à l’appréciation du caractère attaquable des notes litigieuses, d’une erreur dans l’interprétation de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal ainsi que de la violation du principe du contradictoire et d’une erreur dans l’interprétation de l’article 126 de ce règlement de procédure. Les deuxième et troisième moyens sont présentés à titre
subsidiaire.

24 Compte tenu de l’argumentation qu’ils développent au soutien de leurs moyens, les requérants doivent être regardés comme demandant l’annulation de l’ordonnance attaquée en tant que, par cette dernière, le Tribunal a rejeté leurs conclusions tendant à l’annulation des notes litigieuses ainsi que des décisions exprimées dans les courriers visés au point 8 du présent arrêt.

25 Par leur premier moyen, les requérants font valoir que les notes litigieuses constituent des actes attaquables.

26 Selon les requérants, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le critère essentiel pour déterminer si un acte est attaquable tient dans ses effets juridiques et non dans son caractère définitif. Des actes de nature provisoire auraient ainsi été considérés comme étant attaquables parce qu’ils produisaient de tels effets.

27 Les requérants soutiennent, à cet égard, que les notes litigieuses ont produit leurs effets dès le mois d’avril 2019. En outre, ces notes porteraient un très grave préjudice aux requérants, qui ne pourrait pas être intégralement réparé a posteriori. De surcroît, la nature provisoire de ces notes ne serait pas fondée sur une base juridique identifiée.

28 Les requérants font également valoir, à titre surabondant, qu’aucun élément clair ne leur permettait de conclure que les notes litigieuses seraient suivies de décisions qui ne seraient pas purement confirmatives. Ils considèrent que le caractère confirmatif de celles-ci ressort d’ailleurs des réponses du Parlement aux observations qu’ils ont présentées, le Parlement s’étant déclaré incompétent pour connaître des arguments présentés dans ces observations.

29 Selon les requérants, il est également illogique de considérer que la nature des notes litigieuses peut varier selon que des observations sont présentées ou non. En effet, dans le premier cas, la présentation d’observations aurait pour seul effet de modifier la date à laquelle l’acte devient définitif, mais cet acte demeurerait identique. Dans le second cas, l’acte en cause deviendrait un acte définitif sans qu’aucun élément supplémentaire soit nécessaire.

30 Le Parlement soutient que la réduction du montant des pensions des requérants revêtait un caractère provisoire et qu’elle aurait pu être révisée sur la base des observations présentées par ces derniers, sans que l’absence de base juridique revête de pertinence à cet égard. Ce caractère provisoire ressortirait clairement du libellé des notes litigieuses et de la faculté dont auraient disposé les requérants de présenter des observations avant que ces notes ne deviennent définitives, faculté dont
les requérants auraient justement fait usage. La position définitive du Parlement n’aurait été arrêtée qu’ultérieurement.

31 Les requérants feraient une lecture partielle de la jurisprudence de la Cour, dont il résulterait que le critère décisif pour qualifier une décision intermédiaire d’acte attaquable serait le fait que le recours exercé contre la décision finale ne soit pas de nature à assurer une protection juridictionnelle suffisante. Or, en l’espèce, l’exercice d’un recours contre la décision finalement arrêtée par le Parlement aurait été de nature à garantir une telle protection.

32 Par ailleurs, les décisions finales arrêtées par le Parlement ne seraient pas purement confirmatives, dès lors qu’elles reposeraient sur une analyse des arguments soulevés par les requérants dans leurs observations. L’absence d’indication d’un délai de réponse aux observations dans les notes litigieuses serait, dans ce contexte, indifférente.

Appréciation de la Cour

33 Ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 49 de l’ordonnance attaquée, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que sont considérées comme des « actes attaquables », au sens de l’article 263 TFUE, toutes dispositions adoptées par les institutions, quelle qu’en soit la forme, qui visent à produire des effets de droit obligatoires (arrêts du 20 février 2018, Belgique/Commission, C‑16/16 P, EU:C:2018:79, point 31, et du 9 juillet 2020, République tchèque/Commission, C‑575/18 P,
EU:C:2020:530, point 46 ainsi que jurisprudence citée).

34 Pour déterminer si l’acte attaqué produit de tels effets, il y a lieu de s’attacher à la substance de cet acte et d’apprécier ces effets à l’aune de critères objectifs, tels que le contenu dudit acte, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce dernier ainsi que des pouvoirs de l’institution qui en est l’auteur (arrêts du 20 février 2018, Belgique/Commission, C‑16/16 P, EU:C:2018:79, point 32, et du 9 juillet 2020, République tchèque/Commission, C‑575/18 P, EU:C:2020:530,
point 47 ainsi que jurisprudence citée).

35 Il y a également lieu de rappeler que, comme l’a souligné en substance le Tribunal au point 50 de l’ordonnance attaquée, des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer, dans le cadre d’une procédure comprenant plusieurs phases, la décision finale ne constituent pas, en principe, des actes qui peuvent faire l’objet d’un recours en annulation (voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement, C‑650/18, EU:C:2021:426, point 43 et jurisprudence citée).

36 De tels actes intermédiaires sont d’abord des actes qui expriment une opinion provisoire de l’institution concernée (arrêt du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement, C‑650/18, EU:C:2021:426, point 44 et jurisprudence citée).

37 Or, le Tribunal a constaté, aux points 51 à 55 de l’ordonnance attaquée, que les notes litigieuses ne fixaient pas la position définitive du Parlement, la position adoptée dans ces notes pouvant être modifiée pour tenir compte des éléments contenus dans les observations des requérants.

38 À cet égard, l’argument avancé par les requérants, selon lequel les notes litigieuses étaient dépourvues de caractère provisoire au motif que le Parlement a finalement considéré qu’il n’était pas compétent pour connaître des arguments présentés dans ces observations, ne saurait prospérer.

39 D’une part, en considérant qu’il ne lui appartenait pas de statuer sur la légalité de la décision no 14/2018, le Parlement s’est prononcé sur la pertinence des observations présentées par les requérants et a donc réévalué ses décisions initiales à la lumière de ces observations.

40 D’autre part, la qualification d’acte préparatoire des notes litigieuses ne saurait, en tout état de cause, dépendre de la motivation de décisions adoptées ultérieurement par le Parlement.

41 Cependant, le constat qu’un acte d’une institution constitue une mesure intermédiaire qui n’exprime pas la position finale d’une institution ne saurait suffire à établir, de manière systématique, que cet acte ne constitue pas un « acte attaquable » au sens de l’article 263 TFUE.

42 Il ressort ainsi de la jurisprudence de la Cour qu’un acte intermédiaire qui produit des effets juridiques autonomes est susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation en ce qu’il ne peut être remédié à l’illégalité attachée à cet acte à l’occasion d’un recours dirigé contre la décision finale dont il constitue une étape d’élaboration (arrêt du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement, C‑650/18, EU:C:2021:426, point 46 et jurisprudence citée).

43 Partant, lorsque la contestation de la légalité d’un acte intermédiaire dans le cadre d’un tel recours n’est pas de nature à assurer une protection juridictionnelle effective au requérant contre les effets de cet acte, celui-ci doit pouvoir faire l’objet d’un recours en annulation, sur le fondement de l’article 263 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 9 octobre 2001, Italie/Commission, C‑400/99, EU:C:2001:528, point 63 ; du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission,
C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU:C:2011:656, point 56, ainsi que du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement, C‑650/18, EU:C:2021:426, point 48).

44 En l’espèce, il importe de souligner que, comme l’a constaté le Tribunal au point 51 de l’ordonnance attaquée et comme le font valoir les requérants dans leur pourvoi, les notes litigieuses entraînaient une réduction immédiate du montant des pensions des requérants, à compter du mois d’avril 2019, l’application de cette réduction n’étant pas suspendue dans l’attente de l’issue de la procédure menée par le Parlement.

45 Il s’ensuit que les notes litigieuses produisaient, en tant que telles, des effets juridiques autonomes sur la situation patrimoniale des requérants.

46 De tels effets ne sauraient être assimilés aux effets procéduraux des actes exprimant une position provisoire de la Commission européenne ou aux effets de tels actes qui ont été reconnus comme ne portant pas atteinte aux intérêts des personnes concernées, que la Cour a considérés comme étant insusceptibles d’entraîner la recevabilité d’un recours en annulation introduit contre de tels actes (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, points 17 et 18).

47 Le fait, relevé par le Tribunal au point 56 de l’ordonnance attaquée, qu’il ressort des notes litigieuses que le Parlement n’aurait procédé à la récupération de sommes perçues pour les mois de janvier à mars 2019 qu’en l’absence d’observations déposées par les requérants dans un délai de 30 jours suivant la réception de ces notes n’est pas de nature à remettre en cause le caractère immédiat des effets juridiques produits par lesdites notes.

48 En outre, bien que les notes litigieuses prévoyaient que le Parlement devait adopter une position finale après la réception des observations émises par les requérants, il est constant que l’adoption d’une telle position n’était assortie d’aucun délai.

49 Les effets juridiques autonomes des notes litigieuses pouvaient, par conséquent, perdurer pendant une période potentiellement longue dont le terme n’est pas a priori défini.

50 Il ressort d’ailleurs de l’ordonnance attaquée et des informations fournies par le Parlement que, pour l’un des requérants, la prise de position définitive de cette institution n’est intervenue que huit mois après qu’il a reçu la note le concernant.

51 Dans ces conditions, dès lors que la réduction durable du montant d’une pension est de nature à avoir des conséquences potentiellement irréversibles sur la situation de la personne concernée, les requérants devaient disposer de la faculté d’exercer un recours effectif contre les notes litigieuses et de faire ainsi obstacle à la réduction de leur pension (voir, par analogie, arrêts du 30 juin 1992, Italie/Commission, C‑47/91, EU:C:1992:284, point 28, et du 9 octobre 2001, Italie/Commission,
C‑400/99, EU:C:2001:528, point 63).

52 Il en découle que l’exercice d’un recours en annulation contre les décisions finales que le Parlement devait adopter après la réception des observations des requérants n’était pas de nature à leur assurer une protection juridictionnelle effective.

53 La faculté dont disposeraient les personnes concernées, en l’absence de réponse du Parlement aux observations qu’elles ont présentées, d’introduire un recours en carence contre celui-ci n’est pas non plus de nature à leur garantir une protection juridictionnelle effective.

54 Certes, le Parlement est tenu de répondre à de telles observations dans un délai raisonnable (voir, en ce sens, arrêt du 28 février 2013, Réexamen Arango Jaramillo e.a./BEI, C‑334/12 RX‑II, EU:C:2013:134, point 28) et les personnes concernées disposent, par conséquent, du droit d’introduire un recours en carence si cette institution ne se conforme pas à cette obligation.

55 En outre, la Cour a déjà jugé que la possibilité d’introduire un tel recours en carence pouvait suffire à exclure la perpétuation d’un état d’inaction de la Commission à la suite de l’adoption d’une mesure intermédiaire adoptée par cette institution (voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 1997, Guérin automobiles/Commission, C‑282/95 P, EU:C:1997:159, point 38).

56 Toutefois, ces considérations ne sauraient être déterminantes en l’espèce dès lors que, d’une part, un recours en carence introduit contre le Parlement ne serait pas de nature à remettre en cause les effets juridiques autonomes des notes litigieuses et, d’autre part, les délais nécessaires pour permettre l’examen d’un tel recours puis, le cas échéant, d’un recours en annulation seraient excessifs dans un contexte où ces notes entraînent immédiatement une réduction du montant des pensions versées
à des personnes physiques.

57 Au vu de ces éléments, le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 57 de l’ordonnance attaquée, que la nature provisoire des notes litigieuses permettait de considérer que celles-ci ne constituaient pas des actes faisant grief et, partant, qu’elles étaient insusceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation sur le fondement de l’article 263 TFUE.

58 Il y a lieu, par conséquent, d’accueillir le premier moyen et d’annuler l’ordonnance attaquée en tant qu’elle a rejeté le chef de conclusions des requérants tendant à l’annulation des notes litigieuses.

59 Il s’ensuit également que l’ordonnance attaquée doit être annulée en tant qu’elle a rejeté le chef de conclusions des requérants tendant à l’annulation des décisions exprimées dans les courriers visés au point 8 du présent arrêt, dès lors que le rejet de ce chef de conclusions est exclusivement fondé sur l’irrecevabilité du chef de conclusions des requérants tendant à l’annulation des notes litigieuses.

60 Dans ces conditions, il n’est pas nécessaire d’examiner les deuxième et troisième moyens, en tant que ceux-ci ne sont, en tout état de cause, pas de nature à entraîner une annulation plus étendue de l’ordonnance attaquée.

Sur les recours devant le Tribunal

61 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque la Cour annule la décision du Tribunal, elle peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

62 En premier lieu, dès lors que le Parlement a uniquement soutenu, par ses exceptions d’irrecevabilité soulevées devant le Tribunal, que les recours en annulation introduits par les requérants étaient irrecevables au motif que les notes litigieuses constituaient des actes préparatoires, il convient, pour les motifs énoncés aux points 41 à 57 du présent arrêt, d’écarter ces exceptions d’irrecevabilité.

63 En second lieu, les appréciations du Tribunal ayant exclusivement porté sur la recevabilité des recours et celui-ci ayant rejeté ces recours comme étant manifestement irrecevables sans ouvrir la procédure orale la Cour ne dispose pas des éléments nécessaires pour statuer définitivement sur lesdits recours.

64 Par conséquent, il y a lieu de renvoyer les affaires devant le Tribunal pour qu’il statue sur les conclusions des requérants tendant à l’annulation des notes litigieuses et des décisions exprimées dans les courriers visés au point 8 du présent arrêt.

Sur les dépens

65 Les affaires étant renvoyées devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

  1) L’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 3 juillet 2020, Tognoli e.a./Parlement (T‑395/19, T‑396/19, T‑405/19, T‑408/19, T‑419/19, T‑423/19, T‑424/19, T‑428/19, T‑433/19, T‑437/19, T‑443/19, T‑455/19, T‑458/19 à T‑462/19, T‑464/19, T‑469/19 et T‑477/19, non publiée, EU:T:2020:302), est annulée en tant qu’elle a rejeté les conclusions présentées par M. Carlo Tognoli e.a. tendant à l’annulation des notes du 11 avril 2019 établies par le chef de l’unité « Rémunération et droits sociaux
des députés » de la direction générale des finances du Parlement européen et concernant l’adaptation du montant des pensions dont ils bénéficient à la suite de l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2019, de la décision no 14/2018 de l’Ufficio di Presidenza della Camera dei deputati (office de la présidence de la Chambre des députés, Italie) et des décisions du Parlement européen exprimées dans les courriers du 20 juin (affaire T‑396/19), du 8 juillet (affaires T‑405/19, T‑408/19, T‑443/19 et
T‑464/19), du 15 juillet (affaires T‑419/19, T‑433/19, T‑455/19, T‑458/19 à T‑462/19, T‑469/19 et T‑477/19) et du 23 juillet 2019 (affaires T‑395/19, T‑423/19, T‑424/19 et T‑428/19).

  2) Les exceptions d’irrecevabilité soulevées par le Parlement européen devant le Tribunal de l’Union européenne sont rejetées.

  3) Les affaires sont renvoyées devant le Tribunal de l’Union européenne pour qu’il statue sur les conclusions présentées par M. Carlo Tognoli e.a. tendant à l’annulation de ces notes et de ces décisions.

  4) Les dépens sont réservés.

  Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure : l’italien.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-431/20
Date de la décision : 06/10/2021
Type d'affaire : Pourvoi - fondé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Droit institutionnel – Statut unique du député européen – Députés européens élus dans des circonscriptions italiennes – Modification des droits à pension – Acte faisant grief – Position provisoire – Effets juridiques autonomes.

Dispositions institutionnelles


Parties
Demandeurs : Carlo Tognoli e.a.
Défendeurs : Parlement européen.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Bay Larsen

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2021:807

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award