ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
6 octobre 2020 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Directive 2011/16/UE – Coopération administrative dans le domaine fiscal – Articles 1er et 5 – Injonction de communication d’informations à l’autorité compétente d’un État membre, agissant à la suite d’une demande d’échange d’informations de l’autorité compétente d’un autre État membre – Personne détentrice des informations dont l’autorité compétente du premier État membre enjoint la communication – Contribuable visé par l’enquête à l’origine de la demande de l’autorité
compétente du second État membre – Tierces personnes avec lesquelles ce contribuable entretient des relations juridiques, bancaires, financières ou, plus largement, économiques – Protection juridictionnelle – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 – Droit à un recours effectif – Article 52, paragraphe 1 – Limitation – Base légale – Respect du contenu essentiel du droit à un recours effectif – Existence d’une voie de recours permettant aux justiciables en cause d’obtenir un
contrôle effectif de l’ensemble des questions de fait et de droit pertinentes ainsi qu’une protection juridictionnelle effective des droits que leur garantit le droit de l’Union – Objectif d’intérêt général reconnu par l’Union – Lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales – Proportionnalité – Caractère “vraisemblablement pertinent” des informations visées par l’injonction de communication – Contrôle juridictionnel – Portée – Éléments personnels, temporels et matériels à prendre en
considération »
Dans les affaires jointes C‑245/19 et C‑246/19,
ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par la Cour administrative (Luxembourg) par décisions du 14 mars 2019, parvenues à la Cour le 20 mars 2019, dans les procédures
État luxembourgeois
contre
B (C‑245/19),
et
État luxembourgeois
contre
B,
C,
D,
F. C.,
en présence de :
A (C‑246/19),
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente, MM. J.-C. Bonichot, A. Arabadjiev, E. Regan et S. Rodin, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, J. Malenovský (rapporteur), D. Šváby, F. Biltgen, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, A. Kumin, N. Jääskinen et N. Wahl, juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : M. M.-A. Gaudissart, greffier adjoint,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 mai 2020,
considérant les observations présentées :
– pour B, C, D et F. C., par Me C. Henlé, avocate,
– pour le gouvernement luxembourgeois, initialement par Mme D. Holderer et M. T. Uri, puis par ce dernier, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement belge, par MM. S. Baeyens, P. Cottin et J.‑C. Halleux, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement hellénique, par Mmes A. Dimitrakopoulou et M. Tassopoulou ainsi que par M. G. Konstantinos, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement espagnol, par M. S. Jiménez García, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement français, initialement par Mmes A. Alidière et E. de Moustier ainsi que par MM. D. Colas et E. Toutain, puis par Mmes A. Alidière et E. de Moustier ainsi que par M. E. Toutain, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, initialement par Mme N. Gossement ainsi que par MM. H. Kranenborg, W. Roels et P. J. O. Van Nuffel, puis par ces trois derniers, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 2 juillet 2020,
rend le présent
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation, d’une part, des articles 7, 8 et 47 ainsi que de l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et, d’autre part, de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 5 de la directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE (JO 2011, L 64, p. 1, et rectificatif JO
2013, L 162, p. 15), telle que modifiée par la directive 2014/107/UE du Conseil, du 9 décembre 2014 (JO 2014, L 359, p. 1) (ci-après la « directive 2011/16 »).
2 Ces demandes ont été introduites dans le cadre de deux litiges opposant l’État luxembourgeois, respectivement, à la société B, pour le premier, et aux sociétés B, C et D ainsi qu’à F. C., pour le second, au sujet de deux décisions du directeur de l’administration des contributions directes (Luxembourg) faisant injonction, respectivement, à la société B et à la banque A de lui communiquer certaines informations, à la suite de demandes d’échange d’informations entre États membres en matière fiscale.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2011/16
3 Les considérants 1, 2, 9 et 27 de la directive 2011/16 indiquent :
« (1) À l’ère de la mondialisation, il est plus que jamais nécessaire pour les États membres de se prêter mutuellement assistance dans le domaine fiscal. La mobilité des contribuables, le nombre d’opérations transfrontalières et l’internationalisation des instruments financiers connaissent une évolution considérable, ce qui fait qu’il est difficile pour les États membres d’établir correctement le montant des impôts et taxes à percevoir. Cette difficulté croissante a des répercussions sur le
fonctionnement des systèmes fiscaux et entraîne un phénomène de double imposition, lequel incite à la fraude et à l’évasion fiscales [...]
(2) C’est pourquoi un État membre ne peut gérer son système fiscal interne sans disposer d’informations provenant d’autres États membres, notamment pour ce qui est de la fiscalité directe. Afin de surmonter les effets négatifs de ce phénomène, il est indispensable de mettre au point un nouveau mécanisme de coopération administrative entre les administrations fiscales des États membres. Il est nécessaire de disposer d’instruments propres à instaurer la confiance entre les États membres par
l’établissement de règles, d’obligations et de droits identiques dans toute l’Union européenne.
[...]
(9) Il importe que les États membres échangent des informations concernant des cas particuliers lorsqu’un autre État membre le demande et fassent effectuer les recherches nécessaires pour obtenir ces informations. La norme dite de la “pertinence vraisemblable” vise à permettre l’échange d’informations en matière fiscale dans la mesure la plus large possible et, en même temps, à préciser que les États membres ne sont pas libres d’effectuer des “recherches tous azimuts” ou de demander des
informations dont il est peu probable qu’elles concernent la situation fiscale d’un contribuable donné. [...]
[...]
(27) Tous les échanges d’informations visés dans la présente directive sont soumis aux dispositions d’application de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données [(JO 1995, L 281, p. 31)] [...]. Toutefois, il convient d’envisager des limitations de certains droits et obligations prévus par la directive [95/46], afin de
sauvegarder les intérêts visés à l’article 13, paragraphe 1, [sous] e), de ladite directive. Ces limitations sont nécessaires et proportionnées compte tenu des pertes de recettes potentielles pour les États membres et de l’importance capitale des informations visées par la présente directive pour l’efficacité de la lutte contre la fraude. »
4 L’article 1er de la directive 2011/16, intitulé « Objet », énonce, à son paragraphe 1 :
« La présente directive établit les règles et procédures selon lesquelles les États membres coopèrent entre eux aux fins d’échanger les informations vraisemblablement pertinentes pour l’administration et l’application de la législation interne des États membres relative aux taxes et impôts visés à l’article 2. »
5 L’article 5 de cette directive, intitulé « Procédure régissant l’échange d’informations sur demande », est libellé comme suit :
« À la demande de l’autorité requérante, l’autorité requise communique à l’autorité requérante les informations visées à l’article 1er, paragraphe 1, dont elle dispose ou qu’elle obtient à la suite d’enquêtes administratives. »
6 L’article 7 de ladite directive prévoit que les communications visées à l’article 5 de celle-ci doivent être effectuées le plus rapidement possible et, sauf cas particuliers, dans des délais de deux mois ou de six mois selon que l’autorité requise est déjà ou n’est pas déjà en possession des informations demandées.
7 L’article 25 de la directive 2011/16, intitulé « Protection des données », dispose, à son paragraphe 1 :
« Tous les échanges d’informations effectués en vertu de la présente directive sont soumis aux dispositions d’application de la directive [95/46]. Toutefois, aux fins de la bonne application de la présente directive, les États membres limitent la portée des obligations et des droits prévus à l’article 10, à l’article 11, paragraphe 1, et aux articles 12 et 21 de la directive [95/46] dans la mesure où cela est nécessaire afin de sauvegarder les intérêts visés à l’article 13, paragraphe 1,
[sous] e), de ladite directive. »
La directive 95/46
8 L’article 10, l’article 11, paragraphe 1, et les articles 12 et 21 de la directive 95/46 prévoient, le premier, les modalités d’information des personnes physiques qui sont concernées par un traitement de données à caractère personnel dans le cas où ces données sont collectées auprès d’elles, le deuxième, les modalités d’information de ces personnes physiques dans le cas où lesdites données n’ont pas été collectées auprès de celles-ci, le troisième, le droit d’accès desdites personnes physiques
aux données en cause et, le quatrième, la publicité des traitements de données à caractère personnel.
9 L’article 13, paragraphe 1, sous e), de cette directive prévoit que les États membres peuvent prendre des mesures législatives visant à limiter la portée des obligations et des droits prévus, notamment, à l’article 10, à l’article 11, paragraphe 1, et aux articles 12 et 21 de ladite directive lorsqu’une telle limitation constitue une mesure nécessaire pour sauvegarder un intérêt économique ou financier important d’un État membre ou de l’Union, y compris dans les domaines monétaire, budgétaire et
fiscal.
10 L’article 22 de la même directive énonce :
« Sans préjudice du recours administratif qui peut être organisé [...] antérieurement à la saisine de l’autorité judiciaire, les États membres prévoient que toute personne dispose d’un recours juridictionnel en cas de violation des droits qui lui sont garantis par les dispositions nationales applicables au traitement en question. »
Le règlement (UE) 2016/679
11 La directive 95/46 a été abrogée, avec effet au 25 mai 2018, par le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46 (règlement général sur la protection des données) (JO 2016, L 119, p. 1, et rectificatif JO 2018, L 127, p. 2), dont l’article 1er, intitulé « Objet et objectifs », précise
notamment qu’il établit des règles relatives à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et qu’il protège les libertés et les droits fondamentaux des personnes physiques, en particulier leur droit à la protection des données à caractère personnel. Par ailleurs, l’article 94, paragraphe 2, de ce règlement précise que les références à la directive 95/46 s’entendent désormais comme étant faites audit règlement.
12 Les articles 13, 14 et 15 du règlement 2016/679 reprennent respectivement, en les modifiant, les dispositions qui figuraient antérieurement à l’article 10, à l’article 11, paragraphe 1, et à l’article 12 de la directive 95/46.
13 L’article 23, paragraphe 1, sous e), dudit règlement, qui reprend, en la modifiant, la disposition figurant antérieurement à l’article 13, paragraphe 1, sous e), de cette directive, énonce que le droit de l’Union et le droit des États membres peuvent, par la voie de mesures législatives, limiter la portée des obligations et des droits prévus, notamment, aux articles 13 à 15 du même règlement lorsqu’une telle limitation respecte l’essence des libertés et des droits fondamentaux et qu’elle
constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique pour garantir certains objectifs importants d’intérêt public général, et notamment un intérêt économique ou financier important de l’Union ou d’un État membre, y compris dans les domaines monétaire, budgétaire et fiscal, de la santé publique et de la sécurité sociale.
14 L’article 79, paragraphe 1, du règlement 2016/679, qui reprend, en le modifiant, l’article 22 de la directive 95/46, prévoit que, sans préjudice de tout recours administratif ou extrajudiciaire qui lui est ouvert, chaque personne physique concernée par un traitement de données à caractère personnel a droit à un recours juridictionnel effectif si elle considère que les droits que lui confère ce règlement ont été violés du fait d’un traitement de ces données effectué en violation dudit règlement.
Le droit luxembourgeois
La loi du 29 mars 2013
15 L’article 6 de la loi du 29 mars 2013 portant transposition de la directive 2011/16 et portant 1) modification de la loi générale des impôts, 2) abrogation de la loi modifiée du 15 mars 1979 concernant l’assistance administrative internationale en matière d’impôts directs (Mémorial A 2013, p. 756), dispose :
« À la demande de l’autorité requérante, l’autorité requise luxembourgeoise lui communique les informations vraisemblablement pertinentes pour l’administration et l’application de la législation interne de l’État membre requérant relative aux taxes et impôts [...], dont elle dispose ou qu’elle obtient à la suite d’enquêtes administratives. »
La loi du 25 novembre 2014
16 La loi du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale et modifiant la loi du 31 mars 2010 portant approbation des conventions fiscales et prévoyant la procédure y applicable en matière d’échange de renseignements sur demande (Mémorial A 2014, p. 4170, ci-après la « loi du 25 novembre 2014 ») est applicable, notamment, aux demandes d’échange d’informations visées à l’article 6 de la loi du 29 mars 2013, citée au point précédent du
présent arrêt.
17 Aux termes de l’article 2 de la loi du 25 novembre 2014 :
« (1) Les administrations fiscales sont autorisées à requérir les renseignements de toute nature qui sont demandés pour l’application de l’échange de renseignements tel que prévu par les [c]onventions et lois auprès du détenteur de ces renseignements.
(2) Le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés, en totalité, de manière précise, sans altération, endéans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision portant injonction de fournir les renseignements demandés. Cette obligation comprend la transmission des pièces sans altération sur lesquelles les renseignements sont fondés.
[...] »
18 L’article 3 de cette loi, dans sa version applicable aux litiges au principal, prévoyait :
« (1) L’administration fiscale compétente vérifie la régularité formelle de la demande d’échange de renseignements. La demande d’échange de renseignements est régulière en la forme si elle contient l’indication de la base juridique et de l’autorité compétente dont émane la demande ainsi que les autres indications prévues par les [c]onventions et lois.
[...]
(3) Si l’administration fiscale compétente ne détient pas les renseignements demandés, le directeur de l’administration fiscale compétente ou son délégué notifie par lettre recommandée adressée au détenteur des renseignements sa décision portant injonction de fournir les renseignements demandés. La notification de la décision au détenteur des renseignements demandés vaut notification à toute autre personne y visée.
[...] »
19 L’article 5, paragraphe 1, de ladite loi énonce :
« Si les renseignements demandés ne sont pas fournis endéans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision portant injonction de fournir les renseignements demandés, une amende administrative fiscale d’un maximum de 250000 euros peut être infligée au détenteur des renseignements. Le montant en est fixé par le directeur de l’administration fiscale compétente ou son délégué. »
20 L’article 6 de la même loi, dans sa version applicable aux litiges au principal, était libellé de la façon suivante :
« (1) Aucun recours ne peut être introduit contre la demande d’échange de renseignements et la décision d’injonction visées à l’article 3, paragraphes 1er et 3.
(2) Contre les décisions visées à l’article 5, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements. [...] Le recours a un effet suspensif. [...]
[...] »
La loi du 1er mars 2019
21 La loi du 1er mars 2019 portant modification de la loi du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale (Mémorial A 2019, p. 112, ci-après la « loi du 1er mars 2019 ») est entrée en vigueur le 9 mars 2019.
22 L’article 3, paragraphe 1, de la loi du 25 novembre 2014, telle que modifiée par la loi du 1er mars 2019, dispose :
« L’administration fiscale compétente vérifie la régularité formelle de la demande d’échange de renseignements. La demande d’échange de renseignements est régulière en la forme si elle contient l’indication de la base juridique et de l’autorité compétente dont émane la demande ainsi que les autres indications prévues par les [c]onventions et lois. L’administration fiscale compétente s’assure que les renseignements demandés ne sont pas dépourvus de toute pertinence vraisemblable eu égard à
l’identité de la personne visée par la demande d’échange de renseignements et à celle du détenteur des renseignements ainsi qu’aux besoins de la procédure fiscale en cause. »
23 L’article 6, paragraphe 1, de la loi du 25 novembre 2014, telle que modifiée par la loi du 1er mars 2019, énonce :
« Contre la décision d’injonction visée à l’article 3, paragraphe 3, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements. [...] »
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
24 Les litiges au principal ont chacun pour origine une demande d’échange d’informations adressée par l’administration fiscale du Royaume d’Espagne à celle du Grand-Duché de Luxembourg, en vue d’obtenir des informations relatives à F. C., une personne physique ayant sa résidence en Espagne, où celle-ci est visée, en tant que contribuable, par une enquête ayant pour objet de déterminer sa situation au regard de la législation fiscale nationale.
Affaire C‑245/19
25 Le 18 octobre 2016, l’administration fiscale espagnole a adressé à l’administration fiscale luxembourgeoise une première demande d’échange d’informations au sujet de F. C.
26 Le 16 juin 2017, le directeur de l’administration des contributions directes a donné suite à cette demande en adressant à la société B une décision lui faisant injonction de communiquer des informations relatives à la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2014 et portant sur les éléments suivants :
— les contrats conclus par la société B avec les sociétés E et F au sujet des droits de F. C. ;
— tout autre contrat conclu, soit au cours de la période en cause, soit antérieurement ou postérieurement à cette période mais prenant effet au cours de celle-ci et relatif à F. C. ;
— toutes les factures émises ou reçues en rapport avec ces contrats ainsi que leur mode de recouvrement et leur paiement, et
— le détail des comptes bancaires et des établissements financiers dans lesquels est déposée la trésorerie comptabilisée au bilan.
27 Cette décision précisait, par ailleurs, qu’elle ne pouvait pas faire l’objet d’un recours, conformément à l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014.
28 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif (Luxembourg) le 17 juillet 2017, la société B a introduit un recours visant à obtenir, à titre principal, la réformation de ladite décision et, à titre subsidiaire, l’annulation de celle-ci.
29 Par jugement du 26 juin 2018, le tribunal administratif s’est déclaré compétent pour connaître de ce recours en ce que celui-ci tendait à l’annulation de la décision du 16 juin 2017 et a partiellement annulé cette dernière. S’agissant de sa compétence, il a considéré que l’article 6, paragraphe 1, de la loi du 25 novembre 2014 n’était pas conforme à l’article 47 de la Charte en ce qu’il excluait l’existence d’un recours direct contre une décision portant injonction de communiquer des informations
à l’administration fiscale, de telle sorte que cette disposition devait être laissée inappliquée. Quant au fond, il a estimé que certaines des informations demandées par le directeur de l’administration des contributions directes n’étaient pas vraisemblablement pertinentes aux fins de l’enquête menée par l’administration fiscale espagnole, en conséquence de quoi la décision du 16 juin 2017 devait être annulée en tant qu’elle faisait injonction à la société B de communiquer ces informations.
30 Par requête déposée au greffe de la Cour administrative (Luxembourg) le 24 juillet 2018, l’État luxembourgeois a fait appel de ce jugement.
31 Dans le cadre de cet appel, il fait valoir que l’article 6, paragraphe 1, de la loi du 25 novembre 2014 ne méconnaît pas l’article 47 de la Charte dès lors qu’il ne s’oppose pas à ce que la personne qui est destinataire d’une décision portant injonction de communiquer des informations à l’administration fiscale et qui détient les informations sollicitées puisse, dans l’hypothèse où elle ne s’est pas conformée à cette décision et où une sanction lui a été infligée pour ce motif, contester à titre
incident ladite décision dans le cadre du recours en réformation qu’elle peut former contre une telle sanction, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, de cette loi. En conséquence, ce serait à tort que le tribunal administratif a écarté l’article 6, paragraphe 1, de ladite loi et s’est déclaré compétent pour connaître du recours en annulation qui lui avait été soumis. En outre, cette juridiction aurait considéré à tort que certaines des informations visées par la décision du 16 juin 2017
n’étaient pas vraisemblablement pertinentes au sens de la directive 2011/16.
32 Dans sa décision de renvoi, la Cour administrative se demande, en premier lieu, si les articles 7, 8, 47 et 52 de la Charte imposent de reconnaître, à la personne qui est destinataire d’une décision lui faisant injonction de communiquer des informations dont elle est détentrice à l’administration fiscale, le droit de former un recours direct contre cette décision, en complément de la possibilité, pour une telle personne, de contester à titre incident ladite décision, dans le cas où elle ne
respecte pas celle-ci et où une sanction lui est ultérieurement infligée pour ce motif, en vertu de la loi du 25 novembre 2014, telle qu’interprétée à la lumière de l’arrêt du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund (C‑682/15, EU:C:2017:373).
33 En second lieu, la juridiction de renvoi se demande, en cas de réponse affirmative à cette première interrogation, quelle est la portée du contrôle que le juge peut être invité à effectuer, dans le cadre d’un tel recours direct, sur le caractère vraisemblablement pertinent des informations en cause, à la lumière des articles 1er et 5 de la directive 2011/16.
34 Dans ces conditions, la Cour administrative a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Est-ce que les articles 7 [et] 8 et [l’article] 52, paragraphe 1, de la Charte [...], lus éventuellement ensemble avec l’article 47 [de celle-ci], doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation [...] d’un État membre qui, dans le cadre du régime de procédure en matière d’échange de renseignements sur demande mis en place notamment en vue de la mise en œuvre de la directive 2011/16 [...], exclut tout recours, notamment judiciaire, de la part du tiers détenteur des
renseignements, contre une décision à travers laquelle l’autorité compétente de cet État membre l’oblige à lui fournir des informations en vue de donner suite à une demande d’échange de renseignements émanant d’un autre État membre ?
2) En cas de réponse affirmative à la première question, est-ce que l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 5 de la directive 2011/16 doivent être interprétés, le cas échéant en tenant compte du caractère évolutif de l’interprétation de l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’[Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) concernant le revenu et la fortune], en ce sens qu’une demande d’échange, ensemble [avec] une décision d’injonction de l’autorité compétente de
l’État membre requis y donnant suite, satisfont au critère de l’absence d’un défaut manifeste de pertinence vraisemblable dès lors que l’État membre requérant indique l’identité du contribuable concerné, la période concernée par l’enquête dans l’État membre requérant et l’identité du détenteur des renseignements visés, tout en sollicitant des renseignements concernant des contrats et les facturations et paiements afférents non précisés mais qui sont délimités par les critères tenant,
premièrement, au fait qu’ils auraient été conclus par le détenteur de renseignements identifié, deuxièmement, à leur applicabilité durant les années d’imposition concernées par l’enquête des autorités de l’État requérant et, troisièmement, à leur lien avec le contribuable concerné identifié ? »
Affaire C‑246/19
35 Le 16 mars 2017, l’administration fiscale espagnole a adressé à l’administration fiscale luxembourgeoise une seconde demande d’échange d’informations concernant F. C.
36 Le 29 mai 2017, le directeur de l’administration des contributions directes a donné suite à cette demande en adressant à la banque A une décision par laquelle il lui faisait injonction de communiquer des informations relatives à la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2014 et portant sur les documents et éléments suivants :
— le(s) nom(s) du (des) titulaire(s) actuel(s) d’un compte bancaire déterminé ;
— le(s) nom(s) de la (des) personne(s) autorisée(s) à effectuer des opérations sur ce compte ;
— le(s) nom(s) de la (des) personne(s) ayant ouvert ledit compte ;
— les relevés du même compte pendant la période en cause ;
— le(s) bénéficiaire(s) effectif(s) du compte en question ;
— le point de savoir si un autre compte bancaire a été ouvert après le 31 décembre 2014 auprès de la banque A et si les fonds versés sur celui-ci proviennent d’un compte précédemment ouvert auprès de cette banque ;
— les relevés de tout actif financier détenu par F. C. dans la société B, dans la société D ou dans toute autre société contrôlée par F. C. pendant la période en cause, et
— les relevés des actifs financiers où F. C. apparaît comme bénéficiaire effectif pendant cette période.
37 Cette décision précisait, par ailleurs, qu’elle ne pouvait pas faire l’objet d’un recours, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la loi du 25 novembre 2014.
38 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 juillet 2017, les sociétés B, C et D ainsi que F. C. ont introduit un recours visant à obtenir, à titre principal, la réformation de ladite décision et, à titre subsidiaire, l’annulation de celle-ci.
39 Par jugement du 26 juin 2018, le tribunal administratif s’est déclaré compétent pour connaître de ce recours en ce que celui-ci tendait à l’annulation de la décision du 29 mai 2017 et a partiellement annulé cette dernière, en se fondant sur des motifs analogues à ceux qui sont résumés au point 29 du présent arrêt.
40 Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 24 juillet 2018, l’État luxembourgeois a fait appel de ce jugement.
41 Dans sa décision de renvoi, la Cour administrative exprime des interrogations analogues à celles résumées aux points 32 et 33 du présent arrêt, tout en mettant en exergue le fait que l’affaire C‑246/19 a pour origine des recours introduits non pas par une personne destinataire d’une décision lui faisant injonction de communiquer des informations dont elle est détentrice à l’administration fiscale d’un État membre, comme c’est le cas de l’affaire C‑245/19, mais par des personnes ayant d’autres
qualités, à savoir, d’une part, celle de contribuable visé par une enquête ouverte par l’administration fiscale d’un autre État membre et, d’autre part, celle de tierces personnes entretenant des relations juridiques, bancaires, financières ou, plus largement, économiques avec ce contribuable.
42 Dans ces conditions, la Cour administrative a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Est-ce que les articles 7 [et] 8 et [l’article] 52, paragraphe 1, de la Charte, lus éventuellement ensemble avec l’article 47 [de celle-ci], doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation [...] d’un État membre qui, dans le cadre du régime de procédure en matière d’échange de renseignements sur demande mis en place notamment en vue de la mise en œuvre de la directive 2011/16 [...], exclut tout recours, notamment judiciaire, de la part du contribuable visé par [une]
enquête dans [un autre État membre] et d’une tierce personne concernée, contre une décision à travers laquelle l’autorité compétente [du premier] État membre oblige un détenteur de renseignements à lui fournir des informations en vue de donner suite à une demande d’échange de renseignements émanant [de cet] autre État membre ?
2) En cas de réponse affirmative à la première question, est-ce que l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 5 de la directive 2011/16 doivent être interprétés, le cas échéant en tenant compte du caractère évolutif de l’interprétation de l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE [concernant le revenu et la fortune], en ce sens qu’une demande d’échange, ensemble [avec] une décision d’injonction de l’autorité compétente de l’État membre requis y donnant suite, satisfont au critère de
l’absence d’un défaut manifeste de pertinence vraisemblable dès lors que l’État membre requérant indique l’identité du contribuable concerné, la période concernée par l’enquête dans l’État membre requérant et l’identité du détenteur des renseignements visés, tout en sollicitant des renseignements concernant des comptes bancaires et des actifs financiers non précisés mais qui sont délimités par les critères tenant, premièrement, au fait qu’ils seraient détenus par un détenteur de renseignements
identifié, deuxièmement, aux années d’imposition concernées par l’enquête des autorités de l’État requérant et, troisièmement, à leur lien avec le contribuable concerné identifié ? »
43 Par décision du président de la Cour du 3 mai 2019, les affaires C‑245/19 et C‑246/19 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.
Sur les questions préjudicielles
Sur les premières questions dans les affaires C‑245/19 et C‑246/19
Observations liminaires
44 Par ses premières questions dans les affaires C‑245/19 et C‑246/19, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 47 de la Charte, lu conjointement avec les articles 7 et 8 ainsi qu’avec l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que la législation d’un État membre mettant en œuvre la procédure d’échange d’informations sur demande instituée par la directive 2011/16 exclue qu’une décision par laquelle l’autorité compétente de cet
État membre oblige une personne détentrice d’informations à lui fournir ces informations, en vue de donner suite à une demande d’échange d’informations émanant de l’autorité compétente d’un autre État membre, puisse faire l’objet de recours formés, premièrement, par une telle personne, deuxièmement, par le contribuable qui est visé, dans cet autre État membre, par l’enquête à l’origine de ladite demande et, troisièmement, par des tierces personnes concernées par les informations en cause.
45 Ainsi qu’il résulte de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres uniquement lorsque ceux-ci mettent en œuvre le droit de l’Union.
46 Constitue une telle mise en œuvre du droit de l’Union, emportant l’applicabilité de la Charte, l’adoption, par un État membre, d’une législation précisant les modalités de la procédure d’échange d’informations sur demande instituée par la directive 2011/16 (voir, en ce sens, arrêt du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C‑682/15, EU:C:2017:373, points 34 à 37), notamment en prévoyant la possibilité, pour l’autorité compétente, de prendre une décision obligeant une personne détentrice
d’informations à lui fournir ces dernières.
47 L’article 47 de la Charte énonce, à son premier alinéa, que toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif, dans les conditions prévues à cet article. À ce droit correspond l’obligation faite aux États membres, à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union.
48 Les articles 7 et 8 de la Charte consacrent, le premier, le droit au respect de la vie privée et, le second, le droit à la protection des données à caractère personnel.
49 Aucun de ces trois droits fondamentaux ne constitue une prérogative absolue, chacun d’entre eux devant, en effet, être pris en considération par rapport à sa fonction dans la société (voir, s’agissant du droit à un recours effectif, arrêt du 18 mars 2010, Alassini e.a., C‑317/08 à C‑320/08, EU:C:2010:146, point 63 ainsi que jurisprudence citée, et, en ce qui concerne les droits au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel, arrêt du 16 juillet 2020, Facebook
Ireland et Schrems, C‑311/18, EU:C:2020:559, point 172 ainsi que jurisprudence citée).
50 Ainsi, dans l’hypothèse où plusieurs droits garantis par la Charte sont en présence dans un cas d’espèce donné et susceptibles d’entrer en conflit l’un avec l’autre, la nécessaire conciliation qui doit s’opérer entre ces droits, aux fins d’assurer un juste équilibre entre la protection attachée à chacun d’entre eux, peut conduire à leur apporter une limitation (voir, en ce sens, arrêts du 29 janvier 2008, Promusicae, C‑275/06, EU:C:2008:54, points 63 à 65, et du 27 mars 2014, UPC Telekabel Wien,
C‑314/12, EU:C:2014:192, point 46).
51 Par ailleurs, l’article 52, paragraphe 1, de la Charte prévoit que des limitations peuvent être apportées à l’exercice des droits et des libertés garantis par celle-ci à condition, premièrement, que ces limitations soient prévues par la loi, deuxièmement, qu’elles respectent le contenu essentiel des droits et des libertés en cause, et, troisièmement, que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles soient nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus
par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.
52 En l’occurrence, toutefois, les trois droits fondamentaux en présence ne sont pas susceptibles d’entrer en conflit l’un avec l’autre, mais ont vocation à s’appliquer de façon complémentaire. En effet, le caractère effectif de la protection que l’article 47 de la Charte est censé accorder au titulaire du droit garanti par celui-ci ne peut se manifester et s’apprécier que par rapport à des droits matériels, tels que ceux visés aux articles 7 et 8 de la Charte.
53 Plus précisément, il découle des premières questions dans les affaires C‑245/19 et C‑246/19, lues à la lumière de la motivation qui les sous-tend, que la juridiction de renvoi demande si l’article 47 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’une législation nationale peut priver une personne détentrice d’informations, un contribuable visé par une enquête fiscale et des tierces personnes concernées par ces informations de la possibilité de former un recours direct contre une décision
d’injonction de communication desdites informations à l’administration fiscale, décision dont cette juridiction considère qu’elle est de nature à porter atteinte aux droits garantis à ces différentes personnes par les articles 7 et 8 de la Charte.
Sur le droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte
54 Ainsi qu’il résulte de la jurisprudence constante de la Cour, le droit à un recours effectif est invocable sur la seule base de l’article 47 de la Charte, sans que le contenu de celui-ci doive être précisé par d’autres dispositions du droit de l’Union ou par des dispositions du droit interne des États membres (arrêts du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 78, et du 29 juillet 2019, Torubarov, C‑556/17, EU:C:2019:626, point 56).
55 Cela étant, la reconnaissance de ce droit, dans un cas d’espèce donné, suppose, ainsi qu’il ressort de l’article 47, premier alinéa, de la Charte, que la personne qui l’invoque se prévale de droits ou de libertés garantis par le droit de l’Union.
– Sur le droit à un recours effectif de la personne détentrice d’informations à laquelle l’autorité compétente décide d’enjoindre leur communication
56 Ainsi qu’il résulte des énonciations de la juridiction de renvoi résumées au point 26 du présent arrêt et des dispositions nationales reprises aux points 17 à 19 de cet arrêt, la personne détentrice d’informations en cause au principal est une personne morale à laquelle l’autorité nationale compétente a adressé une décision d’injonction de communication de ces informations, dont le non-respect est susceptible d’entraîner l’infliction d’une sanction.
57 S’agissant, en premier lieu, de la question de savoir si une telle personne doit se voir reconnaître le bénéfice du droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte en présence d’une telle décision, il convient, d’emblée, de relever qu’il résulte de la jurisprudence constante de la Cour que constitue un principe général du droit de l’Union la protection des personnes, tant physiques que morales, contre des interventions de la puissance publique dans leur sphère d’activité privée,
qui seraient arbitraires ou disproportionnées (arrêts du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, EU:C:1989:337, point 19, ainsi que du 13 septembre 2018, UBS Europe e.a., C‑358/16, EU:C:2018:715, point 56).
58 Or, cette protection peut être invoquée par une personne morale, en tant que droit garanti par le droit de l’Union, au sens de l’article 47, premier alinéa, de la Charte, en vue de contester en justice un acte lui faisant grief, tel qu’une injonction de communication d’informations ou une sanction infligée pour cause de non-respect de cette injonction (voir, en ce sens, arrêt du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C‑682/15, EU:C:2017:373, points 51 et 52).
59 Il s’ensuit qu’une personne morale à laquelle l’autorité nationale compétente a adressé une décision d’injonction de communication d’informations telle que celles en cause au principal doit se voir reconnaître le bénéfice du droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte en présence d’une telle décision.
60 En ce qui concerne, en second lieu, la question de savoir si l’exercice de ce droit peut être limité par une législation nationale, il découle de la jurisprudence de la Cour qu’une limitation peut être apportée à l’exercice du droit à un recours effectif devant un tribunal consacré à l’article 47 de la Charte, par le législateur de l’Union ou, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, par les États membres, si les conditions prévues à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte sont
respectées (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Star Storage e.a., C‑439/14 et C‑488/14, EU:C:2016:688, points 46 et 49).
61 En l’occurrence, il ne résulte d’aucune disposition de la directive 2011/16, dont la législation en cause au principal assure la mise en œuvre, que le législateur de l’Union ait entendu limiter l’exercice du droit à un recours effectif, en présence d’une décision d’injonction de communication d’informations telle que celles en cause au principal.
62 Par ailleurs, la directive 2011/16 renvoie, à son article 25, paragraphe 1, à la réglementation de l’Union relative au traitement des données à caractère personnel, en prévoyant que tous les échanges d’informations effectués en vertu de cette directive sont soumis aux dispositions de la directive 95/46, qui a, comme cela a été rappelé au point 11 du présent arrêt, été abrogée et remplacée avec effet au 25 mai 2018, soit postérieurement à l’adoption des décisions en cause au principal, par le
règlement 2016/679, dont l’objectif consiste notamment à assurer et à préciser le droit à la protection des données à caractère personnel garanti par l’article 8 de la Charte.
63 Or, l’article 22 de la directive 95/46, dont l’article 79 du règlement 2016/679 reprend la substance, souligne que toute personne doit disposer d’un recours juridictionnel en présence d’une violation des droits qui lui sont garantis par les dispositions applicables au traitement de telles données.
64 Il s’ensuit que le législateur de l’Union n’a pas limité lui-même l’exercice du droit à un recours effectif consacré à l’article 47 de la Charte et qu’il est loisible aux États membres de limiter cet exercice, à condition de respecter les exigences prévues à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.
65 Ainsi qu’il a été rappelé au point 51 du présent arrêt, cette disposition exige, notamment, que toute limitation apportée à l’exercice des droits et des libertés garantis par la Charte respecte le contenu essentiel de ces derniers.
66 À cet égard, il découle de la jurisprudence de la Cour que le contenu essentiel du droit à un recours effectif consacré à l’article 47 de la Charte inclut, entre autres éléments, celui consistant, pour la personne titulaire de ce droit, à pouvoir accéder à un tribunal compétent pour assurer le respect des droits que le droit de l’Union lui garantit et, à cette fin, pour examiner toutes les questions de droit et de fait pertinentes pour résoudre le litige dont il se trouve saisi (voir, en ce sens,
arrêts du 6 novembre 2012, Otis e.a., C‑199/11, EU:C:2012:684, point 49, ainsi que du 12 décembre 2019, Aktiva Finants, C‑433/18, EU:C:2019:1074, point 36). En outre, pour accéder à un tel tribunal, cette personne ne saurait se voir contrainte d’enfreindre une règle ou une obligation juridique et de s’exposer à la sanction attachée à cette infraction (voir, en ce sens, arrêts du 1er avril 2004, Commission/Jégo-Quéré, C‑263/02 P, EU:C:2004:210, point 35 ; du 13 mars 2007, Unibet, C‑432/05,
EU:C:2007:163, point 64, ainsi que du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 104).
67 Or, en l’occurrence, il ressort des énonciations de la juridiction de renvoi résumées au point 32 du présent arrêt que, eu égard à la législation en cause au principal, ce n’est que si la personne destinataire d’une décision d’injonction de communication d’informations telle que celles en cause au principal ne respecte pas cette décision, d’une part, et si elle se voit ultérieurement infliger une sanction pour ce motif, d’autre part, qu’elle dispose d’une possibilité de contester à titre incident
ladite décision, dans le cadre du recours qui lui est ouvert contre une telle sanction.
68 Il s’ensuit que, en présence d’une décision d’injonction de communication d’informations qui serait arbitraire ou disproportionnée, une telle personne ne peut pas accéder à un tribunal, à moins d’enfreindre cette décision en refusant d’obtempérer à l’injonction qu’elle comporte et de s’exposer, ainsi, à la sanction attachée au non-respect de celle-ci. Partant, cette personne ne peut pas être regardée comme jouissant d’une protection juridictionnelle effective.
69 Dans ces conditions, il doit être considéré qu’une législation nationale telle que celle en cause au principal, qui exclut la possibilité, pour une personne détentrice d’informations à laquelle l’autorité nationale compétente adresse une décision d’injonction de communication de ces informations, de former un recours direct contre cette décision, ne respecte pas le contenu essentiel du droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte et, par conséquent, que l’article 52,
paragraphe 1, de celle-ci s’oppose à une telle législation.
– Sur le droit à un recours effectif du contribuable visé par l’enquête à l’origine de la décision d’injonction de communication d’informations
70 Ainsi qu’il découle des énonciations de la juridiction de renvoi résumées au point 24 du présent arrêt, le contribuable en cause au principal est une personne physique qui a sa résidence dans un État membre autre que celui dont relève l’autorité ayant adopté les décisions d’injonction de communication d’informations en cause au principal et qui est visée, dans cet État membre, par une enquête tendant à déterminer sa situation au regard de la législation fiscale dudit État membre.
71 Par ailleurs, le libellé des décisions d’injonction de communication d’informations en cause au principal, repris aux points 26 et 36 du présent arrêt, fait apparaître que les informations dont ces décisions enjoignent la communication à l’autorité qui les a adoptées portent sur des comptes bancaires et sur des actifs financiers dont cette personne serait titulaire ou bénéficiaire ainsi que sur diverses opérations juridiques, bancaires, financières ou, plus largement, économiques susceptibles
d’avoir été réalisées par ladite personne ou par des tierces personnes agissant pour son compte ou dans son intérêt.
72 S’agissant, en premier lieu, de la question de savoir si une telle personne doit se voir reconnaître le bénéfice du droit à un recours effectif consacré à l’article 47 de la Charte, en présence de telles décisions, il convient de relever que cette personne est à l’évidence titulaire, d’une part, du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 7 de la Charte et, d’autre part, du droit à la protection des données à caractère personnel garanti par l’article 8, paragraphe 1, de celle-ci,
qui est étroitement lié, s’agissant des personnes physiques, au droit au respect de la vie privée de ces dernières [arrêts du 9 novembre 2010, Volker und Markus Schecke et Eifert, C‑92/09 et C‑93/09, EU:C:2010:662, point 47, ainsi que du 18 juin 2020, Commission/Hongrie (Transparence associative), C‑78/18, EU:C:2020:476, points 123 et 126].
73 En outre, il découle de la jurisprudence constante de la Cour que la communication d’informations relatives à une personne physique identifiée ou identifiable à un tiers, y compris une autorité publique, ainsi que la mesure qui impose ou permet cette communication, sont, sans préjudice de leur éventuelle justification, constitutives d’ingérences dans le droit de cette personne au respect de sa vie privée ainsi que dans son droit à la protection des données à caractère personnel la concernant,
indépendamment du point de savoir si ces informations présentent un caractère sensible ou non et quelle que soit leur utilisation ultérieure, sauf si ladite communication intervient dans le respect des dispositions du droit de l’Union et, le cas échéant, des dispositions du droit interne prévues à cet effet [voir, en ce sens, arrêts du 18 juin 2020, Commission/Hongrie (Transparence associative), C‑78/18, EU:C:2020:476, points 124 et 126, ainsi que du 16 juillet 2020, Facebook Ireland et Schrems,
C‑311/18, EU:C:2020:559, point 171 et jurisprudence citée].
74 Ainsi, la communication à l’autorité nationale compétente d’informations relatives à une personne physique identifiée ou identifiable, telles que les informations mentionnées au point 71 du présent arrêt, et la mesure qui, à l’instar des décisions visées au même point, impose cette communication, sont susceptibles de violer le droit au respect de la vie privée de la personne en cause ainsi que son droit à la protection des données à caractère personnel la concernant.
75 Partant, un contribuable tel que celui visé au point 70 du présent arrêt doit se voir reconnaître le bénéfice du droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte en présence d’une décision d’injonction de communication d’informations telle que celles en cause au principal.
76 En ce qui concerne, en second lieu, la question de savoir si l’exercice de ce droit peut être limité, en vertu de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, en excluant qu’une telle personne puisse former un recours direct contre cette décision, il convient de rappeler qu’une telle limitation doit, premièrement, être prévue par la loi, ce qui implique notamment, ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour, que sa base légale en définisse la portée de manière claire et précise
(arrêts du 17 décembre 2015, WebMindLicenses, C‑419/14, EU:C:2015:832, point 81, et du 8 septembre 2020, Recorded Artists Actors Performers, C‑265/19, EU:C:2020:677, point 86).
77 En l’occurrence, le libellé de la législation nationale en cause au principal fait apparaître que cette exigence est respectée.
78 Deuxièmement, le contenu essentiel du droit à un recours effectif doit être respecté, cette exigence devant être appréciée, notamment, au regard des éléments énoncés au point 66 du présent arrêt.
79 À cet égard, il découle de la jurisprudence de la Cour que ladite exigence n’implique pas, en tant que telle, que le titulaire de ce droit dispose d’une voie de recours directe ayant pour objet, à titre principal, de mettre en cause une mesure donnée, pour autant qu’il existe par ailleurs, devant les différentes juridictions nationales compétentes, une ou plusieurs voies de recours lui permettant d’obtenir, à titre incident, un contrôle juridictionnel de cette mesure assurant le respect des
droits et des libertés que le droit de l’Union lui garantit, sans devoir s’exposer à cette fin au risque de se voir infliger une sanction en cas de non-respect de la mesure en cause (voir, en ce sens, arrêts du 13 mars 2007, Unibet, C‑432/05, EU:C:2007:163, points 47, 49, 53 à 55, 61 et 64, ainsi que du 21 novembre 2019, Deutsche Lufthansa, C‑379/18, EU:C:2019:1000, point 61).
80 En l’occurrence, il doit être relevé, à ce titre, que la situation du contribuable visé par une enquête est différente de celle de la personne détentrice d’informations concernant celui-ci. En effet, ainsi qu’énoncé au point 68 du présent arrêt, cette dernière personne se trouverait, en l’absence de possibilité de former un recours direct contre une décision qui lui est adressée et qui lui impose une obligation juridique de communiquer les informations en cause, privée de toute protection
juridictionnelle effective. En revanche, le contribuable visé n’est pas destinataire d’une telle décision et n’est soumis à aucune obligation juridique par cette dernière, ni, partant, au risque de se voir infliger une sanction en cas de non-respect de celle-ci. Par conséquent, un tel contribuable n’est pas contraint de se placer dans l’illégalité pour pouvoir exercer son droit à un recours effectif, de sorte que la jurisprudence citée à la seconde phrase du point 66 du présent arrêt ne lui est
pas applicable.
81 Par ailleurs, une décision d’injonction de communication d’informations telle que celles en cause au principal intervient dans le cadre de la phase préliminaire de l’enquête visant le contribuable en cause, au cours de laquelle sont recueillies des informations relatives à la situation fiscale de ce contribuable et qui ne revêt pas un caractère contradictoire. En effet, seule la phase ultérieure de ladite enquête, qui s’ouvre par l’envoi d’une proposition de rectification ou de redressement au
contribuable visé, d’une part, revêt un caractère contradictoire impliquant de permettre à ce contribuable d’exercer son droit d’être entendu (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2013, Sabou, C‑276/12, EU:C:2013:678, points 40 et 44) et, d’autre part, est susceptible de déboucher sur une décision de rectification ou de redressement adressée audit contribuable.
82 Or, cette dernière décision constitue un acte à l’égard duquel le contribuable visé doit disposer d’un droit de recours effectif supposant que le tribunal saisi du litige soit compétent pour examiner toutes les questions de droit et de fait pertinentes pour résoudre ce litige, comme évoqué au point 66 du présent arrêt, et, en particulier, pour vérifier que les preuves sur lesquelles se fonde cet acte n’ont pas été obtenues ou utilisées en violation des droits et des libertés garantis à
l’intéressé par le droit de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses, C‑419/14, EU:C:2015:832, points 87 à 89).
83 Partant, lorsqu’une décision d’injonction de communication d’informations telle que celles en cause au principal conduit l’autorité nationale ayant demandé ces informations à adopter une décision de rectification ou de redressement qui se fonde, en tant que preuves, sur lesdites informations, le contribuable visé par l’enquête a la possibilité de contester, à titre incident, la première de ces décisions ainsi que les conditions d’obtention et l’utilisation des preuves recueillies grâce à
celle-ci, dans le cadre du recours qu’il peut former contre la seconde desdites décisions.
84 Par conséquent, une législation nationale telle que celle en cause au principal doit être considérée comme ne portant pas atteinte au contenu essentiel du droit à un recours effectif garanti au contribuable visé. De surcroît, elle ne restreint pas l’accès de ce contribuable aux voies de recours prévues conformément à l’article 79, paragraphe 1, du règlement 2016/679, qui reprend, en le modifiant, l’article 22 de la directive 95/46, si ledit contribuable considère que les droits que lui confère ce
règlement ont été violés du fait d’un traitement de données à caractère personnel le concernant.
85 Troisièmement, comme énoncé au point 51 du présent arrêt, une telle législation nationale doit, dans le respect du principe de proportionnalité, être nécessaire et répondre effectivement à un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union. Il y a donc lieu de vérifier successivement si elle répond à un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union et, dans l’affirmative, si elle respecte le principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêts du 5 juillet 2017, Fries, C‑190/16, EU:C:2017:513,
point 39, ainsi que du 12 juillet 2018, Spika e.a., C‑540/16, EU:C:2018:565, point 40).
86 À cet égard, la juridiction de renvoi souligne que la législation en cause au principal met en œuvre la directive 2011/16, dont le considérant 27 envisage que des limitations nécessaires et proportionnées soient apportées à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel les concernant, telle qu’assurée par la directive 95/46, et dont les considérants 1 et 2 énoncent qu’elle a pour objectif de contribuer à la lutte contre la fraude et l’évasion
fiscales internationales, en renforçant la coopération entre les autorités nationales compétentes en ce domaine.
87 Or, cet objectif constitue un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte [voir, en ce sens, arrêts du 22 octobre 2013, Sabou, C‑276/12, EU:C:2013:678, point 32 ; du 17 décembre 2015, WebMindLicenses, C‑419/14, EU:C:2015:832, point 76, ainsi que du 26 février 2019, X (Sociétés intermédiaires établies dans des pays tiers), C‑135/17, EU:C:2019:136, points 74 et 75], susceptible de permettre qu’une limitation soit apportée à l’exercice des
droits garantis par les articles 7, 8 et 47 de celle-ci, pris individuellement ou conjointement.
88 Il s’ensuit que l’objectif poursuivi par la législation nationale en cause au principal constitue un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union.
89 Cet objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales se traduit notamment, aux articles 5 à 7 de la directive 2011/16, par la mise en place d’une procédure d’échange d’informations sur demande permettant aux autorités nationales compétentes de coopérer efficacement et rapidement entre elles, en vue de recueillir des informations dans le cadre d’enquêtes visant tel ou tel contribuable donné (voir, en ce sens, arrêt du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C‑682/15,
EU:C:2017:373, points 46, 47 et 77).
90 Or, l’intérêt attaché à l’efficacité et à la rapidité de cette coopération, qui concrétise l’objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales sous-tendant la directive 2011/16, impose notamment de respecter l’ensemble des délais prévus à l’article 7 de cette directive.
91 Eu égard à cette situation, il y a lieu de considérer qu’une législation nationale excluant qu’un recours direct puisse être formé, contre une décision d’injonction de communication d’informations telle que celles en cause au principal, par le contribuable visé par l’enquête à l’origine de la demande d’échange d’informations ayant conduit l’autorité nationale compétente à adopter cette décision, est propre à réaliser l’objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales
poursuivi par la directive 2011/16 et nécessaire à la réalisation de cet objectif.
92 En outre, elle n’apparaît pas disproportionnée dès lors, d’une part, qu’une telle décision ne soumet le contribuable visé à aucune obligation juridique ni à aucun risque de sanction, et, d’autre part, que ce contribuable a la possibilité de contester cette décision à titre incident, dans le cadre d’un recours contre une décision ultérieure de rectification ou de redressement.
93 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l’article 47 de la Charte, lu conjointement avec les articles 7 et 8 ainsi qu’avec l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci, ne s’oppose pas à ce qu’une législation nationale telle que celle en cause au principal exclue qu’une décision par laquelle l’autorité compétente d’un État membre oblige une personne détentrice d’informations à lui fournir ces informations, en vue de donner suite à une demande d’échange d’informations émanant de l’autorité
compétente d’un autre État membre, puisse faire l’objet d’un recours direct formé par le contribuable qui est visé, dans cet autre État membre, par l’enquête à l’origine de cette demande.
– Sur le droit à un recours effectif des tierces personnes concernées
94 Ainsi qu’il découle des points 26, 36 et 71 du présent arrêt, les tierces personnes concernées auxquelles se réfère la juridiction de renvoi sont des personnes morales avec lesquelles le contribuable visé par l’enquête à l’origine des décisions d’injonction de communication d’informations en cause au principal entretient ou est susceptible d’entretenir des relations juridiques, bancaires, financières ou, plus largement, économiques.
95 Il convient, en premier lieu, de déterminer si de telles tierces personnes doivent, dans une situation telle que celle en cause au principal, se voir reconnaître le bénéfice du droit à un recours effectif consacré à l’article 47 de la Charte.
96 À cet égard, il doit être observé que, à l’instar d’une personne morale détentrice d’informations à laquelle l’autorité nationale compétente adresse une décision d’injonction de communication de ces informations, ces tierces personnes peuvent se prévaloir de la protection dont toute personne physique ou morale jouit, en vertu du principe général du droit de l’Union évoqué au point 57 du présent arrêt, contre des interventions arbitraires ou disproportionnées de la puissance publique dans leur
sphère d’activité privée, même si la communication à une autorité publique d’informations juridiques, bancaires, financières ou, plus largement, économiques les concernant ne peut en aucun cas être considérée comme touchant au cœur de cette activité [voir, en ce sens, Cour EDH, 16 juin 2015 (déc.), Othymia Investments BV c. Pays-Bas, CE:ECHR:2015:0616DEC007529210, § 37 ; 7 juillet 2015, M. N.et autres c. San Marino, CE:ECHR:2015:0707JUD002800512, § 51 et 54, ainsi que 22 décembre 2015, G.S. B. c.
Suisse, CE:ECHR:2015:1222JUD002860111, § 51 et 93].
97 Dès lors, de telles tierces personnes doivent se voir reconnaître le bénéfice du droit à un recours effectif en présence d’une décision d’injonction de communication d’informations qui pourrait violer leur droit à cette protection.
98 En ce qui concerne, en second lieu, la question de savoir si l’exercice du droit à un recours effectif garanti aux tierces personnes concernées par les informations en cause peut être limité de telle sorte que celles-ci ne puissent pas former un recours direct en présence d’une telle décision, il doit être souligné, premièrement, que la législation nationale en cause au principal définit, de manière claire et précise, la limitation qu’elle apporte à l’exercice de ce droit.
99 S’agissant, deuxièmement, de l’exigence tenant au respect du contenu essentiel du droit à un recours effectif, il importe de relever que les tierces personnes concernées par les informations en cause ne sont, à la différence de la personne détentrice de ces informations à laquelle l’autorité compétente d’un État membre a adressé une décision d’injonction de communication de celles-ci, soumises ni à une obligation juridique de communiquer lesdites informations ni, partant, au risque de se voir
infliger une sanction en cas de non-respect d’une telle obligation juridique. Partant, la jurisprudence citée à la seconde phrase du point 66 du présent arrêt ne leur est pas applicable.
100 Par ailleurs, il est vrai que la communication d’informations concernant lesdites tierces personnes à une autorité publique, par la personne destinataire d’une décision enjoignant leur communication à cette autorité publique, est susceptible de porter atteinte au droit de ces tierces personnes d’être protégées contre des interventions arbitraires ou disproportionnées des autorités publiques dans leur sphère d’activité privée et, ce faisant, de leur causer un préjudice.
101 Toutefois, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la possibilité, pour un justiciable donné, d’agir en justice aux fins de faire constater la violation des droits qui lui sont garantis par le droit de l’Union et d’obtenir la réparation du préjudice que lui a causé cette violation assure une protection juridictionnelle effective à ce justiciable, dès lors que le tribunal saisi du litige dispose de la possibilité de contrôler l’acte ou la mesure qui est à l’origine de ladite violation et
dudit préjudice (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2007, Unibet, C‑432/05, EU:C:2007:163, point 58).
102 Il s’ensuit, en l’occurrence, que le respect du contenu essentiel du droit à un recours effectif n’exige pas que des justiciables tels que les tierces personnes qui sont concernées par les informations en cause, sans toutefois être soumises à une obligation juridique de communiquer ces informations ni, partant, à un risque de se voir infliger une sanction en cas de non-respect d’une telle obligation juridique, aient, par ailleurs, la possibilité de former un recours direct contre la décision
d’injonction de communication desdites informations.
103 Troisièmement, il doit être rappelé que la législation nationale en cause au principal poursuit un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union, comme énoncé aux points 86 à 88 du présent arrêt.
104 Quant à l’exigence tenant au caractère nécessaire et proportionné de cette législation au regard d’un tel objectif, elle est à considérer, comme cela découle des points 90 à 92 du présent arrêt, comme étant satisfaite compte tenu, d’une part, des délais qui doivent être respectés pour assurer l’efficacité et la rapidité de la procédure d’échange d’informations concrétisant l’objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales qui sous-tend la directive 2011/16, et, d’autre
part, de la possibilité, pour les personnes concernées, d’agir en justice aux fins de voir constater une violation des droits qui leur sont garantis par le droit de l’Union et réparer le préjudice causé par celle-ci.
105 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux premières questions dans les affaires C‑245/19 et C‑246/19 que l’article 47 de la Charte, lu conjointement avec les articles 7 et 8 ainsi qu’avec l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci, doit être interprété en ce sens :
– qu’il s’oppose à ce que la législation d’un État membre mettant en œuvre la procédure d’échange d’informations sur demande instituée par la directive 2011/16 exclue qu’une décision par laquelle l’autorité compétente de cet État membre oblige une personne détentrice d’informations à lui fournir ces informations, en vue de donner suite à une demande d’échange d’informations émanant de l’autorité compétente d’un autre État membre, puisse faire l’objet d’un recours formé par une telle personne, et
– qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une telle législation exclue qu’une telle décision puisse faire l’objet de recours formés par le contribuable qui est visé, dans cet autre État membre, par l’enquête à l’origine de ladite demande, ainsi que par des tierces personnes concernées par les informations en cause.
Sur la seconde question dans l’affaire C‑245/19
106 Eu égard aux réponses apportées aux premières questions dans les affaires C‑245/19 et C‑246/19 et à la circonstance que les secondes questions dans ces affaires n’ont été posées qu’en cas de réponse affirmative à celles-ci, il y a lieu de répondre uniquement à la seconde question dans l’affaire C‑245/19.
107 Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 5 de la directive 2011/16 doivent être interprétés en ce sens qu’une décision par laquelle l’autorité compétente d’un État membre oblige une personne détentrice d’informations à lui fournir ces informations, en vue de donner suite à une demande d’échange d’informations émanant de l’autorité compétente d’un autre État membre, est à considérer, prise ensemble avec cette demande, comme
portant sur des informations qui n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable dès lors qu’elle indique l’identité de la personne détentrice des informations en cause, celle du contribuable qui est visé par l’enquête à l’origine de la demande d’échange d’informations et la période couverte par cette dernière, et qu’elle porte sur des contrats, des facturations et des paiements qui, tout en n’étant pas identifiés de façon précise, sont délimités au moyen
de critères tenant, premièrement, au fait qu’ils ont été respectivement conclus ou effectués par la personne détentrice, deuxièmement, à la circonstance qu’ils sont intervenus pendant la période couverte par cette enquête et, troisièmement, à leur lien avec le contribuable visé.
108 L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2011/16 prévoit que les États membres coopèrent entre eux aux fins d’échanger les informations vraisemblablement pertinentes pour l’administration et l’application de leur législation interne en matière fiscale.
109 Pour sa part, l’article 5 de cette directive énonce que, à la demande de l’autorité nationale qui entend se voir communiquer de telles informations, dénommée « autorité requérante », l’autorité à laquelle cette demande est adressée, dénommée « autorité requise », les lui communique, le cas échéant après les avoir obtenues à la suite d’une enquête.
110 L’expression « vraisemblablement pertinentes » figurant à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2011/16 vise, ainsi que la Cour l’a déjà relevé, à permettre à l’autorité requérante de demander et d’obtenir toutes les informations dont elle peut raisonnablement considérer qu’elles se révéleront pertinentes aux fins de son enquête, sans toutefois l’autoriser à dépasser de manière manifeste le cadre de celle-ci ni imposer une charge excessive à l’autorité requise (voir, en ce sens, arrêt du
16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C‑682/15, EU:C:2017:373, points 63 et 66 à 68).
111 En outre, cette expression doit être interprétée à la lumière du principe général du droit de l’Union tenant à la protection des personnes physiques ou morales contre des interventions arbitraires ou disproportionnées de la puissance publique dans leur sphère d’activité privée, visé au point 57 du présent arrêt.
112 À cet égard, il y a lieu d’observer que, si l’autorité requérante, qui est maîtresse de l’enquête à l’origine de la demande d’échange d’informations, dispose d’une marge d’appréciation pour évaluer, selon les circonstances de l’affaire, la pertinence vraisemblable des informations demandées, elle ne saurait pour autant demander à l’autorité requise des informations ne présentant aucune pertinence pour cette enquête (voir, en ce sens, arrêt du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C‑682/15,
EU:C:2017:373, points 70 et 71).
113 Ainsi, une décision d’injonction de communication d’informations par laquelle l’autorité requise donnerait suite à une demande d’échange d’informations de l’autorité requérante visant à faire effectuer une recherche d’informations « tous azimuts », telle que visée au considérant 9 de la directive 2011/16, s’apparenterait à une intervention arbitraire ou disproportionnée de la puissance publique.
114 Il en découle que des informations qui seraient demandées aux fins d’une telle recherche « tous azimuts » ne sauraient, en tout état de cause, être considérées comme étant « vraisemblablement pertinentes » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2011/16.
115 À cet égard, l’autorité requise doit contrôler que la motivation de la demande d’échange d’informations qui lui a été adressée par l’autorité requérante est suffisante pour établir que les informations en cause n’apparaissent pas dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard à l’identité du contribuable visé par l’enquête à l’origine de cette demande, aux besoins d’une telle enquête et, dans l’hypothèse où il est nécessaire d’obtenir les informations en cause auprès d’une personne
détenant celles-ci, à l’identité de cette dernière (voir, en ce sens, arrêt du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C‑682/15, EU:C:2017:373, points 76, 78, 80 et 82).
116 Par ailleurs, dans l’hypothèse où cette personne a formé un recours contre la décision d’injonction de communication d’informations qui lui a été adressée, la juridiction compétente doit contrôler que la motivation de cette décision et de la demande sur laquelle celle-ci se fonde est suffisante pour établir que les informations en cause n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard à l’identité du contribuable visé, à celle de la personne
détenant ces informations et aux besoins de l’enquête en cause (voir, en ce sens, arrêt du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C‑682/15, EU:C:2017:373, point 86).
117 C’est donc au regard de ces éléments qu’il convient de déterminer si une décision d’injonction de communication d’informations telle que celle à l’origine du litige au principal dans l’affaire C‑245/19, prise ensemble avec la demande d’échange d’informations sur laquelle elle se fonde, porte sur des informations qui n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable.
118 À ce sujet, il convient de relever qu’une telle décision, prise ensemble avec une telle demande, porte, à l’évidence, sur des informations qui n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable en ce qu’elle indique l’identité du contribuable visé par l’enquête à l’origine de cette demande, la période couverte par cette enquête ainsi que l’identité de la personne qui est détentrice d’informations concernant des contrats, des facturations et des paiements
conclus ou effectués pendant cette période et liés au contribuable en cause.
119 Les doutes de la juridiction de renvoi proviennent, toutefois, du fait que cette décision, prise ensemble avec cette demande, porte sur des contrats, des facturations et des paiements qui ne sont pas identifiés de façon précise.
120 Il doit être observé, d’une part, que ladite décision, prise ensemble avec ladite demande, porte, sans conteste, sur des informations qui n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable en ce qu’elle vise des contrats, des facturations et des paiements qui ont été conclus ou effectués, pendant la période couverte par l’enquête, par la personne détentrice d’informations à leur sujet et qui présentent un lien avec le contribuable visé par cette enquête.
121 D’autre part, il convient de rappeler que tant ladite décision que ladite demande sont intervenues, ainsi qu’il résulte du point 81 du présent arrêt, au cours de la phase préliminaire de ladite enquête, dont l’objet est de recueillir des informations dont l’autorité requérante n’a, par hypothèse, pas une connaissance précise et complète.
122 Dans ces circonstances, il apparaît vraisemblable que certaines des informations qui sont visées par la décision d’injonction de communication d’informations à l’origine du litige au principal dans l’affaire C‑245/19, prise ensemble avec la demande d’échange d’informations sur laquelle elle se fonde, s’avèrent en définitive, au terme de l’enquête menée par l’autorité requérante, non pertinentes à la lumière des résultats de cette enquête.
123 Toutefois, compte tenu des appréciations figurant aux points 118 et 120 du présent arrêt, cette situation ne saurait impliquer que les informations en cause puissent être considérées, aux fins du contrôle visé aux points 115 et 116 de cet arrêt, comme apparaissant, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable et, dès lors, comme ne répondant pas aux exigences découlant de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 5 de la directive 2011/16.
124 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question dans l’affaire C‑245/19 que l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 5 de la directive 2011/16 doivent être interprétés en ce sens qu’une décision par laquelle l’autorité compétente d’un État membre oblige une personne détentrice d’informations à lui fournir ces informations, en vue de donner suite à une demande d’échange d’informations émanant de l’autorité compétente d’un autre État membre,
est à considérer, prise ensemble avec cette demande, comme portant sur des informations qui n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable dès lors qu’elle indique l’identité de la personne détentrice des informations en cause, celle du contribuable qui est visé par l’enquête à l’origine de la demande d’échange d’informations et la période couverte par cette dernière, et qu’elle porte sur des contrats, des facturations et des paiements qui, tout en n’étant
pas identifiés de façon précise, sont délimités au moyen de critères tenant, premièrement, au fait qu’ils ont été respectivement conclus ou effectués par la personne détentrice, deuxièmement, à la circonstance qu’ils sont intervenus pendant la période couverte par cette enquête et, troisièmement, à leur lien avec le contribuable visé.
Sur les dépens
125 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
1) L’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lu conjointement avec les articles 7 et 8 ainsi qu’avec l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci, doit être interprété en ce sens :
– qu’il s’oppose à ce que la législation d’un État membre mettant en œuvre la procédure d’échange d’informations sur demande instituée par la directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE, telle que modifiée par la directive 2014/107/UE du Conseil, du 9 décembre 2014, exclue qu’une décision par laquelle l’autorité compétente de cet État membre oblige une personne détentrice d’informations
à lui fournir ces informations, en vue de donner suite à une demande d’échange d’informations émanant de l’autorité compétente d’un autre État membre, puisse faire l’objet d’un recours formé par une telle personne, et
– qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une telle législation exclue qu’une telle décision puisse faire l’objet de recours formés par le contribuable qui est visé, dans cet autre État membre, par l’enquête à l’origine de ladite demande, ainsi que par des tierces personnes concernées par les informations en cause.
2) L’article 1er, paragraphe 1, et l’article 5 de la directive 2011/16, telle que modifiée par la directive 2014/107, doivent être interprétés en ce sens qu’une décision par laquelle l’autorité compétente d’un État membre oblige une personne détentrice d’informations à lui fournir ces informations, en vue de donner suite à une demande d’échange d’informations émanant de l’autorité compétente d’un autre État membre, est à considérer, prise ensemble avec cette demande, comme portant sur des
informations qui n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable dès lors qu’elle indique l’identité de la personne détentrice des informations en cause, celle du contribuable qui est visé par l’enquête à l’origine de la demande d’échange d’informations et la période couverte par cette dernière, et qu’elle porte sur des contrats, des facturations et des paiements qui, tout en n’étant pas identifiés de façon précise, sont délimités au moyen de critères
tenant, premièrement, au fait qu’ils ont été respectivement conclus ou effectués par la personne détentrice, deuxièmement, à la circonstance qu’ils sont intervenus pendant la période couverte par cette enquête et, troisièmement, à leur lien avec le contribuable visé.
Lenaerts
Silva de Lapuerta
Bonichot
Arabadjiev
Regan
Rodin
Ilešič
Malenovský
Šváby
Biltgen
Jürimäe
Lycourgos
Kumin
Jääskinen
Wahl
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 octobre 2020.
Le greffier
A. Calot Escobar
Le président
K. Lenaerts
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure : le français.