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14/10/2020 | CJUE | N°C-629/19

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Sappi Austria Produktions-GmbH & Co KG et Wasserverband « Region Gratkorn-Gratwein » contre Landeshauptmann von Steiermark., 14/10/2020, C-629/19


 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

14 octobre 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Déchets – Directive 2008/98/CE – Article 2, paragraphe 2, sous a), article 3, point 1, et article 6, paragraphe 1 – Eaux usées – Boues d’épuration – Champ d’application – Notion de “déchet” – Cessation du statut de déchet – Opération de valorisation ou de recyclage »

Dans l’affaire C‑629/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduit

e par le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie, Autriche), par décision du 14 août 2019, parvenue à la...

 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

14 octobre 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Déchets – Directive 2008/98/CE – Article 2, paragraphe 2, sous a), article 3, point 1, et article 6, paragraphe 1 – Eaux usées – Boues d’épuration – Champ d’application – Notion de “déchet” – Cessation du statut de déchet – Opération de valorisation ou de recyclage »

Dans l’affaire C‑629/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie, Autriche), par décision du 14 août 2019, parvenue à la Cour le 23 août 2019, dans la procédure

Sappi Austria Produktions-GmbH & Co. KG,

Wasserverband « Region Gratkorn-Gratwein »

contre

Landeshauptmann von Steiermark,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, vice‑présidente de la Cour, faisant fonction de juge de la deuxième chambre, MM. A. Kumin, T. von Danwitz et P. G. Xuereb, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Sappi Austria Produktions-GmbH & Co. KG et le Wasserverband « Region Gratkorn-Gratwein », par Mes P. Schaden et W. Thurner, Rechtsanwälte,

– pour le gouvernement autrichien, par Mme J. Schmoll, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par MM. F. Thiran et M. Noll‑Ehlers, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de l’article 3, point 1, de l’article 5, paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative aux déchets et abrogeant certaines directives (JO 2008, L 312, p. 3).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Sappi Austria Produktions-GmbH & Co. KG (ci-après « Sappi ») et le Wasserverband « Region Gratkorn-Gratwein » (groupement des eaux pour la région du Gratkorn-Gratwein, Autriche) (ci-après le « Wasserverband ») au Landeshauptmann von Steiermark (chef du gouvernement régional de Styrie, Autriche, ci-après l’« administration régionale ») au sujet d’une décision de cette dernière constatant que les modifications concernant l’installation
industrielle de Sappi et celle du Wasserverband, situées au même endroit, doivent être soumises à une obligation d’autorisation préalable.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 La directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO 1975, L 194, p. 39), telle que modifiée par la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991 (JO 1991, L 78, p. 32) (ci‑après la « directive 75/442 »), avait pour objectif essentiel la protection de la santé de l’homme et de l’environnement contre les effets préjudiciables causés par le ramassage, le transport, le traitement, le stockage et le dépôt des déchets.

4 La directive 75/442 a été codifiée par la directive 2006/12/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2006, relative aux déchets (JO 2006, L 114, p. 9), laquelle a, par la suite, été abrogée et remplacée par la directive 2008/98. Les articles 4, 8 et 9 de la directive 75/442 ont été repris, en substance, à l’article 13, à l’article 36, paragraphe 1, ainsi qu’aux articles15 et 23 de la directive 2008/98.

5 Le chapitre I de la directive 2008/98, intitulé « Objet, champ d’application et définitions », comprend les articles 1er à 7 de celle-ci.

6 L’article 1er de cette directive est ainsi libellé :

« La présente directive établit des mesures visant à protéger l’environnement et la santé humaine par la prévention ou la réduction des effets nocifs de la production et de la gestion des déchets, et par une réduction des incidences globales de l’utilisation des ressources et une amélioration de l’efficacité de cette utilisation. »

7 L’article 2, paragraphe 2, sous a), de ladite directive dispose :

« Sont exclus du champ d’application de la présente directive, dans la mesure où ils sont déjà couverts par d’autres dispositions communautaires :

a) les eaux usées ;

[...] »

8 L’article 3 de la même directive, intitulé « Définitions », prévoit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1) “déchets” : toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ;

[...]

15) “valorisation” : toute opération dont le résultat principal est que des déchets servent à des fins utiles en remplaçant d’autres matières qui auraient été utilisées à une fin particulière, ou que des déchets soient préparés pour être utilisés à cette fin, dans l’usine ou dans l’ensemble de l’économie. L’annexe II énumère une liste non exhaustive d’opérations de valorisation ;

[...] »

9 L’article 5 de la directive 2008/98, intitulé « Sous-produits », énonce :

1.   Une substance ou un objet issu d’un processus de production dont le but premier n’est pas la production dudit bien ne peut être considéré comme un sous-produit et non comme un déchet au sens de l’article 3, point 1, que si les conditions suivantes sont remplies :

a) l’utilisation ultérieure de la substance ou de l’objet est certaine ;

b) la substance ou l’objet peut être utilisé directement sans traitement supplémentaire autre que les pratiques industrielles courantes ;

c) la substance ou l’objet est produit en faisant partie intégrante d’un processus de production ; et

d) l’utilisation ultérieure est légale, c’est-à-dire que la substance ou l’objet répond à toutes les prescriptions pertinentes relatives au produit, à l’environnement et à la protection de la santé prévues pour l’utilisation spécifique et n’aura pas d’incidences globales nocives pour l’environnement ou la santé humaine.

[...] »

10 Aux termes de l’article 6 de cette directive, intitulé « Fin de statut de déchet » :

« 1.   Certains déchets cessent d’être des déchets au sens de l’article 3, point 1, lorsqu’ils ont subi une opération de valorisation ou de recyclage et répondent à des critères spécifiques à définir dans le respect des conditions suivantes :

a) la substance ou l’objet est couramment utilisé à des fins spécifiques ;

b) il existe un marché ou une demande pour une telle substance ou un tel objet ;

c) la substance ou l’objet remplit les exigences techniques aux fins spécifiques et respecte la législation et les normes applicables aux produits ; et

d) l’utilisation de la substance ou de l’objet n’aura pas d’effets globaux nocifs pour l’environnement ou la santé humaine.

Les critères comprennent des valeurs limites pour les polluants, si nécessaire, et tiennent compte de tout effet environnemental préjudiciable éventuel de la substance ou de l’objet.

[...] »

Le droit autrichien

11 Les dispositions pertinentes de l’Abfallwirtschaftsgesetz de 2002 (loi fédérale de 2002 sur la gestion des déchets, ci-après l’« AWG 2002 ») transposant la directive 2008/98 sont ainsi libellées :

« Définitions

Article 2 (1) Aux fins de la présente loi fédérale, on entend par déchets des biens meubles,

1. dont le détenteur s’est défait ou a l’intention de se défaire, ou

2. dont la collecte, le stockage, le transport et le traitement en tant que déchets sont nécessaires afin de ne pas porter atteinte aux intérêts publics (article 1er, paragraphe 3).

[...]

(3a) Une substance ou un objet qui est le fruit d’un processus de fabrication dont le but premier n’est pas la production de cette substance ou de cet objet ne peut être considéré comme sous-produit et non comme déchet que lorsque les conditions suivantes sont réunies :

1. il est certain que la substance ou l’objet sera réutilisé ;

2. la substance ou l’objet peut être directement utilisé sans autre transformation allant au-delà des pratiques industrielles courantes ;

3. la substance ou l’objet est produit en tant que partie intégrante d’un processus de fabrication et

4. la réutilisation est légale, c’est à dire que la substance ou l’objet peut en particulier être utilisé en toute sécurité pour l’objectif envisagé, l’utilisation ne porte pas atteinte à des biens protégés (voir article 1er, paragraphe 3) et toutes les réglementations pertinentes sont respectées.

[...]

Exclusions du champ d’application

Article 3 (1) Ne sont pas des déchets au sens de la présente loi fédérale

1. les eaux usées y compris les autres eaux qui sont énumérées à l’article 1er, paragraphe 1, points 1 à 4 et 6, et paragraphe 2, de la Verordnung über die allgemeine Begrenzung von Abwasseremissionen in Fließgewässer und öffentliche Kanalisationen (règlement sur la limitation générale du déversement d’eaux usées dans les cours d’eau et les canalisations publiques, BGBl. 186/1996).

[...]

Fin du statut de déchet

Article 5(1) Sauf disposition contraire dans un règlement visé au paragraphe 2 ou dans un règlement visé à l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/98/CE sur les déchets, les substances existantes sont réputées être des déchets jusqu’à ce qu’elles-mêmes ou des substances qui en sont directement tirées soient utilisées comme substitut à des matières premières ou à des produits obtenus à partir de matières premières primaires. En cas de préparation en vue du réemploi au sens de l’article 2,
paragraphe 5, point 6, la fin du statut de déchet intervient à la fin de cette opération de valorisation.

[...]

Décisions de constatation

Article 6 [...]

(6)   Sur demande d’un promoteur ou de l’Umweltanwalt ou d’office, le Landeshauptmann [chef du gouvernement régional] doit constater dans les trois mois si

1. une installation est soumise à l’obligation d’obtenir une autorisation conformément à l’article 37, paragraphe 1 ou 3, ou conformément à l’article 52, ou bien s’il existe une exception en vertu de l’article 37, paragraphe 2,

[...]

3. la modification d’une installation de traitement est soumise à l’obligation d’obtenir une autorisation conformément à l’article 37, paragraphe 1 ou 3, ou si elle soumise à déclaration obligatoire en vertu de l’article 37, paragraphe 4. [...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

12 Sappi exploite, à Gratkorn (Autriche), une grande installation industrielle de production de papier et de cellulose. Sur ce site, se trouve également une station d’épuration, exploitée en commun par Sappi et le Wasserverband, qui traite les eaux usées issues de la production de papier et de cellulose ainsi que des eaux urbaines résiduaires. Lors du traitement de ces eaux usées, imposé par le droit national, les boues d’épuration en cause au principal sont produites. Ces boues sont donc
constituées à la fois de substances issues des eaux usées industrielles et de substances issues des eaux urbaines résiduaires. Les boues d’épuration qui se sont ainsi formées dans la station d’épuration sont ensuite incinérées dans une chaudière de Sappi et dans un incinérateur de déchets résiduels exploité par le Wasserverband, et la vapeur récupérée aux fins de la valorisation énergétique alimente la production du papier et de la cellulose.

13 L’administration régionale a constaté, après une procédure d’enquête approfondie au titre de l’article 6, paragraphe 6, de l’AWG 2002, que les modifications apportées à la chaudière de Sappi et à l’incinérateur de déchets résiduels, propriété du Wasserverband, également situé à Gratkorn, étaient soumises à une obligation d’obtenir une autorisation.

14 Ladite administration a considéré que, certes, les boues d’épuration destinées à l’incinération provenaient, pour leur plus grande part, à savoir environ 97 %, d’un processus de production de papier et que, pour cette part, il pourrait être admis qu’elles ont le statut de « sous-produit », au sens de l’article 2, paragraphe 3a, de l’AWG 2002. Toutefois, tel ne serait pas le cas pour la part des boues d’épuration produites au cours du traitement des eaux urbaines résiduaires. Ces boues d’épuration
demeureraient des déchets.

15 Dans la mesure où, selon la jurisprudence du Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche), il n’y a pas de seuil de minimis pour la qualification d’une substance de « déchet », il y aurait lieu de partir du principe selon lequel l’ensemble des boues d’épuration incinérées dans les installations industrielles de Sappi et du Wasserverband doivent être qualifiées de « déchet », au sens de l’article 2, paragraphe 1, de l’AWG 2002. Sappi et le Wasserverband ont introduit un recours contre
cette décision devant la juridiction de renvoi.

16 Par un arrêt du 19 décembre 2016, cette juridiction a accueilli le recours de Sappi et du Wasserverband. Saisi d’un pourvoi en Revision contre cet arrêt, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a annulé celui-ci par un arrêt du 27 février 2019 et a renvoyé l’affaire devant la juridiction de renvoi.

17 Le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) relève que l’article 2, paragraphe 3a, de l’AWG 2002 fixe, en conformité avec l’article 5 de la directive 2008/98, les conditions à remplir pour qu’une substance ou un objet qui est, certes, le résultat d’un processus de fabrication, mais n’en est pas l’objectif principal, puisse être qualifié de « sous-produit » et non de « déchet ». Il découle de cette disposition qu’il doit s’agir d’une substance ou d’un objet produit au cours d’un processus de
production.

18 La juridiction de renvoi se demande si, comme l’a considéré le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative), les boues d’épuration résultant du traitement commun des eaux usées d’origine industrielle et communale constituent un « déchet », au sens du droit de l’Union. Cette juridiction souligne que, si l’épuration des eaux usées ne s’inscrivait pas dans un processus de production, l’une des conditions déterminantes de l’existence d’un sous-produit ne serait pas respectée.

19 La juridiction de renvoi relève, néanmoins, que l’ajout des boues d’épuration à l’aide d’un système fermé automatisé se fait au sein de l’entreprise, que l’utilisation des boues d’épuration est intégrale et que ce procédé ne fait naître aucun danger pour l’environnement et la santé humaine. Cette démarche poursuivrait, en outre, l’objectif de prévenir la production de déchets et de remplacer l’utilisation de matières fossiles.

20 Dans ces conditions, le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie, Autriche) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les boues d’épuration doivent-elles être considérées comme des déchets, eu égard à l’exception de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/98, lue en combinaison avec la directive 91/271/CEE du Conseil, du 21 mai 1991, relative au traitement des eaux urbaines résiduaires (JO 1991, L 135, p. 40), et/ou la directive sur les boues d’épuration dans la version du règlement (CE) no 1137/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, [portant adaptation à la décision
1999/468/CE du Conseil de certains actes soumis à la procédure visée à l’article 251 du traité, en ce qui concerne la procédure de réglementation avec contrôle – Adaptation à la procédure de réglementation avec contrôle – première partie (JO 2008, L 311, p. 1)] ?

2) Dans l’hypothèse où il ne serait pas déjà répondu par la négative à la première question :

L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98 [...] permet-il de qualifier une substance de “sous-produit”, au sens de la notion de “déchet” en droit de l’Union si, pour des raisons techniques, sont ajoutées à cette substance dans une proportion réduite d’autres substances qui, sinon, devraient être considérées comme des déchets, lorsque cela n’a pas d’incidence sur la composition de la substance dans son ensemble et présente un avantage significatif pour l’environnement ? »

Sur la recevabilité des questions préjudicielles

21 Dans ses observations écrites, le gouvernement autrichien fait valoir que la demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable.

22 Premièrement, il ne serait pas nécessaire de répondre à la première question. L’objet de la procédure au principal serait de savoir si les boues d’épuration sont des « déchets », au sens de l’article 3, point 1, de la directive 2008/98, le cas échéant lu en combinaison avec les articles 5 et 6 de cette directive. Or, la première question porte sur l’article 2, paragraphe 2, sous a), de ladite directive. Les boues d’épuration n’étant pas un élément constitutif des eaux usées, cette disposition
n’aurait manifestement aucun rapport avec l’objet de la procédure au principal et la question serait donc hypothétique.

23 Deuxièmement, les raisons pour lesquelles la juridiction de renvoi nourrit des doutes sur l’interprétation de cette disposition ne ressortiraient pas de l’exposé des motifs. Cette juridiction s’interrogerait seulement sur la conformité de l’article 2, paragraphes 1 et 3a, de l’AWG 2002 avec le droit de l’Union et de l’interprétation qui en a été faite. Or, ces dispositions transposeraient non pas l’article 2, paragraphe 2, sous a), mais l’article 3, point 1, et l’article 5 de la directive
2008/98.

24 Elle demanderait, en réalité, une interprétation non pas de l’article 6, mais de l’article 5 de la directive 2008/98. Or, la réunion des critères pour qu’une substance soit qualifiée de « sous-produit » aurait pour effet qu’il n’existe pas de déchet. Enfin, elle n’exprimerait pas ses doutes en ce qui concerne l’interprétation de l’article 6 de cette directive, mais se contenterait de critiquer, d’une manière générale, l’absence de « promotion de la hiérarchie des déchets » dans l’affaire au
principal et ne soulèverait pas de questions de droit de l’Union n’ayant pas encore été résolues.

25 À cet égard, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’article 267 TFUE confère aux juridictions nationales la faculté la plus étendue de saisir la Cour si elles considèrent qu’une affaire pendante devant elles soulève des questions comportant, notamment, une interprétation des dispositions du droit de l’Union nécessaires au règlement du litige qui leur est soumis et sont libres d’exercer cette faculté à tout moment de la procédure qu’elles jugent approprié
(arrêt du 26 juin 2019, Addiko Bank, C‑407/18, EU:C:2019:537, point 35 et jurisprudence citée).

26 De même, la Cour a itérativement rappelé que les questions adressées par les juridictions nationales portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur de telles questions n’est donc possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose
pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêts du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 27, ainsi que du 26 juin 2019, Addiko Bank, C‑407/18, EU:C:2019:537, point 36).

27 Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

28 D’une part, il convient de constater que la substance en cause au principal est constituée de boues d’épuration provenant du traitement des eaux usées de la station d’épuration exploitée par Sappi et le Wasserverband. Or, dans certaines circonstances, l’article 2 de la directive 2008/98 exclut les eaux usées du champ d’application de cette directive. Partant, la circonstance que la juridiction de renvoi interroge la Cour sur l’interprétation de cet article n’apparaît pas sans rapport avec l’objet
du litige au principal.

29 D’autre part, les questions posées ont trait à la qualification de telles boues de « déchet » ou de « sous-produit », ce qui emporte des conséquences juridiques précises et est clairement lié au litige au principal. Or, par sa seconde question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si toutes les conditions figurant à l’article 5, paragraphe 1, ou à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98 sont remplies. Cette juridiction a, à cette fin, exposé suffisamment d’éléments
de droit et de fait pour permettre à la Cour de répondre à cette question de manière utile.

30 Il s’ensuit que la présente demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur les questions préjudicielles

31 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 2, sous a), l’article 3, point 1, l’article 5, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98 doivent être interprétés en ce sens que les boues d’épuration produites lors du traitement commun, dans une station d’épuration, d’eaux usées d’origine industrielle et résidentielle ou communale, incinérées dans un incinérateur de déchets résiduels aux
fins d’une valorisation énergétique par production de vapeur, doivent être qualifiées de « déchets ».

32 Il convient, en premier lieu, d’examiner si les substances en cause au principal relèvent du champ d’application de la directive 2008/98.

33 L’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/98 exclut de son champ d’application les eaux usées, à l’exception des déchets liquides, à la condition, toutefois, que ces eaux usées soient couvertes par « d’autres dispositions [du droit de l’Union] ».

34 Le législateur de l’Union a ainsi entendu expressément qualifier les eaux usées de « déchets », au sens de cette directive, tout en prévoyant que ces déchets puissent, sous certaines conditions, sortir de son champ d’application et relever d’une autre législation (voir, par analogie, en ce qui concerne l’article 2, paragraphe 1, de la directive 75/442, arrêt du 10 mai 2007, Thames Water Utilities, C‑252/05, EU:C:2007:276, point 26).

35 Pour pouvoir être considérées comme « d’autres dispositions [du droit de l’Union] », au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/98, les règles en cause ne doivent pas se limiter à porter sur une substance particulière, mais doivent contenir des dispositions précises organisant leur gestion en tant que « déchets », au sens de l’article 3, point 1, de la directive 2008/98. À défaut, la gestion des déchets en cause ne serait organisée ni dans le cadre de cette directive, ni
dans celui d’une autre directive, ni dans celui d’une législation nationale, ce qui serait contraire tant au libellé de l’article 2, paragraphe 2, de ladite directive qu’au but même de la législation de l’Union en matière de déchets (voir par analogie, en ce qui concerne l’article 2, paragraphe 1, de la directive 75/442, arrêt du 10 mai 2007, Thames Water Utilities, C‑252/05, EU:C:2007:276, point 33 et jurisprudence citée).

36 Il en résulte que, pour pouvoir être regardées comme constituant « d’autres dispositions [du droit de l’Union]», au sens de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2008/98, les règles de l’Union en cause doivent contenir des dispositions précises organisant la gestion des déchets et assurer un niveau de protection au moins équivalent à celui qui découle de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 10 mai 2007, Thames Water Utilities, C‑252/05, EU:C:2007:276, point 34 et jurisprudence citée).

37 Or, la directive 91/271 n’assure pas un tel niveau de protection. Si elle régit la collecte, le traitement et le rejet des eaux usées, elle ne contient pas de dispositions précises concernant la gestion des boues d’épuration. Elle ne peut, dès lors, être considérée comme portant sur la gestion de ces dernières et assurant un niveau de protection au moins équivalent à celui qui découle de la directive 2008/98 (voir, par analogie, arrêt du 10 mai 2007, Thames Water Utilities, C‑252/05,
EU:C:2007:276, point 35).

38 S’agissant de la directive 86/278/CEE du Conseil, du 12 juin 1986, relative à la protection de l’environnement et notamment des sols, lors de l’utilisation des boues d’épuration en agriculture (JO 1986, L 181, p. 6), évoquée tant par la juridiction de renvoi que par les parties au principal, ainsi qu’il ressort de son titre même comme de son article 1er, elle régit uniquement l’utilisation des boues d’épuration en agriculture. Cette directive n’est donc pas pertinente aux fins de la qualification
des boues d’épuration incinérées dans un incinérateur de déchets résiduels aux fins d’une valorisation énergétique par production de vapeur, sans rapport avec les activités agricoles.

39 Dès lors, il y a lieu de constater que ces eaux usées ne sont pas exclues du champ d’application de la directive 2008/98. Il en va de même des boues d’épuration en cause au principal, produites lors du traitement desdites eaux usées, les boues d’épuration ne figurant pas parmi les substances et les objets pouvant être exclus, en vertu de l’article 2, paragraphe 2, de cette directive, du champ d’application de celle-ci.

40 En deuxième lieu, il convient de déterminer si les boues d’épuration en cause au principal constituent un « déchet », au sens de l’article 3, point 1, de la directive 2008/98.

41 Il y a lieu de rappeler que cette disposition définit la notion de « déchet » comme étant toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire.

42 Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, la qualification de « déchet » résulte avant tout du comportement du détenteur et de la signification des termes « se défaire » (arrêt du 4 juillet 2019, Tronex, C‑624/17, EU:C:2019:564, point 17 ainsi que jurisprudence citée).

43 S’agissant de l’expression « se défaire », il découle également d’une jurisprudence constante que cette expression doit être interprétée en tenant compte de l’objectif de la directive 2008/98, lequel consiste, selon le considérant 6 de celle-ci, en la réduction à un minimum des incidences négatives de la production et de la gestion des déchets sur la santé humaine et l’environnement, ainsi qu’à la lumière de l’article 191, paragraphe 2, TFUE, qui dispose que la politique de l’Union dans le
domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé et est fondée, notamment, sur les principes de précaution et d’action préventive. Il s’ensuit que les termes « se défaire », et donc la notion de « déchet », au sens de l’article 3, point 1, de la directive 2008/98, ne sauraient être interprétés de manière restrictive (arrêt du 4 juillet 2019, Tronex, C‑624/17, EU:C:2019:564, point 18 et jurisprudence citée).

44 Il ressort, en outre, des dispositions de cette directive que les termes « se défaire » englobent à la fois la « valorisation » et l’« élimination » d’une substance ou d’un objet, au sens de l’article 3, points 15 et 19, de ladite directive (arrêt du 4 juillet 2019, Tronex, C‑624/17, EU:C:2019:564, point 19 et jurisprudence citée).

45 Plus spécifiquement, l’existence d’un « déchet », au sens de la directive 2008/98, doit être vérifiée au regard de l’ensemble des circonstances, en tenant compte de l’objectif de cette directive et en veillant à ce qu’il ne soit pas porté atteinte à l’efficacité de celle-ci. Ainsi, certaines circonstances peuvent constituer des indices de l’existence d’une action, d’une intention ou d’une obligation de se défaire d’une substance ou d’un objet, au sens de l’article 3, point 1, de la directive
2008/98 (arrêt du 4 juillet 2019, Tronex, C‑624/17, EU:C:2019:564, points 20 et 21).

46 Parmi les circonstances pouvant constituer de tels indices, figure le fait que la substance utilisée est un résidu de production ou de consommation, à savoir un produit qui n’a pas été recherché comme tel (voir, en ce sens, arrêts du 24 juin 2008, Commune de Mesquer, C‑188/07, EU:C:2008:359, point 41, et du 3 octobre 2013, Brady, C‑113/12, EU:C:2013:627, point 40).

47 Peut, à cet égard, être également constitutif d’un tel indice le fait que la substance considérée soit un résidu de production dont l’utilisation éventuelle doit se faire dans des conditions particulières de précaution en raison du caractère dangereux de sa composition pour l’environnement (arrêt du 3 octobre 2013, Brady, C‑113/12, EU:C:2013:627, point 41 et jurisprudence citée).

48 En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la méthode de traitement ou le mode d’utilisation d’une substance ne sont pas déterminants pour la qualification ou non de « déchet » de cette substance et que la notion de « déchet » n’exclut pas les substances ni les objets susceptibles de réutilisation économique. Le système de surveillance et de gestion établi par la directive 2008/98 vise, en effet, à couvrir tous les objets et toutes les substances dont le propriétaire se défait, même
s’ils ont une valeur commerciale et sont collectés à titre commercial aux fins de recyclage, de récupération ou de réutilisation (voir, en ce sens, arrêts du 24 juin 2008, Commune de Mesquer, C‑188/07, EU:C:2008:359, point 40, et du 3 octobre 2013, Brady, C‑113/12, EU:C:2013:627, point 42 ainsi que jurisprudence citée).

49 Il convient, en outre, de prêter une attention particulière à la circonstance que l’objet ou la substance en question n’a pas ou n’a plus d’utilité pour son détenteur, de sorte que cet objet ou cette substance constitue une charge dont ce détenteur chercherait à se défaire. Si tel est en effet le cas, il existe un risque de voir ledit détenteur se défaire de l’objet ou de la substance en sa possession d’une manière susceptible de causer un préjudice à l’environnement, notamment en l’abandonnant,
en le rejetant ou en l’éliminant d’une manière incontrôlée. En relevant de la notion de « déchet », au sens de la directive 2008/98, cet objet ou cette substance est soumis aux dispositions de cette directive, ce qui implique que la valorisation ou l’élimination dudit objet ou de ladite substance devra être effectuée de manière à ce que la santé de l’homme ne soit pas mise en danger et sans que soient utilisés des procédés ou des méthodes susceptibles de porter préjudice à l’environnement (arrêt
du 4 juillet 2019, Tronex, C‑624/17, EU:C:2019:564, point 22).

50 À cet égard, le degré de probabilité de réutilisation d’un bien, d’une substance ou d’un produit sans opération de transformation préalable constitue un critère pertinent aux fins d’apprécier s’ils constituent ou non un déchet au sens de la directive 2008/98. Si, au-delà de la simple possibilité de réutiliser le bien, la substance ou le produit concernés, il existe un avantage économique pour le détenteur à le faire, la probabilité d’une telle réutilisation est forte. Dans une telle hypothèse, le
bien, la substance ou le produit en cause ne peuvent plus être analysés comme une charge dont le détenteur chercherait à « se défaire », mais comme un authentique produit (arrêt du 4 juillet 2019, Tronex, C‑624/17, EU:C:2019:564, point 23 et jurisprudence citée).

51 De même, dans certaines situations, un bien, un matériau ou une matière première résultant d’un processus d’extraction ou de fabrication qui n’est pas destiné principalement à le produire peut constituer non pas un résidu, mais un sous-produit, dont le détenteur ne cherche pas à « se défaire », au sens de l’article 3, point 1, de la directive 2008/98, mais qu’il entend exploiter ou commercialiser – y compris, le cas échéant, pour les besoins d’opérateurs économiques autres que celui qui l’a
produit – dans des conditions avantageuses pour lui, dans un processus ultérieur, à condition que cette réutilisation ne soit pas seulement éventuelle mais certaine, sans transformation préalable, et dans la continuité du processus de production (arrêt du 3 octobre 2013, Brady, C‑113/12, EU:C:2013:627, point 44 et jurisprudence citée).

52 Il ne serait en effet aucunement justifié de soumettre aux exigences de la directive 2008/98, qui visent à assurer que les opérations de valorisation et d’élimination des déchets soient mises en œuvre sans mettre en danger la santé de l’homme et sans que soient utilisés des procédés ou des méthodes susceptibles de porter préjudice à l’environnement, des biens, des substances ou des produits que le détenteur entend exploiter ou commercialiser dans des conditions avantageuses, indépendamment d’une
quelconque opération de valorisation. Cependant, eu égard à l’obligation de procéder à une interprétation large de la notion de « déchet », il convient de considérer que seules sont ainsi visées les situations dans lesquelles la réutilisation du bien ou de la substance en question est non pas seulement éventuelle, mais certaine, sans qu’il soit nécessaire à cette fin de recourir au préalable à l’un des procédés de valorisation des déchets visés à l’annexe II de la directive 2008/98, ce qu’il
appartient à la juridiction de renvoi de vérifier (arrêt du 4 juillet 2019, Tronex, C‑624/17, EU:C:2019:564, point 24 et jurisprudence citée).

53 Il appartient en définitive à la juridiction de renvoi, seule compétente pour apprécier les faits de l’affaire dont elle est saisie, de vérifier si le détenteur de l’objet ou de la substance en question avait effectivement l’intention de s’en « défaire », en tenant compte de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, tout en veillant au respect de l’objectif visé par la directive 2008/98. Cela étant, il revient à la Cour de fournir à cette juridiction toute indication utile afin de résoudre le
litige qui lui est soumis (arrêt du 4 juillet 2019, Tronex, C‑624/17, EU:C:2019:564, point 25 et jurisprudence citée).

54 En l’occurrence, l’objet de la procédure au principal est de savoir si les boues d’épuration provenant de la station d’épuration des eaux usées exploitée en commun par Sappi et le Wasserverband doivent être qualifiées de « déchets » et si, partant, leur incinération relève des dispositions applicables aux déchets. Le cas échéant, il conviendrait, en vertu du droit national, de soumettre les modifications apportées à la chaudière de Sappi et à l’incinérateur des déchets résiduels détenus par le
Wasserverband à une obligation d’autorisation.

55 Sappi soutient que tel n’est pas le cas, les boues d’épuration en cause au principal étant composées à presque 100 % de résidus végétaux, issues d’un processus de production du papier et de cellulose, intégrées dès la conception de l’installation et utilisées aux fins de la valorisation énergétique pour la production du papier. Elles procureraient ainsi un avantage économique important à cette entreprise. En raison du cycle fermé d’utilisation comprenant un transport, 24 heures sur 24, par
convoyeurs, il n’existerait aucune substance dont le détenteur souhaiterait se défaire.

56 Il ressort, par ailleurs, de la décision de renvoi que ces boues d’épuration sont produites lors du traitement commun des eaux usées d’origine industrielle et, dans une faible proportion, d’origine résidentielle ou communale dans la station d’épuration et utilisées, après dessèchement mécanique, dans un incinérateur de déchets résiduels aux fins d’une valorisation énergétique par production de vapeur, dans le processus de production de Sappi. En raison de cette réintégration des boues d’épuration
dans le système ainsi que de leur incinération permanente et continue, neutre en termes d’émissions, en vue de la production de vapeur dans le processus de fabrication du papier, la juridiction de renvoi estime que lesdites boues sont réutilisées de manière constante, immédiate et certaine.

57 Ainsi qu’il découle de la jurisprudence rappelée aux points 41 et 42 du présent arrêt, la notion de « déchet » est définie comme étant toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire.

58 À cet égard, il y a lieu de constater que la circonstance que, dans la station d’épuration, seule une faible proportion d’eaux urbaines résiduaires soit ajoutée aux eaux usées provenant de la production de papier et de cellulose n’est pas pertinente aux fins de déterminer si les boues d’épuration qui résultent du traitement commun de ces eaux usées constituent ou non un « déchet ».

59 Cette interprétation est la seule qui garantisse le respect des objectifs de réduction à un minimum des incidences négatives de la production et de la gestion des déchets sur la santé humaine et l’environnement visé par la directive 2008/98. En effet, dans un tel cas, les eaux usées provenant de la production de papier et de cellulose ne sont pas séparables des eaux usées d’origine résidentielle ou communale et ne peuvent être valorisées ou éliminées que si elles font également l’objet des
opérations nécessaires de traitement exigées par le droit national. Or, il est constant que les eaux usées d’origine résidentielle ou communale doivent être considérées comme des substances dont leur détenteur s’est défait.

60 Il ressort de ce qui précède que, sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, les eaux usées en cause au principal doivent être considérées comme constituant des substances dont le détenteur souhaite se défaire, ce qui entraîne leur qualification de « déchets », au sens de la directive 2008/98.

61 Selon les indications figurant dans le dossier soumis à la Cour, l’épuration de ces eaux usées constitue un procédé de traitement imposé par la législation nationale en matière de gestion de l’eau préalablement au déversement d’eaux usées dans un cours d’eau, dans la mesure où seules des substances non nocives pourraient y être rejetées. Il ressort à cet égard des éléments de ce dossier que, en fonction du type d’eaux usées et du processus de traitement, les boues d’épuration pourraient contenir
certaines substances nocives, telles que des germes pathogènes ou des métaux lourds, présentant un risque pour l’environnement ainsi que pour la santé humaine et celle animale.

62 En ce qui concerne les boues d’épuration en cause au principal, il est constant qu’elles sont un résidu issu du traitement d’eaux usées. Un tel élément constitue, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 46 et 47 du présent arrêt, un indice que le statut de déchet est maintenu.

63 Toutefois, il apparaît que la juridiction de renvoi considère que, avant même leur incinération, les boues d’épuration ne pourraient plus être qualifiées de « déchets ».

64 Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/98 énonce les conditions auxquelles doivent répondre les critères spécifiques qui permettent de déterminer quels déchets cessent d’être des « déchets », au sens de l’article 3, point 1, de cette directive, lorsqu’ils ont subi une opération de valorisation ou de recyclage.

65 Lors de la valorisation de déchets, il convient de garantir un niveau de protection élevé de la santé humaine et de l’environnement. En particulier, la valorisation des boues d’épuration comporte certains risques pour l’environnement et la santé humaine, en particulier liés à la présence potentielle de substances dangereuses (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2019, Tallinna Vesi, C‑60/18, EU:C:2019:264, point 28).

66 En l’occurrence, il y a lieu de constater que, dans l’hypothèse où l’incinération des boues d’épuration consisterait en une opération de « valorisation », au sens de l’article 3, point 15, de la directive 2008/98 visant des opérations portant sur des déchets, ces boues devraient encore être qualifiées de « déchets » lors de leur incinération. Un changement de statut tel que celui mentionné par la juridiction de renvoi supposerait donc que le traitement effectué en vue de la valorisation permette
d’obtenir des boues d’épuration répondant à un niveau de protection élevé de la santé humaine et de l’environnement, tel que l’exige la directive 2008/98, lesquelles sont, en particulier, exemptes de toute substance dangereuse. Il convient, à cette fin, de s’assurer de l’innocuité des boues d’épuration en cause au principal.

67 C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient de vérifier si les conditions de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98 sont déjà remplies avant l’incinération des boues d’épuration. Il convient, notamment, de vérifier, le cas échéant, sur le fondement d’une analyse scientifique et technique que les boues d’épuration satisfont aux valeurs limites légales pour les polluants et que leur incinération n’a pas d’effets globaux nocifs pour l’environnement ou la santé humaine.

68 Est notamment pertinente dans le cadre de cette appréciation la circonstance selon laquelle la chaleur produite lors de l’incinération des boues d’épuration est réutilisée dans le cadre d’un processus de production de papier et de cellulose ainsi que celle selon laquelle un tel processus présente un avantage significatif pour l’environnement en raison de l’utilisation de matériaux issus de la valorisation pour la préservation des ressources naturelles ainsi que pour la création d’une économie
circulaire.

69 Si, sur le fondement d’une telle analyse, la juridiction de renvoi venait à constater que les conditions de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98 étaient remplies avant l’incinération des boues d’épuration en cause au principal, il y aurait lieu de considérer que ces dernières ne constituent pas des déchets.

70 Dans l’hypothèse inverse, il y aurait lieu de considérer que lesdites boues d’épuration relèvent encore de la notion de « déchet » à la date de cette incinération.

71 Dans ces conditions, et dans la mesure où, ainsi qu’il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2008/98, la qualité de « sous-produit » et le statut de « déchet » s’excluent mutuellement, il n’y a pas lieu d’examiner si les boues en cause au principal doivent être qualifiées de « sous-produits », au sens de cette disposition.

72 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 2, paragraphe 2, sous a), l’article 3, point 1, et l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98 doivent être interprétés en ce sens que les boues d’épuration produites lors du traitement commun, dans une station d’épuration, d’eaux usées d’origine industrielle et résidentielle ou communale, incinérées dans un incinérateur de déchets résiduels aux fins d’une valorisation énergétique par
production de vapeur, doivent être considérées comme ne constituant pas des déchets si les conditions de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive 2008/98 sont déjà remplies avant leur incinération. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est le cas dans l’affaire au principal.

Sur les dépens

73 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

  L’article 2, paragraphe 2, sous a), l’article 3, point 1, et l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative aux déchets et abrogeant certaines directives, doivent être interprétés en ce sens que les boues d’épuration produites lors du traitement commun, dans une station d’épuration, d’eaux usées d’origine industrielle et résidentielle ou communale, incinérées dans un incinérateur de déchets résiduels aux fins d’une
valorisation énergétique par production de vapeur, doivent être considérées comme ne constituant pas des déchets si les conditions de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive 2008/98 sont déjà remplies avant leur incinération. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est le cas dans l’affaire au principal.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-629/19
Date de la décision : 14/10/2020
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Landesverwaltungsgericht Steiermark.

Renvoi préjudiciel – Environnement – Déchets – Directive 2008/98/CE – Article 2, paragraphe 2, sous a), article 3, point 1, et article 6, paragraphe 1 – Eaux usées – Boues d’épuration – Champ d’application – Notion de “déchet” – Cessation du statut de déchet – Opération de valorisation ou de recyclage.

Déchets

Pollution

Environnement


Parties
Demandeurs : Sappi Austria Produktions-GmbH & Co KG et Wasserverband « Region Gratkorn-Gratwein »
Défendeurs : Landeshauptmann von Steiermark.

Composition du Tribunal
Avocat général : Kokott
Rapporteur ?: Arabadjiev

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2020:824

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