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10/03/2021 | CJUE | N°C-949/19

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, M.A. contre Konsul Rzeczypospolitej Polskiej w N., 10/03/2021, C-949/19


 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

10 mars 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique des visas – Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 21, paragraphe 2 bis – Charte des droits fondamentaux – Article 47 – Droit à un recours effectif – Refus d’un visa de long séjour par le consul – Obligation pour un État membre de garantir un recours devant un tribunal contre une décision de refus d’un tel visa »

Dans l’affaire C‑949/19,

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ant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjn...

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

10 mars 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique des visas – Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 21, paragraphe 2 bis – Charte des droits fondamentaux – Article 47 – Droit à un recours effectif – Refus d’un visa de long séjour par le consul – Obligation pour un État membre de garantir un recours devant un tribunal contre une décision de refus d’un tel visa »

Dans l’affaire C‑949/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), par décision du 4 novembre 2019, parvenue à la Cour le 31 décembre 2019, dans la procédure

M.A.

contre

Konsul Rzeczypospolitej Polskiej w N.,

LA COUR (première chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteure), vice-présidente de la Cour, M. L. Bay Larsen, Mme C. Toader et M. M. Safjan, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour M.A., par Me B. Grohman, adwokat,

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

– pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil ainsi que par Mme A. Pagáčová, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mmes C. Cattabriga et A. Stobiecka-Kuik ainsi que par M. G. Wils, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 21, paragraphe 2 bis, de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19), signée à Schengen le 19 juin 1990 et entrée en vigueur le 26 mars 1995, telle que modifiée par le
règlement (UE) no 610/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013 (JO 2013, L 182, p. 1) (ci-après la « CAAS »), ainsi que de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M.A. au Konsul Rzeczypospolitej Polskiej w N. (consul de la République de Pologne, ci-après le « consul »), au sujet du refus de ce dernier de délivrer à M.A. un visa national de long séjour.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La CAAS

3 L’article 18 de la CAAS est libellé comme suit :

« 1.   Les visas pour un séjour de plus de 90 jours (ci-après dénommés “visas de long séjour”) sont des visas nationaux délivrés par l’un des États membres selon sa propre législation ou selon la législation de l’Union. Ces visas sont délivrés selon le modèle type de visa instauré par le règlement (CE) no 1683/95 du Conseil [JO 1995, L 164, p. 1], avec spécification du type de visa par inscription de la lettre “D” en en-tête. Ils sont remplis conformément aux dispositions pertinentes de
l’annexe VII du règlement (CE) no 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas (code des visas) [JO 2009, L 243, p. 1].

2.   Les visas de long séjour ont une durée de validité qui n’excède pas un an. Si un État membre autorise un étranger à séjourner plus d’un an, le visa de long séjour est remplacé, avant l’expiration de sa période de validité, par un titre de séjour. »

4 L’article 21 de la CAAS prévoit :

« 1.   Les étrangers titulaires d’un titre de séjour délivré par un des États membres peuvent, sous le couvert de ce titre ainsi que d’un document de voyage, ces documents étant en cours de validité, circuler librement pour une durée n’excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours sur le territoire des autres États membres, pour autant qu’ils remplissent les conditions d’entrée visées à l’article 5, paragraphe 1, points a), c) et e), du règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du
Conseil du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) [JO 2006, L 105, p. 1] et qu’ils ne figurent pas sur la liste de signalement nationale de l’État membre concerné.

[...]

2 bis.   Le droit à la libre circulation prévu au paragraphe 1 s’applique également aux étrangers titulaires d’un visa de long séjour en cours de validité qui a été délivré par l’un des États membres conformément à l’article 18. »

La directive (UE) 2016/801

5 Aux termes de l’article 1er de la directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2016, relative aux conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d’études, de formation, de volontariat et de programmes d’échange d’élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair (JO 2016, L 132, p. 21) :

« La présente directive fixe :

a) les conditions d’entrée et de séjour, pour une durée supérieure à 90 jours, sur le territoire des États membres, et les droits des ressortissants de pays tiers ainsi que, le cas échéant, des membres de leur famille, à des fins de recherche, d’études, de formation ou de volontariat dans le cadre du service volontaire européen et, lorsque les États membres le décident, à des fins de participation à des programmes d’échange d’élèves ou des projets éducatifs, de volontariat en dehors du service
volontaire européen, ou de travail au pair ;

[...] »

6 L’article 2 de cette directive prévoit, à son paragraphe 1 :

« La présente directive s’applique aux ressortissants de pays tiers qui demandent à être admis ou qui ont été admis sur le territoire d’un État membre à des fins de recherche, d’études, de formation ou de volontariat dans le cadre du service volontaire européen. Les États membres peuvent également décider d’appliquer les dispositions de la présente directive aux ressortissants de pays tiers qui demandent à être admis à des fins de participation à un programme d’échange d’élèves ou à un projet
éducatif, de volontariat en dehors du service volontaire européen, ou de travail au pair. »

7 Aux termes de l’article 3 de ladite directive :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

3) “étudiant”, un ressortissant de pays tiers qui a été admis dans un établissement d’enseignement supérieur et est admis sur le territoire d’un État membre pour suivre, à titre d’activité principale, un cycle d’études à plein temps menant à l’obtention d’un titre d’enseignement supérieur reconnu par cet État membre, y compris les diplômes, les certificats ou les doctorats délivrés par un établissement d’enseignement supérieur, qui peut comprendre un programme de préparation à ce type
d’enseignement, conformément au droit national, ou une formation obligatoire ;

[...]

21) “autorisation”, un titre de séjour ou, si le droit national le prévoit, un visa de long séjour, délivré aux fins de la présente directive ;

[...]

23) “visa de long séjour”, une autorisation délivrée par un État membre conformément à l’article 18 de la [CAAS], ou délivrée conformément au droit national des États membres qui n’appliquent pas l’intégralité de l’acquis de Schengen. »

8 L’article 34, paragraphe 5, de la même directive est libellé comme suit :

« Toute décision déclarant irrecevable ou rejetant une demande ou toute décision de refus de renouvellement ou de retrait d’une autorisation est susceptible d’un recours dans l’État membre concerné, conformément au droit national. La notification écrite indique la juridiction ou l’autorité administrative auprès de laquelle le recours peut être introduit, ainsi que le délai dans lequel il doit être formé. »

Le code des visas

9 L’article 32, paragraphe 3, du règlement no 810/2009, tel que modifié par le règlement no 610/2013 (ci-après le « code des visas »), dispose :

« Les demandeurs qui ont fait l’objet d’une décision de refus de visa peuvent former un recours contre cette décision. Ces recours sont intentés contre l’État membre qui a pris la décision finale sur la demande, conformément à la législation nationale de cet État membre. Les États membres fournissent aux demandeurs les informations relatives aux voies de recours, comme indiqué à l’annexe VI. »

Le droit polonais

10 L’article 75 de l’ustawa o cudzoziemcach (loi sur les étrangers), du 12 décembre 2013 (Dz. U. de 2018, position 2094), telle que modifiée (ci-après la « loi sur les étrangers »), dispose :

« 1.   Le visa national est refusé par voie de décision.

2.   La décision de refus de délivrance d’un visa national prend la forme d’un formulaire. »

11 L’article 76, paragraphe 1, de la loi sur les étrangers énonce :

« Une décision de refus de délivrance d’un visa Schengen ou d’un visa national ouvre droit :

1) à une demande de réexamen par le consul si elle a été prise par cette autorité ;

[...] »

12 L’article 5 de l’ustawa Prawo o postępowaniu przed sądami administracyjnymi (loi relative au code de procédure devant les juridictions administratives), du 30 août 2002 (Dz. U. de 2018, position 1302), telle que modifiée (ci-après le « code de procédure devant les juridictions administratives »), dans la version applicable au litige au principal, prévoit :

« Les tribunaux administratifs n’ont pas compétence pour les affaires relatives :

[...]

4) aux visas délivrés par les consuls, à l’exception de ceux :

a) visés à l’article 2, points 2 à 5, du [code des visas],

b) délivrés aux étrangers membres de la famille d’un citoyen d’un État membre de l’Union, d’un État membre de l’Association européenne de libre-échange étant partie à l’accord sur l’Espace économique européen [(EEE)] ou de la Confédération suisse, au sens de l’article 2, point 4, de la loi sur l’entrée sur le territoire de la République de Pologne, le séjour et la sortie dudit territoire des ressortissants des États membres de l’Union européenne et des membres de leur famille), du 14 juillet
2006 (Dz. U. de 2017, position 900, et de 2018, position 650).

[...] »

13 Aux termes de l’article 58, paragraphe 1, sous 1, du code de procédure devant les juridictions administratives, « [l]e tribunal rejette le recours [...] lorsque l’affaire ne relève pas de la compétence du tribunal administratif [...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

14 Le requérant au principal, ressortissant d’un pays tiers, a déposé auprès du consul une demande de délivrance d’un visa national de long séjour aux fins d’effectuer des études de deuxième cycle en Pologne. Sa demande ayant été rejetée, il a sollicité du consul le réexamen de celle-ci. Ce dernier a réitéré son refus de visa, en raison du défaut de justification de l’objet ou des conditions du séjour envisagé.

15 Le requérant au principal a formé un recours devant le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de voïvodie de Varsovie, Pologne) contre la décision de refus du consul. Afin de démontrer la recevabilité du recours, le requérant au principal s’est fondé sur l’arrêt du 13 décembre 2017, El Hassani (C‑403/16, EU:C:2017:960), et a fait valoir que le dispositif de cet arrêt pouvait être appliqué à l’affaire au principal, en raison de la similitude des circonstances factuelles
et juridiques de cette dernière et de l’affaire ayant donné lieu audit arrêt.

16 Par ordonnance du 12 mars 2019, le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de voïvodie de Varsovie) a rejeté ce recours. Cette juridiction, en se fondant sur l’article 5, point 4, du code de procédure devant les juridictions administratives, a considéré que l’affaire au principal ne relevait pas de la compétence des juridictions administratives. Elle a également considéré que la solution retenue dans l’arrêt du 13 décembre 2017, El Hassani (C‑403/16, EU:C:2017:960),
n’était pas applicable à l’affaire au principal, au motif que le visa en cause dans cet arrêt était un visa de court séjour, à savoir un visa Schengen, alors que, dans l’affaire au principal, le requérant au principal avait demandé un visa national de long séjour, délivré conformément au droit national.

17 Estimant que le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie (tribunal administratif de voïvodie de Varsovie) avait jugé à tort que la décision du consul refusant la délivrance du visa national n’était pas susceptible de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel et que cette juridiction avait, par conséquent, rejeté de manière infondée le recours formé contre ladite décision, le requérant au principal s’est pourvu en cassation devant la juridiction de renvoi, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour
suprême administrative, Pologne).

18 La juridiction de renvoi expose que, à la suite de l’arrêt du 13 décembre 2017, El Hassani (C‑403/16, EU:C:2017:960), l’article 5, point 4, sous a), du code de procédure devant les juridictions administratives a été modifié afin d’instituer un droit de recours juridictionnel contre les décisions portant refus de délivrance d’un visa Schengen. Elle précise que cette modification législative ne s’applique toutefois pas aux décisions de refus de visas nationaux, telles que celle en cause au
principal. Ainsi, conformément au droit national, la décision du consul refusant la délivrance d’un visa national de long séjour à un étranger ne serait pas susceptible de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel.

19 Par conséquent, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si le droit de l’Union exige d’instaurer, pour les visas nationaux de long séjour, le même niveau de protection que celui qui s’applique aux visas Schengen et qui découle de l’arrêt du 13 décembre 2017, El Hassani (C‑403/16, EU:C:2017:960).

20 À cet égard, la juridiction de renvoi relève que l’article 21, paragraphe 2 bis, de la CAAS accorde le droit à la libre circulation aux étrangers titulaires d’un visa national de long séjour. Ainsi, le visa national serait l’un des moyens permettant à un étranger d’exercer le droit à la libre circulation et, en tant que tel, il ne se distinguerait pas fondamentalement de l’exercice de ce droit au titre du visa Schengen accordé au ressortissant d’un pays tiers. Selon la juridiction de renvoi, bien
que les visas nationaux et les visas Schengen présentent des différences quant aux règles, aux exigences ou aux modalités de délivrance qui leur sont applicables, ils concernent tous deux l’exercice par les étrangers d’un même droit tiré du droit de l’Union. L’impossibilité de contester devant un tribunal la décision définitive de refus de délivrance d’un visa national serait donc susceptible de constituer une violation du droit de l’Union, en particulier du droit à un recours juridictionnel
effectif, énoncé à l’article 47, premier alinéa, de la Charte.

21 Dans ces conditions, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Convient-il d’interpréter l’article 21, paragraphe 2 bis, de la [CAAS], lu en combinaison avec l’article 47, premier alinéa, de la [Charte], en ce sens que le droit à un recours juridictionnel effectif doit être garanti au ressortissant d’un pays tiers qui s’est vu refuser la délivrance d’un visa de long séjour et qui ne peut pas exercer le droit de circuler librement sur le territoire des autres États membres prévu à l’article 21, paragraphe 1, de la [CAAS] ? »

Sur la compétence de la Cour

22 Le gouvernement polonais estime que la Cour n’est pas compétente pour répondre à la question préjudicielle au motif que l’affaire au principal ne relèverait pas du champ d’application du droit de l’Union.

23 À cet égard, il résulte de l’article 19, paragraphe 3, sous b), TUE et de l’article 267, premier alinéa, TFUE que la Cour est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité des actes pris par les institutions de l’Union.

24 Or, en l’occurrence, la juridiction de renvoi invite la Cour à interpréter l’article 21, paragraphe 2 bis, de la CAAS, laquelle fait partie intégrante du droit de l’Union en vertu du protocole (no 19) sur l’acquis de Schengen intégré dans le cadre de l’Union européenne, annexé au traité de Lisbonne (JO 2010, C 83, p. 290).

25 Dans ces conditions, la Cour est compétente pour répondre à la question posée.

Sur la question préjudicielle

26 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union, notamment l’article 21, paragraphe 2 bis, de la CAAS, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il impose aux États membres l’obligation de prévoir un recours juridictionnel contre les décisions de refus de visa de long séjour à des fins d’études.

27 L’article 21, paragraphe 2 bis, de la CAAS prévoit le droit à la libre circulation, dans les conditions visées au paragraphe 1 de cet article, des étrangers titulaires d’un visa de long séjour en cours de validité qui a été délivré par l’un des États membres conformément à l’article 18 de la même convention.

28 Il ressort ainsi du libellé même de l’article 21, paragraphe 2 bis, de la CAAS que cette disposition porte exclusivement sur les droits de circulation conférés aux ressortissants d’États tiers, titulaires d’un visa de long séjour.

29 Ainsi, ladite disposition n’accorde aux ressortissants d’États tiers s’étant vu refuser un tel visa aucun droit ou aucune liberté qui relèverait du principe de la protection juridictionnelle effective, consacré à l’article 47 de la Charte. Par voie de conséquence, l’article 21, paragraphe 2 bis, de la CAAS n’impose aux États membres aucune obligation en ce sens à l’égard de ces ressortissants.

30 Dès lors, la situation en cause au principal, en ce qu’elle porte sur une décision de refus de visa de long séjour opposée à un ressortissant d’un État tiers, plus particulièrement sur les voies de recours ouvertes contre une telle décision, ne relève pas du champ d’application de l’article 21, paragraphe 2 bis, de la CAAS.

31 Toutefois, il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que le fait que la juridiction de renvoi a formulé une question préjudicielle en se référant à certaines dispositions seulement du droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou non dans l’énoncé de sa question. Il appartient, à cet égard, à la
Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (voir notamment, en ce sens, arrêt du 9 avril 2014, Ville d’Ottignies-Louvain-la-Neuve e.a., C‑225/13, EU:C:2014:245, point 30).

32 Dans ces conditions, il convient de vérifier si l’obligation de prévoir un recours juridictionnel contre les décisions de refus de délivrance d’un visa de long séjour à des fins d’études, tel que celui en cause au principal, peut résulter d’une disposition du droit de l’Union autre que l’article 21, paragraphe 2 bis, de la CAAS.

33 À cet égard, il importe de rappeler que, ainsi que cela ressort de l’article 18, paragraphe 1, de la CAAS, les visas de long séjour sont des visas nationaux délivrés par les États membres selon leur propre législation ou selon la législation de l’Union.

34 S’agissant des visas de long séjour délivrés par les États membres selon leur propre législation, le législateur de l’Union n’ayant, sur le fondement de l’article 79, paragraphe 2, sous a), TFUE, adopté aucun acte régissant les procédures et les conditions de délivrance de tels visas, ces conditions et ces procédures, y compris les procédures de recours contre les décisions refusant une telle délivrance, relèvent exclusivement du droit national (voir, en ce sens, s’agissant des visas de long
séjour pour des raisons humanitaires, arrêt du 7 mars 2017, X et X, C‑638/16 PPU, EU:C:2017:173, point 44).

35 Les demandes de tels visas de long séjour n’étant ainsi pas régies par le droit de l’Union, les dispositions de la Charte, en particulier, celles de l’article 47, ne sont pas applicables au refus opposé à ces demandes (voir, en ce sens, s’agissant des visas de long séjour pour des raisons humanitaires, arrêt du 7 mars 2017, X et X, C‑638/16 PPU, EU:C:2017:173, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

36 En effet, le champ d’application de la Charte, pour ce qui est de l’action des États membres, est défini à l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, aux termes duquel les dispositions de la Charte s’adressent aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, cette disposition confirmant la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit
de l’Union, mais pas en dehors de celles-ci [arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 78 ainsi que jurisprudence citée].

37 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que le requérant au principal a demandé au consul la délivrance d’un visa de long séjour afin d’effectuer des études de deuxième cycle en Pologne.

38 À cet égard, il convient de tenir compte du fait que, d’une part, la directive 2016/801 fixe notamment, comme le prévoit l’article 1er, sous a), de celle-ci, les conditions d’entrée et de séjour, pour une durée supérieure à 90 jours, des ressortissants de pays tiers à des fins d’études, et que, d’autre part, il découle de l’article 3, points 21 et 23, de cette directive que l’autorisation octroyée aux fins de cette directive peut être délivrée par les États membres sous la forme d’un titre de
séjour ou, si le droit national le prévoit, sous la forme d’un visa de long séjour.

39 Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si la demande de visa en cause au principal relève du champ d’application de cette directive.

40 Dans l’affirmative, il importe de relever que, en vertu de l’article 34, paragraphe 5, de la directive 2016/801, les décisions de refus de visa relevant de cette directive sont susceptibles d’un recours dans l’État membre concerné, conformément au droit national.

41 Il en ressort que, en cas de décision de refus de visa relevant de la directive 2016/801, l’article 34, paragraphe 5, de cette dernière confère expressément aux demandeurs d’un tel visa la possibilité de former un recours conformément à la législation nationale de l’État membre qui a pris cette décision.

42 Ainsi, à l’instar des visas Schengen, le législateur de l’Union a laissé aux États membres le soin de décider de la nature et des modalités concrètes des voies de recours dont disposent les demandeurs de visas de long séjour relevant de la directive 2016/801.

43 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, en l’absence de règles de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits des justiciables, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit
interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (arrêt du 13 décembre 2017, El Hassani, C‑403/16, EU:C:2017:960, point 26 et jurisprudence citée).

44 Par ailleurs, conformément à la jurisprudence rappelée au point 36 du présent arrêt, les caractéristiques de la procédure de recours visée à l’article 34, paragraphe 5, de la directive 2016/801 doivent être déterminées en conformité avec l’article 47 de la Charte.

45 Or, cette disposition de la Charte impose aux États membres l’obligation de garantir, à un certain stade de ladite procédure, un recours devant une juridiction (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2017, El Hassani, C‑403/16, EU:C:2017:960, point 41).

46 Par conséquent, en ce qui concerne les décisions de refus d’un visa à des fins d’études relevant de la directive 2016/801, le droit de l’Union, notamment l’article 34, paragraphe 5, de cette directive, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, impose aux États membres l’obligation de prévoir une procédure de recours contre de telles décisions, dont les modalités relèvent de l’ordre juridique de chaque État membre dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité, cette procédure
devant garantir, à un certain stade, un recours juridictionnel (voir, par analogie, arrêt du 13 décembre 2017, El Hassani, C‑403/16, EU:C:2017:960, point 42).

47 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi que l’article 21, paragraphe 2 bis, de la CAAS doit être interprété en ce sens qu’il ne trouve pas à s’appliquer au ressortissant d’un État tiers qui s’est vu refuser un visa de long séjour.

48 Le droit de l’Union, notamment l’article 34, paragraphe 5, de la directive 2016/801, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il impose aux États membres l’obligation de prévoir une procédure de recours contre les décisions de refus de visa à des fins d’études, au sens de cette directive, dont les modalités relèvent de l’ordre juridique de chaque État membre dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité, cette procédure devant garantir, à un
certain stade, un recours juridictionnel. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si la demande de visa national de long séjour à des fins d’études en cause au principal relève du champ d’application de cette directive.

Sur les dépens

49 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

  1) L’article 21, paragraphe 2 bis, de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990 et entrée en vigueur le 26 mars 1995, telle que modifiée par le règlement (UE) no 610/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, doit
être interprété en ce sens qu’il ne trouve pas à s’appliquer au ressortissant d’un État tiers qui s’est vu refuser un visa de long séjour.

  2) Le droit de l’Union, notamment l’article 34, paragraphe 5, de la directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2016, relative aux conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d’études, de formation, de volontariat et de programmes d’échange d’élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair, lu à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il
impose aux États membres l’obligation de prévoir une procédure de recours contre les décisions de refus de visa à des fins d’études, au sens de cette directive, dont les modalités relèvent de l’ordre juridique de chaque État membre dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité, cette procédure devant garantir, à un certain stade, un recours juridictionnel. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si la demande de visa national de long séjour à des fins d’études en
cause au principal relève du champ d’application de cette directive.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le polonais.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-949/19
Date de la décision : 10/03/2021
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Naczelny Sąd Administracyjny.

Renvoi préjudiciel – Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique des visas – Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 21, paragraphe 2 bis – Charte des droits fondamentaux – Article 47 – Droit à un recours effectif – Refus d’un visa de long séjour par le consul – Obligation pour un État membre de garantir un recours devant un tribunal contre une décision de refus d’un tel visa.

Rapprochement des législations

Droits fondamentaux

Charte des droits fondamentaux

Santé publique

Coopération judiciaire en matière pénale

Principes, objectifs et mission des traités

Politique d'immigration et d'asile

Espace de liberté, de sécurité et de justice


Parties
Demandeurs : M.A.
Défendeurs : Konsul Rzeczypospolitej Polskiej w N.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Silva de Lapuerta

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2021:186

Source

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