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20/05/2021 | CJUE | N°C-879/19

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, FORMAT Urządzenia i Montaże Przemysłowe contre Zakład Ubezpieczeń Społecznych I Oddział w Warszawie., 20/05/2021, C-879/19


 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

20 mai 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale – Détermination de la législation applicable – Règlement (CEE) no 1408/71 – Article 13, paragraphe 2, sous a) – Article 14, paragraphe 2 – Personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou de plusieurs États membres – Contrat de travail unique – Employeur établi dans l’État membre de résidence du travailleur – Activité salariée exercée exclusivement dans d’autres États membres – Travai

l effectué dans différents États membres
pendant des périodes successives – Conditions »

Dans l’affaire C‑879/19,

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 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

20 mai 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale – Détermination de la législation applicable – Règlement (CEE) no 1408/71 – Article 13, paragraphe 2, sous a) – Article 14, paragraphe 2 – Personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou de plusieurs États membres – Contrat de travail unique – Employeur établi dans l’État membre de résidence du travailleur – Activité salariée exercée exclusivement dans d’autres États membres – Travail effectué dans différents États membres
pendant des périodes successives – Conditions »

Dans l’affaire C‑879/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne), par décision du 19 septembre 2019, parvenue à la Cour le 2 décembre 2019, dans la procédure

FORMAT Urządzenia i Montaże Przemysłowe

contre

Zakład Ubezpieczeń Społecznych I Oddział w Warszawie,

en présence de :

UA,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Wahl, président de chambre, M. F. Biltgen (rapporteur) et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour FORMAT Urządzenia i Montaże Przemysłowe, par Me W. Barański, adwokat,

– pour le Zakład Ubezpieczeń Społecznych I Oddział w Warszawie, par M. M. Drewnowski, radca prawny,

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement belge, par Mme L. Van den Broeck et M. S. Baeyens, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par M. D. Martin et Mme A. Szmytkowska, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), tel que modifié par
le règlement (CE) no 1606/98 du Conseil, du 29 juin 1998 (JO 1998, L 209, p. 1) (ci-après le « règlement no 1408/71 »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la société FORMAT Urządzenia i Montaże Przemysłowe (ci-après « Format ») au Zakład Ubezpieczeń Społecznych I Oddział w Warszawie (Institut des assurances sociales, 1re division de Varsovie, Pologne) au sujet de la détermination de la législation applicable à UA, salarié de Format (ci-après l’« intéressé »), en matière de sécurité sociale.

Le cadre juridique

3 Selon le sixième considérant du règlement no 1408/71, les règles de coordination doivent assurer aux travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de l’Union, ainsi qu’à leurs ayants droit et à leurs survivants, le maintien des droits et des avantages acquis et en cours d’acquisition.

4 Il ressort du huitième considérant de ce règlement que les dispositions de celui-ci visent à ce que les intéressés soient, en principe, soumis au régime de la sécurité sociale d’un seul État membre, et ce afin d’éviter les cumuls de législations applicables et les complications qui peuvent en résulter.

5 L’article 1er, sous h), dudit règlement prévoit que, aux fins de l’application de ce règlement, le terme « résidence » signifie le séjour habituel.

6 Sous le titre II de ce même règlement, intitulé « Détermination de la législation applicable », l’article 13, intitulé « Règles générales », dispose :

« 1.   Sous réserve des articles 14 quater et 14 septies, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre.

2.   Sous réserve des articles 14 à 17 :

a) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de cet État membre, même si elle réside sur le territoire d’un autre État membre ou si l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d’un autre État membre ;

[...] »

7 Sous ce même titre, l’article 14 du règlement no 1408/71, intitulé « Règles particulières applicables aux personnes autres que les gens de mer, exerçant une activité salariée », prévoit :

« La règle énoncée à l’article 13, paragraphe 2, point a), est appliquée compte tenu des exceptions et particularités suivantes :

1) a) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre au service d’une entreprise dont elle relève normalement et qui est détachée par cette entreprise sur le territoire d’un autre État membre afin d’y effectuer un travail pour le compte de celle-ci, demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas douze mois et qu’elle ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne parvenue au terme de
la période de son détachement :

[...]

2) la personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres est soumise à la législation déterminée comme suit :

a) la personne qui fait partie du personnel roulant ou navigant d’une entreprise effectuant, pour le compte d’autrui ou pour son propre compte, des transports internationaux de passagers ou de marchandises par voies ferroviaire, routière, aérienne ou batelière et ayant son siège sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de ce dernier État. [...]

[...]

b) la personne autre que celle visée au point a) est soumise :

i) à la législation de l’État membre sur le territoire duquel elle réside, si elle exerce une partie de son activité sur ce territoire ou si elle relève de plusieurs entreprises ou de plusieurs employeurs ayant leur siège ou leur domicile sur le territoire de différents États membres ;

ii) à la législation de l’État membre sur le territoire duquel l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile, si elle ne réside pas sur le territoire de l’un des États membres où elle exerce son activité ;

[...] »

8 En vertu de l’article 12 bis du règlement (CEE) no 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement no 1408/71 (JO 1972, L 74, p. 1), dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005 (JO 2005, L 117, p. 1), les autorités de l’État membre compétent, au sens du règlement no 1408/71, sont
tenues de remettre à la personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou de plusieurs États membres, au sens de l’article 14, paragraphe 2, sous b), de ce dernier règlement, un certificat attestant que cette personne est soumise à la législation dudit État membre compétent.

9 Ce certificat, dont le modèle figure dans la décision no 202 de la Commission administrative des Communautés européennes pour la sécurité sociale des travailleurs migrants, du 17 mars 2005, concernant les modèles de formulaires nécessaires à l’application des règlements no 1408/71 et no 574/72 du Conseil (E 001, E 101, E 102, E 103, E 104, E 106, E 107, E 108, E 109, E 112, E 115, E 116, E 117, E 118, E 120, E 121, E 123, E 124, E 125, E 126 et E 127) (JO 2006, L 77, p. 1), est communément dénommé
« formulaire E 101 » ou « certificat E 101 ».

Le litige au principal et la question préjudicielle

10 L’intéressé, ressortissant polonais résidant en Pologne, a travaillé pour Format, dont le siège est situé en Pologne, dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée pour la période allant du 20 octobre 2006 au 31 décembre 2009. Durant cette période, il a travaillé en France à partir du 23 octobre 2006, au Royaume-Uni du 5 novembre 2007 au 6 janvier 2008, puis de nouveau en France à compter du 7 janvier 2008.

11 Par décision du 13 février 2008, fondée sur l’article 14, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, sous b), du règlement no 1408/71, l’Institut des assurances sociales, 1re division de Varsovie, a refusé de délivrer à l’intéressé un certificat E 101 attestant que, du 23 décembre 2007 au 31 décembre 2009, ce dernier relevait du régime de sécurité sociale polonais au titre du travail qu’il avait effectué pour le compte de Format.

12 Format et l’intéressé ont introduit un recours contre cette décision devant le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne), qui a été rejeté. Cette juridiction a considéré que, dans la mesure où l’intéressé avait travaillé pour le compte de Format pendant plusieurs mois sur le territoire de deux États membres, de manière successive, il relevait non pas du champ d’application de l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1408/71, mais de celui de l’article 13,
paragraphe 2, sous a), de ce règlement.

13 Format a interjeté appel de la décision de ladite juridiction devant le Sad Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie, Pologne), lequel a été rejeté par décision du 23 janvier 2018.

14 Cette juridiction a relevé qu’il ressort de l’arrêt du 4 octobre 2012, Format Urządzenia i Montaże Przemysłowe (C‑115/11, EU:C:2012:606), que la notion de « personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres », au sens de l’article 14, paragraphe 2, sous b), ii), du règlement no 1408/71, ne couvre pas les situations dans lesquelles la réalisation d’une activité salariée sur le territoire d’un seul État membre constitue la situation
habituelle de la personne concernée. Ladite juridiction a considéré que, compte tenu du fait que le travail que l’intéressé a effectué dans chaque État membre a duré plusieurs mois, de la nature de son travail, à savoir des travaux de construction, ainsi que du profil d’activité de Format, à savoir la réalisation de travaux de construction dans plusieurs États membres, l’intéressé exerçait, en réalité, un travail habituel sur le territoire d’un seul État membre et relevait donc du champ
d’application de l’article 13, paragraphe 2, sous a), de ce règlement.

15 Format a introduit un pourvoi en cassation contre cette décision devant la juridiction de renvoi.

16 Cette juridiction considère que l’arrêt du 4 octobre 2012, Format Urządzenia i Montaże Przemysłowe (C‑115/11, EU:C:2012:606), qui concernait une affaire au principal impliquant également Format et visant des faits qui s’étaient déroulés durant la période en cause au principal, ne dissipe pas les doutes relatifs à l’interprétation de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 soulevés par la présente affaire. En effet, par cet arrêt, la Cour aurait, certes, dit pour droit que cette
disposition devait être interprétée en ce sens qu’une personne qui, dans le cadre de contrats de travail successifs précisant comme lieu de travail le territoire de plusieurs États membres, n’exerce, dans les faits, pendant la durée de chacun de ces contrats, son activité salariée que sur le territoire d’un seul de ces États à la fois, ne relève pas de la notion de « personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres », au sens de ladite
disposition. Toutefois, les faits en cause dans l’affaire au principal ayant donné lieu à cet arrêt, à savoir que l’intéressé avait, sur la base de contrats de travail successifs, travaillé dans plusieurs États membres et avait exercé, pendant la durée de chacun de ces contrats, son activité salariée exclusivement sur le territoire d’un de ces États membres, se distingueraient de ceux en cause dans la présente affaire au principal dans la mesure où l’intéressé a, en vertu d’un seul contrat de
travail, effectué une activité salariée, au cours de deux périodes qui se succédaient directement, sur le territoire de deux États membres différents.

17 En outre, il ressortirait de l’arrêt du 12 juillet 1973, Hakenberg (13/73, EU:C:1973:92, point 19), que la notion de « personne qui exerce normalement une activité salariée », au sens de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, vise les personnes qui se trouvent dans une relation de travail cohérente et continue qui couvre en même temps ou dans le cadre de périodes successives le territoire de plusieurs États membres, mais ne vise pas les personnes qui, au cours de la période en
cause, exercent effectivement en vertu d’un contrat de travail, un emploi dans un seul État membre et effectuent, au cours de l’année suivante, un travail dans un autre État membre en vertu d’un autre contrat de travail.

18 La juridiction de renvoi, qui indique avoir interprété différemment cette notion dans deux affaires dont elle a été saisie, estime qu’il est nécessaire d’interroger la Cour afin de dissiper les doutes existants à cet égard.

19 Dans ces conditions, le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La notion de personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres, utilisée à l’article 14, paragraphe 2, première phrase du règlement [no 1408/71], doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle vise la personne qui, dans le cadre d’un seul et même contrat de travail conclu avec un seul et même employeur, effectue, au cours de la période couverte par ce contrat, un travail sur le territoire de chacun d’au moins deux États membres, non pas de
manière concomitante ou parallèlement, mais au cours de périodes de plusieurs mois qui se succèdent directement ? »

Sur la question préjudicielle

20 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à une personne qui, dans le cadre d’un seul contrat de travail conclu avec un seul employeur prévoyant l’exercice d’une activité professionnelle dans plusieurs États membres, travaille, durant plusieurs mois successifs, uniquement sur le territoire de chacun de ces États membres.

21 À cet égard, il importe de rappeler que, pour relever de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71, une personne doit exercer normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou de plusieurs États membres (arrêt du 4 octobre 2012, Format Urządzenia i Montaże Przemysłowe, C‑115/11, EU:C:2012:606, point 39).

22 Selon la jurisprudence de la Cour, pour apprécier si une personne doit être considérée comme exerçant normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou de plusieurs États membres, ou, au contraire, s’il s’agit d’activités réparties sur le territoire de plusieurs États membres de façon simplement ponctuelle, il y a lieu d’avoir égard, en particulier, à la durée des périodes d’activité et à la nature du travail salarié telles que définies dans les documents contractuels, ainsi que, le
cas échéant, à la réalité des activités exercées, à savoir, notamment, la manière dont les contrats de travail conclus entre l’employeur et le travailleur concernés ont été exécutés en pratique dans le passé, les circonstances entourant la conclusion de ces contrats et, plus généralement, les caractéristiques et les modalités des activités exercées par l’entreprise concernée (arrêt du 13 septembre 2017, X, C‑570/15, EU:C:2017:674, point 21 et jurisprudence citée).

23 En l’occurrence, la décision de renvoi ne précise pas quelles sont les indications figurant dans le contrat de travail conclu entre l’intéressé et Format, s’agissant notamment des lieux d’exécution du travail effectué par l’intéressé et la durée de ce travail.

24 Toutefois, il apparaît, à la lecture du dossier soumis à la Cour que, dans le cadre du contrat de travail conclu entre Format et l’intéressé, pour la période allant du 20 octobre 2006 au 31 décembre 2009, l’intéressé aurait travaillé en France à partir du 23 octobre 2006, puis au Royaume–Uni du 5 novembre 2007 au 6 janvier 2008, et de nouveau en France à compter du 7 janvier 2008.

25 Si tel est effectivement le cas, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, il y aurait lieu de considérer que l’intéressé a exercé son activité salariée de manière successive dans deux États membres mais que les durées de travail ininterrompues effectuées dans le premier État membre étaient, respectivement, d’environ treize mois et de presque deux années, avec une période intermédiaire d’environ deux mois exercée dans le second État membre. Ainsi, il conviendrait de retenir que,
dans le cadre de son contrat de travail conclu pour la période allant du 20 octobre 2006 au 31 décembre 2009, l’intéressé a effectué la quasi‑totalité de son activité salariée sur le territoire d’un seul État membre.

26 Certes, en ce qui concerne les éventuelles périodes successives d’activité exercées sur le territoire de plus d’un État membre, l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 n’établit pas de limites temporelles.

27 Toutefois, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, si l’exercice d’une activité salariée sur le territoire d’un seul État membre constitue le régime normal de la personne concernée, celle-ci ne peut relever du champ d’application de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2012, Format Urządzenia i Montaże Przemysłowe, C‑115/11, EU:C:2012:606, point 40).

28 Dès lors, il ne saurait être admis qu’une personne qui exerce une activité salariée dans des conditions telles que celles en cause au principal, décrites aux points 24 et 25 du présent arrêt, relève de la notion de « personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres », au sens de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71.

29 En effet, une telle interprétation aurait pour effet d’étendre le champ d’application de cette disposition à des situations dans lesquelles, en réalité, la durée pendant laquelle la personne concernée exerce son activité salariée sur le territoire d’un seul État membre est si longue que cette activité devrait être considérée comme le régime d’activité normal de la personne concernée.

30 Il importe, d’ailleurs, de souligner que les dispositions du titre II du règlement no 1408/71, dont fait partie l’article 14 de ce règlement, constituent, selon une jurisprudence constante, un système complet et uniforme de règles de conflit de lois dont le but est de soumettre les travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de l’Union au régime de la sécurité sociale d’un seul État membre, de sorte que les cumuls de législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter
soient évités (voir, en ce sens, arrêts du 16 février 1995, Calle Grenzshop Andresen, C‑425/93, EU:C:1995:37, point 9 ; du 13 septembre 2017, X, C‑570/15, EU:C:2017:674, point 14, et du 8 mai 2019, Inspecteur van de Belastingdienst, C‑631/17, EU:C:2019:381, point 33).

31 À cette fin, l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1408/71 pose le principe selon lequel un travailleur salarié est soumis, en matière de sécurité sociale, à la législation de l’État membre dans lequel il travaille (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2017, X, C‑570/15, EU:C:2017:674, point 15 et jurisprudence citée).

32 Ce principe est cependant formulé « [s]ous réserve des articles 14 à 17 » du règlement no 1408/71. En effet, dans certaines situations particulières, l’application pure et simple de la règle générale visée à l’article 13, paragraphe 2, sous a), de ce règlement risquerait non pas d’éviter mais, au contraire, de créer, tant pour le travailleur que pour l’employeur et les organismes de sécurité sociale, des complications administratives dont l’effet pourrait être d’entraver l’exercice de la libre
circulation des personnes couvertes par ledit règlement (arrêt du 4 octobre 2012, Format Urządzenia i Montaże Przemysłowe, C‑115/11, EU:C:2012:606, point 31 et jurisprudence citée).

33 Ainsi, le paragraphe 2 de l’article 14 du règlement no 1408/71 constitue, au même titre que le paragraphe 1, sous a), de cet article, une dérogation au principe général prévu à l’article 13, paragraphe 2, sous a), de ce règlement. L’article 14, paragraphe 2, dudit règlement doit donc être interprété de manière stricte (voir, en ce sens, arrêt du 16 janvier 2007, Perez Naranjo, C‑265/05, EU:C:2007:26, point 29).

34 Or, il y a lieu de tenir compte du fait que, aux fins de l’exception prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1408/71, le législateur de l’Union a manifestement considéré que le détachement temporaire et de courte durée d’un travailleur dans un autre État membre pendant une durée maximale de douze mois justifie une exception à la règle de l’État membre du lieu d’exercice de l’activité prévue à l’article 13, paragraphe 2, sous a), de ce règlement (voir, en ce sens, conclusions
de l’avocat général Mazák dans l’affaire Format Urządzenia i Montaże Przemysłowe, C‑115/11, EU:C:2012:267, point 55).

35 Il s’ensuit que, pour assurer une interprétation cohérente des dispositions de l’article 14, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, du règlement no 1408/71, il convient de considérer qu’une personne qui exerce, durant des périodes successives de travail, une activité salariée dans différents États membres doit être considérée comme exerçant normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou de plusieurs États membres, au sens de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71,
pour autant que la durée des périodes ininterrompues de travail effectuée dans chacun de ces États membres n’excède pas douze mois. Seule une telle interprétation est de nature à éviter un contournement du principe prévu à l’article 13, paragraphe 2, sous a), de ce règlement.

36 Force est, dès lors, de constater que l’article 14, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1408/71, sous réserve de vérification par le juge national, n’est pas applicable à une situation telle que celle en cause au principal.

37 Il y a lieu d’ajouter qu’une telle situation ne relève, a priori, pas non plus de l’article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1408/71. En effet, seule une entreprise qui exerce habituellement des activités significatives sur le territoire de l’État membre d’établissement peut bénéficier de l’avantage offert par l’exception prévue à cette disposition (arrêt du 10 février 2000, FTS, C‑202/97, EU:C:2000:75, point 40). Or, en l’occurrence, la décision de renvoi ne précise pas si, pendant la
période allant du 20 octobre 2006 au 31 décembre 2009, Format aurait exercé habituellement des activités significatives en Pologne, qui est l’État membre dans lequel elle est établie. En outre, il découle de l’arrêt du 4 octobre 2012, Format Urządzenia i Montaże Przemysłowe (C‑115/11, EU:C:2012:606, point 32), qui concernait une affaire au principal impliquant également Format et visant des faits qui s’étaient déroulés durant la période en cause au principal, que cette société n’exerce
habituellement pas d’activités significatives en Pologne. Il n’apparaît donc pas, a priori, que cette condition soit remplie en l’occurrence, ce qu’il incombe néanmoins à la juridiction de renvoi de vérifier.

38 En revanche, une telle situation est susceptible de relever du principe énoncé à l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1408/71.

39 Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 1408/71 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas à une personne qui, dans le cadre d’un seul contrat de travail conclu avec un seul employeur prévoyant l’exercice d’une activité professionnelle dans plusieurs États membres, travaille, durant plusieurs mois successifs, uniquement sur le territoire de chacun de ces États membres, lorsque la durée des
périodes ininterrompues de travail effectuées par cette personne dans chacun de ces États membres dépasse douze mois, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur les dépens

40 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

  L’article 14, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) no 1606/98 du Conseil, du 29 juin 1998, doit être interprété en ce sens qu’il ne
s’applique pas à une personne qui, dans le cadre d’un seul contrat de travail conclu avec un seul employeur prévoyant l’exercice d’une activité professionnelle dans plusieurs États membres, travaille, durant plusieurs mois successifs, uniquement sur le territoire de chacun de ces États membres, lorsque la durée des périodes ininterrompues de travail effectuées par cette personne dans chacun de ces États membres dépasse douze mois, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.


Synthèse
Formation : Huitième chambre
Numéro d'arrêt : C-879/19
Date de la décision : 20/05/2021
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Sąd Najwyższy.

Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale – Détermination de la législation applicable – Règlement (CEE) no 1408/71 – Article 13, paragraphe 2, sous a) – Article 14, paragraphe 2 – Personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou de plusieurs États membres – Contrat de travail unique – Employeur établi dans l’État membre de résidence du travailleur – Activité salariée exercée exclusivement dans d’autres États membres – Travail effectué dans différents États membres pendant des périodes successives – Conditions.

Libre circulation des travailleurs

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : FORMAT Urządzenia i Montaże Przemysłowe
Défendeurs : Zakład Ubezpieczeń Społecznych I Oddział w Warszawie.

Composition du Tribunal
Avocat général : Tanchev
Rapporteur ?: Biltgen

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2021:409

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